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Article de revue

L’évolution des compétences et des métiers des corps d’inspection : l’exemple de l’inspection générale des affaires sociales

Pages 679 à 684

Notes

  • [1]
    Il existe de multiples exemples parmi lesquels des missions sur des sujets d’actualité tels que la mise en œuvre du compte individuel de formation ou la généralisation du tiers payant.
  • [2]
    C’est ainsi le cas d’une récente mission de conseil sur la suppression de la vignette pharmaceutique.
  • [3]
    Cour administrative d’appel de Paris, 14 juin 2010, Mlle X et autres, N° 06PA03398.

1 Les services d’inspection de l’État ont été confrontés ces dernières années à une évolution profonde de leur environnement. Le recul de l’État régalien s’est traduit par une importance décroissante de la fonction traditionnelle de contrôle, par laquelle l’État s’assurait du respect de la norme et du bon usage des fonds publics. L’intérêt pour des méthodologies inspirées des cabinets d’audit et de conseil du secteur privé a dans le même temps conduit à s’interroger sur les modalités d’intervention des services d’inspection. Enfin, les contraintes quantitatives portant sur les administrations de l’État, combinées à un flux important de réformes (souvent justifiées par la nécessité d’adapter les conditions d’intervention publiques aux profondes mutations de la société, parfois induites par la visibilité que la réglementation donne à l’action politique) ont conduit les ministres à recourir aux services d’inspection pour aider les administrations à conduire des projets de changement, ou simplement pour pallier leur défaillance. Les développements ci‑dessous visent à montrer, à travers l’exemple de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), comment les compétences et les missions d’un corps d’inspection ont évolué et comment ces évolutions se sont traduites sur ses modalités d’intervention.

L’évolution des compétences : clarification et extension du champ

Le point de départ

2Les compétences de l’IGAS sont fixées par la loi n° 96‑452 du 28 mai 1996 portant diverses mesures d’ordre sanitaire, social et statutaire qui, dans son article 42, précise que l’Inspection générale assure une mission de contrôle et d’évaluation de la mise en œuvre des politiques publiques dans le champ social. Le même texte dispose que l’ensemble des organismes intervenant dans ce domaine sont soumis aux vérifications de l’Inspection générale. Voici donc un champ d’intervention clairement défini : le contrôle d’une part, l’évaluation de l’autre. Il est utile de rappeler que le contrôle vise à s’assurer qu’un service, un établissement, un professionnel se trouve dans une situation, d’une part, conforme à l’ensemble des normes qui constituent le référentiel d’organisation et de fonctionnement correspondant à son statut, d’autre part, satisfait aux exigences d’efficience requises d’une structure bien gérée. Il a toujours été considéré que le contrôle couvrait également l’inspection, contrôle spécifique diligenté en cas de présomption de dysfonctionnement et l’enquête administrative, contrôle visant à enquêter sur la conduite d’un agent ou d’un groupe d’agents. L’évaluation est, pour sa part définie par un décret du 22 janvier 1990, qui indique qu’elle a pour objet de rechercher si les moyens juridiques, administratifs ou financiers mis en œuvre permettent à une politique publique de produire les effets qui en sont attendus et d’atteindre les objectifs qui lui sont assignés. En dehors du champ ainsi défini par la loi du 28 mai 1996, l’Inspection générale est autorité de contrôle national du Fonds social européen pour le compte de l’Union européenne.

Clarification et extension

3Dans les faits, ce schéma historique, qui correspondait au rôle traditionnel de l’IGAS depuis sa création a connu, depuis de nombreuses années, un certain nombre d’évolutions conduisant à une clarification par les textes. Ces évolutions se sont d’abord inscrites dans les faits, car les ministres sous l’autorité desquels se trouve placée l’Inspection générale ont toujours eu largement recours à elle pour ce qui est qualifié de « missions d’appui ». Ce terme générique recouvre une typologie de situations assez diverses. Les principales missions d’appui consistent en :

  • un appui à une équipe ministérielle, à une administration ou à un établissement public pour assurer le pilotage de la conduite d’un projet (construction législative, réorganisation…) [1] ;
  • une expertise auprès d’une équipe ministérielle ou d’une administration [2] ;
  • une assistance à un parlementaire en mission ou à une personnalité qualifiée pour la rédaction de leurs rapports…

4 Elles sont ensuite apparues dans le droit, avec la promulgation de l’article L. 6143‑3‑1 du code de la santé publique qui prévoit que les membres de l’IGAS peuvent assurer l’administration provisoire d’établissements de santé, ou avec le décret n° 2011‑775 du 28 juin 2011 mettant en place l’audit interne dans l’administration et conduisant à la création d’une mission d’audit interne rattachée à l’Inspection générale.

