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Article de revue

Notes de lecture

Pages 587 à 596

English version

Arnaud FOSSIER, Johann PETITJEAN et Clémence REVEST, Écritures grises. Les instruments de travail des administrations (xiie-xviie siècle), Paris, École des chartes-École française de Rome, 2019, 661 pages.

1Alors que l’histoire de l’administration n’a été que peu investie par les sciences sociales au xxe siècle, elle fait l’objet d’un vif regain d’intérêt depuis une vingtaine d’années tant du côté des historiens du droit que des historiens non juristes. C’est dans ce champ des sciences sociales que se situe l’ouvrage coordonné et dirigé par A. Fossier, J. Petitjean et C. Revest, tous trois formés à la prestigieuse École française de Rome. Malgré un objet qui peut sembler restreint et technique (les instruments de travail des administrations), il s’agit d’une contribution tout aussi imposante qu’importante à la compréhension de l’histoire même de tout pouvoir et, partant, il s’agit d’un ouvrage qui fera date dans ce que les historiens nomment, par commodité, l’histoire de l’État.

2L’ouvrage est imposant à plus d’un titre. D’une part il s’agit d’une œuvre collective et, partant, d’une collection de contributions sur des points extrêmement précis des écritures administratives ; ils exigeront de la part du lecteur non historien une attention soutenue tant s’y déploie l’érudition sans faille des auteurs (en témoigne l’appareil scientifique des études qui est digne des meilleures thèses) et tant les études peuvent porter sur des sujets ou des objets qui pourraient paraître aujourd’hui révolus. Mais, d’autre part, c’est l’aspect collectif de l’œuvre qui autorise l’exploration du temps long et des grands espaces. C’est en effet toute l’Europe méditerranéenne qui sert ici d’échelle. Ce sont ensuite près de cinq siècles : de la « révolution des écritures » du xiie siècle à la formalisation des écritures au temps des États modernes, cette histoire au long cours permet de conceptualiser ou de théoriser la façon dont les instruments de travail administratifs assoient et/ou affermissent les gouvernements. Tout l’avantage d’une telle approche est qu’elle permet le comparatisme et dans le temps et dans l’espace.

3L’ouvrage est important dans la mesure où, précisément, les 29 études – qui sont autant de « collections de cas » – sont intellectuellement ordonnées autour de trois parties « exploratoires » elles-mêmes sous-divisées en onze chapitres thématiques (le lecteur y trouvera chaque fois une présentation introductive qui souligne l’aspect dominant et original des cas présentés). Une telle somme nécessitait d’obéir à un projet scientifique, de s’inscrire dans un projet ou un programme de recherche. Ce projet est parfaitement cerné par une introduction substantielle et au titre parlant : « Pour une histoire pratique de l’administration » (p. 5-28). Ses auteurs (Arnaud Fossier, Johann Petitjean et Clémence Revest) rappellent simplement que l’ouvrage se situe « à la croisée de deux lignes directrices de la recherche historique : les processus de construction étatique et l’essor des technologies de l’écrit ». Si l’histoire de l’État a fait l’objet depuis longtemps de très nombreuses études, celles-ci sont surtout consacrées aux grandes fictions juridiques, à commencer par l’étude de la souveraineté. Mais, à juste titre, les auteurs soulignent que l’État comme concept ne rend pas compte de l’État réel et concret dans sa période de gestation et d’élaboration. En un mot, ce sont les administrations qui réalisent l’État et les études à leur sujet restent trop rares. Cet écueil tient au fait, probablement, que l’administration elle-même a été trop conceptualisée et, partant, traitée comme une abstraction (la fameuse bureaucratisation et la domination légale rationnelle chère à la sociologie). Afin de se défaire des abstractions pour tenter d’épouser le concret, les auteurs défendent l’idée qu’il faut aborder l’administration par ses jeux d’écritures, lesquels se révèlent dans ses instruments de travail. Ainsi l’administration sera étudiée « comme une manière effective d’exercer le pouvoir ». Une telle approche convainc d’autant plus que les xii-xiiie siècles se caractérisent par une révolution des pouvoirs comme en témoigne « la révolution documentaire » des administrations à leur soutien. Sous le terme de « littérature grise », il va donc être question de s’intéresser à tous les instruments de travail des administrations qui d’ordinaire ne sont pas divulgués et/ou publiés dans la mesure où ils ont vocation à rester dans l’ombre du pouvoir. Les étudier, c’est pourtant voir l’élaboration du pouvoir, c’est comprendre son exercice quotidien et de détail, c’est enfin comprendre la façon dont il peut asseoir sa domination. En un mot, « l’histoire des écritures administratives permet de penser une histoire vécue de la “genèse de l’État moderne” » (p. 24). C’est à insister sur l’importance de l’écrit comme instrument pour gouverner qu’est consacré un Prologue sous le titre « Les temps des écritures grises. Formation et temporalités du gouvernement par l’écrit (v. 1080-v. 1350) » (p. 29 s.). Il s’agit de souligner que l’institutionnalité des pouvoirs s’accompagne toujours d’une institutionnalisation des pratiques et, partant, des écritures administratives. Il en résulte deux niveaux de langage. Un langage supérieur tend à se fixer ; c’est celui notamment des diplômes et des chartes ; il trahit une standardisation du langage du pouvoir. Le langage inférieur est celui de l’administration, qui parle le langage pratique de la gouvernementalité des hommes et des choses. Or ce langage tend lui aussi à se fixer dans des formes que sont celles des listes, des inventaires, etc. Par souci de classer, mais également d’uniformiser, les écritures grises accèdent peu à peu à la standardisation. Les juristes occupent évidemment une place de choix dans ce travail. Non seulement ils multiplient – et font exploser – les écritures (les notaires occupent une place essentielle), mais en outre les stéréotypes de l’écriture juridique favorisent la standardisation des formes et des écritures (souci de normer afin d’offrir au pouvoir les moyens de s’inscrire dans le temps).

