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Article de revue

Guerre d'irak et partenariats public-privé : des partenariats public-privé controversés

Pages 249 à 262

Notes

  • [2]
    Hébert (Jean-Paul), « La nouvelle hiérarchie des fournisseurs du Pentagone », Le Débat Stratégique 74, n° mai (2004) ; Makki (Sami), « Externaliser la défense : la politique américaine », Sociologie du travail 49, no 1, 2007, pp. 28-45.
  • [3]
    Münkler (Herfried), Les Guerres Nouvelles, Alvik Editions, 2008.
  • [4]
    Mazouz (Bachir) et Belhocine (Nourredine), « Partenariats public-privé, une équation à résoudre par la gestion de projets », Bulletin d’information de l’Enap 17, n° Novembre Décembre (2002), p. 7-9.
  • [5]
    Mazouz (Bachir), Facal (Joseph), and Viola (Jean-Michel), « Public-Private Partnership : Elements for a Project-Based Management Typology », Project Management Journal 39, n° Juin, 2008, pp. 98-110.
  • [6]
    Goya (Michel), Irak, les armées du chaos, Économica, 2008.
  • [7]
    Congress of the United States, Congressional Budget Office, Contractors’Support of US Operations in Iraq, 2008.
  • [8]
    Kiel (Paul), « $100 billions to Contractors in Iraq », ProPublica, no 12 août, 2008.
  • [9]
    GAO, Contingency Contracting : DOD, State and US Aid Contracts and Contractor Personnel in Iraq and Afghanistan, GAO-09-19, 2008.
  • [10]
    Congress of the United States, Congressional Budget Office, Contractors’Support of US Operations in Iraq, A CBO Paper, August, 2008.
  • [11]
    Source : Congressional Budget Office, 2008, p. 7. Le tableau a fait l’objet d’une adaptation en langue française par l’auteur. Toute erreur lui est imputable.
  • [12]
    Mazouz (B.) et Belhocine (N.), « Partenariats public-privé, une équation à résoudre par la gestion de projets », op. cit. ; Mazouz (B.), Facal (J.), and Viola (J.-M.), « Public-Private Partnership : Elements for a Project-Based Management Typology », op. cit.
  • [13]
    Les auteurs fondent leur analyse sur deux dimensions structurantes des PPP : la proximité de la cible et la capacité de l’administration à générer des projets. La proximité de la cible est définie comme la capacité de l’administration à connaître et anticiper les besoins de la population à laquelle elle rend des services. Dans le cas de l’institution militaire, la proximité de la cible peut être entendue comme la connaissance de l’état actuel et de la dynamique des conflits ainsi que des processus à accomplir pour mettre en acte la volonté politique des gouvernants. La capacité à générer des projets se mesure aux initiatives prises pour satisfaire les besoins qui ont été identifiés. Elle suppose une volonté politique et la mise en œuvre de ressources. Ce critère peut être transposé tel quel au monde militaire.
  • [14]
    Singer (Paul W.), Corporate Warriors : The Rise of the Privatized Military Industry, Cornell Paperbacks Ed. (Cornell University Press, 2004) ; Singer (P. W.), « Outsourcing War », Foreign Affairs 84, no 2, March 2005, pp. 119-132.
  • [15]
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  • [16]
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  • [17]
    Holmqvist (C.), « Private security companies : the case for regulation », Policy Paper 9, no 3, 2005.
  • [18]
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  • [19]
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  • [20]
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  • [21]
    DynCorp est la seule des grandes sociétés militaires privées à disposer de compétences dans des domaines comme la maintenance aérienne, ce qui lui permet de contracter régulièrement avec l’ensemble des entités du Department of State et du Department of Defense. Ce portefeuille étendu de compétence peut également être à l’origine de l’intérêt que lui ont porté successivement Computer Sciences Corporation (prise de contrôle en 2003) puis Véritas Capital (rachat de l’entreprise en 2005)
  • [22]
    GAO, Contract Security Guards : Army’s Guard Program Requires Greater Oversight and Reassessment of Acquisition Approach, GAO-06-284, 2008 ; GAO, Department of State Contract for Security Installation at Embassies GAO, GAO-07-33R, 2006.
  • [23]
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  • [24]
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  • [25]
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  • [26]
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  • [27]
    Singer (P. W.), « Outsourcing War », op. cit.
  • [28]
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  • [29]
    Hibou (Béatrice), « Retrait ou redéploiement de l’État », Critique Internationale 1, 1998, pp. 151- 168.
  • [30]
    Page (Jeremy), « Taleban extract heavy tribute to let vital Nato supplies pass », The Times, 2008.
  • [31]
    Williamson (OE), « Public and private bureaucracies : a transaction cost economics perspectives », J. Law Econ. Organ. 15, no 1, 1999, pp. 306-342.
  • [32]
    Wilson (James Q.), Bureaucracy : What Government Agencies Do and Why They Do it, 2nd ed., Basic Books, 1991.
  • [33]
    Singer (Paul W.), Can’t Win With ‘Em, Can’t. Go To War Without ‘Em : Private Military Contractors and Counterinsurgency, Brookings Institution, Policy Paper 4, 2007.

1 De 2003 à 2008, plus de cent milliards de dollars ont été alloués par les États-Unis à des entreprises privées présentes sur le théâtre des opérations de guerre en Irak. L’importance du montant, plus de deux années du budget de la défense de la France ou du Royaume-Uni, confirme que la contractualisation de missions qui étaient naguère encore du ressort des seules forces armées est devenue une méthode ordinaire d’administration gouvernementale, y compris dans ce qui forme le cœur des fonctions régaliennes, la défense nationale  [2].

