Notes
-
[*]
Cette « Chronique » couvre la période du 1er août 2017 au 31 janvier 2018.
-
[1]
Le 1er septembre 2016, de nouvelles dispositions d’exécution de la décision du Parlement européen concernant le statut et les conditions générales d’exercice des fonctions du Médiateur du 9 mars 1994, modifiée par décisions du Parlement européen du 14 mars 2002 et du 18 juin 2008, sont entrées en vigueur.
-
[2]
Décision du 22 novembre 2017, no 1606/2016/JAS.
-
[3]
Décision du 16 octobre 2017, no 1475/2016/JAS.
-
[4]
Directive no 2017/1371 du 5 juillet 2017.
-
[5]
Le règlement est entré en vigueur en novembre 2018, mais le Parquet ne sera opérationnel qu’à partir d’une date fixée par la Commission après avis du chef du Parquet. Cette date ne peut être antérieure au mois de novembre 2021.
-
[6]
Le droit national ne s’appliquant que dans la mesure où une question n’est pas réglée par le droit de l’Union Lorsqu’une question est régie à la fois par le droit national et par le droit de l’Union, ce dernier prévaut.
-
[7]
En particulier en recueillant tous les éléments de preuve pertinents, aussi bien à charge qu’à décharge.
-
[8]
Sous forme de rapport annuel sur ses activités générales transmis au Parlement européen, aux parlements nationaux, au Conseil et à la Commission et d’auditions devant le Parlement européen et le Conseil ainsi que devant les parlements nationaux, dans le respect d’une double obligation de réserve et de confidentialité.
-
[9]
Un par État membre choisit par le Conseil sur proposition des États membres et après première sélection effectuée par un comité indépendant.
-
[10]
Précisée par la déclaration de Rome du 25 mars 2017.
-
[11]
Migrations et frontières extérieures ; sécurité intérieure et sécurité extérieure ; développement économique et social, jeunesse ; prochaines étapes.
-
[12]
Délégation à la Commission, préparation par la Commission avec l’aide de ses groupes d’experts (qui incluent des représentants des États membres), caractère public des projets, consultation pendant quatre semaines, adoption, transmission aux législateurs pour vérification et adoption par ces derniers si pas d’objection de leur part.
-
[13]
COM(2017) 492 final, « Une politique commerciale équilibrée et novatrice pour maîtriser la mondialisation », le 13 septembre 2017.
-
[14]
Partie rédigée avec l’aide de Kévin Mourad, diplômé de l’IEP de Strasbourg.
-
[15]
Chronique RFAP, 2017, no 163.
-
[16]
Articles 42.6 et 46 du traité de l’Union européenne et 10e protocole à ce traité.
-
[17]
Développement de capacités de défense propres, capacité à fournir des unités de combat ciblées pour les missions envisagées, renforcement de l’interopérabilité et de la complémentarité de leurs forces armées.
-
[18]
80 % des acquisitions et 90 % de la recherche étant en effet gérées sur des bases nationales.
-
[19]
Règlement 2015/1017 du Parlement européen et du Conseil du 25 juin 2015 sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques, la plateforme européenne de conseil en investissement et le portail européen de projets d’investissement.
-
[20]
Arrêt du Tribunal du 14 décembre 2017, T-136/15, ECLI : EU : T : 2017 : 915.
-
[21]
Arrêt de la Cour du 7 septembre 2017, C-331/15 P, ECLI : EU : C : 2017 : 639.
-
[22]
Arrêt du Tribunal du 16 avril 2015, Carl Schlyter c/ Commission, T-402/12, ECLI : EU : T : 2015 : 209.
-
[23]
Arrêt de la Cour du 18 octobre 2017, C-409/16, ECLI : EU : C : 2017 : 767.
-
[24]
Arrêt de la Cour du 24 janvier 2018, C-616/16 et C-617/16, ECLI : EU : C : 2018 : 32.
-
[25]
Arrêt de la Cour (Gde Ch.) du 5 décembre 2017, C-42/17, ECLI : EU : C : 2017 : 936.
-
[26]
Arrêt de la Cour (Gde Ch.) du 8 septembre 2015, C-105/14, ECLI : EU : C : 2015 : 555.
-
[27]
Arrêt de la Cour du 13 décembre 2017, C-403/16, ECLI : EU : C : 2017 : 960.
-
[28]
Arrêt de la Cour du 27 septembre 2017, C-73/16, ECLI : EU : C : 2017 : 725.
-
[29]
Arrêt de la Cour du 20 décembre 2017, C-276/16, ECLI : EU : C : 2017 : 1010.
-
[30]
Arrêt de la Cour du 9 novembre 2017, C-298/16, ECLI : EU : C : 2017 : 843.
-
[31]
Arrêt de la Cour du 20 décembre 2017, C-434/16, ECLI : EU : C : 2017 : 994.
-
[32]
NDLR : sur cette question, cf. l’article d’Hélène Michel « La transparence dans l’Union européenne : réalisation de la bonne gouvernance et redéfinition de la démocratie » dans ce numéro.
-
[33]
Se reporter au numéro 158 de la RFAP « Coordonner les affaires européennes ».
-
[34]
« Le Quai d’Orsay pousse ses fonctionnaires vers l’Europe », Acteurs publics, 7 novembre 2017.
-
[35]
Jean-Sébastien Lefebvre, « Le retour de Philippe Léglise-Costa à Bruxelles ou le grand chelem d’un diplomate », Contexte Pouvoirs, 20 novembre 2017.
-
[36]
Jacques Morizet, « Maurice Schaeffer, un énarque à visage humain », ÉNA hors les murs, no 475, novembre 2007, p. 38.
I – Institutions et structures administratives de l’Union européenne
- Institutions
- Organes et organismes
- Questions transversales
- Questions sectorielles
Institutions
Conseil européen : mise en œuvre de la feuille de route de Bratislava et Programme des dirigeants
1Cf. ci-dessous.
Cour de justice : performance en matière de gestion des affaires
2 Dans un rapport spécial no 14/2017 du 26 septembre 2017 la Cour des comptes européenne (CCE) s’est penchée sur la performance de la gestion des affaires à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Elle estime que cette dernière peut encore globalement améliorer encore sa performance en s’orientant vers une gestion plus active de chaque affaire.
Organes et organismes
Médiateur européen : évolution
3La révision de la stratégie du Médiateur européen en septembre 2017 donne l’occasion à la Chronique de revenir sur l’évolution de cet organe de l’Union. Depuis la nomination à sa tête par le Parlement européen de l’irlandaise E. O’Reilly en 2013, le Médiateur est passé d’un rôle relativement « passif », dans la mesure où il se bornait à traiter des plaintes qu’il recevait, à un rôle beaucoup plus « proactif ». Cette évolution s’observe d’un triple point de vue.
4Cela ressort tout d’abord nettement de la nature des tâches qu’il exécute. Les enquêtes ouvertes sur la base de plaintes (433 en 2017) constituent toujours une très grande partie de ses tâches et portent en grande partie sur des questions d’accès aux documents. Cependant, si les enquêtes ouvertes à l’initiative du Médiateur lui-même sont moins nombreuses (14 en 2017), elles portent sur des questions fondamentales pour la gouvernance et l’administration de l’UE (trilogues, groupes d’experts de la Commission, décision du comité d’éthique de la Commission relatif aux activités professionnelles d’un ancien président de la Commission…). Pour les réaliser, le Médiateur s’est doté d’une capacité d’observation et de diagnostic de l’administration de l’UE et de son fonctionnement qui provient, entre autres, des « initiatives stratégiques » qu’il a mis en place. Ces initiatives sont des veilles concernant des questions d’intérêt public que le Médiateur juge importantes et dont l’objectif est d’attirer l’attention sur les enjeux sous-jacents, de fournir aux institutions des suggestions à leur égard et de collecter des informations avant de décider si l’ouverture d’une enquête, dite alors « stratégique », est requise.
5Ensuite, le Médiateur a également adapté ses méthodes de travail pour traiter plus efficacement les plaintes qu’il reçoit [1]. Retenons quatre éléments notables en ce sens. Le filtrage des plaintes a été renforcé et fait l’objet de trois étapes : examen de la compétence du Médiateur, examen de la recevabilité (avec le cas échéant demande de renseignements complémentaires) et décision d’ouverture de l’enquête (si le Médiateur estime qu’une plainte recevable présente des éléments qui la justifient). Les pouvoirs d’enquête ont été renforcés, avec des précisions en matière de délais, la possibilité de demander la tenue de réunions, de faire témoigner des personnes concernées, de recourir à des expertises… La possibilité de traiter des plaintes en priorité a été mise en place. Enfin, sous le nom « d’enquêtes stratégiques » le Médiateur peut rassembler des dossiers de plainte présentant un contenu similaire et les traiter collectivement : transparence au Conseil, transparence des groupes d’experts de la Commission, pratiques de la Commission pour éviter d’éventuels conflits d’intérêts au niveau des conseillers spéciaux…
6Enfin sa stratégie « Cap sur 2019 » a été modifiée. Elle est désormais articulée en quatre objectifs : garantir la pertinence de son action en apportant une valeur ajoutée pour les citoyens et les autres parties prenantes en se concentrant sur les questions systémiques clés les plus proches de leurs intérêts et préoccupations ; avoir un impact accru et un effet réel sur la qualité du travail des institutions de l’Union provoquant des changements dans les domaines clés ; maintenir une visibilité élevée en développant la connaissance que le public et les instituions ont du Médiateur ; améliorer ses capacités en utilisant ses ressources pour atteindre les meilleurs résultats possibles. Chaque objectif est accompagné d’un ou plusieurs indicateurs et est décliné annuellement.
Agences européennes : projets et relations avec les intérêts organisés
7Les agences européennes occupent régulièrement une part notable de l’actualité administrative de l’UE. En septembre 2017, le président français Emmanuel Macron a proposé dans son discours de la Sorbonne la création d’une agence européenne dédiée aux innovations de rupture. On peut estimer à cet égard que l’Institut européen d’innovation et de technologie créé en 2008 et qui siège à Budapest joue déjà ce rôle, vu que sa mission officielle est de « créer un environnement propice à la pensée créative afin de permettre à l’innovation et à l’entrepreneuriat internationaux de prospérer en Europe ». De son côté, le président de la Commission européenne a évoqué, dans son discours sur l’état de l’Union en septembre 2017, la création d’une agence européenne du travail.
8Par ailleurs, si une certaine « fragilité » des agences à l’égard des intérêts organisés est souvent dénoncée, parfois à juste titre (cf. le rapport spécial no 15/2012 de la Cour des comptes européennes), le Médiateur a rendu deux décisions qui exonèrent l’Agence européenne des médicaments de mauvaise administration dans la déclaration d’intérêt de son directeur exécutif [2] et dans sa procédure de saisine relative aux vaccins contre les infections à papillomavirus humain [3]. Dans le même ordre d’idées, les agences renforcent leurs règles en matière d’indépendance. L’Autorité européene de sécurité des aliments a ainsi adopté le 21 juin 2017 son « Document sur l’indépendance » (EFSA’s Policy on Independence) qui a pour but d’assurer l’impartialité des professionnels qui contribuent à ses activités et qui reprend la définition du conflit d’intérêts adopté par la Commission européenne dans sa décision du 30 mai 2016 relative à ses groupes d’experts (C(2016) 3301).
Parquet européen : création
9La proposition de création d’un Parquet européen, compétent pour enquêter et poursuivre les atteintes aux intérêts financiers de l’Union, a longtemps stagné depuis sa formulation en 2013 (COM(2013) 534 final). Elle a franchi une étape importante en avril 2017 lorsque, utilisant une disposition procédurale prévue par l’art. 86 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), seize États membres (auxquels quatre autres se sont joints par la suite) ont annoncé leur volonté créer entre eux une coopération renforcée en vue d’établir ce Parquet. Le 8 juin 2017, les États membres concernés sont parvenus à un accord sur le contenu et les objectifs de ce nouvel organe. Cette évolution a été concomitante de l’adoption de la directive relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal, dite « directive PIF » [4], dont le champ d’application détermine le périmètre des compétences du Parquet européen. Le Parquet a finalement été créé par le règlement 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen [5].
10Le Parquet européen est institué sous la forme d’un « organe de l’Union », catégorie que le droit de l’Union ne définit pas, et dispose de la personnalité juridique. Il est compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union qui sont prévues par la directive PIF et par le règlement. Pour ce faire, le Parquet européen diligente des enquêtes, effectue des actes de poursuite et exerce l’action publique devant les juridictions compétentes des États membres jusqu’à ce que l’affaire ait été définitivement jugée. Le Parquet européen n’exerce pas sa compétence dans les cas d’infraction de faible ampleur qui sont alors renvoyées aux autorités nationales compétentes.
11Les activités du Parquet européen doivent obéir à huit « principes de base » : respect des droits inscrits dans la charte, respect des principes d’état de droit et de proportionnalité, application du droit de l’Union (c’est-à-dire des dispositions du règlement) pour la réalisation des enquêtes et des poursuites [6], impartialité [7], rapidité (ouverture et conduite des enquêtes sans retard indu), coopération avec les autorités nationales compétentes, indépendance, redevabilité [8].
