Couverture de RFAP_160

Article de revue

La dynamique des relations dans les partenariats public-privé : le cas du modèle anglo-saxon

Pages 1271 à 1288

Notes

  • [1]
    Traduction de l’auteur.

1 Pris au sens large, le terme partenariat public-privé (PPP) renvoie à une multitude de formes politico-administratives allant de la collaboration dans la formulation des politiques publiques à la sous-traitance dans l’offre de services publics. Dans la littérature anglo-saxonne, le terme public-private partnership prend néanmoins un sens strict relativement précis : il fait référence à un type de contrat de passation de marchés publics regroupant en une seule entente avec un seul interlocuteur plusieurs étapes de la réalisation d’une infrastructure publique, soit la conception, la construction, l’exploitation, l’entretien et le financement. Les PPP sont caractérisés par l’ampleur et la complexité des projets qu’ils gouvernent, ainsi que par la nature contractuelle à très long terme (25 ans et plus) des relations entre les parties publiques et privées qu’ils nécessitent (Rouillard & Hudon, 2009). Découlant de la Private Finance Initiative (PFI) britannique, les PPP sont donc une forme d’organisation administrative qui consiste à faire fournir par le secteur privé des services relevant traditionnellement du secteur public (de Bettignies & Ross, 2004).

2 Dans leur sens strict, les PPP sont des instruments d’action publique (IAP) dont l’utilisation constitue un choix délibéré. Or, comme le soulignent Lascoumes et Le Galès (2004), l’utilisation d’un IAP structure les relations de pouvoir entre les différents acteurs concernés. Les caractéristiques intrinsèques des PPP ont une influence indéniable sur les interrelations entre les acteurs, influence qui ne peut être comprise que par une analyse rigoureuse des relations contractuelles.

3 Cet article cherche donc à décrire et à analyser la dynamique entre les parties induite par la structure contractuelle d’un PPP à l’anglo-saxonne structuré selon le modèle de la project finance (Brealey, Cooper, & Habib, 1996). La première partie du texte décrira la structure commerciale et financière des PPP ainsi que leur architecture contractuelle afin d’identifier les intérêts des différents acteurs. La deuxième partie identifiera, à partir de la théorie de l’agence (Eisenhardt, 1989 ; Jensen & Meckling, 1976 ; Williamson, 1979) quatre facteurs balisant les relations entre les parties dans un contrat de PPP selon le modèle anglo-saxon tel que pratiqué entre autres en Grande-Bretagne, en Australie et au Canada. L’article se conclut en soulignant que l’idée que les PPP constituent des « partenariats » est quelque peu abusive, puisqu’ils obéissent en fait à une logique d’agence assez classique. La dynamique d’agence est toutefois modulée par certains facteurs provenant de la structure particulière de la PFI.

4 L’argument principal développé dans cet article est que, compte tenu de la complexité des relations contractuelles propres aux PPP et de l’incomplétude naturelle des contrats, la gestion de ces « partenariats » implique un exercice managérial qui va bien au-delà de la simple administration de clauses juridico-administratives. En effet, dans un PPP, les relations de pouvoir sont telles que les objectifs publics ne peuvent être atteints que par une vigilance constante de la part de l’autorité publique ainsi que par une compréhension raffinée des alliances et des jeux de pouvoir possibles entre les différents acteurs. L’analyse politico-économique des modes de contrôle, des intérêts des acteurs et des relations d’agence permet donc de dépasser l’analyse du seul cadre contractuel et de comprendre les actions des parties comme un tissu complexe de relations de pouvoir limitées –mais aussi induites– par la structure légale.

5L’article contribue à la littérature francophone sur les PPP de deux manières différentes. D’une part, il présente de manière didactique la mécanique financière et contractuelle de ces ententes qui n’est pas exactement celle utilisée en France. D’autre part, et de façon plus substantielle, il adopte le contrat comme niveau d’analyse afin de comprendre la dynamique entre les acteurs depuis une perspective qui puise à la fois dans la science politique (Lascoumes & Le Galès, 2004) et la micro-économie managériale (Eisenhardt, 1989). Si la dimension micro-économique des PPP est assez bien décrite dans la littérature scientifique (Ball, Heafey, & King, 2003 ; Ball et al., 2003 ; de Bettignies & Ross, 2004 ; Demirag, Khadaroo, Stapleton, & Stevenson, 2012 ; etc.), l’intégration des questions de pouvoir dans l’analyse s’est généralement faite au niveau institutionnel (Flinders, 2005 ; Hodge, 2004 ; Johnston & Gudergan, 2007 ; Shaoul, Stafford, & Stapleton, 2007 ; etc.) ou même conceptuel (Cohn, 2004 ; Froud, 2003 ; Hodge, 2007 ; Hodge & Greve, 2010 ; Hudon, 2011 ; Rouillard & Hudon, 2009 ; Wettenhall, 2003). Cet article présente une approche résolument micro de la dynamique des acteurs dans les projets en PPP.

6Les exemples et la terminologie présentés sont tirés de l’expérience du gouvernement du Québec avec le modèle PPP. Le gouvernement québécois s’est effectivement fortement inspiré du modèle anglo-saxon (et en particulier de modèle britannique) pour mettre au monde en 2004 sa Politique-cadre sur les partenariats public-privé (Québec, 2004).

