Notes
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[*]
Psychiatre des hôpitaux, conseiller scientifique à la DREES, ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées.
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[1]
« Avez-vous consulté au cours de trois derniers mois pour des troubles psychiques ou mentaux ? », « Si oui, quel médecin ou spécialiste ? (plusieurs réponses possibles) », « un médecin généraliste ? », « un médecin psychiatre ? », « un autre médecin ? », « un psychologue ou un autre spécialiste non médecin ? », « Si oui, bénéficiez-vous d’un suivi régulier dans ce domaine ? ».
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[2]
« Rencontrez-vous dans la vie de tous les jours des difficultés, qu’elles soient physiques, sensorielles, intellectuelles ou mentales ? (dues par exemple aux conséquences d’un accident, d’une maladie chronique, d’un problème de naissance, d’une infirmité, du vieillissement…). », « lesquelles ? ».
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[3]
« Quelles sont la ou les causes de cette ou de ces difficultés de… ? ».
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[4]
Op. cit., p. 47 et 48.
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[5]
Fichier national des établissements sanitaires et sociaux.
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[6]
En 1998, services de psychiatrie des hôpitaux généraux : 23,71 j. ; centres hospitaliers spécialisés : 36,70 j. « Statistique annuelle des établissements de santé 1998 », DREES, Edith Thomson, Document de travail, n° 25, septembre 2001.
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[7]
En 1997, il y a eu près de 20 millions de consultations pour des troubles mentaux auprès de psychiatres, et près de 35 millions auprès de généralistes pour les mêmes troubles (source : CREDES. Données EPPM 1997, IMS Health).
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[8]
Une autre partie importante des refus tient aux établissements de moins de 50 lits, nombreux en psychiatrie, et où l’enquête représentait une charge proportionnellement plus lourde.
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[9]
La proportion d’établissements psychiatriques ayant refusé de participer à l’enquête a été de 17 %, contre 4,5 % dans les établissements pour adultes handicapés et dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées. La proportion d’interviews réalisées par rapport à celles qui étaient théoriquement possibles a été respectivement de 75 %, 87 % et 92 %.
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[10]
Les articles R. 821-8 à R. 821-10 du code de la sécurité sociale prévoient les conditions de réduction du montant de l’allocation pour adultes handicapés au-delà de 60 jours d’hospitalisation. Tous les malades hospitalisés étant tenus au versement d’un forfait journalier de 70 francs par jour, l’article R. 821-9 prévoit que 17 % de l’allocation au minimum doit être versé aux bénéficiaires de l’AAH, soit, au 1er janvier 2002, 113,80 euros (634,93 francs) par mois. Le forfait journalier peut être pris en charge par une mutuelle, dans des conditions qui varient selon les contrats, souvent pour un remboursement de 90 jours par an. Lorsque la CMU (introduite depuis l’enquête) prend en charge tout le forfait hospitalier, un patient célibataire sans parent à charge touche (après 60 jours) par mois 435,10 euros (2 427,68 francs, valeur au 1er janvier 2002).
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[11]
D’autres modalités de réponse sont enregistrées : « dans le domicile de mes enfants », « dans le domicile de proches », « dans une famille d’accueil », et « j’ai toujours vécu dans cette institution ». Chacune de ces modalités ne concerne qu’un faible pourcentage des personnes. Elles sont regroupées ici dans la catégorie « autre ».
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[12]
Il s’agit uniquement des établissements pratiquant un hébergement à temps plein. Cette précision s’applique à toutes les données présentées ici à propos des autres établissements.
1 L’enquête « Handicaps, incapacités, dépendance » apporte des connaissances nouvelles à propos des personnes recevant des soins de santé mentale en établissement spécialisé et en ambulatoire. Pour les présenter, nous évoquons en premier lieu les aspects méthodologiques : il s’agit de préciser comment, et jusqu’à quel point, cette enquête peut répondre à certaines questions. Les résultats sont ensuite groupés en deux chapitres : les données de cadrage, et les informations pour l’amélioration des pratiques. Enfin, nous suggérons quelques pistes intéressantes à explorer dans un proche avenir.
Questions de méthodologie
2 L’objectif de l’enquête HID a été de décrire les conséquences des maladies, selon les concepts de la classification alors en vigueur à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : déficiences, incapacités et désavantages sociaux (OMS, 1998). De nombreux autres éléments ont été recueillis, en vue de placer en perspective les informations portant sur ces trois plans. L’objectif de cette enquête n’est pas principalement d’améliorer la connaissance des personnes recevant des soins de santé mentale. Une exploitation spécifique dans ce but soulève deux catégories de questions : celles qui concernent le repérage des troubles psychiques, et celles qui touchent à l’interprétation des données de l’enquête.
Le repérage des troubles psychiques
3 La construction d’enquête permet d’étudier facilement deux groupes de personnes recevant des soins pour des troubles psychiques. La phase de l’enquête dans les établissements (1998-2000) comporte un échantillon représentatif des personnes recevant des soins dans un établissement de soins spécialisés comportant un hébergement. Cet échantillon est lui-même divisé en trois selon que l’établissement concerné entre dans la catégorie des centres hospitaliers spécialisés (CHS), des hôpitaux privés participant au service public hospitalier (HPP) ou des maisons de santé (cliniques) et foyers de postcure. L’autre groupe de personnes figure dans la deuxième partie de l’enquête (1999-2001) qui a concerné les personnes qui vivent « en ménages » c’est-à-dire en domicile ordinaire. Toutes les personnes interrogées ont répondu à sept questions [1] concernant les soins reçus au cours des trois derniers mois pour des troubles psychiques ou mentaux. Au total, la principale voie d’entrée dans l’enquête pour les troubles psychiques ou mentaux se fait par l’accès aux soins, en établissement ou en ambulatoire.
4 L’enquête HID n’est pas une enquête « santé » : elle n’a pas pour but de repérer avec précision des maladies ni des troubles. Ce but était inaccessible. Pour l’atteindre, il aurait fallu demander aux personnes de participer à l’enquête pendant un temps prolongé, ce qu’un grand nombre n’auraient pas pu, ou pas souhaité, faire. D’autre part, le coût de l’enquête aurait atteint un niveau prohibitif. Toutefois, des déclarations ont été recueillies à propos des maladies et des troubles, d’abord au début de l’interview [2], puis, en cours d’entretien, à chaque fois que la personne a cité une difficulté [3]. La personne a été laissée libre de formuler sa réponse qui a été notée en toutes lettres par l’enquêteur. Un diagnostic n’a pas été systématiquement demandé. Dans notre pays, le diagnostic porté par le médecin est loin d’être toujours communiqué à l’intéressé. Ensuite, à chaque fois que les informations de l’enquête le permettaient, une équipe professionnelle (sous la responsabilité du CREDES) a codé le diagnostic le plus probable. Une deuxième voie d’entrée dans l’enquête pour les troubles psychiques ou mentaux est donc possible à partir des causes déclarées pour les difficultés dans la vie ordinaire, qu’il y ait ou non un recours aux soins. Cette deuxième voie est plus délicate à explorer. Voici pourquoi.
