Notes
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[*]
Maryse Gadreau, LATEC-CNRS, université de Bourgogne
Fanny Pélissier, URCAM de Bourgogne, LATEC-CNRS, université de Bourgogne. -
[1]
Cette recherche résulte d’une collaboration entre l’Union régionale des caisses d’assurance maladie de Bourgogne et le Groupe de recherche en économie de la santé et de la protection sociale, au sein du Laboratoire d’analyse et de techniques économiques de l’université de Bourgogne.
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[2]
Loi 70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière (abrogée par la loi 91-748 du 31 juillet 1991).
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[3]
C’est-à-dire pour l’obtention du meilleur rapport entre les ressources engagées et les résultats obtenus, l’évaluation des résultats prenant en compte non seulement l’efficacité en santé à savoir le degré de performance atteint dans la satisfaction des besoins, mais aussi la qualité des services rendus.
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[4]
L’ANAES (1999) propose de distinguer les notions de filière et de réseau. La dénomination de réseau s’attacherait à la structure, tandis que la filière serait le reflet de la trajectoire des patients dans le système de santé. Un réseau au sens strict implique nécessairement l’existence d’une filière tandis que la proposition inverse n’est pas forcément vraie : le dispositif du médecin référent ne se traduit pas par la reconnaissance de réseaux institutionnels explicites ; il correspond néanmoins à la notion de réseau au sens large que nous avons adoptée.
1En ce début du vingt et unième siècle, plus de cinq ans après la parution des ordonnances d’avril 1996, les réseaux se trouvent à une époque charnière de leur histoire, entre l’expérimentation et la généralisation.
2La notion de réseau recouvre très largement celle de la coordination entre acteurs en vue d’un objectif commun. Elle combine trois dimensions : la dimension géographique qui reflète l’organisation territoriale du réseau, la dimension fonctionnelle qui caractérise la combinaison des ressources et la répartition des tâches, la dimension relationnelle qui s’attache à la dynamique d’acteurs et au lien social inhérents au réseau. La définition d’un réseau en santé proposée par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES 1999) semble particulièrement bien adaptée à cette notion polysémique : « un réseau de santé constitue une forme d’organisation, collective apportée par des professionnels en réponse à un besoin de santé des individus et/ou de la population, à un moment donné, sur un territoire donné. Le réseau est transversal aux institutions et aux dispositifs existants. Il est composé d’acteurs : professionnels du champ sanitaire et social, de la ville et des établissements de santé, associations d’usagers ou de quartier, institutions locales ou décentralisées. La coopération des acteurs dans un réseau est volontaire et se fonde sur la définition commune d’objectifs. L’activité d’un réseau en santé comprend non seulement la prise en charge de personnes malades ou susceptibles de l’être mais aussi des activités de prévention collective et d’éducation pour la santé ».
3L’accroissement du nombre de réseaux au cours de ces dernières années (plus de 1 000 structures sont recensées à ce jour par la Direction générale de la santé, Bonafini, 2002) ne permet pas de réduire le phénomène à un simple effet de mode comme d’aucuns le sous-entendent. Cet accroissement nécessite des moyens financiers appropriés, alloués selon des modalités spécifiques, et fondés sur une évaluation adaptée de cette nouvelle forme organisationnelle que constitue le réseau en santé. L’émergence de la recomposition en réseaux du système de santé français s’accompagne d’une déconcentration des fonds dont la gestion est désormais confiée en partie à des instances régionales. Dans cette perspective la création, en 1999, du Fonds d’aide à la qualité des soins de ville (FAQSV) qui contribue entre autres au financement de réseaux de soins liant professionnels libéraux et établissements de soins, constitue une avancée. Mais ce nouvel instrument est-il adapté aux attentes des acteurs des réseaux et plus fondamentalement à ce que doit être un « bon » réseau ?
4Nous appréhenderons l’opportunité du FAQSV à partir de sa genèse et de ses caractéristiques, tant institutionnelles, prévues par les textes, qu’opérationnelles, correspondant à sa mise en œuvre par les unions régionales des caisses d’assurance maladie. Cette démarche compréhensive s’appuiera entre autres sur une perspective théorique développée par ailleurs (Gadreau, 1999, 2000, 2001) et qui ne fera pas l’objet ici de développements spécifiques.
Après avoir, dans un premier temps, replacé les réseaux concernés par le FAQSV dans une typologie d’ensemble en insistant sur les récents apports législatifs en matière de régionalisation des procédures d’agrément, de financement et d’évaluation des réseaux, nous ébaucherons, dans un second temps, une évaluation du FAQSV, dans une perspective économique, à la lumière d’une approche positive de la réalité du FAQSV et des conditions normatives d’un « bon » réseau : le FAQSV favorise-t-il l’émergence et le fonctionnement de réseaux régionalisés adaptés ?
Vers une recomposition en réseaux régionalisée du système de santé français
5Le réseau est une réalité institutionnelle qui s’est construite par superposition de dispositifs juridiques. Il convient de noter l’ambiguïté de cette réalité institutionnelle qui conduit à aborder le réseau soit par l’hôpital, soit par la médecine de ville alors même que le concept réseau implique une coordination des différents modes de prise en charge autour du patient.
6La loi de mars 2002 relative aux droits du malade et à la qualité du système de santé constitue un progrès en instaurant une catégorie unique : le réseau de santé. Mais la parution récente (décembre 2002) du décret d’application ne permet pas de remédier à l’ambiguïté soulignée, notamment en matière de financement.
Un bref historique
7L’exercice de la médecine en réseau, c’est-à-dire de la prise en charge coordonnée d’un patient par plusieurs professionnels n’est pas une création récente. De nombreux réseaux « de fait » fonctionnent depuis plusieurs années. Pour Claveranne et Mornex (1998), le réseau et la filière de soins sont aussi vieux que la médecine moderne : « Dès que le savoir médical s’est trouvé éclaté entre plusieurs professionnels, l’ajustement s’est réalisé autour et à partir des réseaux qui se sont constitués auprès des compétences, des savoirs ». Un regard rétrospectif sur les modalités d’émergence et d’institutionnalisation fait apparaître deux caractéristiques majeures : d’une part, le décalage est manifeste entre l’émergence spontanée de réseaux qui sont le fait de professionnels de santé recherchant une réponse à certaines défaillances du système de soins dès les années soixante, et leur reconnaissance institutionnelle tardive qui marque un pas décisif avec les ordonnances de 1996 (Larcher, Polomeni, 2001) ; d’autre part, le réseau procède de plusieurs dynamiques d’intérêt (Patte, 1998) qui chacune pointe une caractéristique spécifique du réseau : les professionnels mettent l’accent sur la communication et la complémentarité, les financeurs sur l’efficience, les usagers sur l’efficacité.
