Notes
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[1]
Nous remercions Amélie Blom pour avoir réalisé la retranscription de l’entretien original.
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[2]
Marc Guillaume, conseiller d’État, a été secrétaire général du Conseil constitutionnel de 2007 à 2015 avant de devenir, à cette date, Secrétaire général du Gouvernement.
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[3]
Décision no 2017-758 DC du 28 décembre 2017 du Conseil constitutionnel sur la non-conformité partielle de la loi de finances pour 2018.
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[4]
Décision no 2019-809 QPC du 11 octobre 2019 du Conseil constitutionnel sur les droits d’inscription pour l’accès aux établissements publics d’enseignement supérieur.
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[5]
Conseiller en communication du Président de la République François Mitterrand sur toute la durée de ses deux mandats, Jacques Pilhan a ensuite été chargé de la communication du Président de la République Jacques Chirac jusqu’à son décès en 1998.
1Éléments de carrière
2Né en 1955, Yves Colmou est titulaire d’une maîtrise de droit public et d’un diplôme d’études appliquées de science politique. En 1980, il devient brièvement assistant parlementaire d’Alain Richard, député PS du Val-d’Oise puis, dès 1982, chef adjoint du cabinet de Michel Rocard, alors ministre du Plan et de l’Aménagement du territoire, point de départ d’une très longue expérience en cabinet ministériel socialiste. Il suit en effet Michel Rocard à l’Agriculture (1983-1985), en tant que chef de cabinet. Il est aussi celui de son successeur, Henri Nallet, en 1985. Il est également chef adjoint puis chef du cabinet de Michel Rocard à Matignon (1988-1991). Sous Lionel Jospin, il est successivement directeur du cabinet de Daniel Vaillant aux Relations avec le Parlement (1997-2000) puis conseiller à l’Intérieur (2000-2001) en même temps que conseiller parlementaire du Premier ministre (1997-1999), et finalement conseiller auprès de ce dernier, chargé de la communication et de la presse (2001- 2002). De 2012 à 2016, il est conseiller auprès de Manuel Valls, à l’Intérieur puis à Matignon. Il a également exercé de nombreuses responsabilités au Parti socialiste, notamment auprès de premiers secrétaires, au sein des équipes de campagne présidentielle de Lionel Jospin, ou encore en tant que premier secrétaire de la fédération du Jura (1997-2003), département où il est élu conseiller régional de 1998 à 2004. Entre 1995 et 1997, puis de nouveau de 2002 à 2012, il devient consultant au cabinet de recrutement Progress, où il est responsable du département des collectivités locales. En 2013 il est nommé préfet en mission de service public et détaché depuis 2017 en tant qu’Inspecteur général de l’administration.
3Le témoignage qui suit est extrait d’un entretien avec lui [1]. Il porte sur les principales évolutions observées dans le travail en cabinet ministériel depuis 1982.
4Yves Colmou : Les évolutions du travail en cabinet ministériel sont assez importantes. Depuis le début des années 1980, j’en vois au moins cinq qui sont liées à la préparation des décisions – le métier de base des membres des cabinets – et à l’environnement de ces fonctions.
5Le premier changement c’est l’euro. Désormais la politique monétaire n’est plus un sujet national. Deuxième changement, l’encadrement juridique des politiques publiques est de plus en plus contraint du fait du développement considérable de la jurisprudence constitutionnelle. Troisième changement, la décentralisation qui conduit à de nécessaires partenariats avec les collectivités locales pour la mise en œuvre de certaines politiques. Quatrième changement, le poids croissant du Parlement, contrairement à une idée reçue sur la Cinquième République, qui est lié à l’affaiblissement des partis et de leur discipline de vote. Enfin le cinquième changement, c’est bien sûr la communication, avec ses nouveaux outils et son instantanéité.