5
La comparaison avec une autre enquête, réalisée la même année, montre des écarts importants entre les diagnostics psychiatriques posés par les psychiatres traitants et ceux déclarés ou recodés dans HID. En mars 1998, soit environ six mois avant l’enquête de l’Insee, le centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé pour la recherche et la formation en santé mentale (CCOMS-INSERM) a effectué une enquête nationale (Boisguérin, Casadebaig, Quémada, 1999) sur les personnes qui reçoivent des soins à jour donnés dans les secteurs de psychiatrie générale (avec un taux de sondage d’un sur deux), les cliniques psychiatriques privées (enquête exhaustive) et les établissements de réadaptation et de postcure (enquête exhaustive). Elle a été conduite auprès des psychiatres traitants, par questionnaire, et elle a été financée par la Direction générale de la santé (DGS). Il est possible de confronter les données sociodémographiques des deux enquêtes : la comparaison montre une grande analogie des profils de population pour l’âge et le sexe. Ce constat permet de valider l’une par l’autre la représentativité des enquêtes. Par contre, Daniel Ruffin et Françoise Casadebaig (Casadebaig, Chapireau, Ruffin, Philippe, 2002) ont comparé les diagnostics recueillis dans les deux enquêtes pour les patients de plus de 20 ans en CHS et en HPP, et ont constaté d’importants écarts. Les troubles schizophréniques et délirants sont massivement moins déclarés dans l’enquête HID que dans l’enquête du CCOMS (respectivement 12 % et 42 %). Réciproquement, les troubles de l’humeur et en particulier la dépression sont deux fois plus souvent déclarés dans HID (20 % et 11 %). Dans l’ensemble, la discordance des diagnostics est la règle, et la concordance l’exception.
Les causes des difficultés de la vie ordinaire n’ont pas seulement été déclarées sous forme d’un diagnostic, elles ont donné lieu à un codage conforme à une classification des déficiences, compatible avec celle de l’OMS. Comme le font observer Ruffin et Casadebaig [4], « à la différence des incapacités, les déficiences n’ont pas fait l’objet d’un questionnement systématique par catégorie détaillée… Du fait du caractère spontané des réponses et des positions diverses des répondants (sujets, entourage, médecins ou paramédicaux, éducateurs, administratifs), les données sur l’origine des déficiences sont très hétérogènes : elles se réfèrent aux pathologies, aux facteurs d’exposition ou au mode de transmission et aux périodes de survenue selon des registres terminologiques et des soucis de précision différents ». Ajoutons que la notion de déficience psychique n’est pas utilisée habituellement dans la communauté scientifique, que ce soit en clinique ou en épidémiologie. Son contenu n’est pas clair pour tous, et peut poser problème. Pour contribuer à préciser ce point, il serait sans doute utile de comparer les données de l’enquête HID à propos des déficiences psychiques, avec celles d’autres enquêtes statistiques comportant les mêmes informations, de la même manière que les diagnostics ont été comparés entre HID et l’enquête du CCOMS, pour chercher les concordances et les discordances, et tenter de les expliquer.
Une autre question concernant le repérage des troubles tient non pas à l’enquête, mais à la notion même de maladie handicapante appliquée au domaine psychique. En effet, les troubles psychiques comportent des conséquences dans la vie ordinaire des personnes qui en souffrent. On a parlé de handicap par maladie mentale, puis de handicap psychique. Pour un même diagnostic, les personnes ne souffrent pas des mêmes difficultés dans la vie ordinaire, et ces difficultés changent dans le temps pour une même personne. Si l’existence de ces difficultés est maintenant bien connue, leur étude n’a pas encore été conduite d’une manière aussi approfondie que par exemple chez les personnes âgées.
Encadré : Informations méthodologiques complémentaires
Une erreur de programmation informatique, décelée trop tard, a conduit à l’omission des services de psychiatrie des hôpitaux généraux. Le champ de l’enquête est incomplet. Le nombre de personnes en établissements de soins psychiatriques selon HID est inférieur de 9 000 à ce qu’il devrait être. La principale conséquence de cette omission est évidemment qu’il n’est pas possible de décrire les patients hospitalisés dans ces services, ni de les comparer aux autres. Les résultats concernant les CHS, les HPP, et le groupe réunissant les cliniques et les foyers de postcure ne sont pas remis en cause. Seuls les résultats globaux doivent être nuancés. Cette omission peut avoir pour effet d’accentuer la proportion globale de patients hospitalisés durablement. En effet, la durée moyenne de séjour est notablement plus faible dans les services de psychiatrie des hôpitaux généraux que dans les CHS et les HPP [6], ce qui suggère un moins grand nombre de séjours longs. Dans la mesure où les personnes hospitalisées durablement présentent davantage de difficultés, les résultats globaux de HID peuvent présenter des taux trop élevés sur ces points. Toutefois, l’analogie des profils de population dans HID et dans la coupe transversale INSERM-CCOMS de mars 1998, déjà citée, suggère que l’omission des services de psychiatrie des hôpitaux généraux dans HID ne conduit pas à une distorsion majeure des résultats si on les extrapole à l’ensemble de l’hospitalisation psychiatrique.
Quelle est la pertinence du groupe réunissant les maisons de santé (cliniques) et les foyers de postcure ? En raison du faible nombre de places (1 200), les foyers de postcure ne pouvaient pas constituer un groupe distinct dans l’étude, ils ont été regroupés avec les cliniques (12 000 lits). Ainsi, les personnes enquêtées dans ce groupe se trouvent dans leur grande majorité en clinique. À chaque fois que les résultats concernant ce groupe sont notablement différents de ceux qui concernent les patients en CHS et en HPP (c’est le plus souvent), il est légitime d’attribuer l’écart aux cliniques.
En population générale, deux questions compliquent l’interprétation des données. La première concerne le nombre de personnes qui ont déclaré avoir consulté au cours de trois derniers mois pour des troubles psychiques ou mentaux (régulièrement ou non, quel que soit le professionnel consulté) : l’enquête trouve un effectif de 1 560 000. Or ce résultat est faible, si on le compare au nombre de personnes qui ont consulté auprès du seul service public sectorisé : plus de 1 000 000 ont été suivies en un an. Certes, la comparaison ne porte pas sur la même durée, mais ce dernier résultat ne comprend pas les patients ayant consulté un généraliste, un psychiatre libéral ou une psychologue à son cabinet. Il y a dans HID une importante sous-déclaration du recours aux soins ambulatoires pour les troubles psychiques ou mentaux. Si 744 000 personnes déclarent être suivies régulièrement pour ces troubles par un psychiatre, seulement 316 000 font la même déclaration à propos d’un généraliste. Le deuxième effectif est certainement davantage sous-estimé que le premier [7]. Seule une comparaison avec d’autres sources d’information permettra d’évaluer l’effet de cette sous-déclaration sur les résultats obtenus par HID. Dans le meilleur des cas, il sera alors possible d’effectuer un redressement pour mieux approcher la réalité des difficultés dont souffrent ces personnes.