12D’un point de vue institutionnel, le législateur avait trois équations à résoudre. La première était de combiner la nature judiciaire de l’organe (et ses corrélats en matière d’indépendance et de collégialité) et le modèle d’agence de l’Union qui est plutôt de nature exécutive au sens large (de l’exécution à la régulation). Les indications données par l’article 86 TFUE ont guidé le législateur dans la mise en place des aménagements nécessaires.
13La deuxième équation était plus délicate à résoudre : trancher entre l’approche centralisatrice, préconisée par la Commission sans être pour autant radicale, selon laquelle l’ensemble des missions du Parquet européen étaient plutôt mises en œuvre au niveau de l’Union par un personnel de l’Union, et l’approche décentralisatrice, en général défendue par les États membres intéressés, selon laquelle la plus grande partie des missions étaient mises en œuvre au niveau national et par un personnel national.
14C’est la formule alambiquée d’« organe indivisible de l’Union fonctionnant comme un Parquet unique à structure décentralisée » qui indique le choix retenu : la priorité a été donnée au niveau décentralisé donc national à trois titres. Le niveau national est celui où seront conduites les enquêtes et les poursuites et prononcé les jugements. Le niveau central, appelé « Bureau central » est composé d’un collège qui regroupe les procureurs européens [9], répartis en chambres permanentes. Les procureurs européens, qui opèrent dans le cadre tracé par la chambre permanente dont ils relèvent, ont pour fonction d’assurer la surveillance et la coordination du travail réalisé au niveau décentralisé par les procureurs européens délégués qui sont des procureurs nationaux « affectés » dans leur État pour y exercer des fonctions européennes. Chaque État membre en nomme au moins deux. Les procureurs européens délégués « agissent au nom du Parquet européen dans leurs États membres respectifs et sont investis des mêmes pouvoirs que les procureurs nationaux dans le domaine des enquêtes, des poursuites et de la mise en état des affaires, en plus et sous réserve des pouvoirs et du statut particuliers qui leur sont conférés et dans les conditions prévues par le […] règlement ». Ils sont nommés dans leurs fonctions européennes (pour cinq ans renouvelables) sur proposition des États membres par le collège qui ne peut refuser de procéder que s’ils ne remplissent pas les critères demandés. En revanche, ils peuvent être révoqués soit par leur État membre soit par le collège. Le règlement n’empêche pas qu’ils exercent en parallèle leurs fonctions nationales.
15On peut regretter ce choix d’une organisation décentralisé au motif que la lutte contre les atteintes aux intérêts financiers de l’UE supposait une approche européenne intégrée, c’est-à-dire par l’Union elle-même. Mais deux arguments doivent être rappelés. Premièrement, l’approche décentralisée a vraisemblablement permis de rallier des États à la coopération renforcée et ce d’autant plus dans la perspective envisageable à moyen terme de l’élargissement de la compétence du Parlement européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontalière. Deuxièmement, le principe d’un droit de l’UE mis en œuvre par des autorités nationales est celui sur lequel l’Union s’est constitué et qui continue à être mis en œuvre. Il connaît certes des évolutions importantes récemment, mais il aurait été étonnant qu’il y soit dérogé dans un domaine aussi sensible que le domaine pénal.
16Dans la plupart des systèmes judiciaires, un enjeu de l’organisation des parquets est la détermination du degré de « contrôle » exercé par le niveau central sur le niveau décentralisé. Il en a été de même pour le Parquet européen (troisième équation) auquel se rajoutait la difficulté supplémentaire de l’existence de deux niveaux, l’un national, l’autre supra étatique. De manière générale, les procureurs européens délégués suivent les instructions du procureur européen chargé de l’affaire qui elles-mêmes s’inscrivent dans les orientations et les instructions de la Chambre permanente chargée du suivi de l’affaire. La pratique dira si ce cadrage suffit à contenir les potentialités centrifuges de l’organe créé.
17Le Parquet européen et ses activités sont « dirigés par un chef du Parquet qui en organise les travaux et prend certaines décisions ». Le chef du Parquet est nommé à la suite d’un appel ouvert aux candidats qui remplissent les conditions prévues pour un mandat de sept ans non renouvelable par le Parlement européen et le Conseil. Il peut être révoqué par la Cour de justice pour incapacité à l’exercice de ses fonctions ou pour faute grave. Il est secondé par deux adjoints nommés parmi les procureurs européens.
18Des dispositions relatives à la gestion administrative et financière du nouvel organe (dont la répartition des coûts entre États membres et Parquet européen), au traitement des informations nécessaires à son fonctionnement, aux relations interinstitutionnelles qu’il doit entretenir (en particulier avec Eurojust et OLAF) complètent le cadre dressé.
Questions transversales
Le débat sur l’avenir de l’Union et la « concurrence » entre le Conseil européen et la Commission
19Après le choc du Brexit, les membres du Conseil européen se sont réunis à vingt-sept en septembre 2016, à Bratislava « pour analyser l’état actuel de l’UE et examiner l’avenir commun ». Ils y ont réaffirmé leur attachement à l’Union, le caractère indispensable de cette dernière ainsi que leur volonté de poursuivre la construction européenne ensemble. Ils ont adoptés une déclaration [10] accompagnée d’un programme de travail, la « feuille de route de Bratislava », où ils reconnaissent devoir mieux prendre en compte les besoins et les souhaits des citoyens de l’Union et où ils affirment leur détermination à trouver des solutions communes aux problèmes communs. Cette feuille de route contient quatre engagements [11]. Chaque engagement est accompagné d’un objectif et d’une liste de mesures concrètes. Cet « état d’esprit de Bratislava » a donné lieu à deux évolutions originales au sein du Conseil européen.
20La première, intéressante quoique modeste, est l’engagement (le quatrième) pris d’honorer les trois autres engagements substantiels à l’aide d’un mécanisme de suivi proposé par le président D. Tusk sous le nom de « Mise en œuvre de feuille de route de Bratislava ». Ce mécanisme indique périodiquement le degré de réalisation de chaque mesure concrète : fait, sur les rails, efforts encore nécessaires, insuffisant.
21La seconde évolution est d’une tout autre portée. Elle découle également d’une initiative du président D. Tusk. Intitulée « Programme des dirigeants », elle porte sur la méthode de travail du Conseil européen. Au sommet de Tallinn de septembre 2017, les chefs d’État et de gouvernement ont officiellement mandaté leur président pour mettre en place ce programme qui tient en trois principes et en trois priorités.
22Le premier principe est de concentrer le travail du Conseil sur l’obtention de solutions pratiques aux problèmes concrets des citoyens de l’Union, cela même au prix d’une certaine mise à l’écart des débats institutionnels ou théoriques dont « l’Union ne doit pas se rendre prisonnière ». Le deuxième est de procéder étape par étape. Les matières qui sont mûres pour être tranchées doivent effectivement faire l’objet d’une décision afin de permettre des progrès réels. Le troisième principe est de maintenir l’unité qui s’est faite jour entre les États membres à la suite du Brexit car « elle est la plus grande force de l’Union », tout en prenant garde à la fois à ce que l’unité ne soit pas une excuse pour la stagnation et que l’ambition ne conduise pas à d’autres divisions. Trois priorités découlent de ces principes.
23La première priorité est d’affirmer la dimension politique du Conseil européen et, de manière corrélée, sa capacité à trancher les cas dans lesquels le Conseil de l’UE est dans l’impasse. En conséquence moins de temps doit être consacré à la rédaction des conclusions des différentes réunions et plus à la solution politique de dossiers majeurs (migrations, union économique et monétaire…). Cela peut impliquer non seulement l’organisation de réunions plus nombreuses mais également une préparation plus poussée de ces dernières à l’aide de « notes décisionnelles fixant en termes clairs les problèmes politiques à résoudre » qui sont proposées par la présidence. En cas d’échec, une seconde tentative doit être prévue. Si elle n’aboutit pas non plus, les États membres intéressés sont invités à créer entre eux une coopération renforcée. Toujours sur la même ligne « politique », la troisième priorité est de s’assurer que les décisions prises au Conseil européen sont « fermement ancrées dans des contextes politiques nationaux » ; en d’autres termes que ces décisions soient approuvées par les majorités au pouvoir dans les États membres.
24Ces changements s’inscrivent dans une lecture dynamique de l’article 15.6 TUE qui charge le président du Conseil européen « d’œuvrer pour faciliter la cohésion et le consensus au sein du Conseil européen ». Ils n’ont pas entraîné de modification du règlement intérieur du Conseil européen mais ils posent cependant des questions importantes comme celle du choix des questions mise à l’ordre du jour du Conseil d’ici à juin 2019 (qui découle de l’appréciation de leur maturité politique), et de leur répartition parmi des réunions officielles ou informelles des chefs d’État ou de gouvernement. Le « Programme des responsables » a été inclus dans le planning des réunions du Conseil européen sous forme de sessions dédiées lors de réunions déjà prévues et par l’ajout de trois nouvelles réunions dédiées (informelles) en février 2018, septembre 2018 et mai 2019. Une autre question est celle de la préparation des réunions et des notes décisionnelles dont les premières ont été diffusées (et mises en ligne) au sommet social de Göteborg en novembre 2017.
25La question de la compatibilité de cette évolution avec le principe de l’équilibre institutionnel selon lequel « chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées par les traités » (article 13.2 TUE) et s’abstient d’empiéter sur les attributions d’autres institutions, peut être posée vis-à-vis du Conseil de l’UE et de la Commission. L’équilibre dans ce domaine est subtil vu que, en fonction de l’article 15.6 TUE, le président du Conseil européen est « chargé de préparer et d’assurer la continuité des travaux du Conseil européen avec le président de la Commission, et sur la base des travaux du Conseil des affaires générales ». Cette évolution pourrait faire du Conseil européen une sorte de chambre d’appel à l’égard du Conseil de l’UE dans les cas où les États membres n’arrivent pas à dégager un accord entre eux à ce niveau (comme c’est arrivé par exemple dans le cas des nouvelles règles anti-dumping) et, en fin de compte, déresponsabiliser ces derniers. Vis-à-vis de la Commission, le risque est plutôt celui du développement d’une sorte de concurrence des initiatives politiques et législatives. On sait en effet que, dans le système décisionnel de l’UE, la Commission dispose du monopole des initiatives. Elle entend bien le conserver, aussi bien formellement que substantiellement. Le déroulement de son agenda de réforme entamé avec le Livre blanc sur l’avenir de l’Europe du 1er mars 2017 peut servir de test à cet égard. Cet agenda a été décliné de manière opérationnelle dans le discours du président de la Commission sur l’état de l’Union de septembre 2017 considéré comme dynamique voire offensif. Le président de la Commission y a présenté le programme de travail de son institution jusqu’à la fin de 2018 voire jusqu’aux élections de 2019 en le qualifiant de « feuille de route pour une Union plus unie plus forte et plus démocratique ».
26La feuille de route comprend deux parties. La première est une synthèse des propositions de la Commission et de certaines de celles du Parlement. Elle porte sur les réformes que la Commission souhaite achever ou lancer avant la fin de son mandat c’est-à-dire d’ici la fin 2018 et le début 2019. Les réformes sont officiellement présentées comme s’inscrivant dans la logique du scénario 1 du Livre blanc (« S’inscrire dans la continuité ») et de l’agenda de Bratislava. La deuxième partie contient des propositions plus ambitieuses, s’inscrivant dans une perspective de plus long terme (2019-2025). Elles combinent des éléments tirés des scénarios 3 (« Ceux qui veulent plus font plus »), 4 (« Faire moins mais de manière plus efficace ») et/ou 5 (« Faire beaucoup plus ensemble ») du Livre blanc, et tirent pleinement parti du potentiel inexploité du traité de Lisbonne. Elles pourraient servir de plateforme politique pour les élections européennes de mai 2019 : passage au vote à la majorité qualifiée sur les questions concernant le marché unique (énergie, politique sociale, fiscalité) et en matière de politique étrangère, élargissement des compétences du Parquet européen à la lutte contre le terrorisme, renforcement de l’Union économique et monétaire, modification du cadre financier pluriannuel (dont l’inscription de nouvelles ressources propres), zone euro, élargissement de l’Union, système des têtes de liste pour la présidence de la Commission européenne, listes transnationales et fusion des postes de président du Conseil européen et de président de la Commission.
27La feuille de route repose sur quatre grands principes : le respect des valeurs européennes communes, notamment l’état de droit ; le maintien de l’accent mis sur l’obtention de résultats et sur la mise en œuvre des initiatives prioritaires qui ont une valeur ajoutée européenne manifeste ; la nécessité de réserver un traitement égal aux citoyens de tous les États membres de l’UE ; la démocratie et la transparence.
28Cette feuille de route a été en grande partie reprise dans la Déclaration commune sur les priorités législatives de l’UE pour 2018-2019 signée le 14 décembre 2017 entre le président de la Commission européenne, le président du Parlement européen et le titulaire de la présidence tournante du Conseil et Premier ministre de l’Estonie.
