Notes
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[1]
Rapport de la Cour des Comptes sur les effectifs de l’État (1980-2008) du 16 décembre 2009 ; rapport d’information de Michèle André sur la mise en œuvre de la RGPP dans les préfectures, Sénat, n° 35, 13 octobre 2010 ; création d’une mission commune d’information sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques pour les collectivités territoriales et les services publics locaux au Sénat le 26 janvier 2011, présidée par François Patriat.
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Sondage réalisé par l’IFOP auprès de 800 agents de l’État et des collectivités territoriales pour Accenture et les Echos et publié par les Echos du 7 décembre 2010.
1 La révision générale des politiques publiques (RGPP), dénomination entièrement nouvelle et peu explicite au premier abord, a entendu marquer une rupture avec la réforme de l’État, qui, elle-même, s’était substituée au cours des années 1990 à la modernisation et à la réforme administrative.
2 Alors qu’au départ, l’exercice était envisagé pour un ou deux ans, quatre vagues rythmées par les travaux du conseil de modernisation des politiques publiques se sont succédées depuis 2007 et rien n’annonce un ralentissement ou une interruption du processus. Bien au contraire, la quatrième vague lancée en juin 2010 a été présentée comme le début d’une deuxième phase de la RGPP, dont les objectifs seraient différents de ceux de la première phase.
3 Il n’est pas aisé de synthétiser la RGPP, de définir sa spécificité, de mesurer son degré d’originalité aussi bien par rapport aux mouvements antérieurs de réforme que par rapport aux modèles étrangers de programme review dont elle s’inspire en partie. C’est cette vision distanciée, à la fois rétrospective et prospective, que propose ce numéro de la Revue française d’administration publique en rassemblant des contributions diverses et des témoignages relatifs aux méthodes, aux contenus et au bilan de la RGPP.
4 La « méthode RGPP » comporte une forte dose d’originalité mais n’est pas exempte de critiques.
5 La méthode caractérise la RGPP. En effet, comme l’indique François Lafarge, celle-ci est « plus une procédure de réforme qu’une réforme stricto sensu ». Elle présente plusieurs aspects distinctifs. Parmi les plus notables, le niveau de la décision, les participants à l’élaboration du dispositif et la conduite du projet manifestent l’originalité de la RGPP. Comme pour le Renouveau du service public en 1989, l’engagement politique au plus haut niveau est assuré, ce qui est assez exceptionnel. Les jeux d’acteurs sont renouvelés. Philippe Bézes indique que « la réforme de l’État est désormais une politique contrôlée par Bercy ». Plus généralement, Luc Rouban décrit les « trois cercles d’innovateurs » de la RGPP et le double réseau « politique » et « financier » qui reflètent la diversité des objectifs de la RGPP. L’ensemble des contributions soulignent la part prise par les grands cabinets de consultants dans l’élaboration de cette politique publique. Ces spécificités de la RGPP par rapport aux étapes antérieures de la réforme administrative portent en elles-mêmes d’importantes limites.
6 La méthode RGPP est critiquée comme étant centralisée, non transparente et insuffisamment porteuse de sens. Le catalogue de mesures a été préparé au niveau national, les cibles et les délais ayant été imposés aux services concernés. Les consultants sont intervenus à ce stade pour préparer et accompagner les réformes alors que les gestionnaires de terrain ont dû les mettre en œuvre dans les conditions très contraintes et sans aucune aide. Aucune publication préalable, aucun débat, aucun « Grenelle » n’ont été organisés sur ces thèmes. La rapidité a pu engendrer la superficialité et la tentation de l’effet d’annonce. Ainsi un organigramme unique ne suffit-il pas à réaliser la fusion des cultures. A cet égard, la création de la direction générale des finances publiques est exemplaire par rapport à d’autres fusions plus laborieuses et moins achevées. En outre, cette méthode rend difficile l’appropriation des mesures. Les syndicats ont été plutôt silencieux dans les premiers temps de la RGPP mais ils déploient désormais un discours très critique dont le point de vue présenté par Patrick Hallinger porte témoignage. Dans le même ordre d’idées, Sylvie Trosa appelle à un « management par le sens » dont l’outil principal serait un dispositif d’évaluation des politiques publiques, dispositif dont plusieurs auteurs soulignent que la RGPP devrait faire l’objet. Cette vision n’est pas celle d’un des acteurs principaux de la RGPP, François-Daniel Migeon qui, dans son témoignage, affirme que « la RGPP est plus que le nom de la réforme française de l’État, elle est une véritable méthode de transformation, un chemin à emprunter pour orienter les administrations publiques vers la performance ». Mais cette recherche de la performance est-elle un objectif suffisant pour caractériser le contenu de la RGPP ?