4C’est à partir de cette philosophie d’ensemble que les 19 contributions, conçues comme une mosaïque de cas, vont être organisées en trois parties thématiques. La première, sous le titre « Règles, formes et modèles d’écritures administratives » (p. 65-211), embrasse en quelque sorte les typologies desdites écritures. Fort logiquement un premier chapitre porte sur « La matrice notariale » (p. 67-102). Les deux contributions réunies ici portent sur l’Italie communale du xiiie siècle où l’on recourt aux notaires, du fait de leurs compétences techniques, « pour produire la documentation nécessaire aux affaires de gouvernement ». Les deux contributions du second chapitre (« Le style administratif, entre théorie et pratique », p. 103-160) portent sur l’étude du langage propre aux documents administratifs médiévaux. Le troisième chapitre, intitulé « De l’officieux à l’officiel. Les itinera de l’écriture » (p. 161-211) regroupe trois contributions dont le point commun est qu’elles s’efforcent de reconstituer les maillons d’une chaîne dans la fabrication des textes officiels. Il s’agit par exemple d’étudier comment se constituent en amont les registres des comptes royaux au xiiie siècle. La seconde partie de l’ouvrage, sous le titre « Logiques de production documentaire » (p. 212-435), interroge les différents instruments de travail des administrations tels qu’ils se figent à compter du xiiie siècle. C’est ainsi que le chapitre V porte sur « Le dossier » (p. 213-246). Les deux contributions qui y sont relatives ont en commun le mérite non pas de nous les décrire, mais d’expliquer la façon dont ils se constituent en écritures, pièces, etc. On ne s’étonnera pas de rencontrer ici, une nouvelle fois, toute l’importance du droit dans la formalisation des écritures, sachant que les dossiers étudiés portent sur, d’une part, des contestations territoriales au xve siècle et, d’autre part, sur les suppliques et pétitions adressées aux autorités politiques dans la Toscane du xviie siècle. Employé par le pouvoir ecclésiastique puis, sur son modèle, par le pouvoir laïc, « Le questionnaire » fait l’objet du chapitre V (p. 247-278). La formalisation des questions dans le cadre des visites pastorales est un moyen à la fois de bien administrer un diocèse comme elle est le moyen d’imposer les réformes ecclésiastiques dans l’Italie du Nord à la fin du Moyen Âge. Le chapitre VI, quant à lui, a pour objet « Les registres » (p. 279-312). Les deux contributions qui en traitent portent sur le droit municipal (en Italie et à Marseille) et témoignent du souci de démontrer que les registres ne sont pas l’accumulation neutre de données, mais sont au contraire organisés de façon dynamique à des fins de connaissance et de bonne administration. Dans un domaine proche et suivant une démarche similaire, le chapitre VII est intitulé « De la liste à l’inventaire » (p. 313-355). Les trois contributions réunies ici ont en commun de décrypter la façon dont l’inventaire est intellectuellement construit à des fins d’opération de mise en ordre. La seconde partie de l’ouvrage se clôt sur un chapitre VIII relatif aux archives administratives (« Archiver », p. 356-434). Les quatre contributions ont pour objet de comprendre les raisons qui incitent à conserver les écritures à une époque où leur massification oblige à les ordonner. Précisément, conserver une mémoire ordonnée du pouvoir ne peut que l’accroître, ne serait-ce qu’au plan symbolique. Une fois les instruments de travail de l’administration ainsi cartographiés, la troisième partie de l’ouvrage s’intéresse à leur circulation à différentes échelles (« Circulations et jeux d’échelles », p. 435-615). Le premier chapitre, « Gouverner à distance » (p. 437-493), administre la preuve que les documents administratifs en sont évidemment le moyen. Tant pour les Génois en Corse aux xv-xvie siècles que pour l’Espagne à l’égard de son empire (Pays-Bas espagnols et « Indes » espagnoles). Le chapitre X, sous le titre « Territorialités » (p. 495-561), explore cette fois la circulation des écritures grises au sein d’un territoire soumis à un même pouvoir, qu’elles tendent ainsi à définir, voire à homogénéiser. Cette territorialité peut être à grande échelle comme en témoigne la contribution relative aux inventaires de Rome (« les provinciaux de l’Église romaine »). Enfin, trois contributions sont consacrées à former le chapitre XI sous la dénomination « Dialogues, conflits, transferts » (p. 563-615). Comment s’articulent, s’agencent ou se confrontent les écritures administratives entre les différents gouvernements ? Plutôt que de comporter une conclusion qui probablement fait défaut, l’ouvrage se termine par un épilogue intitulé « La révolution silencieuse du règne de Louis XIV. L’écrit documentaire en France vers 1700 ». Son auteur (Olivier Poncet) y souligne ce que les historiens du droit savent depuis longtemps par leurs travaux (on regrettera qu’ils ne soient pas cités), à savoir que l’État moderne de la monarchie dite pour cette raison « administrative » se caractérise par un royaume devenu un océan de papier : c’est la conséquence d’une « gouvernementalité » accentuée du fait que le pouvoir est en train d’asseoir définitivement la discipline sociale. Le droit y contribue pour beaucoup. C’est par lui – comme en témoigne cet âge d’or de la police – que l’on tient les hommes et les choses.