L’objet ppp : présentation des acteurs, de leurs intérêts et de leurs motivations

7Le modèle contractuel des PPP est bâti autour d’une entreprise privée (la société de projet) agissant comme partenaire de l’autorité publique aux différents niveaux de l’action publique. L’accord formalisant l’entente de partenariat, le contrat principal, est donc signé entre ces deux entités. Généralement, le partenaire privé est un consortium ad hoc, créé pour les besoins d’un projet en particulier. Les entreprises y participant sont habituellement des entreprises financières (banques, fonds d’investissement, compagnies d’assurance) ou des joueurs majeurs du secteur BTP. Ainsi, puisque les sociétés de projet sont créées dans le but exclusif de réaliser les termes du contrat et ont une durée de vie limitée à la durée des obligations contractuelles, elles sont connues sous le vocable anglais de special purpose vehicle, ou société à vocation unique (Grimsey & Lewis, 2007).

8 Comme le montre le schéma n° 1, le PPP peut donc être conceptualisé comme un ensemble de contrats et de sous-contrats, centré sur la société de projet. Les termes utilisés sont détaillés plus loin, dans la section concernant l’architecture contractuelle (voir tableau n° 1).

Schéma n° 1 : schéma d’entente contractuelle typique

Schéma 1

Schéma n° 1 : schéma d’entente contractuelle typique

Source : Adapté de Lavier (2009)

9 La société de projet devient donc l’exécutant « du gouvernement » dans l’exécution de sa mission. C’est le gouvernement (assisté par son agence des PPP) qui définit la commande publique, mais c’est la société de projet qui l’exécute et l’exploite selon un modèle commercial. En ce sens, les PPP entrent pleinement dans la lignée des réformes introduites par le nouveau management public (NMP), proches du modèle néolibéral (Marty, Trosa, & Voisin, 2006).

Le modèle commercial et financier

10Le montage des projets en PPP est particulièrement sensible. Pour la société de projet, l’exploitation de l’infrastructure constitue une entreprise commerciale, dont les revenus d’exploitation permettent de rembourser les créanciers et de payer des dividendes aux investisseurs.

11 Du point de vue financier, la société de projet possède un passif similaire à celui de n’importe quelle autre compagnie de droit privé, c’est-à-dire une combinaison de capitaux propres et de dette (Gatti, 2013). Du point de vue commercial, les revenus d’exploitation d’un projet en PPP peuvent être de plusieurs ordres (Aziz, 2007). Ils peuvent provenir d’un loyer payé par l’autorité publique à la société de projet (souvent appelé « paiements de disponibilité », puisque l’autorité publique ne paie que si l’infrastructure est rendue disponible au public par la société de projet). Ils peuvent aussi provenir de frais payés par les usagers (les péages sur une autoroute, par exemple). Finalement, ils peuvent provenir de revenus commerciaux complémentaires découlant de l’exploitation de l’infrastructure (par exemple, la vente de publicité ou la location d’espaces commerciaux). Les revenus de la société de projet vont généralement être une combinaison des trois types de revenus : loyers, péages, et revenus commerciaux complémentaires. Toutefois, certains projets se prêtent mieux à certains types de revenus que d’autres : par exemple, il est facile d’imposer un péage dans un projet d’autoroute, mais l’exploitation privée de la construction ou de la gestion d’une prison nécessite généralement le paiement d’un loyer de la part de l’autorité publique. Dans le cas d’une prison en PPP, le loyer payé pourrait être un montant annuel forfaitaire payé par le gouvernement, une subvention par prisonnier ou une combinaison de ces deux types de paiements.

12 Le schéma n° 2 montre les flux de trésorerie associés au projet en PPP, depuis la perspective de chacun des principaux acteurs.

13 Ainsi, les entrées et les sorties d’argents varient considérablement selon les étapes de réalisation du projet (Grimsey & Lewis, 2005). Durant la phase des études de faisabilité et de lancement de l’appel d’offres, ce sont l’autorité publique et la société de projet qui doivent assumer la plus grande partie des dépenses. L’autorité publique doit assumer les charges liées aux études de faisabilité et à la gestion du processus d’appel d’offres et de sélection. Durant la phase de construction, c’est-à-dire avant la mise en service, la société de projet reçoit des capitaux de ses prêteurs et de ses investisseurs afin de procéder à la réalisation concrète du projet, en général la construction de l’infrastructure. Les prêteurs n’étant pas toujours habilités à juger de la qualité de la construction, ils s’adjoignent généralement un conseiller technique dont le rôle consiste à certifier que la construction va bon train et que les capitaux prêtés peuvent être décaissés (Shaoul et al., 2007). Il est à noter que, durant la phase de construction, l’autorité publique ne débourse aucune somme puisque le financement est privé. Ce n’est finalement qu’au moment de la mise en service que l’infrastructure commence à générer des revenus pour la société de projet. À cette étape, les usagers et l’autorité publique commencent à payer respectivement des péages et des loyers qui correspondent à des revenus d’exploitation pour la société de projet. Ces revenus servent ensuite à rembourser les prêteurs et à payer des dividendes aux investisseurs. À la fin du contrat, après une période prédéterminée durant laquelle le partenaire privé est supposé avoir réalisé un bénéfice (Ng, Xie, Cheung, & Jefferies, 2007), l’infrastructure est généralement rétrocédée à l’autorité publique ou démantelée.

Schéma n° 2 : flux de trésorerie schématisés d’un projet en mode PPP

Schéma 2

Schéma n° 2 : flux de trésorerie schématisés d’un projet en mode PPP

Source : élaboration de l’auteur

14 La tâche de certifier que la construction de l’infrastructure est bel et bien terminée – c’est-à-dire que cette dernière répond à tous les critères prévus dans les devis de performance et que l’exploitation peut donc commencer – revient au certificateur indépendant (Backstrom, 2013). Ce dernier est généralement une société d’ingénieurs-conseils choisie et rémunérée conjointement par l’autorité publique et la société de projet. Une fois l’aval du certificateur indépendant obtenu, l’infrastructure entre donc dans sa phase d’exploitation et commence à générer des revenus pour la société de projet.

