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Article de revue

Note de lecture

Pages 545 à 549

Notes

  • [1]
    « Les sciences sociales et la notion de solidarité familiale : un commentaire d’historien », p. 19-39. André Burguière est directeur d’études à l’EHESS.
  • [2]
    « Les liens familiaux, forme historique ? », p. 107-141. Paul-André Rosental est enseignant-chercheur à l’EHESS et à l’Ined.
  • [3]
    « Pour penser la parenté contemporaine », p. 73-106. Florence Weber est professeur d’anthropologie et de sociologie à l’École normale supérieure de Paris.
  • [4]
    « Brèves remarques théoriques sur le statut des solidarités familiales en droit français », p. 215-231. Eric Milliard est professeur de droit public à l’université de Paris 11.
  • [5]
    « Les solidarités familiales : bon ou mauvais objet sociologique ? », p. 41-71. Claude Martin est directeur de recherche au CNRS.
  • [6]
    « L’économie des solidarités. Forces et faiblesses des solidarités comme anti-marché », p. 143-182. André Masson est directeur de recherche au CNRS.
  • [7]
    « Économie des solidarités. Famille, État et contrats générationnels », p. 183-213.
  • [8]
    « À la recherche des solidarités familiales. Concepts incertains et réalité mouvante », p. 233-252. Agnès Pitrou est sociologue, ancienne directrice de recherche au CNRS.

Les solidarités familiales en questions. Entraide et transmission, coordonné par Danièle Debordeaux et Pierre Strobel, Éditions LGDJ, Paris, 2002, 267 pages

1Après les grandes enquêtes menées par l’Insee, l’Ined et la CNAV – en particulier l’enquête trigénérationnelle –, il était logique que la CNAF s’intéressât aux caractéristiques, au fonctionnement et aux fondements des solidarités familiales. C’est pourquoi, en 1998 et en 1999, le bureau de la recherche de la Caisse nationale a organisé un séminaire consacré à cette thématique, abordée sous ses aspects sociologiques, historiques, économiques, juridiques et anthropologiques. La présente publication en constitue le prolongement et une manière de synthèse.

2Elle débute par le regard d’un historien, André Burguière [1]. Après avoir noté que, de tout temps, trois modèles de famille ont coexisté (la famille nucléaire, la famille souche et la famille communautaire), l’auteur souligne qu’on ne saurait les considérer comme les cellules élémentaires de la société dans son ensemble. Il réfute également l’idée selon laquelle un « État-Moloch », avide de tout régenter, menacerait les prérogatives familiales. Corrélativement, il met en évidence la capacité du lien familial à prendre le relais du marché quand celui-ci n’assure plus le plein emploi et de l’État providence quand il faillit à ses missions sociales.

3Il est en fait difficile de saisir la réalité des solidarités inhérentes à la famille. D’autant que, comme le rappelle Paul-André Rosental [2], son histoire sociale est récente : elle commence dans les années soixante-dix avec les travaux de Peter Laslett sur l’évolution des structures familiales et ceux de Jean-Yves Yver sur l’héritage. Enrichie ensuite par la critique anthropologique et sociologique et par la recherche micro-historique, elle révèle la multiplicité et la diversité des types de famille – dont les formes varient en fonction de ses rapports à l’environnement – et des modes de relations de parenté.

4Les solidarités familiales (entraide entre ménages apparentés, pratiques successorales…) sont des façons d’être et d’agir visant à surmonter les difficultés de l’existence. Celles qui s’affirment entre les générations donnent cohésion et puissance aux parentèles. Susceptibles de s’adapter aux fluctuations de l’environnement, ni spontanées ni gratuites, elles reflètent les hiérarchies internes à la parenté et assument une triple fonction : affective, économique (répondre aux contraintes matérielles extérieures) et juridique (réglementer les pratiques successorales et l’obligation alimentaire, par exemple).

5Florence Weber [3] précise que les relations de parenté peuvent être cataloguées selon trois critères (la filiation, l’alliance, la résidence) et trois dimensions : intellectuelle, pratique et affective. Elle distingue alors deux notions : la maisonnée, structurée par la corésidence, et la parentèle qui repose sur la filiation et l’alliance. Dans la première, on trouve des relations de solidarité qui préservent le groupe de la dissolution et l’individu de l’exclusion. Dans la seconde, c’est la réciprocité qui domine et qui permet d’éviter la rupture du lien interpersonnel. La maisonnée est un groupe doté d’objectifs partagés (assurer la vie matérielle et prendre soin de sa réputation), un agent économique en soi, un lieu de dévouement et de liens affectifs intenses tandis que la parentèle est un réseau égocentré, régulé par des références communes, des relations de dons et de contre-dons, de rivalité et de hiérarchie. C’est le lieu de la générosité calculée.