8Historiquement la première apparition organisée de réseau remonte au début du vingtième siècle dans le cadre de la lutte contre la tuberculose (Vinas, 1998) même si on relève certains dispositifs précurseurs comme la filière du régime minier (Frelaut et alii, 2000). Par la suite, cantonnées à l’hôpital, les formes de coopération les plus structurantes voient le jour à partir des années soixante-dix avec la loi hospitalière du 31 décembre 1970 [2]. On évoquait alors plus volontiers la notion de coopération sanitaire que celle de réseau. La montée en charge de l’épidémie de Sida dans les années quatre-vingt, l’aggravation des phénomènes de toxicomanie et la demande croissante pour le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes ont favorisé, depuis une vingtaine d’années, le développement de réseaux de soins et particulièrement des réseaux ville-hôpital (Bungener M., Poisson-Salomon A. S., 1998).
9Si la coopération dans le domaine hospitalier a été la première à obtenir une reconnaissance légale et ce, dès la loi hospitalière de 1970, en revanche dans le domaine de la médecine dite de ville, il faut attendre les années quatre-vingt-dix pour que ces modes de coopération obtiennent une reconnaissance par l’État sous l’appellation de réseaux ville-hôpital qui dans les faits devraient plutôt être qualifiés de réseaux hôpital-ville compte tenu de l’initiative déterminante de l’hôpital. Les réseaux médico-sociaux, davantage centrés sur l’ambulatoire, se sont développés spontanément pour répondre à des problèmes de santé publique dans les années quatre-vingt, puis sous l’impulsion de circulaires émanant du ministère de la Santé. On assiste ainsi à l’émergence de multiples réseaux, créés pour répondre à des préoccupations locales, et issus de la volonté de certains praticiens de travailler de manière plus coordonnée, pour suivre spécifiquement certains patients.
10Plusieurs catégories de réseau émergent alors, poursuivant des objectifs hétérogènes. Certains réseaux visent à prendre en charge de manière globale et concertée des problèmes de santé particuliers tels que l’hépatite, ou à répondre au développement de nouvelles pathologies, le cas du Sida étant le plus probant. D’autres réseaux voient le jour pour couvrir une catégorie de population particulière, ainsi les réseaux gérontologiques, sont parmi les tout premiers à apparaître.
11Cette organisation coordonnée qui associe divers types de professionnels en vue d’un objectif commun, est l’aboutissement logique de deux forces convergentes : d’une part, la prise de conscience par les patients (à l’origine ceux atteints de pathologies lourdes et complexes : Sida, hépatite C…) d’être confronté à un système de soins difficile d’accès, morcelé, entraînant des ruptures dans la continuité des soins, et, d’autre part, le besoin, manifesté par certains professionnels, de rompre un isolement croissant lié à la spécialisation accrue de la médecine et nécessitant, pour être levé, une information diversifiée reçue en temps réel.
12Les années quatre-vingt-dix officialisent les réseaux. Durant cette période, plusieurs circulaires ministérielles vont, pour chaque pathologie ou pour des populations spécifiques, recommander le regroupement des professionnels de santé afin d’améliorer la coordination et la continuité des soins autour du patient. Aux deux forces convergentes précédemment évoquées, s’ajoute en effet, à une époque de crise économique lourde de conséquences pour l’équilibre financier de l’assurance maladie, la prise de conscience par les institutions que la logique de rapprochement des acteurs de soins pourrait être un levier pour une réorganisation du système de soins, non seulement source d’économies mais aussi de qualité. Reconnaissance et incitation se trouvent alors étroitement mêlées.
13L’impulsion donnée par la circulaire conjointe DGS-DH pour le Sida en juin 1991, ouvrant la possibilité, pour l’État et la Sécurité sociale, de financer certaines initiatives, est déterminante pour le développement des réseaux « ville-hôpital ». En 1993, cette impulsion s’étend aux réseaux relatifs à la toxicomanie, puis à l’accès aux soins de populations précaires, à l’hépatite C et même à l’alcool, sans oublier les réseaux gérontologiques financés par les collectivités locales. La prise en charge des personnes âgées, qui nécessite l’intervention de compétences variées, est un terrain de prédilection pour la mise en œuvre des réseaux : la coordination gérontologique est devenue une orientation essentielle de la politique en faveur des personnes âgées ; certains auteurs (Bungener et Poisson-Salomon, 1998) situent les premières expériences de réseau à la fin des années soixante-dix avec, par exemple, la création de l’association de gérontologie du XIIIe arrondissement de Paris, qui marque le caractère précurseur de la coordination gérontologique et du maintien à domicile des personnes âgées en matière de recomposition réticulaire de l’offre sanitaire et sociale.
14Depuis 1991, date de la loi portant réforme hospitalière, tous les textes ministériels qui paraissent, prônent l’activité en réseau dont on présuppose qu’elle est génératrice d’une amélioration de la qualité des soins, d’un meilleur confort pour le patient, mais aussi d’économies pour l’assurance maladie. Dans le cadre conventionnel avec l’option médecin référent, mais surtout dans le cadre des expérimentations « Soubie », l’assurance maladie, soutient depuis 1998, cette démarche de coordination et de continuité des soins avec une volonté de recherche d’excellence et de modélisation pour le système de soins à venir.
Les ordonnances de 1996, puis les lois de financement de la Sécurité sociale, légalisent la notion de réseau en ville comme à l’hôpital, sans pour autant assigner d’objectifs clairs à la dynamique ainsi renforcée et sans harmoniser les différentes catégories de réseaux.
Il existe aujourd’hui de nombreux types de réseaux officiels, sans référence commune, obéissant à des régimes juridiques et financiers différents, et surtout de nombreux réseaux hors cadre réglementaire en quête de reconnaissance. Un travail de classification s’avère nécessaire.
