Couverture de RFAP_127

Article de revue

Quelle identité d'agent public aujourd'hui ?

Représentations et valeurs au sein du service public Suisse

Pages 559 à 578

Notes

  • [1]
    Emery (Yves), « L’émergence et les défis de l’après-fonctionnariat », in Chappelet (J.-L.) dir., Contributions à l’action publique, Berne, Haupt, 2006, p. 53-76.
  • [2]
    Pollitt (Christopher), « Reinvention and the Rest : Reform Strategies in the OECD World », in Emery (Y.), L’administration dans tous ses états. Réalisations et conséquences, Lausanne, Presses polytechniques et univer - sitaires romandes, 2000, p. 217-236 ; Chanlat (Jean-François), « L’action publique, l’éthique du bien commun, l’efficacité et l’efficience : un regard croisé », in Emery (Y.) et Giauque (D.) dir., Sens et paradoxes de l’emploi public, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2003, p. 13-28.
  • [3]
    Emery (Yves), « L’émergence et les défis de l’après-fonctionnariat », op. cit.
  • [4]
    Emery (Yves) et Giauque (David), « E mployment in the public and private sectors : toward a confusing hybridisation process », Revue internationale de sciences administratives, vol. 71(4), 2005, p. 639-657.
  • [5]
    W eber (Max), Wirtschaft und Gesellschaft, Tübingen, M ohr, 1956.
  • [6]
    Pollitt (Christopher) et Bouckaert (Geert), Public Management Reform : a comparative analysis, Oxford, Oxford University Press, 2004.
  • [7]
    Emery (Yves) et Giauque (David), Pa radoxes de la gestion publique, Paris, L’Harmattan, 2005.
  • [8]
    Maesschalck (Jeroen), « T he Impact of New Public Management Reforms on Public Servant’s E thics : Towards a Theory », Public Administration, V ol. 82(2), 2004, p. 465-489; Rondeaux (Giseline), « T he evolution of the organisational identity of a Federal Public Service in a context of change », in EGPA 2005 Proceedings : Reforming the public sector : what about the citizens ?, B erne, 2005; Rondeaux (Giseline) et Pichault (François), « Identity dynamics in post-NPM administration : A subtle two-step between contents and context », in EGOS 2007 Proceedings : B eyond Wa ltz – Dances of Individuals and Organization, Vienne, 2007 ; Rouillard (Christian) et Giroux (Dalie), « Public Administration and the Managerialist Fervour for Va lues and E thics : On Collective Confusion in Control Societies », Administrative Theory and Praxis, V ol. 27(2), 2005, p. 330-357.
  • [9]
    Giauque (David) et Caron (Daniel J.), « L’identité des agents publics à la croisée des chemins : de nouveaux défis pour les administrations publiques » in EGPA 2005 Proceedings, op. cit.; Meyer (Renate E.) et Hammerschmid (Gerhard), « Changing institutional logics and its impact on social identities. A Survey of austrian public sector executives », in EGPA 2005 Proceedings, op. cit.; Bozeman (Barry), Public values and public interest counterbalancing economic individualism, Wa shington, D.C., Georgetown University Press, 2007 ; Jorgensen (T orben Beck), « The Public Sector in an in-between Time : Searching for New Public Values », Public Administration, V ol. 77(3), 1999, p. 565-584.
  • [10]
    Minogue (Martin) et al., eds., Beyond the New Public Management : Changing Ideas and Practices in Governance, C heltenham, Edward Elgar, 1998; Nolan (Brendan C.) ed., Public Sector Reform : a n International P erspective, Ba singstoke, Pa lgrave, 2001.
  • [11]
    Olsen (J ohan P.), « Maybe It Is T ime to Rediscover Bureaucracy », J ournal of public Administration Research and Theory, Vol. 16(1), 2006, p. 1-24; Steen (Trui), « Revaluing Bureaucracy : what about public servants’ motivation ? », in EGPA 2006 Proceedings : Public Manager under pressure : between politics, professionalism and civil society, M ilan, 2006.
  • [12]
    Denhardt (Ja net V.) et Denhardt (Robert B.), The New Public Service : S erving, N ot Steering, A rmonk, NY, Sharpe, 2003.
  • [13]
    Boltanski (Luc) et Thévenot (Laurent), De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.
  • [14]
    Brewer (Gene A.) et al., « Individual Conceptions of Public Service Motivation », Public Administration Review, V ol. 60(3), 2000, p. 254-264; Emery (Yves) et Giauque (David), « Le dilemme motivationnel des agents publics », in T. Duvillier et al., La motivation au travail dans les services publics, Paris, L’Harmattan, 2003 ; Francfort (Isabelle) et al., Les mondes sociaux de l’entreprise, Paris, D esclée de Brouwer, 1995.
  • [15]
    Dubar (Claude), La crise des identités. L’interprétation d’une mutation, Paris, PUF, 2000.
  • [16]
    Emery (Yves) et al., L’image des fonctionnaires dans le canton de Genève, Lausanne, IDHEAP, 1997.
  • [17]
    Gioia (Dennis A.) et al., « Organizational Identity, I mage and Adaptative Instability », Academy of Management Review, vol. 25(1), 2000, p. 63-81.
  • [18]
    Ashforth (Black E.) et Mael (Fred), « Social identity theory and the organization », Academy of Management Review, vol. 14(1), 1989, p. 20-39.
  • [19]
    Nous nous intéressons à l’identité des agents publics en tant qu’employés de l’organisation qu’est le service public et non en tant qu’employés des différentes organisations composant le service public, distinction que nous n’avons pas traitée comme variable dépendante dans nos entretiens et qui n’est pas l’objet de cette analyse.
  • [20]
    Il faut noter que l’identité organisationnelle n’est pas nécessairement vouée à la continuité : l’identité est imputée à des valeurs exprimées, mais l’interprétation de ces valeurs par les agents publics n’est pas nécessairement fixe et peut changer en fonction du contexte (Gioia (Dennis A.) et al., « Organizational Identity, I mage and Adaptative Instability », op. cit., p. 65).
  • [21]
    Dubar (Claude) et Tripier (Pierre), Sociologie des professions, Paris, A rmand Colin, 2005.
  • [22]
    Rouban (Luc), « Les fonctionnaires face à la vie professionnelle : a ttentes et représentations », Revue administrative, V ol. 53(316), 2000, p. 417-428.
  • [23]
    Segal (L ynn), Le rêve de la réalité, Paris, L e Seuil, 1990 ; Wa tzlawick (Paul), L’invention de la réalité : contributions au constructivisme, Paris, L e Seuil, 1988.
  • [24]
    Kaufmann (Jean-Claude), éd., L’entretien compréhensif, Paris, A rmand Colin, 2004.
  • [25]
    Blanchet (Alain) et Gotman (Anne), L’enquête et ses méthodes : l’entretien, Paris, Na than, 1992 ; R obert (André D.) et Bouillaguet (Annick), L’analyse de contenu, (2e éd.), Paris, Presses universitaires de France, 2002.
  • [26]
    Une représentativité identique de toutes les variables n’a pas pu être toujours atteinte. Les variables « ancienneté dans le service public » et « expérience dans le privé », tout en gardant à l’esprit le problème de leur représentativité, sont prises en compte dans l’analyse des entretiens lorsqu’elles se révèlent pertinentes pour apporter une certaine nuance aux résultats. En revanche, les variables « niveau de formation » et « âge » ne semblent pas influencer de manière significative les réponses de nos interlocuteurs, minimisant ainsi le biais potentiel dû à leur problème de représentativité.
  • [27]
    Cf. infra Annexe : P rincipales questions de la grille d’entretiens.
  • [28]
    Les dimensions analysées relèvent d’un choix parmi d’autres dimensions possibles, introduisant une part d’arbitraire dans les résultats. L’objectif est de présenter certaines dimensions composant l’identité d’agent public particulièrement pertinentes dans le contexte des réformes actuelles sans aucune prétention d’exhaustivité.
  • [29]
    L es interviewés n’ont pas répondu à des questions fermées, c e qui explique que les différentes dimensions n’apparaissent pas forcément dans tous les entretiens et que le nombre de citations par thème reste relativement faible en comparaison avec le nombre total d’interviewés (soixante-trois). Lorsqu’un même thème est mentionné plusieurs fois dans un même entretien, il n’est pris en compte qu’une seule fois; lorsqu’un même interviewé mentionne plusieurs thèmes différents à l’intérieur d’une même dimension, c haque thème est pris en compte une fois.
  • [30]
    Demmke (Christoph), Are civil servants different because they are civil servants ?, Maa stricht, I nstitut européen d’administration publique, 2005, p. 1-127.
  • [31]
    F estinger (Leon), A Theory of Cognitive Dissonance, E vanston, IL, R ow, P erterson & Company, 1957.
  • [32]
    Rondeaux (Giseline), « T he evolution of the organisational identity of a Federal Public Service in a context of change », op. cit.
  • [33]
    Ibid.; Emery (Yves) et Giauque (David) eds., Dilemmes de la GRH publique, Lausanne, Éditions loisirs et pédagogie, 2007.
  • [34]
    Lemire (Louise), « Le nouveau contrat psychologique et le développement de l’employabilité : c hose promise, c hose due ! », Revue multidisciplinaire sur l’emploi, le syndicalisme et le travail (REMEST), vol. 1(1), 2000, p. 4-21.
  • [35]
    DeLong (T homas J.), « Reexamining the career anchor model », P ersonnel, vol. 59(3), 1982, p. 50-61; Schein (E dgard H.), Ancres de carrière : découvrir ses véritables valeurs, M ontréal, Ac tualisation, 1995. Les personnes attachées à cette ancre cherchent à faire œuvre utile, comme « résoudre des problèmes environnementaux, faire du monde un endroit où il fait bon vivre, susciter une plus grande harmonie entre tous, a ider les autres, a méliorer le bien-être des personnes, influencer l’organisation ou des politiques sociales, etc. », L emire (Louise) et Rouillard (Christian), Le contrat psychologique : a nalyse comparée des secteurs public et privé, Montréal/Hull, ENAP, 2001, p. 38-39.
  • [36]
    Cette notion d’identité professionnelle liée au « métier spécifique » doit cependant être relativisée : l’importance donnée au social au sens large de même que l’orientation vers des valeurs à un niveau davantage « professionnel » que typique public semble transcender les logiques propres de métier; la typologie des mondes permettra de revenir sur ce point important.
  • [37]
    T outes les cases du tableau n’ont pas pu être remplies à l’aide des thèmes analysés précédemment, n’ayant pas cherché à obtenir des résultats exhaustifs sur la base de critères préétablis. Nous avons complété en italique les cases vides par les idées les plus proches de ces mondes ressortant des entretiens.
  • [38]
    Hondeghem (Annie) et Va ndenabeele (W outer), « Va leurs et motivation dans le service public, perspectives comparatives », Revue française d’administration publique, V ol. 115,2005, p. 463-480.
  • [39]
    Ce monde pourrait également être rapproché d’une troisième logique identitaire organisationnelle appelée « Pragmatisme » (Rondeaux (G.) et Pichault (F.), op. cit. ), c ombinant des aspects du « Service public » et du « Managérialisme public ». Cette logique est plus attachée aux réalisations tangibles et aux résultats, donc à l’action, qu’aux principes et valeurs en tant que tels ; elle adapterait les aspects des deux autres logiques identitaires en termes de méthodes et de démarches pratiques. Plutôt que de combiner des aspects relevant de différentes logiques déjà mises en évidence au sein d’une nouvelle logique pour créer un nouveau monde fonctionnant à un niveau différent, nous préférons proposer un monde pour chaque logique différente, permettant de distinguer de manière plus claire les différents groupes de valeurs auxquels les agents publics s’identifient. Ainsi, le monde « Professionnalité/Qualité » est considéré comme fonctionnant sur une logique indépendante de celle du monde « Fonctionnalité/E fficience » car il ne comporte aucune valeur de rentabilité.
  • [40]
    Sehested (Karina), « How NPM reforms challenge the roles of professionals », International J ournal of Public Administration, Vol. 25(12), 2002, p. 1513-1537.
  • [41]
    Boltanski (Luc) et Chiapello (E ve), Le Nouvel esprit du capitalisme, Paris, Ga llimard, 1999; Knoepfel (Peter) et al., Analyse et pilotage des politiques publiques, G enève, H elbing & Lichtenhahn, 2001.
  • [42]
    Boltanski (Luc) et T hévenot (Laurent), De la justification. Les économies de la grandeur, op. cit.
  • [43]
    Ibid.
  • [44]
    Lemire (Louise) et Rouillard (Christian), Le contrat psychologique : a nalyse comparée des secteurs public et privé, op. cit.
  • [45]
    Knoepfel (Peter) et al., Analyse et pilotage des politiques publiques, op. cit.
  • [46]
    A ucoin (Peter), « T he New Public Governance and the Public Service Commission », Optimum Online : The J ournal of Public Sector Management, V ol. 36(1), 2006, hhttp :// www. optimumonline. ca/ article. phtml ? id= 252 ; Osborne (Stephen P.), « The New Public Governance ? », Public Management Review, vol. 8(3), 2006, p. 377-387.
  • [47]
    Remarque : la grille d’entretiens adopte une perspective plus large; les questions suivantes ont été choisies en guise d’exemples pour la présente communication.