5 Elles ont conduit à une rédaction plus précise des compétences de l’IGAS dans le décret n° 2011‑931 du 1er août 2011 portant statut particulier du corps. Ce texte prévoit que l’Inspection exerce des missions d’inspection et de contrôle (confirmation de la loi), des missions d’audit (extension de la lecture des termes contrôle et évaluation de la loi du 28 mai 1996, justifiée par l’intervention du décret du 28 juin précité), des missions d’enquête et d’évaluation (confirmation de la loi de 1996) et, enfin, des missions de conseil et d’appui (prise en compte de la réalité des commandes ministérielles). Après avoir ainsi montré comment, et sous quelle forme, la diversification juridique des compétences s’est réalisée, il est possible d'évoquer la manière dont cette évolution se traduit dans les compétences requises des équipes et dans leurs modalités de travail.

Vraies et fausses nouveautés

6La question de la place de l'audit, souvent présenté comme une innovation importée du secteur privé, parfois compris en opposition à l’inspection, a fortement agité le microcosme des services d’inspection générale ces dernières années. Il faut tout d’abord préciser de quel audit on parle. Le décret du 28 juin 2011 met en place l’audit interne dans l’administration de l’État, c’est‑à‑dire une intervention portant sur les structures placées sous l’autorité ou la tutelle des ministres. L’IGAS n’intervient pas en qualité d’auditeur externe en dehors de ce champ (à l’exception du cas particulier du contrôle des fonds structurels européens) : elle n’en a pas les compétences. C’est en qualité de contrôleur qu’elle intervient sur les collectivités territoriales, d’une part, et, d’autre part, sur les organismes privés, qu’ils soient professionnels, paritaires, caritatifs ou autres.

7Le décret du 28 juin 2011 est « elliptique » : il définit l’audit interne comme étant une activité exercée de manière indépendante et objective, qui donne à chaque ministre une assurance sur le degré de maîtrise de ses opérations et lui apporte ses conseils pour l’améliorer. L'exercice indépendant et objectif de l'activité a toujours été une des caractéristiques de l’action de l’IGAS. Les opérations de contrôle et d’évaluation conduisent par ailleurs naturellement à donner au ministre une assurance sur le degré de maîtrise de ses opérations et à lui donner les conseils nécessaires.

8 On peut dès lors s’interroger sur ce qui, en dehors d’une comitologie spécifique, distingue l’audit du contrôle et de l’évaluation ? Principalement deux caractéristiques :

  • sa posture : l’audit vise avant tout à aider les responsables des structures auditées, ce qui conduit au fait que les constats doivent être partagés et appropriés par ces responsables, ce qui est moins le cas en contrôle ;
  • ses procédures : ces dernières sont définies par les normes de qualification et de fonctionnement du cadre de référence de l’audit interne dans l’administration de l’État, adopté par le Comité d’harmonisation de l’audit interne le 27 juin 2013.

9 L'IGAS travaille actuellement pour se mettre en conformité avec ce document. Certains écarts existent en effet par rapport aux usages traditionnels. La mise en œuvre d’un programme d’assurance et d’amélioration de la qualité, incluant une évaluation du service par un tiers ; une approche des interventions plus directement guidée par l’analyse des risques et par l’efficacité des processus de management des risques ; un processus plus complet de conservation des dossiers de missions ; la surveillance systématique des suites données aux recommandations et aux plans d’action. Mais, en réalité, tout cela n’est pas spécifique à l’audit interne et plusieurs de ces éléments caractéristiques des normes d’audit peuvent conduire à enrichir les métiers traditionnels du contrôle et de l’évaluation.