5Grégoire BIGOT

6Université de Nantes

Wanda MASTOR, L’art de la motivation, substance du droit. Mieux motiver pour mieux juger, Paris, Dalloz, Les sens du droit essai, 2020, 178 p.

7L’importance de cet essai réside dans son titre même tandis que son sous-titre indique l’orientation choisie par l’auteur.

8On s’étonnera qu’un sujet aussi important que la science de la motivation fasse l’objet d’aussi peu d’études, notamment en France. L’essai de Wanda Mastor vient ici combler un vide. Rien de plus essentiel en effet que la motivation des décisions de justice. Il s’agit bien de la substance du droit dans la mesure où la vérité du droit n’existe jamais dans les textes dont les juges doivent faire, en théorie, l’application. Entre la loi et la décision de justice se situe l’office du juge. Il est l’interprète du droit, qu’il modèle en fonction des cas d’espèce qui lui sont soumis. On l’aura compris : le juge crée le droit. Il le fait advenir par ses mots qu’il agence lorsqu’il motive sa décision. Il n’y a de science juridique que dans l’agencement des mots – et donc du raisonnement – du juge ; on s’en convainc d’ailleurs aisément si l’on songe que le logos signifie à la fois le langage et la science.

9S’agissant d’un essai, il comporte une dimension critique. Un mot de cette méthode s’impose afin de dissiper les éventuels malentendus. Comme le juge, le professeur de droit n’est pas le répétiteur d’un droit qui serait déjà fait parce qu’il serait inscrit dans les textes. Comme le juge, il lui incombe d’interpréter les mots et, partant, le sens du droit. C’est une méthode éprouvée depuis l’invention de la scolastique, et dont les glossateurs firent usage en créant le droit dit romano-canonique, matrice intellectuelle de toute culture juridique. Comme le juge, le professeur de droit évolue dans un cadre contraint – celui de la connaissance – mais il lui revient, notamment par la confrontation des textes et de leurs sens parfois contradictoires, de dire ce qui lui semble l’interprétation la plus juste. En un mot l’essai fait œuvre de doctrine, et toute doctrine est critique, ce qui est heureux en des temps où l’on présuppose trop que le droit serait une science neutre et/ou mécanique.

10Dès l’introduction de son ouvrage, Wanda Mastor indique ainsi qu’elle s’en tiendra au fond des choses et qu’elle prendra position dans ce qui doit être un débat. Le fond des choses consiste à faire prendre conscience au lecteur que la motivation ne saurait se résumer à une technique, au motif que les textes qui organisent la justice l’auraient rendu obligatoire. La motivation ne saurait se résumer en une méthode : elle est « substance du droit », car elle est tout le droit ; elle est ce qui tisse le lien entre la loi et le justiciable. Les lois ne sont jamais bonnes en soi ; il n’y a de bonnes lois que bien interprétées en direction des citoyens qui les reçoivent et sont supposés avoir concouru à leur formation. Ici prend place la dimension politique de la motivation. Si le juge est débiteur, s’il doit la justice, c’est qu’il a une dette envers le souverain qui, au moins depuis 1793 en France, est le peuple. On l’aura compris, l’essai va insister sur les exigences que l’on serait en droit d’attendre de la motivation des décisions de justice dans le double cadre d’une démocratie représentative et d’une démocratie des droits. La motivation revêt en ce sens un caractère politique et on ne s’étonnera pas que l’essai de Wanda Mastor soit prioritairement consacré aux justices constitutionnelles. Dès lors qu’ils sont juges de la loi même, ces juges n’ont de légitimité que si la motivation qu’ils formulent emporte la conviction. N’étant pas élus, ces juges ne tirent pas leur légitimité de l’autorité des décisions de justice, mais de la qualité desdites décisions. Elles n’emportent l’adhésion des citoyens et/ou du peuple qu’à la condition qu’elles soient amplement informées et raisonnées. C’est en quelque sorte la démocratie d’exercice à laquelle tout juge constitutionnel devrait se contraindre. Force est de constater qu’en France, nous serions très loin du compte. Le « mieux motiver » du sous-titre de l’ouvrage prend ici tout son sens ; il consiste à expliquer les insuffisances du système actuel pour y apporter des propositions de réforme. L’essai de Wanda Mastor s’organise ainsi en quatre chapitres thématiques, d’une lecture aussi aisée qu’agréable.

