Couverture de RFAP_173

Article de revue

La dualité statutaire du contrôle et de l’utilisation des données empiriques par les juridictions en droit administratif américain

Pages 141 à 164

Notes

  • [1]
    L’« ère progressiste » se situe entre les années 1890 et 1920. Les progressistes prônent des réformes politiques, économiques et sociales en réponse à l’industrialisation, à l’urbanisation et à la corruption.
  • [2]
    La version américaine véhiculée par les New Dealistes se distingue cependant de la conception proprement wébérienne en ce que pour les promoteurs du New Deal, il n’y a pas de cloison étanche entre l’activité administrative et l’action politique.
  • [3]
    Parmi les cadres de l’agence, l’on trouve non seulement des juristes, mais encore des économistes, des ingénieurs et des scientifiques.
  • [4]
    L’arrêt Chevron de 1984 fait écho à cette approche déférentielle sur le terrain du contrôle juridictionnel de l’interprétation que l’agence donne à la loi dont la mise en œuvre lui a été confiée par le Congrès : Chevron USA, Inc. v. Natural Resources Defense Council, Inc., 467 U.S. 837 (1984). Mais ce type de contrôle n’est pas l’objet de la présente contribution quoiqu’il y soit fait référence ponctuellement.
  • [5]
    Le mémoire d’amicus curiae peut être déposé de sa propre initiative par la tierce personne qui en est l’auteure, à la demande d’une partie, ou à la demande de la juridiction. Il est plus fréquent devant la Cour suprême que devant les cours d’appel.
  • [6]
    L’analyse se concentre sur le contentieux administratif, mais globalement le contraste vaut pour les autres contentieux régis par la jurisprudence Daubert.
  • [7]
    Préparées par la Cour suprême, les FRE ont été approuvées par le Congrès. Elles régissent le régime de la preuve en matière civile et pénale devant les juridictions fédérales de première instance (trial courts) : Pub. L. 93 – 595, Jan. 2, 1975, 88 Stat. 1926.
  • [8]
    Rule 1101 (b) des FRE.
  • [9]
    Daubert v. Merrell Dow Pharmaceuticals, 509 U.S. 579 (1993). La jurisprudence est maintenant codifiée dans les FRE (Rule 702).
  • [10]
    La pertinence et la fiabilité sont spécifiées par l’arrêt Kumko qui étend la jurisprudence Daubert (données scientifiques) aux données techniques : Kumko Tyre Co., Ltd. V. v. Carmichael, 526 U.S. 137 (1999).
  • [11]
    V. seconde partie : L’insistance méthodologique du contrôle juridictionnel de l’expertise des agences, affaire Baltimore Gas.
  • [12]
    Daubert, supra note 8.
  • [13]
    Infra : la méthodologie générale dégagée en 1971 précisée et synthétisée en 1983.
  • [14]
    Biestek v. Berryhill, Acting Commissioner of Social Security, 139 S. Ct. 1148, 587 U.S. – (2019), 587 U.S. – (2019) : dans le cadre du standard de substantial evidence, les données invoquées par l’expert visaient à déterminer l’existence d’une incapacité de trouver un emploi au regard de la condition physique du requérant et de l’état du marché du travail, en vue de l’ouverture d’un droit à pension d’invalidité.
  • [15]
    Donahue v. Barnhart (7th Cir.2002) 278 F3d 441, 446.
  • [16]
    La confusion tient d’une part à des lois (Occupational Health Act, Toxic Substances Control Act) qui prévoient le substantial evidence test pour des règlements relevant de l’informal rulemaking, d’autre part, d’un renforcement de l’arbitrary and capricious test (V. seconde partie : L’insistance méthodologique du contrôle juridictionnel de l’expertise des agences).
  • [17]
    5 U.S.C. 556 (d).
  • [18]
    5 U.S.C. 555(e) : “When an agency decision rests on official notice of a material fact not appearing in the evidence in the record, a party is entitled, on timely request, to an opportunity to show the contrary”. (https://www.law.cornell.edu/uscode/text/5/556).
  • [19]
    La judicial notice est prévue par la Rule 201 des FRE.
  • [20]
    La distinction est reprise en matière civile lors de la rédaction des Federal Rules of Evidence (FRE) en 1975.
  • [21]
    Les termes social facts et premise facts remplacent parfois celui de legislative facts. V. Affaire Rapanos, deuxième partie.
  • [22]
    L’adjudicative fact relatif à la réaction des consommateurs face au produit litigieux.
  • [23]
    Ce qui, en droit administratif français, correspondrait à une exception d’illégalité.
  • [24]
    Citizens to Preserve Overton Park, Inc. v. Volpe 401 U.S. 402 (1971).
  • [25]
    Pacific States Box and Basket Company v. White, 296 U.S. 176,181-82 (1935).
  • [26]
    Le contrôle de la loi ou judicial review of a statute s’effectue selon l’un des 3 tests ou stardards suivants : rational basis, intermediate, strict scrutiny.
  • [27]
    Motor Vehicle Mfrs. Ass’n of the U.S. v. State Farm Mut. Auto. Ins. Co. 463 U.S. 29, 43 n.9, (1983) : 24 juin 1983.
  • [28]
    En dehors de l’hypothèse du contrôle de jugement d’un tribunal inférieur par une cour supérieure, l’exercice du contrôle juridictionnel, judicial review, porte en droit états-unien soit sur la loi, soit sur l’acte administratif.
  • [29]
    Baltimore Gas & Elec. Co. v. Nat. Res. Def. Council, Inc., 462 U.S. 87, 105 (1983) : 6 juin 1983.
  • [30]
    Baltimore Gas. Jurisprudence plus récente : Huls Am., Inc. v. Browner, 83 F.3d 445, 452 (D.C. Cir. 1996), City of Waukesha v. Envtl. Prot. Agency, 320 F.3d 228, 247 (D.C. Cir. 2003).
  • [31]
    5 U.S.C. 706.
  • [32]
    State Farm.
  • [33]
    Overton Park.
  • [34]
    SEC v. Chenery I, 318 U.S. 80, 95 (1943).
  • [35]
    Overton Park, p. 415.
  • [36]
    Il s’agit ici de questions of fact et de questions of policy. V. note 82
  • [37]
    Atomic Energy Act, 42 U.S.C 2239 (a) (1) (A) reconnaît le droit d’être entendu de tous ceux dont les intérêts peuvent être affectés par la procédure d’octroi de licence d’exploitation ou de permis de construction. Mais les conditions à remplir pour avoir le droit d’intervenir en tant que tiers ont été durcies en 1989 par la NRC. Le durcissement concerne également la participation à l’adoption des règlements.
  • [38]
    La concurrence peut venir de scientifiques faisant des commentaires à titre individuel ou par l’entremise d’une association.
  • [39]
    Union of concerned scientists v. Nuclear Regulatory Commission, 920 F.2d 50, 54 (D.C. Cir. 1990).
  • [40]
    Massachusetts v EPA, 549 U.S. 497 (2007).
  • [41]
    Michigan v EPA, 576 U.S. — (2015), 135 S.Ct 2699, 2711 (2015).
  • [42]
    Telles que le souci de ne pas réglementer par saupoudrage et de ne pas interférer avec les initiatives présidentielles sur le terrain des affaires étrangères.
  • [43]
    Freeman et Vermeule, 51, 52 : l’administration G. W. Bush a particulièrement manifesté sa détermination à empêcher l’EPA d’intervenir contre le réchauffement climatique : modification de rapports scientifiques, mise au placard de ses propres experts, suppression de l’information scientifique contredisant sa position politique. L’on notera que de telles pratiques ont redoublé sous l’administration Trump.
  • [44]
    Dans Chevron (supra note 4), la Cour admet que l’EPA puisse faire varier son interprétation d’une disposition législative en réponse à l’élection d’un nouveau président. La complémentarité relationnelle se justifie au regard de la légitimité démocratique de l’occupant de la Maison-Blanche.
  • [45]
    Vermont Yankee Nuclear Power Corporation v. Natural Resources Defense Council, 435 U.S. 519 (1978).
  • [46]
    La disposition en cause ici est l’une des 3 dispositions ambiguës du CAA : 42 U.S.C. 7412 (n) (1) (A). La loi CAA contient par ailleurs 7 dispositions qui exigent explicitement une évaluation préalable des coûts.
  • [47]
    Whitman v. American Trucking Associations, 531 U.S. 457. Il s’agit de la section 7409 (b) (1) de la loi CAA.
  • [48]
    Entergy Corporation v. Riverkeeper, 556 U.S. 208.
  • [49]
    Le juge Scalia déclare : « il n’est pas rationnel d’imposer des milliards de dollars de dépenses juste pour des bénéfices de faible valeur monétaire en matière de santé ou d’environnement ».
  • [50]
    Michigan v. EPA, 135 S. Ct 2699, 2711 (2015).
  • [51]
    Michigan.
  • [52]
    Michigan.
  • [53]
    American Petroleum Institute v. EPA, 216 F.3d 50 (D.C. Cir. 2000).
  • [54]
    Executive order (E.O.) 12 292 du 17 février 1981.
  • [55]
    E.O 12 866 du 30 septembre 1993.
  • [56]
    Supra note 47.
  • [57]
    Cf. Michigan.
  • [58]
    Le propos se concentre sur la Cour suprême, mais la judicial notice est ouverte à tous les niveaux de juridiction. La notion est présentée dans la première partie : Le régime propre de la preuve dans le contentieux administratif.
  • [59]
    Mémoires des parties figurant dans le dossier transmis à la Cour ou mémoires déposés par les parties devant la Cour. Précisément, les parties peuvent faire une demande de judicial notice.
  • [60]
    Nken v. Holder 556 U.S. 498 (2008) : affirmation erronée : le fait que le gouvernement assurerait le retour aux États-Unis d’immigrés dont la déportation a été reconnue illicite par une juridiction.
  • [61]
    Richard Posner a été juge de la cour d’appel fédérale du 7e circuit de 1981 à 2017.
  • [62]
    Initialement professeur de droit administratif à Harvard de 1967 à 1980, Stephen Breyer a été juge de la cour d’appel fédérale du 1er circuit de 1980 à 1994, avant de devenir membre de la Cour suprême en 1994.
  • [63]
    Muller v. Oregon 208 U.S. 412 (1908).
  • [64]
    Sur la foi de ces statistiques, Brandeis soutenait que les longues heures de travail affectent la capacité de reproduction des femmes.
  • [65]
    Le mémoire est dûment mentionné : Muller, 419.
  • [66]
    Muller, 421.
  • [67]
    Muller, 420.
  • [68]
    La Cour explique à son tour que la disposition spéciale prévue pour les femmes se justifie au regard du « bon accomplissement de ses fonctions maternelles » et au « bien-être de la race [humaine] ». Saluée par les progressistes de l’époque en raison des améliorations des conditions de travail qu’elle permettait, la référence à la nature spéciale des femmes devait plus tard s’avérer être un stéréotype de genre bloquant l’avancement des femmes dans le monde du travail.
  • [69]
    Louis Brandeis sera membre de la Cour suprême de 1916 à 1939.
  • [70]
    Une première version de ce guide est publiée en 1991.
  • [71]
    Brown v. Board of Education of Topeka, 347 U.S. 483, 494-495 n.11 (1954).
  • [72]
    La National Association for the Advancement of Colored People est créée en 1909. Thurgood Marshall siégera à la Cour suprême de 1967 à 1991.
  • [73]
    Le mémoire d’amicus curiae de la NAACP est signé par 35 chercheurs en sciences sociales.
  • [74]
    Notamment la note de bas de page 4 et surtout, la plus célèbre, la note 11 de l’opinion unanime de la Cour.
  • [75]
    Roe v. Wade, 410 U.S. 113, 148-149 (1973).
  • [76]
    Powell v. Texas, 392 U.S. 514 (1968).
  • [77]
    Grutter v. Bollinger, 539 U.S. 303, 333-34 (2003).
  • [78]
    Citizens United v. FEC 558 U.S. 310 (2010).
  • [79]
    Detroit Edison Co. v. NLRB, 440 U.S. 301, 319 (1979).
  • [80]
    Rapanos v United States, 547 U.S. 715 (2006).
  • [81]
    Rapanos v United States, 744.
  • [82]
    Il s’agit ici d’une question of law. V. supra, note 36.
  • [83]
    L’expression a été introduite par le juge Robert Keeton.
  • [84]
    Massachusetts v. EPA, 549 U.S. 497 (2007).
  • [85]
    American Electric Power, Inc v Connecticut et al, 564 U.S. 410 (2011).
  • [86]
    Kenneth Culp Davis, 1986, p. 6 : « The Supreme Court is a major lawmaker, but it has no procedure designed for lawmaking. Its only procedure is designed for adjudication. »
  • [87]
    Advisory Committee on the FRE Note on Rule 201.
  • [88]
    Ohio v. American Express Co., 585 U.S. – (2018), 25 June 2018.
  • [89]
    Mémoire d’amicus curiae, States of Ohio et alii v American Express Company, Brief for Amicus curiae, Ahold Inc. et alii, 6 juillet 2017.
  • [90]
    Mis à part la Rule 37 de la Cour qui prévoit les conditions de recevabilité d’un mémoire d’amicus curiae devant la Cour suprême.
  • [91]
    ABA, Standing committee on ethics and professional responsibility, Independent factual research by judges via the internet, Formal Opinion 478, 8 décembre 2017.
  • [92]
    Les données empiriques avancées par les parties au litige ou le public dans le cadre du pluralisme induit par la participation.
  • [93]
    Allison Orr Larsen, Neal Devins, 2016, 1902 : 800 % d’augmentation depuis les années 1950 et de 95 % depuis 1995 !
  • [94]
    Justice Breyer Calls for Experts to Aid Courts in Complex Cases, N. Y. Times, Feb. 17,1998, A17 : “educated lay persons”.
  • [95]
    Dans les tout premiers temps de l’institution, l’ami de la Cour était un juriste qui se trouvait fortuitement dans la salle d’audience : Larsen, 2014, 1763, 1765-68.
  • [96]
    John H. Ryan v. Commodities Futures Trading Commission, 125 F.3d 1062 (7th Cir. 1997).
  • [97]
    La discovery est une phase préparatoire d’investigation du procès de common law. Placée sous l’égide des parties, elle donne lieu à une communication réciproque des preuves qui seront présentées à l’audience.
  • [98]
    FRE, Rule 201 (d).
  • [99]
    À ne pas confondre avec le Federal Judicial Center créé en 1967, relevant du pouvoir judiciaire, et présidé par le Chief Justice. Ce centre a une double fonction éducative et de recherche. À ce second titre, il mène des études sur les pratiques judiciaires. Les résultats sont consignés dans des rapports qui sont assortis de recommandations, en vue de l’amélioration de l’administration de la justice.
  • [100]
    PRIME met à la disposition des juges des publications et des experts et offre de la formation continue. En 2015, l’organisme a, par exemple, passé un accord pour ce faire avec la Cour permanente d’arbitrage.

