Couverture de RFAS_081

Article de revue

Écarts entre morbidité déclarée et morbidité diagnostiquée

L'exemple de l'obésité, de l'hypertension artérielle et de l'hypercholestérolémie

Pages 15 à 27

Notes

  • [1]
    Virginie Dauphinot, Florence Naudin et René Guéguen: Cetaf (Centre technique d’appui et de formation des centres d’examens de santé), Saint-Étienne.
    Marc Perronnin et Catherine Sermet: Irdes (Institut de recherche et documentation en économie de la santé), Paris.
  • [2]
    À noter que les critères utilisés par les centres de santé pour définir l’hypertension artérielle ne sont pas les mêmes que les critères de l’OMS actuellement admis et qui considèrent qu’il existe une hypertension dès lors que la PAS est supérieure à 140 mm Hg et la PAD supérieure à 90 mm Hg.
  • [3]
    La forte corrélation entre ces deux variables étant susceptible de porter atteinte à la précision des estimations de leur effet sur la déclaration des enquêtés (problèmes dits de « multico-linéarité »), nous avons effectué les régressions en n’introduisant que l’une ou l’autre de ces variables. Les résultats restent alors quasiment inchangés.
  • [4]
    Pour confirmer la permanence de l’hypertension artérielle, le médecin doit retrouver des chiffres supérieurs à la normale au cours de trois consultations différentes avec au moins deux mesures par consultation, après plusieurs minutes de repos, en position couchée ou assise (« Diagnostic et traitement de l’hypertension artérielle de l’adulte de 20 à 80 ans », Haute Autorité en santé, http:// www. anaes. fr/ anaes/ Publications. nsf/ wEdition/ TS_LILF-3XYCW9? OpenDocument&Retour= wSpecialites? OpenView; consulté le 16 octobre 2006).

Introduction

1L’observation de la santé dans le cadre de larges études épidémiologiques repose souvent sur des informations déclarées, recueillies lors d’enquêtes par questionnaire ou en face-à-face. Ce type de recueil paraît en effet moins coûteux et plus facile à mettre en œuvre que celui qui consisterait à effectuer des mesures des données de santé. Il paraît alors important de déterminer si le recueil par questionnaire est un moyen efficace pour estimer l’état de santé d’une population.

2La France réalise régulièrement des enquêtes par interview auprès de larges échantillons de population. Pour la première fois, lors de la dernière Enquête décennale Santé de 2002-2003, il a été proposé aux personnes enquêtées de réaliser un examen de santé, dans un des centres d’examens de santé (CES) de l’assurance maladie. Au travers de ce projet, les partenaires visaient un double objectif: comparer, chez les mêmes personnes, la morbidité déclarée à la morbidité mesurée de manière à pouvoir valider les informations recueillies lors des interviews et recueillir de nouvelles informations sur la santé par le biais d’examens cliniques ou biologiques non réalisables autrement.

3Afin d’apprécier la validité des questionnaires de l’Enquête décennale Santé, nous avons comparé les données de morbidité déclarées aux mesures réalisées dans les CES pour trois facteurs de risques cardiovasculaires: l’obésité, l’hypertension artérielle et l’hypercholestérolémie. L’intérêt de ces données de santé réside notamment dans la place qu’elles occupent en termes de morbidité et de mortalité associée. En 2004, les maladies cardiovasculaires (147 323 décès correspondant à un taux de 214, 4/100 000 habitants) occupent le deuxième rang des causes de décès: un décès sur deux correspond à une cardiopathie ischémique ou à une maladie cérébro-vasculaire (Aouba, Péquignot, Le Toullec et al., 2007). Des études publiées ont montré que les individus ont tendance à sous-déclarer leurs troubles (Niedhammer, Bugel, Bonenfant et al., 2000; St Sauver, Hagen, Cha et al., 2005; Visscher, Viet, Kroesbergen et al., 2006). De plus, cette sous-déclaration pourrait être associée à leurs caractéristiques socio-économiques (Gillum et Sempos, 2005; Gorber, Tremblay, Moher et al., 2007); la sous-déclaration serait par exemple moins fréquente chez les personnes ayant un niveau d’études plus élevé (Alonso, Beunza, Gado-Rodriguez et al., 2005; Okura, Urban, Mahoney et al., 2004; Tormo, Navarro, Chirlaque et al., 2000).
Nous avons, dans un premier temps, décrit les caractéristiques de la population d’étude par rapport à la population initiale dont elle est issue, afin de déterminer quels étaient les comportements liés à la réalisation de l’examen de santé. Nous avons, ensuite, confronté les données déclarées sur ces trois facteurs de risque à celles mesurées dans les CES; nous avons mesuré l’ampleur des écarts entre ces deux modes de recueils et étudié l’effet des caractéristiques socio-économiques et démographiques sur ces écarts.