11Le premier d’entre eux est primordial en ce qu’il propose d’explorer les origines non pas tant de la motivation en tant que telle que de l’office du juge. Ici l’histoire du droit, mais également l’anthropologie juridique, sont mobilisées à des fins explicatives ; c’est en effet un des grands apports de ces pages que de nous enseigner que nous n’arrivons toujours pas à nous extraire de la théologie et d’un juge conçu comme prêtre de la loi. Il était effectivement essentiel de rappeler que l’office du juge tient à une culture, qui est celle du monothéisme latin. Dans l’occident chrétien, le juge est le délégué ou le dépositaire d’un roi sacré et dont la première marque de la souveraineté fut longtemps qu’il rendît la justice. Le roi comme les juges sont dès lors les dépositaires de la vérité des écritures. Ils n’ont pas à les expliquer, mais à les révéler. À ce titre il ne saurait être question de motiver les décisions de justice dans l’ancien droit. Wanda Mastor cite à juste titre le janséniste Domat : par délégations successives, de Dieu au roi puis de ce dernier à ses juges, c’est en dernier lieu la parole divine qui s’impose. Elle n’a pas à être expliquée ou raisonnée. Elle s’impose du fait de l’autorité de ceux qui en sont investis. On ne dévoile pas ce qui tient au mystère de la religion. 1789 aurait dû consommer une rupture dans la mesure où la Constituante, qui promeut l’idée démocratique (régime représentatif électif, Droits proclamés au fondement du politique), détruit en principe l’office religieux du juge. C’est un fait connu que par ailleurs la Révolution poursuit de sa haine et de sa vindicte la justice conçue comme pouvoir. Elle ne sera qu’ordre ou autorité, soumise à l’exécution mécanique de la loi, comme en témoigne la loi des 16-24 août 1790 relative à l’organisation judiciaire. C’est précisément cette grande loi qui, en l’article 15 de son titre V, impose une forme contrainte, en quatre parties, aux jugements. L’obligation de motiver fait son apparition. Elle est intellectuellement décevante et frustrante. En ces temps où les révolutionnaires veulent réduire les juges à des automates qui appliquent la loi (expression de la volonté générale, elle est juste en soi et ne saurait errer), la motivation n’est guère plus que la retranscription du ou des textes de loi. Ce double écueil – juges qui révèlent les Écritures saintes puis juges automates de la loi – éclaire au fond la médiocrité des motivations en droit français. Les textes postérieurs qui contraignent les juges à la motivation de leur décision ne modifient pas la donne dans la mesure où ils ne disent rien de la question de savoir ce que motiver veut dire. Il en résulte, chacun le sait et chacun s’en désole, des motivations sèches, brèves, elliptiques, et pour tout dire souvent indéchiffrables faute en quelque sorte de pouvoir saisir les motifs de la motivation ou, à tout le moins, le cheminement intellectuel emprunté par les juges. Le cas est patent pour notre Conseil constitutionnel. Juge de la loi qui s’adressait aux élus (le Parlement) en 1958, il devrait être aujourd’hui, dans le cadre de la Question prioritaire de Constitutionnalité (QPC), un juge qui s’adresse aux justiciables et, partant, à des citoyens. Le fond et la forme de ses motivations auraient dû, à tout le moins, connaître une évolution, au moins dans le sens de la pédagogie, de l’explication, de l’explicitation, etc. Or le Conseil constitutionnel est têtu ; il conserve et cultive toujours, à l’instar du Conseil d’État avec lequel il partage une accointance physique et intellectuelle, l’art du mystère dans la motivation de ses décisions, tant la forme brève est ce qui les caractérise en premier lieu. Le Conseil parle toujours la langue d’autorité du souverain, celle des temps révolus. Ce qui ne saurait satisfaire personne en démocratie.