La deuxième question qui se pose pour interpréter les données en population générale tient à la méthode du tirage au sort des personnes enquêtées. Un tirage uniforme en population générale aurait conduit à interroger un très grand nombre de personnes ne présentant aucune difficulté. Les résultats auraient été difficiles à interpréter, car le nombre de personnes déclarant des problèmes aurait été faible. Pour éviter cela, l’échantillon a été constitué à partir d’un plan de sondage inégal, destiné à représenter davantage les personnes en difficulté. Les résultats ont ensuite été pondérés d’un coefficient égal à l’inverse de la probabilité d’être interrogé. C’est ainsi que les personnes chez qui la probabilité de trouver des difficultés est la plus faible sont interrogées beaucoup moins fréquemment. Cette nécessité technique a pour conséquence une imprécision de la mesure à chaque fois que le groupe étudié comporte de nombreuses personnes issues de cette dernière catégorie. C’est le cas pour les personnes qui ont consulté pour des troubles psychiques ou mentaux : une forte proportion d’entre elles souffrent peu ou pas de difficultés dans la vie de tous les jours. De plus, certaines ont été considérées comme peu susceptibles d’en souffrir, d’après les données préliminaires (questionnaire VQS : Mormiche, 2002), et en ont tout de même déclaré lors de l’interview détaillée. L’intervalle de confiance des résultats (calculé par l’Insee) est large : le nombre de personnes ayant consulté régulièrement pour des troubles psychiques ou mentaux est de 1 210 000, avec un intervalle de confiance à 95 % situé entre 950 000 et 1 500 000.
L’imprécision de la mesure entraîne une difficulté pour étudier les corrélations. Les tests statistiques doivent intégrer des données qui n’entreraient pas dans les calculs si la probabilité de tirage au sort était la même pour toutes les personnes de l’enquête. L’Insee prépare des programmes informatiques permettant à tous les chercheurs d’aborder cette difficulté avec la même rigueur : ils sont attendus avec beaucoup d’intérêt.
6 Ce retard de la recherche tient à au moins trois obstacles.
7 • Le premier est propre à notre pays, où le dispositif d’aide et de soins est cloisonné en plusieurs éléments autonomes (Henrard, Ankri, 1996). Dans cette logique, une personne est soit malade, soit handicapée, difficilement les deux au même moment. Ce clivage est très présent dans les esprits. Il explique en partie le taux de refus de l’enquête HID [8], plus élevé dans les établissements de soins psychiatriques que dans les autres [9] (« nous sommes un établissement de soins pour personnes malades, et nous ne recevons pas de pensionnaire handicapé »).
8
• Le deuxième obstacle tient au fait que l’épidémiologie psychiatrique contemporaine travaille surtout à partir des diagnostics. Des classifications des troubles psychiques servent de base à des entretiens standardisés pour des enquêtes en population générale. Récemment, certains auteurs (Narrow, Rae, et al., 2002) ont avancé l’idée d’introduire les conséquences handicapantes dans la définition des cas. Ces auteurs ont réalisé des enquêtes parmi les plus complètes ; ils ne cachent pas leur embarras devant les résultats selon lesquels, sur une période d’un an, près de 30 % des personnes âgées de 18 à 54 ans aux États-Unis relèvent d’un diagnostic psychiatrique. Il est difficile de planifier les dispositifs de soins à partir de telles données, d’où leur suggestion d’inclure le handicap dans la définition des cas. Les modalités de cette inclusion restent entièrement à définir. L’enquête HID et les enquêtes analogues peuvent contribuer à faire progresser la réflexion.
• Le troisième obstacle expliquant le retard de la recherche est la difficulté à interroger directement les intéressés dans ce domaine particulier. La totalité des échelles et instruments disponibles sont destinés à un usage par des professionnels formés, et font éventuellement appel à des informations obtenues auprès de tiers. Pour faire saisir la difficulté, et en simplifiant un peu, disons qu’il n’est pas simple de demander à quelqu’un : « avez-vous tendance à sous-estimer gravement les difficultés de la vie ? », ou bien « avez-vous parfois des conduites imprévisibles et inadaptées ? » ; pas aussi simple en tout cas que de demander « faites-vous habituellement votre toilette sans l’aide de quelqu’un ? ».
L’interprétation des données de l’enquête
9 Au moment d’interpréter les données, il est important de se souvenir que l’enquête HID est une coupe transversale. Elle se différencie de l’étude de file active, mieux connue en psychiatrie, dont la caractéristique est de porter sur l’ensemble des patients ayant eu, dans l’année, un contact avec le dispositif de soins. Plus le séjour est durable, plus grande est la probabilité d’être inclus dans l’échantillon. Réciproquement, cette méthode entraîne une représentation moins importante des personnes présentes pendant une durée courte.
Les données de cadrage
10 L’enquête apporte de nombreuses connaissances nouvelles à propos des personnes recevant des soins de santé mentale. Elles proviennent de trois études : celle de Daniel Ruffin et Françoise Casadebaig (2000), déjà citée, celle de Marie Anguis et Christine de Peretti (sous presse), et celle de François Chapireau (sous presse). La première a été réalisée à l’Inserm (U 513), et financée par la DREES ; les deux autres ont été conduites dans le cadre de la DREES. Le signataire du présent article a seulement regroupé des résultats venant de ces sources : toute erreur de transcription serait de sa seule responsabilité.
Les personnes en établissements
11 Le nombre total de personnes en établissement de soins psychiatriques à jour donné à la fin de l’année 1998 est de 47 000 personnes, selon le champ de l’enquête. Si on ajoute les 9 000 patients hospitalisés dans les services de psychiatrie des hôpitaux généraux, la proportion dans la population française de personnes hospitalisées à jour donné est de 96 pour 100 000. La proportion d’hommes est plus élevée qu’en population générale, surtout jusqu’à 39 ans (cf. tableau 1, graphiques 1 et 2).
Caractères sociodémographiques des plus de 20 ans
Caractères sociodémographiques des plus de 20 ans
Pyramide des âges de population française
Pyramide des âges de population française
Pyramide des âges des malades hospitalisés en psychiatrie
Pyramide des âges des malades hospitalisés en psychiatrie
Les personnes qui consultent
12 À la question : « avez-vous consulté, au cours des trois derniers mois, pour des troubles psychiques ou mentaux ? », 1 560 000 personnes répondent « oui », soit 2,7 % de la population générale. L’enquêteur demande ensuite : « si oui, bénéficiez-vous d’un suivi régulier dans ce domaine ? », 1 210 000 personnes répondent « oui » (2,1 %). Par ordre décroissant de fréquence, la répartition selon les professionnels consultés est la suivante (chaque personne a pu donner plusieurs réponses) : un médecin psychiatre, 799 000 personnes (dont 744 000 régulièrement) ; un médecin généraliste, 487 000 personnes (316 000 régulièrement) ; un psychologue ou un autre spécialiste non médecin, 291 000 personnes (234 000 régulièrement) ; un autre médecin, 214 000 personnes (71 000 régulièrement). La pyramide des âges est très déséquilibrée (cf. tableau 1, graphiques 1 et 3). Les hommes représentent 38 % des personnes qui ont consulté régulièrement. Les moins de 20 ans forment 17 % des consultants réguliers, et dont les deux tiers sont des garçons. Les femmes de 40 à 59 ans représentent à elles seules le tiers du total.
