Couverture de RFAP_147

Article de revue

Chronique du secteur public économique

Pages 801 à 814

Notes

  • [1]
    Les Échos, 8 août 2013.
  • [2]
    Ibid.
  • [3]
    La « Chronique » du n° 146 de la Revue française d’administration publique avait déjà mentionné l’idée gouvernementale de cessions de participations publiques à l’état de projet.
  • [4]
    Portail du gouvernement, 2 août 2013.
  • [5]
    Cabinet du ministre de l’économie, communiqué du 30 juin 2013.
  • [6]
    Bruxelles, 10 juillet 2013, INT/699.
  • [7]
    L’entreprise privée japonaise Tepco, qui a construit et exploitait la centrale de Fukushima, défaillante dans la prévention et la gestion de la catastrophe, a du être nationalisée. Elle ne parvient toujours pas à maîtriser les conséquences de l’accident.
  • [8]
    Interview du Premier président de la Cour des comptes, Le Monde, 1er février 2012
  • [9]
    Le Monde, 14 février 2012.
  • [10]
    Le Monde du 19 juillet 2013 intitule un article « Fessenheim ne sera pas fermée pendant le quinquennat », « EDF n’ayant pas encore lancé un processus d’arrêt définitif de la centrale, qui s’avère techniquement, juridiquement et financièrement complexe », pour de multiples raisons que développe l’article.
  • [11]
    EDF a inauguré en Corse en juin la première centrale hydroélectrique construite en France depuis 20 ans.
  • [12]
    Voir note 11.
  • [13]
    Ainsi par exemple la Cour a calculé un coût de production stricto sensu de 60 à 68 euros pour l’éolien terrestre et de 105 à 164 euros pour l’éolien maritime.
  • [14]
    Elle était prévue dans une première version de l’arrêté (voir Le Figaro, 11 juillet 2013).
  • [15]
    Le Monde, 31 juillet 2013.
  • [16]
    Japan Airlines a été en faillite en janvier 2010, et ne fut sauvée que par une considérable injection de capitaux par un organisme public, le licenciement de 16 000 salariés et la suppression de nombreuses liaisons, mais la compagnie a pu ainsi redevenir bénéficiaire et même être a nouveau cotée en bourse en septembre 2012.
  • [17]
    Iberia, qui avait été reprise par British Airways, a décidé fin 2012 une réduction de 22 % de ses effectifs, de fortes diminutions de salaires et des réductions d’activités.
English version

I – Aspects généraux

La stratégie de l’État actionnaire dans un contexte de crise économique:

1 Un arbitrage délicat doit être opéré par les pouvoirs publics entre les cessions de certaines participations au capital des entreprises publiques pour financer les investissements et éventuellement le désendettement et leur maintien dans le portefeuille de l’État en raison des distributions de dividendes qu’elles sont en mesure d’effectuer. En raison des fluctuations des cours de bourse, le cours des participations cotées ne permet pas aisément de calculer avec rigueur le montant des recettes que l’État pourrait percevoir d’une nouvelle opération de privatisation. Le ministre de l’économie, confronté à cette option a précisé les nouveaux contours de la stratégie de l’État actionnaire.

L’option dividendes ou cessions de participations

2 Au cours de clôture du 6 mai 2013, le portefeuille des participations de l’État détenues par l’Agence des participations, par le Fonds Stratégique d’Investissement et par la Caisse des Dépôts s’élevait à 63,26 milliards d’euros. Avec les quatre plus fortes hausses du CAC 40 concernant EDF, EADS, Renault et Safran, la valeur de ce portefeuille atteignait 71,8 milliards d’euros au 1er août 2013, en hausse de 20 % par rapport au mois de juillet et de 29 % sur six mois [1]. Les résultats semestriels publiés en juillet sont venus conforter la bonne opinion des marchés pour la plupart des entreprises concernées. EADS, Safran et Thales avancent des performances solides et des carnets de commande bien remplis. Au total, la valeur des participations de l’État immédiatement cessibles sans modification du cadre législatif du seuil de ces participations, s’établit d’après la presse économique d’août 2013, à 25 milliards d’euros.

3 De telles sommes peuvent donner à réfléchir compte tenu des difficultés budgétaires actuelles et du niveau de l’endettement public en sorte que l’arbitrage entre le maintien des participations et la collecte des dividendes méritait les précisions qui ont été apportées par le ministre de l’économie et des finances. Malgré l’atonie de la croissance économique, les dividendes susceptibles d’être versés par les entreprises dans lesquelles l’État détient des participations sont particulièrement élevés et bien au delà des 4,5 milliards de l’an dernier [2]. EDF devrait ainsi reverser aux caisses publiques 1,95 milliards d’euros (+8,6 % en un an). Même tendance dans d’autres entreprises : 208 millions d’euros en provenance de la SNCF ; 171millions d’euros versés par La Poste.

4 Le taux de distribution retenu par l’État traduit une augmentation sensible de la part qu’il s’attribue sur le montant total des dividendes. Ainsi à La Poste ce taux est passé de 30 à 35 %. Plafonné à 50 % à Aéroports de Paris, le taux de distribution culmine désormais à 60 %. Les syndicats apprécient peu cette évolution et considèrent que l’État se comporte exactement comme les actionnaires privés. Pour l’ensemble des entreprises dont l’État est actionnaire, le taux de distribution culmine à 77,6 %, alors qu’il s’établit en moyenne autour de 50 % dans les sociétés du CAC 40. Se priver des dividendes des entreprises à participations publiques exigerait donc de l’État de véritables sacrifices, d’autant que ces prélèvements s’accompagnent souvent de demandes d’avance (Monnaie de Paris a ainsi effectué une avance de 37 millions d’euros sur sa trésorerie en 2012 en plus des 9 millions d’euros de dividendes) ou de demandes de reversement des fonds de roulement.

Précisions ministérielles sur la stratégie de l’État actionnaire

5 Le ministre de l’économie et des finances et le ministre du redressement productif ont présenté le 2 août 2013 une communication sur la modernisation de l’État actionnaire orientée vers le souci de clarifier la présence directe de l’État au capital des entreprises publiques et de l’adapter aux objectifs recherchés. La présence de l’État au capital des entreprises jouant un rôle stratégique pour l’intérêt national, en tant qu’investisseur avisé à long terme doit donc contribuer à protéger les intérêts économiques et patrimoniaux du pays en veillant à la mise en œuvre d’une stratégie économique, industrielle et sociale exemplaire, garante de la préservation sur le territoire national des emplois et des compétences et accompagnant leur croissance et leur développement.