1Le contrôle juridictionnel des données empiriques produites par les agences américaines s’inscrit dans un État administratif dont la construction historique a été fortement marquée par le postulat de l’expertise. Entre la fin du xixe et le début du xxe siècle, au nom de la bonne administration, les progressistes [1] vantent déjà les vertus d’un corps de technocrates, pénétrés de l’intérêt général et détachés du monde politique corrompu. Mais c’est sous le New Deal que la version américaine [2] de la conception wébérienne de l’administration est élaborée et mise en œuvre. Avec le New Deal, l’autorité des agences remplace celle des assemblées législatives infra-fédérales et des juridictions en matière de régulation (Masur et Posner, 2018, 980). Pour son principal théoricien, James Landis (Landis, 1938), qui compare la régulation par voie d’agence à la régulation par voie de juridiction, l’expertise est l’un des avantages fondamentaux de l’agence par rapport à la juridiction. Le savoir spécialisé est déterminant dans la sélection du collège ou de l’administrateur dirigeant l’agence comme dans celle de son personnel d’encadrement relevant de disciplines diverses [3]. Le savoir spécialisé est synonyme d’une expertise qui a des implications institutionnelles et juridiques déterminantes. D’une part, l’expertise justifie la pluralité des pouvoirs quasi législatifs, exécutifs et quasi juridictionnels qui sont reconnus à l’agence, par exception notable au principe de l’organisation séparée des trois pouvoirs établis par la Constitution. En particulier, l’expertise justifie dans certains cas l’indépendance par rapport à l’exécutif. D’autre part, elle confère à l’agence une légitimité propre qui appelle la juridiction à la déférence (deference) dans l’exercice de son contrôle. La déférence [4] attendue des tribunaux est la profonde prudence que suscite le respect dû à la compétence technique de l’agence et qui se traduit par le refus affirmé de substituer, quant au fond, la préférence de la juridiction à la préférence de l’administration. La confiance que les promoteurs du New Deal placent dans l’expertise est en effet très forte. Sans exempter l’agence du contrôle juridictionnel, Landis sous-entend que la qualité objective intrinsèque de l’expertise joue une fonction d’autodiscipline à l’égard du pouvoir discrétionnaire (Kagan, 2001, 2261). Du fait de cette consubstantialité supposée de l’expertise et de l’objectivité, « l’administration [peut] devenir une science » (Kagan, ibid.). C’est dire que la conception new dealiste a une certaine propension à confondre science/expertise et droit.

2Dans le cadre du contrôle juridictionnel, de telles origines conceptuelles inscrivent la juridiction dans une position de faiblesse par rapport à l’agence. D’un côté, pour décider, l’agence s’appuie sur des données empiriques qui ne sont que des produits dérivés de son expertise ou encore des matériaux de provenance externe, mais dont elle est une interprète avertie en raison de sa qualité d’experte. D’autre part, la juridiction, en tant qu’organe à vocation générale, est handicapée dans l’exercice de sa fonction sanctionatrice. En effet, elle est versée dans le droit alors que l’acte administratif sur lequel elle doit statuer est un acte, certes juridique, mais fortement imprégné de connaissances scientifiques ou techniques qui ne lui sont pas familières. En définitive, le caractère inhabituel de l’objet livré à son examen met la juridiction dans une situation d’inconfort et de désavantage. Au vu d’un tel rapport de force, le risque existe que la fonction juridictionnelle ne devienne que nominale et que le règne du droit (rule of law) ne soit finalement que celui de l’expertise.

3En 1946, la loi générale relative à la procédure administrative aux États-Unis, l’American Procedure Act (APA), a pour but de déjouer un tel risque. En fait, dès les années 1930, et davantage encore pendant la Seconde Guerre mondiale, les révélations sur l’inefficacité voire l’incompétence de certaines des créations du New Deal érodent sérieusement la croyance en la neutralité de l’agence experte (Schiller, 2002, 185, 191). La loi de 1946 traduit en partie ce désenchantement (Wagner, 2015, 2024) ainsi que les revendications des entités régulées visant à obtenir des garanties procédurales permettant de défendre le droit de propriété et la liberté d’entreprendre. Elle réitère fortement le principe de la soumission de l’administration au droit en en précisant les garanties. Si, sur le plan du contrôle juridictionnel, pour l’essentiel, elle codifie la jurisprudence, en matière non contentieuse, elle innove davantage. Notamment, les obligations de transparence et de participation qu’elle impose aux agences ont des implications sur la provenance des données empiriques alimentant le processus décisionnel ainsi que sur le statut non contentieux et contentieux de celles-ci. Celles d’entre elles qui sont autoproduites par l’agence ou empruntées à un avis sollicité par cette dernière font l’objet d’une diffusion non seulement aux parties (formal adjudication), mais encore au public (formal rulemaking, informal rulemaking). En outre, l’agence est destinataire des données empiriques en provenance des parties (formal adjudication, formal rulemaking) ou du public (formal rulemaking, informal rulemaking). Enfin, dans chacun des cas, un processus délibératif est à l’œuvre qui, en dernière analyse, affecte l’appréhension des données empiriques par la juridiction.

4L’APA de 1946 modifie donc la relation qui se noue entre l’agence, les parties, le public et la juridiction autour des données empiriques. L’agence perd son exclusivité ou sa quasi-exclusivité quant à la soumission de données empiriques. Désormais, la juridiction doit traiter des données empiriques d’origine plurielle, qu’il s’agisse de statuer sur des actes individuels ou des actes réglementaires. En outre, la juridiction doit réguler la concurrence que se livrent les différentes catégories d’auteur de matériaux factuels au cours de l’élaboration des actes.

5Tout au long de la seconde moitié du xxe siècle, la transformation du modèle de l’agence experte se poursuit. Depuis les années 1980, l’évaluation par les pairs internes ou externes est pratiquée par de nombreuses agences (Wagner, 2015, 2026-29), soit que son introduction est auto-initiée, soit qu’elle est imposée par le Congrès ou par le président. Par ailleurs, la désillusion quant à la neutralité de la science se manifeste par la prise de conscience de la variété de choix de politique publique que comporte toute décision qui apparaît de prime abord strictement scientifique (Wagner, ibid.).

6L’expertise constitutive de l’agence est donc désormais non seulement désacralisée et mise en concurrence, mais encore sujette à évaluation par les pairs. Dans ce contexte triplement renouvelé, il reste à déterminer les caractéristiques du contrôle applicable aux données empiriques dans le contentieux administratif. Une clarification préalable s’impose quant aux règles applicables, car bien qu’il soit sanctionné par le même ordre juridictionnel que le droit constitutionnel, le droit civil et le droit pénal, le droit administratif américain présente une autonomie certaine. Le régime de la preuve employé dans le cadre du contrôle juridictionnel des agences illustre parfaitement cette autonomie, car il répond à un principe de spécialité. En deuxième lieu, la question est de savoir comment la jurisprudence fédérale contrôle les données empiriques avancées par les agences pour justifier leurs règlements. Précisément, la posture jurisprudentielle s’inscrit dans l’approche rationaliste retenue pour effectuer le contrôle juridictionnel. Dans le cadre d’une macro-comparaison transatlantique, des membres de la doctrine administrativiste américaine soulignent que la prépondérance de la rationalité dans le contrôle juridictionnel des agences aux États-Unis tranche avec l’accent mis sur la proportionnalité en Europe (Bignami, 2011, 902). Si l’affirmation paraît particulièrement vraie dans le cas allemand, elle semble perdre de vue que, dans le cas de l’administration française, le contrôle de proportionnalité n’est qu’un des degrés d’intensité (en l’occurrence le plus élevé) du contrôle de légalité de l’acte administratif. Toujours est-il que le contrôle juridictionnel américain est considéré comme étant très attentif à la « qualité des données scientifiques et de l’évaluation des politiques publiques sous-tendant la décision administrative » (Bignami, ibid.). Cette attention se manifeste à travers les exigences méthodologiques croissantes que la jurisprudence impose aux agences pour la collecte des données empiriques déterminant la formulation des règles. En troisième lieu, l’interrogation doit également porter sur les données empiriques d’origine jurisprudentielle dont est tissée la résolution des questions de droit par les juridictions. Deux phénomènes apparus au cours des trois dernières décennies rendent ce genre de données plus visible à l’examen doctrinal. Il s’agit, d’une part, de la facilité d’accès aux informations techniques et scientifiques qu’offre internet à tout un chacun, y compris aux juges. Ces derniers (comme d’ailleurs le public) sont donc plus à même qu’avant de se documenter pour dégager leurs propres données et de saisir de manière plus informée le produit de l’expertise des agences. Il s’agit, d’autre part, de la tendance à la multiplication des mémoires d’amicus curiae[5] devant les cours d’appel et la Cour suprême qui trouvent ainsi une autre source d’alimentation de leurs données empiriques. Or, lorsque l’on compare le contrôle des données [6] et l’utilisation de celles-ci par les juridictions américaines, on découvre le tableau fort contrasté d’une dualité statutaire. L’insistance méthodologique du contrôle juridictionnel exercé sur les données présentées par les agences tranche avec le caractère lacunaire du régime juridique de l’utilisation des données par les tribunaux.

