Notes
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[1]
Cet article a grandement bénéficié des remarques critiques et suggestions formulées par des responsables régionaux du ministère et deux évaluateurs anonymes de la présente revue, que nous tenons à remercier.
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[2]
Si un ministère du logement et de l’égalité des territoires a été créé, celui?ci partage avec le MEDD son secrétariat général et ses services déconcentrés.
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[3]
Cinq directions générales regroupent les trente?cinq directions d’administration centrale préexistantes. Elles sont complétées par un secrétariat général et un commissariat général au développement durable chargé notamment des missions de connaissance, de prospective et d’information.
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[4]
Ce regroupement des services déconcentrés fait disparaître les directions régionales de l’équipement (DRE), de l’environnement (DIREN) et les directions de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE). Les services de ces dernières sont partagés entre les DREAL et les DIRECCTE, relevant du ministère des finances.
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[5]
La création du MEDD en constitue l’une des pièces maîtresses : elle est ainsi qualifiée emphatiquement de « big bang administratif » lors de sa présentation au premier Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP). Cf. compte rendu du CMPP du 12 décembre 2007, p. 34.
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[6]
Pour une présentation d’ensemble du processus et des logiques à l’œuvre dans la Révision générale des politiques publiques, voir le n° 136 de la RFAP (2010). Pour une première analyse des effets au niveau départemental, soulignant les tensions et l’indétermination qui caractérise la réforme, voir Poupeau (François?Mathieu), « (Con)fusion dans l’État départemental : la mise en place des directions départementales des territoires (et de la mer) », Revue française d’administration publique, n° 139, 2011, p. 517?535..
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[7]
La présente contribution s’insère dans le cadre d’une recherche plus globale portant sur les restructurations au MEDD qui sera présentée dans un ouvrage à paraître : Le développement durable. Une nouvelle affaire d’État. (Lascoumes,.Bonnaud, Le Bourhis et Martinais).
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[8]
Cole (Alistair), Eymeri?Douzans (Jean?Michel), « Introduction : Administrative reforms and mergers in Europe – research questions and empirical challenges », International Review of Administrative Sciences, vol. 76, n° 3, 2010, p. 395?406. Les contributions de ce numéro restent cependant centrées sur le noyau central (core executive). Seule une étude de cas sur l’Espagne intègre les niveaux territoriaux.
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[9]
Ces propos ont été tenus par Jean?François Monteils, ancien conseiller du Premier ministre puis secrétaire général du MEDD de 2010 à 2012, à l’occasion d’une conférence organisée par la section des études et du rapport du Conseil d’État (Paris, 22 avril 2013).
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[10]
Cette partie de l’enquête (23 entretiens) a été menée en collaboration avec Laure Bonnaud et Pierre Lascoumes dans le cadre du projet MUTORG?ADMI financé par l’ANR. La partie relative à l’architecture institutionnelle du service a été intégrée à une grille plus large concernant le parcours et les conceptions des directeurs vis?à?vis de l’administration du développement durable. Nous avons nous?mêmes réalisé approximativement la moitié de ces entretiens de directeurs et 25 autres spécifiquement dans les régions Picardie et Rhône?Alpes.
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[11]
La comparaison est particulièrement éclairante avec la création des Directions régionales de l’Environnement en 1991, dont l’organisation interne a fait l’objet d’intenses échanges entre ministères et cabinets durant une année.
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[12]
Cette partie s’appuie sur la série d’entretiens réalisés avec les Directeurs régionaux préfigurateurs ainsi qu’avec des responsables de niveau national recueillis dans le cadre du projet MUTORG?ADMI. Elles ont été complétées par la consultation de documents relatifs à la conduite centrale de la fusion (séminaires de suivi).
-
[13]
Circulaire du Premier ministre du 15 mai 2008, relative à la réorganisation de l’échelon régional du ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire
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[14]
CMPP, 12 décembre 2007, op. cit.
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[15]
Nous avons procédé à une collecte exhaustive des organigrammes détaillés des DREAL (services, divisions, parfois bureaux), avec une comparaison avec les organigrammes antérieurs quand ceux?ci étaient disponibles. Ces informations ont été complétées par le recueil des commentaires des directeurs sur les choix opérés et d’autres documents (projets stratégiques des services, archives de la fusion pour quelques cas, sites internet des DREAL explicitant les missions et politiques conduites par division ou bureau).
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[16]
Ce choix méthodologique laisse volontairement de côté les dispositifs visant à assurer la transversalité entre services (comités thématiques, équipes projets, procédures formelles de consultation, etc.).
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[17]
Ceci s’entend au sens des structures et ne concerne pas les personnels, dont certains peuvent venir occasionnellement d’autres ministères.
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[18]
Le constat avait été fait pour les réorganisations de DREAL de première vague.
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[19]
Il faut ajouter à cette liste le domaine des ressources, eaux et milieux naturels qui, rarement fusionné, n’est pas représenté dans notre tableau. Les services correspondants sont directement issus des DIREN dans 17 régions sur 21 et y constituent une entité purement protectrice de l’environnement (nature, eau) et du patrimoine (sites et paysages).
-
[20]
Nous n’avons retenu dans le comptage que les services associant les deux dimensions de connaissance (ressources, milieux, territoires, etc.) et d’évaluation (notamment les missions relevant de « l’autorité environnementale »), ce qui permet une approche spécifique au service et l’émergence d’une identité propre. A contrario, les simples missions rattachées au directeur ont un statut plus précaire (certaines ayant d’ailleurs été créées pour des raisons de « recasage » interne).
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[21]
Les mouvements sociaux les plus marqués s’opposent aux déplacements géographiques des agents (transfert de services ou de personnels à l’occasion de l’installation dans un bâtiment unique), aux changements de poste non souhaités ou à des nominations locales de chefs de service semblant désavantager tel ou tel corps.
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[22]
Concernant le MEDD, l’effet mobilisateur du « Grenelle de l’environnement » ne semble pas avoir joué au?delà d’une période courte et du cercle réduit des cadres administratifs.
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[23]
Les termes sont extraits des documents (projets de service, notes, rapports, comptes rendus de réunion) produits dans le cours de la fusion rhônalpine.