1Dans le contexte des années 1990, marquées par la pensée néo-libérale et le courant de la nouvelle gestion publique (New Public Management ), vantant la suprématie des mécanismes du marché sur toute autre forme de régulation sociale, la frontière entre le monde des organisations publiques et le monde des organisations privées tend à s’estomper, aboutissant à une forme d’alignement de la gestion publique sur le management privé [1]. Les réformes administratives entreprises dans les pays disposant d’une fonction publique développée (pays de l’OCDE) représentent une forme de « managérialisation » de la gestion publique, reflétant une hégémonie du modèle de l’entreprise et de la pensée managériale comme moyen le plus efficace de conduite des organisations [2].

2Cette nouvelle conception de la gestion publique donne lieu à des changements majeurs dans les statuts des agents publics et dans leurs conditions de travail : augmentation de la proportion des employés publics soumis à un rapport de travail de droit privé, accent mis sur la performance au moyen de la fixation d’objectifs et de critères d’évaluation, incitation à la formation continue et à la mobilité à l’intérieur de l’organisation publique. La plupart des pays de l’Union européenne ont néanmoins conservé une forme de sécurité de l’emploi pour les agents publics. En revanche, la Suisse a radicalement changé le statut même des fonctionnaires et leurs conditions d’emploi : l’administration fédérale (Confédération), a insi que beaucoup d’autres administrations publiques aux niveaux régional (par exemple, cantons de Berne, Vaud, Bâle, Zürich) et parfois local (communes), ont mené de grands programmes de modernisation de type « nouvelle gestion publique » et ont aboli la nomination des fonctionnaires, supprimant de ce fait la sécurité de l’emploi. Ces réformes, c ombinées à l’introduction de nouveaux outils de gestion, de restrictions budgétaires, de programmes de restructurations, d’annonces de réduction d’effectifs et des premiers licenciements économiques, produisent actuellement leurs effets sur les agents publics et, plus largement, sur les organisations publiques.

3En supprimant l’attribut par excellence du statut du fonctionnaire qui est la sécurité de l’emploi et en se calquant de plus en plus sur des pratiques issues du privé, les réformes ébranlent la logique même du fonctionnariat, raison pour laquelle nous utilisons l’expression d’« après-fonctionnariat » [3] pour qualifier, a priori, l’univers organisationnel, culturel et managérial que vivent les agents publics aujourd’hui. L’idéal-type de l’aprèsfonctionnariat représente des agents publics engagés selon des conditions proches de celles du privé, orientés selon un esprit d’entreprise et une logique client, devant répondre à des objectifs quantitatifs et qualitatifs, évalués et récompensés suivant leur performance [4]. Une réelle conceptualisation de l’après-fonctionnariat n’existe pas à ce jour et peu de littérature a été consacrée à ses conséquences sur les agents publics, et particulièrement sur ceux de la base.

4L’intérêt de notre contribution est d’aider à combler cette lacune en apportant un éclairage sur le monde vécu par les agents publics de la base au sein du service public en Suisse. Dans le contexte de l’éclatement du modèle classique du fonctionnariat et d’un environnement potentiellement confus, notre travail poursuit l’objectif de contribuer à mieux connaître ce que nous avons appelé « l’après-fonctionnariat » et de mettre en évidence ses principales caractéristiques définissant l’identité des agents publics et forgeant la culture des organisations publiques. Après avoir exposé notre cadre théorique et notre démarche méthodologique, nous présentons une analyse des représentations et des valeurs des agents publics suisses pour mettre en évidence les transformations de l’identité du « fonctionnaire traditionnel » accompagnant les réformes du service public.

CADRE THÉORIQUE GÉNÉRAL

5Les réformes profondes auxquelles est confronté le service public à la suite de la vague de la nouvelle gestion publique introduisent un nouveau référentiel – le référentiel marchand – dans un monde régi jusqu’alors par le modèle wébérien de l’administration publique fondé sur les référentiels civique et industriel [5]. Le modèle wébérien représente une administration publique neutre et impersonnelle, tournée entièrement vers l’intérêt général et l’application égalitaire des fondements légaux de son activité (référentiel civique), orientée vers le bon fonctionnement et l’efficacité interne de son organisation (référentiel industriel). Certains auteurs relèvent que les organisations publiques, confrontées à l’arrivée de ce référentiel marchand en leur sein (compétitivité, efficience, orientation client, logique d’entreprise, philosophie managériale), font face à une crise engendrée par une perte de sens et de légitimité auprès des agents publics [6]. Plus précisément, les agents publics sont confrontés à des messages ambigus et contradictoires, à des « paradoxes de la gestion publique » [7] produits par la multiplication des symboliques et des valeurs renvoyant à des référentiels différents.

6La littérature traitant de l’évolution des identités au sein de contextes paradoxaux, ambigus ou fortement évolutifs en lien avec les programmes de modernisation du service public [8] a mis en évidence que les valeurs actuelles des agents publics semblent osciller entre deux pôles : les valeurs traditionnelles du secteur public ( ethos du fonctionnaire, honnêteté, intégrité, impartialité, objectivité, sens de l’intérêt général, dévouement, b ien commun) et les valeurs inspirées de l’entreprise privée (importance de la rentabilité, managérialisme, c ulture du résultat, performance, efficience). L’hybridation des cultures et des pratiques managériales publiques et privées amène à un bouleversement potentiel des points de référence et, si elle peut élargir la capacité d’action, elle peut également engendrer un conflit de valeurs, voire une remise en question de l’identité des agents publics [9]. Un nombre croissant d’auteurs tente de disserter sur ces formes hybrides en utilisant des appellations variées telles que « État néo-wébérien » [10], néo-bureaucratie [11] ou encore Nouveau service public [12], institutions qui devraient inventer un « nouvel ethos public » soutenant l’identité renouvelée des agents publics.