10 L’audit interne, finalement, est en partie une fausse nouveauté, mais qui a deux mérites pour les services d’inspection générale : il constitue un segment particulier utile dans l’évaluation des politiques publiques : celui des organismes et des processus chargés de les mettre en œuvre ; il conduit à améliorer et mieux structurer les méthodes de travail. La véritable nouveauté est sans doute plus issue de l’apparition d’un rôle de l’Inspection générale en matière d’administration provisoire. Cette nouvelle compétence a conduit à développer des méthodologies spécifiques d’intervention inspirées du « management de transition » : modalités de réalisation d'un diagnostic de début d’intervention, composition d’équipes à forte composante managériale, maîtrise des méthodologies de conduite du changement, importance des relations avec les partenaires, identification des talents capables de prendre la suite de l’intervention de l’Inspection…

11 L’IGAS intervient principalement à ce titre dans les établissements publics de santé, mais cela n’est pas exclusif et il lui est arrivé, sous forme de missions d’intérim ou d’appui, de jouer un rôle comparable dans des services déconcentrés de l’État, voire au‑delà. L’intérêt de cette diversification est double : il permet à la puissance publique de disposer d’une force de frappe professionnelle, capable d’intervenir dans des situations bloquées pour des raisons politiques, syndicales, ou d’une complexité particulière. La force de l’IGAS dans ces situations est de faire intervenir une équipe, selon une méthodologie éprouvée ; équipe adossée à des instances internes et dont les membres n’ont aucun enjeu de carrière personnelle dans l’affaire. Le service y trouve également un intérêt pour la gestion des carrières en permettant à ceux qui ont une appétence pour des fonctions opérationnelles de faire une pause dans le métier de contrôleur ou d’évaluateur sans quitter l’Inspection.

Quelques chiffres

12L’analyse de la typologie des missions sur les quatre dernières années révèle un certain nombre de constantes. Les missions d’évaluation restent les plus nombreuses, représentant toujours un gros tiers des interventions avec une tendance récente à l’augmentation en raison du développement des missions relevant de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), puis de la Modernisation de l’action publique (MAP), pour lesquelles il est fréquemment fait appel aux compétences de l’IGAS (il se trouve un nombre important de secteurs de l’action de l’État dans lesquels se posent des problèmes de marché du travail, de santé publique ou de couverture sociale…). Viennent ensuite les missions d’appui et de conseil, qui représentent de manière régulière environ le tiers des missions. Une très grande régularité s’observe également pour le management de transition, autour de 2 % des missions (mais il faut tenir compte qu’alors qu'une mission traditionnelle de l’IGAS dure autour de quatre mois, une intervention dans ce domaine dure plus généralement un an à un an et demi et « consomme » ainsi un nombre d’inspecteurs plus important). Le nombre de missions de contrôle est plus variable ; il dépend à la fois des signalements qui justifient que les ministres diligentent une intervention en la matière et de la capacité de l’IGAS à développer, sur son programme d’activité, des missions de contrôle sur des organismes publics ou privés autres que l’État. Les missions d’audit pour leur part connaissent une montée en charge régulière, représentant sur la période de 5 à 16 % des missions.

13 L'évolution des deux dernières catégories dépend en partie de la ressource disponible. En effet, l’activité de l’IGAS est issue de deux sources. La première est constituée par les lettres de mission du Premier ministre ou des ministres (principalement affaires sociales, travail‑emploi et budget) ; celles‑ci sont prioritaires et le flux de commandes est assez largement corrélé au calendrier électoral : peu de missions en fin de mandatures, très forte accentuation du flux en début ; ces évolutions influent principalement sur les deux types de missions qui structurent le plus l’activité de l’Inspection : les évaluations de politiques publiques et les missions d’appui et de conseil. La seconde source d’activité trouve son origine dans le programme d’activité. Ce programme comprend deux compartiments : le programme d’audit interne des ministères sociaux, prévu dans les textes issus du décret du 28 juin 2011 sur l’audit interne et le programme d’activité propre à l’IGAS, prévu par le décret du 1er août 2011 portant statut du corps. Ce dernier est en bonne partie structuré par l’exercice incontournable du contrôle des organismes extérieurs à l’État que la loi de 1996 fait obligation à l’IGAS de contrôler : ainsi les organismes qui font appel à la générosité publique, les paritaires collecteurs des fonds de l’apprentissage ou de la formation professionnelle, les institutions de prévoyance sociale, les caisses de retraite complémentaires ou professionnelles… Naturellement, compte tenu de la priorité des commandes ministérielles, c’est là que se trouve l’explication de la plus grande variabilité du nombre de missions d’inspection et d’audit évoquée ci‑dessus.