6Si les sentiments jouent un grand rôle dans la parenté (au point de les faire apparaître comme allant de soi), la solidarité, elle, s’appuie sur le projet économique des maisonnées, les exigences de la survie matérielle, de l’éducation des enfants et de l’aide aux parents âgés.

7Eric Milliard [4] explique pour sa part que le droit positif – et donc la théorie du droit – ignore le concept de solidarité familiale et même celui de famille stricto sensu ; il ne connaît que les droits et obligations réciproques inscrits dans les relations de parenté et s’y intéresse « latéralement » à travers le devoir d’aliment ou certaines dispositions fiscales. Toutefois, il est possible d’envisager comment les trois principales théories juridiques – théories personnalisantes, fonctionnalistes et institutionnalistes – pourraient les analyser.

8Selon les thèses personnalisantes, la famille est une personne morale et doit donc se voir reconnaître le statut de sujet de droit. Et ce, au nom de deux logiques. D’une part, la personnalisation permet de traduire juridiquement un modèle de solidarité qu’on estime souhaitable de développer en raison de son utilité. D’autre part, la famille doit être considérée comme personne morale parce qu’elle le mérite dans la mesure précisément où elle organise des solidarités. Dans le premier cas, la solidarité est à la source de la personnalisation ; dans le second, elle en est la conséquence.

9Les théories fonctionnalistes contestent la personnalisation de la famille. En outre, elles privilégient l’intérêt du groupe à celui de ses membres et les nécessités de la solidarité aux aspirations à la liberté.

10La préférence d’Eric Milliard va aux théories institutionnalistes. Pour elles, le droit relève de l’idéologie : si l’État produit le droit, c’est pour affirmer sa souveraineté. Et si le droit néglige la famille et ses solidarités, c’est que l’État refuse les concurrences à son pouvoir. Cependant, les solidarités familiales sont perçues comme une réalité contradictoire par la puissance publique : elles sont à la fois un relais potentiel qu’elle peut utiliser et un écran entre elle et les citoyens. Certes, il existe une analogie entre l’État et la famille, entités fédératrices des individus, soit autour d’un projet politique, soit autour de l’identité familiale. Mais pour Eric Milliard, il est clair que les solidarités publiques doivent primer les solidarités familiales lorsque l’une et l’autre entrent en conflit. Le rôle du droit serait alors d’établir, de préciser et de maintenir cette hiérarchie.

11La perspective adoptée par Claude Martin [5] est tout autre. Après avoir montré les limites des théories de Talcott Parson, il décrit comment l’aggravation des difficultés économiques a imposé l’idée d’une complémentarité « naturelle » entre les solidarités aménagées par la sphère publique et les solidarités familiales. L’auteur incline à concevoir ces dernières de façon extensive, à l’instar de Florence Weber et d’André Rosental ; le lien familial au sens large est polymorphe : il englobe l’ensemble des relations matérielles, affectives et symboliques qu’entretiennent les membres du réseau de parenté. En outre, l’objet des solidarités familiales peut être la protection (ou la subsistance), surtout dans les milieux populaires, ou l’insertion (également appelée promotion), surtout dans les milieux aisés. Leur fondement est un mélange d’obligation morale (plus fréquent dans les milieux populaires) et d’effort sélectif et librement consenti (plus répandu dans les milieux aisés).

12Prenant appui sur les évolutions – et les permanences – de la famille telles que les ont décrites E. Sullerot, L. Roussel, J.-C. Kaufmann, F. de Singly et A. Giddens, Claude Martin identifie quatre modèles de relations de parenté et quatre fondements des solidarités suivant que l’accent est mis sur la préservation de l’autonomie des liens de parenté, les échanges relevant du don et de la dette, les normes d’obligation sous-jacentes autoconstruites (le fondement de la solidarité familiale dépend de l’élaboration progressive de normes et de règles variables suivant les milieux et les sexes), la soumission aux pratiques sociales et communautaires, voire juridiques.

13Traitant de « L’économie des solidarités », André Masson [6] appréhende les solidarités familiales par rapport au marché. Il se réfère d’abord à Léon Bourgeois et à Marcel Mauss et définit ces solidarités comme un anti-marché, un contrat collectif fondé sur le « donnant donnant », une réciprocité directe ou indirecte de plus ou moins long terme. Puis, après avoir comparé les mécanismes de la solidarité publique et ceux des solidarités familiales, l’auteur conclut qu’elles peuvent s’accommoder d’une même définition économique : « sans chercher à faire le compte précis de chacun et sans tabler sur l’altruisme individuel… [elles visent]… , par l’imposition d’obligations contraignantes, à engendrer, au sein d’une communauté donnée, une coopération entre ses membres qui s’avère mutuellement avantageuse par rapport à ce qu’ils pourraient obtenir, seuls, sur le marché ».