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[24]
Le préfigurateur de la DREAL de Rhône?Alpes, ingénieur des Mines, se présente comme un modernisateur dans son propre corps. Au cours de sa carrière, il a réalisé le rapprochement expérimental DRIRE?DIREN en PACA (2005?2006), avant d’intégrer le cabinet du ministre de l’écologie et du développement durable (2007) pour préparer la réorganisation de l’administration centrale puis la fusion des services régionaux.
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[25]
Elle a notamment été évoquée, avant d’être écartée, dans les réflexions accompagnant le processus de modernisation de l’action publique engagé courant 2012 par le gouvernement socialiste.
1 Initiée en 2007, la création d’un grand ministère de l’écologie et du développement durable (MEDD) a recomposé en profondeur le paysage institutionnel des ministères techniques de l’État en fusionnant les administrations de l’équipement, de l’environnement et d’une partie de l’industrie [1]. La naissance de ce département ministériel a introduit une rupture dans l’ordre administratif qui n’a pas été remise en question depuis. En 2012, le nouveau gouvernement a repris pour l’essentiel le découpage antérieur [2] et le processus de « modernisation de l’action publique » (MAP) n’a pas opéré de retour en arrière de ce point de vue. Les mutations mises en œuvre entre 2008 et 2011 ont ainsi abouti à regrouper de façon durable près de 56 000 agents, à restructurer l’administration centrale [3] et à fusionner les services régionaux des trois ministères en créant des directions régionales de l’écologie, de l’aménagement et du logement (DREAL) [4]. Associée étroitement à la Révision générale des politiques publiques (RGPP) [5], cette restructuration a engagé des processus de rationalisation de l’action publique et de réduction des effectifs de l’État qui ont été déjà bien décrits [6] : recherche de synergies par suppression des redondances entre administrations ; réalisation d’économies d’échelle par mutualisation des moyens et des fonctions de supports ; simplification de l’organisation de l’État par fusion aux niveaux central, régional et départemental.
2 La restructuration du MEDD s’est également vue assigner un second objectif dont les modalités de réalisation ont été moins étudiées : mettre en place une véritable administration du développement durable répondant aux engagements formulés lors de la campagne présidentielle de 2007 et réaffirmés lors du Grenelle de l’environnement (Laville, 2010, 277?311). Sous ce rapport, le formatage administratif devait permettre à l’État de mieux articuler les dimensions environnementale, économique et sociale dans la conception des politiques publiques et leur mise en œuvre. Un tel objectif renvoie à la vision du développement durable privilégiée par les acteurs gouvernementaux, plus procédurale que substantive dans la mesure où elle met l’accent sur la bonne articulation des trois « piliers » comme principe devant assurer la protection des intérêts des générations futures (Smouts, 2005 ; Vivien, 2001, 19?60).
3 Cette refondation de l’administration technique dans le sens du développement durable s’est traduite par une série de choix et de processus de restructuration enchâssés. Dès 2007, le gouvernement règle tout d’abord la question du redécoupage ministériel envisagé en tranchant un débat de longue date sur la prise en charge bureaucratique des questions environnementales. Il retient l’option du ministère « intégrateur », devant faire travailler ensemble les administrations chargées de la protection de l’environnement et celles régulant les activités productives (transports, construction d’infrastructures, industries, énergie) à l’exception notable de l’agriculture. Dans un second temps, l’orientation choisie entraîne un travail important de reconstruction du nouvel ensemble administratif qui dessine son architecture institutionnelle, au niveau de l’administration centrale comme à celui des services déconcentrés.
4 C’est ce processus de composition interne d’une administration naissante que nous proposons de décrire ici, en portant attention aux niveaux déconcentrés et plus particulièrement à la création des services régionaux du MEDD. L’analyse ne couvre pas la question des restructurations au niveau central, ni celle des effets de la réforme sur le fonctionnement réel des services, qui dépassent l’ambition limitée du présent article et feront l’objet d’un traitement par ailleurs [7]. La fusion ayant conduit à la création des DREAL offre cependant un terrain privilégié pour observer la fabrique de la machinerie gouvernementale dans ses composantes opérationnelles, ainsi que les enjeux, rationalités et contraintes à l’œuvre dans le travail d’innovation organisationnelle auquel se livrent les agents du MEDD.
5 Une telle enquête peut également compléter utilement une série de travaux ayant exploré certains effets des restructurations administratives, mais ayant peu abordé la question de la conception des architectures institutionnelles et des enjeux associés à ces processus de formatage administratif. Peu de recherches ont offert une description détaillée de cet aspect des fusions, celles?ci étant le plus souvent appréhendées au travers de prismes plus larges, centrés sur les découpages des périmètres ministériels et l’historique des transformations de la machinerie administrative (Chevallier, 1999, 21?48 ; Pollitt, 1984). Si l’attention s’est déplacée ces dernières années vers la diffusion et les effets du New Public Management sur les structures ministérielles (Bezès, 2008, 215?254), ces études restent essentiellement attentives aux traductions et manifestations nationales de ce courant réformateur et demeurent focalisées sur les niveaux centraux. Des synthèses récentes soulignent le déficit d’études empiriques fines dédiées aux restructurations administratives tout en commençant à pallier ce manque [8]. Ce constat de carence doit cependant être nuancé si on prend en considération les travaux de recherche qui ont pu, ces dernières décennies, éclairer certains enjeux des recompositions internes des administrations et de leur formatage au sein de secteurs spécifiques (Thoenig, 1973 ; Duran, 2006 ; Lascoumes et Le Bourhis, 1999).
6 Dans cette perspective, il est particulièrement important de porter attention à la réorganisation des niveaux déconcentrés, dans la mesure où ils concentrent les principaux changements structurels induits par la création du nouveau ministère du développement durable. Conformément à des diagnostics antérieurs soulignant la résistance aux changements des grandes directions d’administration centrale (Chevallier, 2005), celles du MEDD ont su préserver une grande partie de leur autonomie au sein de la nouvelle architecture ministérielle créée en 2007. La logique d’intégration transversale incarnant le développement durable et la « révolution » opérée en 2007?2008, pour reprendre ici les termes d’un de ses promoteurs, s’incarne donc principalement dans les services régionaux [9]. Par ailleurs, ces services occupent désormais une place centrale dans la mise en œuvre des politiques de l’État, du fait des processus de régionalisation de celui?ci et de la prise en charge croissante des programmes d’actions départementaux qui représentent de 40 à 60 % de leur activité, selon les propres estimations des directeurs régionaux.