Le double recueil des données de santé

L’Enquête décennale Santé 2002-2003

4Les principaux objectifs de l’Enquête décennale Santé 2002-2003 (EDS) étaient d’appréhender la consommation individuelle de soins et de prévention, la morbidité déclarée prévalente et incidente ainsi que la santé perçue. Au total, 40 796 personnes appartenant à 16 800 ménages ont été enquêtées. Un tirage spécifique a été réalisé pour disposer d’échantillons plus importants dans cinq extensions régionales: Nord-Pas-de-Calais, Champagne-Ardenne, Picardie, Île-de-France, Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Les ménages ont été enquêtés sur une période de huit semaines avec trois visites d’enquêteurs espacées chacune d’un mois et précédées d’un entretien téléphonique. L’enquête a permis de collecter des informations sur les caractéristiques socio-économiques des individus (conditions de vie, situation professionnelle, protection sociale), leur état de santé (santé perçue, limitations fonctionnelles, maladies prévalentes et incidentes en deux mois, poids, taille) et des données sur leurs consommations de soins.

L’examen de santé dans les centres d’examens de santé

5Les personnes enquêtées résidentes de l’une des cinq régions de l’extension (Nord-Pas-de-Calais, Champagne-Ardenne, Picardie, Île-de-France, Provence-Alpes-Côte-d’Azur) et âgées de 18 ans et plus, ont été invitées à passer un examen de santé, lors de la troisième visite de l’enquête. Cet examen de santé a ainsi été proposé à 14 207 personnes âgées de 18 ans et plus, près d’une personne sur deux en a accepté le principe. En cas d’acceptation de la personne enquêtée, une invitation identifée lui a été remise par les enquêteurs Insee. La personne devait ensuite contacter le CES le plus proche de son lieu d’habitation pour prendre rendez-vous afin de passer un examen de santé, en tous points similaire à l’examen périodique de santé standard réalisé par les CES. Au total, 1906 personnes, soit environ un quart des enquêtés qui avaient accepté le principe de passer un examen de santé, l’ont effectivement réalisé.
L’appariement entre les deux sources d’information (données d’enquêtes et données issues des examens de santé) a été réalisé par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) au début de l’année 2005. Après appariement, la base des individus appariés ayant réalisé un examen de santé dans le cadre de l’Enquête décennale Santé est finalement composée de 1889 individus.

Le contenu de l’examen de santé

6Tous les assurés du régime général ainsi que leurs ayants droit peuvent bénéficier d’un examen périodique de santé gratuit une fois tous les cinq ans. Le réseau des centres d’examens de santé comprend une centaine de centres et antennes répartis sur la quasi-totalité du territoire français et accueillant chaque année près de 600 000 consultants. L’ensemble des données collectées au cours des examens périodiques de santé constitue une base de données épidémiologiques alimentée annuellement (Guéguen et Guenot, 2001).

7L’examen périodique de santé se déroule en plusieurs temps. Un autoquestionnaire, rempli à domicile préalablement à l’examen ou en compagnie d’un agent d’accueil au centre d’examens de santé, recueille les éléments socio-administratifs, les habitudes de vie (consommation d’alcool et de tabac), les indicateurs de précarité et l’état de santé ressenti des consultants. Le premier temps de l’examen comprend des mesures physiques de l’état de santé: la mesure du poids et de la taille, de la tension artérielle, une analyse de sang et d’urine pour détecter d’éventuels troubles métaboliques, cardio-vasculaires, etc. Il est également proposé aux consultants un examen de la vue et de l’audition, un examen dentaire, un électrocardiogramme, une spirométrie. Si nécessaire, une mammographie et un frottis cervical pour le dépistage des cancers gynécologiques, un test Hémoccult® pour le dépistage du cancer colorectal sont proposés. Le second temps est réservé à l’examen clinique: le médecin s’entretient avec le consultant sur les affections et les traitements en cours, les antécédents personnels et familiaux, les problèmes révélés par les tests lors de la première partie de l’examen.