12Dans son second chapitre (« Appliquer ou gouverner. Du juridique et du non juridique »), l’essai rend compte logiquement de la pauvreté du débat au sujet de la possibilité de mieux motiver dans la mesure où, en France, nous restons empêtrés dans deux présupposés pour ce qui concerne l’office du juge. D’une part on craint un « gouvernement des juges » et une partie non négligeable de la doctrine, hostile à un juge qui supplanterait la loi souveraine, interdit en quelque sorte qu’on investisse la question de la motivation des décisions de justice : ce serait par trop avouer ou reconnaître que le juge puisse créer le droit en lieu et place de la loi. Ce gouvernement des juges est d’une part un fantasme ; il est d’autre part anachronique et révolu en ce qu’il tient le discours des révolutionnaires. En témoigne la sortie de Robespierre, citée par l’auteur, au terme de laquelle il proposait rien de moins que de rayer le mot de « jurisprudence » de la langue française. Le fantasme tient au fait qu’aucun juge en France ne saurait « gouverner ». Censurer partie de la loi n’est pas l’initier. Ni l’exécutif ni le législatif n’ont à craindre de juges qui ne sont pas élus, mais nommés. Leur pouvoir est peut-être d’empêcher – et c’est heureux pour l’effectivité des droits – mais leur puissance reste nulle. D’autre part, par culture héritée, la France reste en partie engluée dans l’illusion de la perfection de la loi et de son application machinale par le juge. L’office du juge peut sembler nul dans le cadre d’une souveraineté de la loi héritée de 1789 (le fameux État légal) ; il est d’ailleurs symptomatique que les constitutions révolutionnaires ne traitent pas la justice au titre des pouvoirs, mais la considèrent comme une simple autorité liée à ceux qui font la loi. La France est rétive à une tripartition des pouvoirs en présence des assemblées et de l’exécutif. Afin de dépasser le débat stérile du juge automate ou, a contrario, du juge qui gouverne, Wanda Mastor propose de porter notre attention sur une grande et ancienne démocratie où le juge constitutionnel est reconnu depuis toujours comme un juge qui crée le droit. Une seconde partie du second chapitre nous transporte donc aux États-Unis. En spécialiste de la Cour suprême, l’auteur nous rappelle à quel point, outre-Atlantique, il existe un débat fécond au sujet de la motivation par les juges eux-mêmes dans la mesure où l’interprétation de la loi et la création du droit par les juges ne sont pas un tabou pour les Anglo-saxons. C’est l’occasion d’insister sur le lien substantiel entre nature démocratique du régime et qualité de la motivation. Le juge de la Cour suprême développera d’autant plus tout un argumentaire (en ayant recours si besoin est à la philosophie, la sociologie, la doctrine, etc.) qu’il se sait dépositaire de la souveraineté du peuple ; il s’efforcera toujours, dans les décisions qu’il rend, de « convaincre son auditoire de son acceptabilité ».

13Est-ce à dire qu’en France le Conseil constitutionnel éprouve toutes les peines du monde à se couler dans l’idéal du modèle démocratique, où l’on délibère et, partant, où l’on argumente ? Le troisième chapitre de l’essai – de loin le plus critique – consacre ses développements à ce sujet d’ordinaire peu traité par la doctrine, à savoir ce que Wanda Mastor appelle la « pédagogie externe ». C’est en effet une spécificité française que, faute de savoir ou vouloir développer la motivation, les juges tentent de se justifier et de fonder l’autorité de leurs décisions par une « littérature grise ». De quoi s’agit-il ? Il peut s’agir des communiqués de presse des juridictions, de l’interview du président de la section du contentieux du Conseil en temps de décisions relatives à l’état d’exception, mais surtout des commentaires en quelque sorte autorisés du Conseil d’État dans les revues juridiques ou, mieux encore, des commentaires doctes du secrétariat général du Conseil constitutionnel au Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel. Pourquoi la parole des Cours – à supposer que Conseil d’État et Conseil constitutionnel soient Cours – déborde-t-elle ainsi le lit de la justice ? Parce que la littérature grise se définit par ses objectifs : pallier une motivation qui ne convainc d’ordinaire personne tant elle n’argumente pas, tant elle est en somme taiseuse ; imposer la décision par une sorte de communiqué officiel, en présupposant que l’autorité dont serait investie la justice suffirait à convaincre du bien-fondé des décisions qu’elle rend. Un tel système, comme le souligne l’auteur, a quelque chose de pervers et d’hypocrite. L’hypocrisie est facile à deviner : on explique du dehors de l’instance de jugement ce qui aurait dû être développé par les juges eux-mêmes. La perversité tient au fait que la forme brève, qui continue d’être notamment la marque de fabrique de la motivation au Conseil constitutionnel, entretient l’idée que ce Conseil n’est pas une juridiction à part entière. En témoigne la calamiteuse expression « les sages » qu’emploient les médias – et une partie de la doctrine universitaire hélas – pour qualifier ce qui devrait être notre Cour suprême. Par cette expression, on les présuppose gardiens des écritures qu’ils nous révéleraient. On cultive donc les temps théologiques, ceux des juges comme prêtres de la loi. Or en démocratie – car telle est la nature de notre régime – les magistrats délibèrent, débattent et raisonnent. Si possible en brisant le huis clos du secret des délibérés, car la justice n’est pas une église ni les juges des clercs. Si possible en communiquant la construction intellectuelle qui les conduit à motiver. Sans doute la démocratie politique peine-t-elle à trouver son assise en France depuis deux siècles du fait des crises résurgentes du régime représentatif. En revanche, la démocratie des droits, celle qui les suppose aux fondements de toute organisation politique, ne cesse de se développer depuis le début des années 1970 (grâce notamment – et c’est paradoxal – à la jurisprudence du Conseil constitutionnel). Par voie de conséquence les Cours suprêmes sont les gardiens effectifs des droits contre tout pouvoir politique qui, par principe, peut être corrompu et opprimer. Elles devraient d’autant plus motiver qu’elles sont au cœur du développement de cette démocratie des droits. Dans l’ensemble elles motivent plus et mieux, comme le fait remarquer l’essai en comparant la France aux modèles étrangers. La conclusion semblera implacable au lecteur : « Le Conseil constitutionnel, selon nous, ne motive toujours pas ses décisions […]. Plus les Cours constitutionnelles s’affirment en Europe comme des juridictions protectrices des libertés, et plus elles enrichissent leurs motivations » (p. 138).