6 Concrètement, les ressources publiques en capital pour financer l’investissement doivent pouvoir être mobilisées sans recourir à l’endettement, au service de nouveaux acteurs économiques porteurs de projets innovants et structurants pour le pays et, le cas échéant, au service d’interventions défensives. À cette fin, l’État pourra envisager de réduire les niveaux historiques de participation publique dans certaines entreprises, dès lors que le niveau de contrôle ou d’influence de l’État actionnaire n’en serait pas significativement affecté ou que d’autres instruments permettraient d’atteindre les objectifs recherchés et que de telles opérations seraient patrimonialement avisées [3]. Les récentes cessions de titres de l’État au capital de Safran (3,1 %), d’EADS (3,7 %) et d’Aéroport de Paris (opération décrite ci après, 9,5 % conjointement avec le Fonds stratégique d’investissement) s’inscrivent dans cette stratégie et ont permis de dégager 1,9 milliard d’euros de ressources [4].

7 L’État n’entend par ailleurs pas bouleverser la dimension de son portefeuille de participations. L’intervention directe de l’État centrée sur les participations, le cas échéant majoritaires, dans les grandes entreprises avec un horizon de détention très long, sera complémentaire de celle de Bpifrance (ex Fonds stratégique d’investissement), qui privilégie une détention minoritaire avec un horizon à moyen et long terme.

8 Au‑delà, l’État actionnaire doit continuer à promouvoir une gouvernance exemplaire dans les entreprises à participations publiques, comme l’a illustré la décision prise l’an dernier de plafonner la rémunération des dirigeants mandataires sociaux dans les entreprises où l’État est actionnaire majoritaire. Dans cette optique, l’État devrait s’efforcer de mieux distinguer son rôle d’actionnaire de ses autres fonctions telles qu’État client ou régulateur. Dans cette optique, une réflexion sera engagée sur la modernisation du cadre juridique applicable à l’État actionnaire, afin de lui permettre de disposer d’une capacité d’influence rénovée et clarifiée aux assemblées générales et dans les instances de gouvernance des sociétés dont il détient des participations. Un Comité stratégique de l’État actionnaire devrait être constitué auprès de l’Agence des participations afin de préciser la doctrine de l’État actionnaire et de l’adapter aux évolutions. Un Comité des nominations devrait également y être associé afin d’apporter un éclairage sur le choix des dirigeants.

Illustration : cession d’une participation au capital d’Aéroports de Paris

9 Cette opération s’inscrit dans la politique de gestion active des participations de l’État définie par le gouvernement qui doit permettre de préserver les intérêts patrimoniaux et stratégiques de l’État tout en dégageant des ressources en fonds propres pour de nouveaux secteurs porteurs de développement économique. À l’issue du processus annoncé le 30 mai 2013 par le ministre de l’économie et des finances et lancé le 8 juin par la publication du Cahier des charges de l’opération, l’État et le Fonds stratégique d’investissement ont conjointement décidé d’allouer 4 757 291 actions (soit 4,81 % du capital d’Aéroport de Paris) à Crédit Agricole Assurances/Predica et 4 643 968 actions (soit 4,69 % du capital d’Aéroport de Paris) au groupe VINCI, au prix unitaire de 78,5 euros par action.

10 Conformément au Cahier des charges, les acquéreurs se sont engagés à conserver ces titres pendant une période minimale d’un an et à ne pas dépasser le seuil de participation de 8 % du capital pendant une durée de cinq ans. Ils pourront chacun bénéficier, au plus tard à l’assemblée générale des actionnaires qui se tiendra en 2014, d’un siège au conseil d’administration de la société, aux côtés de l’État qui y dispose de six représentants et de N.V.Luchtaven Schipol, société gestionnaire de l’aéroport d’Amsterdam Schipol, qui y dispose de deux représentants. Conformément à la loi n° 2005‑357 du 20 juillet 2005, relative aux aéroports, l’État conserve à l’issue de cette opération la majorité du capital d’Aéroport de Paris avec une participation de 50,63 %. L’opération a permis de dégager un produit de cession total de 738 millions d’euros dont 303 pour l’État et 435 pour le Fonds stratégique d’investissement [5].

Le CESE et la réforme des entreprises publiques

11 Le Comité européen économique et social de l’Union Européenne vient de demander à la Commission et au Parlement européen de lancer une évaluation approfondie des entreprises d’État dont l’efficacité et la compétitivité ne font dans la plupart des cas l’objet d’aucun contrôle. Cette demande a pris la forme d’un Avis du Comité européen économique et social sur « Le potentiel inexploré de la compétitivité de l’Union Européenne : la réforme des entreprises publiques » [6]. Cet Avis avait été demandé le 15 avril 2013 par le vice ministre Lituanien des affaires étrangères, au nom de la future Présidence Lituanienne du Conseil. Il a pour objet d’éclairer les instances européennes sur la contribution spécifique que les entreprises publiques peuvent apporter à la compétitivité de l’Union. Il s’inscrit dans le cadre des Traités qui donnent un large pouvoir discrétionnaire aux États membres quant à la définition, à l’organisation et au financement de leurs services d’intérêt général. Ils donnent également compétence aux États membres quant au choix et au statut des entreprises en charge de l’exécution de leurs missions de service public.

12 La définition des entreprises publiques en droit communautaire résulte de la directive 80/723 de la Commission du 25 juin 1980, relative à la transparence des relations financières entre les États membres et leurs entreprises publiques. Selon ce texte, les entreprises publiques sont les entreprises dans lesquelles : « les pouvoirs publics peuvent exercer directement ou indirectement une influence dominante du fait de la propriété, de la participation financière ou des règles qui la régissent. L’influence dominante est présumée lorsque les pouvoirs publics, directement ou indirectement à l’égard de l’entreprise :

13 — détiennent la majorité du capital souscrit de l’entreprise, ou

14 — disposent de la majorité des voix attachées aux parts émises par l’entreprise, ou

15 — peuvent désigner plus de la moitié des membres de l’organe d’administration de direction ou de surveillance de l’entreprise ».