Caractéristiques de l’échantillon de participants à l’examen de santé

Acceptation et réalisation de l’examen de santé

8Le taux d’acceptation de l’examen s’élève à 53% des personnes enquêtées auxquelles l’examen de santé a été proposé; parmi les acceptants, le taux de participation s’élève à 25%. Au final, 13, 3% des sujets auxquels l’examen a été proposé ont effectivement réalisé un examen de santé. Une analyse du comportement des enquêtés a été mise en œuvre afin d’identifier d’une part les biais d’acceptation pour caractériser les individus qui ont accepté le principe de réaliser un examen de santé par rapport à ceux qui l’ont refusé et d’autre part les biais de participation pour caractériser les individus qui ont effectivement réalisé un examen de santé par rapport à ceux qui ne sont pas venus.

9L’étude des biais d’acceptation et de participation a permis d’identifier quatre profils de comportements décrits ci-après.

10Le premier profil de risques correspond aux personnes chez lesquelles la participation à un examen de santé est la plus forte à la fois à l’issue de l’acceptation et de la réalisation. Ces personnes sont caractérisées par: le fait de déclarer vivre en couple, avoir des diplômes de niveau supérieur, occuper des fonctions de cadres, professions libérales et professions intermédiaires, avoir un revenu élevé, avoir eu recours au spécialiste au moins une fois au cours de douze deniers mois et déclarer porter une grande attention à leur santé.

11Le deuxième profil correspond aux personnes chez lesquelles l’acceptation de l’examen de santé est plus fréquente mais la réalisation est moindre. Il s’agit plus fréquemment des personnes de moins de 35 ans, habitant la région Île-de-France, issues de ménages de trois personnes et plus ou ayant au moins un enfant, affiliées du régime général ou du régime des fonctionnaires, étant de la catégorie des actifs occupés ou des chômeurs et déclarant un très bon état de santé.

12Le troisième profil correspond aux personnes chez lesquelles l’acceptation de l’examen de santé est moindre mais la réalisation plus fréquente. Il s’agit essentiellement des personnes âgées de 55 ans et plus, affiliées à la MSA, bénéficiaires d’une couverture complémentaire, ayant interrompu leur scolarité au certificat d’études primaires (CEP), retraités ou retirés des affaires, déclarant un état de santé moyen, atteintes d’une maladie chronique et ou d’une limitation d’activité, et déclarant un facteur de risque cardio-vasculaire ou un problème d’audition.
Le quatrième profil correspond aux personnes chez lesquelles la participation à l’examen de santé est la plus faible à la fois à l’issue de l’acceptation et de la réalisation. Ces personnes sont plus fréquemment des bénéficiaires de la CMU, des personnes ayant interrompu leur scolarité avant le CEP, occupant des postes d’employés ou d’ouvriers et ayant de faibles revenus.

Description de l’échantillon apparié

13L’échantillon apparié est composé de 1889 sujets, dont 51, 6% de femmes et 48, 4% d’hommes. Une proportion élevée de sujets réside dans la région Île-de-France (39, 8%). La majorité des sujets occupait un emploi au moment de l’enquête (60, 8%) et déclarait vivre en couple (72, 9%).

14Par rapport à l’échantillon de l’Enquête décennale Santé, représentatif de la population de France métropolitaine, les personnes âgées de 35 à 64 ans sont plus nombreuses et sont plus fréquemment diplômées de l’enseignement supérieur et actifs occupés. Les ingénieurs et cadres sont également surreprésentés, au détriment des manœuvres et ouvriers. Les personnes de l’échantillon portent une plus grande attention à la santé. À titre d’exemple, les personnes qui déclarent pratiquer un sport sont relativement plus nombreuses dans l’échantillon apparié que parmi l’ensemble des personnes enquêtées (48% vs36, 3%). Elles sont également plus attentives à leur nutrition et choisissent certains aliments par souci de leur état de santé (60, 1% vs50, 9%).