Pyramide des âges des personnes ayant consulté régulièrement au cours de trois derniers mois pour des troubles psychiques ou mentaux
Pyramide des âges des personnes ayant consulté régulièrement au cours de trois derniers mois pour des troubles psychiques ou mentaux
13 La répartition par sexe et âge des personnes qui reçoivent des soins pour des troubles psychiques ou mentaux diffère considérablement de celle de la population générale. Quatre facteurs au moins contribuent à ces écarts. Les pathologies n’ont pas une répartition égale. Le recours aux soins varie lui aussi selon le sexe et l’âge. La disponibilité des soins n’est pas la même pour tous (cas de l’hospitalisation en psychiatrie infanto-juvénile). Enfin, toutes les personnes n’acceptent pas de la même manière de déclarer leurs troubles à l’enquêteur (cas de l’enquête en « ménages »). Les chiffres donnés ici sont des données brutes, tirées d’enquêtes différentes. Elles informent sur la situation au moment de l’enquête. À l’avenir, pour comparer les personnes à âge et à sexe égal, il sera utile d’effectuer une standardisation des données.
Catégorie sociale des personnes
14 Le milieu social est défini par la catégorie sociale du chef de ménage. À l’hôpital, une forte majorité de personnes (60 %) sont en dehors du marché de l’emploi pour raison de santé. C’est chez les employés ou dans les professions intermédiaires que la proportion de personnes suivies régulièrement pour troubles psychiques ou mentaux est la plus importante ; c’est chez les artisans et les cadres que cette proportion est la plus faible. L’écart est important : pour les deux premières catégories, la fréquence du suivi régulier est environ quatre fois plus élevée que pour les cadres. Toutefois, on note une forte proportion de diplômés de l’enseignement supérieur parmi les employés et les professions intermédiaires suivis régulièrement pour troubles psychiques ou mentaux, ce qui suggère une plus grande facilité à recourir aux soins.
Catégorie sociale des consultants
Catégorie sociale des consultants
Mortalité après deux ans
15 La mortalité des personnes hospitalisées en psychiatrie est forte. C’est un indicateur global de la gravité des troubles dont souffrent les personnes. Elle est relevée auprès de l’état civil deux ans plus tard, en 2000. À ce moment, 5,6 % des malades présents en 1998 sont décédés. Pour les personnes qui ont entre 20 et 59 ans, la mortalité à deux ans est de 3,1 %, à comparer avec 1,34 % pour la même tranche d’âges en établissements pour adultes handicapés.
16 La mortalité des personnes qui consultent régulièrement en psychiatrie doit être étudiée avec précaution compte tenu des questions méthodologiques évoquées dans l’encadré. Toutefois, les résultats bruts suggèrent un écart important par rapport aux personnes qui ne consultent pas du tout. En limitant le calcul aux tranches d’âge de 20 à 59 ans, la mortalité après deux ans des personnes qui, en 1999, consultaient régulièrement est de 5,01 %, contre 0,43 % chez celles qui ne consultaient pas du tout pour des troubles psychiques ou mentaux.
Mortalité après deux ans des personnes hospitalisées en psychiatrie en 1998
Mortalité après deux ans des personnes hospitalisées en psychiatrie en 1998
Les déficiences déclarées
17 Les établissements de soins psychiatriques se distinguent des autres établissements (pour enfants ou adultes handicapés, et d’hébergement pour personnes âgées) par la prévalence élevée des déficiences du psychisme : 62 %, contre 12 % à 18 %. Dans les autres établissements, les déficiences intellectuelles sont majoritaires.
18 Par rapport aux personnes qui ne consultent pas pour des troubles psychiques ou mentaux, celles qui sont suivies régulièrement déclarent plus souvent et davantage de déficiences. Ainsi, elles souffrent plus fréquemment de déficiences motrices (26 % contre 13 % en population générale), et métaboliques (16 % et 9 %). Cet écart persiste en tenant compte du sexe et de l’âge. Par contre, les déficiences visuelles ou auditives sont aussi fréquentes que les personnes soient suivies ou non.
Les limitations scolaires et intellectuelles
19 Les limitations intellectuelles touchent plus du quart des personnes hospitalisées en psychiatrie. Trois personnes sur quatre déclarent lire couramment (au lieu de 96 % pour l’ensemble des personnes qui vivent en ménages selon l’enquête HID en 1999). Les limitations intellectuelles s’expriment aussi par le niveau scolaire. Presque une personne hospitalisée sur deux a obtenu un diplôme, quel qu’il soit, à comparer avec huit personnes sur dix qui vivent en ménages selon l’enquête HID en 1999.
20 À la différence des patients hospitalisés, la proportion de personnes qui savent lire couramment ou qui ont obtenu un diplôme n’est pas plus faible chez les personnes qui consultent régulièrement que chez les autres. Cependant, pour les tâches complexes, comme gérer ses ressources ou remplir un formulaire, les personnes ayant un suivi régulier ont, toutes choses égales par ailleurs, plus de difficultés.
Les limitations de la mobilité
21 Une personne hospitalisée en psychiatrie sur deux souffre de limitations de la mobilité : sur l’ensemble de la population concernée, moins d’une personne sur deux sort de l’enceinte de l’établissement sans aide, une sur cinq sort mais a besoin pour cela d’une aide, et une sur trois ne sort pas. La fréquence des restrictions de mobilité est d’autant plus remarquable que l’étude de cette difficulté est habituellement absente des publications sur les limitations associées aux troubles psychiques ou mentaux.
22 Indépendamment du sexe et de l’âge, les personnes qui consultent régulièrement sont plus souvent confinées à l’intérieur de leur logement (88 000 personnes), sont plus souvent incapables de sortir sans l’aide de quelqu’un (200 000 personnes), et, lorsqu’elles sortent de chez elles, le font moins souvent.
Les limitations de mobilité
Les limitations de mobilité
Les tâches de la vie ordinaire
23 À l’hôpital, les tâches de la vie ordinaire ne sont pas effectuées par les intéressés. Chez les personnes suivies régulièrement en consultation, les difficultés dans la vie ordinaire sont fortes : indépendamment du sexe et de l’âge, elles ont plus de difficultés à préparer leur repas, faire leurs tâches ménagères ou faire leurs achats que les autres. Elles ont aussi plus souvent besoin d’une aide pour la toilette (84 000 personnes).
L’emploi
24 Ces personnes ont d’importantes difficultés par rapport au travail. Elles exercent moins souvent une profession rémunérée : chez les personnes de 20 à 59 ans (susceptibles d’occuper un emploi), c’est le cas pour 40 % d’entre elles, au lieu de 73 % dans la population générale. De même, ces personnes sont plus souvent au chômage : toutefois, le taux de chômage des hommes régulièrement suivis pour troubles psychiques est de 45 % alors qu’il n’est que de 9 % pour les femmes.