7 L’enquête empirique au fondement du présent article a porté plus précisément sur les pratiques des concepteurs et des préfigurateurs régionaux chargés de constituer les DREAL à partir des trois services préexistants. Plusieurs questions ont guidé l’investigation : quels ont été les choix d’organisation des services régionaux ? Quelles options principales ont été retenues en matière d’architecture institutionnelle ? Quel rôle ont joué les stratégies de restructuration des réformateurs dans ce processus ? Au final, le matériau recueilli permet d’éclairer la façon dont se construit concrètement une structure administrative en insistant notamment sur le poids des nécessités internes et les marges de manœuvre existantes pour innover.
8 Pour mener à bien cette enquête, plusieurs types de sources ont été mobilisés : une étude systématique des organigrammes des 21 DREAL métropolitaines pour identifier les choix de structuration interne et les modalités de la fusion des services préexistants ; une série d’entretiens auprès de l’ensemble des directeurs régionaux ayant préfiguré les services et intégrant une explication de l’architecture institutionnelle privilégiée [10] ; l’étude approfondie de deux fusions régionales aux profils contrastés (Picardie et Rhône?Alpes) à partir d’entretiens complémentaires des directeurs, chefs de services et personnels et de l’analyse des archives internes de la fusion. Les relations avec les services centraux ont également été abordées lors des entretiens avec les directeurs régionaux et en utilisant les données d’une recherche parallèle sur l’administration centrale.
9 Les éléments recueillis sur le formatage administratif révèlent une pluralité de façons de construire cette administration du développement durable. Contrairement aux réformes précédentes dans le secteur environnemental, ce formatage a été pris en charge en majeure partie par les préfigurateurs et les équipes dirigeantes régionales, qui ont opéré des choix ordinairement réalisés au niveau du cabinet et au sein des échanges interministériels (Lascoumes et Le Bourhis, 1997, 67) [11].
10 Pour montrer cela, nous étudierons dans un premier temps les grandes lignes du projet gouvernemental visant à créer une nouvelle administration régionale dans le secteur de l’écologie et du développement durable. Nous verrons notamment comment le pilotage de cette transformation s’est opéré avec des répartitions de tâches entre l’administration centrale et les agents régionaux de l’État qui laissent à ces derniers des marges de manœuvre dans la construction de l’architecture institutionnelle. Nous analyserons dans un second temps les choix de structures et d’organigrammes au niveau régional, ainsi que l’émergence de types de services différenciés selon les territoires. Les modèles et architectures envisagés montrent des conceptions plurielles à l’œuvre concernant l’administration du développement durable en formation. Enfin, il s’agira d’éclairer les principaux facteurs ayant joué sur la mise en forme des nouveaux services.
Du « big bang administratif » aux fusions régionales
11 La fusion des services déconcentrés du MEDD se caractérise à la fois par l’ambition de la restructuration visée et par un transfert au niveau régional du formatage administratif, le niveau central n’intervenant que de façon très ciblée dans sa mise en œuvre. La reconstitution de la chronologie de la réforme permet d’éclairer cette répartition des rôles entre niveau central et régional [12].
12 La création d’une direction régionale unique est envisagée dès juillet 2007, soit un mois après le lancement de la Révision générale des politiques publiques, dans le sillage du vaste processus de consolidation mené au niveau central pour créer le grand ministère de l’écologie. Évoquée lors d’une rencontre entre le cabinet de Jean?Louis Borloo et les syndicats, l’idée est testée en interne durant l’été 2007 par une enquête menée auprès d’une cinquantaine de représentants des services concernés. En septembre de la même année, la fusion est annoncée officiellement lors d’un séminaire des directeurs régionaux. Si plusieurs scénarios de rapprochement subsistent encore, c’est le modèle le plus intégré d’un service unique qui l’emporte à l’automne et se trouve validé en décembre 2007 par le Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP).
13 La réorganisation concrète de l’échelon régional s’engage à partir de mai 2008 avec la diffusion d’une circulaire contenant une série d’instructions générales [13]. Celles?ci mentionnent des objectifs généraux et les principes de méthode à suivre, en particulier le caractère participatif et concerté du processus de fusion et, pour chaque région, l’origine ministérielle du préfigurateur et futur directeur du nouveau service. Le souci de maintenir un équilibre entre les trois ministères conduit à appliquer la règle dite « des trois tiers » dans ces choix : huit régions reviennent ainsi à des directeurs issus de directions régionales de l’industrie et de la recherche et de l’environnement (DRIRE), six à des directions régionales de l’environnement (DIREN) et sept à des directions régionales de l’équipement (DRE).
14 La circulaire du 15 mai 2008 met surtout l’accent sur la nécessité de réaliser ces fusions dans les meilleurs délais. Dès ses premières lignes, le texte indique : « Il est essentiel que ce ministère puisse rapidement s’appuyer sur un service cohérent ». L’injonction est renforcée par un calendrier précis de la réorganisation qui doit s’étaler sur trois vagues : janvier 2009 pour les neuf premières DREAL à créer, janvier 2010 et 2011 pour les douze suivantes. De même, la circulaire accorde beaucoup d’importance à la mutualisation des moyens de fonctionnement des services d’origine, confirmant que la Révision générale des politiques publiques est moins une « revue de programme » conduisant à interroger les missions poursuivies par les administrations, qu’une réorganisation visant à réaliser des économies d’échelle (Dreyfus, 2010, 857?864 ; Jakubowski, 2011, 297?321). Dans ce domaine, les attentes de l’administration centrale portent surtout sur la mise en commun des structures et des services supports des trois directions d’origine, ce qui recouvre une large gamme d’opérations : rassembler les agents sur un seul site, réunir les secrétariats généraux, établir un réseau informatique et de télécommunication unique, fusionner les parcs de véhicules, mettre en place des procédures communes de gestion et de formation des personnels, rédiger un règlement intérieur pour harmoniser les pratiques relatives au temps de travail, etc.