7On pourrait reprocher à ces travaux de mettre souvent en avant une bipolarité marquant les cultures et les identités au sein du service public aujourd’hui, en se fondant sur une vision dichotomique des représentations et valeurs les sous-tendant (culture bureaucratique classique versus culture inspirée par l’entreprise privée), et de donner ainsi une image quelque peu simpliste et réductrice de la réalité.Un éclairage intéressant pour l’analyse des représentations et des valeurs, permettant de dépasser cette critique, peut être apporté par le concept de « monde commun » [13] : ce concept désigne une communauté de sens et d’appartenance fonctionnant selon une logique propre orientée sur un principe commun supérieur qui permet de percevoir et d’interpréter la réalité sous un angle particulier.Ces mondes révèlent des sphères de légitimation auxquelles les membres d’une organisation se réfèrent pour justifier leurs décisions et leurs comportements. La typologie des mondes communs élaborée par Boltanski etThévenot ne porte pas spécifiquement sur les organisations publiques,mais elle permet d’aller plus loin que la bipolarité des identités, évoquée précédemment, en enrichissant la réflexion à d’autres dimensions constituant autant de mondes fondés sur des logiques différentes. Cet objectif de diversification de l’analyse est poursuivi également par d’autres auteurs14. [14].

8Prolongeant cette réflexion sur les différents mondes d’appartenance et l’adaptant au contexte des organisations publiques, nous adoptons une vision récente de l’identité, existentialiste, fondée sur des formes sociétaires qui « supposent l’existence de collectifs multiples, variables, éphémères auxquels les individus adhèrent pour des périodes limitées et qui leur fournissent des ressources d’identification qu’ils gèrent de manière diverse et provisoire » [15]. Nous partons de l’idée qu’il existe, Au sein des organisations publiques, divers « mondes » formant ensemble l’univers évolutif que nous avons baptisé l’après-fonctionnariat. Ces mondes représentent autant de cadres de référence fournissant des univers d’identification potentielle aux agents publics agissant dans un environnement moins anomique que plurinomique. Pour découvrir ces différents mondes, nous nous insérons dans une perspective interprétativiste de l’identité, permettant de saisir la complexité de la réalité en partageant la vision du monde des acteurs impliqués, de sorte à arriver à une compréhension en profondeur des principales dimensions constitutives de leur identité d’agent public à travers l’analyse des représentations et des valeurs auxquelles ils se réfèrent.

9Les représentations sont analysées à l’aide du concept d’« image » faisant référence au monde cognitif de nos représentations mentales [16]. À travers les associations spontanées que les agents publics opèrent avec les notions de service public et d’employé public, il est possible de mettre en évidence les principales images véhiculées autour de ces notions. Pour couvrir un certain nombre de dimensions susceptibles de dévoiler leurs représentations, nous avons analysé l’image du service public et des agents publics que ces derniers croient être présente dans l’esprit de la population en général (image extérieure); l’image qu’ils ont du service public et des agents publics (image intérieure) et l’image qu’ils ont d’eux-mêmes en tant qu’agents publics (image de soi-même). L’image, dans ses différentes conceptions, est fortement liée à l’identité des agents publics dans le sens où elle fournit un catalyseur pour leur identification à l’organisation. Elle peut agir comme une force déstabilisatrice sur l’identité, en poussant les membres d’une organisation à redéfinir et reconstruire leurs valeurs et leur identité organisationnelle [17].

10Les valeurs sont analysées par le biais de quatre dimensions (rôles les plus importants associés au service public, sens accordés au fait de travailler dans le service public, valeurs professionnelles dans l’exercice de sa fonction et attachement au service public). E lles reflètent deux niveaux différents d’identification au service public. D’une part, elles renvoient à l’identité organisationnelle [18], c’est-à-dire à une compréhension que partagent les membres d’une organisation des dimensions présumées comme étant centrales, relativement stables et distinguant cette organisation (ici, le service public [19] ) des autres organisations [20]. D’autre part, c es valeurs renvoient également à l’identité professionnelle; le niveau socio-profes-sionnel est lié à la socialisation professionnelle (formelle ou informelle) vécue tout au long de la formation et de la carrière. L’identité professionnelle au sein du service public se manifeste sur deux plans différents : une identification à l’emploi de « fonctionnaire » et une identification à son métier spécifique [21]. Le second plan serait devenu, pour certains chercheurs, l’ancrage identitaire dominant des employés publics aujourd’hui [22].

DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE

11Notre approche s’inscrit dans une perspective constructiviste modérée [23], c’est-à-dire qu’elle ne nie pas l’existence d’une réalité indépendante des acteurs, mais accorde une importance première à la perception que les acteurs ont de leur « réalité » et au sens qu’ils y donnent. Cette perspective considère ainsi les faits sociaux dans leur double réalité objective et subjective en les envisageant comme des produits à la fois des structures sociales et des acteurs. Nous essayons de diminuer les biais cognitifs et culturels par une démarche inductive constructiviste : notre travail, tout en s’insérant dans un cadre théorique général, se veut avant tout heuristique et n’entend pas démontrer une hypothèse spécifique. Nous partons de l’analyse de données empiriques en essayant d’avoir le moins d’a priori et d’hypothèses possibles pour laisser le champ ouvert au maximum de possibilités de réflexion et construire ensuite une théorie à partir de nos résultats; nous considérons ainsi que les concepts et le niveau théorique d’une analyse émergent des interactions entre le chercheur et les données.

12Nous avons opté pour des entretiens qualitatifs compréhensifs en suivant la méthode développée par Kaufmann [24] et fondons nos résultats sur une analyse de contenu [25]. Nous adoptons une méthode d’analyse thématique, c onsistant à découper transversalement le corpus en fonction d’une unité qui est le thème représentant un fragment de discours. Le mode de découpage est stable d’un entretien à l’autre et ignore la cohérence singulière de l’entretien pour chercher une cohérence thématique inter-entretiens. Il s’agit ainsi de sélectionner les thèmes, de repérer les récurrences et les variations au sein du corpus et de chercher les éléments pouvant en rendre compte.

13Soixante-trois entretiens ont été menés auprès de personnes n’ayant pas de responsabilités à un niveau hiérarchique élevé pour obtenir des informations d’agents publics non impliqués dans les processus de prises de décision. Nous avons veillé à obtenir un échantillon le plus équilibré possible sur le plan de variables individuelles comme l’ancienneté dans le service public (nombre d’années de travail dans le service public), une expérience préalable dans le secteur privé ou non, l’âge, le sexe et le niveau d’éducation [26]. Le choix des organisations (niveau fédéral, ca ntonal, c ommunal), des métiers et des personnes rencontrées montre suffisamment de diversité pour refléter un large éventail des situations vécues dans l’après-fonctionnariat, permettant d’établir un panorama des représentations et des valeurs les plus présentes au sein des agents publics aujourd’hui. La recherche se veut donc illustrative plus que représentative de l’après-fonctionnariat.

Tableau 1

Répartition de l’échantillon selon les différentes variables

tableau im1
Tableau 1 : Répartition de l’échantillon selon les différentes variables Ancienneté dans Expérience Niveauon le servicepublic dans le privé Âge Sexe de formatitertiaire* - 3ans 3-8ans + 8ans Oui Non 21-35 36-50 51-65 F H Oui Non 18 20 25 36 27 34 18 11 33 30 44 19 N = 63 entretiens * Universités, hautes écoles spécialisées, diplômes spécialisés.

Répartition de l’échantillon selon les différentes variables

14Durant les entretiens, nous avons discuté des principaux enjeux perçus par nos interlocuteurs confrontés à différents processus de réforme dans leur environnement de travail, sans nous être clairement centrés sur les notions de représentation ou de valeur associées au service public [27]. Il est ainsi possible de faire ressortir l’importance des représentations et valeurs se rapportant au service public en évitant le biais bien connu des réponses induites.

RÉSULTATS ET DISCUSSION

15Les principaux thèmes composant les représentations et les valeurs de nos interlocuteurs sont présentés dans le tableau ci-dessous. L’identité représente toujours une construction sociale, composée des perceptions des individus de différentes dimensions (représentation de soi et de son rôle, identification à plusieurs groupes sociaux). Nous avons choisi de nous centrer sur certaines de ces dimensions composant les représentations et les valeurs des agents publics actuellement, et représentant chacune une facette de leur identité, pour tenter par la suite, en les considérant ensemble, de donner une vision relativement diversifiée de l’identité actuelle de l’agent public [28].

Tableau 2

Estimation de la fréquence des thèmes mentionnés par les agents publics  [29]

tableau im2
Tableau 2 : Estimation de la fréquence des thèmes mentionnés par les agents publics en lien avec leurs représentations et leurs valeurs Estimation de la fréquence des thèmes mentionnés29 : +++ : thème mentionné fréquemment (plus de 10 fois) ++ : thème mentionné par plusieurs intervenants (6 à 10 fois) + : thème mentionné par quelques intervenants (3 à 5 fois) REPRÉSENTATIONS Dimensions Thèmes mentionnés F réquence Stéréotype du service public (image extérieure) +++ Images du service public Grosse machine, inertie, lenteur, lourdeur (image intérieure) +++ Dynamisme, modernité, c réativité (image intérieure) ++ Cliché du fonctionnaire (image extérieure) +++ Images de l’agent public Placard doré, planque, tire-au-flanc (image intérieure) +++ Efficacité, performance, orientation client (image intérieure) ++ Images Efficacité, performance ++ de soi-même T ranquillité, n’est pas stressé + VALEURS Dimensions Thèmes mentionnés F réquence Être au service des citoyens +++ Réguler le privé, maintenir un ordre ++ Garantir une égalité de traitement, niveler les différences ++ Être exemplaire, être un modèle ++ Rôles Respecter le contribuable ++ du service public Prendre les gens dans le besoin en charge ++ Représenter le pays, l’intérêt général, les valeurs citoyennes + Fonctionner comme une entreprise privée + A voir une orientation client (être ouvert, transparent) + Ne pas envahir la sphère privée +