Une tentative de classification
15Le réseau en santé est une réalité complexe qui s’est développée, sans que l’on en ait défini le concept, et qui s’est progressivement institutionnalisée. Cette réalité relève de dispositifs juridiques et conventionnels qui se superposent et s’entrecroisent au cours du temps, contribuant à entretenir une certaine opacité peu propice à la définition et à la classification des réseaux (Delande, 1999 ; Poutout, 1999).
16Il est hors de notre propos de recenser et de comparer les multiples définitions et typologies que l’on peut recenser dans la littérature essentiellement professionnelle consacrée aux réseaux en santé (Bourgueil, 1997 ; Sanicola, 1997 ; Marrel, 1998…). En nous inspirant principalement du point de vue adopté par l’Agence Nationale pour l’Évaluation et l’Accréditation en Santé (ANAES) (1999, 2001), nous définirons le réseau en santé comme une forme organisée d’action collective, composée d’acteurs qui coopèrent pour mobiliser de façon efficiente [3] les ressources disponibles en vue de la satisfaction des besoins de santé des usagers, appréhendés en termes de soins mais aussi de prévention et d’éducation.
Quant à la typologie privilégiée nous adopterons une classification en quatre postes, largement répandue (Vinas, 1998 ; Barre, Houdard, 1998) qui minimise autant que faire se peut l’hétérogénéité de chaque poste aux plans du champ ainsi que des cadres juridique et institutionnel concernés :
- le dispositif conventionnel du médecin référent ;
- le dispositif des réseaux expérimentaux dits « Soubie » ;
- le dispositif visant à développer la coopération hospitalière ;
- le dispositif des réseaux ville-hôpital.
18Le dispositif des réseaux expérimentaux dits « Soubie » concerne lui aussi le champ ambulatoire en ciblant essentiellement des pathologies lourdes. Il relève de l’ordonnance « Juppé » relative à la maîtrise médicalisée des dépenses de soins (ordonnance n° 96-345, article L. 162-3-1 du code le la Sécurité sociale). L’initiative du réseau est ouverte à tout type de promoteurs, y compris les caisses d’assurance maladie. Sa création est soumise à une procédure très spécifique du fait de son caractère national et expérimental, débouchant sur un examen par une commission, le Conseil d’Orientation des Filières et Réseaux de Soins Expérimentaux (COFRSE), et le cas échéant sur un agrément ministériel pour trois années. Ce dispositif est soumis à une évaluation stricte. Le cadre expérimental permet de déroger au système de prise en charge actuel des patients, et de rémunérer différemment les professionnels de santé, qu’il s’agisse d’actions nouvelles comme la prévention, l’éducation des patients ou la coordination. Le patient peut lui-même bénéficier de ces dérogations tarifaires par le biais de mécanismes comme le tiers payant ou bien des forfaits d’éducation. Les dépenses liées à la prise en charge des patients et aux rémunérations des professionnels s’imputent sur le compte risque des caisses d’assurance maladie et sur l’enveloppe nationale des soins de ville. Celles concernant le fonctionnement de la structure peuvent relever du FAQSV, placé lui même hors Objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM).
Le dispositif visant à développer la coopération hospitalière concerne principalement, mais pas exclusivement, le champ hospitalier. Les réseaux de soins issus de l’ordonnance « Juppé » portant réforme de l’hospitalisation publique et privée (n° 96-346, article L. 6121-5 du code de la santé publique) sont de deux types : d’une part, des réseaux de structuration horizontale inter-hospitalière reposant sur de nouveaux outils de coopération tels que les syndicats inter-hospitaliers et les groupements de coopération sanitaire, d’autre part, des réseaux de structuration verticale c’est-à-dire extra-hospitalière, permettant une ouverture sur la ville. Ces réseaux de soins ont pour vocation de susciter de nouveaux modes d’organisation et de coopération au bénéfice d’une population particulière (personnes âgées, femmes enceintes, nouveau-nés, toxicomanes…), d’assurer le traitement de certaines pathologies lourdes ou chroniques (cancers, troubles mentaux…) ou d’améliorer l’exercice de certaines activités de soins spécifiques telles que les urgences. Dans leur structuration verticale, ils peuvent également conduire au développement hors murs d’activités hospitalières, en concertation avec les praticiens libéraux, favorisant le maintien ou le retour à domicile du patient. Ces réseaux, soumis à l’agrément du directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation (ARH) sont financés par le biais de contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens et s’inscrivent très largement dans le Schéma régional d’organisation sanitaire et sociale (SROSS).
Le dispositif ville-hôpital est en partie transversal aux deux précédents : un réseau « Soubie » peut être un réseau ville-hôpital ; un réseau de coopération extra-hospitalière est un réseau ville-hôpital (ou plutôt hôpital-ville). Mais cette catégorie permet aussi de recenser d’autres réseaux ville-hôpital, parmi les plus anciens, qui se sont constitués dans les années quatre-vingt-dix, sur la base de circulaires spécifiques, à l’intersection du médical et du social, d’une part, pour la prise en charge des pathologies lourdes (Sida, hépatite…), et, d’autre part, pour celle des personnes âgées. Une circulaire récente (25 novembre 1999, DGS/DAS/DH) d’application encore hésitante, ouvre les réseaux ville-hôpital sur la « polyvalence de proximité » en insistant sur l’intégration des soins, de la prévention et des actions de santé publique (cette circulaire est d’ailleurs dite « relative aux réseaux de soins préventifs, curatifs, palliatifs et sociaux »). Le dispositif ville-hôpital est donc très hétérogène au regard des textes législatifs et réglementaires qui le gouvernent. Mais c’est en fait le seul qui corresponde véritablement au concept de réseau impliquant le décloisonnement ville-hôpital et la prise en charge globale des patients. Il préfigure en quelque sorte la reconnaissance d’un réseau unique qui se profile dans la loi de mars 2002 relative aux droits du malade et à la qualité du système de santé.
Vers la définition et la reconnaissance d’une catégorie unique de réseau ?