29Les réunions du Conseil européen qui doivent se tenir en 2018 montreront comment cette institution se positionne à l’égard de la feuille de route de la Commission : reprise de la majorité du programme de la Commission ou seulement de ce qu’elle estime réalisable.
Actualité du Brexit
Les progrès de la première phase et la négociation de l’accord de retrait
30Les négociateurs de l’UE et du gouvernement du Royaume-Uni ont rendu le 8 décembre 2017 un rapport conjoint « Sur les progrès réalisés au cours de la première étape des négociations au titre de l’article 50 du TUE sur le retrait ordonné du Royaume-Uni de l’Union européenne ». La Commission a le même jour publié une communication ayant le même objet COM(2017 784 final).
31Les deux textes rappellent que les discussions ont porté principalement sur trois points. Tout d’abord, les citoyens de l’Union vivant au Royaume-Uni et les citoyens britanniques installés dans l’UE à vingt-sept conserveront les mêmes droits une fois que le Royaume-Uni aura quitté l’UE. En ce qui concerne les questions financières ensuite, le Royaume-Uni a consenti à ce que les engagements pris par l’UE à vingt-huit soient honorés par les vingt-huit États membres, c’est-à-dire Royaume-Uni inclus. Pour ce qui est de la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord enfin, le Royaume-Uni reconnaît la « singularité de l’île d’Irlande » et a pris des engagements importants pour éviter la mise en place d’une frontière physique.
32 D’autres thèmes ont été abordés mais sur lesquels seuls des progrès encore limités ont été enregistrés : le nucléaire (Euratom), la garantie de la continuité de la disponibilité des biens placés sur le marché avant le retrait, la coopération judiciaire en matière civile et commerciale, la coopération policière, la coopération judiciaire pénale, les procédures judiciaires en cours, les procédures administratives sen cours, les questions relatives au fonctionnement des institutions, organes et organismes de l’Union.
33 Enfin le rapport et la communication reconnaissent qu’il n’y a pas encore eu de négociations sur les questions suivantes : les droits de propriété intellectuelle, les procédures de passation de marchés publics en cours, les questions douanières, l’utilisation des informations et la protection des informations obtenues ou traitées avant la date de retrait.
34 Dans sa réunion du 15 décembre 2017 le Conseil européen a cependant suivi les recommandations de la Commission et a décidé que ces progrès étaient suffisants pour passer aux étapes successives du processus. Il a invité le négociateur de l’Union et le Royaume-Uni à achever les travaux portant sur l’ensemble des questions relatives au retrait, y compris celles qui n’ont pas encore été abordées au cours de la première étape, à consolider les résultats obtenus et à commencer à rédiger les parties correspondantes de l’accord de retrait. Ses « orientations » à cet égard sont simples : les négociations au cours de la deuxième étape ne pourront avancer que si l’ensemble des engagements pris au cours de la première étape sont pleinement respectés et fidèlement traduits en termes juridiques dans les meilleurs délais. Elles s’ajoutent aux orientations du 29 avril 2017.
35 La Commission a fait une proposition de directive de négociation au Conseil de l’UE (affaires générales, article 50) le 20 décembre 2017 (COM(2017) 830final). Le Conseil de l’UE a suivi la proposition de la Commission. Sa décision du 29 janvier 2018 précise que les négociations de l’accord de retrait doivent tenir compte des négociations de l’accord sur la phase transitoire.
La période transitoire
36Les conclusions du Conseil européen du 15 décembre 2017 permettent également aux négociations de passer à la deuxième étape qui concerne la transition et le cadre des relations futures. Les « orientations » de cette institution à cet égard, sont, suite à la prise en compte de la proposition présentée par le Royaume-Uni concernant une période de transition d’environ deux ans, de « négocier une période de transition portant sur l’ensemble de l’acquis de l’UE, pendant laquelle le Royaume-Uni, en tant que pays tiers, ne participera plus aux institutions de l’UE et n’y désignera ou n’y élira plus de membres, et ne participera plus à la prise de décision des organes et organismes de l’Union ». Ces modalités transitoires, qui feront partie de l’accord de retrait, doivent être, « dans l’intérêt de l’Union », « bien définies et clairement limitées » dans le temps. Afin d’assurer des conditions équitables sur la base de règles identiques s’appliquant à tout le marché unique, « les modifications de l’acquis adoptées par les institutions, organes et organismes de l’UE devront s’appliquer à la fois au Royaume-Uni et dans l’UE ». L’ensemble des instruments et structures de l’Union qui existent en matière de réglementation, de budget, de surveillance, d’exercice du pouvoir judiciaire et de contrôle du respect des règles s’appliqueront également, y compris la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne. Étant donné que le Royaume-Uni continuera à participer à l’union douanière et au marché unique au cours de la transition, il devra continuer à se conformer à la politique commerciale de l’UE, à appliquer le tarif douanier de l’UE et à percevoir les droits de douane de l’UE, et veiller à ce que tous les contrôles de l’UE soient effectués à « sa » frontière à l’égard des autres pays tiers. Là encore les orientations du 29 avril 2017 continuent à s’appliquer dans leur intégralité. Le Conseil européen avait également posé comme principe que le Royaume-Uni devra appliquer l’ensemble de l’acquis communautaire (y compris les deux sujets les plus délicats, la soumission aux décisions de la Cour de justice et la libre circulation des personnes) sans participer pour autant aux décisions européennes. Ce principe, qui doit encore être accepté par le Parlement britannique, suppose que des règles de gouvernance propres à cette période soient adoptées.
37Suite aux recommandations de la Commission, le Conseil de l’UE (affaires générales, article 50) a adopté le 29 janvier 2018 de nouvelles directives de négociation sur les modalités transitoires qui reprennent et détaillent le cadre tracé par les orientations du Conseil européen et qui donnent mandat à la Commission pour entamer des négociations.
Le cadre des relations futures
38Toujours dans ses conclusions du 15 décembre 2017, le Conseil européen a confirmé une nouvelle fois qu’il souhaitait établir un « partenariat étroit entre l’Union et le Royaume-Uni ». Tout en prévenant qu’un accord sur des relations futures ne pourra être mis au point et conclu qu’une fois que le Royaume-Uni sera devenu un pays tiers, il indique que l’Union sera prête à engager des discussions préliminaires et préparatoires en vue de définir une « conception d’ensemble partagée quant au cadre de ces relations », lorsqu’il adoptera de nouvelles orientations à cet effet. Cette conception partagée devra être précisée dans une « déclaration politique accompagnant l’accord de retrait ».
Politique : actualité
39Le 24 octobre 2017 la Commission a publié une communication intitulée « Mener à son terme le programme pour une meilleure réglementation : de meilleures solutions pour de meilleurs résultats » (COM(2017) 651 final) qui dresse un bilan de ce qui a été réalisé jusqu’à présent dans le cadre de cette politique. La Commission y expose les grands axes de sa politique : concentration sur les initiatives, découlant de ses priorités politiques, qui apportent une réelle valeur ajoutée (ce qui, au passage, s’est traduit par une baisse globale de ses initiatives par rapport aux mandats précédents), élaboration des initiatives proportionnées aux circonstances, renforcement de la transparence (ciblage des parties prenantes afin d’obtenir leur avis, traitement des contributions qu’elle reçoit de ces dernières et modalités de facilitation de l’accès du public en général à ses initiatives et à sa procédure décisionnelle). Elle réaffirme son objectif de « simplification et réduction des coûts inutiles » qu’elle place sous le signe de la « gestion dynamique de la législation existante » mais toujours « sans compromettre la réalisation des objectifs fixés ». Elle le justifie au nom des « principes démocratiques d’obligation de rendre des comptes et de transparence », selon lesquels « il est essentiel qu’une décision politique dont les coûts sont légitimes pour atteindre les objectifs d’action soit fondée sur des éléments d’information provenant d’une appréciation au cas par cas qui réponde aux préoccupations des parties prenantes et des citoyens ». Elle justifie la méthode qu’elle suit à cet égard : le cas par cas en fonction des textes en vigueur. Cette méthode vise à déterminer concrètement ce qui, à chaque fois, peut être simplifié, rationalisé ou supprimé en s’appuyant sur les éléments d’information disponibles. Selon la Commission, la légitimité de cette méthode découle de ce qu’elle associe activement les parties prenantes.
40La Commission a procédé de manière assez discrète en juillet 2017 à une « mise à jour approfondie » des lignes directrices (SWD(2017) 350) et des outils internes selon lesquels elle met en œuvre sa politique Mieux légiférer. Désormais, ses procédures englobent tous les points couverts par l’accord interinstitutionnel mieux légiférer d’avril 2016 tels que la refonte, la codification, le drafting de dispositions juridiques… Cette mise à jour apporte également des éclaircissements sur certaines procédures (comme la prise en compte de la création du Comité d’examen de la réglementation…), offre une approche plus systématique des actes délégués et des actes d’exécution, fournit des précisions sur la planification et la validation des initiatives, dispense des conseils rédactionnels relatifs aux feuilles de route, propose un cadre pour l’auto-régulation et la corégulation, demande que soient identifiés en amont les aspects numériques et les options possibles dans ce domaine pour chacune des initiatives inscrites à son ordre du jour. Elle contient enfin des précisions sur certaines méthodes utilisées, en particulier pour réaliser des évaluations et des bilans de qualité, consulter les parties prenantes, et calculer les coûts et les bénéfices d’une mesure (avec des exemples !).
41Dans l’accord interinstitutionnel Mieux légiférer, les trois institutions s’étaient engagées à établir, au plus tard pour la fin 2017, un registre fonctionnel commun des actes délégués, utilisés en vue de compléter ou de modifier la législation de l’Union, présentant les informations d’une manière structurée, afin d’accroître la transparence, de faciliter la planification et de permettre de retracer tous les stades du cycle de vie d’un acte délégué [12]. Le nouveau registre interinstitutionnel des actes délégués donne un aperçu complet du cycle de vie de ce processus. Il permet aux utilisateurs de rechercher et de suivre l’évolution des actes délégués dès le stade de la planification par la Commission jusqu’à la publication finale au Journal officiel. Le registre contient également des informations sur les diverses mesures prises par le Parlement européen et le Conseil ainsi que sur les travaux des groupes d’experts de la Commission impliqués dans la préparation des actes délégués. Le registre contribue à renforcer la transparence du processus décisionnel car il offre un guichet unique où toutes les informations pertinentes sur les actes délégués peuvent être facilement trouvées.
Questions sectorielles
La feuille de route de la Commission pour approfondir l’Union économique et monétaire européenne
42Le 6 décembre 2017, la Commission a présenté une feuille de route relative à « L’approfondissement de l’Union économique et monétaire » (COM(2017) 821 final) accompagnée par un « paquet » contenant plusieurs propositions et communications. Conformément au cadre tracé par le président de la Commission dans son discours sur l’état de l’Union de septembre 2017, cette feuille de route comprend deux parties.
43La première est consacrée aux questions devant être « traitées » d’ici la fin du mandat de l’actuel collège : d’une part celles ayant déjà fait l’objet d’une proposition de la part de la Commission et vis-à-vis desquelles l’adoption rapide par le législateur est souhaitable (achèvement de l’union bancaire, en particulier les mesures relatives à la réduction des risques) et d’autre part celles à l’égard desquelles la Commission présente une proposition aux côtés de sa feuille de route. Il s’agit tout d’abord du « filet de sécurité commun » qui doit concrétiser le caractère pleinement opérationnel du Fonds de résolution, en d’autres termes le mécanisme de dernier recours en cas de faillite bancaire, et doit être en place fin 2019. Le mécanisme européen de stabilité est pressenti pour jouer ce rôle. Figurent ensuite le renforcement financier des activités de capacity building avec le doublement des activités du programme d’appui à la réforme structurelle à l’horizon 2020 (règlement no 2018/815, cf. cette chronique no 163) et la modification du règlement portant dispositions communes (aux fonds structurels no 1303/2013) pour soutenir la mise en œuvre des réformes nationales. Un troisième train de mesures porte sur le système européen d’assurance des dépôts. Enfin, un dernier concerne la formalisation du dialogue entre le Parlement européen et la Commission dans les domaines de l’Union économique et monétaire.
44La deuxième partie de la feuille de route regroupe les projets de plus long terme qu’on peut classer en trois ensembles en fonction de leur position dans la procédure d’adoption. Un premier ensemble contient les propositions formellement arrêtées par la Commission : création d’un Fonds monétaire européen (sur la base du mécanisme européen de surveillance), intégration du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans le droit de l’Union et mise en place d’une représentation unifiée de la zone euro au Fonds monétaire international. Un deuxième a trait à l’annonce de la finalisation de toutes les initiatives législatives en cours sur l’union des marchés des capitaux, dont la révision des autorités européennes de surveillance et l’infrastructure du marché européen. Un troisième ensemble ne porte que sur des annonces d’initiatives (communications) qui doivent encore être finalisées vraisemblablement par la prochaine Commission : création d’un ministre européen de l’économie et des finances (qui serait à la fois vice-président de la Commission et président élu de l’Eurogroupe pour deux mandats consécutifs) ; amélioration du fonctionnement de la zone euro avec, entre autres, un mécanisme spécifique de soutien à la convergence pour les États membres qui ne font pas partie de la zone euro et un mécanisme de stabilisation.