15D’autres caractéristiques de la population d’étude sont directement attribua-bles au choix des cinq régions ayant fait l’objet d’une extension: la sous-représentation des personnes vivant dans des communes rurales (15% dans l’échantillon apparié vs23,2% parmi l’ensemble des personnes enquêtées) au profit des habitants de l’agglomération parisienne (33,8% vs19,8%) et en conséquence la sous-représentation des affiliés à la MSA (4,8% dans l’échantillon apparié vs6,1% dans l’ensemble des personnes enquêtées) au profit des affiliés au régime général ou au régime des fonctionnaires (81, 1% vs77,5%).
En ce qui concerne la morbidité déclarée, les prévalences d’obésité et d’hy-percholestérolémie observées dans l’échantillon apparié sont identiques à celles de la population cible et de la population interrogée. En ce qui concerne l’hypertension artérielle, la prévalence est plus faible parmi les sujets appariés que dans la population cible et la population interrogée.

Tableau 1

Prévalences déclarées de l’obésité, de l’hypertension artérielle et de l’hypercholestérolémie pour l’échantillon apparié, la population cible et l’ensemble de la population française

Tableau 1
Échantillon apparié Examens réalisés (n = 1889)% Population cible Propositions d’examen (n = 14 207)% Population française Redressement de la population enquêtée (n pondéré = 44, 9 millions)% Obésité 1888 100, 0 14205 100, 0 44888378 100, 0 Oui (IMC = > 30 kg/m²) Non (IMC < 30 kg/m²) 204 1684 10, 8 89, 2 1585 12620 11, 2 88, 8 4979577 39908801 11, 1 88, 9 Hypertension artérielle 1889 100, 0 14207 100, 0 44893556 100, 0 Oui Non 218 1671 11, 5 88, 5 1843 12364 13, 0 87, 0 5963752 38929805 13, 3 86, 7 Hypercholestérolémie 1889 100, 0 14207 100, 0 44893556 100, 0 Oui Non 173 1716 9, 2 90, 8 1174 13033 8, 3 91, 7 3960032 40933524 8, 8 91,2 Source: Appariement CES-EDS 2002-2003, Cetaf-CNAMTS.

Prévalences déclarées de l’obésité, de l’hypertension artérielle et de l’hypercholestérolémie pour l’échantillon apparié, la population cible et l’ensemble de la population française

Bilan de l’invitation à l’examen périodique de santé dans le cadre de l’Enquête décennale Santé

16Pour dresser un bilan de cette première expérience d’invitation à réaliser un examen de santé, il convient de s’intéresser aux aspects méthodologiques de l’enquête.

17Une première remarque résulte de la procédure d’invitation à l’examen de santé, formulée par l’enquêteur à la fin de la troisième visite. Ce choix méthodologique a été fait afin de ne pas influencer les réponses et les comportements de recours aux soins des sujets au cours de l’enquête. Toutefois, on peut penser que si cette proposition avait été faite plus tôt, les enquêteurs auraient eu la possibilité de recueillir de nouvelles informations sur la réaction des sujets lors des visites suivantes et de les relancer si nécessaire.

18En outre, si les déterminants socio-économiques de l’acceptation et de la participation à l’examen ont été analysés, en revanche, la localité de résidence des personnes interrogées lors de l’Enquête décennale Santé n’étant pas connue, il n’a pas été possible de déterminer si la distance entre le lieu de résidence et le centre d’examen de santé le plus proche a joué un rôle dans le fait de passer ou non un examen de santé après en avoir accepté le principe.

19Enfin, il faut rappeler que la question: « Acceptez-vous le principe de faire réaliser un examen de santé? » était posée juste après la proposition de récupérer les données de consommations médicales les concernant dans les fichiers de l’assurance maladie. L’invitation à passer un examen se faisait donc dans un contexte de recueil d’informations supplémentaires pouvant, dans certains cas, être interprété comme un contrôle.

20Un deuxième aspect méthodologiqueà considérer est la procédure de prise de rendez-vous. Après acceptation, un carton d’invitation était remis à l’enquêté, qui devait le renvoyer au centre d’examen. Dès réception, le CES pouvait alors prendre contact avec la personne et fixer un rendez-vous. Cette procédure n’a pas fait l’objet d’une véritable traçabilité et il est aujourd’hui difficile de déterminer à quelle étape les acceptants ont renoncé à venir passer un examen. Plusieurs questions restent sans réponse, à savoir combien de cartons d’invitation ont effectivement été renvoyés aux CES, combien de relances téléphoniques les CES ont-ils effectuées pour fixer un rendez-vous et combien de personnes ne se sont pas présentées au rendez-vous fixé.