7 Le contenu de la RGPP n’est pas homogène et comporte des zones d’ombre.
8 Les objectifs de la RGPP sont divers, évolutifs et pas toujours très bien explicités. On peut les rattacher à deux grands axes : une politique assez traditionnelle de réforme de l’administration complétée par une vision budgétaire plus nouvelle.
9 Dans la première phase, l’accent a été mis sur l’adaptation des structures. Cette orientation ne manque pas de précédents ; la mission d’organisation des administrations centrales (MODAC) puis la mission Belin-Gisserot en 1986 avait été aussi des démarches systématiques d’allègement de l’organisation administrative. D’autres objectifs de réforme de la gestion publique ont été mis en avant, mais en mode mineur. La gestion des ressources humaines fait l’objet de décisions importantes raccordées délibérément à la RGPP. Jacques Chevallier évoque à ce sujet « un changement en profondeur de la conception traditionnelle de la fonction publique ». Les relations avec les usagers sont assez peu présentes sinon sous l’aspect novateur de l’administration numérique. Bien que Sébastien Kott et François Lafarge relèvent que la RGPP est peu cohérente avec la LOLF, la contribution de la réforme à la maîtrise des dépenses publiques constitue le deuxième axe fort de la RGPP. Présent dès le début et dans les expériences étrangères analysées par Isabelle Fortier, Andrew Massey, Irvine Lapsley et Arthur Midwinter, cet objectif est devenu de plus en plus prégnant et explique, par exemple, l’inclusion du programme de réduction des effectifs de la fonction publique dans la RGPP et les importantes décisions relatives à la mutualisation des fonctions supports des services de l’État. Signalons, à propos de l’expérience québécoise rapportée par Isabelle Fortier, que celle-ci a été une des sources d’inspiration de la RGPP. Cependant la RGPP génère des économies budgétaires relativement modérées par rapport à l’ampleur du nécessaire effort de réduction du déficit budgétaire.
10 L’examen des politiques publiques, esquissé au début de la RGPP, et qui aurait pu être la principale source d’économies budgétaires, a été tardif et très limité même si la RGPP a produit des effets indirects sur le contenu de certaines actions de l’État, par exemple, la conduite de la politique étrangère analysée par Laurence Badel ou le contrôle de légalité des actes administratifs des collectivités territoriales décrit par Jean-Michel Bricault. La rénovation du management public – même s’il est beaucoup question de performance – n’a donné lieu que de manière limitée à l’expérimentation d’outils novateurs alors que, par exemple, elle était au cœur du Renouveau du service public en 1989.
11 Après avoir visé la rationalisation de l’ensemble des services de l’État, la méthode RGPP est désormais étendue aux opérateurs ainsi que l’expose Olivier Millard. Mais elle aura plus de difficultés à s’implanter dans les collectivités locales. La volonté du gouvernement d’associer les collectivités locales à la maîtrise des dépenses publiques va dans ce sens, mais Jean-Luc Pissaloux et Didier Supplisson montrent l’extrême prudence des élus en ces domaines. La RGPP est donc un concept et une politique publique « attrape tout » dont l’unité n’est pas facile à saisir. Elle ne fait, en effet, pas l’objet d’un document programmatique d’ensemble comme l’ont été les circulaires Rocard en 1989 et Juppé en 1995. C’est avant tout un catalogue sans cesse renouvelé de mesures disparates, dont les chroniques d’actualité de cette Revue rendent compte régulièrement, et qui font l’objet de tableaux de bord simplifiés à l’extrême, à savoir les Rapports d’étape publiés par le ministère du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l’État.