Le régime propre de la preuve dans le contentieux administratif

7La spécificité du régime de la preuve dans le contentieux administratif implique l’inapplicabilité de la jurisprudence Daubert. La recherche de la force probatoire des données empiriques sur lesquelles s’appuient les agences passe donc par l’APA dûment éclairé par des apports doctrinaux.

L’inapplicabilité des Federal Evidence Rules et de la jurisprudence Daubert

8Le droit commun fédéral de la preuve n’est, en effet, pas d’un grand secours pour déterminer le régime probatoire des données empiriques formulées par les agences. Si une codification des règles de preuve est intervenue en 1975 dans le cadre des Federal Rules of Evidence (FRE) [7], ce corpus est réservé au contentieux civil et pénal [8]. Il en résulte que la jurisprudence Daubert[9] dégagée en 1993 et qui assigne au juge de première instance le rôle de gardien de « la pertinence » et de « la fiabilité » [10] des données scientifiques et techniques avancées par des experts au cours de l’audience (expert testimony) est inapplicable en matière administrative. En principe donc, la juridiction ne joue pas un rôle de garante de la qualité scientifique et technique des données posées par les agences. Face à l’expertise de ces dernières, elle place son intervention sous le signe de la déférence et s’évertue à vérifier la rationalité de l’usage des données. Autant dire que, malgré le triple déclassement signalé plus haut, l’expertise des agences reste encore placée sur un piédestal dans le cadre du contentieux administratif tandis que l’expertise privée semble être plus sérieusement détrônée depuis l’affirmation en 1993 du pouvoir juridictionnel d’en contrôler les conclusions.

9Le contrôle juridictionnel de l’administration vise à sanctionner l’irrationalité de cette dernière. Cette orientation rationaliste est un compromis qui permet, d’une part, de jouer le rôle assigné aux tribunaux par le principe de juridicité de l’action administrative, d’autre part, de concéder l’asymétrie fondamentale dont la juridiction pâtit par rapport à l’agence quant à l’appréhension desdites données. Les données empiriques sont ainsi filtrées à la suite de ce compromis. Le filtrage opéré dans le cadre du contentieux administratif diffère de celui instauré par la jurisprudence Daubert (McGarity, 2005). Notamment, il ne réduit pas le champ des données scientifiques recevables aux seules études dont les conclusions sont certaines. Il ne prive pas l’agence, cherchant à décider de l’opportunité et du contenu d’une réglementation, des conclusions scientifiques incertaines [11]. Alors que selon la jurisprudence Daubert[12] la novation de la science en droit est limitée à la science empreinte de certitude, en droit administratif, ladite novation peut se produire malgré l’incertitude de la science [13], et inciter à réguler par précaution.

10La tentative d’extension de la jurisprudence Daubert au contentieux administratif qui ravalerait l’expertise administrative au rang de l’expertise privée relève d’une visée dérégulationniste de la part des promoteurs de l’extension. Elle a été globalement repoussée par la jurisprudence (McGarity, 2005). En particulier, elle n’a jamais été entérinée par la Cour suprême, comme le démontre l’arrêt Biesteck, rendu le 1er avril 2019 [14]. En contradiction avec la jurisprudence Daubert, la Cour y admet qu’un administrative law judge (ALJ) (Custos, 2019) de la Social Security Administration puisse considérer que le refus de communiquer les sources fondant ses conclusions opposé par un expert ne compromet pas la valeur probatoire desdites conclusions. Elle autorise ainsi l’administration à agir sur la foi de preuves secrètes, en dehors de circonstances mettant en cause la sécurité nationale. Malgré les appels à la généralisation du standard Daubert par l’instauration d’un Daubert de la régulation (regulatory Daubert) (Miller et Rein, 2016 ; Raul et Dwyer, 2003), seule la Cour d’appel fédérale du VIIe circuit applique cette « daubertisation » aux données scientifiques des agences [15]. Et, en l’occurrence, la fonction de triage (gatekeeper role) entre science de mauvaise qualité (junk science, pseudoscience) et science de bonne qualité (sound science) revient à l’ALJ dans le cadre d’une formal adjudication.

11L’inapplicabilité des Federal Rules of Evidence et de la jurisprudence Daubert oblige à chercher ailleurs que dans les règles en question le droit de la preuve en matière administrative.

L’APA dûment éclairé par deux apports doctrinaux

12La juridiction ne peut néanmoins pas beaucoup compter sur l’APA pour résoudre la question de l’admissibilité de la preuve scientifique dans le contentieux administratif. En effet, l’APA s’avère succinct sur la question des preuves. L’on pourrait certes dire que l’APA aborde celle-ci indirectement en prévoyant deux types de contrôle de l’action administrative : le substantial evidence applicable aux procédures formelles, l’arbitrary and capricious applicable aux procédures informelles. À l’origine, le premier test était plus exigeant que le second. Mais, dans les années 1970, la distinction est devenue moins marquée et les deux tests en sont venus à se confondre dans leur degré d’exigence à l’égard des agences [16].

13Il demeure néanmoins que l’APA ne traite directement de la question des preuves que dans deux dispositions. Celles-ci figurent dans une section relative aux procédures formelles. L’une pose le principe selon lequel la partie avançant un fait doit en apporter la preuve ainsi que l’interdiction d’admettre certaines preuves [17]. L’autre prévoit la possibilité, pour l’agence, d’établir une présomption simple sous forme d’official notice[18] qui correspond à deux hypothèses : ou bien l’official notice repose sur les connaissances que l’agence tire de sa spécialisation, donc sur l’expertise ; ou bien elle relève de connaissances basiques à la portée du quidam : un fait qui ne peut être raisonnablement contesté compte tenu de son caractère évident ou qui peut être rapidement établi.

14La notion d’official notice inscrite dans la loi de 1946 est, en réalité, d’origine doctrinale. Elle a été introduite par le Pr Walter Gellhorn en 1941 (Gellhorn, 1941). Cette création repose sur une assimilation entre l’agence dans l’exercice de ses fonctions quasi juridictionnelles et la juridiction. L’official notice ou présomption administrative est l’équivalent de la judicial notice ou présomption judiciaire prévue par les Federal Rules of Evidence (FRE) [19]. Précisément, la première hypothèse d’official notice ouvre la voie à la transformation en droit de données empiriques retenues par l’agence sur le fondement de son expertise si la juridiction de contrôle n’est pas convaincue des preuves contraires administrées par les parties. Or, les agences ont tendance à fonder leurs décisions sur « des connaissances tacites » (Gersen et Vermeule, 2016, 1370-71) sans en inclure les preuves dans le record ou dossier produit dans le cadre de la préparation de l’acte et rendent ainsi difficile le contrôle juridictionnel.

15Pour compléter l’APA et trouver les règles de preuve applicables au contentieux administratif, on peut certes puiser dans la clause du Due Process, les lois constitutives des agences, et la jurisprudence. À titre de source secondaire, un deuxième apport doctrinal ne saurait cependant être oublié. En effet, l’on doit au Pr Kenneth Culp Davis l’introduction, dès 1942, d’une distinction fondamentale qui structure l’administration de la preuve en droit administratif (Davis, 1942) [20]. Cette distinction reflète en partie la classification entre les deux formes procédurales de l’action administrative codifiées dans l’APA, adjudication et rulemaking. Surtout, elle instruit la question du contrôle des données empiriques.

16Davis distingue les faits spécifiques ou adjudicative facts des faits généraux ou legislative facts. Les adjudicative facts concernent les questions relatives aux parties destinataires de l’acte ou en litige, les circonstances particulières devant l’agence ou la juridiction. Les legislative facts[21] ont trait aux problèmes généraux de droit et de politique publique (law and policy) que se pose l’agence ou la juridiction. La notion d’adjudicative facts existait déjà. Quant à la notion de legislative facts, comme l’indique Davis (Davis, 1942, 403), elle est une application en dehors du droit constitutionnel de celle, alors déjà usitée, de constitutional facts. L’apport de Davis consiste, tout d’abord, dans la création de la notion générique de legislative facts. En 1942, Davis effectue cette généralisation en matière administrative alors qu’il est à la recherche des règles procédurales adaptées au monde des agences à un moment où l’APA, publié en 1946, n’existe pas encore. La généralisation vaut maintenant pour toutes les branches du droit.

17Son apport concerne, en second lieu, l’élucidation des conséquences sur le plan probatoire de la distinction. La distinction importe par les types de preuve auxquels renvoie chacun de ces termes. L’observation du comportement des témoins (y compris quand ceux-ci sont des experts) et l’interrogatoire contradictoire (cross examination) sont considérés comme plus appropriés pour prouver des adjudicative facts (Davis, 1976, §§ 12 : 4, 15 : 3), notamment dans le cadre des contentieux de la responsabilité civile et des marques [22] ou encore, en droit administratif, à propos de nombreux aspects personnels des affaires de sécurité sociale, d’immigration et de fiscalité. En revanche, ces types de preuve ne sont pas adaptés pour faire état des considérations générales, telles que « des vérités scientifiques, des données sociologiques et des pratiques industrielles » (Davis, ibid.) qui inspirent les choix de politique publique opérés par le Congrès, les agences et les tribunaux. Tout au contraire, l’invocation des matériaux empiriques de type scientifique ou technique est le mode de preuve indiqué pour les legislative facts. Précisément, les litiges relatifs aux droits fondamentaux et aux règlements tournent pour beaucoup autour de legislative facts. Néanmoins, la mise en cause de la politique publique sous-jacente à une adjudication appelle, elle aussi, la preuve de legislative facts[23]. Par conséquent, la confection d’une décision administrative ainsi que l’exercice du contrôle juridictionnel de cette dernière sont susceptibles de mobiliser concomitamment des adjudicative et des legislative facts.

18Au total, de la combinaison de la source textuelle que constitue l’APA et des apports doctrinaux, il ressort que 1) à travers l’official notice, le produit de l’expertise de l’agence a statut de présomption simple ; 2) le contrôle juridictionnel de l’expertise des agences, qu’il soit fondé sur le standard du substantial evidence ou sur celui de l’arbitrary and capricious, passe par la distinction entre adjudicative et legislative facts ; 3) l’official notice permet de faire état de legislative facts que la juridiction est susceptible de reprendre à son compte sous forme de judicial notice.

L’insistance méthodologique du contrôle juridictionnel de l’expertise des agences

19Il est acquis que, dans son principe, l’approche rationaliste observée par la jurisprudence est déférente dans la mesure où la juridiction se borne à vérifier la rationalité du processus décisionnel et se refuse à substituer son appréciation des données à celle de l’agence. À proprement parler, la méthode de prise rationnelle de la décision administrative est établie par la Cour suprême en 1971 dans l’affaire Overton Park[24]. À cette date, en effet, la Cour suprême entame l’abandon de l’assimilation traditionnelle [25] entre contrôle de rationalité (rational-basis review) [26] de la loi et contrôle de rationalité de l’acte administratif, transformant ce dernier en hard look. Il faut cependant attendre le prononcé de l’arrêt State Farm le 24 juin 1983 [27], pour la voir reconnaître explicitement la spécificité et l’exigence supérieure de l’exercice du judicial review[28] lorsqu’il porte sur le règlement et non sur la loi. Sur la base des principes de transparence et de participation de l’APA, à compter des années 1970, l’approche rationaliste spécifique retenue par les arrêts Overton Park et State Farm se traduit par l’imposition à l’agence d’une méthode exigeante d’invocation des données. Des données empiriques peuvent ainsi être écartées par la juridiction quoiqu’officiellement elles ne le soient que pour manquement d’ordre méthodologique. Mais pour prendre la mesure initiale de la méthodologie de la prise de la décision imposée aux agences, il faut aussi tenir compte de la précision apportée par un troisième arrêt, Baltimore Gas[29]. Celui-ci est révélateur de l’attitude extrêmement déférentielle de la Cour suprême lorsque l’agence se prévaut d’une incertitude scientifique. Il reste qu’une deuxième phase s’est ouverte depuis le début du xxie siècle qui est marquée par une accentuation de l’attention méthodologique de la Cour suprême.