Gouvernance des accords internationaux de l’Union européenne
45À la suite d’une annonce faite par le président Juncker dans son discours sur l’État de l’Union de septembre 2017, une communication de la Commission rend systématique la publication des propositions de mandats de négociation, c’est-à-dire des recommandations concernant les directives selon lesquelles les négociations d’accords commerciaux [13] doivent être menées. Ces propositions, soumises au Conseil, étaient jusqu’à présent confidentielles. Outre le Conseil, elles seront donc désormais à la disposition du Parlement européen, des parlements nationaux et du grand public. Dans la foulée, la Commission a publié les projets de mandats pour la négociation d’accords commerciaux bilatéraux avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande ainsi que d’un accord multilatéral sur le règlement des différends relatifs aux investissements.
46Selon la Commission, qui invite les États membres à veiller à ce que les parties prenantes nationales et régionales participent aux négociations commerciales au stade le plus précoce possible, cette transparence devrait favoriser, dès le départ, un débat « large et ouvert » sur les accords prévus.
47La même communication créée un groupe consultatif sur les accords commerciaux de l’Union. Ce groupe qui, ajouté aux dizaines de groupes d’experts qui conseillent déjà la Commission sur la politique commerciale commune, doit lui permettre d’élargir le dialogue avec la société civile et de recueillir plus facilement différentes idées et perspectives auprès de parties prenantes, allant des syndicats aux organisations d’employeurs, en passant par les organisations de consommateurs et d’autres organisations non gouvernementales disposant d’une expertise dans les domaines couverts par la politique commerciale de l’Union.
Politique européenne de défense : création d’une Coopération structurée permanente (CSP) [14]
48Après la création d’une Capacité militaire de planification et de conduite [15], l’institutionnalisation de la politique de défense dans un cadre intergouvernemental s’est poursuivie avec la mise en place d’une Coopération structurée permanente (CSP). Une CSP [16] permet aux États membres qui le souhaitent de s’associer en vue de réaliser des projets concrets faisant avancer la politique européenne de défense. Évoqué depuis une dizaine d’années, gelée depuis 2009 faute de volonté politique de la part des États-membres, le retour à l’agenda de la CSP s’explique à la fois par la récente proposition européenne d’une doctrine crédible en matière de défense (adoption en novembre 2016 de la Stratégie globale de l’Union dans le domaine de la sécurité et de la défense) et par la non moins récente volonté de certains États-membres, en premier lieu la France et l’Allemagne (dont les propositions conjointes du 12 septembre 2016 sont à l’origine de la CSP), de poursuivre l’intégration européenne sur des projets concrets et à forte visibilité politique.
49Les États qui souhaitent participer à la CSP doivent le notifier au Conseil de l’Union européenne. Le 13 novembre 2017, vingt-trois États membres souhaitant coopérer et « remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue d’émissions plus exigeantes » [17] ont notifié une telle intention. Deux autres s’y sont ajoutés par la suite. Ces vingt-cinq atteignant la double majorité qualifiée requise (55 % des États-membres intéressés et 65 % de leur population), le Conseil a acté le 8 décembre 2017 la création de la CSP. Le Conseil de l’UE en est l’organe décisionnel mais il se réunit dans une formation qui n’est ouverte qu’aux seuls États membres participants. Les décisions y sont prises à l’unanimité.
50La CSP devrait se traduire concrètement par des objectifs chiffrés concernant le niveau des dépenses d’investissement en matière d’équipement de défense et par des objectifs communs de projection de forces. Les efforts des États membres seront évalués chaque année par l’Agence européenne de défense.
51 La CSP ne fonctionne qu’au gré de projets présentés par les États membres qui sont examinés par le Conseil qui évalue les capacités techniques et financières des différents États, afin d’assurer la cohérence globale de la Coopération. Les frais de fonctionnement des projets sont à la charge des États mais l’Union participe notamment à travers le Fonds européen de défense.
52 Ce dernier, lancé en juin 2017, est mis en œuvre selon trois volets. Le premier, le volet recherche, offre des subventions pour la recherche collective (au moins trois participants provenant d’États membres différents) qui doit porter sur des domaines prioritaires convenus au préalable entre les États membres (logiciels cryptés, robotiques…). Le montant attribué à ce volet est de 25 millions d’euros pour 2017, 90 pour 2018 et 2019 et 500 à partir de 2020. Le deuxième volet porte sur le développement conjoint de prototypes associant financement européen et financements nationaux. Le troisième volet concerne l’acquisition de matériel pour lesquels des financements européens ne seront disponibles que si elles ont lieu en commun entre États membres. Les deux derniers volets bénéficient d’un montant de 500 millions d’euros pour 2018 et 2019 qui devrait passer à un milliard à partir de 2020. À cette date, la Commission anticipe un effet multiplicateur débouchant globalement sur un investissement de 5 milliards par an. L’originalité de ce Fonds est de jouer sur trois tableaux : le renforcement des capacités de défense de l’Union et des États membres, le développement de l’activité économique par ses investissements et la réduction des dépenses militaires des États membres, vu que le manque de coopération entre ces derniers engendre, selon les estimations de la Commission, un surcoût global annuel de 25 à 100 milliards d’euros [18].
53 Les organismes européens compétents en matière de défense, tel que l’Agence européenne de défense et le Service européen pour l’Action extérieure, joueront un certain rôle dans la CSP dans la mesure où ils assureront ensemble le secrétariat. Le haut représentant est également associé vu qu’il devra préparer un rapport annuel sur le fonctionnement de la CSP afin d’analyser les effets de cette dernière au regard des objectifs de l’Union.
À signaler
Procédures douanières
54Le rapport spécial no 19/207 de la Cour des comptes européenne intitulé « Procédures d’importation : les intérêts financiers de l’UE pâtissent d’insuffisances au niveau du cadre juridique et d’une mise en œuvre inefficace » fait le point sur la gouvernance d’une des plus anciennes politiques européennes (l’union douanière fête ses cinquante ans en 2018) et dresse un bilan mitigé de l’application du « faire faire » dans ce domaine.
Mécanisme de coopération et de vérification pour la Bulgarie et la Roumanie : analyse de dix ans de fonctionnement
55Un rapport du Parlement européen (du 9 janvier 2018, PE 603.813) dresse un bilan de dix années de fonctionnement du mécanisme de coopération et de vérification pour la Bulgarie et la Roumanie, créé en 2007 dans le but de suivre les progrès réalisés dans ces deux pays, en matière (principalement) de réformes judicaires et de lutte contre la corruption. S’il adresse un relatif satisfecit à la Roumanie, ses conclusions sont plus mitigées à l’égard de la Bulgarie.
Fonds européen d’investissement stratégique
56Le Fonds européen d’investissement stratégique (FEIS) a été créé en juin 2015 pour remédier aux défaillances du marché en termes de capacité à soutenir des risques d’investissement. Il est prolongé jusqu’en 2020 et son objectif d’investissement passe à 500 milliards d’euros, grâce à une garantie du budget de l’Union porté à 26 milliards et une dotation de la Banque européenne d’investissement (BEI) s’élevant désormais à 7,5 milliards [19]. Une attention encore plus grande est portée aux PME et aux projets durables. Une plus grande transparence est mise en œuvre en matière de gouvernance et de critères de sélection.
57 F. L.
II – Principes du droit administratif européen
- Principe de transparence
- Principe de non-discrimination
- Obligation de mise en œuvre effective du droit de l’Union
- Principe de protection juridictionnelle effective
- Principe du respect des droits de la défense
- Principe de protection des données personnelles
Principe de transparence
Accès aux documents dans le domaine des marchés publics et principe de bonne administration
58Dans le domaine des marchés publics l’affaireEvropaïki Dynamiki [20] donne au Tribunal l’occasion de préciser que, contrairement aux avis d’attribution d’un marché, les demandes d’offres ne relèvent pas du régime des exceptions par présomptions. En l’espèce, le Parlement européen a évoqué les exceptions du règlement no 1049/2001 relatives à la protection de la sécurité publique, à la protection de la vie privée et à la protection du processus décisionnel. Le Tribunal considère que « le Parlement n’a nullement démontré que les documents [auxquels il a été demandé accès] pouvaient être couverts, en raison de leur nature particulière, par une prétendue présomption générale d’atteinte à la sécurité publique, à la vie privée ou au processus décisionnel » (pt 50). Il est affirmé qu’une demande d’offre comporte en principe une description des tâches que le pouvoir adjudicateur souhaite faire exécuter en vertu du contrat-cadre qu’il a signé avec le cocontractant. Eu égard à la grande variété de biens et de services faisant l’objet de marchés publics, notamment dans le domaine informatique, il n’est pas établi que la divulgation d’une demande d’offre pourrait, en règle générale et sans explication plus précise, comporter un risque d’atteinte à la sécurité publique, à la vie privée ou au processus décisionnel » (pt 51). La même conclusion s’impose au regard du contenu des demandes d’offres, qui n’est pas couvert, au moins pas manifestement et intégralement, par les exceptions au principe de libre accès. Par conséquent, le Parlement européen ne pouvait se fonder sur l’existence d’une présomption d’exception pour refuser de procéder à un examen concret et individuel des documents demandés et de les divulguer.
59Il est toutefois intéressant de noter que le Tribunal applique le principe de bonne administration pour justifier le refus du Parlement d’accorder l’accès aux documents demandés malgré l’absence de présomption d’exception. En effet, le Tribunal prend en compte les circonstances particulières, la charge du travail requise, l’absence de volonté de coopération de la part du requérant, pour conclure que la sauvegarde de l’effet utile du principe de bonne administration justifie la dérogation à l’obligation d’examen concret et individuel des documents demandés en vue de leur divulgation ou l’application d’une exception. « Le Parlement pouvait, par conséquent, refuser globalement l’accès à ces documents, sans qu’il soit nécessaire de l’inviter à produire une copie des documents qu’il avait effectivement examinés » (pt 102).
Notion d’activités d’enquête
60L’affaireFrance contre Schlyter [21] donne à la Cour de justice l’occasion de préciser la notion d’activités d’enquête, dont la protection justifie la dérogation au principe d’accès aux documents, selon l’article 4, §2, du règlement 1049/2001. Dans un premier temps, le Tribunal avait annulé la décision de la Commission, ayant refusé l’accès à son avis circonstancié concernant un projet d’arrêté, qui lui avait été notifié par les autorités françaises, relatif au contenu et aux conditions de présentation de la déclaration annuelle des substances à l’état nanoparticulaire [22]. La Commission avait appliqué la directive 98/34/CE relative à une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques. La France considère que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la procédure de la directive 98/34/CE ne constitue pas une activité d’enquête. Selon elle, « il n’y a pas lieu de réduire la notion d’« enquête », d’une part, aux recherches effectuées par une autorité pour établir une infraction ou une irrégularité et, d’autre part, aux procédures visant à réunir et à vérifier des faits ainsi que des informations en vue d’une prise de décision » (pt 43). La Cour de justice accueille l’argument français et considère que la notion d’enquête « est une notion autonome du droit de l’Union, qui doit être interprétée en tenant compte, notamment, de son sens habituel ainsi que du contexte dans lequel elle s’insère » (pt 45). Pour la Cour, « constitue une telle activité une procédure structurée et formalisée de la Commission dont l’objectif est la collecte et l’analyse d’informations afin que cette institution puisse adopter une position dans le cadre de l’exercice de ses fonctions prévues par les traités UE et FUE » (pt 46). Il n’est pas nécessaire « pour qu’une procédure soit qualifiée d’« enquête », que la position adoptée par la Commission pour accomplir ses fonctions soit revêtue de la forme d’une décision au sens de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE. Une telle position peut prendre la forme, notamment, d’un rapport ou d’une recommandation » (pt 48). La Cour de justice considère ainsi que la Commission pouvait refuser l’accès à son avis circonstancié au nom de la protection d’une activité d’enquête conformément à l’article 4, p§2, troisième tiret du règlement 1049/2001. Toutefois, la Cour de justice rappelle que « pour justifier le refus d’accès à un document dont la divulgation a été demandée, il ne suffit pas, en principe, que ce document relève d’une activité mentionnée à l’article 4, §2 et 3, du règlement no 1049/2001. L’institution concernée doit également fournir des explications quant à la question de savoir comment l’accès au dit document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à cet article » (pt 61). Or, en l’espèce, la Commission n’a pas démontré que l’accès à l’avis circonstancié en question porte concrètement et effectivement atteinte à l’objectif de prévention de l’adoption d’une règle technique incompatible avec le droit de l’Union. Par conséquent, la Cour de justice a confirmé la décision du Tribunal ayant annulé la décision de refus d’accès, confirmant ainsi l’importance du principe de transparence.
