Couverture de RFAS_012

Article de revue

Protection sociale. Cinquante ans de protection sociale en Chine : acquis et réformes (1949-1997)

Pages 145 à 169

Notes

  • [*]
    Diplômée de l’Inalco, actuellement rattachée au département Lettres et Civilisations de l’Asie orientale de l’université de Jussieu (Paris 7). Ses thèmes de recherches concernent les politiques sociales et de l’emploi dans la Chine contemporaine. Elle effectue le même type de recherches au sein de l’OCDE.
  • [1]
    Cf. la présentation de la réforme par V. Alexandre et M.-A. Mercier ci-après.
  • [2]
    Les travaux sur la protection sociale ont suivi le rythme des réformes et sont aujourd’hui plus nombreux. C’est en quelque sorte de la synthèse de ces recherches, de Chine et d’ailleurs qu’est issue notre recherche. On doit souligner ici les apports des travaux de Thierry Pairault et Alexandre Morin, qui offrent un éclairage juridique sur les réformes, cf. La Chine au Travail (T. 1), Les sources du droit du travail, 1997 ; Diana Hochraich, La Chine de la Révolution à la réforme, 1995 nous livre son regard d’économiste. Corinne Eyraud apporte quant à elle, un regard sociologique sur le rôle social de l’entreprise : L’entreprise d’État chinoise : de l’institution sociale totale vers l’entité économique ?, 1999. Dans une perspective historique, on lira le détail des prestations et l’analyse du processus de réformes, Marie-Ange Maurice, La protection sociale en RPC : traits généraux et réformes majeures (1949-1997). Mémoire, Inalco, 1998.
  • [3]
    Nous établissons ici une distinction entre les programmes propres aux assurances socioprofessionnelles pourvues par l’État et les mécanismes de redistribution et d’aides sociales.
  • [4]
    Sur l’ambition égalitaire maoïste et l’homme nouveau, l’organisation de la société chinoise se reporter à Jean-Luc Domenach : L’archipel oublié, 1992, p. 162-165.
  • [5]
    Cf. Marie-Claire Bergère, La République populaire de Chine, de 1949 à nos jours, 1989, 331 p. ; C. Aubert, La société chinoise après Mao : entre autorité et modernité, Paris, 1986, 336 p.
  • [6]
    In, La société chinoise après Mao : entre autorité et modernité, p. 44. Dans le vocabulaire socialiste chinois, la catégorie des ouvriers « gongren » recouvre différentes réalités et statuts pour lesquels nous ne ferons pas de distinctions ici. Il en va de même pour la catégorie plus large des « zhigong » – contraction de zhiyuan gongren –, i. e les salariés des entreprises d’État.
  • [7]
    Le bol symbolise le contenant, le riz le contenu et le fer la durée.
  • [8]
    Cf. Pairault, 1997.
  • [9]
    Hua Chengming au contraire, soutient l’idée que le pouvoir a brisé les solidarités familiales en se substituant à elles. Cela était certes, l’ambition du pouvoir, mais il a échoué dans cette entreprise en raison des contradictions dans son propre discours. En matière de protection sociale, le politique souligne l’importance de la famille comme principal recours. In, La société chinoise après Mao : entre autorité et modernité, Paris, 1986, 336 p.
  • [10]
    L’idée est ici de multiplier la force productive afin de favoriser les mécanismes de redistribution intergénérationnelle.
  • [11]
    À la prise de pouvoir en 1949, l’impératif de reconstruction, le contexte international (guerre de Corée) et la « fratrie » idéologique d’alors, expliquent la « soviétisation » de la Chine. La planification centralisée, la priorité à l’industrialisation, la collectivisation de l’agriculture, le leadership du Parti, l’organisation sociale et institutionnelle sont les « outils » récupérés au « grand frère » pour assurer l’enrichissement du pays (fuqiang) et la victoire de la construction socialiste par la dictature du prolétariat. Les difficultés rencontrées par Pékin pour obtenir la coopération soviétique, les antagonismes idéologiques (sur la direction du camp socialiste et le lancement du Grand Bond en avant) ainsi que les positions internationales de l’URSS vont amener à la rupture sino-soviétique en 1960 et à l’abandon de ce modèle.
  • [12]
    Jusqu’à la Révolution culturelle, date à laquelle, elle est dissoute, c’est la Fédération des syndicats qui gère les fonds de la Sécurité sociale.
  • [13]
    Dans les catégories chinoises de la protection sociale, le programme WUBAO est identifié dans le programme d’aide sociale. Les cinq garanties existent encore aujourd’hui et touchent 2,791 millions de personnes en 1997.
  • [14]
    Les campagnes patriotiques d’hygiène mobilisent la population pour accomplir des activités destinées à modifier le comportement personnel et public des individus. Elles mobilisent les masses autour de thèmes tels que la propreté de l’environnement, la lutte contre les bestioles nuisibles, l’hygiène alimentaire (assainissement de l’eau, nettoyage des aliments), l’hygiène des enfants, la lutte contre les maladies vénériennes ou la lutte contre la drogue…c Outre une œuvre d’éducation, les campagnes de masse entraînent une mobilisation « active » de la population qui doit réaliser matériellement ses objectifs. En matière de planning familial, les prestations sont gratuites de manière à faire accepter les objectifs nationaux, surtout depuis la campagne « watt, xi, shao ». En outre, elles sont entièrement financées par l’État.
  • [15]
    Les médecins aux pieds nus ne sont pas à proprement parler des médecins mais du personnel formé à identifier et à traiter un certain nombre de maladies.
  • [16]
    La brigade est une division des communes populaires (créées en 1958). Ces dernières étaient divisées en brigades et en équipes de production. La brigade est la fusion des anciennes coopératives rurales, elle correspond au village. Lors du lancement du Grand Bond en avant, les communes étaient la principale unité de gestion. Avec le réajustement d’août 1958, l’unité de gestion de base redevient la brigade.
  • [17]
    RCMS : rural coopérative médical system.
  • [18]
    De 87,5 % en 1952, la population rurale passe à 82,1 % de la population en 1978. Elle compose encore en 1999, 69,1 % de la population. In Annuaire statistique du travail de Chine, 2000. Le chiffre officiel reflète une distinction administrative des urbains et ruraux (selon l’enregistrement des foyers, hukou) et non l’activité (population agricole, non agricole). Il tait également la réalité de la ruralité ou de l’urbanisation des zones où la population est enregistrée.
  • [19]
    En 1949, conformément aux théories marxistes, Mao estime que la limitation des naissances n’est pas souhaitable. Il encourage même une nombreuse descendance. Ce n’est qu’à partir du recensement de la population de 1953, établissant la population à 553 millions d’âmes que les autorités prennent conscience du problème. Une première campagne est lancée en 1956 mais est avortée avec le premier Bond en avant. Il faut attendre 1962 pour qu’enfin un lien soit effectué entre population et développement économique et qu’une véritable politique de contrôle de naissance soit lancée.
  • [20]
    Ce seuil de subsistance de base sert encore aujourd’hui, mais a été reformulé au niveau des comtés. Ainsi, une province peut compter plusieurs seuils de subsistance différents, distincts du seuil de pauvreté.
  • [21]
    Cf. note 19.
  • [22]
    Cf. Y. Blayo, Des politiques démographiques en Chine, Paris, coll. « Regards sur le monde », Ed. Sociales, 1997.
  • [23]
    Disposition du chapitre Ier, art. 25 de la Constitution de 1982 : « l’état encourage le planning familial pour assurer l’harmonie entre la croissance démographique et les plans de développement économique et social » ; et aussi, chapitre II art. 49, «… le mari comme la femme ont le devoir de pratiquer le planning familial ».
  • [24]
    Ce taux passe de 12 ‰ en 1978 à 10,06 ‰ en 1997 en passant par un pic de 16,61 ‰ en 1987. La régression du taux d’accroissement naturel urbain passe progressivement de 10,95 à 8,94 ‰ entre 1989 et 1997 pour les urbains tandis que pour les ruraux, il passe de 16,46 à 10,53 ‰, mais par paliers.
  • [25]
    In, Jean-François Huchet, « Quelle retraite pour la Chine ? Vers l’établissement d’un système national de protection sociale », Perspectives chinoises n° 36,1996.
  • [26]
    TVE : Township and Village enterprise.
  • [27]
    In, Old Age Security : Pension Reform. China 2020, The World Bank, BIRD, 1997.
  • [28]
    Pour aller plus loin, Feng Lanrui, « Comparaisons entre les deux grandes vagues de chômage en Chine pendant la dernière décennie », in Revue internationale des sciences sociales, n° 127, 1991.
  • [29]
    Les contrats collectifs sont apparus au milieu des années quatre-vingt faisant suite à la mise en place du système de responsabilités (fin 1970), qui vise à lier rémunération et production et qui a progressivement mis fin à la collectivisation (1984).
  • [30]
    Le Code est entré en vigueur le 1er janvier 1995.
  • [31]
    Ce n’est plus vrai aujourd’hui pour les employés. Dans le cadre d’une journée d’étude à l’OCDE en 2000, Isabelle Thireau relevait de ses observations du Bureau des plaintes, un accroissement des conflits du travail au cours des années quatre-vingt-dix et les transformations de la terminologie utilisée par les plaignants : le recours aux principes socialistes et au droit. Ces mutations témoignent d’une part, de l’intégration progressive du droit dans les relations du travail mais également de l’ambiguïté des relations face à un régime qui combine autoritarisme et lois du marché, d’autre part.
  • [32]
    La formule de la prestation définie est : A/120, où A représente le solde total cumulé du compte individuel et le facteur 120 représente dix ans d’espérance de vie à l’âge de la retraite. Ce facteur serait en fait basé sur l’espérance de vie à la naissance et sous-estimerait le nombre d’années moyen pendant lesquelles il faudra effectivement verser une pension. Un plan de transition pour les personnes vivant encore plus de dix ans après leur retraite a été prévu.
  • [33]
    Le lieu d’enregistrement des ménages (hukou) et non l’activité détermine le caractère « rural » de la population.
  • [34]
    Sur ce sujet, voir les travaux de J.-L. Rocca, A. Kernen, J.-P. Béja (sur la réforme des SOE, et des études sur la ville de Shenyang, dans le Liaoning) ; également, Han Dongfang (sur les revendications ouvrières depuis 1989).
  • [35]
    Le démantèlement des communes populaires à partir de 1983 a mis à rude épreuve la couverture médicale et plus particulièrement, le système médical de la coopérative rurale. Le financement collectif a été plus ou moins abandonné, et en 1993, seul 10 % des villages sont encore couverts par ce système (cf. Cailliez, 1998) Par ailleurs, l’effectif médical aurait diminué de 50 %. L’introduction des lois du marché a contribué à accroître le prix des services médicaux et pharmaceutiques. En outre, nombre de médecins ont soit quitté les zones rurales soit se sont reconvertis dans d’autres activités plus lucratives.
  • [36]
    Cf. la présentation de la réforme de V. Alexandre et M.-A. Mercier.
  • [37]
    Deux décisions ont été prises depuis. En 1998, le décret du CAE sur l’établissement d’une assurance médicale de base pour les salariés des villes et bourgs établit les principes suivant : une prestation de base très basse, mais une large couverture (i e. tous les types d’entreprise d’institution et d’organisation, exceptées les entreprises des villages et des bourgs (TVE) ; une charge partagée : la part de l’employeur est d’environ 6 % de la masse salariale totale et celle du salarié 2 %) ; la combinaison des systèmes de répartition et de capitalisation.
  • [38]
    La catégorie des xiagang existait déjà dans les années cinquante. Aujourd’hui, elle constitue une part importante des chômeurs « cachés ». Pour employer une terminologie correspondante, les xiagang sont à l’origine des chômeurs techniques car bien que ne travaillant plus pour leur ancienne unité, ils conservent leur lien juridique avec l’entreprise (le contrat n’est pas rompu) et devraient théoriquement toucher une part de leur salaire ou une indemnité. Or, l’accélération de la réforme des entreprises d’État a vu s’accroître le nombre de ces personnes mises à pied (6 760 millions de personnes en 1998). Dans les faits, leur situation est celle de véritables chômeurs. Ils constituent une nouvelle catégorie sociale et font l’objet d’une politique prioritaire en matière d’emploi, de formation et de protection sociale dans le nouveau contexte socio-économique. Ils appartiennent aussi à la nouvelle pauvreté urbaine.
  • [39]
    Les données officielles du chômage ne mesurent que les chômeurs enregistrés et n’incluent pas les catégories citées supra. Plusieurs estimations du chômage réel circulent aujourd’hui, tenant compte de ces différentes catégories. Ainsi, pour l’année 1997, le nombre de chômeurs (xiagang inclus) serait alors de presque 9 millions de personnes soit un taux de chômage urbain relativement bas de 4,3 % à l’échelle nationale. Les chiffres ne reflètent rien de l’amplitude du chômage en Chine. Il tait également la situation de chômage des ruraux : HU Angang (1999) l’estimait à 34,8 % en 1997. À l’inverse, l’intensification des politiques de lutte contre le chômage et du phénomène xiagang, la multiplication des recommandations au milieu des années quatre-vingt-dix sont autant de manifestations de l’ampleur du problème.
  • [40]
    Cf. Marie-Claire Bergère, p. 173.