L’évolution des productions

14La diversification des missions se traduit par une diversification des productions. Traditionnellement, les interventions des services d’inspection générale prennent la forme de rapports, contradictoires en cas de contrôle. À cette production, la loi du 28 mai 1996 ajoute, pour ce qui concerne l’IGAS, la présentation d’un rapport au Président de la République, au Parlement et au gouvernement. Or on assiste à une importante évolution de la nature des productions. Les procédures propres au dispositif de modernisation de l’action publique, le besoin des ministres de disposer de premières conclusions le plus rapidement possible, le recours à l’Inspection pour des expertises techniques conduisent à multiplier les notes techniques, présentations, notes d’étape… Une certaine prudence est toutefois de mise pour ces dernières, car il est parfois hasardeux de vouloir anticiper les conclusions d’une mission avant de l’avoir achevée.

15 * * *

16 Aux termes de cette présentation, il apparaît que la diversification des missions est, si l’on raisonne en grandes masses, en réalité plus apparente que réelle : le management de transition reste marginal et a vocation à le rester ; l’audit n’est, comme on a tenté de le montrer, pas une véritable nouveauté ; l’appui et le conseil ont toujours été une constante dans l’activité de l’Inspection. Plus précisément, c’est au sein de la catégorie des missions d’appui et de conseil qu’il semble qu’apparaissent des évolutions qui pourraient être durables. Il est de moins en moins souvent demandé à l’IGAS de « prêter des plumes » ; en revanche, l’Inspection est plus fréquemment sollicitée pour piloter des conduites de projet, apporter des expertises ponctuelles, aider les administrations ou les équipes des cabinets ministériels dans des périodes de surcharge d’activité liées à la mise en œuvre de réformes importantes. Cela semble traduire la nécessité de conduire des réformes profondes de nos politiques publiques alors même que les moyens humains dont dispose l’État pour le faire sont moindres que dans les périodes passées, en raison des contraintes budgétaires. Il est dès lors logique que l’État puisse disposer, grâce aux inspections générales et aux conseils généraux, d’équipes mobilisables ponctuellement et disposant d’un haut degré de professionnalisme, soit sur des sujets techniques, soit sur les méthodologies de conduite de projet et de conduite du changement.

17 Ces missions sont cependant fortement consommatrices de temps, donc de ressources d’inspection. Or par ailleurs, il paraîtrait déraisonnable que l’État renonce à l’expression de son rôle régalien qui est celui du contrôle, non seulement de la bonne administration et du bon usage des fonds publics, mais également de la bonne utilisation des prélèvements obligatoires par des organismes privés. Il ne faut pas oublier à cet égard que l’État a déjà été condamné par les tribunaux pour défaut de contrôle (dans le cas d’un régime de retraite complémentaire [3])… La solution pour garantir cet équilibre missions/moyens se trouve dans une plus grande sélectivité des ministres quant aux sujets qu’ils demandent aux inspections de traiter : il est encore trop fréquent que des moyens humains importants soient mobilisés sur des missions dont les enjeux sont mineurs et pour lesquelles le recours aux inspections est une forme d’évitement technique ou politique. Au fond, il semble que, plus qu’une diversification des missions, l’enjeu essentiel pour les inspections générales est celui du professionnalisme, garantissant aux donneurs d’ordre et aux structures contrôlées ou évaluées rigueur et précision dans l’analyse, ouverture d’esprit et inventivité dans les préconisations. Le devoir, comme la capacité d’intelligence et de réflexion, sont normalement garanties par le mode de recrutement ; ils doivent être complétés par les technicités propres au métier exercé : tantôt des compétences telles que comptables, financières, statistiques, actuarielles… ; tantôt des méthodes comme la conduite d’entretien, les techniques de rédaction… Ceci traduit en fait une profonde conviction: on ne vient pas dans un corps d’inspection parce qu’on est "bien sorti" de l’ENA ou pour accéder à un dispositif de préretraite mais pour apprendre et exercer un métier.


Mots-clés éditeurs : Contrôle, évaluation, administration provisoire, audit

Date de mise en ligne : 14/12/2015

https://doi.org/10.3917/rfap.155.0679

Notes

  • [1]
    Il existe de multiples exemples parmi lesquels des missions sur des sujets d’actualité tels que la mise en œuvre du compte individuel de formation ou la généralisation du tiers payant.
  • [2]
    C’est ainsi le cas d’une récente mission de conseil sur la suppression de la vignette pharmaceutique.
  • [3]
    Cour administrative d’appel de Paris, 14 juin 2010, Mlle X et autres, N° 06PA03398.

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