19L’article 57 de la loi du 4 mars 2002, vise à renforcer le rôle des réseaux dans le système de santé, dans la perspective d’une coordination accrue entre professionnels et établissements de santé. Il s’agit de favoriser les formes de prise en charge fondées sur la continuité et la qualité des soins, en incluant certaines actions aujourd’hui peu développées en raison du paiement à l’acte, telles que la prévention et l’éducation à la santé. Le texte, volontairement bref, veut donner une définition générale du réseau, non pas conceptuelle mais procédurale, c’est-à-dire en proposant un cadre souple susceptible de permettre le développement de la coordination. Il est bon de citer cet article quasi in extenso : « Les réseaux de santé, notamment les réseaux de soins, ont pour objet de favoriser l’accès aux soins, la coordination, la continuité ou l’interdisciplinarité des prises en charge sanitaires, notamment de celles qui sont spécifiques à certaines populations, pathologies ou activités sanitaires. Ils assurent une prise en charge adaptée aux besoins de la personne tant sur le plan de l’éducation à la santé, de la prévention, du diagnostic que des soins. Ils peuvent participer à des actions de santé publique. Ils procèdent à des actions d’évaluation afin de garantir la qualité de leurs services et prestations. […] Ils sont constitués entre des professionnels de santé libéraux, des établissements de santé, des institutions sociales ou médico-sociales ou des organismes à vocation sanitaire ou sociale ainsi qu’avec des représentants des usagers. […] Les réseaux de santé qui satisfont à des critères de qualité ainsi qu’à des conditions d’organisation, de fonctionnement et d’évaluation fixés par décret peuvent bénéficier des subventions de l’État, dans la limite des crédits inscrits à cet effet chaque année dans la loi de finances, de subventions des collectivités territoriales ou de l’assurance maladie ainsi que de financements des régimes obligatoires de base d’assurance maladie pris en compte dans l’objectif national des dépenses d’assurance maladie visées au 4° du I de l’article L0. 111-3 du code de la sécurité sociale. »
20Si dans ses intentions, cette loi de mars 2002 constitue une réelle avancée pour la coordination sanitaire (Mondielli, 2002), la parution récente du décret chargé d’établir les critères (d’organisation, de fonctionnement, de qualité, d’évaluation…) qui ouvrent droit à subvention de l’État, des collectivités locales et de l’assurance maladie, laisse craindre que la diversité des financements existant actuellement ne soit pas vraiment « remise à plat » et que la question des modalités d’un financement incitatif, propice au fonctionnement efficient d’un réseau, ne soit pas véritablement abordée.
Des financements spécifiques divers et variés
21Il n’est pas dans notre propos de dresser un bilan exhaustif des multiples financements spécifiques destinés à encourager l’émergence des réseaux. On notera simplement que les réseaux impliquant en premier lieu l’hôpital reçoivent essentiellement des financements d’État via l’ARH, tandis que les réseaux relevant pour tout ou partie du champ ambulatoire reçoivent des financements de l’assurance maladie mais aussi de l’État, directement ou via l’ARH, des collectivités locales, voire même de partenaires privés tels que certaines associations de malades ou des laboratoires pharmaceutiques. Quant au forfait annuel perçu par le médecin référent en sus de ses honoraires à l’acte, il relève de l’assurance maladie.
22Il convient en revanche d’attirer l’attention sur deux problèmes majeurs dont la résolution conditionne l’efficience d’une recomposition en réseaux du système de santé.
23Tout d’abord, comme leur nom l’indique, les financements évoqués sont des financements spécifiques, destinés à couvrir tout ou partie des frais de gestion attachés au démarrage et à la montée en charge du réseau. Ils ne sont pas nécessairement reconductibles. Mais surtout ils ne concernent pas l’activité médicale qui reste rémunérée à l’acte, à l’exception notable du dispositif des réseaux expérimentaux qui, en sus éventuellement de financements spécifiques forfaitaires, permettent la rémunération, partiellement forfaitaire elle aussi, des professionnels de santé. Or on sait que ce système de rémunération à l’acte, dans le contexte d’une relation médecin-patient marquée par une asymétrie d’information, n’est pas favorable à une pratique médicale efficiente (Mougeot, 1999) dans la mesure où il peut inciter à un certain laxisme dans l’activité de soins et de prescription. Le cahier des charges établi en vue de l’attribution de financements spécifiques ne permet pas de contrôler ce dérapage éventuel analysé en terme de « risque moral » dans la théorie des contrats. Il permet simplement à la tutelle de s’assurer d’une certaine qualité de prise en charge et de la réalisation d’objectifs autres que strictement médicaux tels que la coordination en elle-même mais aussi la prévention et l’éducation sanitaire. Ni la loi de mars 2002 telle qu’elle est formulée en son article 57, ni son premier décret d’application, n’évoquent une forfaitarisation globale du financement du réseau de santé, quelles qu’en soient les modalités exactes (forfait attaché à la structure et/ou au patient). En revanche, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2002, a inséré dans le code de la sécurité sociale l’article L. 162-45 qui décrit les modalités de prise en charge des dépenses des réseaux, est susceptible de permettre éventuellement une telle forfaitarisation : elle envisage « un règlement forfaitaire versé aux professionnels de santé ou à la structure gestionnaire de réseau, de tout ou partie des dépenses du réseau, et des dérogations au code de la sécurité sociale », mais les modalités n’en sont pas précisées et l’ambiguïté subsiste quant au mode de rémunération des professionnels de santé.
24D’autre part, le financement du système de santé se caractérise, au niveau national comme au niveau régional, par une segmentation de l’ONDAM entre plusieurs enveloppes jusqu’à présent imperméables. Cette absence de fongibilité est peu propice à la promotion d’une organisation en réseaux, nécessitant éventuellement des transferts de ressources intersectoriels. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2002 prévoit qu’une partie des fonds régionaux sera globalisée, mais le montant (22,87 millions d’euros dont 731 040 pour la Bourgogne en 2002) reste modeste et l’avenir incertain.
Le FAQSV, une innovation organisationnelle ?
25Le Fonds d’aide à la qualité des soins de ville est un financement spécifique parmi d’autres, géré par l’assurance maladie, en concertation avec les professionnels de santé. Déconcentré à 80 % en région où il relève de l’Union régionale des caisses d’assurance maladie (URCAM) il est parfois considéré comme l’ébauche et la pierre angulaire d’un financement régionalisé d’un système de santé recomposé en réseaux. Nous en appréhenderons les modalités et l’opportunité.