L’architecture contractuelle

15 Pour soutenir le modèle commercial et financier décrit précédemment, les projets en PPP se dotent d’une architecture contractuelle relativement complexe impliquant plusieurs contrats et sous-contrats.

L’entente de partenariat

16 L’entente de partenariat constitue le contrat le plus important de l’architecture contractuelle d’un projet en PPP, puisque c’est dans cette dernière que l’on retrouve ce que l’on appelle le « devis de performance », c’est-à-dire la description des résultats à atteindre, tant en ce qui concerne la construction de l’infrastructure que son exploitation. En effet, puisque les PPP sont des projets de longue haleine consistant essentiellement en la délégation au secteur privé de la conception, de la construction et selon, de l’exploitation, de l’entretien et du financement d’une infrastructure publique, toutes ces activités doivent être prévues globalement au sein d’un seul (volumineux!) contrat.

17 Dès l’étape de la conception, les PPP diffèrent grandement du mode conventionnel puisque de par leur nature il s’agit en premier lieu de contrats de performance (Hodge, 1999). Ainsi, alors qu’un contrat en mode conventionnel spécifie dans le détail la nature des travaux à effectuer (par exemple : le nombre de tonnes d’asphalte nécessaires à la construction d’une route ou encore le nombre de poutres nécessaires à la construction d’un édifice), les ententes de PPP indiquent plutôt les objectifs de performance à atteindre (par exemple, le nombre de véhicules par heure que devrait pouvoir accueillir une route ou encore la surface disponible par type d’utilisation dans un édifice).

18 Habituellement, les ententes de partenariat sont des documents très détaillés ayant nécessité une préparation beaucoup plus importante que les projets en mode conventionnel. En effet, le développement d’une entente de partenariat force l’autorité publique à définir a priori ses besoins afin de les inclure dans un document nommé Programme fonctionnel et technique (PFT). Le PFT devient alors l’élément de base dans la rédaction de l’entente de partenariat. L’exercice de réalisation du PFT force l’autorité publique à définir beaucoup plus en amont – et dans un plus grand niveau de détails – ses besoins. Ces définitions sont alors converties en exigences de performance qui seront incluses dans l’entente de partenariat. Cette façon de faire présente toutefois le désavantage de réduire d’autant la marge de manœuvre de l’autorité publique pour effectuer des modifications au besoin pendant la réalisation des travaux ou après.

19 Si les obligations du concessionnaire envers l’autorité publique sont de construire et d’exploiter une infrastructure, celles de l’autorité publique envers le concessionnaire sont de payer les montants prévus dans l’entente. La manière dont ces paiements sont effectués sont multiples, mais l’arrangement le plus classique est que l’autorité publique s’engage à faire deux types de paiements : des paiements de construction et des paiements de disponibilité (Brealey et al., 1996). Les paiements de construction sont des décaissements importants visant à fournir une partie des capitaux nécessaires aux investissements initiaux de la part du concessionnaire. Les paiements de disponibilité constituent plutôt un loyer versé au concessionnaire une fois l’actif construit. Normalement, peu de versements sont effectués durant la période de construction, ce qui force le concessionnaire à aller chercher du financement temporaire sur les marchés privés.

20 Administrativement, la société de projet est donc une « coquille vide », c’est-à-dire une entreprise dotée de très peu d’employés et disposant de ressources limitées : elle fait plutôt affaires avec des sous-traitants pour mener à terme ses obligations contractuelles, soit la conception, la construction, l’exploitation, l’entretien et le financement des infrastructures. Pour se faire, plusieurs sous-contrats doivent être signés.

Les sous-contrats de construction et d’exploitation

21Les deux sous-contrats principaux sont les contrats de construction et d’exploitation. C’est par ces contrats que se réaliseront les activités de conception-construction et d’exploitation-entretien de l’infrastructure. Habituellement, ces contrats sont signés avec des entreprises différentes, l’une s’occupant de la réalisation des plans et devis et de la construction de l’infrastructure, l’autre s’occupant de son exploitation au jour le jour et de son entretien. Les deux sous-contrats fonctionnent de la même manière, en ce sens qu’ils transfèrent contractuellement au constructeur et à l’exploitant les responsabilités prévues par l’entente de partenariat. La société de projet se concentre sur les responsabilités non-transférées telles que le financement. À ce sujet, Lavier (2009) explique « le principe fondamental des sous-contrats de construction et d’exploitation est la cession par le partenaire privé de la quasi-intégralité de ses obligations en vertu de l’entente de partenariat, et des risques qui s’y attachent, au sous-traitant concerné. Ce principe, nommé pass-through en anglais, est typiquement énoncé en termes non-équivoques dans les sous-contrats même, par une clause qui renvoie aux obligations du partenaire privé telles qu’énoncées dans l’entente de partenariat. Le partenaire privé et le sous-traitant peuvent bien sûr prévoir des exceptions au principe du pass-through, en énonçant des obligations spécifiques qui ne sont pas transmises au sous-traitant ; celles-ci sont typiquement peu nombreuses : l’obligation de financer le projet, qui demeure la responsabilité du partenaire privé, et l’obligation d’exécuter les obligations qui sont transmises à l’autre sous-traitant. » Il est par ailleurs important de souligner que, malgré la délégation des obligations par le procédé de pass-through, le concessionnaire demeure théoriquement le seul interlocuteur de l’autorité publique, même si en pratique, cette dernière peut avoir des contacts avec le constructeur et l’exploitant.