16 Tous les pays européens ont dans leur histoire, créé des entreprises publiques, soit directement soit indirectement, soit en nationalisant ou en municipalisant des entreprises privées. Parmi les entreprises publiques qui évoluent dans un environnement libéralisé et concurrentiel figurent en premier lieu les industries de réseaux (électricité, gaz, communications électroniques, transport, postes), dont l’accessibilité et la fourniture continue, de bonne qualité et à un prix abordable, sont indispensables non seulement pour les citoyens mais également pour une grande partie des entreprises privées. Dés lors elles jouent un rôle fondamental pour l’économie nationale et la compétitivité globale d’un état membre.

17 Le Comité européen économique et social émet donc l’avis que soit développée une dynamique progressive de l’évaluation des performances de ces entreprises et que soit élaboré un statut d’entreprise publique européenne qui pourrait être particulièrement adapté pour les grands réseaux d’infrastructures transeuropéens en matière d’énergie ou de transport.

La décision du Conseil Constitutionnel 2013‑336 QPC du 01 août 2013 relative à la participation des salariés aux résultats de l’entreprise dans les entreprises publiques

18 Le Conseil constitutionnel a été saisi le 10 juin 2013 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Natixis Asset Management, concernant la conformité à la constitution, de l’article 15 de l’ordonnance 86‑1134 du 21 octobre 1986 et du premier alinéa de l’article L 442‑9 du code du travail dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 31 décembre 2004. L’ordonnance en question prévoit pour les entreprises de plus de 100 salariés (seuil abaissé à 50) un intéressement et une participation aux résultats de l’entreprise. Les dispositions contestées de l’article 15 de cette ordonnance, renvoient à un décret le soin de déterminer d’une part, les entreprises publiques et les sociétés nationales soumises à cette disposition et d’autre part la fixation des modalités de cette application. Cet article a été repris par le premier alinéa de l’article L 442‑9 du code du travail.

19 La Cour de cassation a jugé qu’une personne de droit privé, ayant pour objet une activité purement commerciale et qui n’est ni une entreprise publique ni une société nationale, peu important l’origine du capital, n’entre pas dans le champ d’application du décret auquel renvoie l’article 15 de l’ordonnance et doit être soumise aux dispositions relatives à l’intéressement et à la participation des salariés. La société requérante soutenait que les dispositions contestées, telles qu’interprétées par la Cour de cassation, portaient atteinte à la garantie des situations légalement acquises et étaient contraires au principe d’égalité devant la loi et les charges publiques.

20 Le Conseil constitutionnel a écarté ces griefs et jugé que l’interprétation de la notion « d’entreprise publique », figurant à l’article 15 de l’ordonnance de 1986 par la Cour de cassation, n’a pas porté atteinte à une situation légalement acquise. En revanche, le Conseil Constitutionnel a soulevé d’office le grief tiré de la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence. Il a relevé qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur avait « soustrait » les entreprises publiques à l’obligation d’instituer un dispositif de participation des salariés aux résultats de l’entreprise. Dans le même temps le législateur s’est borné à renvoyer au décret le soin de désigner celles des entreprises publiques qui y seraient néanmoins soumises. Il s’est ainsi abstenu de définir le critère en fonction duquel les entreprises publiques sont soumises à cette obligation en ne se référant pas par exemple, à un critère fondé sur l’origine du capital, la nature de l’activité ou l’influence prépondérante exercée sur les organes de gestion. Il n’a pas encadré le renvoi au décret et a conféré au pouvoir réglementaire la compétence pour modifier le champ d’application de la loi. Le Conseil constitutionnel a donc jugé qu’en reportant ainsi sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi, le législateur avait méconnu l’étendue de sa compétence.

21 Cette méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence dans la détermination du champ d’application de l’obligation faite aux entreprises d’instituer un dispositif de participation des salariés à leurs résultats affecte par elle‑même la liberté d’entreprendre. Le Conseil a donc déclaré contraire à la Constitution le premier alinéa de l’article 15 de l’ordonnance du 21 octobre 1986 devenu le premier alinéa de l’article L 442‑9 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 2004, mais sans effet rétroactif (considérant 22).

II – Électricite de France et les prix des énergies

22 La « Chronique » du numéro 146 de la Revue française d’administration publique avait consacré un important développement au thème « la gestion et les résultats en contexte concurrentiel d’EDF et de GDF‑Suez ». Mais il n’avait pu qu’évoquer les problèmes que pose, en particulier à EDF, les prix des énergies. Or cette question a été mise au premier plan de l’actualité pour plusieurs raisons.

23 Un rapport de la Cour des comptes publié le 31 janvier 2012 avait déjà fait faire un pas décisif aux débats sur les coûts de l’énergie thermonucléaire. Il énonçait en effet un prix du mégawatt heure nucléaire de 49,5 euros, largement plus élevé que les évaluations antérieures car incluant tous les coûts prévisibles, et que le prix de vente de 42 euros imposé à EDF en faveur de concurrents, dit de l’Accès réglementé au nucléaire historique (ARENH) à la suite d’un rapport antérieur de spécialistes. Aux coûts d’exploitation et de maintenance (10,7 milliards d’euros en 2010), la Cour ajoute l’amortissement des coûts passés de construction (188 milliards d’euros), et des coûts futurs de démantèlement et de gestion du combustible usé (79,4 milliards d’euros). Elle souligne en outre les incertitudes qui peuvent aboutir à augmenter ces coûts, du fait de dépenses « post‑Fukuschima » [7] ainsi que de démantèlement et de traitement des déchets.

24 Mais elle constate que la nécessité de prolonger l’exploitation des réacteurs au‑delà de quarante ans résulte déjà d’une « décision implicite » [8] par absence de décision d’investissement de remplacement de ceux qu’il faudrait arrêter dans les prochaines années (22 réacteurs sur 58 atteindront 40 ans d’ici 2022). Ce choix implicite a le mérite d’éviter d’énormes investissements de remplacement, qu’un rapport d’une commission remis en février 2012 au ministre de l’industrie de l’époque évaluait à 100 milliards d’euros [9], ainsi qu’une forte montée des prix de l’électricité et de la pollution qu’imposerait, comme l’Allemagne en fait l’expérience (voir ci‑après), un abandon même progressif du nucléaire, qui assure en France 74 % de la production d’électricité, et 80,4 % de celle d’EDF. La seule fermeture annoncée par le président de la République, celle de Fessenheim, a fait l’objet de la nomination d’un délégué interministériel et pourrait figurer dans une loi de programmation de l’énergie à l’étude, bien que très controversée (voir Chronique précédente), du fait de son coût, du fait que l’Autorité de sûreté nucléaire a jugé que les réacteurs sont « aptes à être exploités pour une durée de dix années supplémentaires » et enfin que les travaux de renforcement correspondants qu’elle a demandés à cet effet sont en cours [10].