12 Quoi qu’il en soit, le suivi de la RGPP fait apparaître un bilan quantitatif sans précédent qui suscite des appréciations divergentes.
13 Sur 374 mesures programmées 85 % sont officiellement notées comme avançant conformément aux objectifs fixés et 58 d’entre elles sont considérées comme finies. En outre, 150 mesures nouvelles ont été annoncées au dernier Conseil de modernisation des politiques publiques en juin 2010. Les témoignages de praticiens de la réforme, tels que Daniel Canepa, Philippe Schnäbele et Olivier Millard font état des très nombreuses mesures de réorganisation tant au niveau central que dans l’administration territoriale et dans les établissements publics. Même si certains proclament, une fois de plus, la « révolution dans la réforme de l’État », ou le « changement des cultures » sans tout à fait convaincre, le bilan en termes de changements est éloquent. Toutefois, des rapports officiels commencent à nuancer ce bilan élogieux. La Cour des Comptes minimise l’impact budgétaire de la RGPP et des parlementaires en contestent les effets positifs [1]. Les fonctionnaires eux-mêmes sont réticents. Un sondage publié en décembre 2010, auprès de 800 fonctionnaires faisait apparaître que seulement 33 % des personnes approuvent la réforme telle qu’elle est mise en œuvre et que 74 % des agents des services en cours de réorganisation s’estiment trop peu associés en amont [2].
14 Une question controversée est cependant celle de savoir si la RGPP est le point d’aboutissement de la pénétration du New public management dans l’administration française comme le soutient Françoise Dreyfus, rejoignant les constatations d’Isabelle Fortier pour le Québec, d’Irvine Lapsley et Arthur Midwinter pour la Grande-Bretagne. Dans le domaine de la fonction publique, Jacques Chevallier soutient que « le modèle classique tend bel et bien a faire la place à un modèle nouveau » sous une apparence de continuité. Philippe Bezes et Patrick Le Lidec, analysant la réforme de l’administration territoriale de l’État, sont plus nuancés et évoquent l’hybridation entre les modèles traditionnels et les modèles nouveaux d’administration territoriale. Une véritable évaluation de politique publique serait sans doute nécessaire.
15 Au delà, se pose la question de l’après RGPP. Les premiers commentaires officiels annonçaient un mouvement temporaire, un programme à réaliser avant 2012. Mais Daniel-François Migeon évoque « la pérennité de la RGPP comme levier du changement et de l’amélioration constante de la performance publique à moyen terme ». Cependant la RGPP ne saurait marquer la fin de la réforme administrative. Andrew Massey fait entendre la voie de nombreux spécialistes lorsqu’il critique les excès de la direction par objectifs et la recherche exclusive de la performance dans les services publics. Il n’est donc pas impossible d’imaginer une autre « figure » de réformes, fruit d’un nouveau compromis entre acteurs tels que ceux décrits par Philippe Bezes, réforme qui serait plus transparente et plus ouverte dans ses méthodes d’élaboration et plus qualitative et plus managériale dans son contenu. Comme l’indique Sylvie Trosa, cette méthode « rejetterait radicalement les formes de gestion des services publics qui se font de façon descendante, imposée, rigide, sans débat et selon des critères exclusivement quantitatifs ». Cet « après RGPP » ne pourra cependant faire abstraction, ni de la contrainte budgétaire, ni de certaines nouvelles méthodes de management public qui ont démontré leur efficacité.
Notes
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[1]
Rapport de la Cour des Comptes sur les effectifs de l’État (1980-2008) du 16 décembre 2009 ; rapport d’information de Michèle André sur la mise en œuvre de la RGPP dans les préfectures, Sénat, n° 35, 13 octobre 2010 ; création d’une mission commune d’information sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques pour les collectivités territoriales et les services publics locaux au Sénat le 26 janvier 2011, présidée par François Patriat.
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[2]
Sondage réalisé par l’IFOP auprès de 800 agents de l’État et des collectivités territoriales pour Accenture et les Echos et publié par les Echos du 7 décembre 2010.