2 L’intervention grandissante des acteurs privés dans les opérations militaires pose de nombreuses questions.

3 D’un point de vue normatif, le débat est le plus souvent structuré autour du monopole de la violence légitime et de la désétatisation de la guerre qui formerait l’un des traits les plus caractéristiques des guerres nouvelles  [3]. Comme le souligne Christian Olsson, cette approche revient à confondre le concept de monopole de la violence légitime et l’une des formes historiques de sa mise en œuvre, l’État unitaire agissant exclusivement par le truchement d’une administration centralisée. Or, le phénomène des partenariats public-privé militaires se développe principalement dans des pays qui ne correspondent pas à ce modèle, les États-Unis en premier lieu.

4 Il serait donc plus pertinent de s’interroger sur deux autres dimensions de ces partenariats public-privé d’un genre particulier.

5 La première est celle de la cohérence du mode d’action retenu avec la doctrine d’emploi des forces dans les nouveaux conflits, notamment la « guerre au sein des populations » et le caractère décisif de la phase de stabilisation. Dans ce modèle, l’identité des acteurs constitue un élément déterminant pour le succès de l’intervention et il peut sembler paradoxal de renforcer la présence d’acteurs privés dont on sait que la légitimité aux yeux des populations locales est pour le moins incertaine.

6 La seconde est celle du risque induit par la stratégie dominante des entreprises contractantes qui s’efforcent de diversifier leur offre de services sans égard pour la spécialisation traditionnelle des fonctions policières et militaires. Or, ce qui peut apparaître comme une stratégie entrepreneuriale légitime (se poser en acteur global capable d’offrir une gamme étendue de services) revient à confondre des missions et des institutions dont la séparation est une garantie démocratique fondamentale.

7 Sous l’angle plus particulier de la gestion publique, les partenariats public-privé relatifs aux opérations militaires extérieures peuvent s’envisager à l’aune des mêmes approches théoriques que celles qui valent pour les partenariats civils.

8 C’est ainsi que l’instauration de relations contractuelles entre l’administration et un prestataire peut être envisagée au regard de la théorie de l’agence et des problèmes engendrés par l’asymétrie informationnelle. De ce point de vue, la problématique traditionnelle se trouve renforcée par le jeu des réseaux d’acteurs qui font la spécificité des sociétés militaires privées et conduisent à s’interroger sur les biais susceptibles de naître de la très large consanguinité de leur personnel et des milieux administratifs ou politiques. Plus largement, cette relation peut être considérée comme une structure de gouvernance spécifique et analysée à travers la théorie des coûts de transaction, notamment pour évaluer le risque d’opportunisme des co-contractants et mettre en place les mécanismes susceptibles de les contenir.

9 Il semble cependant que ces analyses ne peuvent être conduites sans un travail préalable, élémentaire mais indispensable, d’identification des acteurs et des partenariats. Du fait de leur montant, mais également du nombre des entreprises et des employés concernés, les partenariats public-privé conclus par les États-Unis pour les opérations en Irak ne peuvent être considérés comme un ensemble homogène relevant d’une seule et même approche. Il n’est guère de points communs entre Blackwater ou Aegis et un sous-traitant retenu pour assurer la restauration collective des troupes sur place. Nous nous proposons donc de construire ici une typologie qui permette, dans un premier temps, d’identifier des catégories d’acteurs et, dans un deuxième temps, de caractériser les enjeux majeurs, les risques particuliers et les variables clés de succès des différents types de partenariats. En cela, nous nous situons dans la lignée des travaux entrepris par un certain nombre d’auteurs qui s’appuient sur le cadre théorique de la gestion de projets pour renouveler la question du pilotage des PPP, notamment en enrichissant l’approche juridico-administrative dominante par l’adjonction des variables stratégiques et managériales que la typologie a pour fonction d’identifier  [4]. L’approche théorique retenue s’écarte donc du cadre habituel des théories de la firme (théorie de l’agence, théorie des coûts de transaction) au profit d’une démarche consistant à transposer dans le monde de la défense un modèle élaboré pour l’étude des partenariats public-privé du domaine civil  [5].

LA GUERRE D’IRAK, PREMIÈRE GUERRE PARTENARIALE

10 Si l’on se réfère à l’importance des ressources humaines, financières ou matérielles mises en œuvre par le truchement de partenariats public-privé, l’intervention des États-Unis en Irak  [6] peut être considérée comme la « première guerre partenariale ». Selon un rapport du Congressional Budget Office, le montant des contrats de fourniture de produits et de services passés entre 2003 et 2007 par les pouvoirs publics sur le seul théâtre irakien s’élève à 85 milliards de dollars  [7]. En y ajoutant l’année 2008, la barre symbolique des cent milliards de dollars est franchie  [8]. La somme cumulée est évidemment impressionnante. Toutefois, pour mieux la situer, il convient de la rapporter à l’échelle des dépenses militaires américaines. Sur la même période (2003-2007), le Congressional Budget Office estime à 446 milliards de dollars les dépenses relatives au conflit irakien et aux opérations de reconstruction. Les partenariats public-privé correspondent donc au cinquième des dépenses totales. Rapportés aux contrats de toute nature passés sur la même période par le Department of Defense, principale source de partenariats public-privé dans le domaine militaire (1 323 milliards de dollars), ces contrats représentent environ 6,5 % du total.