21La description du profil socio-économique des sujets venus réaliser un examen permet de se rendre compte que la participation est liée à des comportements spécifiques, comme le fait d’être plus attentif à sa santé, de vivre en couple, d’appartenir à une catégorie socioprofessionnelle particulière, etc. La connaissance de ces informations pourrait permettre, d’une part, de mettre en œuvre un échantillonnage spécifique, basé sur les taux d’acceptation et de participation de différentes sous-populations et, d’autre part, de redéfinir le message délivré aux enquêtés lorsque l’examen de santé est proposé, en l’adaptant en fonction du profil de la personne enquêtée.
En complément, si une telle procédure d’invitation est renouvelée, il serait intéressant de recueillir les motifs de non-participation à l’examen en procédant à une interrogation des personnes qui avaient accepté le principe de réaliser un examen mais qui au final ont refusé le rendez-vous ou ne se sont pas rendues dans le CES.

Écarts entre morbidité déclarée et morbidité diagnostiquée

22À partir de l’échantillon de personnes ayant à la fois répondu à l’Enquête décennale Santé et accepté de réaliser ensuite un examen médical, les prévalences relevées dans ces deux sources ont été comparées pour trois facteurs de risques cardiovasculaires: obésité, hypertension artérielle et hypercholestérolémie.

Figure 1

Écart entre déclaration et mesure pour l’estimation des prévalences de l’obésité, de l’hypertension artérielle, et de l’hypercholestérolémie

Figure 1

Écart entre déclaration et mesure pour l’estimation des prévalences de l’obésité, de l’hypertension artérielle, et de l’hypercholestérolémie

Taux standardisés sur l’âge en % dans la population appariée
Source : appariement Enquête décennale Santé 2002-2003 – Examens de santé Cetaf.

Prévalence de l’obésité

23Le poids et la taille de chaque individu ont été recueillis à la fois par autoquestionnaire dans l’enquête et mesurés par des infirmières dans les CES selon des procédures standardisées. Dans les deux cas, l’indice de masse corporelle (IMC) a été calculé par le rapport poids (kg)/taille (m2) et permet de définir l’obésité à partir d’un IMC supérieur ou égal à 30 kg/m2.

24La comparaison des déclarations et des mesures met en évidence une sous-estimation du taux d’obésité obtenu à partir des déclarations. En effet, sans distinction sur le sexe, le taux est de 9, 7% à partir des déclarations contre 13, 7% à partir des mesures effectuées dans les CES. Cette différence est significative au seuil de 5%.

25Un croisement des deux sources d’information pour chaque individu permet de déterminer la part des personnes classées obèses d’après la mesure mais pas d’après la déclaration. Ainsi, parmi les 267 sujets classés comme obèses d’après les mesures effectuées dans les centres d’examens de santé, 86 (soit 32, 2%) ne le sont pas d’après leurs déclarations de poids et de taille dans l’enquête. En revanche parmi les 1591 sujets classés comme non obèses d’après les mesures effectuées dans les centres d’examens de santé, seuls 14 (0, 9%) sont considérés comme obèses d’après leurs déclarations.

26Au total, les deux sources d’information sont discordantes pour 6,3% des sujets. Les erreurs de déclaration sont essentiellement le fait de sujets obèses qui sous-estiment leur poids ou surestiment leur taille. Le cas de sujets non obèses qui surévaluent leur poids ou sous-évaluent leur taille se rencontrant de manière très marginale.
Les 86 sujets obèses d’après les mesures (IMC ? 30 kg/m2) mais qui ne le sont pas d’après leurs déclarations de poids et de taille, ont ensuite été comparés aux 181 sujets qui avaient déclaré un poids et une taille les classant parmi les obèses. En étudiant l’ensemble de leurs caractéristiques, seules les associations avec l’IMC mesuré lors de l’examen de santé et le sexe sont significatives: la sous-déclaration est plus faible lorsque l’IMC augmente (OR = 0, 41 [0, 31-0, 55]). Le risque de sous-déclaration est également plus faible chez les hommes (OR = 0, 40 [0, 20-0, 77]). Il est enfin plus fort chez les individus déclarant un bon état de santé (OR = 2, 21 [1, 04-4, 68]).