La méthodologie générale dégagée en 1971 précisée et synthétisée en 1983

20Le 6 juin 1983, soit deux semaines plus tôt que l’arrêt State Farm, la Cour suprême rend la décision Baltimore Gas relative à une réglementation de la Nuclear Regulatory Commission (NRC). Conformément au National Environmental Policy Act (NEPA), la NRC mène une étude d’impact préalable. Plusieurs des données tirées de l’étude se révèlent incertaines. Prenant note de cette incertitude, mais interprétant ces données comme favorables à une intervention, elle lance une procédure réglementaire et sur cette base accorde des permis d’exploitation de centres de traitement de déchets nucléaires. Le problème est alors de savoir si la faible valeur probatoire de certaines des données doit amener la NRC à les écarter et finalement à abandonner le projet d’action. La Cour entérine l’action. Ce faisant, elle se refuse à ignorer les données suspectes. Loin de s’ériger en gardienne des preuves dans ce contexte d’incertitude scientifique, elle délimite modestement son rôle : « Le rôle de la Cour ne consiste pas à déterminer quelle décision elle aurait prise si elle avait été la NRC. Sa seule tâche est de déterminer si la NRC a considéré les facteurs pertinents et a montré un lien rationnel entre les faits établis et le choix retenu » [30].

21Il revient donc à l’agence d’user de son pouvoir discrétionnaire pour interpréter les résultats ambigus d’une étude scientifique ou technique. Dès lors que le choix de politique publique découle logiquement des faits présentés par l’agence, peu importe que certains des faits souffrent d’une incertitude, l’acte administratif est validé au regard du standard dit arbitrary and capricious[31]. Ce qui est crucial, c’est le lien logique global entre les faits et le contenu de l’acte. Des ambiguïtés ou incertitudes dans l’appréhension factuelle sont tolérées. L’agence est reconnue interprète exclusive de résultats scientifiques incertains et la seule habilitée à en tirer des conséquences en termes de politique publique.

22La position de déférence déclarée par la Cour à l’égard des données scientifiques et techniques produites par l’agence, et des choix de politique publique sur lesquels ils débouchent, est à replacer dans le cadre du contrôle approfondi de la motivation. En effet, trois semaines après l’affaire Baltimore Gas, la Cour réitère avec précision dans l’arrêt State Farm[32] l’extrême attention qu’elle attache à la pratique d’un processus décisionnel raisonné. State Farm synthétise ainsi le hard look adopté en 1971 dans l’arrêt Overton Park[33].

23En effet, pour éviter d’être taxée d’agir de façon arbitraire et capricieuse, l’agence doit expliquer son règlement au vu des données figurant dans le dossier ou record sur la base duquel l’acte a été édicté. C’est sur cette motivation que se concentre le contrôle approfondi, dit hard look, de la juridiction pour établir le caractère rationnel du dispositif. En principe, la juridiction n’interprète pas les données. Elle vérifie seulement que l’explication fournie dans le préambule du règlement incorpore effectivement toutes les données pertinentes. Parmi ces dernières figurent les données contradictoires qui ont été opposées à l’agence dans le cadre de la procédure de participation.

24La vérification juridictionnelle de l’effectivité de la participation compense quelque peu l’absence d’expertise de la juridiction. La réfutation provenant des entités régulées ou des groupes d’intérêt ainsi que l’exigence de traitement sérieux des objections apporte un contrepoids à l’expertise de l’agence. Le pluralisme des données empiriques vient tempérer la toute-puissance que l’agence, arguant de son expertise, pourrait être tentée de s’arroger.

25La règle de la motivation contemporaine imposée par la jurisprudence avant même l’APA par la jurisprudence Chenery I de 1942 [34] est une autre limitation imposée à la faculté reconnue à l’agence d’avancer des données tirées de son expertise. Les seules données empiriques admises pour justifier la décision sont celles figurant dans le record ou dossier de l’acte. Une fois l’acte publié, la motivation complémentaire est interdite. Il est donc impossible à l’agence au stade contentieux d’invoquer des données empiriques qui ne figuraient pas déjà dans ledit dossier. La consistance des études et contre-études justifiant l’acte est ainsi fixée pendant l’élaboration de l’acte et notamment durant la phase de participation.

26En définitive, dans la mesure où la juridiction ne substitue pas son appréciation à celle de l’agence [35], le contrôle est considéré comme déférent quant au fond [36] et cette déférence devient ultra-déférence (super-deference) (Meazell, 2011, 734) en cas de données scientifiques ou techniques complexes. Mais paradoxalement, cette déférence quant au fond se combine avec un regard très pénétrant (hard look) sur l’expression des motifs, au point que l’examen de la motivation s’analyse comme un contrôle matériel masqué en contrôle de procédure (Shapiro, 1992, 180 ; Custos, 2020).

27Il ne faut néanmoins pas surestimer le rééquilibrage que la participation d’autres experts à la confection de l’acte administratif apporte à l’asymétrie structurelle de la relation juridiction-agence, en ce qui concerne la production et l’interprétation des données empiriques relatives au domaine d’expertise de l’agence. Nonobstant le canevas procédural général posé par l’APA, les lois constitutives des agences sont susceptibles d’instaurer des degrés divers de participation. Alors que les règles de participation applicables par l’EPA sont exigeantes, celles se rapportant à la régulation nucléaire présentent un cas opposé unique (Trisolini, 2015, 327, 348). Le caractère restrictif [37] des règles de participation entretient « une culture de forteresse » (Trisolini, 2015, 327) au sein de la Nuclear Regulatory Commission (NRC). Par conséquent, le nombre de données scientifiques venant concurrencer [38] celles de la NRC est faible. Il en résulte un affaiblissement de l’effet normalement compensateur de la participation sur l’assurance que procure l’expertise à l’agence. En outre, le quasi-monopole que détient la NRC en tant qu’experte en matière de risque nucléaire se double d’une délégation de pouvoir « singulièrement large » [39]. La prise en compte de cette dernière incite la Cour suprême à dresser contre les recours « un mur presque impénétrable de déférence » (Maleson, 1982, 607) qui se traduit par un niveau élevé de victoires pour l’agence-experte au contentieux (Eskridge et Bauer, 2013, 1145, 1204). Autant dire que la science avancée par la NRC a d’autant plus tendance à se muer en droit que la juridiction se laisse aisément convaincre par l’experte de la rationalité du processus décisionnel, en raison de la rareté de sources concurrentes de données. La juridiction n’est pas vraiment en mesure de s’assurer que les arguments scientifiques de la NRC ont été confirmés après avoir été confrontés à des explications alternatives. Le contraste offert par le cas du nucléaire est d’autant plus saisissant que globalement une accentuation de l’attention méthodologique de la Cour suprême est perceptible dans les deux dernières décennies.

L’accentuation de l’attention méthodologique

28En ce début du xxie siècle, la Cour suprême témoigne d’un souci rationaliste plus corsé. Il ne s’agit plus seulement pour elle de s’assurer que l’acte administratif est l’aboutissement d’un processus décisionnel rationnel une fois que la décision de réguler a été prise. Désormais, la discipline épistémologique qu’elle impose à l’agence s’étend au stade de l’opportunité même. Désormais, la Cour donne à l’agence des consignes analytiques précises sur la façon d’utiliser son expertise pour rassembler les données empiriques lui permettant de déterminer si elle est autorisée à agir ou si elle devrait agir.

29Deux arrêts relatifs au droit de l’environnement sont indicatifs de cette évolution : d’une part, la décision Massachusetts v. EPA de 2007 [40], d’autre part, la décision Michigan v. EPA de 2015 [41]. Massachusetts v. EPA est, en matière de refus de réguler, l’équivalent de State Farm (1971) en matière de dérégulation. L’inaction est assujettie au contrôle juridictionnel comme l’est l’abandon de la régulation. Il s’agit de scruter aussi bien l’action dérégulatrice que l’inaction d’inspiration anti-régulationniste du même regard pénétrant, dit hard look. Mais en 2007, le regard de la Cour se fait encore plus scrutateur. La Cour suprême annule le refus de réglementer l’émission de gaz à effet de serre provenant des automobiles comme elle y était invitée par les auteurs d’une pétition de réglementation (petition for rulemaking) au titre de la lutte contre le réchauffement climatique. La Cour estime que l’agence régulatrice de l’environnement, l’EPA, n’a pas fourni des raisons suffisantes pour que le rejet de la pétition de réglementer soit validé. La Cour explique que l’EPA doit fonder sa décision sur une étude scientifique lui permettant de déterminer si lesdites émissions ne comportent pas des risques pour la santé publique et le bien-être protégés par le Clean Air Act. Autrement dit, la Cour suprême subordonne l’adoption d’une politique publique par l’agence à une étude scientifique préalable à la prise en compte de considérations politiques [42]. Ainsi, elle impose un déroulé à la mise en œuvre de l’expertise administrative : la décision de réguler ou de ne pas réguler doit se faire sur la base d’une élucidation scientifique initiale et non en réponse à des pressions politiques.

30À ce propos, Jody Freeman et Adrian Vermeule parlent d’expertise forcing (Freeman et Vermeule, 2007, 52), de mise en demeure d’exercer l’expertise. En quelque sorte, la Cour force l’agence à faire usage de sa compétence d’experte pour établir les legislative facts (ici, les données scientifiques relatives au réchauffement climatique) lui permettant de répondre rationnellement à la pétition réglementaire. Elle lui impose une obligation préalable de recourir à la science pour déterminer l’opportunité d’une intervention régulatrice. Selon ces auteurs, l’imposition de l’appréciation scientifique préalable vise à protéger l’agence des pressions politiques internes (en provenance des agents occupant des postes à discrétion politique au sein des agences) ou externes (président en particulier). L’imposition de l’expertise préalable est donc un moyen de préserver le processus de décision administrative de la politisation liée au développement de l’administration présidentielle [43]. Dans Massachussets v EPA, la Cour restaure ainsi l’ancienne vision antagoniste des relations entre politique et expertise qui prévalait avant la jurisprudence Chevron[44]. Cette vision pré-Chevron restaurée se distingue de l’idée de complémentarité relationnelle. L’imposition de cette étude scientifique préalable peut par ailleurs s’analyser comme un exemple d’introduction d’exigences procédurales d’origine jurisprudentielle, une pratique à laquelle la Cour a pourtant déclaré mettre fin dans l’arrêt Vermont Yankee de 1978 [45]. L’arrêt Michigan v. EPA, jugée en 2015, semble lui aussi s’inscrire dans cette pratique.

31Dans l’affaire Michigan v. EPA, la question porte sur l’interprétation d’une disposition ambiguë (Masur et Posner, 2018, 982-985) [46] du Clean Air Act (CAA). La loi conditionne la réglementation de l’émission de polluants de l’air ambiant par les centrales électriques à l’établissement préalable des caractères « approprié et nécessaire » de ladite réglementation. Après avoir décidé de réglementer, l’EPA effectue une analyse coût-bénéfice (ACB) pour déterminer le contenu du règlement. Le problème est de savoir quand cette analyse doit être effectuée : le refus de considérer le coût d’une régulation avant de décider de l’opportunité de celle-ci est-il déraisonnable ? Quelques années auparavant, la Cour avait donné deux indications quant à la place de l’ACB dans la méthodologie rationaliste qu’elle imprime à la prise de la décision bureaucratique. En 2001, dans l’arrêt Whitman v. American Trucking Associations[47], elle avait interdit l’interprétation a contrario d’un texte clair excluant l’ACB. En 2009, dans l’arrêt Entergy Corporation v. Riverkeeper[48], elle avait estimé qu’il était raisonnable d’interpréter un texte ambigu comme n’excluant pas de façon catégorique l’ACB. En d’autres termes, avant 2015, il est clair que si la Cour ne va pas jusqu’à l’interprétation contra legem pour imposer l’ACB, elle est disposée à laisser l’agence exploiter l’ambiguïté d’un texte pour ce faire.