25 Un autre point d’actualité a été le dérapage successif des coûts de la construction de la centrale de type EPR de Flamanville, passés de 3,3 milliards d’euros au lancement en 2005 à 8,5 milliards d’euros, créant le risque d’un doublement du prix de revient évalué au départ à 46 euros par mégawatt‑heure. L’ENEL italienne, qui avait une participation de 12,5 % dans le projet, s’en est même retirée. Les déboires constatés seraient liés plus à des problèmes de conception que d’exécution, du fait de difficultés de maîtrise, ce que paraît corroborer l’avancement normal du programme des centrales EPR en cours de construction en Chine. EDF insiste aussi sur l’aspect « surcoûts d’un premier de série », qui s’amortira ensuite.

26 D’abord elle a prévu un redressement du taux de disponibilité des centrales nucléaires, repassé au dessus de 80 % en 2012, avec un objectif de 85 % en 2015, sauf effet de travaux de prolongation de la durée de vie des centrales. Et surtout les coûts de l’électricité d’origine nucléaire, globalement inférieurs à 50 euros par MWH, resteront largement et souvent plusieurs fois inférieurs à ceux des énergies renouvelables, hydraulique exclu car au moins deux fois moins cher [11], puisque les chiffres les plus souvent cités vont de 160 à 300 euros pour le photovoltaïque, à plus de 200 pour l’éolien maritime, de 80 à 115 pour l’éolien terrestre, en tenant compte non seulement des coûts de production stricto sensu[], mais aussi de leur disponibilité effective, qui peut tomber à 25 % pour l’éolien terrestre, et des coûteuses modifications des réseaux de distribution, qui liaient traditionnellement les centrales de production aux zones de consommation, et que ces énergies exigent.

27 La Cour des comptes a apporté des arguments rigoureux allant dans le même sens de prise en compte de critères objectifs de politique économique dans un rapport publié le 25 juillet 2013 sur « La politique de développement des énergies renouvelables ». Il n’est pas résumé ici, car il ne concerne directement EDF que sur un point : la recommandation de la Cour de « revoir le principe de financement par le seul consommateur d’électricité des charges de soutien aux énergies renouvelables électriques ». Mais toutes les activités électriques sont concernées par les chiffres fournis [13] et par les remarques et recommandations portant notamment sur les coûts des énergies renouvelables, leurs niveaux très élevés et très divers, ce qui « conduit à s’interroger sur leur soutenabilité », et pour cela à mieux les évaluer, à centrer les soutiens, « complexes et d’efficacité variable », sur les technologies les plus efficientes, à revoir leur régime juridique, à organiser une planification et un contrôle publics, à éviter les effets d’aubaine, etc.

28 Les débats qu’entraîne en Allemagne la perspective d’un abandon progressif des centrales électro‑nucléaires sont un autre point de l’actualité, d’autant plus important qu’il apporte des éléments au débat français sur le nucléaire, dans un sens favorable à ce dernier. Il suffit de citer deux titres de presse: « En Allemagne, la transition énergétique se révèle coûteuse et polluante », et « Les effets pervers des choix énergétiques allemands « (Le Monde 24 août 2013). Un coût de 1 000 milliards d’euros est avancé pour la sortie de l’Allemagne du nucléaire, incluant 680 milliards d’euros d’ici 2022 pour les énergies « vertes », dont 67 déjà payés, outre le coût d’un renforcement des réseaux de transport évalué pour le seul éolien de la mer du Nord à 20 milliards.

29 L’Agence internationale de l’énergie a estimé dans un rapport publié le 24 mai 2013, que les consommateurs en seraient pénalisés d’une manière « disproportionnée ». Des déboires des énergies nouvelles sont aussi évoqués, ainsi que l’incidence sur les importations (84 % des panneaux photovoltaïques sont fabriqués en Asie, et le déficit extérieur du solaire est en France de 1,5 milliards d’euros). La pollution est aussi évoquée, car la baisse d’un tiers du prix du charbon, elle‑même due à l’extraordinaire succès des gaz de schiste aux États‑Unis, a entraîné une augmentation de la production allemande d’électricité à base de charbon et de lignite telle qu’en Allemagne la pollution au dioxyde de carbone, ainsi qu’aux oxydes d’azote et de soufre, a augmenté, influençant le niveau de dioxyde de carbone européen. En France un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques, publié le 11 septembre 2013, énonce les coûts et les risques pour les prix de l’énergie et la croissance économique de toute politique de réduction de la part du nucléaire.

30 Le débat sur l’avenir du nucléaire est aussi nourri par le fait que la Chine a annoncé un programme de construction de 171 réacteurs d’ici 2030, avec l’espoir d’un large recours à des technologies françaises, qui seront aussi celles des quatre réacteurs dont EDF‑Energy, filiale de EdF, paraît en voie d’obtenir la construction et l’exploitation au Royaume‑Uni.

31 Au total cependant les prix de l’électricité sont destinés à augmenter : la Commission de régulation de l’électricité a évalué cette augmentation à 30 % entre 2012 et 2016 et le Conseil d’analyse économique a estimé dans une note du 21 mai 2013 qu’il pourrait résulter de chaque hausse de 10 % une réduction en valeur des exportations nationales de 1,9 %), du fait des subventions aux énergies renouvelables, des extensions du réseau de distribution haute tension devenues nécessaires et des exigences de sécurité du nucléaire. Ils resteraient cependant, grâce à ce même nucléaire, d’environ un tiers inférieur à la moyenne européenne. Concernant EDF, le gouvernement, après avoir accepté de lui rembourser les avances qu’elle avait faites à cause de l’insuffisance des prélèvements imposés aux usagers en faveur des énergies renouvelables, a admis par arrêté des augmentations de tarifs de l’électricité de 5 % par an en 2013 et en 2014, qui se poursuivra sans doute en 2015 [14]. La Commission de régulation de l’électricité quant à elle avait demandé une hausse de 9,6 % dès 2013 dans un rapport du 5 juin 2013 en se fondant sur un décret du 12 août 2009 qui dispose que les tarifs réglementés doivent couvrir l’ensemble des coûts de production, de distribution et de commercialisation. Les mesures précitées ont été interprétées comme des signes d’une plus grande considération portée aux aspects économiques et moindre aux aspects « politiques » [15] et ont eu une influence directe et considérable sur les cours de l’action EDF, qui ont progressé de 54 % entre le début de 2013 et fin août.

