Notes
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[1]
Ce texte reprend, avec quelques ajouts, de larges extraits des Cahiers de l’ITAP, no 14-15,1968.
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[2]
On se reportera au chapitre « Initiatives et analyses en marge de l’appareil administratif » dans : Siwek-Pouydesseau (Jeanne), Fractales administratives, en ligne : www. cersa. org.
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[3]
Weexsteen (Antoine), Le conseil aux entreprises et à l’Etat en France : le rôle de Jean Milhaud (1898-1991) dans la CEGOS et l’ITAP, Thèse IHESS, 1999,1 107 p.
-
[4]
Milhaud (Jean), Chemins faisant, Editions Hommes et Techniques, 1956,294 p.; Sur les ailes du temps, Nouvelles Editions Latines, 1962,216 p.; Promotion Humaine, Ed. Serg, 1965,231 p.; Mon ami l’Etat, Imprimerie nationale, 1973,143 p.
-
[5]
L’ITAP fut reconnu d’utilité publique en 1964.
-
[6]
Après son passage au Comité d’enquête, Gabriel Ardant fut Commissaire à la Productivité de 1953 à 1958.
-
[7]
Weexsteen (Antoine), « La réforme de l’administration à travers les archives de l’ITAP », La Direction du Budget face aux grandes mutations des années 50, CHEFF, 1998, p. 377-392.
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[8]
Voir en annexe, la liste des comptes-rendus de sessions édités par l’ITAP.
-
[9]
Milhaud (Jean), « Les trente ans de l’ITAP », Les Cahiers de l’ITAP, no 36-37,1977.
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[10]
Les Cahiers de l’ITAP, no 49-50,1985,96 p.
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[11]
D’une certaine manière, et dans un style bien différent, l’Institut français des sciences administratives, reprit, avec Guy Braibant, les réflexions sur l’administration dans les années 1970. Par ailleurs, la collection des Cahiers de l’IFSA de 1967 à 1981 mériterait une étude.
1L’administration française a souvent été décrite comme une organisation statique et routinière, comme un milieu incapable d’évoluer de l’intérieur et dans lequel les « forces de changement » ne pouvaient aboutir. Certes, tout n’était pas faux dans cette description, mais nous voudrions la nuancer en présentant l’activité de l’Institut technique des administrations publiques (ITAP) durant ses vingt premières années.
2L’ITAP est né au lendemain de la deuxième guerre mondiale, alors qu’un certain nombre de fonctionnaires venait d’avoir le loisir forcé de réfléchir à la situation de l’administration, à ses carences et aux moyens d’y remédier. C’était aussi une époque propice aux innovations car les tendances dynamiques pouvaient, plus facilement que dans les périodes antérieure et postérieure, l’emporter sur l’immobilisme. L’ITAP était avant tout un mouvement, un état d’esprit. Il reflétait un besoin de réflexion et de renouveau particulièrement net au début de la IVe République, qui vit naître des organismes originaux, tel que le Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics, et se développer la Revue administrative [2].
3Confirmant en cela la thèse de Michel Crozier, selon laquelle l’administration éprouve des difficultés à se réformer de l’intérieur, la cheville ouvrière du mouvement ne fut pas un fonctionnaire. Jean Milhaud, ancien élève de Polytechnique, était à l’époque un expert en organisation qui s’était intéressé, dès les années 1930, aux problèmes administratifs dans le cadre d’une mission de réorganisation des services du protectorat français au Maroc. Fondateur de la CEGOS, Jean Milhaud s’était notamment fait le champion des échanges d’expériences entre entreprises et fut toute sa vie un militant de l’efficacité dans les organisations privées et publiques [3]. La première originalité de l’ITAP tenait certainement à la personnalité de son fondateur. Jean Milhaud a, dans plusieurs ouvrages [4], expliqué ses préoccupations et ses intentions. Son goût pour les relations publiques, son désir de contribuer à une meilleure marche de l’organisation administrative française, en ont fait un animateur infatigable de conférences, sessions et stages divers. Il prônait les échanges d’expériences entre services et administrations, dans un milieu, on le sait, très cloisonné. Sa foi dans les techniques modernes d’organisation et l’amélioration des relations humaines n’avait d’égale que sa persévérance à faire partager ses convictions. Disons, pour ne plus y revenir, que la plupart des initiatives de l’ITAP ont été celles de Jean Milhaud.