Le contrat d’interface

22Il existe aussi un troisième sous-contrat, nommé contrat d’interface, qui vise à régir les relations entre le constructeur, l’exploitant et le concessionnaire. L’existence de ce sous-contrat tient au fait que les intérêts des parties au contrat sont souvent divergents (Walsh, 2003). En effet, durant la période de conception-construction, l’exploitant à tout intérêt à insister pour que la qualité de l’infrastructure soit la plus élevée possible, puisque la responsabilité de l’entretien lui incombe. Inversement, dans la mesure où le constructeur n’a pas à entretenir l’infrastructure, son intérêt est de s’acquitter de ses obligations de conception-construction le plus rapidement possible et au plus bas coût possible. Le concessionnaire, quant à lui, doit s’assurer du respect de ses obligations contractuelles envers l’autorité publique. Pour ce faire, le contrat d’interface établit trois grands types de mécanismes : de compensation, de collaboration et de règlement des différends « il prévoit des mécanismes de compensation lorsqu’un des sous-traitants (souvent, l’Exploitant) a encouru des dépenses pour remédier à un défaut de l’autre sous-traitant. Le contrat d’interface énumère aussi des obligations de collaboration, notamment dans le cadre de l’étude d’impact d’une modification au projet qui serait demandée par le partenaire privé ou par l’entité publique. Enfin, il est courant que le contrat d’interface prévoie aussi un mécanisme de règlement des différends qui se veut expéditif et allégé» (Lavier, 2009). Il est donc possible de conceptualiser le contrat d’interface comme le protocole visant à normaliser les relations entre les parties.

Le contrat financier

23Il existe finalement un dernier type majeur de contrat, le contrat financier. En effet, puisque le financement d’un projet en PPP est généralement privé, le concessionnaire doit emprunter en son nom des capitaux pour financer la construction de l’infrastructure. Habituellement, le financement de la dette du concessionnaire se fait au moyen d’un prêt ou, plus rarement, d’obligations. Il existe toutefois un nombre quasi-infini de structures de financement possibles, mais dont l’analyse dépasse le cadre de cet article. Toutefois, la structure de financement comporte généralement une importante part de dette, soit environ 70-95% de la valeur de l’actif (Esty, 2002). Contractuellement, le financement se fait au moyen de paiements prévus par un échéancier (milestone payments) qui permet au prêteur de décaisser de l’argent et de le transférer à la société de projet quand une étape de construction a été franchie (Aziz, 2007). Pour ce faire, le prêteur fait appel aux services d’un conseiller technique (lender’s technical advisor), généralement une firme indépendante d’ingénieurs-conseils, dont le rôle est de certifier que le jalon a effectivement été atteint et que le débours peut être effectué. Il est à noter que ce processus de certification permettant le décaissement constitue essentiellement un processus d’audit privé (Shaoul et al., 2007). Les contrats de financement prévoient aussi généralement des clauses de réversibilité (step-in rights), permettant au prêteur d’intervenir si les clauses de performance ne sont pas respectées (Daube, Vollrath, & Alfen, 2008), de même que des clauses de refinancement visant à garantir une certaine exposition au risque de la part du concessionnaire (Demirag et al., 2012). Cette façon de faire est nécessaire afin de prémunir le prêteur contre un échec durant la phase de construction qui rendrait la société de projet incapable de générer un revenu d’exploitation – et donc de rembourser ses créanciers. Le tableau n° 1 résume les différents contrats et sous-contrats existant dans une entente de PPP typique.

Tableau n° 1 : les différents contrats d’une entente typique de PPP

tableau im3
Contrat Parties impliquées Description Entente de partenariat • Autorité publique • Concessionnaire privé Entente principale d’un PPP intervenant entre les partenaires public et privé qui prévoient l’ensemble des obligations de même que les modalités de paiement (paiements de construction, loyers, paiements de disponibilité, etc.) Sous contrat de construction • Concessionnaire privé • Constructeur Contrat déléguant à un constructeur les obligations relevant des activités de conception et de construction prévues à l’entente de partenariat. Sous contrat d’exploitation • Concessionnaire privé • Exploitant Contrat déléguant à un exploitant les obligations relevant des activités d’entretien et d’exploitation prévues à l’entente de partenariat. Contrat d’interface • Concessionnaire privé • Constructeur • Exploitant Contrat tripartite visant à fixer les normes d’interaction entre le concessionnaire, le constructeur et l’exploitant et à établir des mécanismes de résolution des différends entre ces derniers. Financement • Financier • Concessionnaire privé Contrat de financement pouvant prendre différentes formes (obligations, prêts, etc.) intervenant entre une entreprise de services financiers (banque, fonds d’investissement, etc.) et le concessionnaire.

Tableau n° 1 : les différents contrats d’une entente typique de PPP

Source : élaboration de l’auteur

24Il est à noter que cette structure correspond à la pratique la plus courante. Il n’est toutefois pas rare que les montages contractuels prennent des formes encore plus complexes. Le schéma n° 3 présente ainsi l’exemple d’un des premiers projets en PPP réalisé au Québec, soit le parachèvement de l’autoroute 25 (incluant la construction d’un pont) entres les villes de Montréal et Laval. Le projet, dont l’entente a été signée en septembre 2007, reprend la structure classique d’un PPP, mais inclut un troisième sous-contrat, soit celui de la gestion du péage électronique. À la fin de l’entente, le ministère des transports du Québec aura versé au partenaire privé 206,6 millions de dollars canadiens (valeur actuelle nominale au 1er juillet 2007), dont 64,7millions durant la phase de construction et 141,9 millions durant la phase d’exploitation sous la forme de loyer. En plus, le partenaire privé devrait percevoir près de 200 millions en péage (valeur actuelle nominale au 1er juillet 2007) durant la période d’exploitation (Québec, 2007).