32 EDF n’en a pas moins subi quelques critiques dans le rapport public de février 2013 de la Cour des comptes concernant sa gestion : elle a constaté notamment que les rémunérations des agents ont augmenté plus que celles des autres salariés, de 3 à 4 % par an depuis 2005, et elle a mis en cause l’avantage de réduction pouvant aller jusqu’à 90 % de leur tarif de consommation électrique. Par ailleurs la Cour a, dans un référé du 21 juin 2013 publié le 2 septembre, constaté que la procédure obligatoire de re‑attribution de concessions hydro‑électriques venues à terme (principalement accordées à EDF), assortie par la loi du 30 décembre 2006 de redevances proportionnelles aux recettes de vente de l’électricité, n’a pas été mise en œuvre, alors écrit‑elle que « la mise en concurrence est un moyen adapté pour ne pas abandonner aux concessionnaires la rente hydroélectrique », « privant ainsi l’État d’une source potentielle importante de recettes budgétaires », de l’ordre de 340 millions d’euros par an. La réponse ministérielle du 27 août 2013 admet que « la mise en concurrence constitue la solution juridique la plus robuste pour optimiser la patrimoine national de l’hydroélectricité » et annonce un lancement du processus dès le premier trimestre 2014, après avoir organisé un regroupement des concessions d’ouvrages par vallée et avec une échéance unique.

III – Air‑France

33 Un développement de la « Chronique » avait été consacré à Air‑France dans le numéro 143 de la Revue française d’administration publique, qui exposait ses difficultés et le lancement d’un plan de redressement. La poursuite de difficultés et l’accentuation des mesures de redressement justifient une actualisation.

34 L’État détient 15,88 % du capital du Groupe Air‑France‑KLM, qui a pris la majorité de KLM en 2004 et qui détient par ailleurs 25 % du consortium de contrôle d’Alitalia. Le groupe, qui dispose de 573 avions, qui couvre 240 destinations dans 103 pays, a un effectif de 101 000 personnes et son chiffre d’affaires 2012 a été de 25,6 milliards d’euros. Ayant transporté 77 millions de passagers la même année, il est la quatrième compagnie aérienne du monde, après les américaines United Airlines et Delta Airlines, et Lufthansa, avant International Airlines Group (British Airways‑Iberia) et Emirates. Il anime la deuxième « alliance » internationale, Skyteam, qui regroupe 19 compagnies, en compétition avec Star Alliance (Lufthansa) et One World (IAG), ce qui facilite la multiplication des destinations couvertes (15 500 vols quotidiens).

35 La situation d’Air‑France était devenue progressivement critique en 2012. L’exercice 2011 s’était soldé par une perte de 809 millions d’euros portant la dette à 6,5 milliards d’euros. Certes bien d’autres grandes compagnies aériennes ont connu des problèmes qui ont parfois entraîné leur disparition ou ont mis en cause leur survie même, comme dans les cas bien connus de plusieurs compagnies américaines ou encore ceux de Japan Airlines [16] et plus récemment d’Iberia [17]. Le problème d’Air‑France est que la compagnie s’est heurtée à une très forte résistance de ses personnels à toutes les mesures de redressement nécessaires, y compris la résorption de considérables sureffectifs, ce qui a retardé une mise en œuvre qui n’a pu être précisée qu’au milieu de 2012 sous forme d’un plan « Transform 2015 ». Mais ce plan même a entraîné des résistances, y compris des grèves et surtout il n’a pas été suffisant puisque il doit être prolongé par des mesures supplémentaires prises récemment au milieu de 2013.

36 Il est à rappeler que le plan « Transform 2015 » prévoyait un allègement d’un sureffectif de 5 122 personnes sans départs contraints, des augmentations de temps de travail, et des réformes de structure, notamment l’augmentation de la flotte de la filiale à bas coût Transavia, accompagnée de transferts de pilotes, motivés par de fortes incitations financières, et une restructuration de son « pôle régional » formé de différentes compagnies en perte en 2011 de 160 millions d’euros pour un chiffre d’affaire de 800 millions d’euros. Quatre divisions étaient créées, le « passage » (transport de voyageurs, qui assure 80 % du chiffre d’affaire), le « cargo » (lui‑même en perte), la maintenance et les « activités diverses ». La maintenance (Air‑France‑KLM Engeneering Maintenance) qui, avec un chiffre d’affaire de 3,1 milliard d’euros est la deuxième entreprise mondiale de ce secteur, emploie 15 000 salariés et travaille pour 150 compagnies. Elle est bénéficiaire et a profité d’investissements, tel un banc d’essai pour les plus gros moteurs existants.

37 Les réformes prévues ont été progressivement mises en œuvre, mais ont du être complétées récemment. Parmi les réformes effectuées, on peut citer, outre les réorganisations précitées, le gel des salaires, le contrôle des horaires, la diminution du nombre des pilotes de 4500 à 4200, grâce à une augmentation de 80 heures par an des temps de vol, encore inférieurs à ceux des compagnies concurrentes, l’augmentation de onze jours de travail des personnels au sol, qui permet leur diminution de 30 000 à 27 000, des réductions d’investissements, notamment d’achat d’avions, avec pour objectif de contribuer à une réduction de la dette de 2 milliards d’ici fin 2014, mais aussi le lancement de certains investissements de modernisation des cabines et des zones d’accueil, de l’ordre du milliard d’euros.

38 Au milieu de 2013 toutefois, constatant une augmentation des pertes de 2011 à 2012 à 1,19 milliard d’euros, du fait du court et moyen courrier et du cargo, la direction a annoncé, quoiqu’il en soit d’un résultat d’exploitation redevenu positif de façon fragile au deuxième trimestre 2013, un nouveau plan d’économies « Transform 2 » incluant la suppression de lignes déficitaires et une suppression supplémentaire de 2 800 emplois. Ces décisions s’imposaient de toute façon du fait des comparaisons internationales.