Les aides humaines
25 Parmi les personnes qui consultent régulièrement, le besoin d’aide humaine est considérable : presque une personne sur deux reçoit l’aide d’une ou plusieurs personnes (salariée ou non) en raison d’un handicap ou de problèmes de santé (540 000 personnes) au lieu de 8 % chez les personnes qui ne consultent pas du tout pour des troubles psychiques ou mentaux.
Le réseau social
26 Le soutien social des personnes hospitalisées repose souvent sur la famille et se maintient durablement. Les relations avec la famille proche (père, mère, frère, sœur, fils, fille…) sont absentes chez une personne sur quatre, c’est-à-dire qu’elles sont maintenues chez les trois quarts des personnes, à comparer avec 90 % pour l’ensemble des personnes qui vivent en ménages. Les contacts avec des amis sont beaucoup moins fréquents : ils concernent globalement quatre personnes sur dix, à comparer avec 86 % pour les personnes qui vivent en ménages. Ces données suggèrent que le réseau social des patients hospitalisés repose beaucoup moins sur les amis qu’en population générale, et s’appuie d’autant plus sur la famille, lorsqu’elle existe.
27 Les personnes suivies régulièrement pour troubles psychiques ou mentaux entretiennent avec leur famille proche des relations aussi fréquentes que celles qui n’ont pas de suivi psychologique et participent de la même façon à la vie associative, lorsque l’on tient compte des effets de sexe et d’âge. Elles entretiennent moins souvent des liens fréquents hors de la famille ou avec leur famille éloignée.
L’isolement social
L’isolement social
Reconnaissance administrative du handicap
28 Parmi les personnes hospitalisées, deux sur trois ont reçu une reconnaissance administrative de taux d’incapacité. Pour le plus grand nombre (44 % des personnes), ce taux a été déterminé par la Commission départementale de l’éducation spéciale (CDES) ou par la Commission d’orientation et de reclassement professionnel (COTOREP). Vient ensuite la sécurité sociale (16 %). Les autres catégories de reconnaissance administrative (au titre de la législation sur les accidents du travail, ou de l’invalidité militaire, ou encore pour une société d’assurance) ne concernent qu’un petit nombre de personnes. Plus d’une personne sur deux touche une allocation, une pension ou un autre revenu en raison de ses problèmes de santé. La proportion de personnes qui déclarent toucher l’allocation pour adultes handicapés (AAH) est de quatre personnes sur dix. Les dispositions réglementaires prévoient la réduction du montant de l’AAH versée après 60 jours d’hospitalisation. Ces modalités concernent un malade hospitalisé sur trois (34 %) [10]. Le nombre de personnes auxquelles cette réduction s’applique dans le champ de l’enquête est de 16 000 ; l’effectif total pourrait atteindre 19 000 personnes, dans l’hypothèse où le taux dans les services de psychiatrie des hôpitaux généraux serait égal à la moyenne des autres établissements de soins psychiatriques.
29
Une personne sur quatre (26 %) qui consulte régulièrement perçoit une allocation, pension, ou autre revenu en raison de ses problèmes de santé (au lieu de 3 % chez les personnes qui ne consultent pas du tout pour ces troubles). Chez les personnes de 20 à 59 ans, une sur trois (32 %) est concernée. Dans cette même tranche d’âge, 15 % bénéficient de l’allocation pour adulte handicapé (AAH) et sont donc formellement reconnues comme handicapées (à comparer avec moins de 1 % dans l’ensemble des personnes de 20 à 59 ans).
Parmi l’ensemble des plus de 20 ans, bénéficiaires d’une allocation pour adulte handicapé (AAH), et vivant en ménages, les personnes suivies régulièrement pour des troubles psychiques ou mentaux représentent le quart (26 %). Les caractères le plus fortement corrélés avec l’AAH sont présentés dans le tableau 4.
Corrélations entre l’AAH et le suivi éventuel
Corrélations entre l’AAH et le suivi éventuel
30 De même, les personnes recevant l’AAH et suivies régulièrement pour des troubles psychiques ou mentaux sont très isolées socialement (tableau 5).
Relations sociales et isolement
Relations sociales et isolement
Une typologie des consultants
31 Les incapacités les plus fréquentes chez les personnes suivies régulièrement pour troubles psychiques ou mentaux, âgées de 20 à 59 ans, permettent de mieux caractériser cette population. À l’aide de variables décrivant leur aisance dans la vie quotidienne (capacité à porter cinq kilos sur dix mètres, faire ses achats, son ménage, préparer ses repas), leurs facultés intellectuelles (capacité à gérer ses ressources, savoir remplir un formulaire), leur mobilité (savoir retrouver son chemin, détenir un permis de conduire, utiliser les transports en commun), et leur autonomie et leur intégration sociale et professionnelle (vie de couple, vie indépendante, activité professionnelle), Marie Anguis et Christine de Peretti (sous presse) ont pu déterminer statistiquement une typologie comportant six groupes homogènes.
32 • Le premier groupe concerne 44 % des adultes de 20 à 59 ans suivis régulièrement pour troubles psychiques ou mentaux. Il correspond aux personnes dont les capacités apparaissent très proches de celles qui ne sont pas suivies pour ces troubles : 97 % d’entre elles sont capables de faire leurs achats, 68 % de faire leur ménage, et 95 % de remplir un formulaire. Plus de 90 % possèdent un permis de conduire. Elles vivent souvent entourées : aucune ne vit seule à son domicile et 77 % d’entre elles vivent en couple. Leur vie sociale est riche : elles gardent souvent le contact avec leur famille et déclarent des liens fréquents avec d’autres personnes de leur entourage. Cependant, elles sont un peu moins nombreuses à travailler que les personnes qui ne sont pas suivies pour troubles psychiques ou mentaux : à peine plus de la moitié d’entre elles occupent un emploi ordinaire (contre 72 % chez les personnes de même âge non suivies). Elles exercent souvent une profession intermédiaire.
33 • Le groupe suivant concerne environ 20 % des adultes de 20 à 59 ans suivis régulièrement pour troubles psychiques ou mentaux. Il correspond aux personnes présentant des difficultés dans les tâches quotidiennes : 74 % d’entre elles ne peuvent pas porter cinq kilos sur dix mètres, et 73 % ne peuvent pas faire leur ménage. Pourtant, elles utilisent facilement les transports en commun (97 % d’entre elles), préparent seules leur repas (93 %) et les deux tiers d’entre elles occupent un emploi ordinaire. La quasi-totalité de ces personnes (96 %) ne vivent pas en couple et les deux tiers d’entre elles vivent seules à leur domicile. Ce groupe est essentiellement féminin (83 %) et est majoritairement composé de personnes âgées de 40 à 49 ans. Environ la moitié de ces personnes présentent des déficiences motrices et 78 % déclarent des troubles de l’humeur.