25 Dans ce projet, le partenaire public était le ministère des transports du Québec et le partenaire privé un véhicule d’investissement portant le nom de Concession A25 S.E.C. Le prêt a été concédé par la banque d’investissement australienne Macquarie. Le sous-contrat de construction est administré par un consortium composé de deux firmes américaines, Kiewit et Parsons, qui ont elles-mêmes sous-traité la conception et la construction à des firmes québécoises, GENIVAR et Ciment Saint-Laurent (maintenant propriété de la firme irlandaise CRH). Le sous-contrat d’exploitation est géré par la firme canadienne Miller Paving et le sous-contrat de gestion du péage, par l’américaine TransCore.

26 La complexité d’un tel montage est évidente et souligne à quel point la coordination est essentielle pour le succès d’un PPP. Le caractère multinational de la structure ajoute par ailleurs un élément de difficulté et de risque supplémentaire.

Schéma n° 3 : structure commerciale du projet de parachèvement de l’autoroute 25

Schéma 3

Schéma n° 3 : structure commerciale du projet de parachèvement de l’autoroute 25

Source : Québec (2007)

27 Un projet en PPP doit donc être compris comme un nœud de contrats et d’obligations réciproques entre les acteurs y prenant part. La configuration de ces contrats conduit à un réarrangement des relations de pouvoir entre les acteurs concernés et induit une dynamique particulière dans les relations entre les parties.

Les facteurs structurants la relation entre les parties

28La manière dont les relations s’organisent dans un PPP dépendent à la fois de la structure contractuelle et des comportements respectifs des différents acteurs prenant part au montage. Pour analyser cette dynamique, il faut saisir à la fois la dimension formelle (les contrats et les obligations et incitatifs en découlant) et informelle (les agissements des acteurs).

Les outils conceptuels

La théorie de l’agence

29La théorie de l’agence (Eisenhardt, 1989) se penche sur la manière dont devraient être gouvernées les relations entre deux parties dans une situation d’information imparfaite, notamment en ce qui concerne les mécanismes de contrôle et les incitatifs pouvant être utilisés. Elle « se concentre presque exclusivement sur les aspects normatifs de la relation d’agence ; c’est-à-dire sur la manière de structurer la relation contractuelle (incluant les incitatifs compensatoires) entre le principal et l’agent de manière à fournir les incitatifs appropriés pour que l’agent fasse des choix qui maximiseront l’utilisé du principal dans un contexte où l’incertitude existe et où le contrôle est imparfait » (Jensen & Meckling, 1976, 7 [1]).

30 Ainsi, la question fondamentale que pose la théorie de l’agence est la suivante : comment, dans une relation contractuelle sans lien hiérarchique, est-il possible de s’assurer que l’agent travaillera dans l’intérêt du principal ? La divergence entre les intérêts du principal et de son agent constitue le problème fondamental auquel est confrontée la théorie de l’agence. Cette dernière postule implicitement que, sans les incitatifs appropriés, l’agent tentera de profiter des zones d’ambiguïté dans le contrat qui le lie au principal pour maximiser ses bénéfices.

31 La théorie de l’agence se penche ainsi sur la gouvernance des relations contractuelles et sur la manière de contraindre et d’inciter l’agent à travailler dans l’intérêt du principal. Pour Williamson (1979) c’est la récurrence des interactions contractuelles et le caractère standardisé de la commande du principal à l’agent qui constituent les variables les plus importantes pour déterminer la manière d’encadrer les relations d’agence. Une commande à la fois rare (peu ou non-récurrente) et idiosyncratique (non-standardisée), comme c’est souvent le cas pour des infrastructures publiques, requiert une gouvernance contractuelle trilatérale où principaux et agents s’adjoignent un arbitre permettant un règlement moins coûteux des différends. C’est ce que Williamson appelle la gouvernance néoclassique (1979), qui présente comme caractéristique des coûts d’entrées et de sorties très élevés. La littérature théorique identifie aussi d’autres variables importantes dans la relation d’agence. L’incomplétude « naturelle » des contrats (Maskin & Tirole, 1999) rend la présence d’incitatifs nécessaire vu l’incapacité de contraindre l’agent de façon parfaite. Par ailleurs, les contrats spécifiant des obligations de résultats sont jugés plus efficients que les contrats spécifiant des obligations de moyens, même s’ils requièrent une supervision plus complexe (Jensen & Meckling, 1976).

32 La relation d’agence dans les PPP à l’anglo-saxonne se déploie donc de manière particulière à cause du caractère unique de chaque infrastructure construite et de l’absence de récurrence de la demande, les ouvrages construits en mode PPP requerraient une gouvernance néoclassique au sens où Williamson (1979), l’entend, c’est-à-dire une gouvernance qui inclut des contrôles externes. Ainsi, en plus des incitatifs contractuels à la performance, des mécanismes d’arbitrage et de contre-vérification sont donc présents (Johnston & Gudergan, 2007), notamment le certificateur indépendant, le conseiller technique du prêteur et le contrat d’interface. Dans un contrat de PPP, comme dans la plupart des relations d’agence, les intérêts des acteurs divergent clairement. L’autorité publique attend la livraison d’une infrastructure de la meilleure qualité possible, alors que son agent, le partenaire privé, cherche à la livrer en minimisant ses coûts afin de faire augmenter son profit. La structure contractuelle d’un PPP compte plusieurs relations d’agence imbriquées : la société de projet est à la fois l’agent de l’autorité publique, mais aussi le principal de ses deux sous-traitants, le constructeur et l’exploitant. À cause de la structure de gouvernance imposée par la PFI ainsi qu’à cause des multiples contrats imbriqués, la relation d’agence est plus complexe dans les PPP que dans les contrats traditionnels.