IV – La Poste

39 L’entreprise publique La Poste est très présente dans l’actualité du fait de la nomination d’un nouveau président, mais plus encore du fait qu’elle offre l’exemple d’un très ancien service public qui doit vivre une mutation exceptionnelle de ses activités, déjà réalisée ou devant l’être dans le cadre d’un nouveau plan stratégique récemment adopté. Concernant le passé, il est renvoyé à deux « Chroniques » antérieures. Celle du numéro 134 était en partie consacrée à l’analyse de la loi du 9 février 2010 transformant l’établissement public créé en 1991 en société anonyme à capitaux entièrement publics. Elle retraçait une longue histoire remontant à Saint‑Louis et décrivait les différents défis que la nouvelle société avait à relever. La « Chronique » du numéro 141 faisait le point de l’évolution de ses diverses activités dans le cadre du plan stratégique de 2010, qui prévoyait de multiples mesures d’adaptation et de diversification.

40 Le Groupe La Poste est une société anonyme dont l’État détenait 77,17 % et la Caisse des dépôts et consignations le solde. La part de l’État reviendra à 73,68 % du capital après achèvement de trois augmentations de capital souscrites par l’État et la Caisse des dépôts et consignations (1 050 millions d’euros en 2011, autant en 2012, et 600 millions d’euros en 2013), sauf introduction d’un actionnariat salarié à concurrence d’un peu moins de 3 %. Le chiffre d’affaires du Groupe La Poste a été de 21,6 milliards d’euros en 2012, quasi stable par rapport à 2011 (21,3). Son résultat net a été de 479 millions d’euros, également quasi stable, en notant toutefois que celui de 2011 avait été affecté négativement par des provisions exceptionnelles liées aux difficultés de la Grèce, qui a permis le versement d’un dividende de 144 millions d’euros à l’État. Ses investissements de modernisation ont atteint 1,3 milliard d’euros. Sa dette nette est de 3,4 milliards d’euros, en baisse (4,5 en 2011), et elle bénéficie d’une bonne notation « AA » ainsi que de taux d’intérêt bas. La réduction de ses effectifs, 268 000, a été de 4 800 en 2012 après une réduction de 6 500 en 2011, qui s’explique par les problèmes de l’activité traditionnelle du courrier. Ces problèmes exigent des adaptations et le développement d’autres activités, déjà considérables mais qui peuvent et doivent encore être étendues.

41 Le courrier proprement dit est en effet une activité en récession. Elle a diminué de 6 % en 2012, et il est prévu une poursuite de sa décroissance, même si la lettre traditionnelle (et même la « carte postale ») reste considérée comme plus « personnelle » ou plus « courtoise » qu’un courriel, et un moyen de transfert de pièces, y compris pour des usages juridiques. Il reste que, si son chiffre d’affaires n’a diminué que de 1,4 %, c’est grâce à une augmentation du prix du timbre, qu’il est prévu de poursuivre, et les résultats ont bénéficié du passage sauf pour le courrier rapide à l’acheminement à J+2, dite « lettre verte », qui réduit notamment les coûts de travail nocturne et de transport aérien. La réduction du courrier est principalement due au recours aux courriels sur l’Internet : il suffit de citer les 13 millions de déclarations fiscales au titre de l’impôt sur le revenu qui ont été faites par voie électronique en 2013 à la place d’autant de courriers, et elle est inévitable. Mais l’ouverture à la concurrence au 1er janvier 2011 n’a eu presqu’aucune conséquence (La Poste achemine 98 % du courrier), car les éventuels concurrents privés, ou publics étrangers, subissent les mêmes contraintes que La Poste, et connaissent souvent des difficultés plus grandes. Une co‑entreprise a été créée avec La poste suisse pour le courrier international.

42 L’activité colis a par contre augmenté de 7 %, notamment grâce aux commandes effectuées par Internet. Le chiffre d’affaires de Geopost, qui regroupe ces activités, a augmenté de 7 % en 2012 à 7,3 milliards d’euros et s’étend à l’étranger: il est le premier distributeur de colis en Espagne, le deuxième en Allemagne, le quatrième au Royaume‑Uni. Il serait ainsi le deuxième en Europe et la quatrième mondial, quoiqu’encore petit par rapport à UPS, Fedex et DHL.

43 La Poste est désignée pour quinze ans depuis le 1er janvier 2011 comme « prestataire du service universel postal » qui « concourt à la cohésion sociale et au développement équilibré du territoire » conformément aux principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité qui sont ceux du service public traditionnel français. Il en résulte notamment la réaffirmation du principe d’accessibilité, qui doit assurer que 95 % de la population se trouve à moins de dix kilomètres d’un point de contact, et une contribution à l’aménagement du territoire impliquant un « maillage » du territoire qui entraîne un coût net pris en charge par l’État. Ce maillage résulte de l’existence de 17 000 points de contact du Groupe, dont 7 000 en partenariat avec des communes ou des commerçants (relais‑poste). Mais ils connaissent une certaine baisse de leur fréquentation. La Poste a lancé une offre de téléphonie mobile (La Poste mobile), en partenariat avec SFR, qui bénéficie de l’effet de proximité de ces points.

44 La Banque postale, détenue à 100 % par le Groupe La Poste, créée en 2006, est favorisée par l’existence des points de contact précités. Elle a progressivement étendu ses activités de gestion de comptes héritée des anciens comptes‑courants postaux au crédit immobilier et au crédit aux particuliers, puis aux assurances, aux prêts aux entreprises (par une filiale La banque postale Crédit entreprise) et aux collectivités locales, une coentreprise dont la Caisse des dépôts et consignations détient 35 % ayant repris par ailleurs des activités de prêt de Dexia crédit local. Elle est actionnaire à 19,7 % de la Compagnie nationale de prévoyance, filiale de la Caisse des dépôts et consignations. Elle assure 36 % du résultat d’exploitation du groupe, et il est espéré qu’elle en assurera 63 % en 2018, ce pour quoi une augmentation de son capital de un milliard est prévue, quoique son produit net bancaire n’ait pas progressé en 2012.

45 Le plus intéressant dans l’évolution en cours de La Poste est sans doute son effort pour maintenir ses effectifs, non pas en imposant simplement une charge à la collectivité comme cela arrive trop souvent dans la sphère publique, mais en inventant et en développant des services nouveaux. Ainsi un plan « Facteo » tend à ajouter aux tâches des facteurs, dotés de terminaux mobiles (smartphones) multi‑applications, celles par exemple de recueillir des photos et déclarations de sinistres destinées aux compagnies d’assurances (projet « Digishoot »), d’identifier des problèmes de voirie, d’assister les personnes âgées, et au total créer « un réseau de proximité physique et digitale ».