11 Sur le terrain, les contractors emploient approximativement 190 000 personnes  [9]. Ce nombre est quasiment égal à celui des forces armées américaines. Le ratio était beaucoup plus faible durant les deux conflits mondiaux (respectivement : 1 pour 24 et 1 pour 7). Il s’est fortement accru à l’occasion de la guerre de Corée (1 pour 2,5), du Vietnam (1 pour 5) et, surtout, de l’intervention dans les Balkans où il s’établissait déjà à un pour un. Mais, dans cette dernière hypothèse, le volume des forces déployées ne représentait que 20 000 hommes, soit le dixième de celles présentes en Irak.

12 Le qualificatif de « guerre partenariale » se justifie donc au regard des masses budgétaires allouées aux contractants (le quart de celles affectées aux forces armées américaines) et, plus encore, des ressources humaines mobilisées par les sociétés privées.

Fournisseurs habituels et nouveaux partenaires de l’administration américaine

13 Une masse aussi importante de partenariats public-privé ne peut évidemment pas présenter un caractère homogène. De fait, les contrats noués à l’occasion de la guerre d’Irak sont très différents les uns des autres par le type de produits ou de services fournis, le nombre et le montant des contrats souscrits, les types de prestataires retenus, les modes de passation et le caractère plus ou moins concurrentiel des marchés...

14 La répartition des crédits par administrations contractantes fait apparaître une très nette prépondérance du ministère de la défense. Celui-ci gère 76 des 85 milliards de dollars, soit 90 % des budgets alloués pour les partenariats liés à la guerre d’Irak. Le ministère des affaires étrangères et l’agence USAID sont très en retrait avec respectivement quatre et cinq milliards de dollars. Les autres ministères (agriculture, santé...) représentent ensemble moins de 300 millions. Au sein du ministère de la défense, la part essentielle des crédits relève de l’armée de terre (57 milliards) et de la Defense Logistic Agency (douze milliards). La marine (six milliards) et l’armée de l’air (un milliard) peuvent être considérées comme des sources de partenariat marginales.

15 Les produits et services fournis dans le cadre des partenariats forment un ensemble pour le moins disparate  [10].

Figure 1

Répartition des produits et services ayant fait l’objet de PPPdans le cadre de la guerre d’Irak [11]

figure im1
Soutien (technique et administratif)
Non défini et divers (a)
Infrastructures et équipements
Carburants et produits rattachés
Nourriture
Location d’équipements
Entretien des biens immobiliers
Services d’entretien courant
Entretien des équipements
Recherche et développement
Génie civil
Autres

Répartition des produits et services ayant fait l’objet de PPPdans le cadre de la guerre d’Irak [11]



Partenariats public privé conclus par l’administration américaine entre 2003 et 2007 pour les besoins du théâtre irakien (par type de produits, en milliard de dollars)
Le théâtre irakien est entendu comme englobant les pays suivants : Irak, Barhein, Jordanie, Koweit, Oman, Quatar, Arabie Saoudite, Turquie et Emirats Arabes Unis.
(a) ce poste comprend pour l’essentiel des partenariats relevant du JCC-I/A (données insuffisantes pour effectuer le traitement statistique ad hoc)

16 Cette classification par produits et par services permet de donner une première mesure de la variété des besoins couverts par des contractants privés sur le théâtre irakien. Mais, elle n’est pas suffisante pour identifier les problématiques managériales spécifiques dont sont porteuses ces multiples formes de production coopérative. Il est intuitivement évident que les enjeux, les risques, les méthodes de management ou l’évaluation d’un partenariat relatif à la préparation des repas d’un régiment diffèrent sensiblement de celui portant sur la conception et la mise au point d’un logiciel de télécommunication, la formation des cadres policiers et militaires irakiens ou l’approvisionnement logistique d’unités situées dans des zones instables. C’est pourquoi, la typologie des partenariats public-privé initialement proposée par Mazouz et Belhocine permet d’établir quelques distinctions fondamentales en vue de comprendre ces problématiques et de leur apporter des réponses managériales adaptées  [12].

17 En appliquant cette typologie  [13] à l’ensemble des partenariats public-privé conclus par l’administration américaine, il est possible de distinguer quatre types de relations contractuelles.

Figure 2

Typologie des PPP dans le domaine de la défense

Proximité de la cible
Faible Élevée
Partenariat de circonstance Partenariat élémentaire
Dicté par des impératifs de ges- Recherche d’économie, d’effica–
tion, d’expertise, d’injection de cité et d’efficience dans des do-
capitaux privés. L’institution maines dont l’institution militaire
militaire ne maîtrise pas un do- est en mesure de suivre les
maine où elle entend profiter des progrès
progrès réalisés dans son Maintenance, réparation, recons-
Forte environnement truction de matériels
Recherche appliquée, Gestion d’infrastructures mili-
Télécommunications taires, restauration
Contre-mesures électroniques KBR, SAIC, ITT corp., Compu-
Capacité à Services logistiques ter sciences corp., The Shaw
générer des Public Warehousing Company, Group, Dyncorp
projets Booz Allen Hamilton, L-3
Comm.
Partenariat adhésif Partenariat prospectif
Découle d’une communauté de Dicté par des enjeux stratégiques
politiques, de convergence des à l’échelle des nations et des
valeurs et des intérêts. Le do- gouvernements.
Faible maine n’est pas au cœur du mé- Conception et production des
tier ou des préoccupations de systèmes d’armes
l’institution militaire. Lockheed Martin, Northrop Gru-
Soins médicaux et psychiatriques mann, Raytheon, Bechtel
Humana Inc., Health Net
figure im2

Typologie des PPP dans le domaine de la défense

18 On vérifie ainsi que, comme l’administration civile, l’administration militaire se trouve dans des situations très différentes selon qu’elle traite avec des entreprises comme Lockheed Martin, où il s’agit d’imaginer conjointement le futur outil de défense des États-Unis, Humana Inc., qui dispense des soins aux militaires américains ou Booz Allen Hamilton Inc., prestataire de services d’ingénierie pour les trois armées.