La théorie des instruments

33La théorie des instruments d’action publique de Lascoumes et Le Galès (2004) montre comment « les instruments d’action publique ne sont pas des outils axiologiquement neutres et indifféremment disponibles. Ils sont au contraire porteurs de valeurs, nourris d’une interprétation du social et de conceptions précises du mode de régulation envisagé » (Ibidem, 13). De plus, ils « crée des effets d’inertie qui rendent possible une résistance à des pressions extérieures (tels que les conflits d’intérêt entre acteurs-utilisateurs, ou les changements de politiques globaux) » (Ibidem, 31) en plus d’induire « une problématisation particulière de l’enjeu, dans la mesure où il[s] hiérarchise[nt] des variables et peu[ven]t aller jusqu’à induire un système explicatif » (Lascoumes & Le Galès, 2004, 33). Dans ce contexte, il faut retenir que les PPP, en tant qu’IAP, ont un effet structurant sur les relations entre les parties. Par exemple si, en théorie, l’autorité publique demeure seule maître d’œuvre du projet, les leviers de pouvoir dont disposent les autres acteurs (en particulier les prêteurs) et la relative absence de l’autorité publique durant la phase cruciale de construction montre bien comment la structure propre aux PPP vient reconfigurer le régime de contrôle. L’approche de Lascoumes et Le Galès (2004) permet ainsi de dépasser le cadre analytique du contrat et de considérer l’écheveau de relations contractuelles – le modèle anglo-saxon des PPP – comme un instrument institutionnalisé ayant pour effet de reconfigurer la gouvernance des projets.

Les quatre dynamiques principales

34Plus précisément, cette reconfiguration s’articule autour de quatre dynamiques distinctes venant affecter les relations entre l’autorité publique, la société de projet et les sous-traitants de cette dernière : 1) l’incomplétude des contrats de performance, 2) la divergence des intérêts entre le constructeur et l’opérateur, 3) la rigidité des prix et des échéanciers induite par le modèle PPP et 4) la situation de « double-agence » dans laquelle se trouve la société de projet.

L’incomplétude plus importante des contrats de performance

35L’incomplétude des contrats (Maskin & Tirole, 1999) de performance est la première dynamique influençant la relation d’agence entre les acteurs d’un PPP. En effet, même le plus précis des contrats donne une marge de manœuvre aux parties pour accomplir leurs obligations. Dans le cadre d’un contrat de performance, qui ne spécifie que les résultats à atteindre, cette incomplétude est encore plus grande. Il existe, dans les PPP, un effet pervers important provenant de cette incomplétude: celui de favoriser systématiquement le partenaire privé dans les cas où les clauses sont ambigües, puisque qu’il n’est redevable que de ce qui est explicitement prévu au contrat. Conformément à ce que prédit la théorie de l’agence, le partenaire privé agira comme un maximisateur de son utilité individuelle, l’utilité prenant ici la forme de la maximisation des bénéfices provenant de la construction d’une infrastructure la moins chère possible mais respectant les critères minimaux de qualité. L’on pourrait imaginer, par exemple, le cas d’une entente de partenariat qui spécifie que des salles d’eau doivent être installées, mais qui omet de dire où. Le partenaire privé a donc le loisir de les installer là où il le veut bien, en respectant les critères minimaux de performance. De plus, si ces derniers ont été mal définis (ou tout simplement omis), l’entrepreneur a donc le loisir de les installer sans grand égard à l’accessibilité ou à la fonctionnalité. Cela ne veut pas nécessairement dire que ce dernier agira de la sorte –étant donné son professionnalisme et sa volonté présumée de maintenir des bonnes relations avec l’autorité publique–, mais une omission contractuelle bénéficiera généralement au partenaire privé. L’incomplétude des contrats rend donc les PPP particulièrement sensibles à la clarté des ententes, ce qui est paradoxal puisqu’ils sont justement caractérisés par une grande complexité contractuelle et une durée plus longue. Des renégociations peuvent avoir lieu, mais celles-ci se font généralement au détriment du partenaire public qui « échange » certaines fonctionnalités non-prévues au contrat contre d’autres qui le sont mais qui sont jugées moins importantes. Pour reprendre l’exemple précédent, les mêmes salles d’eau pourraient ainsi faire l’objet d’une renégociation. Le partenaire public pourrait alors accorder au privé le droit d’économiser en réduisant la qualité de certains matériaux en échange de l’installation des salles d’eau à l’endroit désiré. Administrativement, ceci fait reposer une très grande partie de la sauvegarde de l’intérêt public sur la capacité des agents publics en charge des négociations à gérer les ententes avec dextérité. De même, la capacité, la compétence et l’expérience des gestionnaires publics sont donc fondamentaux pour le succès du partenariat. La confiance entre les acteurs constitue aussi une variable importante du succès des partenariats public-privé (Athias & Saussier, 2007 ; Ramonjavelo, Préfontaine, Skander & Ricard, 2006). L’expérience montre qu’en général les parties accordent beaucoup d’importance à la qualité de leurs relations à long terme et sont ainsi prêtes à un certain degré de coopération (de Brux, 2010).