46 Ce sont ces orientations qui figurent dans le nouveau « plan stratégique » allant jusqu’à 2018 que le président a fait adopter au conseil d’administration en juillet 2013, et qui expliquent sa décision de quitter son poste avant l’expiration de son mandat « pour des raisons personnelles et pour laisser à son successeur (qui a depuis lors été désigné) toute latitude pour mener à bien le projet stratégique ».

V – Un rapport de la Cour des comptes sur DEXIA

47 La Cour des comptes a rendu public le 18 juillet 2013 un rapport sur DEXIA, société belge à forte participation minoritaire française, intitulé « Dexia, un sinistre coûteux, des risques persistants ». La Chronique a déjà décrit les problèmes de Dexia, mais ce rapport, tout en rappelant une malheureuse histoire, porte des jugements et fait des recommandations.

48 Dans une première partie, la Cour décrit « une stratégie porteuse de risques, que ni la gouvernance de Dexia ni les autorités de supervision n’ont su prévenir ». Elle rappelle les faiblesses structurelles dont a souffert dès l’origine le modèle financier de Dexia, dans la mesure où il assurait le financement de prêts à très long terme par des ressources à moyen et même souvent à court termes. Ce modèle supposait une extension rapide du portefeuille, ainsi qu’un bon fonctionnement du marché monétaire et un bon accès de Dexia à ce marché. Ces conditions n’ont plus été réunies du fait de la crise de 2008, sans que le conseil d’administration de Dexia, ni les actionnaires, y compris la Caisse des dépôts et consignations actionnaire minoritaire ni les autorités de supervision aient anticipé les risques ou ensuite les aient constatés et sanctionnés.

49 Quand, enfin, ont été prises, dans l’urgence, par les États belge et français, des mesures de sauvetage, principalement une augmentation de capital (dont un milliard d’euros apporté par l’État français et 1,7 milliard par la Caisse des dépôts et consignations) et des garanties d’État, la Commission européenne a demandé une réduction de taille du bilan, mesure devenue insuffisante quand s’est déclenchée en 2011 la crise des dettes souveraines, à laquelle Dexia était tellement exposée qu’il a fallu décider son démantèlement. Cette dernière a exigé une nouvelle augmentation de capital, dont l’État français a souscrit 2,58 milliards d’euros.

50 La Cour constate « un coût élevé pour les finances publiques, auquel s’ajoutent des risques durables ». Elle estime le coût direct actuel de ce « sinistre bancaire » à 6,6 milliards d’euros pour la France (2,7 milliards pour l’État et 3,9 milliards pour la Caisse des dépôts et consignations). Mais elle ajoute que subsistent des risques, jusqu’au‑delà de 2020, en cas d’augmentations des taux d’intérêt ou de défauts de paiement liés à des emprunts toxiques, susceptibles de peser sur l’État, impliqué dans la structure d’extinction, et sur les nouvelles entités publiques succédant à Dexia (SFIL) dédiées au financement des collectivités locales.

51 Elle formule ensuite un jugement très sévère non seulement sur l’absence de mise en cause de la responsabilité des dirigeants alors que le sinistre leur est dû, mais au fait qu’ils ont conservé le bénéfice d’avantages financiers substantiels, notamment de « retraites‑chapeaux ».

52 La Cour énonce enfin huit recommandations. Leur nécessaire rigueur retient l’attention en comparaison des laxismes passés dont l’affaire Dexia est une regrettable conséquence. Les principales recommandations sont :

  • — instituer en cas d’interventions publiques des dispositifs juridiques pour revenir sur des avantages consentis à des dirigeants d’institutions financières quand elles ont bénéficié d’interventions publiques,
  • — renforcer les sanctions financières applicables aux dirigeants d’institutions financières dans les cas de prises de risques inconsidérées ayant entraîné des pertes,
  • — utiliser toute voie de droit permettant de remettre en cause les dispositifs de retraites supplémentaires versées aux anciens dirigeants de Dexia,
  • — remettre en cause la possibilité de reintégration de fonctionnaires dans la fonction publique tout en percevant des indemnités de cessation de fonctions dans des entreprises publiques ou bénéficiant de soutiens financiers de l’État,
  • — prendre des mesures pour sécuriser les conditions de passation de contrats de prêts entre établissements de crédit et secteur public local.

VI – Les établissements publics du quartier de la Défense

53 La Cour des comptes a consacré un développement de son rapport public 2013 et un référé publié le 13 mars 2013 aux établissements publics qui construisent et gèrent le très grand quartier affaires de la Défense à l’ouest de Paris : l’Établissement public d’aménagement de la Défense Seine‑Arche (EPADESA) et l’Établissement public de gestion du quartier d’affaires de la Défense (dit DEFACTO par acronyme de « Défense » et « action »).

54 L’EPADESA est né par décret du 2 juillet 2010 de l’établissement public à caractère industriel et commercial d’aménagement de la Défense (EPAD) créé par décret du 9 novembre 1958 pour constituer à l’ouest de Paris le plus grand quartier d’affaires européen sur les territoires des communes de Puteaux et de Courbevoie, avec l’établissement d’aménagement de la Défense Seine‑Arche (EPASA) compétent sur le territoire de la commune de Nanterre. L’EPADESA gère sur 564 hectares une trentaine d’opérations d’aménagement et son équilibre financier repose sur la vente de charges foncières. DEFACTO, établissement public à caractère industriel et commercial, a été créé par décret du 29 novembre 2007 pour « gérer les ouvrages et espaces publics et les services d’intérêt général » du quartier d’affaires jusque‑là gérées par l’EPAD. Son conseil d’administration est constitué de sept représentants du département des Hauts de Seine et de trois de chacune des communes de Courbevoie et de Puteaux.

55 La Cour avait constaté dans son rapport public de 2008 que l’EPAD assumait un double rôle d’aménageur et d’exploitant des équipements publics « hors de tout cadre juridique » et « en supportait la charge financière, alors que les retombées fiscales bénéficiaient aux communes ». Elle estime dans celui de 2013 que le transfert du rôle d’exploitant à DEFACTO s’est opéré dans des conditions critiquables et au détriment de l’EPAD pour un montant de « plusieurs centaines de millions d’euros ». En outre subsistent « des incertitudes financières paralysantes », les deux établissements interprétant différemment les textes au point de susciter des contentieux.