34 • Le troisième groupe concerne environ 6 % des personnes suivies régulièrement pour troubles psychiques ou mentaux. Il est quasi exclusivement composé de chômeurs (99 %). Ce sont principalement des hommes âgés de 30 à 39 ans (88 %). Ils sont plus nombreux à être diplômés de l’enseignement supérieur et appartiennent plus souvent à la catégorie socioprofessionnelle des employés. À l’inverse du groupe précédent, il regroupe des personnes qui effectuent facilement les tâches quotidiennes (ménage, achats, repas, gérer ses ressources), mais qui présentent malgré tout une autonomie limitée : elles sont peu nombreuses à savoir remplir un formulaire ou à reconnaître leur chemin, et n’ont que rarement leur permis de conduire. Le contraste entre le niveau de diplôme obtenu et les incapacités déclarées au moment de l’enquête suggère une grave rupture biographique liée à la maladie. Presque tous (95 %) ne vivent pas en couple mais peu vivent seuls : la majorité d’entre eux vivent chez leurs parents. Enfin, 88 % d’entre eux déclarent un trouble de l’humeur.
35 Les trois autres groupes sont caractérisés par des personnes ayant de nombreuses incapacités.
36 • Ainsi les adultes du quatrième groupe (14 % des personnes suivies régulièrement), s’illustrent par la fréquence élevée des déficiences motrices (53 % d’entre elles contre 26 % pour l’ensemble des personnes suivies pour troubles psychiques ou mentaux) et métaboliques (42 % versus 17 %). Les personnes déclarant des troubles du comportement sont aussi surreprésentées dans ce groupe (33 % versus 12 %). Il leur arrive d’ailleurs plus fréquemment de se mettre en danger. Elles sont plus nombreuses à percevoir des allocations pour des raisons de santé mais peu l’allocation pour adulte handicapé. Elles sont 94 % à vivre en couple. Elles gèrent souvent elles-mêmes leurs ressources (99 %) mais font peu fréquemment les tâches quotidiennes. Près de la moitié de ces personnes ont entre 50 et 59 ans ; et même s’ils ne sont pas majoritaires, il y a proportionnellement plus d’hommes dans ce groupe que dans l’ensemble des personnes suivies régulièrement pour troubles psychiques ou mentaux (47 % versus 37 %).
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• Le cinquième groupe (moins de 3 % des personnes suivies régulièrement), rassemble les adultes qui ont un emploi protégé. Ils ont des incapacités dans tous les domaines. Un peu moins de la moitié d’entre eux présentent des déficiences intellectuelles. 65 % d’entre eux bénéficient de l’AAH (allocation pour adulte handicapé), et un tiers bénéficient d’une protection juridique. Six fois sur dix, ce sont hommes, majoritairement jeunes (65 % d’entre eux ont moins de 39 ans).
• Enfin, le dernier groupe, très proche du précédent, correspond à des personnes très peu autonomes, et sans activité professionnelle (99 %). Une majorité bénéficie de l’AAH (59 %). Elles sont, pour beaucoup, incapables d’effectuer les tâches quotidiennes élaborées ou non. De plus, une part importante d’entre elles (23 %) ont besoin d’aide pour la toilette ou sont confinées au lit ou au fauteuil (contre 4 % parmi les personnes suivies régulièrement). Environ la moitié présentent des déficiences intellectuelles. Elles sont, en outre, plus nombreuses à avoir des troubles du comportement (28 %) ; on leur reproche aussi plus fréquemment une attitude agressive. Plus des trois quarts n’ont pas de diplôme ou sont seulement de niveau primaire.
Des informations pour améliorer la prise en charge
Les durées de présence
38 Au jour de l’enquête, la durée moyenne de présence dans les établissements est d’environ quatre ans, et la médiane environ quatre mois. Ces deux indicateurs donnent des informations différentes : la médiane indique l’importance du renouvellement, la moyenne suggère l’existence de certains séjours de (très) longue durée. Les courts et les moyens séjours sont majoritaires en psychiatrie alors que c’est l’inverse pour les autres établissements de l’enquête. Presque une personne sur deux (46 %) est présente depuis moins de trois mois. Plus du tiers (36 %) sont présentes depuis plus d’un an, parmi lesquelles une sur cinq (19 %) depuis plus de cinq ans (cf. graphique 6).
Durée de présence en établissement de soins psychiatriques
Durée de présence en établissement de soins psychiatriques
39 Le deuxième passage auprès des personnes enquêtées, en 2000, permet de savoir si la personne interrogée en 1998 est présente deux ans plus tard. Les probabilités de sortie en 2000 sont d’autant plus faibles que le temps de présence en 1998 était élevé, avec une baisse de probabilité après six mois de présence (graphique 7). Les probabilités de sortie après deux ans de présence, bien que limitées (10 %) sont réelles. D’autre part, 24 % des patients récemment entrés en 1998 sont retrouvés dans le même établissement deux ans plus tard (graphique 8). Les patients au long cours ne forment donc pas un groupe séparé : l’enquête montre au contraire que cette population se renouvelle en permanence.
Sortie des patients, des établissements spécialisés en psychiatrie, vers le milieu ordinaire entre 1998 et 2000
Sortie des patients, des établissements spécialisés en psychiatrie, vers le milieu ordinaire entre 1998 et 2000
Lecture : dans les établissements de soins psychiatriques de HID, 84 % des personnes présentes depuis moins de deux semaines sont sorties en milieu ordinaire deux ans plus tard (2000).Parmi les patients des établissements spécialisés en psychiatrie présents fin 1998 : pourcentage des présents fin 2000
Parmi les patients des établissements spécialisés en psychiatrie présents fin 1998 : pourcentage des présents fin 2000
Lecture : dans les établissements de soins psychiatriques de HID, 12 % des personnes présentes depuis moins de deux semaines sont encore présentes deux ans plus tard (2000).40 Les différents caractères relevés par l’enquête sont fortement corrélés à la durée de présence au jour de l’interview (tableau 6) ; les données présentées dans le texte concernent les CHS et HPP ; celles du tableau portent sur l’ensemble des établissements.
Situation des personnes hospitalisées selon la durée de présence (tous établissements psychiatriques HID) en %
Situation des personnes hospitalisées selon la durée de présence (tous établissements psychiatriques HID) en %
Déficiences et durées de présence
41 Plusieurs cumuls de déficiences ont été repérés en fonction de la durée de présence dans l’établissement. Parmi les patients des CHS-HPP, on note tout d’abord que le cumul d’une déficience intellectuelle et d’une déficience du psychisme concerne 10 % des entrées récentes et 19 % des patients au long cours. Pour plusieurs catégories de déficiences, la fréquence varie peu selon le temps de présence en 1998. Il en est ainsi des déficiences motrices (22 % des entrées récentes, 21 % des séjours prolongés et 25 % des patients au long cours) et les déficiences viscérales (8 %, 11 % et 8 %). Les écarts restent également modestes pour les déficiences visuelles (7 %, 10 % et 13 %) et auditives (12 %, 12 % et 19 %). À l’inverse, certaines déficiences sont davantage déclarées en cas de présence prolongée. De manière générale, il s’agit de déficiences fréquemment associées aux troubles intellectuels ou psychiques. Ainsi, parmi les déficiences du langage et de la parole, l’absence totale de parole concerne principalement les longues présences (1 % des entrées récentes, 5 % des séjours prolongés et 15 % des patients au long cours), de même que l’épilepsie et les pertes intermittentes de la conscience (1 %, 5 % et 7 %).