La divergence des intérêts entre le constructeur et l’opérateur

36La deuxième dynamique affectant les relations entre acteurs est la divergence des intérêts de ces derniers et en particulier la divergence entre les intérêts du constructeur et ceux de l’exploitant. « Une des difficultés qui se présente au partenaire privé lorsqu’il conclut les sous-contrats est la conciliation des intérêts divergents du Constructeur et de l’Exploitant. En effet, il est prévisible que le Constructeur voudra livrer une construction conforme et ensuite faire éteindre ses obligations contractuelles le plus rapidement possible. […] L’Exploitant, quant à lui, sera tenu d’exploiter la structure livrée par le Constructeur et de remédier à toute défectuosité de celle-ci pendant toute la durée de la phase d’exploitation. L’Exploitant va donc vouloir que la structure construite par le Constructeur lui donne le plus de garanties de fiabilité possibles et excède même les normes de construction applicables et les exigences minimales de l’entité publique en lien avec la construction de la structure » (Lavier, 2009). Par exemple, si le constructeur est en charge d’installer un plancher carrelé que l’exploitant devra entretenir pendant plusieurs années, ce dernier aura tout intérêt à ce que la céramique soit de la meilleure qualité possible. Le constructeur, pour sa part, n’aura intérêt qu’à respecter les critères minimaux de qualité et installer la céramique la moins chère possible.

37Cette tension entre les intérêts du constructeur et de l’exploitant ainsi que les comportements antagonistes qui en découlent sont tout de même atténués par les interventions de la société de projet, dont l’intérêt est de minimiser les coûts globaux à long terme du contrat. Ainsi, comme la société de projet est ultimement responsable tant des coûts de conception-construction que des coûts d’exploitation-entretien, c’est à cette dernière que revient le rôle de médiatrice. Dans l’exemple précédent, c’est la société de projet qui devra choisir entre deux options : 1) verser des sommes supplémentaires à son constructeur pour qu’il installe de la céramique de meilleure qualité dans l’espoir de faire diminuer les coûts d’entretien à long terme et 2) parier que les coûts d’entretien à long terme seront plus bas que les coût de la céramique de meilleure qualité.

38 Le concessionnaire exerce donc un rôle de coordination et de conciliation entre les intérêts divergents du constructeur et de l’exploitant. C’est le savoir-faire du gestionnaire de la société de projet, son professionnalisme ainsi que sa capacité de régler les différends qui s’avèrent déterminants. Si les tensions sont trop fortes, les clauses d’arbitrage du contrat d’interface peuvent être invoquées en derniers recours.

La rigidité des prix et des échéanciers induite par le modèle PPP

39La troisième dynamique influençant les relations entre les parties est la rigidité des prix et des échéanciers induite par l’entente de partenariat. Une fois l’entente signée, les montants déboursés par l’autorité publique ainsi que les échéanciers de construction et de mise en service sont arrêtés et ne peuvent généralement pas être modifiés. Des pénalités peuvent également être encourues si les délais ne sont pas respectés. Il s’agit d’ailleurs là d’un des avantages prétendus des PPP par rapport au mode conventionnel. « L’entente de PPP assure au partenaire public qu’il recevra un bien ou un service selon les résultats clairement définis à un prix convenu. Par conséquent, le partenaire public peut établir ses budgets à long terme avec une plus grande certitude » (Québec, 2004, 8).

40Cette situation contribue à exercer une pression sur la société de projet qui supporte le risque commercial (c’est-à-dire le risque que les revenus d’exploitation soient trop faibles pour couvrir les charges). De manière générale, cette rigidité qui découle du contrat et du fait que les différents engagements soient fixés à l’avance génère deux risques de gouvernance importants.

41Le premier risque est de nature politique, et concerne l’acceptation par la partie publique de la nature commerciale du projet. En effet, l’effet combiné de l’incomplétude de l’entente de partenariat et de la rigidité des prix et des échéanciers induit un risque significatif, dans la mesure où les pénalités dans les cas de non-respect sont importantes. La tendance naturelle du constructeur sera d’essayer de respecter le délai à tout prix afin d’éviter les pénalités. Il s’agit toutefois là d’un pari risqué puisque la réalisation des engagements avec un niveau de qualité insuffisant durant la phase de construction pourrait générer des coûts supplémentaires à long terme, c’est-à-dire durant la phase d’exploitation, à moins que le partenaire privé réussisse à renégocier les termes du contrat. Dans ce contexte, la capacité de l’autorité publique à résister aux demandes de renégociation et de faire face au risque de faillite de la part des prestataires constitue un facteur fondamental de succès. Administrativement, l’autorité publique doit accepter la nature commerciale de l’activité du partenaire privé ainsi que les risques en découlant. En pratique, cela veut dire que l’autorité publique se doit d’être prête à laisser une société de projet faire faillite et à en assumer les conséquences. Un contrat bien structuré devrait permettre à la personne publique de reprendre l’actif (l’infrastructure) à sa charge ou, au moins, de forcer les prêteurs à honorer le contrat.

42 La définition d’objectifs de performance clairs au moment de la mise en œuvre et durant la phase d’exploitation peut aussi contribuer à réduire les risques de demande de renégociation. Toutefois, la clarté et la précision des critères de performance sont directement liées au caractère prévisible de l’activité. Or, dans les domaines de haute technologie, où la notion même de performance change rapidement, ceci constitue un risque important au point où le mode PPP ne semble pas approprié (Froud, 2003).

43 Le deuxième risque est plus technique. La rigidité des échéanciers rend l’autorité publique particulièrement vulnérable au manque de ressources au sein de sa propre administration. Il est trompeur de croire que l’autorité publique n’est que passive durant la phase de construction. Elle est en effet contractuellement obligée de répondre dans un délai raisonnable aux questions du constructeur. À défaut de le faire, elle met le constructeur en position de force puisque celui-ci est alors libre d’interpréter les clauses du contrat comme il le veut, c’est-à-dire vraisemblablement à son avantage. Une stratégie de la société de projet pourrait alors être de « bombarder » l’autorité publique de questions dans l’espoir qu’elle ne réussisse pas à respecter les délais de réponse. La capacité et la compétence suffisante de l’autorité publique dans son interaction avec la société de projet peut alors rétablir le rapport de force et constitue à cet égard une stratégie de gestion du risque de qualité.