Sociétés militaires privées et sociétés privées militarisées

19 Parmi les très nombreux partenaires avec lesquels l’administration américaine s’est associée pour la conduite de la guerre d’Irak, l’attention est souvent attirée sur ceux qui sont le plus impliqués dans la mise en œuvre de la violence et dont les raisons sociales sont fréquemment « à la une » des médias, Blackwater étant sans conteste la plus connue et la plus décriée. La terminologie applicable à ces sociétés n’est pas fixée, loin de là. Selon les auteurs qui en traitent, ces entreprises sont présentées comme des sociétés militaires privées  [14], des sociétés de sécurité privée  [15], des entreprises para-privées de coercition  [16], des sociétés privées d’intérêt militaire. Dans sa solide étude, Caroline Holmqvist adopte une perspective englobante [17]. À l’inverse, Paul Singer distingue trois catégories de contractors : les military provider firms, prestataires de service en lien direct avec le front, les military consultant firms qui conseillent les responsables militaires et participent à la formation des troupes, les military support firms chargées du soutien à la vie des troupes comme la restauration, le logement, le transport  [18]... Dans la perspective d’une typologie fondée sur le management par projet, quelle approche est-il préférable de privilégier ? Si l’on se réfère à la liste couramment admise des principales sociétés militaires privées  [19], des différences notables apparaissent entre deux types de trajectoires entrepreneuriales.

20 La première semble véritablement caractériser les « sociétés militaires privées », tandis que la seconde semble plutôt propre à des prestataires de services spécialisés qui, intervenant dans des zones en reconstruction, sont susceptibles d’être confrontés à la violence militaire et doivent en conséquence se doter de moyens de protection à la hauteur. Ce serait l’intervention dans un contexte de type three block war [20] qui les aurait poussé à développer des capacités de protection et de riposte qui s’apparentent à celles des forces armées. Elles pourraient de ce fait être qualifiées de sociétés privées militarisées.

Les « sociétés militaires privées »

21 Cette première catégorie comprend les firmes les plus connues, Aegis, DynCorp ou Blackwater, qui forment l’archétype des sociétés militaires privées.

22

  • Sauf exception [21], ces sociétés se distinguent en premier lieu par l’absence de rattachement à des activités statistiquement reconnues et identifiées comme la logistique, la construction ou la maintenance, l’approvisionnement... Les contrats qui les lient à l’administration américaine font systématiquement l’objet d’un classement dans des catégories réfractaires à l’analyse (Miscellaneous ou Other Professional Services) dont le côté « fourre tout » noie, à dessein ou non, l’activité dans une masse hétéroclite de prestataires qui apparaissent comme un résidu statistique. C’est seulement pour des montants marginaux que ces contrats sont clairement identifiés, en particulier dans la catégorie Guard services.
  • Leur partenaire privilégié est le Department of State et non pas le Department of Defense. La distinction est importante car la structure des contrats passés par ces deux ministères diffère sensiblement. Le ministère de la défense assure la sécurité de ses propres personnels et celle des contractants qui travaillent dans le cadre d’un déploiement militaire ou en soutien direct des forces sur le terrain. Il recourt assez peu à des sociétés militaires privées de type « néo-mercenaires ». Ses partenaires se consacrent principalement à des missions de soutien logistique (80 000 personnes) ou de construction (30000 personnes). Les employés de ces sociétés sont souvent des personnes recrutées sur place. Les forces privées de sécurité employées par le ministère de la défense représentent quelques milliers d’individus, moins que le transport ou les services d’interprétariat. À l’inverse, le ministère des affaires étrangères doit assurer la protection de ses installations et de ses personnels. Il sollicite plus fréquemment les sociétés de protection capables de fournir des gardes armés souvent recrutés dans un réservoir d’anciens des forces armées. La sécurité est le premier domaine d’emploi des contractants du ministère des affaires étrangères (environ 3000 personnes), loin devant les personnels administratifs ou de maintenance.
  • Les sociétés militaires privées présentent encore la particularité de bénéficier, plus que les autres, de procédures d’attributions non concurrentielles et donc, d’une certaine forme de choix discrétionnaire de la part de l’administration. Ce pourcentage varie entre le tiers et la totalité des contrats souscrits. Cette règle ne vaut cependant pas pour les sociétés non américaines. C’est ainsi que les contrats alloués à Aegis ou ArmorGroup, sociétés anglaises, le sont presque systématiquement après des procédures ouvertes à la compétition.
  • Enfin, les sociétés militaires privées subissent les pertes les plus lourdes, concentrant 85 % des morts recensés dans l’étude du congrès américain. Ce taux élevé apparaît comme une confirmation de l’implication des personnels de ces sociétés dans des missions où il est fait usage de la violence armée.