1L’intégration d’un projet de développement social au projet de développement économique dans le discours officiel chinois depuis 1990 et au Xe plan quinquennal (2000-2005), indique l’urgence du réaménagement du système de protection sociale. Si l’adhésion imminente de la Chine dans l’administration du monde globalisé via l’Organisation mondiale du commerce atteste du dynamisme économique, elle ne saurait cacher les dysfonctionnements économiques et les problèmes sociaux qui se sont amplifiés depuis 1978 : inégalités exacerbées, paupérisation des urbains, chômage croissant, aggravés par les contraintes et défis démographiques d’aujourd’hui et de demain. L’ampleur de la tâche à accomplir ne saurait se comprendre sans un retour sur les cinquante dernières années de l’histoire de la République à l’heure où la réparation des risques sociaux est en passe d’être codifiée et institutionnalisée [1], marquant ainsi l’aboutissement de vingt années de réformes et d’expérimentations en matière de protection sociale.

2Notre recherche sur les spécificités de « l’État providence » à la chinoise consiste à observer le processus de réformes de la protection sociale par le biais de l’action gouvernementale [2].

3Le présent article s’attache à dépeindre les assurances sociales et les programmes d’assistance sociale, en en détaillant les éléments fondamentaux : ceux correspondant à la Sécurité sociale au sens de la convention n° 102 de l’OIT [3] (la retraite et la santé), les programmes entrant dans le cadre de la protection sociale (la politique de l’emploi et la lutte contre le chômage) et enfin, ceux plus spécifiques à la Chine, destinés à préserver un niveau de vie minimum (la subvention au prix et la lutte contre la pauvreté). Notre acception de la protection sociale, recouvre en effet les dispositifs établis par l’État pour protéger ses membres des divers risques sociaux liés aux aléas de l’activité économique. Le présent article s’attache à décrire les contributions du maoïsme et du denguisme au développement de la protection sociale, à en comprendre les changements et les principaux défis notamment en matière de justice sociale.
Deux grandes périodes caractérisent la lutte contre les risques sociaux, celle de deux hommes : Mao Zedong (1949-1976) et Deng Xiaoping (1978-1997). Le premier, dans son projet de société utopiste, tente de donner à la protection sociale une dimension égalitaire. Le second, renonçant à l’idéologie maoïste, en brisant la politique du « bol à riz en fer » (tiefanwan) propose de la remodeler sous les formes du pragmatisme et des lois du marché. La phase actuelle d’approfondissement et de perfectionnement en garde résolument l’empreinte.

La « Sécurité sociale » maoïste : « Manger dans la grande marmite » avec son « bol à riz en fer »

Le contexte

4La Sécurité sociale telle qu’elle est conçue à la « Libération » a ceci d’originale qu’elle n’est pas née de luttes entre différents groupes sociaux, ni issue de traditions corporatistes, bien que des mécanismes de solidarité clanique, familiale et professionnelle (guildes) aient existé. Elle est la création et la volonté du pouvoir socialiste qui tout en se donnant pour tâche de créer une société égalitaire [4] devient par-là même le garant du maintien et de l’entretien des besoins fondamentaux de la force de travail. Elle se situe donc dans un contexte de construction socialiste, où la priorité économique est donnée à la modernisation et à l’industrialisation (i. e. le prolétariat, dont le Parti se dit issu) et à la mise au pas politique et idéologique des masses [5]. Au début des années cinquante, la Chine est encore une société largement agricole où le monde ouvrier représente selon Roland Lew (1986), moins de 0,5-0,8 % de la population active [6] et la population urbaine environ 11 % de la population totale. Toutefois, dès février 1951, le Gouvernement central promulgue l’Ordonnance sur l’assurance du travail (laodong baoxian tiaoli), apportant une première réponse à la réparation des risques liés au travail des urbains dont les modalités seront détaillées plus loin.

5La philosophie qui préside à la protection sociale chinoise est un syncrétisme de différentes conceptions. Elle s’appuie sur des principes moraux confucéens, mais principalement sur les conceptions marxistes-léninistes de la société. L’État, se fait le garant du Bien-Être de chacun et applique en théorie, les principes de justice sociale, de réciprocité et de responsabilité collective. L’action collective et la socialisation des moyens de production assurent le niveau de vie dans la cité. Dès lors, le bénéfice de la protection sociale provient essentiellement du travail lequel fourni à tous sous la conduite du Parti, assure en quelque sorte un « mandat social » puisque chacun peut ainsi répondre à ses besoins, de manière égalitaire : ce que l’on a appelé « manger dans la grande marmite » (chi da guo fan). Ces bases expliquent notamment que le besoin fondamental dans cette société agricole, la sécurité alimentaire, sera au centre des politiques économiques et sociales depuis 1949. C’est dans cette optique qu’il faut examiner la priorité donnée à des aides et subventions en nature.

6Par ailleurs la politique du « bol à riz en fer » [7] correspond à un système de Sécurité sociale étendu, il couvre trois autres bols [8] : la « chaise en fer », représentant la garantie d’une place à vie pour les employés du gouvernement et des travailleurs statutaires ; « le bol à riz en fer » lui-même, qui est la garantie d’un emploi à vie ; et enfin « le salaire en fer », qui augmente avec l’ancienneté et qui n’est relié ni à la compétence, ni aux résultats. Il est couplé à des avantages fournis par les services sociaux de la danwei et les politiques économiques de subventions à la base dont ils sont les principaux bénéficiaires.

7Le concept traditionnel de piété filiale (xiao), ensemble de règles et normes hiérarchiques et d’obligations et d’intérêts mutuels, qui régit les relations entre chaque membre de la société, n’a pas été entamé par le pouvoir. Malgré sa volonté de briser les solidarités familiales [9], il s’y réfère par exemple dans sa « politique démographique », lorsqu’il encourage les familles nombreuses [10]. La règle qui fait qu’aujourd’hui trois ou quatre générations vivent sous le même toit illustre l’importance de ces mécanismes de solidarités traditionnelles dans le système de protection sociale.
Par ailleurs figée dans une organisation à la soviétique [11], la protection sociale, orchestrée par la planification centralisée, s’insère dans une administration extrêmement hiérarchisée verticalement et horizontalement. Au premier niveau, elle est administrée par les unités de base, elles-mêmes encadrées par les organisations de masse (Fédération nationale des femmes chinoises, Ligue des jeunesses communistes et Fédération nationale des syndicats chinois [12]) pour ce qui relève de la politique sociale et par la danwei – unité de travail – (cf. encadré) pour les programmes de Sécurité sociale. En fait, l’organisation s’aligne sur la division administrative et territoriale. Ainsi, à chaque échelon retrouve-t-on les équivalents des ministères du Travail (pour l’emploi), des Affaires civiles (pour l’aide sociale) et du Personnel (pour les fonctionnaires), eux-mêmes soumis aux organes du Parti et au Conseil des affaires de l’État – CAE – (qui élabore et applique le Plan). La gestion est confiée aux cadres mais, décisions et budget doivent être soumis à l’approbation des instances supérieures, puis à nouveau à celle de la collectivité.