32En se prononçant sur l’affaire Michigan v. EPA de 2015, la Cour suprême franchit un pas supplémentaire. Malgré l’ambiguïté du texte à appliquer, elle impose l’ACB. Sous la plume du juge Scalia, auteur de l’opinion majoritaire (5-4), la Cour trouve qu’il est déraisonnable d’interpréter l’exigence textuelle d’intervention « appropriée et nécessaire » comme excluant la prise en compte du coût pour déterminer s’il y a lieu de réguler [49]. Dans la jurisprudence précédente, le silence et l’imprécision du texte législatif étaient analysés comme laissant le pouvoir à l’agence de décider s’il y a lieu de mener une telle étude. L’imposition d’une interprétation par la Cour s’écarte de la logique de Chevron qui veut que toute ambiguïté législative soit résolue par l’agence, sauf interprétation déraisonnable.

33La Cour ne déclare pas [50] que la disposition litigieuse ou l’APA impose en elle-même l’ACB. Pour exiger de l’EPA qu’elle détermine si le règlement est opportun sur la base d’une ACB, la Cour semble dégager une règle de common law (Masur et Posner, 2018, 979-81). Elle se réfère à une « pratique administrative établie » [51] selon laquelle « les agences considèrent depuis longtemps le coût comme un facteur éminemment pertinent pour déterminer s’il convient de réguler » [52]. Une telle référence laisse entendre que le fait de ne pas conduire une ACB serait frappé d’une présomption d’illicéité chaque fois que l’expression ambiguë législative est en cause.

34En outre, en estimant déraisonnable le fait de ne pas inclure une ACB pour déterminer l’opportunité d’une réglementation, l’arrêt Michigan s’écarte de la jurisprudence State Farm. Jusque-là, la Cour n’avait pas qualifié le coût de la réglementation de facteur pertinent dont l’examen est impératif au tout début du processus décisionnel. En l’occurrence, pour la Cour suprême, la nouveauté revient à épouser la position de la cour d’appel du circuit de Washington DC [53]. Selon cette dernière, en effet, l’absence de prise en compte des coûts quant à l’opportunité d’un règlement vaut, comme l’absence de prise en compte de ceux-ci quant à son contenu, manquement à l’interdiction d’action arbitraire et capricieuse.

35Selon Masur et Posner, l’analyse coût-bénéfice représente le second temps de la rationalisation bureaucratique américaine, le New Deal en étant le premier (Masur et Posner, 2018, 980). Depuis les années 1980, soutiennent-ils, entre les pouvoirs publics, un consensus s’est développé autour de la nécessité de faire de l’ACB une règle de procédure de l’acte administratif. Le mouvement a été lancé par le président Reagan [54] et repris par ses successeurs [55] par-delà les clivages partisans. Il a été rejoint par le Congrès [56] d’abord, et plus récemment par le pouvoir judiciaire [57].

36En définitive, attentive à sanctionner l’inaction comme l’intervention intempestive, la Cour force l’agence à utiliser son expertise et à établir un bilan scientifique préalable (EPA v. Massachusetts) ou un bilan coûts-avantages (Michigan) pour déterminer s’il y a lieu d’agir ou de s’abstenir. La Cour ne se contente plus de vérifier la qualité d’un mode de prise de décision, une fois que l’opportunité d’une intervention a été déterminée. Maintenant, elle va jusqu’à régir comment, en s’appuyant sur la science, la détermination de l’opportunité doit s’effectuer. En imposant l’obligation d’effectuer une analyse coût-bénéfice au seuil même du processus décisionnel, la Cour imprime une orientation fondamentale à l’établissement des legislative facts, ces données factuelles générales qui fournissent à l’agence les motifs et le fond de son action ou de son inaction.

37En clair, alors même que la possibilité de quantifier toute donnée est controversée (Rose-Ackerman, 2016 ; Sunstein, 2014), la Cour force l’agence à quantifier tous les facteurs empiriques alimentant la réglementation. Dans le cadre de son contrôle de la rationalité de l’action administrative, elle opère désormais un tri, à l’aune de la quantification, entre les données empiriques recevables et les données empiriques irrecevables. Recevable devient synonyme de quantifié. La détermination de l’opportunité d’une action sans analyse quantitative préalable rend inopérant l’exercice de son expertise par l’agence. Sur ce point, la comparaison entre Daubert et Michigan s’impose. La jurisprudence Daubert de 1993 fait du juge d’instance le garant de la science de bonne qualité face au témoignage de l’expert appelé à la barre. La jurisprudence Michigan de 2015 fait de la juridiction la garante de la formulation quantifiée de l’expertise administrative. La quantification étant érigée en critère de recevabilité du mode de preuve, force est de constater au moins un rapprochement entre les différents contentieux quant au contrôle juridictionnel des données scientifiques invoquées. L’analyste est alors fondée à se demander si une daubertisation des données scientifiques dont se prévalent les agences n’est pas subrepticement en train de se développer. Cette notable avancée du contrôle juridictionnel des legislative facts invoqués par les agences ne saurait passer inaperçue au regard du vide juridique qui caractérise la production de legislative facts par les tribunaux.

Le caractère lacunaire du régime juridique de l’utilisation des données par les tribunaux

38Si la Cour suprême applique une rigueur épistémologique croissante aux données empiriques apportées par l’agence, force est de constater que les données empiriques sur lesquelles elle appuie son raisonnement ne subissent pas un tel traitement. Quand celles-ci concernent les legislative facts, elles ne sont simplement pas saisies par le droit. Or, de nos jours, l’issue des décisions de la Cour suprême repose souvent sur l’établissement de legislative facts (Larsen, 2014, 1758). Il y a donc une dualité statutaire des données empiriques en fonction de leur provenance juridictionnelle ou non. Avant de s’interroger sur la portée de cette dualité statutaire et les solutions proposées pour la réduire, il convient de se pencher sur la pratique de production juridictionnelle de données empiriques.

La production juridictionnelle de données empiriques

39Les legislative facts dont la Cour suprême fait état dans ses arrêts par la voie de la judicial notice[58] peuvent découler de deux modalités. Tout d’abord, ils peuvent être extraits des mémoires soumis par les parties [59] ou les amici curiae. Leur ratification par la Cour, c’est-à-dire leur intégration dans un raisonnement judiciaire, en fait des legislative facts d’origine juridictionnelle par ricochet. Parmi les mémoires d’amicus curiae, ceux soumis par le solicitor general (qui assure la défense des agences fédérales auprès de la Cour) ont un grand poids auprès de la Cour qui reprend volontiers les données empiriques générales qui y figurent. Il arrive pourtant que les éléments factuels clés fournis par les amici curiae, et singulièrement par l’avocat des agences, soient erronés et que l’erreur se retrouve dans la décision de la Cour. [60]

40En deuxième lieu, ils peuvent être établis par les juges de façon indépendante, auquel cas, ce sont des legislative facts d’origine juridictionnelle autogénérés. Dans le contentieux administratif (Pierce, 2002, § 10.5), comme dans les autres contentieux, il est admis que les juges puisent, en dehors du dossier de l’affaire, et sur la base d’une présomption, les legislative facts leur servant à régler des questions de droit et de politique publique. De tels faits générés par la Cour sont le fruit de recherches menées personnellement par les juges ou, sous leur direction, par leurs clerks (sorte de référendaires). Le juge de circuit Posner [61] et l’Associate Justice Breyer [62] ont ainsi mis sur la place publique leur habitude de recherche individuelle des faits en dehors du record ou dossier. En réalité, cet aveu volontaire ou involontaire reflète une pratique bien répandue, au moins en dehors des juges de première instance. Or, celle-ci brave un tabou, l’interdiction traditionnelle pour un juge de common law de se livrer à une recherche factuelle indépendante (Schauer, 2013, 54). La judicial notice ouvre précisément une exception à cette interdiction.

41La production directe de faits généraux est tentante et facilitée par le caractère d’études de troisième cycle (graduate studies) du droit aux États-Unis qui rend relativement fréquent le cumul d’une formation juridique et d’une formation en sciences dures ou sociales. La combinaison d’un tel cumul et de la prégnance du réalisme juridique créent chez certains juristes une propension à effectuer des recherches extra-juridiques dans l’appréhension d’un problème de droit. En outre, la tentation s’accentue du fait de la disponibilité de données sur internet qui permet au juge, comme d’ailleurs aux parties et amici curiae, de se prévaloir relativement aisément de ces données. Cette pratique peut être révélée, sans ambages, lorsque les membres de la Cour interrogent les avocats au cours de l’audience.

42Néanmoins, la production indépendante n’est pas toujours disponible, car la technicité de certains domaines incite la Cour suprême à puiser les données empiriques nécessaires au jugement quasi exclusivement dans les mémoires d’amicus curiae dont la rédaction a mobilisé les compétences techniques adéquates. Tel est le cas des données économiques indispensables pour statuer dans les affaires de pratiques anti-concurrentielles (Allensworth, 2011).

43Qu’il s’agisse de formulation directe ou indirecte de legislative facts d’origine juridictionnelle, celle-ci s’effectue à travers la judicial notice. Historiquement, la Cour suprême inaugure la pratique de l’affirmation de legislative facts par la voie de la judicial notice en 1908. En réalité, cette innovation fait écho à l’inventivité de l’auteur d’un des mémoires présentés dans l’affaire Muller[63], jugée en 1908. En effet, le mémoire de 113 pages, que Louis D. Brandeis, alors avocat représentant l’État de l’Oregon dans l’affaire Muller, soumet à la Cour suprême, révolutionne les modes d’argumentation et de preuve dans les prétoires américains. Il est, en effet, truffé de statistiques extraites de revues médicales et sociologiques, et comporte de nombreuses citations du même genre et peu de références juridiques. Par là, il vise à prouver que les différences physiques des femmes justifient « la protection spéciale » [64] assurée par la loi contestée. En l’occurrence, la loi d’État fédéré attaquée limite à 10 heures le nombre d’heures de travail journalier dans les usines et blanchisseries pour les femmes et sa constitutionnalité est attaquée au regard de la clause du Due Process du XIVe amendement. Les données tirées des sciences sociales contenues dans le mémoire [65] obtiennent une « reconnaissance judiciaire », judicial cognizance[66], que la Cour prend soin de distinguer de la qualité d’authority[67], de source du droit, réservée aux textes juridiques et à la jurisprudence. En intégrant dans son raisonnement unanime de validation de la loi les références extra-juridiques du mémoire, la Cour suprême [68] admet l’usage des données scientifiques dans l’argumentation juridique qu’il s’agisse de rédiger un mémoire ou une décision juridictionnelle. Le mémoire dit « de style Brandeis », ou Brandeis brief, est ainsi perçu comme une marque de l’avènement de la conception réaliste du droit et du recours aux faits économiques et sociaux comme moyens d’argumentation et de preuve par opposition à l’usage exclusif de sources de droit caractéristique du formalisme juridique (Monahan et Walker, 2007, 1-27 ; Morag-Levine, 2013). La nomination de Brandeis [69] à la Cour suprême ainsi que le contentieux des réformes du New Deal, singulièrement celles relatives à la sécurité sociale et l’assurance chômage, présentent un terrain propice à la référence à des données extra-juridiques dans la rédaction des mémoires et des arrêts (Rustad et Kœnig, 1993, 2007, 108-109). Il faudra cependant attendre les années 1950 pour que l’usage des sciences sociales visant à prouver des legislative facts ne devienne chose courante pour la Cour (Monahan et Walker, 2007, 157) [70]. En tout cas, le mémoire « de style Brandeis » est non seulement consacré, mais aussi assimilé dans le cadre du raisonnement juridictionnel. Ainsi, le nouveau style de décision juridictionnelle dont la motivation comporte un mélange de matériaux juridiques et non juridiques est un produit dérivé du mémoire « de style Brandeis ».