6Le passage effectif à l’euro en 2002, la disparition du franc, le transfert de la politique monétaire à la Banque centrale européenne (BCE), c’est une révolution dans la prise de décision en matière de politique économique. Jusque-là, la parité franc-mark pesait sur toutes les décisions économiques. Le ministère des Finances, la Direction du trésor avaient au préalable une autorité considérable du fait de leur fonction de gardien de la convergence des politiques monétaires. Ils ne se privaient pas d’en user, et parfois d’en abuser, dans les réunions interministérielles pour critiquer toute proposition qui leur paraissait présenter le moindre risque inflationniste ou d’affaiblissement de la monnaie. Le virage économique de la gauche en mars 1983 comme celui de Jacques Chirac à l’automne 1995 sont le fait de ce nécessaire respect des règles, en fonction des réserves de la Banque de France… Les membres des cabinets actuels qui n’ont connu que l’euro ne se rendent peut-être pas compte de leur liberté. Les plus anciens se rappellent l’épée de Damoclès qui pesait sur beaucoup de décisions. En plus la politique de baisse des taux menée par Mario Draghi à la Banque centrale européenne change considérablement le paysage. Bien sûr il reste les critères budgétaires, les 3 %, et le poids de la dette mais ça ne se mesure plus au jour le jour et ça laisse plus de marges.
7Ce premier changement est donc une forme de libération, le deuxième c’est au contraire une contrainte croissante.
8Aujourd’hui les politiques publiques ne peuvent s’imaginer que dans les bornes toujours plus nombreuses fixées par le Conseil constitutionnel (CC). Depuis la révision de 1974 élargissant le contrôle a priori et depuis celle de 2008 instaurant un contrôle a posteriori par le biais des questions prioritaires de constitutionnalité, le champ d’intervention du Conseil constitutionnel s’est considérablement élargi. Rares sont aujourd’hui les sujets qui ne sont pas encadrés. Le Secrétariat général du Gouvernement est le gardien de cette mémoire. La nomination de Marc Guillaume, passant de secrétaire général du Conseil constitutionnel à Secrétaire général du Gouvernement [2] en est le témoignage. Mais tous les membres des cabinets doivent avoir en tête, dans leur domaine, la connaissance de ce qui a été jugé, de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas ou plus. La décision sur la loi de finances pour 2018 avec ses impératives réserves d’interprétation sur la suppression de la taxe d’habitation [3] en est un exemple flagrant. La décision récente sur les droits d’inscription à l’université [4] est très significative de cette extension permanente. Toute évolution des modes de scrutin et les découpages qui peuvent les accompagner sont aussi très encadrés. Il faut donc maîtriser ce logiciel toujours plus complexe au fur et à mesure de l’accroissement de cette jurisprudence et là tous les ministères ne sont pas également performants… Quand vous rajoutez également le poids croissant du droit européen vous constatez là un rétrécissement des marges de manœuvre.
9Le troisième changement tient à l’obligation de monter des partenariats avec les collectivités locales pour certaines politiques publiques. Après bientôt quarante ans de décentralisation, c’est la moindre des choses. Aujourd’hui on ne peut imaginer les politiques d’aide sociale sans les départements, les politiques de logement sans les villes et les intercommunalités ou les politiques de transport sans les régions. De plus, les collectivités locales ont su développer une haute fonction publique territoriale compétente quand en parallèle l’État a considérablement réduit sa représentation territoriale. Et le non-cumul des mandats renforce la présence et le professionnalisme des élus de grandes collectivités, moins liés qu’hier par les solidarités politiques parlementaires. Il y a donc aujourd’hui des membres de cabinet dont l’essentiel de la fonction est la négociation avec les élus locaux dans un partage des rôles avec les préfets qui sont en première ligne dans les départements et les régions.