Encadré : La danwei (unité de travail), pilier du « bol à riz »

La traduction de ce terme – unité de travail – n’est pas représentative de ce qu’est la danwei, mais elle est conventionnellement adoptée. L’unité peut être un service, un département, une organisation ou un lieu de production et a une réalité physique. Elle est identifiée comme organisation de base et est également une unité comptable.
Les entreprises sont désignées sous ce nom, bien que cette terminologie tombe peu à peu en désuétude avec son démantèlement et l’introduction d’autres formes d’entreprises. Toutefois, jusqu’au milieu des années quatre-vingt, la danwei permettait de situer géographiquement et socialement un interlocuteur, puisqu’il existait une hiérarchie des danwei, leur taille augmentant les avantages distribués.
Ainsi, la danwei est-elle une sorte de « micro-État » – ce que C. Eyraud (1999) a appelé une « institution sociale totale » – de par ses attributions, ses pouvoirs et prérogatives et ses champs d’activités. Sur le même modèle que la société, elle a en son sein les émanations des quatre organisations nationales dirigeantes : le Parti, l’administration, le syndicat et les organisations de masse. Dans une société où la valeur provient du travail et où les moyens de production appartiennent au Peuple, il va presque de soi que ses fonctions dépassent le cadre de la seule production. L’externalisation de sa fonction de production consiste en la distribution, la gestion, l’administration et le contrôle d’activités et de services sociaux (dont la Sécurité sociale). En général, selon leur taille et leur rang dans l’organisation administrative, elles possèdent des structures de type cantine, crèche, école, dispensaire ou hôpital et le plus important, des logements. C’est là qu’elle dispense les avantages du « bol à riz » à ses employés, pour un coût dérisoire. Elle organise les activités récréatives des salariés (cinéma, théâtre, voyage…c). Enfin, c’est elle qui distribue les tickets de rationnement. Ceux-ci, jusqu’au milieu des années quatre-vingt ouvrent les portes des magasins d’État ou l’on s’approvisionne en produits de première nécessité, indispensable dans une économie des pénuries.
Parallèlement, le pouvoir de contrôle qu’elle exerce sur les individus est énorme. En plus de fournir des prestations sociales et familiales, la danwei a ses propres quotas de planifications des naissances à respecter : elle décide du nombre de naissance de l’année. Elle émet aussi des avis sur les mariages (ou les décide). Elle tient le dang’an de chaque salarié (dossier personnel) où sont compilées toutes les informations publiques et privées du titulaire depuis le début de sa scolarité.
Pour conclure, la danwei constitue une forme d’État dans l’État. Elle est autant une institution, qu’une organisation sociale. Les avantages qu’elle dispense la rapprochent des grandes entreprises françaises – nationalisées ou pas – telles Renault, Michelin ou encore la SNCF. Mais le point important ici est l’échelle à laquelle ce type d’entreprises est rapporté.
Si le contrôle qu’exerçait la danwei sur les individus n’est plus vraiment d’actualité en revanche, son rôle social, redistributeur en quelque sorte, est remis en question par la reconstruction du système de protection sociale. L’enjeu n’est autre que de redonner à l’unité de travail sa fonction principale : la production.

La protection sociale sous Mao

8La protection sociale sous Mao se scinde en deux éléments : le premier correspond à un système de Sécurité sociale s’adressant uniquement aux urbains ; le second, relevant de l’aide sociale est surtout destiné aux ruraux et aux populations démunies ; des services sociaux et des services d’entraide communautaire sont également organisés.

9L’assurance socioprofessionnelle mise en place en 1951 par la « Loi sur le travail » précitée couvre les risques maladie, retraite, invalidité, accidents du travail et maternité. Seuls sont éligibles, les travailleurs urbains appartenant à une danwei d’une entreprise d’État (SOE) ou des grandes entreprises collectives (COE) de plus de 100 employés, ainsi que les fonctionnaires et les militaires. Les personnes n’appartenant à aucune danwei relèvent, dès lors des programmes d’aide sociale. Ces risques ne sont pas tous uniformément couverts et varient selon les régions et les périodes. À titre d’exemple, la couverture des accidents du travail n’est véritablement indemnisée que pour les personnes ayant perdu la capacité totale de travailler suite à un accident du travail ou à une maladie professionnelle indépendamment de leur fait (de 60 à 75 % du salaire, et une allocation compensatoire de 2 à 5 % du salaire initial). Leurs frais d’hospitalisation ne sont pris en charge que pour les deux tiers par la danwei.

Une couverture inégale du risque vieillesse

10Les salariés urbains bénéficient, dans le cadre de la Sécurité sociale, d’une assurance vieillesse (yanglao baoxian). L’âge de la retraite est fixé à 60 ans pour les hommes (25 ans de services dont 10 dans la même entreprise) et 50 ans pour les femmes (20 ans d’ancienneté dont 10 dans la même entreprise), mais il varie selon les secteurs d’activités, en fonction de la pénibilité et des risques du travail. Le barème des pensions (tuixiu jin) s’échelonne entre 35 et 60 % du salaire mais peut monter à 100 % pour ceux qui ont participé à la Révolution et les plus méritants (travailleurs modèles, cadres du Parti, martyrs de la Révolution (lixiu jin). Ainsi, comme en occident, le montant de la pension est fonction de l’ancienneté, qui de 20 ans a été ramenée à 10 en 1978. Son financement n’est pas contributif pour les employés, il équivaut à 30 % de la masse salariale de la danwei ; en d’autres termes, il est financé par l’État.
Alors qu’en zone urbaine, les retraités du secteur d’État, bénéficient de pensions non contributives fournies par leur danwei, les ruraux doivent eux s’appuyer sur les solidarités collectives et familiales. En effet en zone rurale, ce que l’on peut assimiler à un système de retraite, mais relevant de l’aide sociale, est assuré par le programme des « Cinq garanties » (wubao) : nourriture, logement, soins, vêtements et funérailles, lequel est basé sur la solidarité et sur les ressources de la communauté rurale ; il est obligatoire et codifié. Les bénéficiaires des wubao[13] ne sont pas systématiquement des foyers pauvres (pinkun hu) ou en difficultés (kunnan hu) qui sont identifiés selon d’autres critères. Les « retraités ruraux » entrent principalement dans cette catégorie, et orphelins et handicapés peuvent y prétendre.

Une assurance médicale réservée aux urbains, mais une politique de santé publique étendue

11Dans l’État socialiste, tout ce qui concerne « l’entretien de la force productive » est théoriquement impératif. Le principe d’une couverture médicale est énoncé dans la « Loi sur le travail ». Elle est complétée en 1952, par la « Circulaire d’application du service médical gratuit du personnel d’État » ainsi que d’autres textes du milieu des années cinquante. Ce n’est pas l’ensemble de la population urbaine qui en bénéficie, mais principalement les fonctionnaires, les universitaires supérieurs, certains militaires ainsi que les handicapés civils et militaires. Là encore, le système n’est pas contributif : ils doivent simplement s’acquitter des frais infimes. Leurs ayants droit ne payent que la moitié des frais médicaux et pharmaceutiques mais, la totalité des frais d’hospitalisation. La gestion du fonds est assurée par les départements de la Santé publique et le financement provient des deniers publics. Pour les autres urbains, les fonds proviennent du fonds social des danwei et sont gérés par l’entreprise elle-même.

12L’organisation du réseau médical est divisée en trois niveaux : le canton, le bourg et la commune (le village actuellement) et souffre de lourdeurs bureaucratiques. Par exemple, l’accès d’un malade à l’hôpital du canton ne peut être suggéré par un « médecin aux pieds nus » (au niveau de la commune). Il doit recevoir l’aval du centre de santé du bourg qui propose ensuite le transfert. Par contre, le coût est supporté collectivement.

13La Charte de santé adoptée dans les années cinquante est le prélude au développement d’un vaste réseau médico-sanitaire, en ville et à la campagne. Les pôles privilégiés sont : la formation du personnel de santé (grâce à l’aide technique soviétique), la création et le renforcement des réseaux médico-sanitaires et enfin, la prévention par le biais de la mobilisation des masses [14]. Insistant d’abord sur l’amélioration de l’hygiène publique et privée, le programme développe ensuite une politique de soins primaires de base et l’élargissement de ses infrastructures hospitalières et sanitaires. Le programme est financé ou subventionné pour tout ou partie, par l’État (équipements, rémunération du personnel et dépenses de fonctionnement) cette aide peut prendre la forme de distribution de vaccins ou de formation du personnel. Les soins sont assurés par un personnel paramédical en zone rurale : « les médecins aux pieds nus » [15] dont la particularité est qu’ils combinent leur activité paramédicale avec le travail productif. De ce fait, leurs revenus sont majorés de 10 % par rapport à celui des autres membres de la brigade [16]. Ils exercent dans le cadre du système de santé de la coopérative rurale (RCMS) [17] qui dispense des prestations sanitaires et sociales. Le fonctionnement du RCMS se fonde sur les principes d’assistance et d’autosuffisance collective. Ainsi, la contribution annuelle d’un ménage rural varie de 0,5 à 2 % de son revenu. La participation de la communauté villageoise dépend de ses ressources annuelles. Cette dernière fixe elle-même le prix des services médicaux individuels que doivent payer ses membres mais, la décision finale du montant des contributions ou de l’utilisation des crédits revient aux cadres locaux. Les soins préventifs sont financés par les ressources des administrations locales et alimentés par les revenus collectifs.
Ce système de santé publique présente des aspects positifs majeurs, et en particulier l’amélioration de l’état de santé de la population. Il est certes d’abord lié au retour de la paix mais également, au relatif accroissement du niveau de vie (même s’il reste très bas). La santé publique dans les zones rurales est sans doute l’une des principales contributions du maoïsme au développement de la protection sociale. Aussi imparfait qu’a pu être le système de santé de la coopérative rurale, ses apports quant à l’amélioration de l’hygiène, l’assainissement de l’eau, le recul des épidémies, ont ouvert l’accès aux soins de base jusque dans des zones reculées. L’allongement de l’espérance de vie qui est passée de 35 à 69 ans en est une des illustrations, tout comme la diminution du taux de mortalité qui est passé de 25 à 6,6 ‰ et de celui de mortalité infantile passé de 200 à 35 ‰ naissances à la fin de la décennie 1970.

L’illusion du plein emploi

14À la « Libération », la pression sur le marché de l’emploi est faible, le pays se reconstruit et doit faire face à la situation de chômage des militaires démobilisés, des réfugiés, des paysans migrants. Toutefois, le projet d’industrialisation et la priorité au développement des zones urbaines expliquent le maintien d’un taux d’emploi urbain élevé. Ce système peut d’autant mieux fonctionner qu’il est combiné à celui du hukou – l’enregistrement des ménages –. Outre une fonction statistique, il compile des informations d’état civil et renseigne sur l’origine de classe, le comportement politique ainsi que sur l’activité professionnelle. Véritable barrière institutionnelle à toute mobilité, il assigne à résidence les individus qui sont par ailleurs classés en foyer rural et urbain, et en population agricole et non agricole.