14Un quatrième et dernier chapitre propose un « retour à la substance ». À savoir : la motivation comme art, afin que l’essai tienne toutes ses promesses. C’est le plus substantiel au plan de la culture juridique. Le plus important au titre des propositions de réformes, preuve que les essais critiques ne sont pas de la doctrine négative. On laisse au lecteur le soin de découvrir ce que, précisément, la doctrine peut apporter à la qualité de la motivation des décisions de justice par la connaissance qu’elle a de la philosophie du droit. Vertu et prudence : l’héritage aristotélicien dont fait état – avec pédagogie – Wanda Mastor achève de nous convaincre qu’il n’y a jamais eu vérité du droit, mais seulement prudence de celui qui, parce qu’il en est l’interprète, le crée. Que signifie mieux motiver ? C’est donc en premier lieu faire le deuil qu’il existerait une certitude du droit. Mais dès lors qu’il n’est plus la vérité en quelque sorte religieusement révélée par les juges, le droit doit convaincre en raison. Comment faire pour qu’il soit le moins possible révoqué en doute par ceux auxquels s’adresse la justice ? D’une part en introduisant en France, et notamment auprès du Conseil constitutionnel, le principe des opinions séparées, que cultivent tant de Cours suprêmes. Selon Wanda Mastor, ces opinions séparées n’altéreraient pas l’autorité de la justice. Bien au contraire elles la renforceraient. Elles contribueraient à enrichir une motivation qui vise à convaincre les intelligences. Par « effet ricochet », la décision majoritaire serait contrainte à développer des trésors d’argumentation. En outre l’adoption du principe des opinions séparées produirait des effets internes (qualité des délibérations, arguments contre arguments) et externes (en direction des justiciables) qui ne pourraient que renforcer la légitimité de la juridiction. Pléonasme ? La juris dictio dit forcément le droit. Elle doit le dire et convaincre. Elle n’est sage et démocratique qu’à ce prix. La seconde réforme envisagée par l’auteur serait d’introduire auprès du Conseil constitutionnel l’équivalent du rapporteur public auprès du Conseil d’État. Non pas un avocat du pouvoir, mais un avocat de la loi et, mieux encore, de nos droits. Il présenterait l’avantage d’éclairer, par la profondeur argumentative de ses conclusions, la décision du Conseil.

15Grégoire BIGOT

16Université de Nantes

L’ÉNA hors les murs, revue des anciens élèves de l’ÉNA, numéros de septembre 2019 à mars 2020

17« Les perspectives de l’économie mondiale : crise, reprise ou stagnation ? » Il serait présomptueux d’apporter une réponse unique ; la Revue, pour son numéro de septembre 2019, propose les analyses d’Agnès Pannier-Runacher, G. Roux de Bezieux, F. Villeroy de Galhau et de plusieurs économistes. Dans son éditorial, K.E. Bitar signale que l’économiste Roubini, qui avait prévu la crise de 2008, nous met à nouveau en garde face à des risques portant sur la demande globale. Les efforts pour limiter la financiarisation de l’économie après 2008 n’ont pas abouti et les inégalités se sont accrues. La croissance du PIB par habitant a structurellement diminué ces dernières années dans la plupart des pays développés ; cet affaiblissement semble dû à l’insuffisance de la demande, l’épargne étant plus forte que l’investissement, et à la diminution de la productivité. Aux menaces économiques et financières s’ajoutent le vieillissement démographique, une crise écologique et civilisationnelle et des incertitudes internationales : guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, Brexit, conflits dans le Golfe. Avec une faible croissance, il sera difficile de faire face à ces défis, cela peut entraîner un recul du pouvoir d’achat et une forte diminution des emplois intermédiaires. Mais la révolution numérique et la transition énergétique apportent des perspectives de reprise. Pour F. Villeroy de Galhau, la sortie du risque appelle un engagement de la zone euro pour dynamiser l’offre en levant les obstacles à l’innovation, en transformant les systèmes de formation, en renforçant l’efficacité des États, et pour relancer la demande par une meilleure coordination des politiques économiques et un véritable budget de la zone. L’absence de volonté et l’inaction feraient courir des risques à la stabilité économique, sociale et politique des nations.