Prévalence de l’hypertension artérielle

27Au cours de l’enquête santé, les sujets déclarent d’une part l’ensemble des pathologies dont ils sont atteints et d’autre part les pathologies ayant motivé un recours au médecin ou un traitement durant l’enquête. Les sujets hypertendus sont identifiés à partir de ces deux types de déclarations. Dans les centres d’examens de santé, la pression artérielle systolique et la pression artérielle diastolique sont mesurées au bras gauche par des infirmières. Dans l’étude, l’hypertension artérielle est définie [2] soit par la déclaration d’une prise de traitement hypotenseur, soit par une pression artérielle systolique supérieure à 160 mm Hg et/ou une pression artérielle diastolique supérieure à 95 mm Hg.

28Les analyses comparatives montrent l’existence d’une sous-estimation importante lors de la déclaration. La prévalence estimée à partir des déclarations recueillies durant l’enquête est d’environ 11% alors que la prévalence estimée à partir des données mesurées dans les CES est d’environ 19%. Le croisement des deux sources d’information pour chaque individu a permis de préciser ces discordances. Parmi les 281 sujets pour lesquels une pression artérielle élevée a été mesurée dans les CES, 121 (soit 43, 1%) n’avaient pas déclaré être atteints d’hypertension artérielle lors de l’enquête. Parmi les 1317 sujets pour lesquels une pression artérielle normale a été mesurée dans les CES, 9 (soit 0, 7%) avaient déclaré être atteints d’hypertension artérielle lors de l’enquête.

29Au total, les deux sources d’information sont discordantes pour 8, 1% des sujets. Comme pour l’obésité, ces discordances sont essentiellement le fait de personnes atteintes par la pathologie et qui omettent de la déclarer, soit par oubli, soit par méconnaissance de leur état de santé.

30Cette sous-déclaration de l’hypertension artérielle a déjà pu être estimée en France. Dans le cadre du projet MONICA (Registres français des cardiopathies ischémiques, 1998), la pression artérielle a été mesurée auprès d’adultes âgés de 35 à 64 ans et résidant à Lille, Toulouse et Strasbourg. Retenant un seuil d’hypertension plus large, de 140/90 mm Hg, la confrontation avec la déclaration d’une hypertension artérielle a montré qu’elle n’était déclarée que par 39 à 44% des hommes et 57 à 65% des femmes seulement.

31Le profil des 121 personnes hypertendues n’ayant pas déclaré d’hypertension artérielle a été comparé à celui des 160 sujets hypertendus pour lesquels les deux sources d’information sont concordantes. En étudiant l’ensemble des caractéristiques des sujets, seules les associations avec la valeur de la tension artérielle et la fréquence de recours au médecin sont significatives. Le risque de ne pas déclarer d’hypertension augmente avec la tension artérielle (TA) mesurée (TA diastolique: OR = 1,05 [1,02-1,08] et TA systo-lique: OR = 1,02 [1, 00-1, 04]) [3]. Il est également plus élevé chez les sujets ayant moins souvent consulté un médecin au cours des douze derniers mois (OR = 3, 21 [1, 18-8, 75] pour une fréquence de recours inférieure ou égale à une fois par an par rapport à une fréquence supérieure à deux fois par an).
Ce résultat suggère une méconnaissance de l’affection par des populations qui n’auraient pas compris le diagnostic évoqué par leur médecin ou qui ont un accès aux soins plus limité. La sous-déclaration serait donc probablement davantage due à une méconnaissance de l’affection qu’à une omission. Les écarts entre mesures et déclarations de l’HTA révéleraient alors des besoins de soins non satisfaits. Cette hypothèse est renforcée par l’observation d’une sous-déclaration plus fréquente lorsque la tension artérielle est plus élevée. Dans ce cas, les personnes qui n’ont pas connaissance de leur affection ont une tension plus élevée que celles qui sont traitées. La différence entre le seuil utilisé par les centres d’examens de santé et le seuil habituellement admis pour définir l’hypertension ne modifie pas l’interprétation de ces résultats. En revanche, il est important de souligner que la mesure de la tension artérielle, telle qu’elle est faite dans les CES, ne permet pas d’affirmer la présence d’une hypertension mais seulement d’en suspecter l’existence. En effet, le diagnostic d’hypertension artérielle ne peut être posé qu’après plusieurs mesures réalisées lors de consultations différentes [4].