56 La Cour critique ensuite « l’absence d’un document d’urbanisme propre à la mission d’aménageur de l’EPADESA », ce qui le rend tributaire de choix non coordonnés des communes. Ce constat entre dans celui plus général de « l’absence d’une vision d’ensemble » qui devrait faire l’objet d’un document général prévu par une ordonnance du 8 septembre 2011. Il s’y ajoute « des incertitudes majeures d’origine externe » découlant d’une non‑coïncidence entre les projets franciliens de transports en commun et les chantiers d’aménagement ainsi que des effets du « caractère cyclique du marché immobilier », quoiqu’il en soit d’éléments positifs découlant du plan de renouveau en cours.

57 La Cour intitule son troisième point « Des progrès de gestion à conforter » au sein même de la gouvernance de l’EPADESA, qui devraient se fonder sur des « relations normalisées », alors qu’elles restent contestables comme le montrent des exemples cités par la Cour. Elle mentionne aussi « des dépenses « mal contrôlées » de personnel et « excessives » de communication, « des perspectives financières trop optimistes » tout en mentionnant les progrès de la qualité comptable et des prévisions pluriannuelles encore à améliorer sur plusieurs points que le rapport précise.

58 En conclusion, la Cour formule huit recommandations qu’elle adresse à l’État, notamment de « réviser rapidement le dispositif législatif qui régit les relations entre l’EPADESA et DEFACTO afin de mettre fin à leurs différends », à l’EPADESA, pour adopter un document stratégique accordant les différents acteurs et pour améliorer sa gestion, en matière de prévision budgétaire, de statut des personnels et de frais de communication et de représentation, de distinction des opérations en cours des opérations et recettes potentielles.

59 Le référé cité plus haut rendu public en mars a été envoyé le 3 janvier 2013, avant le rapport public cité précédemment. Il exprimait déjà sans ménagement diverses observations, notamment quant aux conséquences de la confusion sur les dépenses abusivement assumées par l’EPAD puis l’EPADESA, le caractère « difficile voire conflictuel » des relations entre ce dernier et DEFACTO qu’influence chaque collectivité représentée dans son propre intérêt, qui n’est pas toujours celui de l’opération d’intérêt national qu’est la création d’un quartier d’affaires international, au point de procéder à des cessions à des tiers que le préfet « a contestées dans le cadre de son contrôle de légalité » et de différer ou même éluder des transferts de dépenses à sa charge, dont la Cour montre les conséquences financières. Ainsi « alors que l’un des objectifs de la création de DEFACTO était de décharger l’EPADESA des charges liées à l’exploitation, et donc l’entretien des équipements publics », c’est l’EPADESA auquel on a « fait porter pendant plusieurs années une lourde charge financière, sans que ses perspectives actuelles d’activité ne lui permettent de l’assumer ». Comme dans le rapport public, la Cour conclut qu’il est « nécessaire que l’État procède dans les meilleurs délais à une révision du dispositif instauré entre l’EPADESA et DEFACTO ».

60 Un projet de loi d’avril 2013 de « modernisation de l’action publique territoriale » comporte entre autres des dispositions pour remédier à ces défauts (article 18 modifiant l’article L.328 du code de l’urbanisme), et ainsi selon son « étude d’impact » pour « répondre aux recommandations formulées par la Cour des comptes », mais son processus d’adoption est mis en cause par des contestations de fond sur de nombreux points. Il faut donc seulement noter que le projet de loi précise en règle générale les conditions de « mises à disposition » de DEFACTO d’ouvrages, espaces publics, services d’intérêt général et autres biens, dans des conditions qui visent à éliminer les effets néfastes de pratiques antérieures.

61 Les observations formulées par la Cour des comptes dans les documents précités sont d’un très grand intérêt non seulement par elles‑mêmes, mais parce qu’elles témoignent bien du rôle complexe qu’est devenu celui de la Cour des comptes, s’exprimant à l’intention de tous les citoyens dans ses rapports publics et depuis récemment en rendant publics des référés adressés aux ministres compétents. On y trouve en effet des observations « traditionnelles » sur les comptes et sur la gestion, mais aussi une critique des dispositifs publics, de leur organisation et de leurs missions, assortie de recommandations, et finalement une véritable évaluation d’une politique publique qu’est effectivement la promotion par l’État d’une zone de concentration d’affaires de niveau mondial. On constate aussi leur influence sur les autorités responsables de telles politiques.

Notes

  • [1]
    Les Échos, 8 août 2013.
  • [2]
    Ibid.
  • [3]
    La « Chronique » du n° 146 de la Revue française d’administration publique avait déjà mentionné l’idée gouvernementale de cessions de participations publiques à l’état de projet.
  • [4]
    Portail du gouvernement, 2 août 2013.
  • [5]
    Cabinet du ministre de l’économie, communiqué du 30 juin 2013.
  • [6]
    Bruxelles, 10 juillet 2013, INT/699.
  • [7]
    L’entreprise privée japonaise Tepco, qui a construit et exploitait la centrale de Fukushima, défaillante dans la prévention et la gestion de la catastrophe, a du être nationalisée. Elle ne parvient toujours pas à maîtriser les conséquences de l’accident.
  • [8]
    Interview du Premier président de la Cour des comptes, Le Monde, 1er février 2012
  • [9]
    Le Monde, 14 février 2012.
  • [10]
    Le Monde du 19 juillet 2013 intitule un article « Fessenheim ne sera pas fermée pendant le quinquennat », « EDF n’ayant pas encore lancé un processus d’arrêt définitif de la centrale, qui s’avère techniquement, juridiquement et financièrement complexe », pour de multiples raisons que développe l’article.
  • [11]
    EDF a inauguré en Corse en juin la première centrale hydroélectrique construite en France depuis 20 ans.
  • [12]
    Voir note 11.
  • [13]
    Ainsi par exemple la Cour a calculé un coût de production stricto sensu de 60 à 68 euros pour l’éolien terrestre et de 105 à 164 euros pour l’éolien maritime.
  • [14]
    Elle était prévue dans une première version de l’arrêté (voir Le Figaro, 11 juillet 2013).
  • [15]
    Le Monde, 31 juillet 2013.
  • [16]
    Japan Airlines a été en faillite en janvier 2010, et ne fut sauvée que par une considérable injection de capitaux par un organisme public, le licenciement de 16 000 salariés et la suppression de nombreuses liaisons, mais la compagnie a pu ainsi redevenir bénéficiaire et même être a nouveau cotée en bourse en septembre 2012.
  • [17]
    Iberia, qui avait été reprise par British Airways, a décidé fin 2012 une réduction de 22 % de ses effectifs, de fortes diminutions de salaires et des réductions d’activités.
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