Le FAQSV, un financement spécifique à visée régionale
26Créée par l’ordonnance n° 96-344 du 24 avril 1996, simultanément aux deux ordonnances « Juppé » relatives à la médecine de ville et à l’hospitalisation, l’URCAM a entre autres pour mission de développer la qualité des soins, de veiller au respect des priorités de santé publique et d’aider à la maîtrise des dépenses ambulatoires. Au même titre que l’ARH pour les hôpitaux, l’URCAM joue un rôle de coordonnateur régional pour la médecine de ville. À cette fin, l’URCAM possède des prérogatives en matière de filières et réseaux. La circulaire inter-régimes du 24 mars 1999 reconnaît aux URCAM une compétence propre, celle de la coordination des soins. Seule institution régionale ayant vocation à appréhender globalement l’offre de soins de ville et l’offre hospitalière, l’URCAM doit garantir la ligne adoptée par l’assurance maladie sur les questions relatives à la coordination ville-hôpital. Elle participe à la promotion de projets relevant du seul domaine ambulatoire ou associant des structures ambulatoires et hospitalières. Pour mener à bien cette mission, elle s’est vue confier depuis 1999, la gestion du FAQSV.
27Alors que les ordonnances de 1996 relatives à la médecine de ville et à l’hospitalisation instituaient le réseau comme outil de restructuration du paysage sanitaire mais l’abordaient de manière séparée, sans prévoir aucun mode de financement spécifique, le FAQSV offre la possibilité de financer l’émergence de réseaux alliant professionnels de santé libéraux et établissements. En ce sens il constitue un outil pour remédier à la dichotomie ville-hôpital imposée par le législateur lui-même. Institué par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 et le décret du 12 novembre 1999 (n° 99-940), le FAQSV offre de nouvelles sources de financement aux professionnels de santé libéraux pour l’amélioration de la qualité des soins de ville, tout en ciblant le rapprochement entre la ville et l’hôpital. La coordination professionnelle et l’émergence des réseaux ne constituent qu’un domaine d’intervention du FAQSV parmi d’autres mais c’est néanmoins le domaine prépondérant qui absorbe plus de la moitié des crédits alloués annuellement : « le Fonds d’aide à la qualité des soins de ville. […] participe à l’amélioration de la qualité et de la coordination des soins dispensés en ville et contribue au financement d’actions concourant notamment à l’amélioration des pratiques professionnelles et à leur évaluation, à la mise en place et au développement de formes coordonnées de prise en charge et notamment des réseaux de soins liant des professionnels de santé exerçant en ville à des établissements de santé ». (Article 1er).
28Le montant du FAQSV est prévu chaque année dans la loi de financement de la Sécurité sociale. Pour 2000, l’enveloppe s’élevait à 76,22 millions d’euros. Les dotations 2001 et 2002 sont chacune de 106,7 millions d’euros. 80 % sont destinés aux actions régionales. Pour sa partie nationale le FAQSV est géré par un comité national de gestion placé au sein de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS) et pour sa partie régionale par un comité régional, au sein de l’URCAM. Placé sous la présidence du président de l’URCAM, le comité régional de gestion comprend des représentants de l’assurance maladie (administrateurs et médecins-conseils des trois régimes), des représentants des professionnels de santé et des établissements de soins, ainsi que des personnes qualifiées. Assistent également aux réunions, le représentant du préfet de région (à savoir le directeur régional des affaires sanitaires et sociales), le directeur et l’agent comptable de l’URCAM et le directeur de l’ARH. Au sein de ce comité de trente-trois personnes sont désignés six membres qui siégeront au bureau, organe exécutif du comité de gestion (trois administrateurs de l’assurance maladie, deux représentants des professionnels de santé et une personne qualifiée) ; le représentant du préfet ainsi que le directeur et l’agent comptable de l’URCAM siègent au bureau avec voix consultative.
29Le comité régional de gestion définit les grandes orientations en fonction d’un cadre élaboré par le comité national de gestion, et le bureau examine les dossiers présentés au FAQSV. Ces dossiers doivent répondre à un cahier des charges élaboré par le comité national de gestion du FAQSV. Le cadre national privilégie quatre grands domaines d’intervention (la promotion de la coordination entre professionnels de santé, l’amélioration des pratiques professionnelles, le développement du partage de l’information, le développement de l’évaluation des pratiques professionnelles) au sein desquels il appartient à chaque comité régional de définir des orientations prioritaires pour sa région.
30En 2002, des crédits fléchés font leur apparition pour cibler la thématique de la permanence des soins. Ce sont désormais deux enveloppes, une enveloppe traditionnelle relative aux actions classiques et une enveloppe fléchée, qui se partagent la dotation annuelle du FAQSV. Sont particulièrement concernées par la deuxième enveloppe, les expérimentations de dispositifs innovants pour organiser la réponse libérale à la demande de soins non programmée (maisons de santé et de garde libérales), pour encourager certaines actions de régulation (participation des médecins libéraux à la régulation effectuée par les centres 15), et pour aider à l’installation des professionnels de santé paramédicaux. Sur ce dernier point, l’article 39 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2002 qui modifie l’article 25 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 relatif au FAQSV prévoit que « le fonds peut contribuer au financement des aides aux professionnels de santé […], autres que des médecins, en vue de faciliter leur installation dans des zones rurales ou urbaines où est constaté un déficit en matière d’offre de soins » ; mais en l’attente du décret qui doit déterminer les conditions dans lesquelles le représentant de l’État dans la région définira ces zones, le dispositif n’est pas encore opérationnel. Ces nouvelles orientations s’inscrivent dans les débats actuels sur la démographie sanitaire et sur le rôle, davantage actif, que l’assurance maladie et, plus particulièrement, les URCAM devront jouer dans l’émergence de nouvelles problématiques comme la permanence des soins, pour influer sur l’organisation de l’offre de soins libérale. Le fléchage des crédits, perçu parfois comme une ingérence du comité national dans la gestion du FAQSV en région, est appelé à se renforcer : la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2003 prévoit de réserver une part de la dotation pour encourager l’évaluation des pratiques médicales expérimentées dans certaines régions sous couvert de l’ANAES, en relation avec les unions régionales des médecins libéraux ; il convient de reconnaître que l’évaluation des pratiques professionnelles qui constitue l’un des quatre domaines d’intervention théoriquement privilégiés par le FAQSV, a été relativement peu concernée lors des premières années (un seul dossier financé en Bourgogne entre 2000 et 2002 et seulement huit pour l’ensemble des régions en 2001).