15 Strict sur les délais, le cadrage ministériel est beaucoup plus allusif sur les rapprochements à effectuer. Pour l’administration centrale, la création d’une nouvelle direction doit traduire au plan organisationnel le développement durable. Les recommandations du Conseil de modernisation des politiques publiques énoncent cet objectif sur un registre volontariste mais général : « La création de ce grand ministère constitue un big bang administratif […] Il ne peut s’agir de juxtaposer les politiques et les structures existantes. Il faut que ces politiques et ces structures soient recomposées dans le sens du développement durable [14] ». Plus orientée vers l’action, la circulaire du 15 mai 2008 n’en dit pas beaucoup plus sur le design institutionnel. Sa partie sur l’organisation de la DREAL fixe un nombre maximum de six services internes et rappelle la nécessité d’éviter « la juxtaposition de l’organisation actuelle des trois directions », tout en indiquant qu’« aucun organigramme type n’est imposé ». Une liste d’objectifs doit être prise en compte mais ceux?ci restent à la fois généraux et pour partie divergents : l’organisation doit « permettre le bon exercice de toutes les missions » ; favoriser les « synergies » mais aussi la « lisibilité tant pour les donneurs d’ordres que pour les bénéficiaires externes » ; prendre en compte « le personnel en place et ses perspectives d’évolution » tout en aboutissant à des services « équilibrés du point de vue du volume des missions ».
16 Ce flou identifiable dans les textes est renforcé par l’absence de directivité dans la mise en œuvre, qui accroît les marges de manœuvre des responsables des échelons déconcentrés. Si un comité de pilotage national est bien prévu après 2008 pour traiter notamment « de l’ensemble des problématiques posées par la création des DREAL », l’instance se réunit peu et reste un lieu de partage d’informations sans rôle décisionnel. Ce que confirment les directeurs régionaux, dont les schémas organisationnels ne sont pas corrigés par les services centraux. Ceci vaut y compris en cas de désaccord, comme le souligne le préfigurateur de la DREAL de Rhône?Alpes, qui met en place un découpage initialement contesté de l’inspection des installations classées en plusieurs services : « Les critiques des administrations centrales ont été prises en compte, mais sans remise en cause des principes d’organisation locaux car elles venaient en fin de course. Le processus [de construction locale des DREAL] leur donnait finalement peu voix au chapitre. Par lui?même, il verrouillait un peu les choses et ne laissait pas beaucoup de place à la prise en compte de leurs réactions ». On peut également y voir un effet de la restructuration engagée en parallèle au niveau central, fortement consommatrice de temps, tout comme l’a été la conduite du Grenelle et de ses suites en 2008 et 2009.
17 Suivis à distance par l’administration centrale, les préfigurateurs ne se sentent pas davantage contraints par leurs préfets de région respectifs qui, une fois le processus lancé et le calendrier arrêté, montrent un intérêt limité pour la question de l’agencement des futurs services. Si la crainte d’un directeur général endossant le rôle d’un « préfet vert » est évoquée à l’occasion lors des entretiens avec les directeurs régionaux de l’écologie, ceux?ci ne mentionnent pas d’interventions, sauf marginales ou formelles, dans les choix d’organisation défendus par les équipes de direction. Enfin, l’affichage central du développement durable comme principe structurant la réorganisation administrative est de peu d’aide : l’imprécision du concept n’offre que des ressources et un cadre limités pour dessiner un organigramme et rapprocher des enjeux et des bureaux. Comme le note un chef de service, « [le développement durable] on voit bien que ça va devenir le cœur des métiers, qu’il faut y aller, mais on ne sait pas par quel bout le prendre ». Il en va de même du Grenelle de l’environnement qui n’est pas encore achevé au moment où se dessinent les grandes lignes de la fusion.
18 L’absence de cadre pour penser la restructuration des services ne relève pas seulement d’une dissociation des fonctions de pilotage et de mise en œuvre. Elle peut aussi se voir comme un choix délibéré : l’effacement relatif de l’administration centrale laisse le champ libre aux préfigurateurs sur les aspects organisationnels et humains, permettant le respect du calendrier de fusion et de mutualisation des moyens, qui demeure l’objectif principal. Le fait que la réorganisation fasse l’objet d’une simple circulaire est révélateur de cette autonomie laissée aux échelons locaux. Les directeurs régionaux considèrent donc avoir carte blanche pour construire la structure fusionnée. Comme le dit l’un d’eux : « Il y avait très peu de directives. La circulaire [du 15 mai 2008], elle était très faible, elle ne disait pas grand?chose, à part que les DREAL allaient porter les missions du MEDD [...] Il y avait bien des orientations stratégiques, mais la traduction opérationnelle sur le terrain était quand même laissée à l’appréciation des préfigurateurs DREAL ».
Les formatages régionaux de l’administration du développement durable
19 Si les DREAL sont mises en place globalement selon les échéances fixées par le gouvernement, leur étude comparée révèle une appropriation différenciée des recommandations relatives à leur architecture interne. Le calendrier officiel de fusion des services est en effet bien respecté dans toutes les régions, seule la première vague affichant un retard limité avec neuf DREAL installées entre mars et juillet 2009. Le temps nécessaire à leur conception et mise en place est conforme à la durée imposée par le MEDD, soit une année, quelle que soit la taille du service qui peut varier de 100 agents (Corse) à 750 (Rhône?Alpes). Les échéances fixées par la circulaire de mai 2008 pour chaque étape sont également tenues : l’organigramme détaillé des nouvelles directions est conçu, discuté et produit en six à sept mois ; les services sont installés en quatre à cinq mois, ceci incluant le processus de réaffectation de l’ensemble des agents.
20 Le constat diffère s’agissant de l’organisation interne des services. La mise en œuvre n’est pas uniforme et se traduit par des choix de formatage propres à chaque région. En particulier, c’est l’attention portée à l’un ou l’autre des objectifs énoncés dans la circulaire de mai 2008 qui introduit de la variation : certains privilégient le mélange des services antérieurs, la recherche de synergies et l’intégration affichée des administrations de protection et de développement ; d’autres conservent les découpages et métiers existants en préservant la cohérence et la lisibilité des entités créées. Ceci apparaît au travers de l’analyse des organigrammes détaillés des vingt?et?une DREAL, élaborés entre 2008 et 2010 [15]. Ces documents renseignent sur le découpage des services et peuvent être vus comme des traceurs fiables du formatage à l’œuvre, permettant une comparaison systématique de la division du travail administratif et de son évolution [16]. Le tableau n° 1 met en évidence un gradient au sein des DREAL : les services dits « métiers » (en charge de politiques publiques, hors support) associant des personnels de plusieurs ministères varient de deux à six selon les cas. Les architectures institutionnelles ne traduisent donc que partiellement et à des degrés divers le principe gouvernemental de non?juxtaposition des structures antérieures : on ne trouve qu’une région dans laquelle tous les services sont le produit d’une hybridation interministérielle (Poitou?Charentes) ; le pourcentage de services mélangés varie selon les DREAL de 60 % (Champagne?Ardennes) à 85 % (Rhône?Alpes) [17].