La « double-agence » de la société de projet

44Finalement, la dernière dynamique venant affecter les relations entre les parties est la situation de « double-agence » dans laquelle se trouve la société projet. Cette dernière est en pratique autant contrôlée par ses créanciers que par l’autorité publique. Alors que l’autorité publique est décrite comme le principal de la société de projet, les créanciers de cette dernière ont aussi un pouvoir d’influence indéniable. Durant la période de construction (voir schéma n° 2), les prêteurs et leurs conseillers contrôlent environ 85 % des capitaux qui seront utilisés pour construire l’infrastructure. Durant cette période cruciale, l’autorité publique n’a qu’un rôle assez limité de suivi, alors que les prêteurs s’octroient fréquemment des droits d’intervention (step-in rights) qui leur permettraient théoriquement de forcer un changement d’exécutant ou de sous-traitant.

45 Durant la période de construction, il est possible d’observer une certaine convergence entre les intérêts des prêteurs et ceux de l’autorité publique. Ces deux derniers ont en effet tout intérêt à ce que la construction de l’infrastructure s’achève rapidement et sans problème. Pour les prêteurs, cela est important car ce n’est qu’une fois la construction terminée que la société de projet commencera à rembourser ses dettes. Pour le gouvernement, l’achèvement de la construction s’accompagne généralement de publicité positive et permet de livrer les services promis.

46 Si cette convergence théorique des intérêts est réelle, elle souligne néanmoins un risque de gouvernance important : que se passe-t-il dans le cas d’un conflit entre les prêteurs et l’autorité publique? Comme les prêteurs sont des acteurs extrêmement puissants dans les montages financiers à cause des sommes qu’ils contrôlent, leur droit d’intervention peut leur permettre d’imposer, durant le déroulement du contrat, de nouvelles conditions à une autorité publique faible, désireuse pour des raisons politiques de voir la mise en service se faire rapidement. Ainsi, théoriquement, si des prêteurs en position de force cherchaient à imposer des conditions autres que celles prévues au contrat (une construction de moins bonne qualité, de nouveaux sous-traitants indésirables, etc.), une autorité publique faible aurait de la difficulté à résister à une telle pression.

47La coordination formelle (via des contrats clairs) et informelle (par l’exercice managérial) entre les prêteurs et l’autorité publique apparaît alors comme une condition essentielle au succès d’un PPP. Qui plus est, les risques de déséquilibre dans les rapports de force et d’asymétrie informationnelle peuvent être mitigés en reconfigurant les relations de pouvoir implicites dans le contrat, notamment en donnant à l’autorité publique la capacité et l’expertise pour assurer le suivi, mais aussi la capacité de forcer le prêteur à respecter les engagements pris par le partenaire privé évincé.

48 * * *

49 Les PPP sont-ils de véritables partenariats ? À la lumière de notre analyse des intérêts des acteurs et des structures de pouvoir induites par le modèle contractuel des PPP, la réponse est négative. Le terme « partenariat » est d’abord un effet de rhétorique et que la relation entre l’autorité publique et la société de projet est avant tout commerciale. En parfaite contradiction avec le discours de partenariat et de synergie ayant cours, entre autres, au gouvernement du Québec (Québec, 2004), il semble que les comportements attendus des principaux acteurs privés soient assez opportunistes.

50 D’une part, pour le partenaire privé, la réalisation d’une infrastructure est une entreprise à but lucratif classique, financée sur fonds privés et exploitée commercialement. D’autre part, les intérêts de l’autorité publique et du partenaire privé divergent fortement. L’autorité publique est redevable politiquement de la livraison et du bon fonctionnement d’une infrastructure avec, en plus, des attentes de bonne gouvernance et de qualité de la part des citoyens. Le partenaire privé n’est redevable que d’obligations contractuelles plus ou moins claires (selon la qualité du contrat), qu’il sous-contracte par ailleurs à son constructeur et à son exploitant. Ainsi, même si dans la politique-cadre sur les PPP du gouvernement du Québec il est mentionné que « l’autorité publique conserve en tout temps la maîtrise du service et demeure imputable de la prestation du service auprès des citoyens. » (Québec, 2004, 8), la réalité est plus complexe. Les PPP requièrent trop de délégation et de coordination pour pouvoir affirmer que le pouvoir ne peut pas échapper aux mains de l’autorité publique.

51 La structure contractuelle des PPP imposée par le modèle de la PFI induit une dynamique particulière dans la gouvernance des relations entre les parties. En rompant avec le modèle hiérarchique traditionnel, les PPP fragmentent la coordination de la réalisation de l’infrastructure. De multiples intervenants ont une influence sur le projet, en particulier les prêteurs, les certificateurs et les constructeurs. Ces derniers contrôlent des incitatifs financiers souvent plus puissants que ceux de l’autorité publique durant la phase critique de la construction.

52 La rédaction de contrats solides durant la phase de planification et la concertation entre les multiples principaux durant la phase de réalisation apparaissent ainsi comme le défi principal de la bonne gouvernance des PPP réalisés selon le modèle anglo-saxon. Par ailleurs, la création d’agences publiques spécialisées, dotées d’expertise technique, légale et financière et capables de servir de contrepoids au secteur privé apparait nécessaire pour contribuer à rééquilibrer la relation de pouvoir public-privé et, ainsi, à garantir la sauvegarde de l’intérêt public.

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Mots-clés éditeurs : Montage financier, relation d’agence, rapports contractuels

Date de mise en ligne : 26/05/2017.

https://doi.org/10.3917/rfap.160.1271

Notes

  • [1]
    Traduction de l’auteur.
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