44En 1954, pour déclarer inconstitutionnelle la ségrégation en matière d’éducation dans sa célèbre décision Brown v. Board of Education[71], la Cour reprend à son compte, dans le cadre d’une judicial notice, l’argumentation fondée sur les sciences sociales avancée par Thurgood Marshall, alors avocat de la NAACP [72]. Dans son mémoire, ce dernier mobilise les résultats des recherches menées en psychologie et en histoire de l’éducation pour prouver que la ségrégation entretient chez les enfants noirs un complexe d’infériorité qui les handicape dans leur capacité d’apprentissage [73]. La Cour fait siennes ces données extra-juridiques et offre un exemple historique de social ou progressive jurisprudence[74].

45Outre Muller et Brown, les décisions Roe v. Wade[75], Powell v. Texas[76], Grutter v. Bollinger[77], Citizens United[78] offrent d’autres notables exemples d’utilisation de la technique du judicial notice pour statuer sur la constitutionnalité d’une loi. Dans le cadre du contrôle juridictionnel de l’administration, la Cour l’utilise aussi bien à propos de l’action que de l’inaction des agences. Dans le premier cas, par exemple, la Cour tient compte du caractère sensible des informations relatives aux compétences des individus pour apprécier la régularité de la divulgation des résultats de tests psychologiques d’aptitude prônée par l’administration [79]. De même, en 2006 dans l’affaire Rapanos[80], la Cour s’inspire de trois mémoires d’amicus curiae, pour soutenir que les matériaux de dragage et de remblayage déposés dans les voies navigables « ne se diluent normalement pas en aval » [81] et conclure qu’ils ne sont pas susceptibles de générer une pollution justifiant une réglementation de la part de l’Army Corps of Engineers (ACE) et de l’Environmental Protection Agency (EPA). L’arrêt retient l’attention en ce qu’il est révélateur de l’exception (Aagaard, 2009) à la déférence que la Cour pratique en principe depuis l’arrêt Chevron lorsqu’il est question d’interpréter la loi [82] (en l’occurrence le Clean Water Act) qu’une agence est chargée de mettre en œuvre. L’exception porte sur les premise facts (Keeton, 1988) [83] ou factual premises, c’est-à-dire sur les présomptions factuelles sur lesquelles s’appuie l’interprétation du texte législatif. Lorsqu’elles n’ont pas été soulevées devant l’agence, la Cour avance souverainement de telles présomptions empiriques sans accorder à l’agence le respect qu’appelle son expertise selon la jurisprudence Chevron. Ainsi, dans l’espèce Rapanos, elle ne prend nullement soin de vérifier si sa présomption quant à l’insignifiance des matériaux en cause comme facteurs de pollution est partagée par les deux agences expertes concernées (ACE et EPA).

46S’agissant de l’inaction administrative, en 2007, dans Massachusetts v. EPA, la Cour suprême a recours à la judicial notice pour invalider le refus de l’EPA d’intervenir contre le réchauffement climatique. En l’occurrence, elle prend juridictionnellement note de l’existence du réchauffement climatique : “A well-documented rise in global temperatures has coincided with a significant increase in the concentration of carbon dioxide in the atmosphere. Respected scientists believe the two trends are related. For when carbon dioxide is released into the atmosphere, it acts like a ceiling of a greenhouse, trapping solar energy and retarding the escape of reflected heat. It is therefore a species – the most important species – of a ‘greenhouse gas’”. [84] La Cour suprême établit donc la matérialité d’un legislative fact extrêmement controversé et essentiel à l’élaboration de la politique environnementale. Elle réitère ce constat de matérialité en 2011 [85].

Le sous-encadrement des données empiriques d’origine juridictionnelle

47L’identification du pouvoir de créer des règles générales reconnu aux juridictions est sous-jacent à la mise au jour de la distinction entre legislative fact et adjudicative fact. L’identification de faits généraux est en effet un préalable à la formulation d’une de ces règles. Or, l’exercice par la juridiction d’une telle fonction normative (qui se rapporte à l’établissement des legislative facts) est dépourvu de procédure contrairement à la mise en œuvre de la fonction législative du Congrès ou de la fonction de réglementation des agences (Davis 1986, 6) [86]. En matière administrative, la réalité est bien celle de l’inexistence d’un régime juridique pour l’énoncé des legislative facts d’origine juridictionnelle.

48Le constat d’absence de règles n’est pas propre au droit administratif, car, en matière civile, les FRE ne prévoient pas de règles pour le recours au judicial notice visant à établir des legislative facts. La Rule 201 des FRE qui fait obligation à la juridiction de respecter les principes de la transparence (la notification du recours à la présomption) et du contradictoire (le droit d’être entendu des parties) ne concerne expressément que l’usage du judicial notice visant les adjudicative facts. Implicitement, la disposition reconnaît un pouvoir discrétionnaire [87] (Fischer 22, 2013 ; Capalli, 2002, 103) aux juges en matière de faits généraux. On serait donc tenté de dire que le Congrès laisse le common law régir cet aspect et que les seules restrictions sont celles que la Cour veut bien poser. La Cour suprême ne semble pas disposée à modifier cet état de non-réglementation. En juin 2018, elle n’a pas dénié répondre [88] à l’invitation [89] qui lui était faite d’indiquer les règles de fond [90] selon lesquelles elle acceptait de reprendre à son compte les legislative facts avancés dans les mémoires d’amicus curiae.

49L’absence d’encadrement juridique est encore plus frappante quant à l’usage du judicial notice en matière administrative puisque si l’APA prévoit l’official notice, il est muet sur le judicial notice. En clair, qu’il s’agisse de faits spécifiques ou de faits généraux, l’APA ne comporte aucune disposition qui serait relative à la judicial notice. S’agissant de l’établissement, par leurs propres soins, de legislative facts, les juges ne trouvent d’ailleurs pas de guide déontologique dans leur organisation professionnelle. Certes, l’American Bar Association a fait en 2017 des recommandations déontologiques relatives à la recherche de données que mènent individuellement les juges sur internet [91]. Mais celles-ci se concentrent sur les adjudicative facts, lorsqu’elles posent un principe d’interdiction assorti de l’exception de la judicial notice. En bref, en matière administrative, en termes de droit dur comme en termes de droit mou, le recours à la judicial notice pour établir des faits généraux est entièrement discrétionnaire. L’usage dudit pouvoir doit être replacé dans le contexte général de l’affirmation de legislative facts par la voie de la judicial notice.

50Tout d’abord, il convient de saisir la portée de cette pratique au regard du principe de la procédure accusatoire qui donne un rôle considérable aux parties dans l’établissement des faits. En cherchant à déterminer le droit applicable et les faits de l’affaire par-delà l’apport des parties, la juridiction contribue bien à la formation des matériaux nécessaires à la résolution du litige. Son rôle, en l’occurrence, est éminemment actif. Elle est l’auteure de certains des faits qui nourrissent le dispositif de l’arrêt. Il y a bel et bien, à ce titre, une dimension inquisitoriale de la procédure et de l’administration de la preuve. Par conséquent, l’affirmation de l’exclusivité du principe de procédure accusatoire du procès américain correspond à un mythe (Gorod, 2011). Le principe doit être relativisé. La juridiction ne se contente pas d’arbitrer entre des moyens de preuve présentés par les parties pour établir des faits. Elle introduit elle-même des faits et ceux-ci peuvent s’avérer déterminants pour le règlement du litige.

51En outre, le constat de cette participation active des juges au procès, force à regarder de plus près la relation agence-juridiction. Davis tirait précisément un parallèle entre les legislative facts servant à la formulation des règles par les agences et ceux sur lesquels s’appuie la juridiction pour créer le common law (Davis, 1942). C’est dire que la production des données empiriques par la Cour elle-même vient élargir le pluralisme des données empiriques généré par la participation du public. Cet élargissement est loin d’être anodin quand il concerne des legislative facts avancés par l’institution exerçant le contrôle juridictionnel de l’expertise administrative. La double qualité d’auteure de legislative facts et d’organe de contrôle de la juridiction complexifie la relation agence experte – juridiction sanctionatrice. Ainsi, à côté des legislative facts d’origine législative, présidentielle, administrative ou non institutionnelle [92], il existe des legislative facts d’origine judiciaire.

52Même si l’official notice est un atout incontestable pour l’agence, l’expertise administrative s’avère désacralisée, concurrencée, évaluée par des pairs et son adéquation méthodologique est de plus en plus attentivement scrutée par la juridiction. Parallèlement, la capacité de poser pour acquis des faits généraux par voie de judicial notice, qui plus est sans encadrement juridique, est un atout particulièrement important pour la juridiction puisque, s’agissant de faits généraux qui nourrissent des choix de politique publique, la juridiction entre en compétition avec l’agence ou le Congrès.

53La judicial notice n’introduisant en principe qu’une exceptionnelle dose inquisitoriale dans le procès, il n’y aurait pas lieu de s’inquiéter de l’absence de régime juridique en matière de legislative facts. Mais un changement radical de la pratique contentieuse des mémoires d’amicus curiae, à l’œuvre depuis les années 1990, redessine l’usage de la judicial notice et renouvelle la question de l’encadrement juridique.

54En effet, la fréquence des dépôts de mémoire d’amicus curiae devant la Cour suprême s’est considérablement accrue depuis les années 1990 (Larsen et Devins 2016, 1902 ; Kearney, 2000, 749) [93], alors que la pratique était restée rare pendant l’essentiel du xxe siècle. Ces mémoires sont toujours d’une grande utilité pour la qualité de l’administration de la justice. À ce titre, ils permettent de compenser les restrictions dans lesquelles le système accusatoire enferme les juges. Ils contribuent également à la formation continue de ces derniers en leur apportant de précieuses informations extra-juridiques qui font d’eux des « non-spécialistes informés » [94].

55Mais la multiplication de ces mémoires s’accompagne de leur transformation conceptuelle. Selon la conception initiale, l’amicus curiae est un tiers [95], souvent fort d’une expertise, qui, à travers le dépôt de son mémoire, apporte un éclairage à la juridiction sur des questions factuelles ou juridiques non soulevées par les parties ou sur les implications, au-delà des intérêts des parties, de l’affaire pendante : soit il a une position neutre par rapport aux parties, soit il soumet des arguments au soutien d’une partie non représentée. Or, l’intensification de l’usage de ce type de mémoire observée depuis les trois dernières décennies cache une instrumentalisation d’une technique procédurale dans le cadre des stratégies contentieuses menées par des groupes d’intérêts, parfois sans, mais de plus en plus souvent, en concertation avec les parties. En effet, beaucoup parmi les amici curiae ne sont des tierces parties qu’en apparence. Sollicités et aiguillés par certaines parties, ils produisent des mémoires qui servent de caisses de résonance à ceux déposés par les parties proprement dites. Il arrive ainsi que des mémoires d’amicus curiae s’appuient sur des études qui ont été commandées par anticipation d’un contentieux par l’une des parties. En tout état de cause, les données qui y sont présentées ne témoignent pas nécessairement du consensus ou de l’opinion majoritaire au sein d’une communauté scientifique. Elles ont été sélectionnées au soutien d’une ligne argumentative particulière. Néanmoins, leur insertion dans des argumentaires présentés par des amis de la cour les entoure d’une aura de neutralité et de fiabilité. Évidemment, le but ultime de cette orchestration de mémoires d’amicus curiae est que les données empiriques consignées dans lesdits mémoires ainsi que l’interprétation qui y est véhiculée alimentent de façon déterminante l’établissement de legislative facts par la juridiction et, en dernière analyse, sa réponse au problème de droit. Il en découle, selon le juge Posner, que les mémoires d’amicus curiae se sont mués en advocacy documents ou documents de plaidoirie (Posner, 2005, 48). Cette mutation s’est normalisée dans les années 1990 [96].