Principe de non-discrimination
61L’affaireKalliri [23] concerne la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelle, et les conditions de travail, en application de la directive 76/207/CEE, applicable en l’espèce. La réglementation hellénique établit une discrimination indirecte quant à l’accès à l’emploi dans le secteur public, en prévoyant que les personnes mesurant moins de 1,70 m ne peuvent pas être admises au concours d’entrée à l’école de police grecque. La juridiction de renvoi constate que ladite réglementation désavantage nettement les femmes par rapport aux hommes et la question est de savoir si la discrimination indirecte est objectivement justifiée par un but légitime et si les moyens pour parvenir à ce but sont appropriés et nécessaires. La Cour de justice reconnaît que le souci d’assurer le caractère opérationnel et le bon fonctionnement des services de police constitue un objectif légitime. Or, l’exigence de taille minimale ne serait pas apte à assurer cet objectif légitime. Selon la Cour, « l’exercice de fonctions de police concernant la protection des personnes et des biens, l’arrestation et la surveillance des auteurs de faits délictueux ainsi que les patrouilles préventives peut exiger l’utilisation de la force physique et impliquer une aptitude physique particulière, il n’en demeure pas moins que certaines fonctions de police, telles que l’assistance aux citoyens ou la régulation de la circulation, ne nécessitent apparemment pas un engagement physique important » (pt 38). En outre, « à supposer que la totalité des fonctions exercées par la police hellénique requière une aptitude physique particulière, il n’apparaît pas qu’une telle aptitude soit nécessairement liée à la possession d’une taille physique minimale et que les personnes d’une taille inférieure en soient naturellement dépourvues » (pt 39). Même si le juge national garde sa marge d’appréciation pour vérifier l’adéquation de la condition de taille à l’objectif poursuivi, celui-ci « pourrait être atteint par des mesures moins désavantageuses pour les personnes de sexe féminin, telles qu’une présélection des candidats au concours d’entrée aux écoles des officiers et agents de police fondée sur des épreuves spécifiques permettant de vérifier leurs capacités physiques » (pt 42).
Obligation de mise en œuvre effective du droit de l’Union
Transposition tardive d’une directive et obligation d’interprétation conforme
62Dans l’affairePantuso e. a. [24] la Cour de justice rappelle l’obligation d’interprétation conforme qui pèse sur les juridictions nationales en cas de transposition tardive des directives. En l’espèce, la question est de savoir si l’obligation de rémunération appropriée des médecins spécialistes pendant leur période de formation, en vertu de la directive 82/76/CEE, couvre la période entre l’expiration du délai de transposition et la date tardive de transposition de ladite directive. La Cour de justice, répond par l’affirmative, après avoir interprété le terme « rémunération appropriée », prenant en considération les termes de la directive, les dispositions transitoires et les travaux préparatoires. Elle considère en outre que l’obligation de rémunération n’était pas subordonnée à l’adoption des mesures de transposition par l’État membre, malgré l’absence d’effet direct en raison du caractère conditionnel du terme « rémunération appropriée ». La Cour rappelle en effet qu’il incombe au juge national de déterminer le montant de la rémunération appropriée, en interprétant le droit national à la lumière du texte et de la finalité de la directive en question. Plus précisément, la Cour de justice rappelle que « même en l’absence de mesures nationales spécifiques de transposition d’une directive, il incombe au juge national d’interpréter le droit national dans toute la mesure possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive concernée, afin d’atteindre le résultat visé par celle-ci, ce qui requiert qu’il fasse tout ce qui relève de sa compétence en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci » (pt 45). La Cour précise que la finalité de la directive en question était de « garantir que les médecins concernés consacrent à leur formation pratique et théorique toute leur activité professionnelle pendant toute la durée de la semaine de travail ou, dans le cas d’un spécialiste en formation à temps partiel, une proportion significative de celle-ci » (pt 46). Par conséquent, l’obligation d’accorder aux médecins concernés une rémunération appropriée s’étend à toute formation à plein temps ou à temps partiel de médecin spécialiste commencée au cours de l’année d’expiration du délai de transposition et continuée jusqu’à l’année de transposition effective. Enfin, la Cour ajoute qu’afin de déterminer le niveau et les méthodes de fixation d’une rémunération appropriée pour la période en question, il convient de prendre en compte notamment les solutions apportées à cet égard dans la réglementation nationale de transposition de la directive. L’obligation de mise en œuvre effective d’une directive, expression du principe de loyauté (article 4, §3, TUE) implique ainsi en l’espèce l’application rétroactive et complète des mesures de transposition. Cette solution permet de remédier aux conséquences dommageables de la transposition tardive et rend sans objet l’engagement de la responsabilité de l’État, à moins que « les bénéficiaires établissent l’existence de pertes complémentaires qu’ils auraient subies en raison du fait qu’ils n’ont pu bénéficier en temps voulu des avantages pécuniaires garantis par la directive et qu’il conviendrait donc de réparer également » (pt 50).
Intérêts financiers de l’Union, régime national de prescription et respect du principe de légalité des délits et des peines
63Dans l’affaire M. A. S. et M. B. [25] la Cour de justice revient sur l’arrêt Taricco [26], qui avait souligné l’exigence d’efficacité de la lutte contre les fraudes massives à la TVA et des atteintes graves aux intérêts financiers de l’Union, au détriment des règles nationales de prescription qui pourraient faire obstacle à la répression effective des infractions fiscales. En l’espèce, la question préjudicielle est de savoir si la non-application des règles nationales de prescription est imposée au nom de l’effectivité du droit de l’Union, et précisément de l’article 325 TFUE, même dans le cas où une telle mise à l’écart des règles nationales conduirait à la violation du principe de légalité des délits et des peines, en raison du défaut de précision de la loi applicable ou au motif d’une application rétroactive de cette dernière. Dans l’arrêt M. A. S. et M. B. la Cour rappelle qu’il appartient aux juridictions nationales compétentes « de donner plein effet aux obligations découlant de l’article 325, §1 et 2, TFUE et de laisser inappliquées des dispositions internes, notamment en matière de prescription, qui, dans le cadre d’une procédure concernant des infractions graves en matière de TVA, font obstacle à l’application de sanctions effectives et dissuasives pour lutter contre les fraudes portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union » (pt 39). En même temps, la Cour considère que le régime national de prescription, composante du régime des sanctions pénales en cas d’atteinte aux intérêts financiers de l’Union, relève du droit pénal matériel et ainsi de la compétence partagée de l’Union. Cela signifie que si le juge national laisse inappliquées les règles nationales de prescription au nom de l’effectivité de l’article 325 TFUE, il doit également prendre en compte des limites imposées à sa marge d’appréciation par le principe de légalité des délits et des peines. « Ce principe, tel que consacré à l’article 49 de la charte, s’impose aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, conformément à l’article 51, §1, de celle-ci, ce qui est le cas lorsqu’ils prévoient, dans le cadre des obligations qui leurs sont imposées par l’article 325 TFUE, l’infliction de sanctions pénales pour les infractions en matière de TVA. Ainsi, l’obligation de garantir un prélèvement efficace des ressources de l’Union ne saurait aller à l’encontre dudit principe » (pt 52). La Cour conclut que « si le juge national était ainsi amené à considérer que l’obligation de laisser inappliquées les dispositions du Code pénal en cause se heurte au principe de légalité des délits et des peines, il ne serait pas tenu de se conformer à cette obligation » (pt 61). En considérant que le régime de prescription relève de la compétence partagée de l’Union et des États membres, la Cour de justice impose au juge national la recherche d’équilibre entre mise en œuvre effective de l’obligation de protection des intérêts financiers de l’Union et respect du principe de légalité des délits et des peines. En revanche, si elle avait considéré que le régime de prescription est une notion autonome, dans le cadre de l’autonomie procédurale nationale, le principe de légalité des délits et des peines aurait été considéré comme un standard national de protection qui ne devrait pas heurter la mise en œuvre effective du droit de l’Union.
Principe de protection juridictionnelle effective
Exigence de recours juridictionnel
64L’affaireEl Hassani [27] concerne l’absence de recours juridictionnel, en droit polonais, contre une décision de refus de délivrance d’un visa Schengen. En l’espèce, la décision de refus était rendue par le consul de Pologne à Rabat. Or, selon le droit polonais, les décisions de refus de délivrance d’un visa adoptées par une autorité consulaire ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel ; les ressortissants de pays tiers, non-membres de famille d’un citoyen européen, ne bénéficient que d’une voie de recours administrative, conformément à la loi sur les étrangers. Toutefois, l’article 32, §3, du règlement (CE) no 810/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, établissant un code communautaire des visas, prévoit que « les demandeurs qui ont fait l’objet d’une décision de refus de visa peuvent former un recours contre cette décision. Ces recours sont intentés contre l’État membre qui a pris la décision finale sur la demande, conformément à la législation nationale de cet État membre ». La Cour de justice interprète cette disposition à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, qui prévoit que toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un Tribunal. La lecture combinée de l’article 32, §3 du Code des visas et de l’article 47 de la charte conduit la Cour de justice à conclure que la législation nationale doit prévoir un recours juridictionnel.
65Il convient de noter que la Cour de justice clarifie le rapport entre le principe de protection juridictionnelle effective et le principe d’effectivité. Plus précisément, les voies de recours contre les décisions de mise en œuvre du droit de l’Union relèvent de l’autonomie procédurale nationale, sous réserve du respect du principe d’effectivité, en ce sens qu’une règle de procédure nationale, telle que celle en cause au principal, ne doit pas être de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union. La Cour de justice rappelle que l’exigence d’effectivité exprime « l’obligation générale pour les États membres d’assurer la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union » (pt 28). Ainsi, l’existence d’un recours administratif ne suffit pas pour conclure au respect du principe d’effectivité. Le principe d’effectivité doit être lu à la lumière de l’article 47 de la charte, comme il trouve application dans l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, et en l’occurrence le droit à un recours selon l’article 32, §3 du Code des visas. Il s’ensuit, que l’absence de voie de recours juridictionnel rend impossible l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union qui soit conforme aux exigences de l’article 47 de la charte. La Cour affirme que « l’article 47, deuxième alinéa, de la charte prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un Tribunal indépendant et impartial. Le respect de ce droit suppose que la décision d’une autorité administrative ne remplissant pas elle-même les conditions d’indépendance et d’impartialité subisse le contrôle ultérieur d’un organe juridictionnel qui doit, notamment, avoir compétence pour se pencher sur toutes les questions pertinentes » (pt 39). Il en résulte que « l’article 47 de la charte impose aux États membres l’obligation de garantir, à un certain stade de la procédure, la possibilité de porter devant une juridiction une affaire relative à une décision définitive de refus de visas » (pt 41). Le principe d’effectivité est ainsi interprété comme une expression du principe de protection juridictionnelle effective, plutôt que comme un compromis entre autonomie procédurale et effectivité minimale.
Limitation du droit à un recours effectif
66Dans l’affairePuškár [28] le principe de protection juridictionnelle effective s’applique dans le cadre d’un recours devant la direction des finances slovaque dans le but de supprimer le nom du requérant d’une liste de personnes considérées par la direction des finances comme des prête-noms. Le requérant s’estimant victime d’une atteinte à ses droits de la personnalité par l’inscription de son nom sur la liste litigieuse, le droit à un recours effectif vise la garantie du droit au respect de la vie privée à l’égard du traitement de données à caractère personnel, consacré dans la directive 95/46. La question préjudicielle relative à l’article 47 de la Charte consiste à savoir si cet article s’oppose à une disposition de droit national qui subordonne l’exercice d’un recours devant le juge administratif à une obligation d’avoir préalablement épuisé les voies de recours prévues dans une réglementation nationale spécifique, telle que la loi slovaque sur les réclamations administratives. La Cour de justice rappelle qu’il incombe aux juridictions nationales des États membres « en vertu du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, §3, TUE, d’assurer la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, l’article 19, §1, TUE imposant, par ailleurs, aux États membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union » (pt 57). Cette obligation exprimant le droit à un recours effectif devant un Tribunal selon l’article 47 de la Charte, les États membres doivent prendre en compte ce droit fondamental lorsqu’ils déterminent les caractéristiques du recours prévu à l’article 22 de la directive 95/46. La Cour de justice admet que la réglementation nationale en cause introduit une étape supplémentaire pour l’accès au juge et constitue ainsi une limitation du droit à un recours effectif devant un Tribunal. Toutefois, « l’obligation d’épuiser les voies de recours administratives disponibles vise à décharger les tribunaux de litiges qui peuvent être tranchés directement devant l’autorité administrative concernée ainsi qu’à accroître l’efficacité des procédures juridictionnelles en ce qui concerne les litiges dans lesquels un recours juridictionnel est formé malgré le fait qu’une réclamation a déjà été introduite. Ladite obligation poursuit, par conséquent, des objectifs d’intérêt général légitimes » (pt 67). La Cour de justice considère aussi que « l’obligation d’épuiser les voies de recours administratives disponibles apparaît propre à atteindre ces objectifs, aucune mesure moins contraignante que cette obligation et apte à atteindre aussi efficacement lesdits objectifs ne s’imposant » (pt 68). Toutefois, afin que la limitation au droit à un recours effectif soit admise, il faut que l’obligation d’épuisement de recours préalable soit considérée également comme une limitation proportionnée. À cet égard, la Cour de justice estime qu’il appartient à la juridiction de renvoi « d’examiner si les modalités concrètes d’exercice des voies de recours administratives disponibles en droit slovaque n’affectent pas de manière disproportionnée le droit à un recours effectif devant un Tribunal visé à l’article 47 de la Charte » (pt 72). La Cour ajoute qu’il importe « que l’épuisement préalable des voies de recours administratives disponibles n’entraîne pas de retard substantiel pour l’introduction d’un recours juridictionnel, qu’il entraîne la suspension de la prescription des droits concernés et qu’il n’occasionne pas de frais excessifs » (pt 76). On notera que la Cour de justice affirme que l’analyse des limites à l’autonomie procédurale nationale sous l’angle de l’article 47 de la Charte diffère de celle au regard du principe d’effectivité. Certes, dans les deux cas, l’autonomie procédurale nationale est prise en compte en vue de l’admission des limites à la protection juridictionnelle issues des règles nationales. Or, en se plaçant sous l’angle de l’article 47 de la Charte, de telles limites sont considérées comme des limitations à un droit fondamental et sont vues sous l’angle du principe de proportionnalité, ce qui fait peser la balance vers la protection du droit fondamental à la protection juridictionnelle effective.