Le FAQSV a été créé par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 mais l’installation des comités au niveau national et régional n’a été effective qu’en 2000, le plus souvent au second semestre. Il est ainsi difficile d’en évaluer la première année de fonctionnement dans la mesure où elle n’a pas correspondu à un exercice entier. En revanche, le rapport de fonctionnement 2001 fournit quelques indications sur la réalité du FAQSV (CNAMTS, 2002 ; Patin, 2002). Au niveau du FAQSV national on identifie quatre grandes catégories de projets : des projets de réseaux nationaux, des projets de recherche et de redéploiement industriels, des projets de recherche scientifique, et des projets à vocation plus méthodologique (études préalables de besoins, évaluations…). Au niveau des FAQSV régionaux qui, rappelons-le, absorbent 80 % de l’ensemble des ressources du FAQSV, le thème de la coordination concernait 60 % de l’ensemble des projets examinés en 2000 et près de 70 % en 2001 pour la Bourgogne (URCAM de Bourgogne, 2002). Quand il n’est pas le seul financeur, le FAQSV participe souvent à plus de 50 % au financement d’un projet, jouant ainsi un rôle de starter pour certains, ou de professionnalisation de réseaux informels. En Bourgogne par exemple, entre décembre 2000 et juin 2002, ce sont 21 réseaux qui ont bénéficié du soutien du FAQSV (gérontologie, périnatalité, urgences…) dont un tiers a effectivement démarré grâce à ce soutien, tandis que le FAQSV est intervenu en complément de financement pour les deux autres tiers dont il a permis la montée en charge.
Quelle opportunité ?
31Au-delà de ce premier bilan quantitatif succinct, quel regard porter sur le FAQSV ? Le FAQSV présente-t-il les caractéristiques requises pour une « bonne » recomposition régionalisée en réseaux du système de santé ? Les modalités de fonctionnement du FAQSV peuvent être analysées selon deux axes : la forme et le fond.
Les critiques de forme
32Les critiques de forme tiennent, d’une part, à l’imprécision du champ d’intervention du FAQSV et, d’autre part, à la complexité de la procédure.
L’imprécision du champ d’intervention
33Une première source d’imprécision du champ d’intervention du FAQSV tient au recoupement des champs d’intervention respectifs des différents financeurs. Il en résulte une concurrence, parfois source d’iniquité. Ainsi par exemple, la frontière entre les dépenses prises en charge par le FAQSV et les dérogations tarifaires accordées uniquement dans le cadre de la procédure « Soubie » est floue. Plusieurs réseaux ont reçu grâce au FAQSV des financements importants, pénalisant les bons élèves qui avaient fait le choix de s’inscrire dans la procédure des réseaux dérogatoires dont la lourdeur et la longueur sont unanimement reconnues. Les promoteurs qui s’étaient appliqués à rentrer dans les critères très stricts des réseaux « Soubie » ont eu alors un sentiment d’injustice lorsqu’ils se sont fait prendre de vitesse par les premiers réseaux FAQSV, certaines régions ayant choisi d’accorder rapidement les fonds dès la fin de l’année 2000. Autre exemple : face à l’imprécision des textes, les instances régionales de gestion ont parfois été amenées à prendre des décisions créant des jurisprudences locales… et une certaine inégalité entre régions ; ainsi certaines régions ont choisi, en attente d’instructions plus précises, de financer des réseaux gérontologiques labellisés CLIC (centre local d’information et de coordination) par la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et le conseil général, ce qui correspond à un gage de qualité, mais ces réseaux ne seraient au final pas éligibles au FAQSV selon les dernières directives nationales.
34Une seconde source d’imprécision du champ d’intervention du FAQSV tient à la nature du promoteur. Le décret créant le FAQSV a posé comme principe que les promoteurs d’actions financées doivent être des professionnels de santé exerçant en ville. Parallèlement, ce même décret vise le financement d’actions concourant au développement de nouveaux modes d’exercice et de réseaux de soins liant des professionnels de santé exerçant en ville à des établissements de santé. A priori peu compatibles entre elles, ces deux obligations réglementaires doivent cependant être conciliées au mieux dans le cadre de la convention de financement qui lie le président du comité de gestion du FAQSV au promoteur. Ainsi le promoteur et le bénéficiaire de l’aide ne peuvent être que libéraux, tandis que l’action de coordination qu’ils portent implique la présence d’établissements de soins ou de structures sociales. Apparaît alors la difficulté de formaliser un accord qui ne fasse pas porter sur les seuls professionnels libéraux les contraintes et les responsabilités de l’ensemble des partenaires impliqués dans le projet. Cette ambiguïté juridique et cette difficulté pratique ont entraîné des prises de position arbitraires. Certains comités régionaux excluent les projets à participation hospitalière, le plus souvent à la demande des représentants des professionnels libéraux siégeant au comité ; d’autres acceptent des collaborations en identifiant précisément le rôle de chacun, avec en outre comme condition qu’à la tête de l’association se trouve un libéral. Le niveau national ayant pour sa part admis le partenariat des promoteurs dès lors que la retombée effective de l’action bénéficierait majoritairement aux professionnels libéraux, ce sont globalement près de 70 % des projets présentés qui associent d’autres partenaires aux promoteurs libéraux. Cette faiblesse des promoteurs libéraux exclusifs est soulignée dans le rapport national du FAQSV 2000 : sans une structure de soutien ayant l’habitude de monter des projets complexes, du type établissement de soins, syndicat, Union régionale des médecins libéraux, caisse d’assurance maladie, les libéraux ne proposent individuellement ou collectivement que peu de projets, soit parce qu’ils n’ont pas les moyens matériels de formaliser et de mener seuls les actions, soit parce qu’ils méconnaissent les outils juridiques nécessaires, soit parce qu’ils ont déjà compris qu’il est dans leur intérêt et surtout celui de leurs patients, de rechercher des accords de coordination avec d’autres partenaires et en particulier l’hôpital. Quoi qu’il en soit, les difficultés rencontrées par les promoteurs font la part belle aux sociétés de service qui leur proposent la rédaction de leur projet et/ou son évaluation pour des coûts prohibitifs. L’ensemble de ces questions relatives à la nature du promoteur a suscité l’élaboration d’une doctrine de gestion du FAQSV variable d’une région à une autre.