10Le quatrième changement, c’est le poids nouveau du Parlement et le fait que le vote de la majorité est moins automatique, moins évident qu’au début de la Cinquième République. La première manifestation apparaît en 1976 où le gouvernement de Raymond Barre ne peut plus toujours compter sur les voix du RPR, surtout à l’approche de l’élection présidentielle de 1981. La législature de 1988 à 1993 est emblématique puisqu’il n’y a pas de majorité absolue pour soutenir le gouvernement de Michel Rocard puis les suivants. Il faut sur chaque texte trouver le soutien, ou au moins l’abstention soit des communistes, soit des centristes. Guy Carcassonne, alors conseiller parlementaire de Michel Rocard, était un grand artiste dans la recherche de ce qu’il appelait « les majorités stéréo ». De 1997 à 2002, Lionel Jospin a une majorité mais elle est « plurielle », les socialistes ne sont pas majoritaires seuls. Si le vote de la loi de finances fait partie du contrat majoritaire, il en va différemment pour le vote de la loi de financement de la Sécurité sociale pour plusieurs des partenaires et notamment pour les communistes, ce qui donnera lieu à de très rudes négociations. L’article 49-3 de la Constitution n’est jamais employé formellement mais les menaces de démission ont été utilisées plusieurs fois. De 2012 à 2017 les socialistes ont en apparence une majorité absolue mais elle est remise en cause de l’intérieur par les « frondeurs ». Sur chaque vote sensible il faut faire des comptes et déployer tout l’arsenal de la conviction, de la persuasion voire de la dissuasion pour convertir jusqu’au dernier moment des intentions de vote négatives en abstentions et des abstentions en votes positifs. Et ça mobilise beaucoup de monde car chaque député a son propre mode de fonctionnement et va être sensible à des sujets différents. Aujourd’hui la majorité paraît très large mais il y a des surprises et des défections sur certains votes. On voit bien que la culture de la discipline de parti renvoie au « vieux monde ». Le rôle des formations politiques, leur capacité d’encadrement, la maîtrise des investitures, le sentiment d’un destin commun ne sont plus ce qu’ils étaient… En outre, le débat et le vote en commission depuis la révision constitutionnelle de 2008 renforcent les aléas. L’attention portée au Parlement doit donc être permanente et le savoir-faire des ministres et de leurs conseillers parlementaires est très inégal. C’est pourtant une fonction de plus en plus importante.
11Enfin, évidemment, la communication a considérablement évolué. La multiplication des canaux, les chaînes d’information, les réseaux sociaux ont tout bouleversé. Désormais on est dans l’instantanéité et il n’y a presque plus de hiérarchie entre les médias. Cela oblige à une veille et une réactivité épuisante. C’est aussi un affaiblissement de la parole publique. Il faut savoir doser entre les risques du silence ou du retard et les risques de l’overdose et de la précipitation. Les leçons de Jacques Pilhan [5] ne devraient pas être oubliées. Pourtant aujourd’hui la sensibilité à un tweet, à une information non vérifiée est considérable, y compris dans l’exécutif, avec les risques d’emballement que l’on connaît. Mais, là aussi, les cabinets ont dû s’adapter, avec des capacités de soutien technique très différentes entre les ministères, inégalement armés pour mener cette guerre de l’info.
Notes
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Nous remercions Amélie Blom pour avoir réalisé la retranscription de l’entretien original.
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[2]
Marc Guillaume, conseiller d’État, a été secrétaire général du Conseil constitutionnel de 2007 à 2015 avant de devenir, à cette date, Secrétaire général du Gouvernement.
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[3]
Décision no 2017-758 DC du 28 décembre 2017 du Conseil constitutionnel sur la non-conformité partielle de la loi de finances pour 2018.
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[4]
Décision no 2019-809 QPC du 11 octobre 2019 du Conseil constitutionnel sur les droits d’inscription pour l’accès aux établissements publics d’enseignement supérieur.
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[5]
Conseiller en communication du Président de la République François Mitterrand sur toute la durée de ses deux mandats, Jacques Pilhan a ensuite été chargé de la communication du Président de la République Jacques Chirac jusqu’à son décès en 1998.