Incapacités et durée de présence
42 De même, les incapacités sont d’autant plus graves que la durée de présence est importante. Parmi les patients des CHS-HPP, 12 % ont des difficultés pour se lever du lit ou se coucher, l’incapacité étant plus fréquente en cas de long séjour (6 % des entrées récentes, 11 % des séjours prolongés et 18 % des patients au long cours). En ce qui concerne l’alimentation, 11 % ont des difficultés pour manger et boire la nourriture prête (3 %, 11 % et 19 %). En ce qui concerne l’hygiène, 18 % des patients ont des difficultés à contrôler leur élimination urinaire ou fécale (6 %, 17 % et 31 %). Pour l’habillage, 27 % ont des difficultés (12 %, 23 %, 45 %), et 36 % pour faire leur toilette (14 %, 33 %, 59 %).
Caractéristiques familiales et sociales, et durée de présence
43 Être veuf, n’avoir jamais connu de vie de couple sont deux caractéristiques surreprésentées parmi les patients au long cours. L’absence de scolarisation concerne surtout les patients au long cours (32 % contre 3 % des entrées récentes). Indépendamment du temps accompli en 1998, l’absence de scolarisation est associée à une prolongation du séjour en 2000.
44 Parmi les patients résidents des CHS-HPP, 11 % occupent un emploi : 25 % des entrées récentes, 7 % des séjours prolongés et 3 % des patients au long cours. Comparés aux différentes catégories d’inactifs, les patients qui, en 1998, occupaient un emploi sont davantage sortis entre 1998 et 2000, que leur durée de présence en 1998 ait été courte (31 % vs 9 %) ou longue (17 % vs 2 %). Près de six patients sur dix (59 %) perçoivent une allocation, une pension ou un autre revenu en raison de leurs problèmes de santé. Cela concerne 34 % des entrées récentes, 61 % des séjours prolongés et 82 % des patients au long cours. Plus de la moitié des patients (54 %) sont placés sous un régime de protection juridique (24 % des patients entrés depuis moins de deux mois, et 80 % des patients ayant deux ans de présence).
Provenance des patients
45 Moins d’une personne sur deux vivait dans un domicile indépendant avant son admission à temps plein en soins psychiatriques (tableau 7). Une sur quatre vivait dans un autre établissement pratiquant un hébergement à temps plein, et une sur six vivait chez ses parents [11]. Parmi les personnes présentes depuis plus d’un an au jour de l’enquête, quatre sur dix (42 %) viennent d’un autre établissement. Parmi celles-ci, une sur quatre (23 % des présents depuis plus d’un an) était précédemment dans un établissement pour enfants ou adultes handicapés : leur effectif dans le champ de l’enquête est de 4 000 personnes ; l’effectif total pourrait atteindre 4 500, dans l’hypothèse où le taux dans les services de psychiatrie des hôpitaux généraux serait égal à la moyenne des autres établissements de soins psychiatriques.
Lieu où vivait la personne avant son admission en établissement de soins psychiatriques
Lieu où vivait la personne avant son admission en établissement de soins psychiatriques
46 Les trois principaux types de lieu de vie avant l’hospitalisation sont : le domicile ordinaire indépendant, le domicile des parents, les autres établissements. Ils correspondent à des degrés décroissants des capacités globales d’autonomie. Réciproquement, les durées de présence au jour de l’enquête sont fortement croissantes de l’un à l’autre. Plus les capacités globales d’autonomie sont faibles (avec pour conséquence le lieu de vie avant l’hospitalisation), plus longue est la durée de présence à l’hôpital au jour de l’enquête. La plupart des autres caractères suivent la même corrélation, sauf la mortalité à deux ans, qui est proche pour les personnes venant d’un domicile personnel ou de chez leurs parents, et beaucoup plus forte chez celles qui étaient précédemment dans un autre établissement.
Qualité de l’hébergement des établissements de soins psychiatriques
47 La qualité de l’hébergement hôtelier est médiocre. Plus d’une personne sur deux est hébergée en chambre à plusieurs (tableau 8). Si, dans l’ensemble, deux personnes sur trois bénéficient d’une salle de bains ou d’un cabinet de toilette dans leur chambre, cette proportion est d’une sur deux dans les CHS, de trois sur quatre dans les HPP, et de neuf sur dix dans les cliniques et foyers de postcure. Les établissements pour adultes handicapés peuvent offrir une base de comparaison dans la mesure où l’âge des personnes accueillies ne diffère pas considérablement. Dans ces établissements, un peu plus d’une personne sur quatre est en chambre à plusieurs, les trois quarts des personnes bénéficient d’une salle de bains ou d’un cabinet de toilette, et une personne sur dix ne bénéficie d’aucun des équipements évoqués par l’enquête.
Qualité de l’équipement hôtelier
Qualité de l’équipement hôtelier
L’interdiction de sortir
48 L’une des questions de l’enquête porte sur la gêne éventuelle lors des déplacements hors de l’établissement. L’enquêteur ne suggère pas les modalités de réponse, mais enregistre ce qui lui est dit. La première modalité d’enregistrement est : « n’a pas le droit de sortir » (tableau 9). En établissements de soins psychiatriques, une personne sur quatre donne cette réponse, soit 11 000 personnes dans le champ de l’enquête.
L’interdiction de sortir
L’interdiction de sortir
L’aide à la mobilité
49 Ceux qui ont besoin d’une aide à la mobilité la reçoivent en établissement de soins psychiatriques moins qu’ailleurs. Le fait de savoir qu’une personne sort de l’enceinte de l’établissement n’apporte pas d’information sur les sorties effectives, qui peuvent être plus ou moins fréquentes. Un éclairage sur ce point est obtenu en demandant si la personne est sortie le jour de semaine (sauf dimanche) précédant l’interview. Cette donnée permet des comparaisons avec les autres établissements. Parmi les personnes qui sortent, certaines le font seules et sans aide, d’autres ont besoin d’aide. Le besoin d’aide pour sortir trouve une réponse très différente d’une catégorie d’établissement à l’autre (tableau 10) : les établissements pour enfants et adultes handicapés [12] apportent une aide effective aux personnes qui en ont besoin, les établissements et services pour personnes âgées ne le font pas, et les établissements de soins psychiatriques, peu.
La sortie effective hors de l’enceinte de l’établissement la veille de l’interview
La sortie effective hors de l’enceinte de l’établissement la veille de l’interview
50 Les différents caractères relevés par l’enquête sont aussi corrélés au lieu où vivait la personne avant son hospitalisation (tableau 11).
Situation selon le lieu où vivait la personne avant son admission
Situation selon le lieu où vivait la personne avant son admission
Conclusion et perspectives
51 Ces connaissances nouvelles apportent dès à présent une aide à la décision pour l’élaboration des politiques, et alimentent la réflexion sur les pratiques professionnelles. Elles ne peuvent manquer d’avoir des conséquences pour la recherche à venir, comme pour l’action.