21 Au?delà de ce premier constat, l’étude des configurations de services permet aussi de caractériser les articulations opérées entre bureaucraties ministérielles à l’occasion de la fusion régionale. Ce faisant, elle éclaire les contours de l’administration du développement durable en voie de construction et la diversité de ses incarnations locales. Pour cela, nous avons distingué deux groupes de services fusionnés selon la finalité des rapprochements opérés.
22 Dans le cas des fusions intrasectorielles (colonne 4), les services associent des entités travaillant au sein d’un même secteur et visent d’abord la mise en commun de moyens sur des missions proches. La quasi?totalité des DREAL recourt à ce type de fusion dans le domaine des transports en associant les unités chargées de l’homologation des véhicules, de la surveillance des centres de contrôle technique (origine DRIRE) et celles contrôlant les transports routiers (origine DRE). Si ce type de service peut se voir assigner des missions liées aux infrastructures, à la planification des déplacements ou la promotion de l’intermodalité, il n’intègre pas de divisions administratives en charge d’intérêts potentiellement concurrents avec ceux du développement des transports ou des infrastructures (protection de la nature, eau, sites et paysages, etc.). Un autre exemple de ce type de fusion intrasectorielle, largement retenu par les DREAL (15 sur 21), concerne le domaine des risques, rapprochant la gestion de ceux d’origine industrielle (DRIRE) et naturelle (DIREN) avec des gains espérés du fait de la similitude de certaines procédures, méthodologies et outils d’information. Les deux divisions restent cependant juxtaposées à l’intérieur des nouveaux services intitulés « prévention des risques ». La prépondérance de ce type de fusion intrasectorielle donne, au premier abord, une forte impression de continuité avec la situation administrative antérieure (Jamay, 2009) [18] dans la mesure où s’y reproduit une structuration « verticale », quasiment en miroir des grandes directions du ministère chargées de la prévention des risques, des transports et infrastructures [19].
23 Cette impression est toutefois à nuancer par la prise en compte des services que nous caractérisons comme « intégrateurs » (colonne 5) dont la logique de construction est différente : soit qu’ils associent des agents de plusieurs origines ministérielles devant réaliser des compromis entre des intérêts ou des objectifs pouvant être en conflit dans des domaines liés (énergie et climat ; infrastructures, transports et nature ; paysages ; barrages et milieux aquatiques ; etc.) ; soit qu’ils aient un rôle spécifiquement transversal (connaissance et évaluation environnementale [20]). Ils sont donc plus directement conformes au projet du gouvernement consistant à rationaliser l’action publique par une gestion plus administrative que politique des situations de conflits d’objectifs associés au développement durable.
24 De ce point de vue, les configurations régionales apparaissent encore plus contrastées : d’un seul service « intégrateur » (dans les régions Auvergne, Haute? Normandie, Champagne?Ardenne, Aquitaine, Basse?Normandie et Corse) à trois (Poitou?Charentes) voire quatre (Rhône?Alpes, Midi?Pyrénées). Si on regarde la partie basse du tableau, on note une approche qui cantonne les recompositions au seul service chargé des domaines « climat, air et énergie » et souvent « construction » (maîtrise énergétique des bâtiments), incluant parfois le logement ou certains aspects des transports. À l’inverse, les DREAL du haut du tableau traduisent structurellement la prise en compte du développement durable par la création de services articulant des entités potentiellement concurrentes. Ceux?ci concernent, outre l’unité « climat?énergie » déjà évoquée, des services en charge de l’évaluation et de la connaissance environnementale et une série de rapprochements plus originaux associant, par exemple, développement des infrastructures et protection des sites et paysages (Rhône?Alpes) ou pollutions industrielles et milieux aquatiques (Poitou?Charentes, Nord?Pas?de?Calais). La tendance au maintien de trois grandes entités de métiers (transports, risques, nature et sites) est ainsi contrebalancée, dans le panorama général, par des choix structurels qui viennent battre en brèche, au moins partiellement, le modèle administratif vertical des « tuyaux d’orgues » ou des « silos ».
La prise en charge régionale du mécano institutionnel
25 La variabilité des architectures des DREAL doit être mise en relation avec l’engagement des cadres supérieurs (directeurs et chefs de service) dans le travail de conception de la direction et avec l’orientation particulière qu’ils lui donnent régionalement. Parce qu’ils sont directement intéressés au changement, les cadres sont aussi moins incités à jouer sur les registres de la « résistance de principe » (Bonelli et Pelletier, 2010) ou de « l’altération politique » (Linhardt et Muniesa, 2011) que sur celui de l’ajustement pratique des moyens dont ils disposent et des fins qui leur sont assignées.
26 Cette stratégie associant enrôlement et empowerment se retrouve dans la plupart des réformes administratives des pays européens (Eymeri?Douzans, 2008, 115?140). Elle vise en premier lieu le préfigurateur et futur directeur qui est fait « pilote en chef » au travers d’une délégation de pouvoir large, allant de la définition des modalités de travail à la construction de l’organigramme, en passant par la constitution de l’équipe chargée de la réorganisation et de la direction du futur service. Dans toutes les régions françaises étudiées, le préfigurateur tient un rôle prépondérant dans la conduite du processus, dans le formatage du service et dans les arbitrages entre les différents scénarios de fusion élaborés par ses équipes. Il compose également l’équipe de préfiguration en choisissant les animateurs des groupes thématiques chargés d’identifier les synergies et les convergences possibles, ainsi que les préfigurateurs et futurs responsables de chaque service DREAL. Cette équipe puise en général dans les trois administrations d’origine et relaie les points de vue et les intérêts de leurs membres, qu’il s’agisse de la forme donnée aux nouveaux services ou des nominations à leur tête. Un ex?directeur régional de l’équipement conçoit ainsi son rôle face au préfigurateur de la DREAL (et ex?DRIRE) : « Apporter ma connaissance des sujets équipements en veillant à ce qu’ils ne soient pas trop maltraités dans l’organigramme et puis, si besoin, être le défenseur des agents, à commencer évidemment par les cadres, pour veiller à ce qu’il y ait bien une égalité de traitement entre les trois origines ».