Estimation de la fréquence des thèmes mentionnés par les agents publics  [29]

table ou
Fa ire du « social » au sens large +++ T ravailler pour l’intérêt général ++ Sens donnés au fait Ne pas être rentable ou concurrentiel ++ de travailler dans Être au service des administrés ++ le service public Fa ire partie d’un réseau + Participer à la politique + Fa ire du travail de qualité, être efficace, être excellent +++ Utiliser ses compétences ++ Va leurs Être performant, être efficient ++ professionnelles Créer, innover + Respecter les contribuables + T raiter les bénéficiaires sur un pied d’égalité + Pas d’attachement, même travail que dans le privé +++ Attachement au métier +++ Attachement au service public Attachement aux valeurs du service public versus celles du capital ++ Attachement au service public comme œuvrant pour le pays + Attachement au service public en tant que grande communauté +

Représentations des agents publics

16Les thèmes mentionnés le plus fréquemment par nos interviewés révèlent que ces derniers ont une image du service public et des agents publics essentiellement fondée sur les stéréotypes classiques du fonctionnariat. Beaucoup d’interviewés pensent que la population en général possède une image du service public et des agents publics globalement négative : le service public a une mauvaise réputation en raison de la gestion catastrophique de ses finances et de son personnel; l’agent public renvoie une image correspondant au cliché traditionnel du fonctionnaire fainéant et abusant de sa position : « [… ] souvent les journaux et la presse populaire assimilent encore le fonctionnaire à un rond-de-cuir au fond de son bureau qui n’a d’autres aspirations que d’en faire le minimum et puis de partir le plus rapidement du bureau pour aller au bistrot ou s’occuper à d’autres loisirs personnels ». De même, plusieurs interviewés voient de l’intérieur le service public comme une « grosse machine » difficile à bouger et lui associent des mots comme « inertie », « lenteur » ou « lourdeur »; ils font également souvent référence à une culture bureaucratique régnant toujours au sein du service public, impliquant une myriade de procédures complexes et une chaîne de décision très longue. Un nombre important d’interviewés considère que plusieurs de leurs collègues fonctionnent toujours sur le mode du « fonctionnaire traditionnel » en lui associant des expressions comme « faire ses heures », « tirer dans les pattes de ses collègues » et « tire-au-flanc ».

17D’un autre côté, un certain nombre d’interviewés possède une vision plus positive du service public et lui associe des notions comme « dynamisme », « modernité », « créativité », « innovation » : « [… ] comme si dans l’administration, on ne pouvait pas avoir de créativité, mais c’est pas vrai, dans l’administration s’il y a des gens qui ont envie de faire un projet, qui ont envie de faire quelque chose, il y a beaucoup d’opportunités ». Quelques-uns utilisent le terme de « culture d’entreprise ». Certains soulignent que le « fonctionnaire » au sens classique n’existe plus, que les agents publics sont efficaces, performants, qu’ils misent davantage sur la qualité du travail et sur la relation avec le « client », qu’ils se sont adaptés aux grandes réformes et qu’ils se sont rapprochés des conditions du privé. Concernant l’image que nos interviewés possèdent d’eux-mêmes en tant qu’agents publics, plusieurs se considèrent comme travaillant de manière efficace et performante dans un environnement où la quantité de travail à fournir est considérable et les délais souvent très courts; ils se distancient par conséquent très clairement du cliché du fonctionnaire : « On travaille toujours dans l’urgence. Et ça va à l’encontre de la caricature du fonctionnaire qui fout rien toute la journée, parce que nous on bosse vraiment comme des débiles ». Un très petit nombre d’agents publics s’identifie au « fonctionnaire traditionnel » qui ne subit pas de stress au travail en associant à sa fonction des termes comme « tranquillité », « calme » ou « cool ».

18Il faut noter que les interviewés ayant eu une expérience dans le privé sont plus nombreux à dire que le service public et les agents publics ont une image négative à l’extérieur, à désigner le service public comme une « grosse machine » difficile à bouger et à mettre en avant l’existence du cliché du fonctionnaire parmi leurs collègues. Paradoxalement, ils sont également plus nombreux à associer au service public des notions comme le dynamisme, la modernité et la créativité et à relever que le « fonctionnaire » a changé, les agents publics étant désormais efficaces, performants et orientés vers la clientèle. Le fait de pouvoir comparer une expérience dans le privé et dans le public semble donc provoquer chez les agents publics une certaine prise de distance permettant de mettre en avant les points négatifs, mais aussi les points positifs du service public.

Les agents publics face à une crise d’image

19Les résultats de cette analyse concordent globalement avec les travaux sur les représentations des fonctionnaires, révélant que les images véhiculées autour du service public et des agents publics sont essentiellement négatives [30]. Ces études montrent que les critiques sont fréquemment associées aux privilèges spécifiques que procure un emploi public, caractérisé avant tout par la sécurité de l’emploi au cœur du fonctionnariat classique. Le statut des fonctionnaires contribue à façonner l’identité particulière de la fonction publique et l’image des fonctionnaires souvent désignés par des appellations dépréciatives comme rond-de-cuir, b ureaucrate, gratte-papier. Ainsi, nous pouvons déduire de nos entretiens que les représentations des agents publics n’ont globalement guère évolué, malgré les réformes importantes entreprises ces dernières années censées moderniser la fonction publique (suppression de la sécurité de l’emploi, objectifs quantitatifs, c ritères d’efficacité et de performance). Cependant, c ette image globale négative est relativisée par une analyse plus détaillée des représentations de nos interviewés. En effet, un nombre non négligeable d’agents publics met en avant le dynamisme et la performance de la fonction publique, que ce soit au niveau du service public en général, de l’agent public ou de soi-même. De nouvelles notions, qui ne sont traditionnellement pas associées à la fonction publique mais plutôt au privé, émergent dans les représentations, impliquant l’idée que les agents publics sont confrontés à une redéfinition de leur image, qui se manifeste par deux phénomènes particuliers.

20Premièrement, des points de tension apparaissent entre l’image intérieure qu’ont certains de nos interviewés de l’agent public et d’eux-mêmes, orientée vers des notions comme le dynamisme, la performance et l’efficacité, et l’image négative qu’ils pensent avoir à l’extérieur. Plusieurs interviewés disent ressentir une forme d’injustice par rapport à cette image extérieure : « Moi, c e qui m’énerve, c’est toujours cette image négative qu’on a de la fonction publique. En Suisse il me semble qu’on reproche beaucoup trop à la fonction publique et que c’est injuste ». La confrontation entre ces images intérieures et extérieures pourrait, selon leur degré de différence, engendrer une dissonance cognitive au sens de Festinger [31]. Les interviewés mentionnant le décalage entre les images extérieures et leur réalité vécue affirment parfois « souffrir de ce déficit d’image non confortée dans les faits » et « devoir lutter contre des préjugés très forts ».

21Deuxièmement, plusieurs interviewés parlent de leur impression de vivre un mélange entre deux époques et deux logiques différentes fonctionnant chacune selon ses propres principes et renvoyant, d’un côté, à l’image traditionnelle du fonctionnaire et, de l’autre, à l’image d’un employé plus proche du privé : « Il y a des anciens employés de l’administration qui effectivement peuvent créer l’image de la croyance populaire sur le fonctionnaire moyen. Mais c’est une autre époque, c’est en train de changer ». Ce mélange entre deux logiques pourrait entraîner une certaine confusion au niveau des représentations des agents publics, a ussi bien pour les anciens employés qui peuvent ne pas se reconnaître dans les nouveaux principes empruntés au privé (« On est devenu plus vendeur que postier. Tableau, tu étais peut-être mieux vu, parce que le buraliste dans un village, c’était un personnage, c’était comme le pasteur ou le boulanger, ça faisait partie d’un tout tandis que maintenant tu es un numéro comme tout le monde ») que pour les nouveaux qui peuvent ne pas se reconnaître dans des principes jugés encore comme fonctionnant sur le mode classique du fonctionnariat.

22Ainsi, face à ce décalage entre l’image extérieure perçue et la réalité vécue, et entre les images intérieures de l’agent public et du service public renvoyant parfois à deux logiques différentes, les agents publics sont-ils confrontés aujourd’hui à une crise d’image : dissonance entre l’image du « fonctionnaire classique » et l’image de l’« agent public moderne », se manifestant par un sentiment d’appartenance à deux mondes différents, fonctionnant chacun à sa propre vitesse et suivant ses propres principes. Il s’agit dès lors de se demander comment cette dichotomie présente dans les représentations des agents publics, impliquant l’idée d’une crise identitaire potentielle et d’une redéfinition de l’identité d’agent public, se traduit au niveau de leurs valeurs et de leur identification au service public.

Valeurs des agents publics

23Le rôle du service public de loin le plus important aux yeux de nos interviewés est d’« être au service des citoyens »; cette notion de service est mentionnée dans presque tous les entretiens. Ensuite, les interviewés soulignent l’importance pour le service public de réguler le privé et de maintenir un certain ordre : « C’est la jungle si on revient qu’à du privé, c’est pas possible. Je pense qu’aujourd’hui l’État, c’est le seul qui peut émettre des lois et les faire plus ou moins respecter ». Plusieurs agents publics associent à ce rôle de régulation la nécessité pour le service public de ne pas avoir d’objectifs financiers et de ne pas être concurrentiel. Beaucoup d’interviewés mentionnent que le service public doit garantir une égalité de traitement et niveler les différences, qu’il doit être exemplaire et représenter un modèle, qu’il doit respecter le contribuable, et enfin qu’il doit garder un objectif social qui est de prendre en charge les gens dans le besoin. Quelques inter - viewés citent l’importance de représenter le pays, l’intérêt général et plus largement les valeurs citoyennes. Les autres rôles associés au service public apparaissent moins fréquemment dans les entretiens : quelques-uns affirment qu’il doit désormais fonctionner comme une entreprise privée et parlent de « culture d’entreprise », d’autres mettent en avant des objectifs comme avoir une orientation client en étant ouvert et transparent : « Ça fait aussi partie d’une culture d’entreprise qui, pour moi, va de soi, les entreprises doivent être transparentes et ouvertes au public, elles doivent rendre des comptes à leurs clients », et le fait que le service public ne doit pas envahir la sphère privée.