18Un an après le début du mouvement, la revue propose un « Regard sur les Gilets jaunes : une “crise de la représentation ?” » (octobre 2019). Avec des approches différentes, tous les auteurs soulignent que les Gilets jaunes n’ont ni représentation ni discours collectif sur ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent et insistent sur la gravité de la crise. Le professeur Hervé Le Bras montre que la mobilisation correspond, sur le plan géographique, à la diagonale du vide et exprime un malaise automobile, le soutien de l’État à la voiture individuelle destiné à compenser l’éloignement des services publics ayant été rompu ; il estime que ce mouvement est une jacquerie contemporaine, sans chef ; l’urbaniste A. Delpirou observe cependant que les Gilets jaunes ne sont pas tous issus de la France périphérique et met en lumière la diversité des situations locales. L’historienne D. Tartakovski rappelle le rôle des mobilisations collectives dans l’émergence et l’affirmation de l’État social, puis dans sa défense depuis 1982, et note qu’avec le xxie siècle apparaissent de nouveaux mouvements : crise des banlieues de 2005, Nuit debout, ZAD, Gilets jaunes, qui ont un caractère inorganique, contestent la démocratie représentative et sont les symptômes d’une déconstruction de l’État social. B. Kalaora, anthropologue, pense que porter un gilet jaune ou discuter sur les ronds-points témoigne d’un besoin de reconnaissance et d’empathie, il utilise le concept de résonance pour exprimer cette attente. Plusieurs auteurs proposent des éléments de réponse : la médiation, qui vise à compenser la distance entre les usagers et les services publics ; la vie associative, qui propose action collective et sociabilité ; la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, qui vérifie les déclarations d’intérêt et de patrimoine des responsables politiques. A. S. Chazaud, philosophe, pense que ce mouvement révèle une crise du sens, de la représentation et du récit collectif, de ce qui fonde la démocratie : faute de mots, il reste la violence ; pour résoudre la crise, il ne suffit pas de se parler, il faut retrouver un langage commun.

19Le numéro de novembre 2019, « L’ENA, la grande transformation », ne saurait être mieux présenté que par Daniel Keller, président de l’Association des anciens élèves de l’ENA : « Dans une période où la France cherche à refonder son contrat social dans un environnement mondialisé, à un moment où notre pays risque de ployer sous les diverses fractures politiques, sociales, générationnelles ou territoriales qui le menacent, quand l’ordre public est chaque jour mis à mal, l’État plus que jamais doit éclairer l’avenir et fixer un cap qui ne se confond pas avec la tentation de l’omnipotence. » La haute fonction publique sera la figure de proue de ce combat républicain pour plus d’égalité, de liberté et de fraternité. Elle devra demain plus encore qu’aujourd’hui fédérer les serviteurs de l’État et les aider à tenir au quotidien leur position respective au service de tous les citoyens. C’est avec cette ambition pour ligne d’horizon que la transformation de l’ENA doit être pensée. Non pour rayer l’école d’un trait de plume de la mémoire de la République, comme si elle avait fauté, mais pour en faire avec fierté l’étendard d’un nouveau combat ! Ce numéro invite le lecteur à suivre le chemin exigeant d’une réflexion décomplexée qui cherche à écarter les fausses bonnes idées et à rassembler sur les vraies priorités qui doivent être les nôtres. Cette réflexion confronte les points de vue d’anciens élèves, de décideurs et d’universitaires qui n’ont pas fait l’ENA dans le souci d’un dialogue sans concession ni faux-semblants. Elle met aussi en valeur les transformations déjà à l’œuvre, soulignant que l’ENA est une école qui n’est ni figée ni tournée vers le passé.

20Le numéro de décembre offre de multiples « Regards sur 2019 ». Dans son éditorial, K. E. Bitar insiste sur le vent de révolte qui a marqué cette année dans le monde. Plusieurs articles font un tableau assez sombre de 2019, avec la présidence déstabilisante des États-Unis, des ambitions autoritaristes en Russie, Chine, Brésil ou Turquie, et des soulèvements populaires qui n’ont guère de soutien international. Dans le monde arabe, les révoltes de 2011 étaient motivées par une aspiration à la dignité, celles de 2019 l’ont été par la faim ; les mouvements islamistes s’inscrivent à la fois dans des territoires et dans une symbolique religieuse qui leur ouvre un espace transnational. En Europe centrale, il convient de ne pas trop noircir le présent pour idéaliser 1989, car la plupart des difficultés actuelles étaient en germe ; l’Europe de 2019 n’est pas condamnée à la désunion, elle peut converger davantage sur les plans économique, social et politique, et mieux protéger. Pour plusieurs auteurs, 2019 marque la prise de conscience des risques du numérique ; le RGPD montre qu’une régulation est possible, mais il semble illusoire de vouloir démanteler les GAFAM. Enfin, 2019 a enregistré de faibles avancées pour réduire l’effet de serre et un retour de la méfiance à l’égard du système financier. S’agissant de la France, une large place est donnée à la politique de défense ainsi qu’à la loi de programme 2019-2025 dans un contexte sécuritaire qui se dégrade. Olivier Dussopt présente la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, qui donne plus de souplesse en matière de recrutement, et Gabriel Attal l’ambition du gouvernement pour l’engagement des jeunes et des associations. Des réflexions sont proposées sur les Gilets jaunes, rupture dans le mouvement social, sur la laïcité en tant que neutralité religieuse de l’État et non de la société, et sur la démocratisation des grandes écoles. Le numéro se termine par un bilan sportif plutôt satisfaisant.