27 Ce mécanisme local de représentation des intérêts de chaque « maison » ministérielle et des corps associés sert le préfigurateur qui peut ainsi « capter les demandes » et procéder à une gestion fine des nominations aux postes de responsabilité de la future DREAL. La forme de l’organigramme découle en partie de la nécessité de satisfaire les agents d’encadrement des trois directions, c’est?à?dire leur trouver un poste avec un niveau de responsabilité au moins équivalent à celui de la fonction occupée avant la fusion, alors même que celle?ci a pour effet mécanique de supprimer des chefs de services. Le souci de ne « frustrer personne » et de ne pas nourrir d’opposition à la réforme est au cœur d’une méthode qui se veut « pragmatique ». Les préfigurateurs peuvent aussi mobiliser différents « artifices » à cette fin qui modifient à la marge l’architecture d’ensemble et sont souvent appelés à disparaître à moyen terme : attribution de fonctions honorifiques ou création de postes d’adjoint supplémentaires, création de missions rattachées au directeur pour des cadres « A+ » sans affectation, etc.
28 L’autonomie offerte par l’administration centrale fait de la restructuration un processus dans lequel les principaux cadres et responsables sont poussés à s’engager pour défendre les intérêts qu’ils portent, qu’ils soient collectifs, de corps ou personnels. La mise en œuvre de la fusion s’apparente à l’ouverture d’une fenêtre d’opportunité qui, sur un temps court, incite les personnels associés au travail de préfiguration et les agents les moins en phase avec les finalités de la Révision générale des politiques publiques à s’en préoccuper. Beaucoup donc « jouent le jeu » de la fusion, y compris en proposant options et scénarios de réforme. Les motivations sont multiples : assurer la reconnaissance institutionnelle de son activité, inscrire de nouvelles priorités dans l’organigramme, améliorer les capacités d’intervention et la cohérence d’une unité, prendre la direction d’un service ou simplement veiller à ne pas se faire imposer des décisions préjudiciables à sa carrière. Pour un ex?directeur d’une DRE, d’une DRIRE ou d’une DIREN non retenu comme directeur de la DREAL, les enjeux peuvent être de maintenir une position d’influence dans la structure, mais aussi de placer ses chefs de service dans le nouvel organigramme. Pour l’encadrement intermédiaire, il s’agit souvent de garder une chaise au comité de direction, mais aussi de défendre les agents et s’assurer qu’ils disposeront des moyens et des conditions adéquates pour remplir leurs missions, dans un contexte de restriction budgétaire. Cette association de risques et d’opportunités favorise les actions et les logiques individuelles, qui peuvent s’articuler avec des solidarités de services.
29 Cette ouverture sélective du processus de fusion a également pour effet de désamorcer les critiques des personnels et d’affaiblir les oppositions, en particulier d’origine syndicale. Aucune mobilisation d’envergure ne vient bloquer les fusions régionales, malgré un contexte national propice à la mise en cause des réformes liées à la Révision générale des politiques publiques, notamment au sein des instances paritaires du MEDD [21]. La Picardie illustre cette faible combativité des personnels et le peu de difficultés posées par la création de la DREAL. Un rapport d’audit souligne que si les syndicats ont trouvé « l’exercice précipité » et s’inquiètent du « volume important de la DREAL », ils se « réjouissent » malgré tout de la reprise de la réforme après le « long atermoiement de la fusion projetée DRIRE?DIREN ». La rapidité d’exécution, la possibilité donnée à une majorité d’agents de se maintenir dans leur poste sans trop de perturbations et l’absence de contrainte de déplacement géographique important réduisent les réactions d’opposition. Elles rendent finalement possibles des restructurations pourtant mal vécues par une grande partie du personnel d’exécution et de production de la fonction publique, notamment les catégories B et C (Martinais, 2012) [22].
Ressources locales et capacité au changement
30 Les écarts que l’on observe entre les fusions régionales découlent également du fait que les configurations locales ne sont pas équivalentes sous le rapport des ressources humaines et organisationnelles disponibles. Ce facteur explique notamment que l’origine ministérielle des directeurs ne détermine pas directement les choix globaux de réorganisation. Le tableau n° 1 montre une absence de corrélation entre l’origine du directeur et le nombre de services « intégrateurs », ce qui ne permet pas de faire de la formation, du parcours et du corps d’appartenance des critères déterminants.
31 La capacité variable des organisations existantes à absorber le changement apparaît nettement à l’examen des fusions picardes et rhônalpines. Dans le premier cas, les ressources à disposition sont structurellement limitées et ne favorisent pas l’émergence d’un projet de rupture. De fait, la réorganisation est marquée par la préférence donnée à la stabilité des communautés de travail par secteur, plutôt que de promouvoir la mixité et l’hybridation. La stratégie de réforme telle qu’on a pu la reconstituer vise à éviter une restructuration lourde à des services qui doivent faire face à la faible attractivité de la région pour les personnels. En Picardie, les préfigurateurs doivent compter avec deux caractéristiques des ressources humaines : une vacance de poste importante dans les unités opérationnelles (de 10 à 15 % selon une estimation locale) et un personnel d’encadrement jeune et fréquemment renouvelé (premiers postes de sortie d’école). Ces traits sont pour partie des atouts, du fait de la plus grande adaptabilité des jeunes recrues et d’un moindre attachement aux structures et façons de faire préexistantes. Mais cela entraîne aussi une plus faible capacité à gérer des situations complexes et le besoin de repères clairs.