24Un aspect particulièrement frappant est l’importance accordée par les interviewés au « social » dans sa signification la plus large lorsqu’ils parlent du sens donné au fait de travailler dans le service public. En effet, un grand nombre d’entre eux met en avant l’importance d’être en contact avec des personnes et de créer du lien social, que ce soit pour accueillir, informer, renseigner, éduquer, prévenir, a ider ou écouter. Ils insistent sur l’utilité de travailler avec l’humain, de répondre à ses besoins, et plus généralement sur des préoccupations sociales, c omplétées parfois par des préoccupations éthiques et écologiques. Le sens donné au lien social dans le service public est souvent mis en opposition avec l’absence de sens dans une entreprise privée où l’aspect financier est plus important que l’humain : « Je pense que si je travaillais dans une entreprise où il y a que l’argent qui compte, mais pas l’être humain en lui-même, je ne trouverai pas tout à fait le sens de rester. Tant qu’on tient compte de la personne, je me sens bien, je me sens utile ». Ensuite, les agents publics mentionnent l’importance qu’ils accordent à travailler pour l’intérêt général, le fait de ne pas être rentable ou concurrentiel et le fait d’être au service des administrés. Certains disent donner du sens à leur travail en faisant partie d’un réseau plus large et en étant en interaction constante avec plusieurs autres personnes ou services : « Tisser des liens entre les différentes personnes, les différents domaines, les différentes activités, les différents villes, ça je trouve très important ». Un petit nombre trouve un sens à son travail par le fait d’être proche du pouvoir politique et d’avoir une influence sur les prises de décisions. Les interviewés avec moins de trois ans d’ancienneté sont les seuls à mentionner l’importance de « faire partie d’un réseau » et de « participer à la politique ».

25Lorsque nos interviewés parlent des valeurs qu’ils attachent à la manière d’effectuer leurs tâches concrètement, un grand nombre met en avant le souci de fournir un travail de qualité et d’être efficace ou même excellent : « Mes valeurs personnelles, c’est d’aller toujours vers l’excellence, d’être le plus rapide et le plus efficace possible, dans ce sens là j’essaie toujours de faire en sorte que les clients soient satisfaits, de leur offrir plus que le minimum ». Ensuite, plusieurs agents publics mettent en avant l’importance d’utiliser leurs compétences. Certains mentionnent également des valeurs professionnelles de performance et d’efficience : « Je pense qu’on doit être aussi performant que dans le privé, il faut qu’on produise, il faut du rendement ». Quelques-uns évoquent l’idée de construire, c réer et innover : « Une de mes valeurs, c’est aussi certainement le fait de pouvoir construire quelque chose ensemble dans une maison avec plusieurs points de vue, dans ces moments là j’ai l’impression qu’il y a des idées nouvelles qui émergent, et puis qu’il y a quelque chose d’innovateur qui s’est créé ». Enfin, un petit nombre de nos inter - viewés cite comme valeurs professionnelles leur préoccupation de respecter les contribuables et de traiter les bénéficiaires sur un pied d’égalité.

26Un grand nombre d’interviewés dit n’être pas du tout attaché au service public et pouvoir tout aussi bien travailler dans le public que dans le privé : « Je n’ai pas l’impression d’être dans l’administration publique, j’ai pas le sentiment de faire un boulot différent d’un autre, d’accorder une place privilégiée parce que c’est du public »; par contre, beaucoup d’agents publics mentionnent le fait d’être très attachés à leur métier : « Je n’ai pas choisi cet endroit-là parce que c’est le service public, je l’ai choisi vraiment par intérêt personnel, pour le domaine dans lequel je travaille, c’est pour le boulot ». Certains inter - viewés mettent en avant leur attachement à des valeurs du service public en opposition à celles d’une entreprise privée : « Je voulais entrer dans quelque chose qui n’est pas au service du capital, c’est une préoccupation tout au long de ma vie », de même que leur attachement au service public comme organisation œuvrant pour le pays ou comme organisation représentant un grand réseau de personnes en interaction.

Vers une bipolarité de l’identité organisationnelle d’agent public ?

27L’ensemble des rôles les plus fréquemment associés au service public (être au service des citoyens, réguler le privé, garantir une égalité de traitement, être exemplaire, respecter le contribuable, prendre les gens dans le besoin en charge, représenter l’intérêt général) peut être relié à la logique organisationnelle identitaire appelée dans la littérature « Service public », c’est-à-dire les représentations et les valeurs traditionnellement liées à l’administration publique [32] : servir l’intérêt général, offrir une assistance, respecter les lois et réguler la société, échapper à des objectifs économiques et ne pas être en concurrence, l’égalité de traitement, l’exemplarité et avoir un objectif social. Cette orientation de « Service public » se retrouve dans les sens majoritairement donnés au fait de travailler dans le service public; par contre, elle ne ressort qu’en dernière position au niveau des valeurs professionnelles mises en avant par les agents publics dans l’exercice concret de leur fonction (respecter les contribuables, traiter les bénéficiaires sur un pied d’égalité) et au niveau de leur attachement au service public (attachement aux valeurs du service public versus valeurs du capital, a ttachement à l’organisation comme œuvrant pour le pays), c ontrastant avec les résultats des deux dimensions précédentes.

28Les rôles moins fréquemment associés au service public (fonctionner comme une entreprise, a voir une orientation client, ne pas envahir la sphère privée) peuvent être rapprochés de la logique organisationnelle identitaire du « managérialisme public » apparue récemment en lien avec les réformes issues de la Nouvelle gestion publique [33]. Cette logique se caractérise par l’importance accordée à des objectifs économiques et quantitatifs, la compétitivité, la performance individuelle, l’application de ses compétences, la conscience professionnelle, la qualité du travail, l’efficience, l’orientation client (ouverture et transparence) et la limitation du rôle de l’État dans la sphère privée. Elle n’apparaît pas dans les sens donnés au fait de travailler dans le service public; par contre, elle se manifeste au niveau des valeurs professionnelles et de l’attachement : un grand nombre d’interviewés cite, en premier lieu, l’importance de faire du travail de qualité, d’être efficace et excellent, d’utiliser ses compétences, d’être performant et efficient, et affirme ne pas être particulièrement attaché au service public en tant qu’organisation typique publique et pouvoir tout aussi bien travailler dans le privé.

29Cette analyse montre que des valeurs « traditionnelles » liées à la bureaucratie classique sont toujours fortement ancrées dans l’identité des agents publics lorsqu’ils discutent des rôles du service public et du sens qu’ils donnent à y travailler. En revanche, une logique différente, plus orientée vers des valeurs se rapprochant du privé, semble être présente dans les valeurs professionnelles des agents publics lorsqu’ils parlent de la manière dont ils effectuent leurs tâches plus concrètement, de leur attachement au service public et, dans une moindre mesure, Au niveau de certains rôles associés au service public. Ainsi, en restant à un degré d’analyse très général, nous pouvons voir se dessiner une hybridation entre deux logiques organisationnelles identitaires qui semble servir aujourd’hui de cadre de référence dans l’administration publique, c hacune se concrétisant à un niveau différent : la première logique prime lorsque les agents publics parlent, sur un plan systémique, des missions à remplir par le service public et du sens donné au fait d’y travailler, tandis que la seconde domine lorsque les agents publics font référence, sur un plan plus pragmatique, à l’action même de travailler dans le service public, aux réalisations tangibles et aux résultats effectifs qu’ils sont amenés à produire.

30Cette manifestation des valeurs sous la forme d’une bipolarité entre « valeurs traditionnelles » et « valeurs plus modernes » liées aux réformes issues de la Nouvelle gestion publique, ferait écho aux résultats de l’analyse en termes de représentations aboutissant à l’idée que les agents publics sont actuellement confrontés à une crise d’image (dissonance entre l’image du « fonctionnaire classique » et celle de l’« agent public moderne ») pouvant engendrer une redéfinition de leur identité. Elle renverrait également à la littérature, c itée précédemment, mettant en avant l’hybridation des cultures à laquelle les agents publics semblent soumis, oscillant entre les deux pôles que sont les valeurs traditionnelles et les valeurs inspirées du privé. Cependant, c ette approche bipolaire, b ien qu’elle paraisse au premier abord relativement bien adaptée à l’analyse en termes de représentations et de valeurs, demeure réductrice et limitée : elle ne permet pas de rendre compte de l’importance particulière accordée par les agents publics au « social » au sens large ou à la qualité du travail fourni, ni de notions plus rarement mentionnées mais faisant partie du cadre de référence identitaire des agents publics comme faire partie d’un réseau, participer à la vie politique, c réer et innover. Cette approche ne reflète donc pas de manière détaillée la complexité de la réalité vécue par les agents publics mais uniquement une partie des univers d’identification potentiels existant au sein du service public aujourd’hui.

Une identité professionnelle de métier plutôt que de « fonctionnaire » ?