15Toujours dans l’optique de préserver l’emploi urbain, le gouvernement, dès 1949, renvoie à la campagne les paysans « immigrés » des villes, en échange de distribution d’une terre laquelle à défaut d’offrir un emploi, est la garantie d’un moyen de subsistance. Des mesures temporaires ont été prises en vue de fournir un revenu minimum aux chômeurs qui représentent à cette date 4 à 5 millions de personnes. En 1952, une décision du CAE appelle à la création de Comités chargés d’enregistrer et d’affecter tous les citadins, dont les jeunes diplômés à la recherche d’un emploi de manière à réaliser la répartition centralisée de la main-d’œuvre (tong guan tong pei). Le système est mis en place dans le but non seulement de contrôler la main-d’œuvre, mais également d’assurer un emploi à toute la population urbaine. C’est en ce sens qu’il constitue une forme de protection contre le risque de chômage dont la dénomination de l’époque est « attente d’une affectation » (daiye).

16La responsabilité du recrutement incombe aux gouvernements des villes et des cantons pour certains projets, notamment les grands travaux d’infrastructures. À cet effet, des bureaux de la main-d’œuvre, les laodongju, sont créés. L’embauche directe est interdite. Offres et demandes doivent être adressées aux agences pour l’emploi de l’État, qui attribuent les emplois en fonction des exigences de la planification. Les laodongju transmettent les directives et quotas d’embauche aux danwei qui dès lors, placent et gèrent la main-d’œuvre et décident de la rémunération. Licenciements et démissions sont interdits. En fait, les entreprises n’ont aucun pouvoir de décision. Elles ne sont que des unités de production et de gestion. Les employés sont soumis au même régime : ils ne choisissent pas leur emploi. Ainsi, ne peut-on pas parler de véritable marché de l’emploi sous Mao. On peut cependant interpréter les mouvements d’envoi des jeunes à la campagne comme un moyen de réguler le « marché » de l’emploi urbain.

17Ainsi, la négation du chômage sous la période maoïste qui aboutit au suremploi, une politique de l’emploi irrationnelle et inégalitaire, des mouvements de population obligatoires des villes vers les campagnes (le mouvement xiaxiang), sont autant « d’accidents de l’histoire » qui vont conduire à la première grande vague de chômage de 5,3 % en 1978 et laisser un lourd héritage aux dirigeants de la Chine de la fin du XXe siècle.

Population et main d’œuvre, 1949-1978 (en milliers)

tableau im1
Population Main d’œuvre Année Total Total Rurale Urbaine 1949 1952 1957 1965 1978 541 670 574 820 646 530 725 380 962 590 180 820 207 290 237 710 286 700 401 90 165 490 182 430 205 660 235 340 306 380 15 330 24 860 32 050 51 360 95 140 Source : Annuaire Statistique des assurances sociales, 2000.

Population et main d’œuvre, 1949-1978 (en milliers)

Une aide sociale rudimentaire

18Bien que ne faisant pas partie de la protection sociale stricto sensu, la subvention aux prix et l’aide alimentaire doivent être incluses dans les programmes chinois de protection sociale et en constituent l’une des spécificités. Elles forment un mécanisme de redistribution économique capitale dans cette société rurale qu’est la Chine [18]. En effet, les subventions alimentaires à la base ou en nature représentent une part importante du revenu des ménages tant à la campagne qu’en ville.

19Dans cette Chine en construction, la nourriture fait défaut. Ceci explique que dans le projet de développement du gouvernement, mener le pays à l’autosuffisance alimentaire sera une priorité. En 1953, la nationalisation du commerce (tonggou tongxiao : unification de l’achat et de la distribution) fait de l’État l’unique acheteur du fruit du labeur des paysans et en même temps le seul fournisseur d’engrais et autres produits nécessaires à l’agriculture. Il en fixe également les prix d’achat et de vente. En contrepartie, l’État procure certains produits de base à bas prix (un système de tickets de rationnement est mis en place) et redistribue les surplus agricoles aux régions défavorisées. Par ailleurs l’État oblige les paysans à consacrer une part de leur culture en grains à leur ration personnelle, ce qui au fond, forme une sorte d’intervention de l’État pour le maintien d’une ration alimentaire minimum. Mais les quotas de livraisons de grains réduisent-ils les réserves propres à la consommation des paysans ? Concrètement, les subsides de l’État prennent la forme de distribution d’engrais et d’une sorte de « garantie » de grains à la campagne. Un niveau minimum est fixé et il varie selon les régions et les périodes ; il est irrégulièrement distribué et, ce sont les régions victimes de calamités naturelles qui en bénéficient le plus souvent. En règle générale, les foyers n’atteignant pas ce minimum reçoivent de l’État, une ration de grain à titre gracieux ou en prêt. En ville, la danwei se charge de distribuer des tickets de rationnement (bupiao) aux travailleurs du secteur d’État leur permettant ainsi d’acheter à très bas prix des produits de première nécessité tels que, l’huile, la farine, les œufs, le sucre et parfois, la viande et les légumes ainsi que d’obtenir des rations de grains. Cette forme de subvention à la base, constitue une part importante du revenu réel de la population.

Acquis et lacunes du traitement des risques sociaux dans la Chine maoïste

20Le bilan que l’on peut dresser de la protection sociale des années Mao est mitigé.

Les fondements de la Sécurité sociale

21En premier lieu, il faut reconnaître tout le mérite qu’a le gouvernement d’avoir fondé un système de Sécurité sociale et d’avoir envisagé des possibilités d’assistance aux plus démunis ou aux personnes en difficultés, trois ans après la prise de pouvoir. Le caractère « socialiste » du régime légitime, en effet, cette préoccupation du « Bien-Être » populaire autant que son ambition égalitaire. Au vu du niveau de développement du pays, les efforts fournis pour ne serait-ce qu’alimenter en eau potable, soigner ou alphabétiser le plus grand nombre, avec des moyens sommaires et limités, jusque dans des lieux reculés sont tout à fait remarquables. Le plus grand sacrifice a été consenti par la population paysanne (qui a payé par sa contribution au système de rationnement obligatoire, le développement urbain). La couverture sociale apportée à la population urbaine par la Sécurité sociale et la politique du « bol à riz en fer », généreuse dans sa couverture contient les principales caractéristiques d’un système de Sécurité sociale, à savoir : une assurance socioprofessionnelle couvrant les risques médicaux, la retraite, la maternité, les accidents du travail et enfin, des services d’entraide communautaires et des aides sociales (shehui fuli et shehui jiuji). La principale faille de ce système de Sécurité sociale, qui s’apparente à un système par répartition, est qu’il n’est pas contributif et entraîne une lourde charge financière pour les entreprises. Toutefois par le truchement de la planification centralisée, l’État finance entièrement la protection sociale.

22D’un autre côté, l’ambition démesurée dans laquelle sombre Mao Zedong à partir du Grand Bond constitue le premier obstacle au développement d’une protection sociale de base, solide et durable. L’inconstance de la ligne politique (c’est le cas pour la limitation des naissances [19]), l’irrationalité des objectifs du Plan (le manque d’investissement dans l’agriculture lors du premier plan, le doublement de la production d’acier du second plan…c), les vagues de violences ont contribué au ralentissement de l’extension de la protection sociale (par exemple, le programme des « Cinq Garanties » est supprimé pendant la Révolution culturelle).

Un système inégalitaire

23Ce qui surprend lorsque l’on essaie de comprendre l’esprit des constructeurs de la protection sociale, en l’occurrence, Mao et le Parti, est que sous couvert de lutte de classes, de division entre le Parti et la masse, villes et campagnes, « rouge » et « expert », il y a l’ambition de construire une société égalitaire. La division de classes confère aux révolutionnaires un statut privilégié et des avantages particuliers : ils reçoivent à la retraite l’intégralité de leur ancien salaire, sans compter les avantages qui leur sont offerts (logement, transport, loisirs ou meilleurs établissements scolaires pour leurs enfants…).

24L’inégalité du système est multiple. Le bénéfice des assurances sociales n’est pas accordé à toute la population urbaine, les travailleurs temporaires, par exemple en sont exclus ; en ville le système n’est pas contributif ou peu, alors qu’à la campagne, sous couvert d’autoresponsabilisation des masses, c’est la collectivité qui supporte le poids des aides sociales. Les programmes ruraux de protection sociale sont en effet contributifs, voire quasiment autofinancés. En ce qui concerne le système de protection sociale, le critère d’ouverture des droits est évalué en fonction d’un niveau de subsistance de base par province [20]. Ainsi, la détermination de l’aide octroyée s’effectue-t-elle en calculant la différence entre le revenu actuel et le revenu minimum nécessaire sans tenir compte des différentes charges du demandeur. En outre, l’obtention d’une aide est soumise à des critères extrêmement rigides de manière à en limiter l’accès ; il faut être totalement démuni et apporter la preuve que l’on agit pour se sortir de cette situation. Enfin, il faut des antécédents politiques et familiaux irréprochables. Même si l’on voulait croire que la justification de tels critères d’accessibilité relève d’une volonté de ne pas créer une population « d’assistés », on n’est toutefois pas dupe d’une politique restrictive, ouvertement exprimée dans le discours officiel : il faut d’abord compter sur la famille, puis sur la collectivité et en dernier ressort sur l’état.
Par ailleurs, il existe de grandes variations régionales dans les normes, l’offre et la qualité de la protection sociale : entre urbain et rural, entre régions : les plus riches disposent de meilleurs matériels ou simplement d’un réseau et d’un personnel médical plus accessible et plus compétent (malgré l’étendue du dispositif des médecins aux pieds nus). Autant d’éléments qui permettent d’affirmer que les programmes de protection sociale à la campagne bien que significatifs en bien des points, n’aient pas suffisamment pesé dans l’élévation du niveau de vie et la lutte contre la pauvreté. En somme, les succès sont dus en majeure partie à la réorganisation de l’activité rurale plus qu’à une stimulation de son développement (la fermeture des marchés ruraux, la suppression des lopins privés sont autant de barrières au développement économique).

Un développement limité

25Les ressources restreintes de l’État justifient la part limitée au développement de la protection sociale, la priorité est donnée à la reconstruction et plus particulièrement à l’industrialisation. La nationalisation du commerce constitue un aspect de sa participation financière au développement de la protection sociale dans la mesure où étant le principal acheteur et le principal vendeur des ressources de la Nation, il peut offrir biens et services à bas prix. Ce n’est d’ailleurs que sous cet angle que l’on peut conclure à une société relativement égalitaire. En effet, l’État garantit une qualité et un niveau de vie très bas pour tous. En conséquence, le niveau d’inégalité est bas.
Si certains des programmes ne sont qu’au stade embryonnaire de leur développement, ils répondent toutefois à un souci de protection minimum. L’aspect rudimentaire provient avant tout d’un manque de ressources évident et d’une priorité donnée à d’autres domaines de l’économie nationale dont le but même est de créer la richesse qui lui fait défaut. Ce n’est qu’à partir du moment où le Parti fait le bilan des années Mao et que la Chine entre dans un processus de développement et de modernisation plus rationnel, moins soumis aux soubresauts de la politique et de l’idéologie, que le système de protection sociale est remis en cause et de nouvelles solutions à la réparation des risques sociaux, sont envisagés.