Les « sociétés privées militarisées »

23 Les sociétés privées militarisées offrent des services de sécurité à côté ou en complément d’autres prestations bien identifiées. Ainsi, EOD Technology se présente avant tout comme une société spécialisée dans la dépollution des terrains minés et la destruction des stocks de munition. De même, Agility Logistics et Securing Our Country (SOC – SMG) mettent en avant leur compétence en matière de logistique et de formation (pour ce qui est de SOC-SMG). Les prestations de sécurité ne semblent être conçues que comme les accessoires d’un cœur de métier qui n’impliquerait pas une proximité immédiate avec les zones de combat. Les contrats obtenus par ces sociétés le sont systématiquement après une procédure ouverte à la compétition. Enfin, leur taux de perte est minime, inférieur à 1 % pour celles dont les données ont été recensées.

24 Des différences manifestes apparaissent ainsi entre les deux types de contractants. Faut-il en déduire que les partenariats public-privé correspondants relèvent de catégories distinctes dans la typologie proposée par Mazouz et alii ? La réponse apparaît positive, en particulier au regard du critère de proximité. Le positionnement de l’institution militaire semble très différent selon que l’on envisage les missions confiées à l’un ou à l’autre de ces groupes de partenaires.

25 L’essentiel de l’argumentation développée par les sociétés militaires privées pour justifier leur existence repose sur le double argument de l’efficacité et du coût. S’agissant de l’efficacité, celle-ci résulterait du professionnalisme de leurs employés, professionnalisme lui-même garanti par le recrutement de militaires en fin de contrat. On ne saurait mieux dire que les sociétés militaires privées se positionnent en « passagers clandestins » des forces armées, récupérant à leur profit les compétences... que l’institution militaire développe et inculque à ses personnels. Dans ces conditions, le partenariat avec une société militaire privée est du type « élémentaire » et il devrait trouver sa justification dans des raisons d’organisation et de coût.

26 À l’inverse, les sociétés qui ont fait de la sécurité un « métierpar accessoire » disposent d’un domaine de compétence technique dans lequel elles peuvent détenir une expertise supérieure à celle de l’institution militaire. S’il s’agit par exemple de fournir une prestation logistique, c’est bien la compétence technique et non la capacité à assurer la sécurité qui est au cœur du partenariat. La relation qui s’établit avec les pouvoirs publics est alors plutôt du type « partenariat de circonstance ».

LA GESTION DES PARTENARIATS AVEC LES SOCIÉTÉS MILITAIRES PRIVÉES

27 Certains des partenariats conclus par le ministère de la défense ne présentent pas de particularité notable en ce qui concerne les enjeux managériaux dont ils sont porteurs ou les difficultés qu’ils sont susceptibles de soulever. Ainsi, l’analyse de la littérature consacrée à l’industrie de l’armement ne fait pas apparaître de divergence majeure entre les phénomènes qu’elle met en évidence et les constats dressés à propos des partenariats prospectifs : gérer dans la longue durée des alliances efficaces, très exigeantes en termes de coordination, d’assimilation de l’innovation, de capacité d’apprentissage...

28 À l’inverse, les nouveaux partenariats se distinguent sur des points importants du profil des partenariats élémentaires.

Enjeux et risques des partenariats avec les sociétés militaires privées

29 S’agissant de contrats synallagmatiques, les difficultés que leur signature et leur mise en œuvre sont susceptibles de soulever doivent s’apprécier du côté des deux parties prenantes.

Du côté de l’administration : la question de l’acceptabilité politique

30 Du côté de l’administration, les partenariats élémentaires soulèvent habituellement deux types de difficultés. D’une part, l’administration doit veiller à ce que le processus de sélection des partenaires s’opère selon des procédures concurrentielles. D’autre part, elle doit évaluer l’action du partenaire privé afin de vérifier que son intervention est bien source d’une meilleure utilisation des ressources au service de la collectivité.

31 Ces questions ne sont pas absentes des partenariats passés avec les sociétés militaires privées.

32 L’analyse des données de l’administration américaine révèle une double distorsion dans le choix des partenaires. Lorsque les sociétés militaires privées sont de nationalité américaine (Blackwater, DynCorp ou Triple Canopy), la proportion des contrats qui leur est allouée sans mise en concurrence varie entre le tiers et la totalité. À l’inverse, lorsque ces sociétés sont étrangères (Aegis ou Armorgroup), la part des contrats discrétionnaires est beaucoup plus faible, voire nulle dans le cas d’Aegis. Le choix des sociétés militaires privées avec qui l’administration contracte n’est pas exempt de toute forme de favoritisme, entraînant des surcoûts non négligeables pour les finances publiques  [22].

33 Dans le même esprit, l’intervention des sociétés militaires privées pose le problème de son rapport coût efficacité. Sur ce point, le rapport du Congressional Budget Office confirme le caractère largement illusoire des gains budgétaires attendus du remplacement des forces armées par les employés de ces sociétés. Selon les auteurs du rapport, un contrat alloué à Blackwater d’un montant annuel de 98,5 millions de dollars pourrait être assumé (à forces équivalentes) par l’armée américaine pour un coût de 110,1 millions (en supposant un taux de rotation idéal de deux unités au repos pour une unité sur le terrain) et de 88,2 millions (en retenant le taux de rotation effectivement constaté en 2007, soit 1,2 unité au repos pour une unité sur le terrain). L’étude montre ainsi que, dans des conditions de fonctionnement réelles, la mise en œuvre de partenariats public-privé ne produit pas nécessairement les économies budgétaires toujours citées comme un avantage majeur par les thuriféraires de la privatisation  [23].