31Certains auteurs [34] émettent l’hypothèse que, dans un contexte où, premièrement, une relation à long terme est devenue difficilement possible dans les services publics, deuxièmement, la culture paternaliste fait place à une culture axée sur la performance et, troisièmement, la sécurité de l’emploi est remplacée par le développement de l’employabilité et de la mobilité, l’ancrage identitaire (les « ancres de carrière ») dominant ne soit plus le fonctionnariat en tant qu’emploi public, mais plutôt des référentiels métiers. Le concept d’ancre de carrière se réfère à l’image de soi qu’une personne se construit à partir de sa vie professionnelle. Durant celle-ci se dégagent des éléments dominants, des compétences que la personne souhaite utiliser et des valeurs qui déterminent ses lignes de conduite. Cette connaissance de soi sert de guide et d’ancre permettant de délimiter ses choix de carrière.

32En effet, le sens donné au fait de travailler dans le service public semble davantage relever d’une « ancre de carrière » centrée sur l’importance de « faire du social au sens large » que d’aspects citoyens démocratiques liés à l’emploi public, ceux-ci n’intervenant qu’en deuxième position (travailler pour l’intérêt général, ne pas être rentable, travailler au service des administrés). L’importance accordée à cet aspect social peut être rapprochée de l’ancre de carrière « service/dévouement » telle que définie par DeLong et Schein [35]. Cette orientation de l’identité vers un ancrage davantage lié au métier se reflète également dans les valeurs professionnelles de nos interviewés : c e qui compte le plus pour eux est d’effectuer un travail de qualité, d’être efficaces et excellents, puis ensuite d’utiliser leurs compétences et d’être performants et efficients. L’importance d’aspects liés à leurs qualifications professionnelles spécifiques prend le pas sur celle d’aspects typiquement liés à l’emploi public qui ne ressortent qu’en dernière position (respecter les contribuables, traiter les bénéficiaires sur un pied d’égalité). La dimension de l’attachement révèle également que les agents publics semblent davantage attachés à leur métier spécifique (qu’ils considèrent souvent pouvoir exercer tout aussi bien dans le public que dans le privé) qu’au service public en tant que fournisseur d’emplois représentant certaines valeurs particulières.

33Ainsi, l’ancrage identitaire professionnel dominant des agents publics semble se situer aujourd’hui moins au niveau de l’emploi public en lui-même, qu’au niveau de leur métier spécifique [36]. La crise d’image à laquelle ils sont confrontés, a insi que l’émergence d’une nouvelle identité organisationnelle davantage orientée vers des valeurs issues du privé, remettent en question la logique traditionnelle du service public, relativisant les deux ancrages identitaires classiques que sont l’identité organisationnelle de « Service public » et l’identité professionnelle de « fonctionnaire ». Cette distanciation produit un besoin corollaire de nouveaux ancrages identitaires (importance accordée au social au sens large et à des valeurs de professionnalité). Par hypothèse, c ette redéfinition de l’identité d’agent public pourrait également donner lieu à d’autres points d’ancrage identitaire, fondés sur leur logique propre : en effet, c ertaines valeurs qui ne sont traditionnellement pas associées au service public semblent émerger des entretiens, n’entrant ni dans la logique de « Service public » ni dans celle de « Managérialisme public ». Une réflexion sur ces thèmes et une étude plus précise de l’ensemble des dimensions analysées pourrait aider à sortir de la dichotomie qui semble être le fil conducteur de notre analyse jusqu’à présent. Nous allons donc tenter d’élaborer une typologie originale des mondes en émergence de l’après-fonctionnariat. L’objectif est de considérer s’il est possible de faire éclater la bipolarité de l’identité d’agent public et mettre en évidence des univers plus subtils existant dans le service public aujourd’hui.

Typologie exploratoire des mondes de l’après-fonctionnariat

34Cette typologie est construite sur la base d’un regroupement des thèmes composant les dimensions analysées précédemment selon des logiques dominantes sous-tendant les différentes valeurs qu’ils représentent. Elle présente les principaux groupes de valeurs fournissant des univers d’identification potentielle aux agents publics suisses. Cette typologie est exploratoire : elle est élaborée sur la base des données récoltées dans les entretiens sans que nous ayons construit d’hypothèses a priori sur le résultat final à partir de bases théoriques déjà établies ou de nos propres suppositions, c oncordant avec notre démarche inductive constructiviste. Les références dans les entretiens aux différents mondes en émergence ne sont pas quantifiées de manière précise puisque nous présentons des tendances plutôt que des résultats confirmés : c ertains mondes sont « en émergence » car ils ne ressortent pas forcément de manière dominante dans les entretiens. Nous donnons cependant une appréciation qualitative de l’importance de ces différents mondes dans nos entretiens.

tableau im4

Une identité d’« agent public » plurielle et diversifiée

35Ce découpage en mondes permet de dépasser la dichotomie de l’identité organisationnelle entre « Service public » et « Managérialisme public » en donnant une vision plus fine et diversifiée des valeurs auxquelles les agents publics se réfèrent, tout en montrant les transformations au niveau des cadres de référence des agents publics depuis l’institution de la bureaucratie wébérienne caractérisée par les référentiels civique et industriel. [37]

36Dans le monde « Humanisme », le rôle du service public est prioritairement d’avoir un objectif social. Une importance majeure est accordée aux contacts humains, à la création de lien social, à l’échange, à la relation de proximité avec le public et au fait de pouvoir intervenir sur le terrain. L’attachement au service public est lié aux valeurs humanistes qu’il représente par rapport au privé où l’humain n’est pas forcément considéré. Ce monde comporte des valeurs proches de celles caractérisant l’identité organisationnelle du « Service public » par l’accent mis sur un objectif social, mais il permet de conférer à cet objectif tout son poids en mettant en évidence une panoplie de sens donnés au fait de travailler dans le service public reflétant des notions profondément humanistes d’altruisme et de compassion. A. Hondeghem et W. Va ndenabeele [38] ont également mis en évidence l’importance de la dimension « compassion » en analysant la motivation au sein du service public dans plusieurs pays européens. Une hypothèse peut être formulée au sujet de l’importance majeure prise par le côté humain : dans le contexte des réformes récentes, les agents publics opèrent une recentration sur des valeurs humanistes en réaction à l’introduction de valeurs marchandes dans leur cadre de travail, considérées souvent comme déshumanisantes.

37Le monde « Professionnalité/Qualité » représente un service public ouvert sur l’extérieur, orienté vers le « client » et transparent vis-à-vis des services fournis à la clientèle. La principale valeur professionnelle à adopter est de produire un travail de qualité, en étant un prestataire efficace, rapide, c ompétent, et tenter d’atteindre ainsi l’excellence pour rendre aux clients la plus grande satisfaction possible. L’attachement au service public est faible et laisse la place à un fort attachement au métier, permettant d’exercer ses capacités professionnelles. Ce monde pourrait être rapproché, par ses aspects d’efficacité et de qualité, du monde industriel wébérien et de certaines valeurs composant l’identité organisationnelle du « Managérialisme public ». Cependant, une évolution importante le différencie du monde industriel, orienté vers le bon fonctionnement interne de l’organisation : son ouverture vers l’extérieur, son souci de transparence et le poids majeur accordé à la qualité de la prestation. En outre, il se distancie de la logique du « Managérialisme public » dans le sens qu’il ne représente pas des valeurs liées à un souci de rentabilité, mais plutôt qui s’attachent à la mise en œuvre de ses compétences professionnelles dans un souci de qualité du travail fourni [39]. Ce monde de référence est à rapprocher des travaux sur la professionnalisation des agents publics aujourd’hui en réaction à l’introduction de valeurs issues de la Nouvelle gestion publique [40].

38Dans le monde « Participation/Innovation », le service public doit favoriser les échanges entre les personnes qui y travaillent, se montrer dynamique, c réatif et innovateur. L’idée de faire partie d’un réseau, tisser des liens, travailler de manière transversale et créer des synergies entre différents domaines est très présente, de même que celle de participer à la vie politique, c’est-à-dire avoir une influence sur les politiques publiques. Cette notion de participation est souvent liée à des valeurs professionnelles prônant la création et l’innovation, la volonté de faire émerger de nouvelles idées et de les communiquer à un public large. L’attachement au service public s’effectue sur l’idée d’appartenance à une grande communauté, a vec des membres en interaction construisant l’avenir ensemble. Ce monde pourrait représenter un « nouveau » cadre de référence en émergence, dans le sens qu’il comporte peu de valeurs se retrouvant dans les logiques identitaires classiques associées au service public, mais plutôt des valeurs rarement mentionnées en lien avec l’identité d’agent public, comme l’idée de réseau, de transver - salité, d’innovation, et plus généralement d’une orientation vers l’avenir par un travail en commun. Un lien peut être effectué avec le « monde connexionniste » de L. Boltanski et L. Chiapello et avec les analyses de l’État en termes de réseaux d’action publique [41].

39Dans le monde « Citoyenneté/Intérêt général », le rôle du service public est d’être au service des citoyens, réguler le privé, a ssurer une égalité de traitement, être un exemple et représenter l’intérêt général. Le travail prend du sens par le fait qu’il est effectué pour la collectivité sans critères de profit et de rentabilité. Les valeurs professionnelles dominantes tournent autour de préoccupations d’équité et d’égalité des chances. L’attachement au service public est fortement lié à l’idée d’appartenance à une organisation unificatrice œuvrant pour le pays. Ce monde est composé de valeurs très similaires à celles présentes au sein du référentiel civique wébérien et du monde civique de L. Boltanski et L. T hévenot [42], de même qu’au sein de la logique identitaire organisationnelle du « Service public », et évoque le cadre de référence traditionnel typique auquel se réfèrent les agents publics, toujours présent aux côtés des autres logiques plus ou moins récentes.