La construction graduelle d’une protection sociale originale (1980-1997)

26C’est au cours du IIIe plénum du XIe Comité central, en 1978, que s’amorce le processus de remodelage de la société. Libéralisation et ouverture économique constituent les piliers du programme des « Quatre modernisations ». Deng Xiaoping dit à ce propos, « le socialisme veut l’enrichissement de tous et refuse la division entre les riches et les pauvres », qui augure également une préoccupation sociale du gouvernement, sans commune mesure avec la période précédente. Malgré les événements de Tian’anmen en 1989, le projet est reconduit en 1992 établissant peu à peu les principes de l’économie socialiste de marché (shichang shehui jingji) et l’intégration du projet de développement social simultanément à celui de l’économie. Avant d’entrer dans le détail des réformes de la protection sociale, considérons tout d’abord les motifs principaux : la question démographique, la redynamisation de l’activité rurale, la réforme des entreprises d’État.

À l’origine des réformes

La démographie

27Dès que l’on aborde la situation de la Chine, on est immédiatement confronté à la taille de sa population. De 583 millions en 1953, elle atteint le milliard en 1981. Ce qui donne inéluctablement une dimension « gigantesque » aux problèmes que doit résoudre le gouvernement. Le défi démographique légué par Mao tient au refus de mener une politique de planification des naissances [21]. La troisième campagne de limitation des naissances devient en 1978-1979, la politique de l’enfant unique [22]. Les objectifs de modernisation stimulent le changement d’orientation mais à la contrainte démographique s’ajoutent les questions des ressources naturelles et alimentaires, de l’emploi, du logement, de l’éducation, de la retraite et de la santé, menacés si aucune mesure de régulation de l’accroissement naturel n’est adoptée. La reprise en main est illustrée par la création d’une Commission nationale de planification des naissances en 1981 et par l’introduction dans la Constitution de 1982 du devoir des époux à pratiquer le programme de l’enfant unique [23]. Les nouveaux objectifs fixent un enfant par couple, à l’exception des minorités nationales. Les autorités locales organisent, gèrent et mettent en œuvre la nouvelle politique. Pour promouvoir l’enfant unique, primes et sanctions sont généralisées. Les résultats de cette politique sont plutôt satisfaisants en ville. En raison de nombreux problèmes à la campagne : réticences des familles qui perdent leur « protection vieillesse » (cf. supra), difficultés des cadres locaux à faire appliquer le programme, faux rapports, coercition et infanticide des filles…c, aboutissent à un assouplissement du programme. Des règles sont fixées autorisant une seconde naissance, par exemple dans les régions aux conditions difficiles ou encore, si la primo naissance est féminine.
Inévitablement, au ralentissement de l’accroissement naturel de la population [24] il faut associer à long terme, son vieillissement, la Chine ayant effectué sa transition démographique. C’est une question prématurée pour une Chine, en pleine croissance mais qui reste à bien des égards, sous-développée. À l’avenir, les autorités auront à répondre à la question des retraites d’une population de 60 ans et plus estimée à près de 24 % en 2030. Le problème du vieillissement de la population s’envisage à l’aune de ce qui se produit aujourd’hui dans les pays développés : redistribution intergénérationnelle et financement des retraites, impact sur le budget et les infrastructures médicales…c De même, les mesures à prendre doivent toucher l’épargne et l’investissement de tous les acteurs économiques que les marchés financiers, encore en développement devront assurer. Quoi qu’il en soit, la population chinoise est encore jeune et officiellement, le rapport démographique actuel est de 5,7 actifs pour 1 retraité [25]. La régression des naissances urbaines est compensée par l’excédent des zones rurales. À moyen et long terme, la principale priorité sera de créer un système de retraite ouvert à la population rurale ou d’étendre à toute la population le système en cours de modélisation.

Redynamisation de l’activité rurale

28En prélude aux réformes propres à la protection sociale, les autorités libèrent les ruraux de « l’étau » des communes populaires. Le but est de dynamiser l’économie rurale qui durant les premières décennies du régime n’a pas entièrement rempli ses objectifs d’autosuffisance. Ceci consacre le retour à l’exploitation familiale et à la réouverture des marchés ruraux. Les paysans peuvent choisir ce qu’ils produisent, conservent les surplus après livraison des quotas à l’État. En outre, afin de répondre à la situation de chômage ou de sous-emploi de 40 à 90 millions de ruraux, l’activité économique est diversifiée. C’est ainsi que sont créées les entreprises des villages et bourgs [26] dont le but est d’absorber cette surabondance de main-d’œuvre d’une part, et d’industrialiser les petites villes, d’autre part.

Réforme des entreprises d’État

29Un autre aspect majeur du processus de réformes des assurances sociales est son lien étroit avec la réforme du secteur d’État. Nombre d’entreprises d’État, SOE, sont peu rentables et déficitaires. Elles doivent néanmoins pourvoir seules au financement de la protection sociale (voir supra). Selon les estimations de la Banque mondiale, les taux des contributions requis atteindront 39,27 % des salaires en 2033 [27], si le système de pension de retraite reste inchangé et en admettant que la politique de limitation des naissances poursuive ses effets (réduction des naissances, vieillissement de la population, déclin de la main-d’œuvre). Le point fondamental est donc de délester rapidement les entreprises des charges provenant des assurances sociales.

30Dans le même temps, les autorités doivent faire face à la vague de retour des jeunes instruits (zhishi qingnian) en 1978-1979, qui sont autorisés à retourner en ville s’ils y trouvent un emploi [28]. Le système « dingti » permet alors, des départs à la retraite anticipés, provocant une hausse des dépenses des entreprises à ce poste. C’est dans le but de résoudre ce dilemme entre réduction du budget du secteur public et modernisation qu’au milieu des années quatre-vingt, le gouvernement envisage une réforme du système des retraites.

Les réformes : processus et contenu

31Les méthodes de réformes employées sont particulièrement intéressantes. Plutôt que donner un « coup de pied dans la fourmilière » et prendre le risque de déstabiliser totalement la société et le régime, les autorités optent pour une méthode graduelle, alliant prudence et détermination. Toute la période des réformes est caractérisée par des mouvements d’accélérations et de reculs en fonction des événements.

32Les zones économiques spéciales, plus prospères sont les premières à tester les réformes en matière de législation du travail. Au milieu des années quatre-vingt, apparaissent les contrats collectifs [29] et individuels de travail, les premières conventions collectives, les premières caisses d’assurances sociales. Progressivement, tous les dispositifs contribuant à la création d’un marché du travail sont expérimentés dans d’autres régions importantes en particulier Shanghaï et Pékin. L’adoption en juillet 1994 du premier Code du travail (Laodong fa) marque un tournant décisif [30]. Le livre IX est consacré aux assurances sociales et avantages sociaux qui en sept articles posent les principes généraux. Ses dispositions s’appliquent à toutes les entreprises privées ou publiques. L’une des difficultés réside dans l’introduction de la notion de « loi » dans les rapports de travail, tant pour les employés que pour les employeurs [31] : les employés refusent l’abandon du relatif confort que leur assuraient les entreprises. Les employeurs montrent des réticences à perdre de leurs pouvoirs et à assumer leurs nouvelles responsabilités.
Quatre objectifs sont fixés. La réforme de la Sécurité sociale, composante de la réforme des SOE, a pour but de redonner ses fonctions de production à l’entreprise en les déchargeant du poids de la gestion, la fourniture et le financement entier des cotisations sociales. Secondement, la couverture sera universelle. Troisièmement, l’objectif à long terme, d’un système de Sécurité sociale national et unifié nécessite la création d’un marché du travail dynamique permettant la mobilité de la main-d’œuvre et donc le transfert des cotisations (ce dernier point pose à moyen terme, le problème du hukou). Enfin, le principe de capitalisation partielle des fonds est posé.

La protection de la vieillesse : entre providence et privatisation

33• L’assurance vieillesse des employés des secteurs public et privé

34Lancée au milieu des années quatre-vingt, la réforme de l’assurance vieillesse (yanglao baoxian zhidu gaige) voit la création de caisses communes visant à unifier la gestion des pensions de vieillesse des employés des SOE et des COE. Les décrets n° 33/1991 et n° 6/1995 en fixent les principes : des standards unifiés, une gestion financière et administrative unifiée dans un fonds unifié (tongchou jijin). Ce qui revient à établir une couverture universelle de base aux travailleurs des secteurs publics et privés dont le financement est partagé entre l’État, les entreprises et les employés. La réforme doit en principe, s’appliquer à tous les travailleurs contractualisés. Conformément aux recommandations de la Banque mondiale, ce régime à plusieurs piliers comprend un régime de base, un compte individuel capitalisé obligatoire ainsi qu’un régime complémentaire correspondant à une épargne personnelle volontaire auquel l’employeur peut participer. La pension de base est un compromis entre la répartition et la capitalisation du compte individuel. Le calcul des retraites est composé d’une pension de base obligatoire forfaitaire et d’une pension dont le montant est lié au revenu. Ces principes sont généralisés en 1997 à toute personne accédant à un emploi contractualisé. Les critères d’éligibilité et la composition des fonds se répartissent comme suit :

  • âge de la retraite : 60 ans pour les hommes et 55 pour les femmes (cadres et personnel technique), 50 ans pour certains secteurs d’activités aux conditions de travail difficiles ;
  • pension de base (prestation définie et compte individuel) : la pension de base définie est comprise entre 20 et 25 % du salaire moyen régional ;
  • compte individuel capitalisé : la cotisation totale [32] est de 16 % du revenu dont 3 % aux frais de l’assuré (lesquels sont augmentés de 1 % tous les deux ans jusqu’à atteindre 8 %) et 13 % à la charge de son employeur (qui diminueront jusqu’à atteindre 8 % proportionnellement à l’augmentation susmentionnée). La pension mensuelle correspond au total des cotisations cumulées. Elle est soumise à une durée de cotisation minimum de 15 ans ;
  • pension complémentaire : elle est laissée au libre choix des employeurs, selon leur situation économique.
La réforme est d’abord testée dans les régions les plus prospères, au niveau administratif le plus bas, soit le canton puis étendue au niveau provincial. Fin 1996, 13 provinces pouvaient se targuer d’avoir procédé à l’unification de leur régime à ce niveau. La majorité de ces villes avait imposé à leurs régimes des critères universels pour ce qui est des taux de cotisations, du montant des prestations et des conditions d’ouverture de droits. D’après le ministère du Travail, les 32 provinces auraient effectivement procédé au regroupement sous un seul régime. Ainsi, en 1997, le regroupement des régimes de retraites couvrait un peu plus de 86 millions de travailleurs. Entre 1990 et 1997, le fonds a vu passer le nombre de retraités de 9,65 millions à 25,33 millions de personnes. Pour remédier aux effets de l’inflation sur le pouvoir d’achat, un principe d’indexation annuel a été adopté. L’innovation du système est qu’il est à la fois lié au salaire et à l’ancienneté.