21Le numéro de janvier-février 2020 sur « L’aide au développement », que j’ai résumé confinée chez moi, gardera son actualité quelles que soient les évolutions à venir. Il est centré sur la question posée dans l’éditorial de Tsiporah Fried : l’aide publique au développement (APD) aide-t-elle vraiment au développement ? L’APD est une notion en pleine évolution. Conçue dans les années 1960 comme un outil de développement économique des pays du Sud, elle s’est profondément modifiée depuis 30 ans : le concept de développement s’est élargi à la santé et l’éducation, puis au climat et aux libertés. Depuis 2015, l’APD s’inscrit dans les objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU. En 2018, elle s’élevait à 32Mds €, la France étant le 5e donateur avec 12,2 mds €. La France est passée de l’accompagnement des indépendances dans un contexte de guerre froide, à des objectifs comme la stabilisation, la lutte contre le changement climatique, l’éducation, la santé, l’égalité homme/femme. L’aide fait partie de l’approche 3D (diplomatie, défense, développement). En 1996, le ministère de la Coopération a été supprimé et l’Agence française de développement (AFD) est devenue l’opérateur principal ; le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales prévoit de consacrer 0,55 % de la richesse nationale à l’APD dès 2022, soulignant l’engagement de la France. L’APD est l’objet de nombreuses critiques sur son utilisation et ses méthodes : malgré des avancées considérables, les résultats ne sont pas à la hauteur des efforts, est-ce la faute de l’aide ou de la gouvernance des pays aidés ? Les débats portent sur l’évaluation de l’APD et sur les critères permettant de mesurer son efficacité. Les sommets de 2015 ont fixé des objectifs de développement jusqu’à 2030. Pour les atteindre, il faut passer des milliards aux trillions et mobiliser tous les financements, publics et privés. Il est essentiel que tous les bailleurs s’engagent et que les banques de développement travaillent sur des programmes communs, l’APD pouvant faire levier. La concurrence est forte et la Chine est une grande source de financement. L’Europe, qui restructure la BERD et la BEI et construit un nouveau partenariat avec l’Afrique, a un rôle majeur à jouer.

22Pour son numéro de mars-avril 2020, consacré à « La souveraineté nationale dans le contexte européen », la revue se donne pour objectif de réfléchir, de façon apaisée et républicaine, sur les enjeux et les défis d’une apparente contradiction et d’une possible conciliation sur fond nécessairement historique et politique, mais plus encore. Au cœur du débat se trouvent les relations entre la France et une Europe aux contours évolutifs, indiquent P. Gautrat et D. Cultiaux dans leur éditorial. Le dossier présente d’abord des définitions du concept – assez français en fait – de souveraineté, faisant appel à l’Histoire (du traité de Westphalie à 1789), au droit, avec les principes de souveraineté populaire et nationale, à la politique. Il confronte ces notions à l’évolution de la supranationalité européenne : marché unique, monnaie unique, droit européen, mais faiblesses en matière géopolitique. Les articles mettent en évidence les contradictions que vivent les États face à la puissance et aux limites de l’Union européenne : la France veut conserver les attributs de sa souveraineté et jouer un rôle international, mais ne peut y parvenir qu’en s’appuyant sur le levier européen ; le désengagement des États-Unis en matière de défense appelle une autonomie stratégique, mais les États ne peuvent plus assurer seuls le cœur même de leur souveraineté ; la France et l’Allemagne souhaitent une Europe souveraine et forte, mais ne parviennent pas à concilier souveraineté nationale et renforcement de l’UE. Une conciliation ne peut se faire qu’avec la volonté des peuples, mais l’intensification de la compétition internationale et l’inquiétude face aux diverses menaces alimentent le repli sur la nation. Pour J.-Y. Le Drian, la souveraineté européenne est devenue la condition de la souveraineté des États. Il propose de jeter les bases d’une nouvelle souveraineté au xxie siècle qui passe par le renforcement de l’Europe dans les domaines de la défense, de l’économie, du numérique et du climat. Un article sur le domaine spatial en France donne un exemple intéressant de nouvelles formes de souveraineté.

23Anne MAGNANT

24Inspectrice générale des affaires culturelles honoraire


Date de mise en ligne : 05/11/2020.

https://doi.org/10.3917/rfap.174.0291

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