32 Cette double contrainte en matière de ressources humaines pèse sur l’activité des services et joue un rôle central dans la décision de ne pas opérer certains regroupements pourtant suggérés par l’administration centrale. C’est le cas des bureaux chargés de la gestion des risques industriels et naturels qui sont maintenus séparés, du fait d’effectifs trop limités pour le second (un seul agent). La formation de communautés de travail associant des origines professionnelles différentes est ainsi limitée aux missions nouvelles, étroitement liées aux thématiques centrales du développement durable promues au niveau national (énergie, climat, connaissance environnementale, contrôle des plans et programmes). La logique d’hybridation a peu de prise sur les secteurs déjà constitués comme la gestion de la nature, des infrastructures et des transports, où prédomine la filiation avec les divisions ministérielles et la recherche de synergies (transports?véhicules) plus que l’intégration entre unités concurrentes. L’accent est mis sur l’avantage de préserver « la chaîne complète » des activités d’administration d’un secteur et la lisibilité pour les acteurs socio?économiques de celui?ci.
33 À l’opposé, le contexte humain rhônalpin agit plutôt comme un atout dans la main du préfigurateur qui lui permet de rechercher une intégration organisationnelle plus systématique : personnels expérimentés, vacance quasi nulle et effectifs conséquents dans toutes les unités opérationnelles. Ces marges de manœuvre autorisent une attitude volontariste de création d’une administration du développement durable « innovante », en rupture avec les structures et modes de fonctionnement antérieurs. La fusion proposée en Rhône?Alpes valorise la « transversalité », le « mélange des cultures » et les « synergies » entre services, qu’elle envisage comme autant de solutions aux problèmes « mortifères » posés par le cloisonnement des filières et les architectures « en tuyaux d’orgue [23] ». Ce projet de réorganisation est soutenu par les cadres dirigeants des services d’origine, mais doit aussi aux conceptions réformatrices du préfigurateur et à sa vision critique du fonctionnement de l’administration de l’environnement, notamment ses cloisonnements. Ses idées sur l’administration du développement durable ont été forgées dans des précédents postes et renforcées par son action au ministère [24]. Elles se retrouvent mises en forme dans un organigramme visant explicitement la « fertilisation croisée des cultures » par décloisonnement.
34 L’architecture adoptée répond à deux intentions principales : « casser » les habitudes de travail des agents et leur imposer la transversalité par une forme organisationnelle rendant incontournable la collaboration. Pour cela, une première voie choisie consiste à organiser le tarissement des services purement « métiers », puis à transférer le surplus créé dans des services plus transversaux rendus assez puissants pour peser sur le fonctionnement de l’organisation. Dans les mots du préfigurateur : « La stratégie, c’est d’enlever un peu de substance aux services d’origine, de sorte qu’ils soient obligés de se repositionner et de prioriser leurs actions (donc de rompre avec les routines dans le fonctionnement de leurs unités) et, d’autre part, de donner de la marge de manœuvre pour produire du neuf dans le champ notamment des politiques Grenelle à promouvoir. Et puis d’empêcher les gens de travailler en tuyaux d’orgue, de leur imposer la transversalité ». La seconde voie passe par des choix de restructuration visant à ouvrir et recomposer les collectifs administratifs, tel le groupe à forte cohésion des inspecteurs des installations classées, qui est éclaté entre deux services indépendants. De même, certains dossiers traditionnellement gérés par une seule unité sont attribués à plusieurs services, afin de les obliger à coopérer. Enfin, des unités nouvelles sont constituées à partir d’entités normalement séparées, voire opposées dans leurs valeurs. C’est le cas notamment du service « aménagement, paysages, infrastructures » : celui?ci associe une unité de l’ex?DIREN, dont la culture est marquée par les intérêts de la protection de l’environnement, à deux unités de l’ex?DRE portant les intérêts du développement local.
35 * * *
36 L’analyse des fusions réalisées à partir de 2008 dans les services régionaux du MEDD révèle des processus dépendants de leur mise en œuvre locale et engendrant des architectures institutionnelles sensiblement différentes. Fondés sur des conceptions non uniformes de ce que doit être l’administration du développement durable, les organigrammes des DREAL tracent plusieurs formatages possibles de cette administration émergente et pour certains introduisent des innovations non programmées par l’administration centrale. Si la restructuration laisse en place une organisation principalement verticale par grands secteurs d’intervention de l’État peu hybridés, certains domaines font l’objet de fusions originales, ceux?ci variant selon les régions.
37 Ces résultats soulignent aussi le caractère déconcentré de la restructuration de l’État : les responsables régionaux y jouent un rôle de coproducteurs de la réforme, bien plus que lors de réformes antérieures ayant touché l’administration de l’environnement. Dans cette configuration, le niveau central impulse le changement en se concentrant sur des objectifs gestionnaires, s’assurant de l’effectivité de la fusion et de la rationalisation des moyens par mutualisation des fonctions de supports. Une autonomie importante est laissée aux préfigurateurs régionaux et à leurs équipes en matière de design institutionnel, ce qui laisse suffisamment de marges de manœuvres pour mener à bien localement la réforme mais aussi pour inventer des services et des formats alternatifs. Conforme à l’image d’un « État stratège », cette conception du rôle de l’administration centrale mène celle?ci paradoxalement à se concentrer sur l’organisation du cadre gestionnaire et à transférer la responsabilité du design institutionnel et de l’innovation aux échelons dits d’exécution.
38 Cette fabrication déconcentrée a aussi pour conséquence notable que l’architecture institutionnelle s’adapte en partie au contexte local et à ses impératifs en matière de politique environnementale. Ce renversement du jacobinisme administratif, effet imprévu de la Révision générale des politiques publiques, peut s’interpréter comme un effet de la régionalisation de l’État particulièrement réaffirmée en 2007. Elle peut aussi se lire comme la manifestation d’une territorialisation en cours de l’administration du développement durable, pouvant faciliter un transfert de compétence au moins partiel aux collectivités régionales. Sans être à l’ordre du jour, cette option ne relève désormais plus de l’impensable [25], ce qui est sans doute un des effets les moins anticipés de la fusion.
Bibliographie
Références bibliographiques
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Notes
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[1]
Cet article a grandement bénéficié des remarques critiques et suggestions formulées par des responsables régionaux du ministère et deux évaluateurs anonymes de la présente revue, que nous tenons à remercier.
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[2]
Si un ministère du logement et de l’égalité des territoires a été créé, celui?ci partage avec le MEDD son secrétariat général et ses services déconcentrés.
-
[3]
Cinq directions générales regroupent les trente?cinq directions d’administration centrale préexistantes. Elles sont complétées par un secrétariat général et un commissariat général au développement durable chargé notamment des missions de connaissance, de prospective et d’information.