35La principale difficulté de la réforme pour les entreprises est la coexistence de deux systèmes : elles doivent toujours verser les retraites de leurs anciens employés et contribuer au fonds nouvellement créé.

36• L’assurance vieillesse dans les zones rurales

37Dans la même mouvance réformatrice, un système d’assurance vieillesse est testé dans les zones rurales, dès 1987, sur proposition du CAE. Il part des régions littorales puis doit s’étendre aux régions intérieures. En 1991, le ministère des Affaires civiles lance un projet pilote dans le Shandong au niveau des districts (Xian ji nongcun shehui yanglao baoxian jiben fang’an). L’année suivante, le programme (prévu jusqu’en l’an 2000) est étendu à d’autres villes. Tout en postulant que les retraités ruraux doivent avant tout compter sur leur famille, les autorités organisent un système capitalisé basé sur le volontariat. La population concernée (70 % en 1994), l’irrégularité des sources et le niveau des revenus des ménages ruraux expliquent ce choix d’un système, somme toute, privé. Le fonds est construit sur la base d’un compte individuel agrémenté de subventions collectives. L’État quant à lui, se réserve un rôle d’orchestration. Le programme s’adresse à la population « rurale » non agricole qui ne reçoit aucun subside en grains de l’État [33] quel que soit son secteur d’activité. L’affiliation est ouverte à toute personne entre 20 et 60 ans. Les cotisations mensuelles varient de 2 à 20 yuans, la pension dépend donc des cotisations versées. Elles ne peuvent être investies qu’en bons du Trésor. Cette « épargne » peut être récupérée sous forme de pension ou de capital à l’âge de 60 ans. Le nombre de participants au fonds est passé de 34,77 millions de cotisants en 1994 à 70,35 millions en 1997, d’après le ministère des Affaires civiles.

38Bien que les principes et mécanismes de l’assurance vieillesse aient été posés, dix années plus tard, les défis à relever sont tout aussi ambitieux. L’accroissement du nombre de cotisants et d’entreprises participantes n’a pas suffi à régler le problème du paiement des cotisations sociales. Les SOE entrent souvent dans ce cas de figure. En raison de graves difficultés financières intimement liées à la restructuration qu’elles subissent, nombre d’entre elles ne peuvent verser les salaires, et pensions des retraités de l’ancien système [34]. Divers auteurs relatent le refus de certaines entreprises à cotiser ou encore, le cas le plus fréquent de détournement des contributions.

L’assurance médicale : une réforme sensible

39Le bilan de l’état sanitaire de la Chine de Mao est plutôt positif en termes de type de soins fournis et d’étendue géographique de la couverture médicale. Toutefois, les progrès enregistrés ont stagné après la Révolution culturelle et ce, quasiment jusqu’au début des années 1990 [35]. D’autres problèmes ont vu le jour ou se sont aggravés depuis. L’alourdissement de la charge des entreprises d’État, des problèmes d’ordre structurel et administratif, sont les principaux facteurs d’une réforme de l’assurance santé.

40Dès 1981, l’assurance médicale (yiliao baoxian zhidu) est remise en question et des réformes pilotes sont lancées mais jusqu’au début de 1990, les quelques tentatives locales de réformes conservent un caractère expérimental. En 1988 déjà, la création d’une Commission centrale chargée de la réforme de l’assurance maladie, préfigurait une nouvelle impulsion réformatrice. À partir de 1991, le processus s’accélère à la faveur des mesures prisent en matière de retraite d’une part, et de la tenue la première Conférence nationale sur la réforme de l’assurance médicale des provinces et préfectures, en novembre 1990, de l’autre. Cette dernière pose le principe d’un financement tripartite (État, employeur et salarié). En 1994, le CAE décide d’une nouvelle expérimentation de l’assurance médicale de base. Calquée sur le modèle des pensions de retraite, une réforme pilote est expérimentée à Zhenjiang et Jiujiang. Posant le principe de mise en commun des fonds, elle combine assurance médicale qui ne compense que les frais des maladies graves, et le compte médical individuel destiné à rembourser les soins de base. Dans ce modèle, il est prévu d’étendre la couverture à certains membres de la famille de l’assuré. Les cotisations sont augmentées, d’environ 10 % pour les employeurs et pour les salariés qui jusque-là cotisent à hauteur de 1 %, les taux seront progressivement augmentés pour atteindre ceux des employeurs. Les cotisations sont versées dans le compte médical de chaque salarié qui reçoit un montant annuel fixe pour régler ses frais médicaux, l’excédent lui revenant ou le surplus restant à sa charge. Entre 1996 et 1997, l’expérimentation de combinaison de l’assurance médicale et d’un compte médical a été étendue à 40 autres villes.

41Toutes les analyses des réformes de l’assurance médicale font état du caractère sensible de ce volet de la Sécurité sociale. Le gouvernement hésite quant à sa forme définitive. Là aussi, l’idée est de contenir les dépenses médicales. Pour les ménages cette dépense est passée, entre 1980 et 1996, de 14 à 233 yuans par personne (d’où l’impopularité de la réforme) et pour les entreprises cette charge a été multipliée par sept entre 1988 et 1997. Ces dernières, en restructuration, doivent supporter les coûts des assurances sociales des nouveaux employés et des retraités. Or, les SOE qui ont le plus de difficultés à mettre en œuvre la réforme sont précisément celles qui ont le plus de retraités à charge pour lesquelles elles doivent rembourser les frais médicaux, en raison de leur ancienneté. Ces raisons expliquent sans doute que la réforme de l’assurance médicale n’ait connu aucune extension notable jusqu’en 1998 où la phase d’expérimentation locale prend fin et s’étend au niveau national [36].
On l’a évoqué plus haut, jusqu’en 1997, il n’y a toujours pas de généralisation de la réforme de l’assurance maladie. Cependant, les avantages du système de « compromis » entre répartition et capitalisation du fonds de l’assurance vieillesse, financièrement moins lourd et plus équilibré portent à croire que c’est l’option de combinaison d’un fonds commun et d’un compte individuel qui constituera le principe de financement de l’assurance maladie [37]. On assiste donc à une privatisation partielle de l’assurance médicale qui semble atteindre son objectif de limitation des dépenses mais suscite le mécontentement populaire qui voit augmenter également le coût des soins médicaux et pharmaceutiques. Si le compte médical présente l’avantage d’être moins coûteux à moyen et long terme, l’avenir dira quel est le « coût » sanitaire d’une telle pratique.

Le risque chômage : naissance, compensation et la politique de l’emploi

42La lexicologie chinoise en matière de chômage (shiye) est abondante. Le terme générique, apparu à la fin des années quatre-vingt recouvre différentes catégories de « sans-emploi » : les travailleurs en attente d’un emploi (jeunes diplômés et autres, euphémisme pour chômeurs) (daiye), le personnel excédentaire des entreprises (fuyu renshu) ainsi que les chômeurs techniques (xiagang) [38]. Ces distinctions n’apparaissent pas dans les statistiques du chômage, d’où la nécessité de les identifier [39]. Ces considérations sur le vocabulaire reflètent les différentes approches économiques qui se sont succédé : d’une part, la planification qui nie l’existence du chômage et monopolise la distribution des ressources de l’emploi ; le socialisme de marché de l’autre, qui le reconnaît partiellement et promeut des mesures de traitement publiques et privées.

Encadré : Fonds et allocation chômage

• Critères d’éligibilité : les droits sont ouverts aux résidents urbains n’appartenant pas à la population agricole âgée de 16 à 60 ans pour les hommes et 16 à 50 pour les femmes ; l’inscription préalable dans une agence pour l’emploi ou tout autre organisme public de recherches d’emploi ; être disponible pour un nouvel emploi.
• Durée de l’allocation : cinq années d’activité donnent droit à une allocation dégressive de 24 mois correspondant à 60-75 % du salaire de base (hors primes et aides) la première année, 50 % la seconde.
• Montant des contributions : employeurs 2 % de la masse salariale totale, employés 1 % du salaire.
• Prestations du fonds : frais médicaux de base, frais de reconversion éventuels, frais décès et maternité sont pris en charge par le fonds.
• Sont exclus de toute allocation chômage : les personnes ayant retrouvé un emploi, les personnes ayant refusé deux fois un nouvel emploi sans raison valable, les personnes en rééducation ou ayant fait l’objet d’une condamnation et les migrants contractualisés des entreprises de villes et bourgs.

43La période maoïste lègue 10 à 30 millions de travailleurs urbains sans emploi en 1982 et près de 40 à 90 millions de ruraux [40]. Il faut attendre quatre ans pour voir un texte légiférer en la matière et éclairer sur le traitement du chômage : le Règlement provisoire pour l’assurance des employés et ouvriers des entreprises d’État en attente d’un emploi (Guoying qiye zhigong daiye baoxian zànxing guiding). Il répond à l’introduction des contrats de travail (1986) et à la possibilité de licencier (1988), lesquels mettent fin à la garantie de l’emploi à vie assuré par « le fer du bol à riz ». Ses thèmes principaux sont : appuyer la réforme du système de l’emploi ; promouvoir le flux rationnel de la main-d’œuvre ; fournir un revenu de base aux chômeurs ; maintenir la stabilité sociale. En somme, ce règlement de 1986 fonde l’assurance chômage et modifie les définitions de l’emploi, du travail en introduisant les bases juridiques nécessaires à l’établissement d’un marché du travail flexible.