Principe du respect des droits de la défense
Droits de la défense et intérêt général de l’Union
67Dans l’affaire Prequ’Italia [29] la Cour de justice fait primer l’intérêt général de l’Union européenne visant au recouvrement de ses recettes propres dans les meilleurs délais sur le droit à être entendu. Dans le cadre d’un contentieux douanier, la société Prequ’Italia forme un recours contre des avis rectificatifs portant rappel d’imposition à la TVA à l’importation, en invoquant la violation de ses droits à la défense, étant donné que lesdits avis étaient adoptés par le bureau des douanes sans procédure préalable contradictoire. La Cour rappelle que le respect des droits de la défense implique que « les destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue quant aux éléments sur lesquels l’administration entend fonder sa décision » (pt 46). Toutefois, « selon une jurisprudence constante, le principe général du droit de l’Union du respect des droits de la défense ne constitue pas une prérogative absolue, mais peut comporter des restrictions, à la condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par la mesure en cause et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis » (pt 50). Le recouvrement des recettes de l’Union dans les meilleurs délais constitue un tel intérêt. En outre, «une violation des droits de la défense, en particulier du droit d’être entendu, n’entraîne l’annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l’absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent » (pt 62).
Respect des droits de la défense, autonomie procédurale nationale et principe d’effectivité
68Lors d’une procédure administrative nationale de contrôle et d’établissement de l’assiette de la TVA le respect des droits de la défense s’impose en tant que principe général du droit de l’Union, étant donné que l’article 41 de la charte sur le principe de bonne administration ne s’adresse qu’aux institutions, organes et organismes de l’Union. Dans l’affaire Ispas [30], concernant l’exercice d’un contrôle fiscal de la part de l’administration roumaine, la Cour de justice rappelle que le principe du respect des droits de la défense implique que « les destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue quant aux éléments sur lesquels l’administration entend fonder sa décision. Cette obligation pèse sur les administrations des États membres lorsqu’elles prennent des décisions entrant dans le champ d’application du droit de l’Union, alors même que la législation de l’Union applicable ne prévoit pas expressément une telle formalité » (pt 26). Le principe de l’autonomie procédurale nationale trouve ainsi ses limites afin de ne pas rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice d’un droit que les justiciables tirent du droit de l’Union, en l’espèce le respect des droits de la défense. Le respect des droits de la défense, en tant qu’obligation qui pèse sur les États membres dans la mise en œuvre du droit de l’Union relève des modalités procédurales nationales, et en ce sens, « les autorités fiscales nationales ne sont pas soumises à une obligation générale de fournir un accès intégral au dossier dont elles disposent ni de communiquer d’office les documents et informations soutenant la décision envisagée » (pt 32). La Cour considère que « le respect effectif des droits de la défense exige cependant qu’existe une possibilité réelle d’accès auxdits documents et auxdites informations, à moins que des objectifs d’intérêt général justifient de restreindre cet accès » (pt 34). En d’autres termes, l’absence de possibilité d’accès au dossier dans une procédure devant une administration fiscale nationale heurte le principe d’effectivité du respect des droits de la défense dans la mise en œuvre du droit de l’Union. Toutefois, comme cela est le cas concernant l’accès aux documents des institutions de l’Union, des restrictions « peuvent notamment viser à protéger les exigences de confidentialité ou de secret professionnel, auxquels l’accès à certaines informations et à certains documents est susceptible de porter atteinte » (pt 36). Or, l’équilibre entre l’objectif d’intérêt général poursuivi par les restrictions d’accès aux documents de l’administration nationale et l’effectivité du respect des droits de la défense relève de l’appréciation du juge national.
Principe de protection des données personnelles
Notion de données à caractère personnel
69L’affaire Nowak [31] concerne l’interprétation de la directive « données personnelles » (directive 95/46/CE) dans le contexte d’une demande de transmission de copie d’un examen professionnel. La Cour rappelle que les données à caractère personnel sont définies selon l’article 2 de ladite directive comme « toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable ; est réputée identifiable une personne qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments spécifiques, propres à son identité physique, physiologique, psychique, économique, culturelle ou sociale ». Une copie même anonyme remplit ces conditions en ce que l’examinateur dispose « des informations nécessaires lui permettant d’identifier sans difficultés ou doutes ce candidat à partir de son numéro d’identification, apposé sur la copie d’examen ou le feuillet de couverture de cette copie, et ainsi de lui attribuer ses réponses » (pt 31). En outre, une copie d’examen « reflète le niveau de connaissance et de compétence du candidat dans un domaine donné ainsi que, le cas échéant, ses processus de réflexion, son jugement et son esprit critique. En cas d’examen rédigé à la main, les réponses contiennent, en outre, des informations sur son écriture » (pt 37). Enfin, « s’agissant des annotations de l’examinateur relatives aux réponses du candidat, il convient de constater que celles-ci constituent, tout comme les réponses fournies par le candidat lors de l’examen, des informations concernant ce candidat » (pt 42). Par conséquent, le candidat à un examen a un intérêt légitime, tiré de la protection de sa vie privée, à pouvoir s’opposer à ce que les réponses fournies et les annotations de l’examinateur soient traitées en dehors de la procédure d’examen et qu’elles soient transmises à des tiers sans son autorisation. Il a aussi le droit, selon l’article 12, sous a), de la directive 95/46/CE, d’accès aux données le concernant, ce qui est interprété en ce sens que « ce droit d’accès est nécessaire, notamment, pour permettre à la personne concernée d’obtenir, le cas échéant, de la part du responsable du traitement, la rectification, l’effacement ou le verrouillage de ces données » (pt 57).
70 E. N.
III – Personnels des institutions de l’Union et des affaires européennes en France
- Au Berlaymont
- Au Justus Lipsius
- Paris-Bruxelles
71Les nominations occupent l’essentiel de cette rubrique. Elles sont en effet nombreuses et variées : une désignation surprise et contestée à la tête de l’administration de la Commission, une transition à la présidence de l’Eurogroupe, une passation importante à la Représentation permanente de la France à Bruxelles et la nomination de deux femmes à Paris : respectivement, la secrétaire générale des affaires européennes – conseillère du Premier ministre et la sous-gouverneure en charge des questions européennes à la Banque de France.
Au Berlaymont
72Martin Selmayr, chef de cabinet du président Juncker depuis son investiture en novembre 2014, a été nommé le 21 février 2018, secrétaire général de la Commission en remplacement d’Alexander Italianer, en fonction depuis seulement septembre 2015.
73Cette nomination surprise et très commentée a suscité beaucoup de remous à Bruxelles. Revenons tout d’abord sur la chronologie : le 31 janvier 2018 un poste de secrétaire général adjoint est vacant suite à la nomination de Paraskevi Michou, au poste de directrice générale « Migration et affaires intérieures », à compter du 1er mars. Le titulaire du poste, Matthias Ruete, l’un des hauts fonctionnaires les plus expérimentés de la Commission, devient conseiller hors classe au sein du secrétariat général. Mme Michou était depuis 2015 secrétaire générale adjointe chargée des politiques institutionnelles et administratives, de la réglementation intelligente et du programme de travail. Cette vacance a entrainé une procédure de recrutement à l’issue de laquelle Martin Selmayr a été nommé par le Collège le 21 février 2018. Mais suite à la démission surprise d’Alexander Italianer, Selmayr est nommé par le même Collège, en quelques minutes, secrétaire général à compter du 1er mars.
74Plusieurs éléments de contextualisation peuvent être dégagés. Alexander Italianer a été le plus bref secrétaire général de l’histoire de la Commission c’est-à-dire pendant seulement 2,5 ans. À 61 ans, il n’a pas réellement atteint l’âge de faire valoir ses droits à la retraite. Le plus court mandat à la tête du secrétariat général était celui jusqu’ici celui de Carlo Trojan, également néerlandais du 1er août 1997 au 31 mai 2000 soit deux ans et dix mois. Rappelons que le prédécesseur d’Italianer, Catherine Day, a été en poste dix ans de novembre 2005 à août 2015.
75Mais ce n’est pas le premier chef de cabinet du président de la Commission à devenir directement secrétaire général. Avant lui, David O’Sullivan, irlandais, a été nommé en 2000 secrétaire général après avoir été moins d’un an chef de cabinet du président, Romano Prodi. Une telle nomination directe est pourtant davantage l’apanage du Parlement européen où l’actuel secrétaire général, Klaus Welle a été nommé en 2009 après avoir dirigé le cabinet de son président de 2007 à 2009.
76Cette affaire présente deux interrogations principales : la base juridique du recrutement et le grade de l’intéressé. La base du recrutement, tout d’abord. Selon l’article 7 du statut, la mutation dans l’intérêt du service « ne peut avoir lieu qu’à un emploi de son groupe de fonction correspondant à son grade ». Mais en l’occurrence ce n’est pas cet article qui a été appliqué mais l’article 29. Le commissaire aux ressources humaines Günther Oettinger a ainsi déclaré dans une interview accordée à L’Écho, au Tijd et au Soir. « Comme chef de cabinet depuis trois ans, Martin Selmayr pouvait faire l’objet d’un transfert pur et simple, comme prévu par l’article 7 du règlement. Mais il a préféré dire non, c’est trop facile, je veux utiliser la procédure de l’article 29. Il a donc passé des tests. »
77Le second enjeu porte sur le grade de l’intéressé. Martin Selmayr était (seulement) directeur (AD 15) depuis 11 juin 2014, sans exercer la fonction puisqu’il a été nommé chef de cabinet du président élu puis du président à partir du 1er novembre. Mais le même jour de l’entrée en fonction de la nouvelle Commission Juncker, celle-ci a adopté une communication disant que « le chef de cabinet du président a le rang de directeur général ». C’est la portée juridique de cette communication qui est en question. Ainsi « cette assimilation n’emporte pas, en principe, de conséquence juridique sur le grade », pour Franklin Dehousse, professeur de droit européen et ancien juge au tribunal de l’UE.
78Si un Allemand n’avait jamais été le premier fonctionnaire de la Commission, plusieurs de ses compatriotes dirigent l’administration d’autres institutions : le Parlement européen avec Klaus Welle depuis le 15 mars 2009 et le Service européen pour l’action extérieure avec Helga Schmid depuis le 1er septembre 2016. Ce qui a retenu l’attention à Bruxelles et en particulier de la presse, c’est la rapidité de la procédure, le peu de temps de délibération par le Collège et la venue, très rare, du président Junker en salle de la presse de la Commission pour l’annoncer directement. Les annonces de Martin Selmayr au personnel de la Commission lors de son entrée en fonction citant le secrétariat général comme le « cœur et l’âme de la Commission » ou son intention de déménager plus près de la présidence ont également été largement commentés. Néanmoins, ces changements apparaissent essentiellement symboliques tant il est vrai que depuis 2000, le secrétariat général est devenu un service présidentiel. De ce point de vue la presse s’étonne d’un changement réalisé depuis bien longtemps.
79En conséquence, le président Juncker a réorganisé son cabinet et a nommé Clara Martinez Alberola comme nouvelle cheffe de cabinet, qui était jusque-là cheffe adjointe. Elle est la première femme et la première ressortissante espagnole dans l’histoire de la Commission européenne à diriger le cabinet du président. Ayant rejoint la Commission européenne en 1991, elle a ensuite été membre du cabinet du président Barroso pendant deux mandats consécutifs (2005-2014) avant de rejoindre Martin Selmayr en qualité de cheffe adjointe de l’équipe de transition de Jean-Claude Juncker puis cheffe de cabinet adjointe du président Juncker. Richard Szostak, jusque-là conseiller diplomatique, est devenu chef de cabinet adjoint. Ressortissant polono-britannique, Richard Szostak a travaillé au sein du cabinet de l’ancienne vice-présidente, Viviane Reding (2012-2014) ainsi qu’au Service juridique du Conseil (2005-2011). Par leur parcours avant même le cabinet du président Juncker, dans le cadre de l’équipe de transition ou du cabinet Reding, Clara Martinez Alberola et Richard Szostak, sont des proches du nouveau secrétaire général.