-
[4]
Ce regroupement des services déconcentrés fait disparaître les directions régionales de l’équipement (DRE), de l’environnement (DIREN) et les directions de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE). Les services de ces dernières sont partagés entre les DREAL et les DIRECCTE, relevant du ministère des finances.
-
[5]
La création du MEDD en constitue l’une des pièces maîtresses : elle est ainsi qualifiée emphatiquement de « big bang administratif » lors de sa présentation au premier Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP). Cf. compte rendu du CMPP du 12 décembre 2007, p. 34.
-
[6]
Pour une présentation d’ensemble du processus et des logiques à l’œuvre dans la Révision générale des politiques publiques, voir le n° 136 de la RFAP (2010). Pour une première analyse des effets au niveau départemental, soulignant les tensions et l’indétermination qui caractérise la réforme, voir Poupeau (François?Mathieu), « (Con)fusion dans l’État départemental : la mise en place des directions départementales des territoires (et de la mer) », Revue française d’administration publique, n° 139, 2011, p. 517?535..
-
[7]
La présente contribution s’insère dans le cadre d’une recherche plus globale portant sur les restructurations au MEDD qui sera présentée dans un ouvrage à paraître : Le développement durable. Une nouvelle affaire d’État. (Lascoumes,.Bonnaud, Le Bourhis et Martinais).
-
[8]
Cole (Alistair), Eymeri?Douzans (Jean?Michel), « Introduction : Administrative reforms and mergers in Europe – research questions and empirical challenges », International Review of Administrative Sciences, vol. 76, n° 3, 2010, p. 395?406. Les contributions de ce numéro restent cependant centrées sur le noyau central (core executive). Seule une étude de cas sur l’Espagne intègre les niveaux territoriaux.
-
[9]
Ces propos ont été tenus par Jean?François Monteils, ancien conseiller du Premier ministre puis secrétaire général du MEDD de 2010 à 2012, à l’occasion d’une conférence organisée par la section des études et du rapport du Conseil d’État (Paris, 22 avril 2013).
-
[10]
Cette partie de l’enquête (23 entretiens) a été menée en collaboration avec Laure Bonnaud et Pierre Lascoumes dans le cadre du projet MUTORG?ADMI financé par l’ANR. La partie relative à l’architecture institutionnelle du service a été intégrée à une grille plus large concernant le parcours et les conceptions des directeurs vis?à?vis de l’administration du développement durable. Nous avons nous?mêmes réalisé approximativement la moitié de ces entretiens de directeurs et 25 autres spécifiquement dans les régions Picardie et Rhône?Alpes.
-
[11]
La comparaison est particulièrement éclairante avec la création des Directions régionales de l’Environnement en 1991, dont l’organisation interne a fait l’objet d’intenses échanges entre ministères et cabinets durant une année.
-
[12]
Cette partie s’appuie sur la série d’entretiens réalisés avec les Directeurs régionaux préfigurateurs ainsi qu’avec des responsables de niveau national recueillis dans le cadre du projet MUTORG?ADMI. Elles ont été complétées par la consultation de documents relatifs à la conduite centrale de la fusion (séminaires de suivi).
-
[13]
Circulaire du Premier ministre du 15 mai 2008, relative à la réorganisation de l’échelon régional du ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire
-
[14]
CMPP, 12 décembre 2007, op. cit.
-
[15]
Nous avons procédé à une collecte exhaustive des organigrammes détaillés des DREAL (services, divisions, parfois bureaux), avec une comparaison avec les organigrammes antérieurs quand ceux?ci étaient disponibles. Ces informations ont été complétées par le recueil des commentaires des directeurs sur les choix opérés et d’autres documents (projets stratégiques des services, archives de la fusion pour quelques cas, sites internet des DREAL explicitant les missions et politiques conduites par division ou bureau).
-
[16]
Ce choix méthodologique laisse volontairement de côté les dispositifs visant à assurer la transversalité entre services (comités thématiques, équipes projets, procédures formelles de consultation, etc.).
-
[17]
Ceci s’entend au sens des structures et ne concerne pas les personnels, dont certains peuvent venir occasionnellement d’autres ministères.
-
[18]
Le constat avait été fait pour les réorganisations de DREAL de première vague.
-
[19]
Il faut ajouter à cette liste le domaine des ressources, eaux et milieux naturels qui, rarement fusionné, n’est pas représenté dans notre tableau. Les services correspondants sont directement issus des DIREN dans 17 régions sur 21 et y constituent une entité purement protectrice de l’environnement (nature, eau) et du patrimoine (sites et paysages).
-
[20]
Nous n’avons retenu dans le comptage que les services associant les deux dimensions de connaissance (ressources, milieux, territoires, etc.) et d’évaluation (notamment les missions relevant de « l’autorité environnementale »), ce qui permet une approche spécifique au service et l’émergence d’une identité propre. A contrario, les simples missions rattachées au directeur ont un statut plus précaire (certaines ayant d’ailleurs été créées pour des raisons de « recasage » interne).
-
[21]
Les mouvements sociaux les plus marqués s’opposent aux déplacements géographiques des agents (transfert de services ou de personnels à l’occasion de l’installation dans un bâtiment unique), aux changements de poste non souhaités ou à des nominations locales de chefs de service semblant désavantager tel ou tel corps.
-
[22]
Concernant le MEDD, l’effet mobilisateur du « Grenelle de l’environnement » ne semble pas avoir joué au?delà d’une période courte et du cercle réduit des cadres administratifs.
-
[23]
Les termes sont extraits des documents (projets de service, notes, rapports, comptes rendus de réunion) produits dans le cours de la fusion rhônalpine.
-
[24]
Le préfigurateur de la DREAL de Rhône?Alpes, ingénieur des Mines, se présente comme un modernisateur dans son propre corps. Au cours de sa carrière, il a réalisé le rapprochement expérimental DRIRE?DIREN en PACA (2005?2006), avant d’intégrer le cabinet du ministre de l’écologie et du développement durable (2007) pour préparer la réorganisation de l’administration centrale puis la fusion des services régionaux.
-
[25]
Elle a notamment été évoquée, avant d’être écartée, dans les réflexions accompagnant le processus de modernisation de l’action publique engagé courant 2012 par le gouvernement socialiste.