52 Quelques perspectives pour des études à venir ont été citées précédemment : comparer les données de l’enquête HID à propos des déficiences, avec celles d’autres enquêtes statistiques comportant les mêmes informations ; rechercher d’autres sources à propos des personnes consultant pour des troubles psychiques ou mentaux, afin d’estimer l’ampleur de la sous-déclaration dans l’enquête HID, et si possible de préciser les caractères des personnes omises ; faire les tests statistiques en population générale grâce au programme informatique en préparation à l’Insee. De même, il sera utile de compléter l’étude descriptive des personnes hospitalisées par des calculs de corrélations « toutes choses égales par ailleurs », notamment en standardisant les données sur le sexe et sur l’âge.
53 La principale perspective concerne le deuxième passage (en 1999 pour les établissements, et en 2000 pour les personnes qui vivent en ménages en domicile ordinaire), qui a permis d’interroger à nouveau les personnes enquêtées. Les données de ce deuxième passage n’ont été utilisées jusqu’à présent que pour les taux de personnes toujours présentes en établissement ou décédées. Une étude approfondie pourra apporter des informations considérables à propos de l’évolution des difficultés déclarées. Grâce aux repères biographiques, les parcours de vie pourront être abordés, et mis en relation avec les soins.
54
Dans les deux passages de l’enquête, il sera utile de rechercher les informations disponibles sur les addictions et leur retentissement. L’étude de la mortalité, favorisée par le suivi prévu sur les années à venir, apportera des informations à propos de la gravité des troubles.
D’une manière générale, l’enquête HID, qui n’avait pas pour but principal de décrire les personnes recevant des soins de santé mentale, apporte d’importantes connaissances nouvelles à leur propos, et contribue au progrès de la recherche épidémiologique en santé mentale.
Remerciements à :
Marie Anguis, Vincent Boisonnat, Françoise Casadebaig, Mireille Elbaum, Pierre Mormiche, Christine de Peretti, Pierre Ralle, Daniel Ruffin. Toute erreur dans la transcription des travaux cités dans le présent travail serait de la seule responsabilité du signataire.Bibliographie
Bibliographie
- Anguis M., de Peretti C., (sous presse), « Les incapacités des personnes vivant à domicile et suivies régulièrement pour troubles psychiques ou mentaux », Études et résultats, DREES.
- Boisguérin B., Casadebaig F., Quémada N., (1999), Enquête nationale sur la population prise en charge par les secteurs de psychiatrie générale, les cliniques privées et les établissements de réadaptation et de postcure, INSERM-CCOMS, ministère de l’Emploi et de la Solidarité, Direction générale de la santé, 70 p.
- Casadebaig F., Chapireau F., Ruffin D., Philippe A., (2002), Description des populations des institutions psychiatriques dans l’enquête HID, Rapport final, Convention d’étude INSERM-DREES, 111 p.
- Chapireau F., « Situation des malades hospitalisés en psychiatrie en 1998 et en 2000 », Études et résultats, DREES, 206, décembre 2002.
- Henrard J.-C., Ankri J., (1996), Systèmes et politiques de santé, Rennes, Éditions ENSP.
- Mormiche P., (2002), « L’enquête HID, apports et limites », dans le présent recueil.
- Narrow W.E., Rae D.S., Robins L.N., Regier D.A., (2002), « Revised prevalence estimates of mental disorders in the United States », Archives of General Psychiatry, 59, 115-123.
- OMS, (1988), Classification internationale des handicaps : déficiences, incapacités et désavantages, traduction Inserm, Paris, CTNERHI.
Notes
-
[*]
Psychiatre des hôpitaux, conseiller scientifique à la DREES, ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées.
-
[1]
« Avez-vous consulté au cours de trois derniers mois pour des troubles psychiques ou mentaux ? », « Si oui, quel médecin ou spécialiste ? (plusieurs réponses possibles) », « un médecin généraliste ? », « un médecin psychiatre ? », « un autre médecin ? », « un psychologue ou un autre spécialiste non médecin ? », « Si oui, bénéficiez-vous d’un suivi régulier dans ce domaine ? ».
-
[2]
« Rencontrez-vous dans la vie de tous les jours des difficultés, qu’elles soient physiques, sensorielles, intellectuelles ou mentales ? (dues par exemple aux conséquences d’un accident, d’une maladie chronique, d’un problème de naissance, d’une infirmité, du vieillissement…). », « lesquelles ? ».
-
[3]
« Quelles sont la ou les causes de cette ou de ces difficultés de… ? ».
-
[4]
Op. cit., p. 47 et 48.
-
[5]
Fichier national des établissements sanitaires et sociaux.
-
[6]
En 1998, services de psychiatrie des hôpitaux généraux : 23,71 j. ; centres hospitaliers spécialisés : 36,70 j. « Statistique annuelle des établissements de santé 1998 », DREES, Edith Thomson, Document de travail, n° 25, septembre 2001.
-
[7]
En 1997, il y a eu près de 20 millions de consultations pour des troubles mentaux auprès de psychiatres, et près de 35 millions auprès de généralistes pour les mêmes troubles (source : CREDES. Données EPPM 1997, IMS Health).
-
[8]
Une autre partie importante des refus tient aux établissements de moins de 50 lits, nombreux en psychiatrie, et où l’enquête représentait une charge proportionnellement plus lourde.
-
[9]
La proportion d’établissements psychiatriques ayant refusé de participer à l’enquête a été de 17 %, contre 4,5 % dans les établissements pour adultes handicapés et dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées. La proportion d’interviews réalisées par rapport à celles qui étaient théoriquement possibles a été respectivement de 75 %, 87 % et 92 %.
-
[10]
Les articles R. 821-8 à R. 821-10 du code de la sécurité sociale prévoient les conditions de réduction du montant de l’allocation pour adultes handicapés au-delà de 60 jours d’hospitalisation. Tous les malades hospitalisés étant tenus au versement d’un forfait journalier de 70 francs par jour, l’article R. 821-9 prévoit que 17 % de l’allocation au minimum doit être versé aux bénéficiaires de l’AAH, soit, au 1er janvier 2002, 113,80 euros (634,93 francs) par mois. Le forfait journalier peut être pris en charge par une mutuelle, dans des conditions qui varient selon les contrats, souvent pour un remboursement de 90 jours par an. Lorsque la CMU (introduite depuis l’enquête) prend en charge tout le forfait hospitalier, un patient célibataire sans parent à charge touche (après 60 jours) par mois 435,10 euros (2 427,68 francs, valeur au 1er janvier 2002).
-
[11]
D’autres modalités de réponse sont enregistrées : « dans le domicile de mes enfants », « dans le domicile de proches », « dans une famille d’accueil », et « j’ai toujours vécu dans cette institution ». Chacune de ces modalités ne concerne qu’un faible pourcentage des personnes. Elles sont regroupées ici dans la catégorie « autre ».
-
[12]
Il s’agit uniquement des établissements pratiquant un hébergement à temps plein. Cette précision s’applique à toutes les données présentées ici à propos des autres établissements.