40Dans le monde « Fonctionnalité/Efficience », le service public doit fonctionner comme une entreprise privée, être transparent, rendre des comptes aux contribuables et ne pas empiéter sur la sphère privée. Le sens majeur donné à travailler dans le service public est d’utiliser au mieux les ressources publiques des administrés. Les valeurs professionnelles les plus importantes sont le respect du contribuable (en employant ses impôts de manière profitable) et la nécessité d’être performant et efficient. L’attachement au service public est quasi inexistant. Ce monde est proche de la logique identitaire organisationnelle du « Managérialisme public » et du monde marchand de L. Boltanski et L. T hévenot [43], et représente des valeurs marchandes largement diffusées par les réformes récentes inspirées par la Nouvelle gestion publique.

41Cette typologie des mondes permet également de dépasser la dichotomie entre identité professionnelle de métier et de « fonctionnaire » en montrant que la distinction entre ces deux ancrages identitaires doit être relativisée au sein du service public aujourd’hui. En effet, les différents mondes mis en évidence semblent, d’une part, dépasser la logique propre d’identité de métier par le fait qu’ils sont transversaux aux différents métiers des agents publics, quel que soit le domaine (social, sécurité, environnement, éducation, etc.); d’autre part, c ette typologie semble fortement remettre en cause une identité professionnelle homogène de « fonctionnaire », étant donné que l’ensemble des mondes auxquels se réfèrent les agents publics sont composés de différentes logiques empruntant des éléments d’identification tout aussi bien aux valeurs classiques du service public qu’aux valeurs issues du privé, ou à des valeurs plus « novatrices » rarement mises en relation avec l’emploi public. Certains de ces mondes renvoient ainsi davantage à la notion d’« ancre de carrière » mentionnée précédemment, transcendant une logique propre de métier mais également la définition classique de l’emploi de fonctionnaire. Par exemple, les mondes « Participation/Innovation » et « Qualité/Professionnalité » démontrent une certaine proximité avec les ancres de carrières « Créativité/E sprit d’entreprise » et « Technique/Fonctionnelle » [44] rarement associées à l’emploi public.

42L’identité professionnelle des agents publics se manifeste aujourd’hui sur plusieurs niveaux simultanément. L’identification à l’emploi de « fonctionnaire » dans sa forme la plus classique (« Citoyenneté/Intérêt général ») demeure, mais elle est fortement relativisée par l’identification à des valeurs proches de l’entreprise privée (« Fonctionnalité/ Efficience ») et par d’autres niveaux d’identification, c omme une forte orientation vers des valeurs liées à ses qualifications professionnelles (« Professionnalité/Qualité »), ou un niveau d’identification plus proche du domaine d’action publique [45]. Ce dernier se situe à une position intermédiaire entre une logique propre de métier et d’emploi public : les agents publics s’identifient à une mission du service public qui est de résoudre des problèmes publics. Ainsi, l’importance de faire du « social » au sens large (« Humanisme ») pourrait relever d’une identification à la mission de résoudre des problèmes de société; les notions de participation à un réseau, de travail en commun pour construire l’avenir et d’innovation (« Participation/Innovation ») pourraient renvoyer à une identité d’agent public comme faisant partie d’un réseau de politique publique orienté vers la recherche de nouvelles solutions considérées comme un enjeu public. Ce niveau d’identification relativise également une vision purement organisationnelle ou professionnelle de l’identité : l’identification à une organisation publique considérée comme une communauté d’acteurs dotée d’une mission à remplir dans la société, plutôt qu’à l’organisation wébérienne classique neutre et impersonnelle ou à une conception « fonctionnelle » de l’organisation telle que mise en avant par la Nouvelle gestion publique, c rée une logique transcendant les niveaux proprement organisationnel ou professionnel. Cette identification à un réseau d’action publique est à rapprocher de la notion de « nouvelle gouver - nance publique » développée récemment dans certains travaux [46].

43Cette analyse en termes de représentations et de valeurs montre que la bipolarité classique des cadres de références sous-tendant l’identité organisationnelle et professionnelle d’« agent public » évoquée dans maints travaux est toujours présente aujourd’hui. Cependant, une étude plus fine de ces cadres de référence révèle qu’aux côtés de cette bipolarité existent d’autres mondes « en émergence » qui restent encore à être explorés. Ces mondes se manifestent à des niveaux d’ancrage identitaire différents (organisationnel, professionnel), mais plus largement, leur construction comme concept d’analyse montre que les logiques purement organisationnelles ou professionnelles demandent à être réexaminées.

44Notre recherche a permis de rendre compte de la richesse des valeurs auxquelles se réfèrent les agents publics aujourd’hui et de donner une image diversifiée de l’aprèsfonctionnariat. L’analyse reste cependant fondée sur une typologie exploratoire qui reflète uniquement une esquisse des différents cadres de référence au sein du service public. Il est donc nécessaire d’approfondir et de préciser cette typologie par d’autres travaux sur les valeurs des agents publics, fondés sur un nombre plus important d’entretiens mais également sur des données quantitatives, de sorte à pouvoir la valider statistiquement. Ces recherches sur l’identité renouvelée des agents publics sont d’autant plus nécessaires que, dans le contexte actuel de mutations profondes des organisations publiques, il n’existe pas en Suisse de socialisation formelle des fonctionnaires comme c’est le cas en France par exemple. E lles permettraient également d’établir une proximité d’intérêts entre les travaux sur les organisations (publiques) et ceux sur les réseaux de politique publique; proximité à favoriser à une époque où l’État est considéré de plus en plus comme un acteur social composé de plusieurs réseaux d’action publique en interaction dont la mission est de produire des politiques publiques pour répondre à des besoins de société.


ANNEXE

Tableau :

Principales questions de la grille d’entretiens [47]

tableau im5
Tableau : Principales questions de la grille d’entretiens47 Thèmes Questions typiques Expérience Quelle expérience possédez-vous dans le secteur public ? ue vous êtes entré dans le secteur public. Attentes/Va leurs Décrivez vos principales attentes lorsqQuel sens donnez-vous à y travailler ? Motivation Qu’est-ce qui vous plaît/ne vous plaît pas dans votre fonction actuelle ? Évolution, Quels sont les principaux changements qui ont eu des incidences changements sur votre contexte de travail/sur le sens donné à votre travail ? Relations Quelles relations avez-vous avec vos collègues/supérieurs/clients ? La suite Quels sont vos souhaits pour l’avenir ?

Principales questions de la grille d’entretiens [47]