56Le dévoiement sur lequel débouche une telle mise en scène contentieuse de l’amicus curiae ne se limite pas à la nature du mémoire d’amicus curiae. Il a des implications pour la procédure contentieuse dans son ensemble. L’intervention de nombreux amici curiae, au soutien de l’une ou l’autre des parties, tend à transformer l’affrontement circonscrit qu’évoque la notion de case or controversy en une procédure de notice-and-comment (Allensworth, 2011). Le mémoire d’amicus curiae ferait ainsi office de comment ou commentaire. Et d’un point de vue fonctionnel, la Cour se trouverait assimilée à une agence (Allensworth, ibid.) ! L’assimilation est néanmoins en partie trompeuse. Certes, la Cour est destinataire de mémoires d’amicus curiae, comme l’agence est destinataire de commentaires. Néanmoins, lesdits mémoires ne répondent pas à un projet de décision juridictionnelle, contrairement aux commentaires qui viennent en réaction à un projet de règlement. Lesdits mémoires repris par la Cour ne sont que partiellement sujets au respect du contradictoire alors que la participation du public est une marque de la contestation de l’expertise administrative et que les commentaires les plus pertinents doivent en retour être traités par l’agence dans la motivation de son acte.

57La Rule 37 de la Cour suprême qui prévoit les conditions de dépôt des mémoires d’amicus curiae n’exige pas de cross-examination de leur contenu. Seules les données introduites comme evidence, preuves factuelles, sont susceptibles de faire l’objet d’examen contradictoire, cross-examination. Or, celles contenues dans les mémoires d’amicus curiae n’ont pas qualité d’evidence quoiqu’elles puissent être contredites par les parties et d’autres amis de la cour, dans le cadre de la discovery[97], en dehors de la procédure de cross-examination proprement dite.

58Certes, à proprement parler, seuls les legislative facts produits par la juridiction elle-même échappent complètement à la transparence et au contradictoire. Dans un tel cas, l’opacité règne car, souvent, la juridiction invoque les faits législatifs autoproduits sans en mentionner les références (Gorod, 2011, 27-28). En outre, de tels legislative facts d’origine judiciaire apparaîtront dans l’arrêt sans avoir été offerts à la contestation. En revanche, si la juridiction reprend à son compte les legislative facts contenus dans un mémoire d’amicus curiae, les règles de la discovery garantissent que ceux-ci soient portés à la connaissance des parties qui sont ainsi en mesure de les critiquer. Dans la réalité procédurale devant la Cour, la distinction entre les deux cas de figure s’atténue. En raison de la brièveté des délais imposés par la Cour pour la soumission de mémoires et les interventions en cours d’audience, l’instance devant la Cour n’est pas le forum idéal pour que les legislative facts fassent l’objet d’un débat contradictoire sophistiqué. L’équité procédurale est remise en cause et le risque d’erreur est accru.

59Précisément, cette déficience procédurale ne saurait passer inaperçue en raison de la force d’impact des mémoires d’amicus curiae sur la Cour suprême en particulier, qu’il s’agisse du taux de succès de tels mémoires (Kearney et Merrill, 2000, 787-93) ou de la reprise quasi verbatim de leur contenu par la Cour (Collins, Corley et Hamner, 2015). La judicial notice est la technique par laquelle les données avancées par les amis de la cour se muent en legislative facts sous-tendant la motivation d’une décision juridictionnelle. Techniquement, la judicial notice peut intervenir à tout moment [98] dans une affaire, notamment au stade de l’appel devant une cour d’appel ou la Cour suprême.

60D’où les propositions tendant à l’établissement d’un régime juridique des legislative facts. Une première série tend à l’extension du régime juridique des adjudicative facts. À propos du contentieux civil, la doctrine (Rice, 1997) a pu proposer d’étendre le régime juridique des adjudicative facts aux legislative facts, et la jurisprudence de certains États, tels que l’Arizona, applique le même régime juridique aux legislative facts. Cependant, l’extension contredit la logique même de la distinction entre adjudicative facts et legislative facts. La Rule 201 des FRE ayant été conçue pour le contexte factuel spécifique, elle présente une inadaptation à la question des legislative facts.

61En dehors de cette proposition d’encadrement à travers des règles du droit procédural, des solutions de type institutionnel ont été proposées. En effet, le risque d’erreur dans l’établissement des faits législatifs généraux d’origine juridictionnelle indirecte est d’autant plus grand que la Cour ne vérifie pas systématiquement les informations contenues dans les mémoires d’amicus curiae. Elle n’en a simplement pas les moyens. Certes, elle dispose de clerks. Mais elle est dépourvue d’un service d’étude qui serait à même de vérifier la fiabilité des legislative facts avancés par les parties et les amici curiae. Une telle structure qui serait composée de chercheurs, pourrait par ailleurs dégager des legislative facts susceptibles de nourrir l’invocation proprio motu de la judicial notice. Pour améliorer la qualité de ces legislative facts autogénérés ou par ricochet, la création d’une institution de ce genre [99] a été recommandée dès 1986 par Kenneth Kulp Davis. L’auteur précisait que les études issues d’un tel service et utilisées par la Cour devaient être soumises à la contradiction dans le cadre du procès (Davis, 1986, 6, 15). La recommandation surgit de nouveau en ce début du xxie siècle (Gorod, 2011, 73). Dans la mesure où la proposition prend pour modèle le Congressional Research Service qui officie depuis 1971 comme organe de recherche auprès du Congrès, elle s’avère révolutionnaire. Elle met à nu la fonction normative générale de la Cour (Davis, 1942, 403). Ce faisant elle touche à un débat de fond qui divise politiques, universitaires et juges.

62En effet, selon que l’on retient une approche formaliste ou une approche réaliste de l’interprétation, on minimise ou on accorde une large part à l’établissement juridictionnel de legislative facts. Pour les tenants du formalisme, une juridiction ne doit qu’exceptionnellement dégager de telles données, car son rôle se confine, à travers la fidélité aux précédents, à l’application du droit qui ne doit pas être confondue avec la création du droit. Pour les tenants du réalisme, l’identification de legislative facts est une dimension ordinaire de l’activité juridictionnelle, car l’application du droit comporte une part intrinsèque de création.

63On ne sera donc pas surpris que certains juges avouent sans ambages et revendiquent leur propension à la recherche personnelle, notamment sur internet, de legislative facts au-delà du record ou dossier de l’affaire, alors que d’autres s’élèvent fermement contre une telle pratique qu’ils estiment fouler au pied l’allocation constitutionnelle du pouvoir législatif au Congrès ainsi que le principe accusatoire de la procédure juridictionnelle.

64En continuité avec la proposition de Davis visant à garantir la pertinence et la qualité des données générales invoquées par la Cour, Larsen (2017) prône le développement d’un groupe d’experts organiquement distinct de la Cour et chargé de mettre à disposition leur expertise en dehors du cadre de l’affrontement contentieux. La préconisation consiste en une généralisation d’un modèle néerlandais, le PRIME Finance, Panel of Recognized International Market Experts in Finance, spécialisé dans l’information financière à destination des juridictions [100].

65Finalement, aux États-Unis, l’agence et la juridiction se trouvent dans une situation fort contrastée quant à l’usage des legislative facts. Lorsque ceux-ci sont avancés par l’agence, ils tombent sous le coup d’un régime exigeant confectionné par la juridiction qui, tout en se défendant d’usurpation, demeure soucieuse de rationalisme. En revanche, lorsque la juridiction en est l’auteure, leur utilisation est sous-encadrée. Cette dualité statutaire est néanmoins maintenant contestée en raison à la fois de l’absence d’expertise universelle des juges et de la dénaturation subie par le mémoire d’amicus curiae. La contestation a le mérite d’identifier un problème commun à toutes les juridictions suprêmes et cours constitutionnelles, celui de l’aide scientifique et technique à l’établissement des données empiriques générales au regard desquelles les règles sont formulées.

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  • Rustad, Michael, et Koenig, Thomas (1993), “The Supreme court and junk social science : Selected distortion in amicus briefs”, 72 North Carolina Law Review 91. Schauer, Frederick (2013), “The decline of the record”, 51 Duquesne Law Review 51.
  • Shapiro, Martin (1992), “The giving reasons requirement”, University of Chicago Legal Forum, 179.
  • Schiller, Reuel E. (2002), “Reining in the Administrative State : World War II and the Decline of Expert Administration” in Ernst, Daniel R. et Jew, Victor eds., Total War and the Law : The American Home Front in World War II, Westport, Connecticut, Praeger Publishers, p. 185-206.
  • Sunstein, Cass R. (2014), “The limits of quantification”, 102 California Law Review, 1369.
  • Trisolini, Katherine A. (2015), “Decisions, disasters, and deference : Rethinking agency expertise after Fukushima”, 33 Yale Law and Policy Review 323.
  • Wagner, Wendy (2015), “A place for agency expertise : reconciling agency expertise with presidential power”, 115 Columbia Law Review 2019.