34 L’intervention des sociétés militaires privées pose en outre une difficulté que l’on ne rencontre habituellement que dans les partenariats de circonstance : son acceptabilité politique. C’est d’ailleurs sur ce terrain que se situe l’essentiel de l’opposition à ce type d’intervention.

35 Les partisans de l’intervention des sociétés militaires privées la justifient en mettant en avant les arguments de l’efficacité opérationnelle et de l’économie de moyens. Pour ces auteurs, l’intervention d’acteurs privés, libérés des contraintes pesant sur la puissance publique mais travaillant dans le cadre des stipulations contractuelles définies avec elle, permettrait de remplir à moindre coût un grand nombre de missions touchant à la défense et à la sécurité, en particulier dans les situations post-conflit où des États et des sociétés doivent se reconstruire. Le jeu du marché produirait ses effets incitatifs favorables et une régulation appropriée, fondée sur un ensemble de dispositions contractuelles et de normes éthiques, garantirait le respect des principes fondamentaux du droit de la guerre ou des droits de l’homme  [24]. Dans les pays où ce type de partenariat n’existe pas, l’argument de l’efficacité se déploie conjointement avec celui du risque de domination anglo-américaine qui naîtrait de l’absence d’offre alternative.

36 Les opposants à l’intervention des sociétés militaires privées se placent sur un terrain différent, celui du caractère politiquement inacceptable de la montée en puissance d’acteurs privés qui portent atteinte à la primauté des États sur les enjeux de sécurité  [25], accroissent les risques encourus par les forces armées sur le terrain [26], sapent les processus de reconstruction  [27], ravivent la tentation néo-colonialiste et agissent dans un cadre juridique qui n’est plus celui des lois nationales ou internationales mais celui des contrats et de l’autorégulation  [28]. La critique vise donc le principe même du recours à des partenaires privés. Selon la formule de Béatrice Hibou, le pont jeté entre les organisations publiques et privées dans le monde de la défense correspond à un « brouillage des frontières de l’État »  [29].

37 Les contrats passés entre l’administration américaine et des sociétés militaires privées soulèvent donc un type de problème dont sont habituellement exempts les partenariats élémentaires, celui de leur acceptabilité politique.

Du côté des sociétés militaires privées : le fait du prince

38 Si l’on envisage les partenariats public-privé du côté des sociétés miliaires privées, le risque encouru est davantage celui du « fait du prince » que le risque classique de lourdeur bureaucratique.

39 Comme toute entreprise qui contracte avec l’administration pour des montants importants, les sociétés militaires privées doivent supporter les inconvénients ordinaires de la bureaucratie : calendriers dilués, procédures excessivement formalistes, concentration du pouvoir de décision... Christian Olsson souligne que le poids de cette contrainte bureaucratique doit être nuancé du fait de la proximité des responsables militaires et des dirigeants des sociétés militaires privées. Ces sociétés sont le plus souvent fondées ou animées par des responsables ou des cadres issus du ministère de la défense, ce qui peut sans doute aider à la maîtrise des procédures et créer une certaine forme d’empathie entre les acteurs.

40 Au regard de l’expérience du conflit irakien, le risque majeur pour ces sociétés semble résider bien davantage dans le « fait du prince », c’est-à-dire l’attribution discrétionnaire de certaines sujétions au sein du contrat et la rupture brutale de certains autres contrats. Seuls deux des partenaires de l’administration américaine connaissent une évolution que l’on pourrait qualifier de raisonnablement durable et maîtrisable de leur activité : Dyncorp, qui a connu une progression par pallier de son chiffre d’affaires et Armorgroup (dont le chiffre d’affaires a quintuplé entre 2004 et 2007). Les autres subissent des variations erratiques qui peuvent constituer des aubaines (Aegis reçoit près de 90 millions de contrats en 2008 alors qu’elle n’était pas encore partenaire du ministère de la défense deux ans plus tôt), mais aussi des sources de difficulté (le volume des contrats passés par l’administration à Triple Canopy est divisé par 2,5 entre 2007 et 2008), voire des ruptures sans préavis (le ministère des affaires étrangères interrompt tout partenariat avec Blackwater en 2008). Pour tout gestionnaire, des ruptures de charges aussi brutales sont synonymes de fragilité pour l’entreprise. Elles supposeraient une capacité d’adaptation hors du commun et des structures organisationnelles d’une très grande souplesse. C’est ce que tend à réaliser le modèle économique dont s’inspirent les sociétés militaires privées et qui est celui des agences de travail temporaire. Mais, ce modèle a des limites et l’on peut penser que l’instabilité des volumes d’affaires découlant du « fait du prince » induira un mouvement de concentration du secteur, notamment par l’absorption des sociétés spécialisées au sein de groupes capables d’amortir les variations d’activité par la maîtrise d’un portefeuille diversifié de services et de clients.

La loyauté incertaine des sociétés militaires privées

41 Dans leur typologie, Mazouz, Facal et Viola considèrent que les partenariats élémentaires sont ceux dont la mise en œuvre présente le moins de difficultés : peu exigeants en matière de coordination des acteurs ou de capacité d’apprentissage, leurs résultats sont de surcroît faciles à évaluer. L’expérience des partenariats conclus par l’administration américaine pour ses opérations en Irak confirme partiellement cette analyse, mais montre que l’intervention des sociétés militaires privées engendre d’importantes difficultés de coordination : responsabilité directe des employés de Blackwater dans de nombreux accrochages avec la population (dont les tirs injustifiés ayant abouti à la rupture du partenariat), implication de certaines sociétés privées dans le scandale d’Abu Graïb... De la même façon, en Afghanistan, les sociétés privées chargées du ravitaillement des troupes alliées sont fortement soupçonnées de verser d’importants pots-de-vin aux groupes talibans qui contrôlent les régions du sud afin de s’assurer de leur neutralité, voire de leur protection  [30].