Prévalence de l’hypercholestérolémie

32Les sujets hypercholestérolémiques sont identifiés dans l’Enquête Santé à partir de deux types de déclarations: d’une part, sur la base des pathologies dont ils déclarent être atteints et, d’autre part, sur la base des pathologies ayant motivé un recours au médecin ou un traitement durant l’enquête. Dans les centres d’examens de santé, le dosage du cholestérol total est réalisé dans des conditions standardisées chez tous les sujets jusqu’à 75 ans. Les sujets considérés comme ayant une hypercholestérolémie sont ceux ayant un dosage supérieur ou égal à 7 mmol/1 et/ou déclarant prendre un traitement hypolipémiant.

33La prévalence de l’hypercholestérolémie est très sous-estimée par la déclaration. Elle s’élève ainsi à 9, 6% contre 14, 4% à partir des mesures réalisées dans les CES: parmi les 252 sujets pour lesquels une hypercholestérolémie avait été détectée dans les centres d’examens de santé, 126 (soit 50%) n’ont pas déclaré d’hypercholestérolémie lors de l’enquête; parmi les 1559 sujets pour lesquels aucune hypercholestérolémie n’avait été détectée dans les centres d’examens de santé, 29 (soit 1, 9%) ont déclaré une hypercholestérolémie lors de l’enquête.

34Au total, les deux sources d’information sont discordantes pour 9, 9% des sujets.

35Nous avons comparé les profils des 126 personnes qui n’ont pas déclaré d’hypercholestérolémie aux 126 sujets qui se sont déclarés hypercholestérolémiques. Il existe un lien entre l’âge, le niveau d’hypercholestérolémie d’une part et la sous-déclaration d’autre part: la discordance entre déclaration et mesure apparaît moins fréquente chez les sujets de 45 ans et plus par rapport aux plus jeunes, chez qui cette pathologie est sans doute moins systématiquement recherchée lors du suivi médical (OR = 0, 36 [0, 13-0, 97] pour les sujets âgés de 45 à 59 ans et OR = 0, 20 [0, 07-0, 55] pour les sujets âgés de 60 ans et plus) mais elle est plus fréquente chez ceux ayant un taux de cholestérol élevé (OR = 1, 82 [1, 45-2, 27]).

36Comme pour la tension artérielle, la sous-déclaration de l’hypercholesté rolémie est probablement due à une méconnaissance de l’affection par les populations qui en sont atteintes plutôt qu’à une omission.

Discussion

37La comparaison de données issues de déclarations lors d’une enquête par interview à des données mesurées lors d’un examen de santé met en évidence, pour les trois facteurs de risques cardiovasculaires analysés, que le mode de recueil par autoquestionnaire conduit à une sous-estimation systématique des problèmes de santé. Ainsi, quel que soit l’indicateur de santé utilisé, le recueil des données de santé à partir de la déclaration par les sujets conduit à des biais importants dans l’estimation des prévalences de certains problèmes de santé. Ce résultat est concordant avec ceux d’autres études (Alonso et al., 2005; Klungel, De, Paes et al., 1999; Niedhammer et al., 2000). Ce phénomène de sous-déclaration est d’autant plus important que les problèmes de santé sont difficilement décelables par les personnes, comme l’hypertension et l’hypercholestérolémie. Le recueil des problèmes de santé difficilement repérables par les sujets serait alors plus révélateur d’un besoin de soin que d’une omission volontaire.

38Nos résultats montrent par ailleurs qu’il n’existe pas de profil bien défini des personnes ne déclarant pas un problème de santé existant. Les facteurs expliquant la non-déclaration sont peu nombreux et différents d’une pathologie à l’autre: le sexe et la perception de l’état de santé pour l’obésité, le recours à une consultation chez un généraliste pour l’hypertension artérielle, l’âge pour les troubles des lipides. Ce constat nous laisse penser que l’analyse des associations entre pathologies et facteurs socio-économiques ou démographiques peut être valide même quand les données sont déclarées; l’existence d’inégalités entre les sujets devant la santé étant aussi perceptible à partir des données de santé déclarées.