4C’est lui qui, en 1946, suggéra au Secrétaire général du gouvernement, Louis Joxe, d’envoyer un groupe de fonctionnaires français étudier le service O et M de la Trésorerie anglaise. La mission était présidée par Roger Grégoire, le directeur de la Fonction publique. Pleinement convaincus par l’expérience britannique, et faute de pouvoir entreprendre en France un programme aussi ambitieux, ils décidèrent à leur retour de se grouper en une association privée, qu’ils appelèrent Institut technique des administrations publiques, en juillet 1947. Dix des quatorze membres du groupe firent partie du premier conseil d’administration et trois d’entre l’étaient toujours vingt ans après. Diverses personnalités se joignirent au groupe, notamment Jules-Didier Chautant, directeur général des PTT, qui fut, jusqu’en 1964, le président de l’ITAP, puis ensuite son président d’honneur.
UN ORGANISME EN MARGE DE L’ADMINISTRATION
5Association privée selon la loi de 1901 [5], l’Institut technique des administrations publiques avait donc une situation originale, on peut même dire inattendue, par rapport à l’administration française. A l’exception de son secrétaire général fondateur, le conseil d’administration des années 1950 était essentiellement composé de fonctionnaires de niveau supérieur venant de la plupart des administrations, des corps de contrôle ainsi que de quelques entreprises publiques. On y relevait les noms de certains fondateurs de la Revue Administrative, comme Robert Catherine, administrateur civil au ministère de l’Industrie, les préfets Edgard Pisani et Jean-Emile Reymond ou Lucien Junillon, conseiller de l’Union Française. Parmi les animateurs les plus longtemps impliqués, citons Henri Bellon, contrôleur de la Marine, Paul Berend, ingénieur en chef du SEITA, Hubert Davost, inspecteur des Finances et membre de plusieurs cabinets ministériels, Jacques Fontaine, inspecteur général de l’Administration, Raymond Gaudriault, administrateur INSEE puis directeur du SCOM, Jean-Paul Martin, administrateur civil aux Finances puis contrôleur d’État, André de Peretti, ingénieur SEITA puis directeur de l’Institut national de Recherche pédagogique au ministère de l’Education nationale.
6L’Institut se donnait trois sortes d’objectifs :
- contribuer, par l’étude permanente des techniques administratives, à accroître le rendement des administrations publiques ;
- apporter son concours aux organismes officiels chargés de promouvoir l’amélioration des méthodes de travail;
- rassembler et étudier les suggestions des usagers des services publics en vue de simplifier la machine administrative française.
7En premier lieu, furent constitués des groupes d’étude destinés à favoriser les « échanges d’expériences » sur certains problèmes financiers, les services de personnel (1947-1949), les machines et le matériel, la formation du personnel (1950), les méthodes d’achat, les prix de revient, l’organisation et méthodes (1952-1955)... L’existence de ces groupes fut assez fluctuante, néanmoins certains ont publié d’intéressants rapports sur leurs travaux. Mais l’ITAP s’orienta rapidement vers la formation et le perfectionnement des fonctionnaires, suivant ainsi l’exemple de la CEGOS dans le secteur privé. Les lacunes de la formation en matière administrative étaient telles que les activités de l’ITAP furent bientôt canalisées dans cette direction. La formation traditionnelle des facultés de droit était, en effet, très insuffisante; quant à l’École nationale d’administration, elle ne touchait qu’un nombre limité de jeunes administrateurs. Un vaste champ d’action était donc ouvert, comprenant les fonctionnaires moyens et supérieurs qui n’avaient pas reçu de formation particulière en dehors des disciplines juridiques, et qui éprouvaient le besoin de se familiariser avec des méthodes nouvelles, ou simplement de réfléchir à des problèmes délicats et d’échanger avec des collègues leurs idées et leurs expériences.
8Les thèmes des sessions organisées par l’ITAP étaient orientés dans trois directions : les techniques administratives, les questions financières et les problèmes humains.
9Dès sa création, l’ITAP diffusait les nouvelles techniques d’organisation et méthodes et de nombreux stages ont été organisés de 1950 à 1955, alors qu’il n’existait aucun autre centre de formation. A partir de 1951, des cycles portèrent régulièrement sur la mécanographie, puis sur les équipements électroniques. De même, les problèmes concernant la documentation, les procédés de reproduction, les statistiques, la recherche opérationnelle et, après 1964, les bâtiments administratifs, ont été périodiquement présentés. Les questions budgétaires et comptables ont également été étudiées dès les premières années de l’ITAP (1950) et ont fait l’objet de cycles quasi annuels, de même pour les achats administratifs. Des sessions ont également été consacrées à l’étude des coûts et prix de revient.