42 Au-delà de ces cas particuliers, la question de la coordination apparaît centrale dans les relations entre l’institution militaire et ses partenaires privés. Selon la logique même de la contractualisation, les responsables militaires n’exercent qu’une autorité limitée sur les personnels des compagnies privées. L’administration américaine a certes introduit dans les contrats des stipulations qui autorisent un responsable militaire à adapter les missions du co-contractant aux circonstances, sous réserve que l’enveloppe financière du contrat est respectée. Mais, en tout état de cause, le cadre contractuel limite la capacité d’initiative des parties prenantes et il fait échapper les employés à l’autorité directe des responsables militaires. L’absence d’emprise directe du commandement sur une partie significative des acteurs qui prennent part au processus de reconstruction apparaît comme une difficulté majeure dans la conduite de la phase de stabilisation qui suit l’intervention militaire proprement dite.

43 La leçon tirée de la guerre d’Irak n’est pas surprenante dans la mesure où Williamson lui-même s’était montré sceptique quant à la pertinence des partenariats public-privé pour la gouvernance des activités régaliennes  [31]. Selon lui, le choix d’un mode de gouvernance approprié aux transactions souveraines, concept forgé par James Wilson et qui correspond notamment à la diplomatie ou à la défense  [32], fait intervenir une notion originale, la probité, définie comme l’exacte régularité à remplir tous les devoirs de la mission reçue de l’autorité légitime. La probité s’applique principalement dans les relations entre le pouvoir exécutif, maître de la politique étrangère ou de défense, et les services chargés de la conduire. Elle se décline en une série d’exigences comportementales qui résultent de la rencontre d’une compétence technique (la capacité de donner une dimension opérationnelle à une volonté politique : une parole diplomatique, une action militaire) et d’un état d’esprit (la volonté de servir).

44 Selon le jugement de Williamson, c’est la bureaucratie weberienne qui forme la structure de gouvernance la plus propice au développement de la probité en raison de la primauté qu’elle reconnaît à l’application des règles, de la lisibilité de son système hiérarchique ou du traditionnel esprit de service des fonctionnaires. Le recours à un partenariat public-privé pour la gestion des affaires étrangères s’avère sinon impossible, du moins d’une efficacité plus limitée en raison des coûts de contrôle que suscite l’intervention de l’agent privé.

45 Les retours d’expérience comme les approches plus théoriques convergent donc pour faire de la question de la coordination un enjeu managérial très important des partenariats entre les pouvoirs publics et les sociétés militaires privées.

46 Le débat relatif aux sociétés militaires privées se déroule aujourd’hui principalement sur le terrain des principes et du caractère politiquement acceptable de l’intervention d’agents privés dans la mise en œuvre de politiques publiques régaliennes. Il reçoit un éclairage précieux d’une approche de nature managériale inspirée du cadre et des concepts développés à propos des partenariats public-privé du monde civil.

47 Cette approche permet en particulier d’approfondir l’étude des enjeux, des risques et des difficultés managériales associés à ces contrats d’un genre particulier. Les résultats obtenus permettent une comparaison avec les enseignements précédemment dégagés par Mazouz, Facal et Viola à propos des partenariats qualifiés par eux d’élémentaires et qui semblent correspondre, au regard de la maîtrise des missions externalisées et de la capacité d’initiative de l’institution militaire, à l’essence des contrats passés avec des sociétés militaires privées du type de Blackwater, Aegis Dyncorp, Triple Canopy, ou Armorgroup.

Figure 3

Comparaison du partenariat élémentaire et des PPP avec des sociétésmilitaires privées

Partenariat élémentaire Partenariat avec des
(Voir Mazouz et alii, sociétés militaires
2008) privées
Efficacité par
Rationalité Efficacité recentrage sur le cœur
du métier militaire
Questions
Question centrale Évaluation Politique et efficacité
Ressources Manque d’efficacité Manque d’efficacité
Administratif et Politique et
Pour l’administration bureaucratique macroéconomique
Risque
Pour le partenaire Bureaucratie discCréotniotrnantasires
cBooesrdoiinnastidoen Faible Cruciaux
Management Capacité
challenges d’apprentissage et Limitée Limitée
d’évolution
Evaluation Simple Complexe
figure im3

Comparaison du partenariat élémentaire et des PPP avec des sociétésmilitaires privées


48 En tant que partenariats élémentaires, la raison d’être des contrats conclus avec des sociétés militaires privées devrait être recherchée dans une plus grande flexibilité organisationnelle et une meilleure gestion des deniers publics. Cette efficacité managériale est-elle un mythe ou une réalité ? L’expérience montre que le rapport coût / efficacité des sociétés militaires privées est extrêmement médiocre. Elles sont plus souvent une gêne qu’un avantage dans la « conquête des cœurs et des esprits ». Leurs employés font preuve d’un discernement parfois limité dans l’évaluation des menaces et ils sont régulièrement détestés des populations au sein desquelles ils sont appelés à agir. Des difficultés récurrentes de coordination se font jour avec ceux dont ils se présentent comme les anciens camarades. Leur coût est au moins aussi élevé que celui de troupes régulières. Au total, la présence de ces sociétés s’explique non par des compétences particulières ou une diminution des coûts, mais par un « bricolage institutionnel », les forces armées régulières étant de plus en plus hors d’état de mener à bien les opérations extérieures qui leur sont prescrites avec les dotations budgétaires, les ressources humaines et les équipements qui leur sont alloués. Le raccourci de Paul Singer semble appelé à se vérifier de plus en plus brutalement : « Can’t Go to War Without Them, Can’t Win with Them »  [33].