Une troisième source d’imprécision du FAQSV tient à la durée du financement spécifique attribué. Si la majorité des régions ont accordé des financements annuels, certaines ont fait le choix d’accorder des financements pour une durée de trois ans sous réserve de la disponibilité des crédits et de la fourniture des rapports annuels d’évaluation. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999, qui a créé le FAQSV, a fixé la durée de vie du fonds à cinq ans, période allant théoriquement du 1er janvier 1999 jusqu’au 31 décembre 2003. Les moyens attribués à ce fonds sont votés annuellement par le Parlement dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale, sans qu’une enveloppe minimale ne soit garantie, et sans report automatique des crédits non consommés d’une année sur l’autre. Contrairement à d’autres fonds (Fonds d’investissement pour la modernisation des hôpitaux, FIMHO, par exemple), le FAQSV ne bénéficie pas d’autorisations de programme et de crédits de paiement qui garantissent, d’une part, un plancher de crédits et, d’autre part, une visibilité pluriannuelle des actions. Or les actions de coordination susceptibles d’émarger au fonds sont pour la plupart des actions pluriannuelles. Les gestionnaires du FAQSV se trouvent donc dans une situation particulièrement inconfortable lorsqu’ils engagent les fonds, puisqu’en autorisant une action pendant trois ans (temps minimal nécessaire à une montée en charge et à une certaine stabilisation des actions de coordination), ils ne peuvent assurer le promoteur de son financement au-delà de l’exercice en cours. Ce manque de lisibilité est particulièrement préjudiciable pour les gestionnaires qui ne savent à quelle hauteur attribuer les fonds de l’année mais aussi et surtout pour les promoteurs qui hésitent à se lancer dans une action susceptible d’être remise en cause au bout de quelques mois. Malgré une prorogation jusqu’en 2006 décidée par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2002, de nombreux promoteurs s’interrogent sur le devenir de leurs projets après le FAQSV, surtout lorsque les financements accordés portent sur des emplois salariés.
La complexité de la procédure
35Le cahier des charges qui accompagne la procédure d’admission apparaît trop exigeant pour les promoteurs et pas assez pour l’institution. En fait c’est le cahier des charges élaboré par les services de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés pour le compte du Comité national de gestion du FAQSV qui s’impose aux différents promoteurs, au niveau national comme au niveau régional, bien que certaines adaptations locales puissent avoir lieu. Certains promoteurs régionaux, notamment la Coordination nationale des réseaux (CNR) se considèrent « encouragés dans les discours et marginalisés dans la réalité ». La CNR reproche au FAQSV de produire des « machines à tuer les réseaux ». Elle dénonce l’appropriation du concept de réseau par certaines institutions (caisses d’assurance maladie, ARH) qui, en imposant leur logique propre et de longues procédures de validation, tendraient à étouffer les initiatives des professionnels de terrain. Elle regrette le veto que mettent les régions sur tous les projets non portés par une majorité de professionnels de santé, ce qui limite le développement des réseaux à vocation tout autant sociale que médicale. Elle souligne également l’absence de modèle d’organisation juridique correspondant au réseau et le choix, réalisé par défaut, de l’association 1901 comme support du réseau.
36L’évaluation imposée par le décret de 1999 fait partie du cahier des charges. Les frais d’évaluation peuvent s’imputer sur le FAQSV lui-même. Or, le coût des évaluations dépasse parfois très largement le coût de l’action lui-même au point qu’il pourrait devenir un motif de refus de financement de l’action elle-même, quel qu’en soit l’intérêt. Dans ce cas, la logique de l’évaluation peut conduire à privilégier les projets onéreux pour lesquels le poids de l’évaluation apparaît plus limité, favorisant ainsi les promoteurs à infrastructure lourde, parfois au détriment des petits porteurs de projet. Le rapport annuel du FAQSV pour 2000 demande jusqu’où on peut aller dans la contrainte de l’évaluation : faut-il se contenter d’une évaluation du bon déroulement de l’action ou aller jusqu’à en évaluer les résultats, des résultats qui peuvent intervenir dans un délai relativement lointain, surtout lorsqu’il s’agit d’apprécier les modifications des pratiques professionnelles ou l’impact sur la santé publique ? Par ailleurs, sera-t-il possible d’exiger une évaluation finale au-delà de la durée de vie du FAQSV ?
Les critiques de fond
37Mais au-delà de ces critiques de formes liées à l’imprécision du champ d’intervention du FAQSV et à la complexité de la procédure, il convient de s’interroger plus profondément sur l’opportunité fondamentale du FAQSV, en relation avec les caractéristiques que l’on est en droit d’attendre d’un « bon » réseau.
38L’approche théorique du réseau en santé (Gadreau, 1999, 2000, 2001) débouche sur la mise en évidence de deux logiques pour le réseau, davantage complémentaires que concurrentes, correspondant à deux perceptions de l’économie et de la coordination.
39Dans une économie d’allocation de ressources, la coordination est envisagée comme un problème d’organisation de l’échange : la production résulte de la stricte combinaison des facteurs de production ; elle ne contient rien d’autre que ce qui préexiste. Le réseau est alors conçu comme une organisation technico-économique, intermédiaire entre une forme de coordination totalement désintégrée, le marché, et une forme de coordination parfaitement intégrée, la hiérarchie, qui caractérise une organisation monopolistique. Cette conception met l’accent sur l’efficience du réseau, favorisée entre autres par la mise en commun de ressources préexistantes : dans sa dimension « allocation de ressources » le réseau améliore la réponse apportée par le système de santé pour la satisfaction des besoins de santé, par l’utilisation commune des ressources disponibles.
40Dans une économie de création de ressources la combinaison des facteurs de production ne suffit plus à expliquer la production : au cours de son processus, des ressources spécifiques telles que des connaissances, des compétences, émergent par apprentissage. Le réseau est alors conçu comme une forme de coordination spécifique qui privilégie les relations entre acteurs. Cette conception met l’accent sur la dynamique d’acteurs inhérente au réseau, à l’origine d’une création de ressources, au-delà des ressources préexistantes : dans sa dimension « création de ressources » le réseau en santé favorise l’émergence de ressources nouvelles, appréciées en termes de savoir-faire, de confiance, de lien social,… ; l’organisation en réseau améliore la réponse apportée pour la satisfaction des besoins de santé, par une création de ressources, au-delà de celles qui préexistent, et se concrétisent entre autres par une meilleure qualité des soins.