10L’un des premiers sujets traités à l’ITAP concernait l’organisation des services de personnel; repris en 1952 et après 1957, il donna lieu à des cycles annuels faisant une assez grande place aux aspects juridiques. Dès 1951, une semaine fut consacrée au facteur humain dans l’administration, à l’intention des membres des grands corps, thème repris en 1953. Puis en 1955 et 1957, ont été abordés les problèmes de psychologie et de sociologie dans l’administration et, à partir de 1958, un véritable cours a été professé, des cycles de perfectionnement et de formation aux techniques psychologiques organisés, animés par André de Peretti. En 1960, apparut le thème nouveau des relations entre les administrations et leurs publics, qui fut également traité de 1963 à 1966, en liaison avec les techniques d’information, les enquêtes d’opinion, etc. L’organisation des « Semaines de l’administré », à Tours en 1965 et à Mâcon en 1966, fut le couronnement des préoccupations de Jean Milhaud dans ce domaine. Enfin, à partir de 1963, eurent lieu des confrontations sur le perfectionnement et la formation permanente. Les orientations des enseignements de l’ITAP concernant les problèmes humains ont ainsi nettement évolué en vingt ans, de l’organisation des services de personnel à la formation permanente, en passant par les études de psychologie et de sociologie. L’évolution de ces centres d’intérêt n’était pas particulière à l’ITAP, mais ce dernier a su suivre de près l’actualité, devançant fréquemment les administrations.
11L’ITAP s’est également intéressé à certaines catégories de fonctionnaires, ainsi des journées ont été consacrées au personnel des préfectures en 1949 et dans les années 1950, le « groupe Préfectures » publiant la revue Administrer de 1952 à 1956. Des formations s’adressaient également au personnel des municipalités, à Mulhouse, Grenoble, Tours et Boulogne-sur-Seine. Des journées d’information administrative se tinrent dans certaines grandes villes de province, comme Mâcon, Dijon, Lyon, Aix-en-Provence, Marseille, Bordeaux, Montpellier, Toulouse ou Nancy. Les problèmes particuliers aux mairies firent l’objet de réunions quasi annuelles à partir de 1952. Périodiquement, des stages de réflexion furent organisés à l’intention des membres des grands corps (1951,1954,1957,1963) et des sessions de recyclage pour hauts fonctionnaires ont, en outre, été inaugurées en 1966. De 1957 à 1962, une initiation aux principaux problèmes de l’administration intitulée « Techniques administratives de base », s’adressa aux fonctionnaires moyens non issus de l’ENA. Enfin, en 1967, dix hauts fonctionnaires yougoslaves suivirent un stage de cinq semaines dans le cadre de l’ITAP.
12Le programme d’une session destinée aux membres des grands corps « Problèmes d’organisation administrative », en 1957, était révélateur de l’ensemble des centres d’intérêts de l’ITAP. Après avoir examiné un certain nombre de problèmes généraux tels que la productivité, les cadres et sujétions de l’action administrative, les règles budgétaires et comptables, les prix de revient et les méthodes d’organisation, les stagiaires abordèrent les problèmes humains, ainsi l’histoire et la psychologie administrative, la psychotechnique et le perfectionnement, le point de vue sociologique, la psychologie appliquée. Suivait une initiation aux moyens matériels et procédés mis en œuvre dans l’organisation administrative (facteurs d’ambiance, mobilier et locaux, graphiques, statistiques et sondages, cybernétique, sténographie et sténotypie, machines à écrire, procédés de calcul, polycopie et duplication, mécanisation); puis venaient quelques vues générales en matière d’achats administratifs, comme la tendance à l’alourdissement de la réglementation ou le point de vue des fournisseurs, enfin étaient analysés les rapports du contrôle avec l’administration active. Ainsi, la plupart des grands thèmes qui préoccupaient les animateurs de l’ITAP furent-ils traités au cours de cette session : d’une part, l’acquisition de méthodes nouvelles de travail, d’autre part, l’évolution de l’état d’esprit général, notamment dans le comportement à l’égard du public ou des interlocuteurs tels que les fournisseurs.
13A côté de ces cycles de perfectionnement qui représentaient la plus grande part des activités de l’ITAP, figuraient certaines initiatives originales. En 1953 et 1956, furent organisés des concours à l’intention des fonctionnaires. Le premier concours se proposait de récompenser les améliorations administratives dues à des initiatives individuelles ou collectives, déjà introduites dans la pratique ou simplement proposées à l’autorité supérieure : plus de quatre-vingt mémoires furent adressés par des fonctionnaires ou des services des administrations les plus diverses. Le concours de 1956 posait la question des moyens susceptibles d’accélérer le mouvement de rénovation dans l’administration et donna lieu à une quarantaine de réponses.
14Il faut, enfin, signaler l’enquête effectuée par l’ITAP, en collaboration avec l’IFOP et la direction de l’INSEE, dont les résultats furent publiés dans une plaquette intitulée Les fonctionnaires jugent leur métier (1955). Elle portait sur l’ensemble de la fonction publique et six mille questionnaires furent remplis. Ses résultats sont particulièrement précieux, puisque c’est la seule enquête générale que nous possédions en France sur cette période.