80Le Collège du 21 février 2018 a pris d’autres décisions importantes de nomination. Le Français, Jean-Éric Paquet, l’un des trois secrétaires généraux adjoints de la Commission Juncker a été nommé directeur général de la recherche et de l’innovation à compter du 1er avril. Après avoir été chef de cabinet adjoint de l’ancien commissaire à la recherche Philippe Busquin (2002-2004), il était secrétaire général adjoint depuis novembre 2015. Diplômé de Sciences-Po Strasbourg et du collège d’Europe à Bruges, il entre à la Commission en 1993 après un master d’études germaniques de l’Université Robert-Schuman de Strasbourg. Ainsi avec la promotion de Mme Michou, deux postes de secrétaire général adjoint sont vacants et l’encadrement de celui-ci a presque complètement changé. Themis Christophidou devient directrice générale de l’éducation, la jeunesse, le sport et la culture. Elle est la première Chypriote nommée directrice générale. Mariana Kotzeva devient directrice générale d’EUROSTAT dont elle était directrice générale adjointe à Luxembourg depuis juillet 2012. Docteure en sciences économiques, elle est la première Bulgare à exercer cette fonction.
81Le Collège du 21 février marque en conséquence le départ de trois directeurs généraux : Job Delbeke (DG Action pour le climat), Robert-Jan Smits (DG Recherche et Innovation) et Michel Servoz (DG Emploi, affaires sociales et Inclusion). Ce dernier était en fonction depuis février 2014 après avoir été secrétaire général adjoint. Tous les trois deviennent conseillers hors classe auprès du Centre européen de stratégie politique (EPSC, le think tank interne de la Commission) conseillant directement le président et le Collège. À cela s’ajoute la nomination de Céline Gauer comme directrice générale adjointe de santé et la sécurité alimentaire. Cette dernière était puis juillet 2014 directrice à la DG Concurrence. Diplômée de Sciences-Po Paris et d’un Master de droit de Paris I, elle est entrée à la Commission en 1994 et a gravi tous les échelons au sein de la direction générale concurrence depuis 1995 (chef adjoint d’unité, chef d’unité, directrice).
82Deux directeurs généraux français ont été prolongés au-delà de l’âge de la retraite : Jean-Luc Demarty, directeur général du commerce, Dominique Ristori, directeur général de l’énergie ainsi que sa femme Irène Souka, directrice générale des ressources humaines depuis presque neuf ans, de nationalité grecque. J.-L Demarty (X ENGREF) est arrivé à la Commission en 1988 par le cabinet Delors et est directeur général du commerce depuis janvier 2011 après avoir été à la tête de la DG Agriculture.
83Auparavant, le 31 janvier 2018, la Commission européenne a officiellement adopté le nouveau Code de conduite des membres de la Commission européenne que son président avait annoncé dans son discours sur l’état de l’Union. Après consultation du Parlement européen, le nouveau code prend effet à compter du 31 janvier. Outre la proposition précédente du président d’étendre le délai de viduité, actuellement d’une durée de 18 mois, à deux ans pour les anciens commissaires et à trois ans pour le président de la Commission, le nouveau code de conduite fixe des règles plus claires et plus strictes. Il prévoit aussi la création d’un comité d’éthique indépendant doté d’un statut renforcé, en lieu et place de l’actuel comité d’éthique ad hoc.
84Enfin, la Commission a publié le 22 novembre 2017 un état d’avancement de l’objectif de 40 % de femmes fixé par le président Juncker dans le personnel d’encadrement intermédiaire et supérieur. Ainsi au 1er novembre, 36 % des postes d’encadrement à tous les niveaux étaient occupés par des femmes, contre 30 % au début du mandat. La progression est plus sensible encore au niveau de l’encadrement supérieur (directeurs, directeurs généraux adjoints et directeurs généraux), où la proportion de femmes est passée de 27 % au 1er novembre 2014 à 35 % au 1er novembre 2017. Au niveau de l’encadrement intermédiaire (chefs d’unité), 37 % des managers sont des femmes, contre 31 % au moment de l’entrée en fonction de la Commission Juncker.
Au Justus Lipsius
85Le ministre des finances portugais Mario Centeno, a été élu le 4 décembre 2017 président de l’Eurogroupe. À l’issue du premier tour, la candidate lettone et son homologue slovaque se sont retirés de la course. Il a pris ses fonctions le 13 janvier 2018, pour un mandat de deux ans et demi. Parmi ses attributions figurent la présidence des réunions, l’établissement des ordres du jour, l’élaboration du programme de travail et la présentation de ses résultats au grand public et aux ministres de l’UE qui ne font pas partie de la zone euro. De plus, il représente l’Eurogroupe dans les enceintes internationales, comme le G7 ou le Fonds monétaire international.
86Au sein de l’Eurogroupe, une seconde alternance a eu lieu : le président du groupe de travail Eurogroupe, connu son acronyme anglais « Euro Working Group » (EWG), chargé de préparer les réunions de l’Eurogroupe, a changé le 1er février. Hans Vijlbrief, directeur du trésor des Pays-Bas a remplacé l’autrichien Thomas Wieser, parti à la retraite fin janvier. Hans Vijlbrief était seul en lice après le désistement de Tuomas Saarenheimo, membre finlandais de l’EWG. Hans Vijlbrief préside également le Comité économique et financier, qui, pour sa part, prépare les réunions du Conseil Ecofin. Thomas Wieser était en fonction depuis six, c’est-à-dire pendant toute la crise de la zone euro et en particulier la crise grecque. Il a été surnommé par Le Monde « L’Autrichien que les Grecs ont adoré détester » (6 février 2018).
87La Médiatrice européenne a demandé au président du Conseil européen, Donald Tusk, d’envisager de publier des informations sur les réunions organisées entre son cabinet et les groupes d’intérêt, dans le cadre de la stratégie européenne pour plus de transparence. Elle souhaite que le cabinet du président du Conseil européen publie des informations sur ses réunions et rencontres avec les lobbyistes enregistrés dans le registre de transparence de l’UE. Une volonté qui a pour but d’aligner le Conseil sur les standards européens et d’envoyer un signal fort alors que la Commission, le Parlement et le Conseil de l’Union entament des négociations sur la révision du registre de transparence. Ce dernier est une base de données d’organisations, groupes de l’industrie, lobbyistes et ONG qui essayent d’influencer le processus décisionnel des institutions européennes et la mise en œuvre des politiques. Jusqu’à présent, il se faisait sur une base volontaire, mais une nouvelle proposition cherche à rendre ce code de conduite obligatoire et à l’étendre au Conseil. [32]
Paris-Bruxelles
88Les initiatives et inflexions en matière d’affaires européennes en France ont été nombreuses et importantes. Le Président de la République, Emmanuel Macron, a entamé une série de grands discours sur la construction européenne. Le premier a eu lieu le 7 septembre 2018 à Athènes. Le choix du lieu a valeur de symbole. Dans le pays le plus touché par la crise de la dette, ce discours est prononcé à la tombée du jour sur la Pnyx, la colline qui fait face de l’Acropole, berceau de la démocratie. Le dernier homme politique français y ayant prononcé un discours était le ministre de la culture André Malraux en 1959. Emmanuel Macron et le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, sont parmi les plus jeunes dirigeants européens. Les trois thèmes ont été : souveraineté, démocratie et culture. Sur le premier thème, notons : « La souveraineté véritable, elle construit, elle doit se construire dans et par l’Europe […] la souveraineté que nous voulons, c’est celle qui consiste précisément à conjuguer nos forces pour bâtir ensemble une puissance européenne pour pouvoir décider ne pas subir ce que les superpuissances feront mieux que nous ». Il poursuit ensuite : « Ce que je veux c’est qu’ensemble nous puissions retrouver parce que l’aliment véritable de l’Europe, ce n’est pas la fascination pour la norme, c’est la vitalité démocratique. » Sur le dernier thème, il se fait plus concret en appelant à une Europe du patrimoine. Reprenant la phrase apocryphe de Jean Monnet il a terminé en disant : « Recommençons aussi par la culture afin que l’Europe protège le patrimoine et réinvente son avenir. »
89Après ce discours inaugural et symbolique, le deuxième discours est très différent dans sa conception et sa finalité. Il se voulait programmatique et refondateur. Prévu au Collège d’Europe à Bruges, il a eu lieu à la Sorbonne, le 26 septembre 2018, juste après les élections allemandes. Rappelons que le conseiller européen à l’Élysée, Clément Baume, est un ancien de Bruges. Le premier lieu de formation à l’Europe, créé en 1949, a sans doute été perçu comme trop connoté ou excentré. La rentrée solennelle y est pourtant un rituel bien rodé où beaucoup de leaders européens y ont fait des interventions remarquées. Le discours dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, reprenant en partie le triptyque d’Athènes, était intitulé « initiative européenne pour l’Europe. Une Europe souveraine, unie et démocratique ». L’unité a remplacé la culture. La souveraineté européenne y est déclinée : « L’Europe seule peut, en un mot, assurer une souveraineté réelle, c’est-à-dire notre capacité à exister dans le monde actuel pour y défendre nos valeurs et nos intérêts ». Sont ensuite présentées un très grand nombre de propositions en matière de protections (Europe de la défense et de la sécurité, frontières extérieures, sécurité alimentaire et numérique) mais également en matière de gouvernance économique (fourchette des taux d’impôts sur les sociétés) et d’Europe du savoir (universités européennes, mobilité). Les propos concernant la démocratie sont marquants. Ils décrivent ce que les politistes ont longtemps appelé de façon assez floue le « consensus permissif » : « Nous avons tourné la page d’une forme de construction européenne. Les pères fondateurs ont construit l’Europe à l’abri des peuples, parce qu’ils étaient une avant-garde éclairée, parce qu’on pouvait peut-être le faire, et ils ont avancé prouvant ensuite que cela fonctionnait. Ils jouissaient peut-être d’une confiance dont les gouvernants n’ont plus l’exclusive, c’est ainsi. Ils vivaient dans d’autres temps où les moyens de communication n’étaient pas les mêmes. » Enfin, le Président Macron décline des propositions en matière institutionnelle : conventions démocratiques, listes transnationales aux élections européennes. Sur un point, il se fait audacieux sur un sujet tabou : la réduction, sans cesse repoussée, du nombre de membres de la Commission européenne : « Une Commission de quinze membres devra être notre horizon et pour avancer, soyons simples : que les grands pays fondateurs renoncent à leurs commissaires pour commencer ! Nous donnerons l’exemple. Cela permettra de rassembler les compétences, plutôt que de les fragmenter. » Jamais un État membre n’avait affirmé aussi clairement qu’il accepterait de renoncer à être présent au sein du collège des commissaires. Dans cette profusion de propositions, certaines reprennent des initiatives en cours ou en partie déjà existantes. Ainsi l’Office européen de l’asile, proposé, existe depuis 2010 à La Valette à Malte sous la forme d’un Bureau européen d’appui en matière d’asile (European Asylum Support Office).
90Achevant cette séquence, le 8 décembre 2017 la Fondation du prix international Charlemagne d’Aix-la-Chapelle annonçait que le Président Macron était choisi comme le lauréat 2018 de son prix.
91En matière de symbole, notons enfin la controverse concernant le drapeau européen. Celui-ci apparaît sur le portrait officiel du Président de la République depuis Nicolas Sarkozy. Il se trouve depuis 2009 au palais Bourbon. En octobre 2017, plusieurs députés de la France insoumise se sont émus de ce symbole – jugé religieux à cause de ce qui serait l’origine mariale du fond bleu étoilé – dans l’hémicycle. L’usage officiel du drapeau, comme des autres symboles officiels de l’UE, est contenu dans la déclaration 52 annexée au traité de Lisbonne. Du fait du rejet du référendum de 2005 sur le projet de traité constitutionnel, la France n’avait alors pas signé cette déclaration de seize États membres. Afin de clore cette controverse, la Présidence de la République a annoncé la signature de cette déclaration par la France au Conseil européen des 19 et 20 octobre 2017. Cette déclaration 52 du traité de Lisbonne dispose que « le drapeau représentant un cercle de douze étoiles d’or sur fond bleu, l’hymne tiré de L’Ode à la joie de la Neuvième symphonie de Beethoven, la devise “Unie dans la diversité”, l’euro en tant que monnaie de l’UE et la Journée de l’Europe le 9 mai continueront d’être, pour eux, les symboles de l’appartenance commune des citoyens à l’UE et de leur lien avec celle-ci ». Notons que si seuls deux États fondateurs, la France et les Pays-Bas, ne l’avaient pas signée en 2009, cela avait été le cas de l’Autriche et de la Hongrie. Cette initiative réconcilie le droit avec la pratique. C’est Jean-Pierre Jouyet, alors secrétaire d’État aux affaires européennes, qui a lancé le mouvement en hissant pour la première fois le 13 juillet 2007 le drapeau européen sur le Quai d’Orsay alors que le ministère des Affaires étrangères venait d’être renommé ministère des Affaires étrangères et européennes.