41On retrouve ces deux dimensions, « allocation de ressources » et « création de ressources », sous une forme légèrement différente mais qui en confirme la signification, dans le rapport que le Centre de recherche et de documentation en économie de la santé (CREDES), en collaboration avec le groupe IMAGE de l’École nationale de la santé publique, consacre en 2001 à « l’évaluation des réseaux, enjeux et recommandations ». Les auteurs distinguent le « réseau structure », forme innovante de production, et le « réseau lieu d’expérimentation sociale » mû par une dynamique d’acteurs.
42Quel est l’impact du FAQSV au regard de ces deux dimensions ? Malgré la complexité de son fonctionnement, le FAQSV favorise la concertation des acteurs et l’émergence des réseaux. En ce sens, on peut penser qu’il enclenche une véritable dynamique d’acteurs, favorable à la dimension « création de ressources » du réseau. On peut cependant regretter que cette fonction « d’incubateurs de projets » et de médiation soit disséminée entre plusieurs financeurs de façon non raisonnée. Comme nous l’avons souligné le FAQSV n’est qu’un financeur spécifique parmi d’autres. Dans certaines régions les multiples financeurs, ou certains d’entre eux, coordonnent leurs décisions au sein d’un guichet unique, mais cette heureuse initiative est loin d’être la règle et elle dépend entièrement du bon vouloir de chacun.
Mais si le FAQSV est théoriquement facteur de concertation, il ne modifie pas en revanche fondamentalement les modalités de financement du réseau. Le FAQSV finance des frais de fonctionnement, il n’a pas vocation à le faire pour l’activité médicale. Ainsi le FAQSV peut financer du personnel, salarié uniquement, à condition qu’il ne s’agisse pas de temps médical ; une secrétaire, une infirmière, ou un médecin coordonnateur peuvent être pris en charge au titre du temps passé pour la conception et l’évaluation des projets, en réunion de coordination ou en formation,… mais pas au titre de leur activité médicale. Le financement d’une formation éventuelle exclut les thèmes inscrits à la Formation professionnelle conventionnelle. Il est impossible d’indemniser les professionnels pour des actes spécifiques tels qu’un acte de prévention ou la tenue d’un dossier médical, qui ne sont pas inscrits à la Nomenclature générale des actes professionnels et s’apparenteraient à des dérogations. Plus généralement, le FAQSV n’a pas vocation, ni directement ni indirectement, à financer des dérogations tarifaires : l’activité médicale reste financée à l’acte. Ces modalités de financement appellent les remarques suivantes : il est très difficile de départager ce qui relève respectivement de la fonction de coordination et de la fonction de soins… parce que la prise en charge globale du patient, qui est la raison d’être du réseau, nécessite un engagement global du professionnel ! Mais aussi et surtout on sait, qu’au-delà de cette contradiction interne, la rémunération à l’acte qui, en théorie des contrats, s’apparente à un contrat de type « remboursement des coûts », ne favorise pas l’allocation optimale des ressources. En ce sens, le financement dual « forfait spécifique de coordination – rémunération médicale à l’acte » qui s’attache au FAQSV contrarie la dimension « allocation de ressources du réseau ». Il semblerait que la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2002 amorce, comme nous l’avons évoqué précédemment, une certaine évolution, en introduisant une notion de forfaitarisation susceptible d’être interprétée au sens d’un contrat de type « prix fixe »… mais dans une formulation ambiguë qui mériterait d’être levée, sauf à ce qu’elle traduise l’attribution implicite d’un degré de liberté accru aux instances régionales dans la conduite de la recomposition en réseaux du système de santé.
Quelles perspectives envisager, en conclusion ?
43La loi de mars 2002, déjà citée, devrait permettre la mise en place d’une seule catégorie institutionnelle de réseau. À cette catégorie unique devrait correspondre un financement régionalisé globalisé, prévu par la dernière loi de financement de la Sécurité sociale sous la forme d’une cinquième enveloppe de répartition de l’ONDAM, « la dotation nationale de développement des réseaux ». Cette conjonction d’une seule catégorie de réseaux et d’une globalisation des fonds régionaux destinés aux réseaux, devrait permettre la « fongibilité » entre réseaux, dont les financements spécifiques relèvent actuellement de sources multiples et imperméables. Logiquement cette double évolution devrait s’accompagner d’un changement organisationnel que l’article 36 de la loi de financement de la Sécurité sociale 2002 peut laisser présumer : « Dans le cadre des priorités pluriannuelles de santé, le directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation et le directeur de l’union régionale des caisses d’assurance maladie décident conjointement, dans la limite de la dotation régionale de développement des réseaux […] des financements […] supportés par les régimes d’assurance maladie et qui sont accordés aux actions réalisées dans le cadre des réseaux de santé ». On ne peut manquer de rapprocher l’ensemble de ces évolutions de la perspective de création d’une agence régionale de santé, sans sous-estimer les difficultés relationnelles qui s’attacheront immanquablement au partage de pouvoir entre l’État et l’assurance maladie. Cependant quelle que soit l’évolution de cette concertation régionale indispensable à une recomposition en réseaux cohérente du système de santé, la question du financement approprié des réseaux reste en suspend.
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Notes
-
[*]
Maryse Gadreau, LATEC-CNRS, université de Bourgogne
Fanny Pélissier, URCAM de Bourgogne, LATEC-CNRS, université de Bourgogne. -
[1]
Cette recherche résulte d’une collaboration entre l’Union régionale des caisses d’assurance maladie de Bourgogne et le Groupe de recherche en économie de la santé et de la protection sociale, au sein du Laboratoire d’analyse et de techniques économiques de l’université de Bourgogne.
-
[2]
Loi 70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière (abrogée par la loi 91-748 du 31 juillet 1991).
-
[3]
C’est-à-dire pour l’obtention du meilleur rapport entre les ressources engagées et les résultats obtenus, l’évaluation des résultats prenant en compte non seulement l’efficacité en santé à savoir le degré de performance atteint dans la satisfaction des besoins, mais aussi la qualité des services rendus.
-
[4]
L’ANAES (1999) propose de distinguer les notions de filière et de réseau. La dénomination de réseau s’attacherait à la structure, tandis que la filière serait le reflet de la trajectoire des patients dans le système de santé. Un réseau au sens strict implique nécessairement l’existence d’une filière tandis que la proposition inverse n’est pas forcément vraie : le dispositif du médecin référent ne se traduit pas par la reconnaissance de réseaux institutionnels explicites ; il correspond néanmoins à la notion de réseau au sens large que nous avons adoptée.