14L’auteur conforte, en les approfondissant, les réflexions d’André Burguière : l’intérêt essentiel des solidarités familiales – comme publiques – est de pallier les insuffisances du marché, particulièrement en architecturant la redistribution intragénérationnelle entre classes de revenus et intergénérationnelle entre classes d’âges. Toutefois, la protection sociale n’est pas exempte d’inconvénients potentiels, sur lesquels – est-il besoin de le préciser ? – la littérature abonde depuis une vingtaine d’années : « risque moral », effets antiredistributifs, corporatisme, bureaucratie et atteinte aux libertés individuelles et, par conséquent, menaces pesant sur l’adhésion au système et sur la reconnaissance de sa légitimité.

15André Masson conclut en évaluant les mérites respectifs des solidarités familiales et publiques. Les données empiriques montrent – comme l’attestent de nombreuses études – que la famille est surtout solidaire avec sa descendance et que les transferts familiaux ascendants sont davantage subis que volontaires. Seul l’État est capable de préengager les enfants à l’égard de leurs parents ; il apparaît donc comme l’acteur déterminant et incontournable de la prise en charge des personnes âgées.

16Cela conduit l’auteur, dans la seconde partie de sa contribution [7] à poser le problème du financement conjoint, par la puissance publique et la famille, des deux périodes de dépendance de la vie, autrement dit de l’éducation et de la retraite. Examinant les différentes solutions à ce « dilemme des générations » (celles mises en œuvre par les sociétés traditionnelles, celles proposées par les néolibéraux dans les économies développées), l’auteur dit finalement sa préférence pour un modèle d’inspiration « beckerienne » : le financement concomitant de la jeunesse et de la vieillesse par la famille et par l’État, celui-ci se chargeant en priorité des retraites, celle-là de l’éducation.
Il appartient à Agnès Pitrou [8] de s’interroger, en conclusion, sur les fondements des solidarités familiales, leur spécificité et les modes de régulation à l’œuvre dans les réseaux d’apparentés. Elle indique également des pistes de recherche sociologique tels l’apprentissage et l’intériorisation des valeurs et des pratiques d’échanges, les réponses possibles de la solidarité familiale à la précarité, la cohérence ou les incohérences des comportements des individus et des groupes sociaux à l’égard de la solidarité collective.
Comme le souligne Pierre Strobel, dans son introduction remarquablement synthétique et éclairante de cet ouvrage, l’intérêt de l’approche pluridisciplinaire retenue par la CNAF pour son séminaire et de la démarche résolument épistémologique de ses contributeurs est double. Elles permettent d’abord de saisir les raisons qui conduisent aujourd’hui les scientifiques à explorer le champ éminemment flou des solidarités familiales. Elles aboutissent ensuite à « déconstruire » ce concept polysémique et idéologiquement connoté. On ajoutera qu’elles éclairent avec rigueur le débat devenu récurrent sur les rapports entre les solidarités collectives et privées.
On peut toutefois regretter, dans cette publication au discours parfois redondant, l’absence d’un fil directeur qui lui aurait conféré plus de portée et d’ampleur, un ordre peu pertinent dans la présentation des articles et une certaine hétérogénéité dans les niveaux d’analyse.


Date de mise en ligne : 01/04/2010

https://doi.org/10.3917/rfas.034.0545

Notes

  • [1]
    « Les sciences sociales et la notion de solidarité familiale : un commentaire d’historien », p. 19-39. André Burguière est directeur d’études à l’EHESS.
  • [2]
    « Les liens familiaux, forme historique ? », p. 107-141. Paul-André Rosental est enseignant-chercheur à l’EHESS et à l’Ined.
  • [3]
    « Pour penser la parenté contemporaine », p. 73-106. Florence Weber est professeur d’anthropologie et de sociologie à l’École normale supérieure de Paris.
  • [4]
    « Brèves remarques théoriques sur le statut des solidarités familiales en droit français », p. 215-231. Eric Milliard est professeur de droit public à l’université de Paris 11.
  • [5]
    « Les solidarités familiales : bon ou mauvais objet sociologique ? », p. 41-71. Claude Martin est directeur de recherche au CNRS.
  • [6]
    « L’économie des solidarités. Forces et faiblesses des solidarités comme anti-marché », p. 143-182. André Masson est directeur de recherche au CNRS.
  • [7]
    « Économie des solidarités. Famille, État et contrats générationnels », p. 183-213.
  • [8]
    « À la recherche des solidarités familiales. Concepts incertains et réalité mouvante », p. 233-252. Agnès Pitrou est sociologue, ancienne directrice de recherche au CNRS.

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