Notes

  • [1]
    Emery (Yves), « L’émergence et les défis de l’après-fonctionnariat », in Chappelet (J.-L.) dir., Contributions à l’action publique, Berne, Haupt, 2006, p. 53-76.
  • [2]
    Pollitt (Christopher), « Reinvention and the Rest : Reform Strategies in the OECD World », in Emery (Y.), L’administration dans tous ses états. Réalisations et conséquences, Lausanne, Presses polytechniques et univer - sitaires romandes, 2000, p. 217-236 ; Chanlat (Jean-François), « L’action publique, l’éthique du bien commun, l’efficacité et l’efficience : un regard croisé », in Emery (Y.) et Giauque (D.) dir., Sens et paradoxes de l’emploi public, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2003, p. 13-28.
  • [3]
    Emery (Yves), « L’émergence et les défis de l’après-fonctionnariat », op. cit.
  • [4]
    Emery (Yves) et Giauque (David), « E mployment in the public and private sectors : toward a confusing hybridisation process », Revue internationale de sciences administratives, vol. 71(4), 2005, p. 639-657.
  • [5]
    W eber (Max), Wirtschaft und Gesellschaft, Tübingen, M ohr, 1956.
  • [6]
    Pollitt (Christopher) et Bouckaert (Geert), Public Management Reform : a comparative analysis, Oxford, Oxford University Press, 2004.
  • [7]
    Emery (Yves) et Giauque (David), Pa radoxes de la gestion publique, Paris, L’Harmattan, 2005.
  • [8]
    Maesschalck (Jeroen), « T he Impact of New Public Management Reforms on Public Servant’s E thics : Towards a Theory », Public Administration, V ol. 82(2), 2004, p. 465-489; Rondeaux (Giseline), « T he evolution of the organisational identity of a Federal Public Service in a context of change », in EGPA 2005 Proceedings : Reforming the public sector : what about the citizens ?, B erne, 2005; Rondeaux (Giseline) et Pichault (François), « Identity dynamics in post-NPM administration : A subtle two-step between contents and context », in EGOS 2007 Proceedings : B eyond Wa ltz – Dances of Individuals and Organization, Vienne, 2007 ; Rouillard (Christian) et Giroux (Dalie), « Public Administration and the Managerialist Fervour for Va lues and E thics : On Collective Confusion in Control Societies », Administrative Theory and Praxis, V ol. 27(2), 2005, p. 330-357.
  • [9]
    Giauque (David) et Caron (Daniel J.), « L’identité des agents publics à la croisée des chemins : de nouveaux défis pour les administrations publiques » in EGPA 2005 Proceedings, op. cit.; Meyer (Renate E.) et Hammerschmid (Gerhard), « Changing institutional logics and its impact on social identities. A Survey of austrian public sector executives », in EGPA 2005 Proceedings, op. cit.; Bozeman (Barry), Public values and public interest counterbalancing economic individualism, Wa shington, D.C., Georgetown University Press, 2007 ; Jorgensen (T orben Beck), « The Public Sector in an in-between Time : Searching for New Public Values », Public Administration, V ol. 77(3), 1999, p. 565-584.
  • [10]
    Minogue (Martin) et al., eds., Beyond the New Public Management : Changing Ideas and Practices in Governance, C heltenham, Edward Elgar, 1998; Nolan (Brendan C.) ed., Public Sector Reform : a n International P erspective, Ba singstoke, Pa lgrave, 2001.
  • [11]
    Olsen (J ohan P.), « Maybe It Is T ime to Rediscover Bureaucracy », J ournal of public Administration Research and Theory, Vol. 16(1), 2006, p. 1-24; Steen (Trui), « Revaluing Bureaucracy : what about public servants’ motivation ? », in EGPA 2006 Proceedings : Public Manager under pressure : between politics, professionalism and civil society, M ilan, 2006.
  • [12]
    Denhardt (Ja net V.) et Denhardt (Robert B.), The New Public Service : S erving, N ot Steering, A rmonk, NY, Sharpe, 2003.
  • [13]
    Boltanski (Luc) et Thévenot (Laurent), De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.
  • [14]
    Brewer (Gene A.) et al., « Individual Conceptions of Public Service Motivation », Public Administration Review, V ol. 60(3), 2000, p. 254-264; Emery (Yves) et Giauque (David), « Le dilemme motivationnel des agents publics », in T. Duvillier et al., La motivation au travail dans les services publics, Paris, L’Harmattan, 2003 ; Francfort (Isabelle) et al., Les mondes sociaux de l’entreprise, Paris, D esclée de Brouwer, 1995.
  • [15]
    Dubar (Claude), La crise des identités. L’interprétation d’une mutation, Paris, PUF, 2000.
  • [16]
    Emery (Yves) et al., L’image des fonctionnaires dans le canton de Genève, Lausanne, IDHEAP, 1997.
  • [17]
    Gioia (Dennis A.) et al., « Organizational Identity, I mage and Adaptative Instability », Academy of Management Review, vol. 25(1), 2000, p. 63-81.
  • [18]
    Ashforth (Black E.) et Mael (Fred), « Social identity theory and the organization », Academy of Management Review, vol. 14(1), 1989, p. 20-39.
  • [19]
    Nous nous intéressons à l’identité des agents publics en tant qu’employés de l’organisation qu’est le service public et non en tant qu’employés des différentes organisations composant le service public, distinction que nous n’avons pas traitée comme variable dépendante dans nos entretiens et qui n’est pas l’objet de cette analyse.
  • [20]
    Il faut noter que l’identité organisationnelle n’est pas nécessairement vouée à la continuité : l’identité est imputée à des valeurs exprimées, mais l’interprétation de ces valeurs par les agents publics n’est pas nécessairement fixe et peut changer en fonction du contexte (Gioia (Dennis A.) et al., « Organizational Identity, I mage and Adaptative Instability », op. cit., p. 65).
  • [21]
    Dubar (Claude) et Tripier (Pierre), Sociologie des professions, Paris, A rmand Colin, 2005.
  • [22]
    Rouban (Luc), « Les fonctionnaires face à la vie professionnelle : a ttentes et représentations », Revue administrative, V ol. 53(316), 2000, p. 417-428.
  • [23]
    Segal (L ynn), Le rêve de la réalité, Paris, L e Seuil, 1990 ; Wa tzlawick (Paul), L’invention de la réalité : contributions au constructivisme, Paris, L e Seuil, 1988.
  • [24]
    Kaufmann (Jean-Claude), éd., L’entretien compréhensif, Paris, A rmand Colin, 2004.
  • [25]
    Blanchet (Alain) et Gotman (Anne), L’enquête et ses méthodes : l’entretien, Paris, Na than, 1992 ; R obert (André D.) et Bouillaguet (Annick), L’analyse de contenu, (2e éd.), Paris, Presses universitaires de France, 2002.
  • [26]
    Une représentativité identique de toutes les variables n’a pas pu être toujours atteinte. Les variables « ancienneté dans le service public » et « expérience dans le privé », tout en gardant à l’esprit le problème de leur représentativité, sont prises en compte dans l’analyse des entretiens lorsqu’elles se révèlent pertinentes pour apporter une certaine nuance aux résultats. En revanche, les variables « niveau de formation » et « âge » ne semblent pas influencer de manière significative les réponses de nos interlocuteurs, minimisant ainsi le biais potentiel dû à leur problème de représentativité.
  • [27]
    Cf. infra Annexe : P rincipales questions de la grille d’entretiens.
  • [28]
    Les dimensions analysées relèvent d’un choix parmi d’autres dimensions possibles, introduisant une part d’arbitraire dans les résultats. L’objectif est de présenter certaines dimensions composant l’identité d’agent public particulièrement pertinentes dans le contexte des réformes actuelles sans aucune prétention d’exhaustivité.
  • [29]
    L es interviewés n’ont pas répondu à des questions fermées, c e qui explique que les différentes dimensions n’apparaissent pas forcément dans tous les entretiens et que le nombre de citations par thème reste relativement faible en comparaison avec le nombre total d’interviewés (soixante-trois). Lorsqu’un même thème est mentionné plusieurs fois dans un même entretien, il n’est pris en compte qu’une seule fois; lorsqu’un même interviewé mentionne plusieurs thèmes différents à l’intérieur d’une même dimension, c haque thème est pris en compte une fois.
  • [30]
    Demmke (Christoph), Are civil servants different because they are civil servants ?, Maa stricht, I nstitut européen d’administration publique, 2005, p. 1-127.
  • [31]
    F estinger (Leon), A Theory of Cognitive Dissonance, E vanston, IL, R ow, P erterson & Company, 1957.
  • [32]
    Rondeaux (Giseline), « T he evolution of the organisational identity of a Federal Public Service in a context of change », op. cit.
  • [33]
    Ibid.; Emery (Yves) et Giauque (David) eds., Dilemmes de la GRH publique, Lausanne, Éditions loisirs et pédagogie, 2007.
  • [34]
    Lemire (Louise), « Le nouveau contrat psychologique et le développement de l’employabilité : c hose promise, c hose due ! », Revue multidisciplinaire sur l’emploi, le syndicalisme et le travail (REMEST), vol. 1(1), 2000, p. 4-21.
  • [35]
    DeLong (T homas J.), « Reexamining the career anchor model », P ersonnel, vol. 59(3), 1982, p. 50-61; Schein (E dgard H.), Ancres de carrière : découvrir ses véritables valeurs, M ontréal, Ac tualisation, 1995. Les personnes attachées à cette ancre cherchent à faire œuvre utile, comme « résoudre des problèmes environnementaux, faire du monde un endroit où il fait bon vivre, susciter une plus grande harmonie entre tous, a ider les autres, a méliorer le bien-être des personnes, influencer l’organisation ou des politiques sociales, etc. », L emire (Louise) et Rouillard (Christian), Le contrat psychologique : a nalyse comparée des secteurs public et privé, Montréal/Hull, ENAP, 2001, p. 38-39.
  • [36]
    Cette notion d’identité professionnelle liée au « métier spécifique » doit cependant être relativisée : l’importance donnée au social au sens large de même que l’orientation vers des valeurs à un niveau davantage « professionnel » que typique public semble transcender les logiques propres de métier; la typologie des mondes permettra de revenir sur ce point important.
  • [37]
    T outes les cases du tableau n’ont pas pu être remplies à l’aide des thèmes analysés précédemment, n’ayant pas cherché à obtenir des résultats exhaustifs sur la base de critères préétablis. Nous avons complété en italique les cases vides par les idées les plus proches de ces mondes ressortant des entretiens.
  • [38]
    Hondeghem (Annie) et Va ndenabeele (W outer), « Va leurs et motivation dans le service public, perspectives comparatives », Revue française d’administration publique, V ol. 115,2005, p. 463-480.
  • [39]
    Ce monde pourrait également être rapproché d’une troisième logique identitaire organisationnelle appelée « Pragmatisme » (Rondeaux (G.) et Pichault (F.), op. cit. ), c ombinant des aspects du « Service public » et du « Managérialisme public ». Cette logique est plus attachée aux réalisations tangibles et aux résultats, donc à l’action, qu’aux principes et valeurs en tant que tels ; elle adapterait les aspects des deux autres logiques identitaires en termes de méthodes et de démarches pratiques. Plutôt que de combiner des aspects relevant de différentes logiques déjà mises en évidence au sein d’une nouvelle logique pour créer un nouveau monde fonctionnant à un niveau différent, nous préférons proposer un monde pour chaque logique différente, permettant de distinguer de manière plus claire les différents groupes de valeurs auxquels les agents publics s’identifient. Ainsi, le monde « Professionnalité/Qualité » est considéré comme fonctionnant sur une logique indépendante de celle du monde « Fonctionnalité/E fficience » car il ne comporte aucune valeur de rentabilité.
  • [40]
    Sehested (Karina), « How NPM reforms challenge the roles of professionals », International J ournal of Public Administration, Vol. 25(12), 2002, p. 1513-1537.
  • [41]
    Boltanski (Luc) et Chiapello (E ve), Le Nouvel esprit du capitalisme, Paris, Ga llimard, 1999; Knoepfel (Peter) et al., Analyse et pilotage des politiques publiques, G enève, H elbing & Lichtenhahn, 2001.
  • [42]
    Boltanski (Luc) et T hévenot (Laurent), De la justification. Les économies de la grandeur, op. cit.
  • [43]
    Ibid.
  • [44]
    Lemire (Louise) et Rouillard (Christian), Le contrat psychologique : a nalyse comparée des secteurs public et privé, op. cit.
  • [45]
    Knoepfel (Peter) et al., Analyse et pilotage des politiques publiques, op. cit.
  • [46]
    A ucoin (Peter), « T he New Public Governance and the Public Service Commission », Optimum Online : The J ournal of Public Sector Management, V ol. 36(1), 2006, hhttp :// www. optimumonline. ca/ article. phtml ? id= 252 ; Osborne (Stephen P.), « The New Public Governance ? », Public Management Review, vol. 8(3), 2006, p. 377-387.
  • [47]
    Remarque : la grille d’entretiens adopte une perspective plus large; les questions suivantes ont été choisies en guise d’exemples pour la présente communication.
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