49 Par rapport aux partenariats élémentaires que l’on rencontre dans le monde civil, l’analyse met en évidence certaines particularités qui font des partenariats public-privés dans le domaine militaire, par nature élémentaires, un genre spécifique par ses enjeux, ses risques et ses variables clés de succès.

50 Ces partenariats sont tout d’abord porteurs d’enjeux extrêmement lourds, non seulement techniques mais également socio-politiques. Les opérations militaires actuelles sont conduites afin de rallier la population autant, sinon plus, qu’à vaincre un ennemi. Cette ambition impose des contraintes dans l’emploi de la violence et la maîtrise de la force est la condition du succès stratégique. La prestation assurée par le partenaire privé s’inscrit dans ce contexte et elle est susceptible d’influencer directement la réussite ou l’échec de la mission. Contrairement aux partenariats élémentaires que l’on peut rencontrer dans le monde civil, l’enjeu n’est donc pas seulement celui de la plus ou moins grande efficacité technique d’un processus de production.

51 Le fait que l’action des partenaires privés influence fortement le succès ou l’échec de l’action stratégique est un facteur décisif du type de pilotage qui semble se dégager de l’expérience américaine en Irak. Les contrats conclus avec des sociétés militaires privées américaines échappent très largement aux règles habituelles des marchés publics. Leur attribution est souvent discrétionnaire et ils peuvent être révoqués tout aussi discrétionnairement. Les co-contractants de l’administration doivent donc être conscients du fait qu’ils sont à la fois bénéficiaires et victimes potentielles d’un pilotage dans lequel le « fait du prince » est susceptible d’intervenir à tout moment.

52 Enfin, contrairement aux partenariats élémentaires du monde civil, le succès ou l’échec du partenaire est difficile à évaluer. En dehors de comportements excessifs (torture d’Abu Graïb ou déclenchement intempestif du feu contre des civils), l’action des partenaires privés ne peut s’apprécier indépendamment de celle des forces armées et des autres acteurs impliqués sur le terrain. En outre, elle ne doit pas se mesurer à l’aune d’un succès tactique mais de la contribution plus ou moins positive à la mise en place des conditions de la stabilisation.

53 Sous ces trois aspects, les partenariats public-privé qui ont été mis en place dans le cadre des opérations militaires menées en Irak ne sont pas comparables directement aux partenariats élémentaires qui avaient été préalablement identifiés dans le monde civil. Au-delà du débat relatif à la libéralisation des sociétés militaires privées en France, les sciences de gestion suggèrent d’approfondir l’analyse de la structure de gouvernance qui serait susceptible de les recevoir et des mécanismes de pilotage nécessaires à leur maîtrise.


Date de mise en ligne : 01/01/2010.

https://doi.org/10.3917/rfap.130.0249

Notes

  • [2]
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  • [3]
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  • [4]
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  • [5]
    Mazouz (Bachir), Facal (Joseph), and Viola (Jean-Michel), « Public-Private Partnership : Elements for a Project-Based Management Typology », Project Management Journal 39, n° Juin, 2008, pp. 98-110.
  • [6]
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    Congress of the United States, Congressional Budget Office, Contractors’Support of US Operations in Iraq, 2008.
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  • [10]
    Congress of the United States, Congressional Budget Office, Contractors’Support of US Operations in Iraq, A CBO Paper, August, 2008.
  • [11]
    Source : Congressional Budget Office, 2008, p. 7. Le tableau a fait l’objet d’une adaptation en langue française par l’auteur. Toute erreur lui est imputable.
  • [12]
    Mazouz (B.) et Belhocine (N.), « Partenariats public-privé, une équation à résoudre par la gestion de projets », op. cit. ; Mazouz (B.), Facal (J.), and Viola (J.-M.), « Public-Private Partnership : Elements for a Project-Based Management Typology », op. cit.
  • [13]
    Les auteurs fondent leur analyse sur deux dimensions structurantes des PPP : la proximité de la cible et la capacité de l’administration à générer des projets. La proximité de la cible est définie comme la capacité de l’administration à connaître et anticiper les besoins de la population à laquelle elle rend des services. Dans le cas de l’institution militaire, la proximité de la cible peut être entendue comme la connaissance de l’état actuel et de la dynamique des conflits ainsi que des processus à accomplir pour mettre en acte la volonté politique des gouvernants. La capacité à générer des projets se mesure aux initiatives prises pour satisfaire les besoins qui ont été identifiés. Elle suppose une volonté politique et la mise en œuvre de ressources. Ce critère peut être transposé tel quel au monde militaire.
  • [14]
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  • [21]
    DynCorp est la seule des grandes sociétés militaires privées à disposer de compétences dans des domaines comme la maintenance aérienne, ce qui lui permet de contracter régulièrement avec l’ensemble des entités du Department of State et du Department of Defense. Ce portefeuille étendu de compétence peut également être à l’origine de l’intérêt que lui ont porté successivement Computer Sciences Corporation (prise de contrôle en 2003) puis Véritas Capital (rachat de l’entreprise en 2005)
  • [22]
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  • [28]
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  • [29]
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  • [31]
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  • [32]
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  • [33]
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