44Dans un premier temps, l’assurance chômage (daiye baoxian) réservée aux entreprises d’État se propose de garantir une allocation aux licenciés économiques, aux employés en rupture de contrats, quels qu’en soient les motifs et aux employés des entreprises déficitaires. Pour ce faire, un fonds d’indemnisation du chômage est créé (daiye jiu jijin). Le principe de partage des contributions est adopté et les gouvernements locaux n’interviennent qu’en cas de déficits éventuels. L’allocation est soumise à condition d’affiliation minimum d’un an. Elle offre à ses affiliés, la compensation des frais médicaux de base, de recherche d’emploi et de formation éventuelle ainsi que les allocations décès et maternité.
L’amendement de 1993, Règlement sur l’assurance chômage des salariés des entreprises urbaines (Guoyou qiye zhigong daiye baoxian guiding) apporte peu de modifications si ce n’est qu’il étend la réforme à toutes les entreprises et soumet les cotisations à l’ancienneté. Les entreprises collectives urbaines versent entre 0,6 % et 1 % de leur masse salariale, selon leur situation financière. L’allocation mensuelle est comprise entre 120 et 150 % de l’allocation régionale de protection minimum des besoins de base (zuidi shenghuo baozhang jiuji). Cette compensation est résolument basse. Elle est inférieure au minimum salarial régional et légèrement plus élevée que l’allocation régionale de protection minimum des besoins de base, manifestement pour stimuler les chômeurs à retrouver rapidement un emploi. La durée du versement de l’allocation reste inchangée. Le département du ministère du Travail estime qu’à la fin de 1994, 95 millions de salariés étaient couverts par le régime duquel 3,5 millions de chômeurs auraient reçu une allocation entre 1987-1994. Parmi eux, 2 millions auraient retrouvé un emploi sur la période précitée.

Chômage enregistré en Chine, 1990-1999 (millions)

figure im2

Chômage enregistré en Chine, 1990-1999 (millions)

Source : Annuaire statistique de la Chine, différentes années.

45La principale difficulté, en cette période de transition est la collecte et le paiement des contributions. Par ailleurs, les mesures et modes d’applications aux soins des gouvernements locaux, génèrent des disparités régionales de couverture, de répartition et de distribution de l’assurance chômage.

En guise de conclusion…

46La première rupture avec les méthodes pratiquées sous le régime de Mao s’exerce tout d’abord par un échelonnement du processus des réformes. Après une période préparatoire (1978-1983), suit une période d’expérimentations (1984-1993) et enfin, une phase d’accélération et de mise en place d’un corpus juridique (1994-1997). Dans ses principes directeurs, les réformes sont résolument tournées vers le futur : répartition, capitalisation et assurance volontaire. L’esprit des réformes combine les notions d’assistance, de responsabilité individuelle et collective, et les impératifs de la privatisation économique. En effet, les autorités voient dans la capitalisation partielle des fonds, un moyen de limiter son financement des assurances sociales et à terme, d’accumuler des réserves tout en assurant les compensations actuelles.

47Forte de ces acquisitions, la réforme est actuellement en phase de consolidation et de réajustement. En effet, les imperfections du système se sont accentuées au milieu des années quatre-vingt-dix. Au premier chef, la collecte des contributions sociales. Deuxièmement, la couverture qui devait toucher en l’an 2000 tous les travailleurs n’a pas atteint son objectif. Ainsi, les détenteurs de hukou rural travaillant en ville n’ont que rarement accès à une couverture sociale, même si leur emploi est contractualisé. On voit là une lacune importante des réformes qui lie la majeure partie de son programme de protection sociale au travail mais qui cloisonne la définition du travailleur à une ségrégation urbain-rural. La population migrante est également exclue de l’affiliation au régime de Sécurité sociale. Quant à la population rurale dans son entier, elle reste largement en retrait dans ce projet de réformes, même si, on l’a évoqué, un système d’assurance vieillesse est encore en cours d’expérimentations.

48Troisièmement ce projet est ambitieux et nécessite une croissance soutenue que la surchauffe économique de 1994, le décès de Deng Xiaoping ou la crise financière asiatique en 1997 n’ont pas ou peu ralenti. Partie d’expériences localisées et réservées aux entreprises publiques, la réforme a été étendue aux entreprises collectives urbaines et procède actuellement à celui des entreprises collectives rurales pour la création de fonds communs gérés au niveau local et selon leurs ressources par des Comités de la Sécurité sociale (shehui fuli weiyuanhui). Or, aujourd’hui, il n’est pas attesté que tous les types d’entreprises urbaines participent aux fonds socialisés, malgré un discours officiel allant dans ce sens.

49La forme privilégiée par le gouvernement pour rénover le système de protection sociale consiste à expérimenter dans différentes régions des systèmes distincts, à les ajuster au fur et à mesure que les difficultés apparaissent. Si l’ambition première est de fonder un système de protection sociale universelle, l’entreprise s’avère problématique si l’on considère l’espace concerné, la diversité des acteurs impliqués, les ressources financières à mobiliser, l’organisation requise, eu un mot, l’ampleur des réformes structurelles qu’il reste à accomplir. L’inexpérience et la crainte du chaos en cas d’échec d’une réforme nationale, expliquent la modération et la lenteur de la généralisation des réformes. Le discours officiel le justifie en raison des disparités et des inégalités de développement entre un Est riche et un Ouest pauvre.

Bibliographie

Bibliographie

  • Alexandre Véronique, « La Chine, un défi statistique », Le Courrier des statistiques, 1995.
  • Aubert Claude, La société chinoise après Mao : entre autorité et modernité, Paris, 1986, 336 p. (collectif).
  • Bergère Marie-Claire, La République populaire de Chine, de 1949 à nos jours, 1989, 331 p.
  • Blayo Yves, Des politiques démographiques en Chine, Paris, coll. « Regards sur le monde », Éditions Sociales, 1997.
  • Cailliez Charlotte, « L’effondrement du système de santé rural », Perspectives chinoises n° 47, 1998.
  • Domenach Jean-Luc, L’archipel oublié, 1992, p. 162-165.
  • Domenach Jean-Luc et Richer Philippe, La Chine, T. I, II. Paris, 1995, 727 p.
  • Eyraud Corinne, L’entreprise d’État chinoise : « de l’institution sociale totale » vers l’entité économique ?, 1999.
  • Hu Angang (Ed), Perspectives de développement de la Chine, Édition populaire du Zhejiang, 1999, (en chinois).
  • Huchet Jean-François, « Quelle retraite pour la Chine ? Vers l’établissement d’un système national de protection sociale », Perspectives chinoises n° 36, 1996.
  • Hochraich Diana, La Chine de la Révolution à la réforme, 1995.
  • Kernen Antoine, Rocca Jean-Louis, « La réforme des entreprises publiques en Chine et sa gestion sociale ; le cas de Shenyang et du Liaoning », Les Études du CERI n° 37, 1998.
  • Leung Joe, Dismantling the Iron Rice Bowl : Welfare Reforms in the PRC, Journal of social politics, 23.3. p. 341-361.
  • Maurice Marie-Ange, La protection sociale en RPC : traits généraux et réformes majeures (1949-1997), Mémoire, Inalco, 1998.
  • Ming Lu, Zhao Chen, « La réforme du système d’emploi en Chine », La lettre du CEE n° 62, 2000.
  • Pairault Thierry et Morin Alexandre, La Chine au Travail (T. 1), Les sources du droit du travail, GEC, Centre Chine-EHESS, Expert Comptable Média, 1997.
  • The World bank, Old Age Security : Pension Reform in China, China 2020, 1997, 89 p.
  • Rocca Jean-Louis, Old Working Class, New Working Class : Reforms, Labour Crisis and the two Faces of Conflicts in Chinese Urban Areas, papier présenté dans le cadre d’une conférence sino-européenne à l’université autonome de Madrid, 1999.
  • Rocca Jean-Louis, « Three at once » : the multidimensional scope of labour crisis in China, papier présenté à une conférence CERI, Sciences Po, Paris, 1999.
  • Tao Jingzhou, Droit chinois des affaires, Economica, 1999.
  • China Statistical Yearbook, Bureau national des statistiques, 1999, Beijing, Chine.
  • Zhongguo tongji zhaiyao, 2000, p. 8.