92À Matignon, notons le 14 octobre 2017 la démission pour raisons personnelles d’Alexis Dutertre du cabinet du Premier ministre. Il était depuis le 19 juin son conseiller « Europe ». Il est devenu le 16 octobre inspecteur des affaires étrangères. Il ne sera resté que quatre mois en fonction. Le 10 novembre Sandrine Gaudin est nommée conseillère Europe (chef de pôle) au cabinet du Premier ministre à compter du 13 novembre. En Conseil des ministres du 7 novembre, elle avait déjà été nommée secrétaire générale des affaires européennes, à compter du 20 novembre. Elle cumule donc les deux fonctions depuis le 20 novembre, revenant au modèle classique depuis 1990 (cf. « Chronique » no 163). Preuve que cette nomination n’avait pas été prévue, Sandrine Gaudin avait été affectée le 4 août 2017 à Londres comme ministre conseillère pour les affaires économiques à l’ambassade, poste important dans le cadre du Brexit. Administratrice civile des finances, elle était chef du service des affaires européennes au Trésor depuis juillet 2010. Elle a fait toute sa carrière à Bercy après son entrée à l’ÉNA par le concours interne. Ancienne attachée d’administration (à la Défense et aux Affaires étrangères), elle est diplômée de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence. Disposant du même profil qu’Élisabeth Guigou, qui a été la première femme à diriger le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) de 1995 à 1990, elle met fin à un recrutement de diplomates depuis lors. [33]
93Toujours au SGAE, Salvatore Serravalle, administrateur de l’INSÉE, chef du bureau de la coordination et de la stratégie européenne du Trésor, a été nommé en octobre secrétaire général adjoint des affaires européennes. Il remplace Aurélie Lapidus, inspectrice des finances, ancienne conseillère de Manuel Valls à Matignon, en poste depuis avril 2014, appelée à diriger le cabinet du président-directeur général de Veolia Environnement. C’est une véritable nouveauté puisque S. Serravalle provient de l’ENSAE. Il a par ailleurs été analyste à la DG ECFIN de la Commission de 2011 à 2014.
94Par ailleurs, deux secteurs du SGAE ont fusionnés en janvier 2018 : « Coordination-prospective » et « PIF présence et influence française dans les institutions européennes ». Avec à sa tête Clara Augereau, le nouveau secteur s’intitule « COORD » pour « coordination, communication, relations avec la société civile, affaires transversales et influence ». Ainsi la notion de présence disparaît de l’organigramme du SGAE où elle était apparue en 1995 et la politique d’influence ne dispose plus d’un secteur propre à l’heure où cette politique s’avère de plus en plus stratégique. État ? ?
95À ce propos, le plan de réforme « Maedi 21 », adopté en 2015 par Laurent Fabius continue d’être amplifié par Jean-Yves Le Drian. Ses agents sont encouragés à effectuer une mobilité dans les institutions européennes, au Service européen pour l’action extérieure (SEAE) ou dans les administrations françaises spécialisées dans les affaires européennes. « À la fin septembre 2017, 40 agents étaient en poste dans les institutions européennes, dont 32 de catégorie A, ce qui représente une progression de 14 % par rapport à septembre 2015. Parmi ces agents, 6 sont chefs de délégation. […] Début octobre, les Français représentaient le premier contingent d’agents temporaires au sein du SEAE » [34]. À l’heure du Brexit, le Quai d’Orsay développe les méthodes utilisées dès les années 1980 par le Foreign Office.
96À la tête de la représentation permanente à Bruxelles, le 20 novembre 2017 la passation des pouvoirs a eu lieu entre Pierre Sellal et Philippe Léglise-Costa. Cette passation marque un changement de génération : atteint par l’âge limite de la retraite, Pierre Sellal est remplacé par un cinquantenaire (né en 1966) qui quitte le SGAE. C’est ensuite la première fois qu’un secrétaire général des affaires européennes devient représentant permanent. Philippe Léglise-Costa n’est pas un pur diplomate de carrière, ni passé par l’ÉNA ni par Sciences-Po, c’est un Polytechnicien (X-Ponts) entré dans les affaires européennes dès 1992 sous l’aile de Pierre de Boissieu avant d’intégrer le corps diplomatique en 2001. Son profil d’ingénieur en fait un très bon technicien [35]. Représentant permanent adjoints pendant la dernière présidence française en 2008, il présida la plus longue réunion du COREPER 1 de l’histoire (22 heures). Devenu conseiller européen de François Hollande à l’Élysée en mai 2012, il y côtoya Emmanuel Macron, comme secrétaire général adjoint de la Présidence. Légende ou réalité, les deux hommes se sont alors opposés de façon feutrée sur la gestion de la crise de la zone euro. Devenu secrétaire général des affaires européennes en avril 2014, il dû abandonner en janvier 2015 – au moins officiellement – son poste à Élysée. Entre Pierre Sellal et Philippe Léglise-Costa c’est aussi un changement de méthode à Bruxelles. Le premier, adepte de la diplomatie bilatérale, fréquentait peu la Commission et le Parlement, le second est très à l’aise dans les arcanes de ces institutions, tout en étant adepte d’une certaine culture du secret.
97 Les deux hommes se distinguent nettement ainsi par rapport à leur héritage commun « védrinien ». En effet, Sellal a été pendant cinq ans directeur de cabinet d’Hubert Védrine ministre des affaires étrangères et P. Léglise-Costa conseiller aux affaires européennes trois ans. À Bruxelles, Philippe Léglise-Costa peut s’appuyer sur son ancienne collaboratrice à l’Élysée, Sophie Martin-Lang, conseillère Brexit devenue en février 2018 conseillère Antici (c’est-à-dire numéro 3 de la RP) en remplacement de Ludovic Butel, qui lui succède sur les négociations du Brexit.
98 En janvier 2018, Arnaud Magnier, directeur des affaires internationales et européennes de l’Association française de gestion financière depuis 2015, a été nommé secrétaire général pour les consultations citoyennes, rattaché au cabinet de Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes. Docteur en science politique, Arnaud Magnier a été membre du cabinet de cinq ministres aux affaires européennes puis conseiller auprès du secrétaire général des affaires européennes et directeur des relations institutionnelles et de la stratégie au SGAE (2011-2015).
99 À la Banque de France : Sylvie Goulard a été nommée mercredi 17 janvier en Conseil des ministres seconde sous-gouverneure de la Banque de France, en charge des questions européennes et internationales. Diplômée de Sciences-Po Paris, elle fut secrétaire des affaires étrangères en 1989, à sa sortie de l’ÉNA. Affectée à la direction des affaires juridiques au ministère des affaires étrangères, elle fut ensuite détachée au Conseil d’État, avant d’être chargée de mission au Centre d’analyse et de prévision du Ministère des affaires étrangères. Elle a ensuite connue une carrière plus atypique, chargée de mission en 1999 au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) puis membre du groupe des conseillers politiques de la Commission européenne (2001-2004). Entre 2006 et 2010, elle fut présidente du Mouvement européen France. Députée européenne de 2009 à 2017, inscrite au groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE), elle a été, de mai à juin 2017, ministre des armées.
100 Enfin, signalons le décès en juillet 2017 de Maurice Schaeffer, inspecteur général honoraire de l’économie nationale. Il avait été l’un des premiers énarques (promotion « Nations unies ») et parmi les premiers Français à entrer à la Commission européenne [36]. Il y était devenu directeur de la politique industrielle et technologique puis de l’acier avant de revenir à Paris en 1982 comme conseiller maître en service extraordinaire à la Cour des comptes. Pionnier, il l’a été en partant dès 1958 à Bruxelles après avoir participé, comme membre du cabinet de Felix Gaillard, aux négociations du traité de Rome. Il a contribué, au sens propre, à construire l’administration européenne.
101 M. M.
Notes
-
[*]
Cette « Chronique » couvre la période du 1er août 2017 au 31 janvier 2018.
-
[1]
Le 1er septembre 2016, de nouvelles dispositions d’exécution de la décision du Parlement européen concernant le statut et les conditions générales d’exercice des fonctions du Médiateur du 9 mars 1994, modifiée par décisions du Parlement européen du 14 mars 2002 et du 18 juin 2008, sont entrées en vigueur.
-
[2]
Décision du 22 novembre 2017, no 1606/2016/JAS.
-
[3]
Décision du 16 octobre 2017, no 1475/2016/JAS.
-
[4]
Directive no 2017/1371 du 5 juillet 2017.
-
[5]
Le règlement est entré en vigueur en novembre 2018, mais le Parquet ne sera opérationnel qu’à partir d’une date fixée par la Commission après avis du chef du Parquet. Cette date ne peut être antérieure au mois de novembre 2021.
-
[6]
Le droit national ne s’appliquant que dans la mesure où une question n’est pas réglée par le droit de l’Union Lorsqu’une question est régie à la fois par le droit national et par le droit de l’Union, ce dernier prévaut.
-
[7]
En particulier en recueillant tous les éléments de preuve pertinents, aussi bien à charge qu’à décharge.
-
[8]
Sous forme de rapport annuel sur ses activités générales transmis au Parlement européen, aux parlements nationaux, au Conseil et à la Commission et d’auditions devant le Parlement européen et le Conseil ainsi que devant les parlements nationaux, dans le respect d’une double obligation de réserve et de confidentialité.
-
[9]
Un par État membre choisit par le Conseil sur proposition des États membres et après première sélection effectuée par un comité indépendant.
-
[10]
Précisée par la déclaration de Rome du 25 mars 2017.
-
[11]
Migrations et frontières extérieures ; sécurité intérieure et sécurité extérieure ; développement économique et social, jeunesse ; prochaines étapes.
-
[12]
Délégation à la Commission, préparation par la Commission avec l’aide de ses groupes d’experts (qui incluent des représentants des États membres), caractère public des projets, consultation pendant quatre semaines, adoption, transmission aux législateurs pour vérification et adoption par ces derniers si pas d’objection de leur part.
-
[13]
COM(2017) 492 final, « Une politique commerciale équilibrée et novatrice pour maîtriser la mondialisation », le 13 septembre 2017.
-
[14]
Partie rédigée avec l’aide de Kévin Mourad, diplômé de l’IEP de Strasbourg.
-
[15]
Chronique RFAP, 2017, no 163.
-
[16]
Articles 42.6 et 46 du traité de l’Union européenne et 10e protocole à ce traité.
-
[17]
Développement de capacités de défense propres, capacité à fournir des unités de combat ciblées pour les missions envisagées, renforcement de l’interopérabilité et de la complémentarité de leurs forces armées.
-
[18]
80 % des acquisitions et 90 % de la recherche étant en effet gérées sur des bases nationales.
-
[19]
Règlement 2015/1017 du Parlement européen et du Conseil du 25 juin 2015 sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques, la plateforme européenne de conseil en investissement et le portail européen de projets d’investissement.
-
[20]
Arrêt du Tribunal du 14 décembre 2017, T-136/15, ECLI : EU : T : 2017 : 915.
-
[21]
Arrêt de la Cour du 7 septembre 2017, C-331/15 P, ECLI : EU : C : 2017 : 639.
-
[22]
Arrêt du Tribunal du 16 avril 2015, Carl Schlyter c/ Commission, T-402/12, ECLI : EU : T : 2015 : 209.
-
[23]
Arrêt de la Cour du 18 octobre 2017, C-409/16, ECLI : EU : C : 2017 : 767.
-
[24]
Arrêt de la Cour du 24 janvier 2018, C-616/16 et C-617/16, ECLI : EU : C : 2018 : 32.
-
[25]
Arrêt de la Cour (Gde Ch.) du 5 décembre 2017, C-42/17, ECLI : EU : C : 2017 : 936.
-
[26]
Arrêt de la Cour (Gde Ch.) du 8 septembre 2015, C-105/14, ECLI : EU : C : 2015 : 555.
-
[27]
Arrêt de la Cour du 13 décembre 2017, C-403/16, ECLI : EU : C : 2017 : 960.
-
[28]
Arrêt de la Cour du 27 septembre 2017, C-73/16, ECLI : EU : C : 2017 : 725.
-
[29]
Arrêt de la Cour du 20 décembre 2017, C-276/16, ECLI : EU : C : 2017 : 1010.
-
[30]
Arrêt de la Cour du 9 novembre 2017, C-298/16, ECLI : EU : C : 2017 : 843.
-
[31]
Arrêt de la Cour du 20 décembre 2017, C-434/16, ECLI : EU : C : 2017 : 994.
-
[32]
NDLR : sur cette question, cf. l’article d’Hélène Michel « La transparence dans l’Union européenne : réalisation de la bonne gouvernance et redéfinition de la démocratie » dans ce numéro.
-
[33]
Se reporter au numéro 158 de la RFAP « Coordonner les affaires européennes ».
-
[34]
« Le Quai d’Orsay pousse ses fonctionnaires vers l’Europe », Acteurs publics, 7 novembre 2017.
-
[35]
Jean-Sébastien Lefebvre, « Le retour de Philippe Léglise-Costa à Bruxelles ou le grand chelem d’un diplomate », Contexte Pouvoirs, 20 novembre 2017.
-
[36]
Jacques Morizet, « Maurice Schaeffer, un énarque à visage humain », ÉNA hors les murs, no 475, novembre 2007, p. 38.