39Il faut noter l’existence de certaines limites conduisant à nuancer ces résultats.

40Tout d’abord, la première partie de cette étude a montré que l’échantillon sur lequel les analyses sont effectuées, est biaisé par rapport à la population source dont il est issu. Ainsi, la population d’étude est globalement plus attentive à sa santé et compte relativement plus d’actifs occupés, notamment de cadres que la population générale de référence. Il est donc difficile de savoir dans quelle mesure le constat de sous-déclaration est généralisable à une population plus large. Néanmoins, le rapprochement avec d’autres études, permet de penser que ce phénomène n’est pas spécifique à l’échantillon étudié. Par ailleurs, chaque catégorie sociale étant représentée, il est malgré tout possible d’étudier les écarts entre santé perçue et santé mesurée en fonction des caractéristiques socio-économiques.

41Le faible taux de participation à l’examen de santé a montré par ailleurs la nécessité d’approfondir notre connaissance des facteurs agissant aux différentes étapes de sélection de l’échantillon afin de proposer des améliorations de la méthode de recrutement en vue d’une enquête ultérieure.

42Sur le plan des analyses statistiques, il est possible qu’un manque de puissance, lié à un échantillon de taille réduite, ait conduit à ne pas pouvoir conclure à un effet des facteurs explicatifs de la sous-déclaration. De même, nous n’avions pas à disposition certaines caractéristiques susceptibles d’expliquer les écarts entre déclarations et mesures, telles que les antécédents familiaux ou personnels, les facteurs psychosociaux, etc.

43Enfin, un dernier biais pouvait être lié au délai de deux mois entre l’EDS et l’examen de santé. Nous avons testé l’hypothèse d’une relation entre ce délai et les écarts observés et conclu à l’absence d’effet.
Malgré ces résultats, il ne s’agit pas pour nous de limiter l’utilisation des données déclaratives lors de l’estimation de prévalences de problèmes de santé. En effet, seules des enquêtes par interview permettent un recueil de telles données sur de très larges populations. En revanche, à l’instar de la Commission européenne, il paraît souhaitable d’encourager, la mise en place d’enquêtes combinant interview et examen médical. Cette combinaison contribuerait à l’harmonisation du recueil des indicateurs d’état de santé dans les enquêtes européennes (Aromaa, Koponen, Tafforeau et al., 2003) et à la mise en place d’un système de surveillance complet au niveau européen. Enfin, il faut souligner que la principale richesse des données de santé perçue se situe vraisemblablement dans le champ de la représentation sociale de la santé et la compréhension des facteurs affectant les opinions et attitudes vis-à-vis de la santé.

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Notes

  • [1]
    Virginie Dauphinot, Florence Naudin et René Guéguen: Cetaf (Centre technique d’appui et de formation des centres d’examens de santé), Saint-Étienne.
    Marc Perronnin et Catherine Sermet: Irdes (Institut de recherche et documentation en économie de la santé), Paris.
  • [2]
    À noter que les critères utilisés par les centres de santé pour définir l’hypertension artérielle ne sont pas les mêmes que les critères de l’OMS actuellement admis et qui considèrent qu’il existe une hypertension dès lors que la PAS est supérieure à 140 mm Hg et la PAD supérieure à 90 mm Hg.
  • [3]
    La forte corrélation entre ces deux variables étant susceptible de porter atteinte à la précision des estimations de leur effet sur la déclaration des enquêtés (problèmes dits de « multico-linéarité »), nous avons effectué les régressions en n’introduisant que l’une ou l’autre de ces variables. Les résultats restent alors quasiment inchangés.
  • [4]
    Pour confirmer la permanence de l’hypertension artérielle, le médecin doit retrouver des chiffres supérieurs à la normale au cours de trois consultations différentes avec au moins deux mesures par consultation, après plusieurs minutes de repos, en position couchée ou assise (« Diagnostic et traitement de l’hypertension artérielle de l’adulte de 20 à 80 ans », Haute Autorité en santé, http:// www. anaes. fr/ anaes/ Publications. nsf/ wEdition/ TS_LILF-3XYCW9? OpenDocument&Retour= wSpecialites? OpenView; consulté le 16 octobre 2006).
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