Notes

  • [1]
    L’« ère progressiste » se situe entre les années 1890 et 1920. Les progressistes prônent des réformes politiques, économiques et sociales en réponse à l’industrialisation, à l’urbanisation et à la corruption.
  • [2]
    La version américaine véhiculée par les New Dealistes se distingue cependant de la conception proprement wébérienne en ce que pour les promoteurs du New Deal, il n’y a pas de cloison étanche entre l’activité administrative et l’action politique.
  • [3]
    Parmi les cadres de l’agence, l’on trouve non seulement des juristes, mais encore des économistes, des ingénieurs et des scientifiques.
  • [4]
    L’arrêt Chevron de 1984 fait écho à cette approche déférentielle sur le terrain du contrôle juridictionnel de l’interprétation que l’agence donne à la loi dont la mise en œuvre lui a été confiée par le Congrès : Chevron USA, Inc. v. Natural Resources Defense Council, Inc., 467 U.S. 837 (1984). Mais ce type de contrôle n’est pas l’objet de la présente contribution quoiqu’il y soit fait référence ponctuellement.
  • [5]
    Le mémoire d’amicus curiae peut être déposé de sa propre initiative par la tierce personne qui en est l’auteure, à la demande d’une partie, ou à la demande de la juridiction. Il est plus fréquent devant la Cour suprême que devant les cours d’appel.
  • [6]
    L’analyse se concentre sur le contentieux administratif, mais globalement le contraste vaut pour les autres contentieux régis par la jurisprudence Daubert.
  • [7]
    Préparées par la Cour suprême, les FRE ont été approuvées par le Congrès. Elles régissent le régime de la preuve en matière civile et pénale devant les juridictions fédérales de première instance (trial courts) : Pub. L. 93 – 595, Jan. 2, 1975, 88 Stat. 1926.
  • [8]
    Rule 1101 (b) des FRE.
  • [9]
    Daubert v. Merrell Dow Pharmaceuticals, 509 U.S. 579 (1993). La jurisprudence est maintenant codifiée dans les FRE (Rule 702).
  • [10]
    La pertinence et la fiabilité sont spécifiées par l’arrêt Kumko qui étend la jurisprudence Daubert (données scientifiques) aux données techniques : Kumko Tyre Co., Ltd. V. v. Carmichael, 526 U.S. 137 (1999).
  • [11]
    V. seconde partie : L’insistance méthodologique du contrôle juridictionnel de l’expertise des agences, affaire Baltimore Gas.
  • [12]
    Daubert, supra note 8.
  • [13]
    Infra : la méthodologie générale dégagée en 1971 précisée et synthétisée en 1983.
  • [14]
    Biestek v. Berryhill, Acting Commissioner of Social Security, 139 S. Ct. 1148, 587 U.S. – (2019), 587 U.S. – (2019) : dans le cadre du standard de substantial evidence, les données invoquées par l’expert visaient à déterminer l’existence d’une incapacité de trouver un emploi au regard de la condition physique du requérant et de l’état du marché du travail, en vue de l’ouverture d’un droit à pension d’invalidité.
  • [15]
    Donahue v. Barnhart (7th Cir.2002) 278 F3d 441, 446.
  • [16]
    La confusion tient d’une part à des lois (Occupational Health Act, Toxic Substances Control Act) qui prévoient le substantial evidence test pour des règlements relevant de l’informal rulemaking, d’autre part, d’un renforcement de l’arbitrary and capricious test (V. seconde partie : L’insistance méthodologique du contrôle juridictionnel de l’expertise des agences).
  • [17]
    5 U.S.C. 556 (d).
  • [18]
    5 U.S.C. 555(e) : “When an agency decision rests on official notice of a material fact not appearing in the evidence in the record, a party is entitled, on timely request, to an opportunity to show the contrary”. (https://www.law.cornell.edu/uscode/text/5/556).
  • [19]
    La judicial notice est prévue par la Rule 201 des FRE.
  • [20]
    La distinction est reprise en matière civile lors de la rédaction des Federal Rules of Evidence (FRE) en 1975.
  • [21]
    Les termes social facts et premise facts remplacent parfois celui de legislative facts. V. Affaire Rapanos, deuxième partie.
  • [22]
    L’adjudicative fact relatif à la réaction des consommateurs face au produit litigieux.
  • [23]
    Ce qui, en droit administratif français, correspondrait à une exception d’illégalité.
  • [24]
    Citizens to Preserve Overton Park, Inc. v. Volpe 401 U.S. 402 (1971).
  • [25]
    Pacific States Box and Basket Company v. White, 296 U.S. 176,181-82 (1935).
  • [26]
    Le contrôle de la loi ou judicial review of a statute s’effectue selon l’un des 3 tests ou stardards suivants : rational basis, intermediate, strict scrutiny.
  • [27]
    Motor Vehicle Mfrs. Ass’n of the U.S. v. State Farm Mut. Auto. Ins. Co. 463 U.S. 29, 43 n.9, (1983) : 24 juin 1983.
  • [28]
    En dehors de l’hypothèse du contrôle de jugement d’un tribunal inférieur par une cour supérieure, l’exercice du contrôle juridictionnel, judicial review, porte en droit états-unien soit sur la loi, soit sur l’acte administratif.
  • [29]
    Baltimore Gas & Elec. Co. v. Nat. Res. Def. Council, Inc., 462 U.S. 87, 105 (1983) : 6 juin 1983.
  • [30]
    Baltimore Gas. Jurisprudence plus récente : Huls Am., Inc. v. Browner, 83 F.3d 445, 452 (D.C. Cir. 1996), City of Waukesha v. Envtl. Prot. Agency, 320 F.3d 228, 247 (D.C. Cir. 2003).
  • [31]
    5 U.S.C. 706.
  • [32]
    State Farm.
  • [33]
    Overton Park.
  • [34]
    SEC v. Chenery I, 318 U.S. 80, 95 (1943).
  • [35]
    Overton Park, p. 415.
  • [36]
    Il s’agit ici de questions of fact et de questions of policy. V. note 82
  • [37]
    Atomic Energy Act, 42 U.S.C 2239 (a) (1) (A) reconnaît le droit d’être entendu de tous ceux dont les intérêts peuvent être affectés par la procédure d’octroi de licence d’exploitation ou de permis de construction. Mais les conditions à remplir pour avoir le droit d’intervenir en tant que tiers ont été durcies en 1989 par la NRC. Le durcissement concerne également la participation à l’adoption des règlements.
  • [38]
    La concurrence peut venir de scientifiques faisant des commentaires à titre individuel ou par l’entremise d’une association.
  • [39]
    Union of concerned scientists v. Nuclear Regulatory Commission, 920 F.2d 50, 54 (D.C. Cir. 1990).
  • [40]
    Massachusetts v EPA, 549 U.S. 497 (2007).
  • [41]
    Michigan v EPA, 576 U.S. — (2015), 135 S.Ct 2699, 2711 (2015).
  • [42]
    Telles que le souci de ne pas réglementer par saupoudrage et de ne pas interférer avec les initiatives présidentielles sur le terrain des affaires étrangères.
  • [43]
    Freeman et Vermeule, 51, 52 : l’administration G. W. Bush a particulièrement manifesté sa détermination à empêcher l’EPA d’intervenir contre le réchauffement climatique : modification de rapports scientifiques, mise au placard de ses propres experts, suppression de l’information scientifique contredisant sa position politique. L’on notera que de telles pratiques ont redoublé sous l’administration Trump.
  • [44]
    Dans Chevron (supra note 4), la Cour admet que l’EPA puisse faire varier son interprétation d’une disposition législative en réponse à l’élection d’un nouveau président. La complémentarité relationnelle se justifie au regard de la légitimité démocratique de l’occupant de la Maison-Blanche.
  • [45]
    Vermont Yankee Nuclear Power Corporation v. Natural Resources Defense Council, 435 U.S. 519 (1978).
  • [46]
    La disposition en cause ici est l’une des 3 dispositions ambiguës du CAA : 42 U.S.C. 7412 (n) (1) (A). La loi CAA contient par ailleurs 7 dispositions qui exigent explicitement une évaluation préalable des coûts.
  • [47]
    Whitman v. American Trucking Associations, 531 U.S. 457. Il s’agit de la section 7409 (b) (1) de la loi CAA.
  • [48]
    Entergy Corporation v. Riverkeeper, 556 U.S. 208.
  • [49]
    Le juge Scalia déclare : « il n’est pas rationnel d’imposer des milliards de dollars de dépenses juste pour des bénéfices de faible valeur monétaire en matière de santé ou d’environnement ».
  • [50]
    Michigan v. EPA, 135 S. Ct 2699, 2711 (2015).
  • [51]
    Michigan.
  • [52]
    Michigan.
  • [53]
    American Petroleum Institute v. EPA, 216 F.3d 50 (D.C. Cir. 2000).
  • [54]
    Executive order (E.O.) 12 292 du 17 février 1981.
  • [55]
    E.O 12 866 du 30 septembre 1993.
  • [56]
    Supra note 47.
  • [57]
    Cf. Michigan.
  • [58]
    Le propos se concentre sur la Cour suprême, mais la judicial notice est ouverte à tous les niveaux de juridiction. La notion est présentée dans la première partie : Le régime propre de la preuve dans le contentieux administratif.
  • [59]
    Mémoires des parties figurant dans le dossier transmis à la Cour ou mémoires déposés par les parties devant la Cour. Précisément, les parties peuvent faire une demande de judicial notice.
  • [60]
    Nken v. Holder 556 U.S. 498 (2008) : affirmation erronée : le fait que le gouvernement assurerait le retour aux États-Unis d’immigrés dont la déportation a été reconnue illicite par une juridiction.
  • [61]
    Richard Posner a été juge de la cour d’appel fédérale du 7e circuit de 1981 à 2017.
  • [62]
    Initialement professeur de droit administratif à Harvard de 1967 à 1980, Stephen Breyer a été juge de la cour d’appel fédérale du 1er circuit de 1980 à 1994, avant de devenir membre de la Cour suprême en 1994.
  • [63]
    Muller v. Oregon 208 U.S. 412 (1908).
  • [64]
    Sur la foi de ces statistiques, Brandeis soutenait que les longues heures de travail affectent la capacité de reproduction des femmes.
  • [65]
    Le mémoire est dûment mentionné : Muller, 419.
  • [66]
    Muller, 421.
  • [67]
    Muller, 420.
  • [68]
    La Cour explique à son tour que la disposition spéciale prévue pour les femmes se justifie au regard du « bon accomplissement de ses fonctions maternelles » et au « bien-être de la race [humaine] ». Saluée par les progressistes de l’époque en raison des améliorations des conditions de travail qu’elle permettait, la référence à la nature spéciale des femmes devait plus tard s’avérer être un stéréotype de genre bloquant l’avancement des femmes dans le monde du travail.
  • [69]
    Louis Brandeis sera membre de la Cour suprême de 1916 à 1939.
  • [70]
    Une première version de ce guide est publiée en 1991.
  • [71]
    Brown v. Board of Education of Topeka, 347 U.S. 483, 494-495 n.11 (1954).
  • [72]
    La National Association for the Advancement of Colored People est créée en 1909. Thurgood Marshall siégera à la Cour suprême de 1967 à 1991.
  • [73]
    Le mémoire d’amicus curiae de la NAACP est signé par 35 chercheurs en sciences sociales.
  • [74]
    Notamment la note de bas de page 4 et surtout, la plus célèbre, la note 11 de l’opinion unanime de la Cour.
  • [75]
    Roe v. Wade, 410 U.S. 113, 148-149 (1973).
  • [76]
    Powell v. Texas, 392 U.S. 514 (1968).
  • [77]
    Grutter v. Bollinger, 539 U.S. 303, 333-34 (2003).
  • [78]
    Citizens United v. FEC 558 U.S. 310 (2010).
  • [79]
    Detroit Edison Co. v. NLRB, 440 U.S. 301, 319 (1979).
  • [80]
    Rapanos v United States, 547 U.S. 715 (2006).
  • [81]
    Rapanos v United States, 744.
  • [82]
    Il s’agit ici d’une question of law. V. supra, note 36.
  • [83]
    L’expression a été introduite par le juge Robert Keeton.
  • [84]
    Massachusetts v. EPA, 549 U.S. 497 (2007).
  • [85]
    American Electric Power, Inc v Connecticut et al, 564 U.S. 410 (2011).
  • [86]
    Kenneth Culp Davis, 1986, p. 6 : « The Supreme Court is a major lawmaker, but it has no procedure designed for lawmaking. Its only procedure is designed for adjudication. »
  • [87]
    Advisory Committee on the FRE Note on Rule 201.
  • [88]
    Ohio v. American Express Co., 585 U.S. – (2018), 25 June 2018.
  • [89]
    Mémoire d’amicus curiae, States of Ohio et alii v American Express Company, Brief for Amicus curiae, Ahold Inc. et alii, 6 juillet 2017.
  • [90]
    Mis à part la Rule 37 de la Cour qui prévoit les conditions de recevabilité d’un mémoire d’amicus curiae devant la Cour suprême.
  • [91]
    ABA, Standing committee on ethics and professional responsibility, Independent factual research by judges via the internet, Formal Opinion 478, 8 décembre 2017.
  • [92]
    Les données empiriques avancées par les parties au litige ou le public dans le cadre du pluralisme induit par la participation.
  • [93]
    Allison Orr Larsen, Neal Devins, 2016, 1902 : 800 % d’augmentation depuis les années 1950 et de 95 % depuis 1995 !
  • [94]
    Justice Breyer Calls for Experts to Aid Courts in Complex Cases, N. Y. Times, Feb. 17,1998, A17 : “educated lay persons”.
  • [95]
    Dans les tout premiers temps de l’institution, l’ami de la Cour était un juriste qui se trouvait fortuitement dans la salle d’audience : Larsen, 2014, 1763, 1765-68.
  • [96]
    John H. Ryan v. Commodities Futures Trading Commission, 125 F.3d 1062 (7th Cir. 1997).
  • [97]
    La discovery est une phase préparatoire d’investigation du procès de common law. Placée sous l’égide des parties, elle donne lieu à une communication réciproque des preuves qui seront présentées à l’audience.
  • [98]
    FRE, Rule 201 (d).
  • [99]
    À ne pas confondre avec le Federal Judicial Center créé en 1967, relevant du pouvoir judiciaire, et présidé par le Chief Justice. Ce centre a une double fonction éducative et de recherche. À ce second titre, il mène des études sur les pratiques judiciaires. Les résultats sont consignés dans des rapports qui sont assortis de recommandations, en vue de l’amélioration de l’administration de la justice.
  • [100]
    PRIME met à la disposition des juges des publications et des experts et offre de la formation continue. En 2015, l’organisme a, par exemple, passé un accord pour ce faire avec la Cour permanente d’arbitrage.
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