Notes

  • [*]
    Diplômée de l’Inalco, actuellement rattachée au département Lettres et Civilisations de l’Asie orientale de l’université de Jussieu (Paris 7). Ses thèmes de recherches concernent les politiques sociales et de l’emploi dans la Chine contemporaine. Elle effectue le même type de recherches au sein de l’OCDE.
  • [1]
    Cf. la présentation de la réforme par V. Alexandre et M.-A. Mercier ci-après.
  • [2]
    Les travaux sur la protection sociale ont suivi le rythme des réformes et sont aujourd’hui plus nombreux. C’est en quelque sorte de la synthèse de ces recherches, de Chine et d’ailleurs qu’est issue notre recherche. On doit souligner ici les apports des travaux de Thierry Pairault et Alexandre Morin, qui offrent un éclairage juridique sur les réformes, cf. La Chine au Travail (T. 1), Les sources du droit du travail, 1997 ; Diana Hochraich, La Chine de la Révolution à la réforme, 1995 nous livre son regard d’économiste. Corinne Eyraud apporte quant à elle, un regard sociologique sur le rôle social de l’entreprise : L’entreprise d’État chinoise : de l’institution sociale totale vers l’entité économique ?, 1999. Dans une perspective historique, on lira le détail des prestations et l’analyse du processus de réformes, Marie-Ange Maurice, La protection sociale en RPC : traits généraux et réformes majeures (1949-1997). Mémoire, Inalco, 1998.
  • [3]
    Nous établissons ici une distinction entre les programmes propres aux assurances socioprofessionnelles pourvues par l’État et les mécanismes de redistribution et d’aides sociales.
  • [4]
    Sur l’ambition égalitaire maoïste et l’homme nouveau, l’organisation de la société chinoise se reporter à Jean-Luc Domenach : L’archipel oublié, 1992, p. 162-165.
  • [5]
    Cf. Marie-Claire Bergère, La République populaire de Chine, de 1949 à nos jours, 1989, 331 p. ; C. Aubert, La société chinoise après Mao : entre autorité et modernité, Paris, 1986, 336 p.
  • [6]
    In, La société chinoise après Mao : entre autorité et modernité, p. 44. Dans le vocabulaire socialiste chinois, la catégorie des ouvriers « gongren » recouvre différentes réalités et statuts pour lesquels nous ne ferons pas de distinctions ici. Il en va de même pour la catégorie plus large des « zhigong » – contraction de zhiyuan gongren –, i. e les salariés des entreprises d’État.
  • [7]
    Le bol symbolise le contenant, le riz le contenu et le fer la durée.
  • [8]
    Cf. Pairault, 1997.
  • [9]
    Hua Chengming au contraire, soutient l’idée que le pouvoir a brisé les solidarités familiales en se substituant à elles. Cela était certes, l’ambition du pouvoir, mais il a échoué dans cette entreprise en raison des contradictions dans son propre discours. En matière de protection sociale, le politique souligne l’importance de la famille comme principal recours. In, La société chinoise après Mao : entre autorité et modernité, Paris, 1986, 336 p.
  • [10]
    L’idée est ici de multiplier la force productive afin de favoriser les mécanismes de redistribution intergénérationnelle.
  • [11]
    À la prise de pouvoir en 1949, l’impératif de reconstruction, le contexte international (guerre de Corée) et la « fratrie » idéologique d’alors, expliquent la « soviétisation » de la Chine. La planification centralisée, la priorité à l’industrialisation, la collectivisation de l’agriculture, le leadership du Parti, l’organisation sociale et institutionnelle sont les « outils » récupérés au « grand frère » pour assurer l’enrichissement du pays (fuqiang) et la victoire de la construction socialiste par la dictature du prolétariat. Les difficultés rencontrées par Pékin pour obtenir la coopération soviétique, les antagonismes idéologiques (sur la direction du camp socialiste et le lancement du Grand Bond en avant) ainsi que les positions internationales de l’URSS vont amener à la rupture sino-soviétique en 1960 et à l’abandon de ce modèle.
  • [12]
    Jusqu’à la Révolution culturelle, date à laquelle, elle est dissoute, c’est la Fédération des syndicats qui gère les fonds de la Sécurité sociale.
  • [13]
    Dans les catégories chinoises de la protection sociale, le programme WUBAO est identifié dans le programme d’aide sociale. Les cinq garanties existent encore aujourd’hui et touchent 2,791 millions de personnes en 1997.
  • [14]
    Les campagnes patriotiques d’hygiène mobilisent la population pour accomplir des activités destinées à modifier le comportement personnel et public des individus. Elles mobilisent les masses autour de thèmes tels que la propreté de l’environnement, la lutte contre les bestioles nuisibles, l’hygiène alimentaire (assainissement de l’eau, nettoyage des aliments), l’hygiène des enfants, la lutte contre les maladies vénériennes ou la lutte contre la drogue…c Outre une œuvre d’éducation, les campagnes de masse entraînent une mobilisation « active » de la population qui doit réaliser matériellement ses objectifs. En matière de planning familial, les prestations sont gratuites de manière à faire accepter les objectifs nationaux, surtout depuis la campagne « watt, xi, shao ». En outre, elles sont entièrement financées par l’État.
  • [15]
    Les médecins aux pieds nus ne sont pas à proprement parler des médecins mais du personnel formé à identifier et à traiter un certain nombre de maladies.
  • [16]
    La brigade est une division des communes populaires (créées en 1958). Ces dernières étaient divisées en brigades et en équipes de production. La brigade est la fusion des anciennes coopératives rurales, elle correspond au village. Lors du lancement du Grand Bond en avant, les communes étaient la principale unité de gestion. Avec le réajustement d’août 1958, l’unité de gestion de base redevient la brigade.
  • [17]
    RCMS : rural coopérative médical system.
  • [18]
    De 87,5 % en 1952, la population rurale passe à 82,1 % de la population en 1978. Elle compose encore en 1999, 69,1 % de la population. In Annuaire statistique du travail de Chine, 2000. Le chiffre officiel reflète une distinction administrative des urbains et ruraux (selon l’enregistrement des foyers, hukou) et non l’activité (population agricole, non agricole). Il tait également la réalité de la ruralité ou de l’urbanisation des zones où la population est enregistrée.
  • [19]
    En 1949, conformément aux théories marxistes, Mao estime que la limitation des naissances n’est pas souhaitable. Il encourage même une nombreuse descendance. Ce n’est qu’à partir du recensement de la population de 1953, établissant la population à 553 millions d’âmes que les autorités prennent conscience du problème. Une première campagne est lancée en 1956 mais est avortée avec le premier Bond en avant. Il faut attendre 1962 pour qu’enfin un lien soit effectué entre population et développement économique et qu’une véritable politique de contrôle de naissance soit lancée.
  • [20]
    Ce seuil de subsistance de base sert encore aujourd’hui, mais a été reformulé au niveau des comtés. Ainsi, une province peut compter plusieurs seuils de subsistance différents, distincts du seuil de pauvreté.
  • [21]
    Cf. note 19.
  • [22]
    Cf. Y. Blayo, Des politiques démographiques en Chine, Paris, coll. « Regards sur le monde », Ed. Sociales, 1997.
  • [23]
    Disposition du chapitre Ier, art. 25 de la Constitution de 1982 : « l’état encourage le planning familial pour assurer l’harmonie entre la croissance démographique et les plans de développement économique et social » ; et aussi, chapitre II art. 49, «… le mari comme la femme ont le devoir de pratiquer le planning familial ».
  • [24]
    Ce taux passe de 12 ‰ en 1978 à 10,06 ‰ en 1997 en passant par un pic de 16,61 ‰ en 1987. La régression du taux d’accroissement naturel urbain passe progressivement de 10,95 à 8,94 ‰ entre 1989 et 1997 pour les urbains tandis que pour les ruraux, il passe de 16,46 à 10,53 ‰, mais par paliers.
  • [25]
    In, Jean-François Huchet, « Quelle retraite pour la Chine ? Vers l’établissement d’un système national de protection sociale », Perspectives chinoises n° 36,1996.
  • [26]
    TVE : Township and Village enterprise.
  • [27]
    In, Old Age Security : Pension Reform. China 2020, The World Bank, BIRD, 1997.
  • [28]
    Pour aller plus loin, Feng Lanrui, « Comparaisons entre les deux grandes vagues de chômage en Chine pendant la dernière décennie », in Revue internationale des sciences sociales, n° 127, 1991.
  • [29]
    Les contrats collectifs sont apparus au milieu des années quatre-vingt faisant suite à la mise en place du système de responsabilités (fin 1970), qui vise à lier rémunération et production et qui a progressivement mis fin à la collectivisation (1984).
  • [30]
    Le Code est entré en vigueur le 1er janvier 1995.
  • [31]
    Ce n’est plus vrai aujourd’hui pour les employés. Dans le cadre d’une journée d’étude à l’OCDE en 2000, Isabelle Thireau relevait de ses observations du Bureau des plaintes, un accroissement des conflits du travail au cours des années quatre-vingt-dix et les transformations de la terminologie utilisée par les plaignants : le recours aux principes socialistes et au droit. Ces mutations témoignent d’une part, de l’intégration progressive du droit dans les relations du travail mais également de l’ambiguïté des relations face à un régime qui combine autoritarisme et lois du marché, d’autre part.
  • [32]
    La formule de la prestation définie est : A/120, où A représente le solde total cumulé du compte individuel et le facteur 120 représente dix ans d’espérance de vie à l’âge de la retraite. Ce facteur serait en fait basé sur l’espérance de vie à la naissance et sous-estimerait le nombre d’années moyen pendant lesquelles il faudra effectivement verser une pension. Un plan de transition pour les personnes vivant encore plus de dix ans après leur retraite a été prévu.
  • [33]
    Le lieu d’enregistrement des ménages (hukou) et non l’activité détermine le caractère « rural » de la population.
  • [34]
    Sur ce sujet, voir les travaux de J.-L. Rocca, A. Kernen, J.-P. Béja (sur la réforme des SOE, et des études sur la ville de Shenyang, dans le Liaoning) ; également, Han Dongfang (sur les revendications ouvrières depuis 1989).
  • [35]
    Le démantèlement des communes populaires à partir de 1983 a mis à rude épreuve la couverture médicale et plus particulièrement, le système médical de la coopérative rurale. Le financement collectif a été plus ou moins abandonné, et en 1993, seul 10 % des villages sont encore couverts par ce système (cf. Cailliez, 1998) Par ailleurs, l’effectif médical aurait diminué de 50 %. L’introduction des lois du marché a contribué à accroître le prix des services médicaux et pharmaceutiques. En outre, nombre de médecins ont soit quitté les zones rurales soit se sont reconvertis dans d’autres activités plus lucratives.
  • [36]
    Cf. la présentation de la réforme de V. Alexandre et M.-A. Mercier.
  • [37]
    Deux décisions ont été prises depuis. En 1998, le décret du CAE sur l’établissement d’une assurance médicale de base pour les salariés des villes et bourgs établit les principes suivant : une prestation de base très basse, mais une large couverture (i e. tous les types d’entreprise d’institution et d’organisation, exceptées les entreprises des villages et des bourgs (TVE) ; une charge partagée : la part de l’employeur est d’environ 6 % de la masse salariale totale et celle du salarié 2 %) ; la combinaison des systèmes de répartition et de capitalisation.
  • [38]
    La catégorie des xiagang existait déjà dans les années cinquante. Aujourd’hui, elle constitue une part importante des chômeurs « cachés ». Pour employer une terminologie correspondante, les xiagang sont à l’origine des chômeurs techniques car bien que ne travaillant plus pour leur ancienne unité, ils conservent leur lien juridique avec l’entreprise (le contrat n’est pas rompu) et devraient théoriquement toucher une part de leur salaire ou une indemnité. Or, l’accélération de la réforme des entreprises d’État a vu s’accroître le nombre de ces personnes mises à pied (6 760 millions de personnes en 1998). Dans les faits, leur situation est celle de véritables chômeurs. Ils constituent une nouvelle catégorie sociale et font l’objet d’une politique prioritaire en matière d’emploi, de formation et de protection sociale dans le nouveau contexte socio-économique. Ils appartiennent aussi à la nouvelle pauvreté urbaine.
  • [39]
    Les données officielles du chômage ne mesurent que les chômeurs enregistrés et n’incluent pas les catégories citées supra. Plusieurs estimations du chômage réel circulent aujourd’hui, tenant compte de ces différentes catégories. Ainsi, pour l’année 1997, le nombre de chômeurs (xiagang inclus) serait alors de presque 9 millions de personnes soit un taux de chômage urbain relativement bas de 4,3 % à l’échelle nationale. Les chiffres ne reflètent rien de l’amplitude du chômage en Chine. Il tait également la situation de chômage des ruraux : HU Angang (1999) l’estimait à 34,8 % en 1997. À l’inverse, l’intensification des politiques de lutte contre le chômage et du phénomène xiagang, la multiplication des recommandations au milieu des années quatre-vingt-dix sont autant de manifestations de l’ampleur du problème.
  • [40]
    Cf. Marie-Claire Bergère, p. 173.
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