LES ORIENTATIONS « PRODUCTIVISTES » DE L’ITAP
15Après ce rapide panorama, à la fois d’ordre chronologique et synthétique, nous voudrions, grâce à l’analyse de quelques conférences ou sessions, présenter avec plus de précision les orientations de l’ITAP.
16Les sujets des premières conférences sont révélateurs car les études sur les réalisations étrangères, notamment sur l’administration britannique, étaient nombreuses. Les points qui étaient présentés comme positifs faisaient apparaître, a contrario, les aspects considérés comme défectueux dans l’administration française. Nous prendrons comme exemple une conférence prononcée en 1948 : après un stage de deux mois en Grande-Bretagne, M. Fouquet décrivait la manière dont l’administration britannique perfectionnait les fonctionnaires des services d’organisation et méthodes. Première originalité, ces stages ne comprenaient qu’un nombre limité de personnes, de six à neuf, venant d’administrations diverses. Ces fonctionnaires avaient été soumis à une sélection sévère et on ne cherchait pas tellement à mesurer les connaissances techniques des candidats mais, par une interview soigneusement préparée à l’avance, à mettre en évidence les qualités de précision, d’ordre, d’objectivité, « sans compter le tact et l’humilité, voire la persévérance, nécessaires pour aborder cette tâche si souvent ingrate de l’organisation administrative ». Ces deux mois de formation portèrent sur des problèmes alors bien peu connus en France tels que les différents types d’autorité ou la nécessité des délégations. Le programme comportait des analyses approfondies sur l’importance du facteur humain, les méthodes statistiques, le calcul des prix de revient, l’élaboration des imprimés et circulaires, la mécanisation et l’emploi des divers types de machines de bureau, les avantages et inconvénients de la standardisation, l’utilisation rationnelle des commissions. Enfin, les stagiaires furent invités à étudier dans le détail les méthodes de travail des commis, la façon précise de faire une interview et de mener une enquête d’organisation et méthodes. Tous ces problèmes étaient alors méconnus ou peu connus dans notre pays et le modèle britannique a joué un rôle important dans le développement de l’ITAP.
17Certains groupes spécialisés se sont livrés à des recherches sur des questions techniques et ont élaboré des rapports exploitables par de nombreuses administrations. Ainsi, un rapport sur l’achat ou la location de machines à cartes perforée, préparé avec la collaboration des constructeurs, arrivait à la conclusion que les deux systèmes étaient très voisins dans les premières années et que l’achat ne devenait rentable qu’après une durée d’au moins six ans. Un groupe de travail sur les prix et coûts de revient se réunit dès 1947, mais avec un esprit parfois critique. Au même moment, le Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics, sous la direction de Gabriel Ardant [6], faisait des « audits » sévères sur certains services. Le groupe de l’ITAP orienta alors ses réflexions vers le « budget fonctionnel » qui fixerait les missions des administrations et se concentrerait sur les services à rendre, idée qui fut bien accueillie au Budget et par certains inspecteurs des Finances [7]. Le groupe sur les prix de revient présenta, en 1953, un rapport sur la méthode d’établissement du coût et des prix de revient d’un service administratif extérieur, et des précisions importantes furent apportées dans une matière particulièrement complexe. En 1961, un cycle d’études fit de nouveau le point sur la détermination des prix de revient dans les services publics avec, notamment, une étude détaillée sur le calcul des coûts de production par la méthode des sections homogènes. En définitive, on pouvait constater l’extrême diversité des méthodes utilisées dans les différentes administrations et l’empirisme qui avait présidé à leur élaboration. La principale difficulté résidait dans le choix des critères internes représentatifs de l’activité du service, aussi beaucoup d’études étaient-elles restées partielles, ne s’appliquant qu’aux secteurs administratifs qui se prêtaient le moins mal aux études chiffrées. En 1967, dans le cadre d’une session sur les procédés modernes de contrôle de gestion, furent exposées les techniques du « direct costing » et des « coûts préétablis ». La RCB reformula ensuite la question.
18Les achats administratifs ont donné lieu à de très nombreux cycles d’études car l’ITAP a toujours considéré que les acheteurs devaient posséder une formation particulière. Dans ces cycles, outre les multiples questions d’ordre juridique ou comptable, étaient abordés le problème des prix et des contrôles, les formules de groupement d’achats. Enfin, on insistait sur la nécessité d’un assouplissement des procédures et sur l’importance d’une meilleure compréhension entre services publics et fournisseurs. Les représentants de fédérations industrielles avaient d’ailleurs l’occasion d’exposer leur point de vue.
19Les cycles de l’ITAP sur la gestion du personnel ont permis de préciser le rôle des services de personnel et leur place dans les structures administratives. C’est ainsi que Ch. Delaunay analysait les différents avantages et inconvénients des systèmes de gestion centralisée et décentralisée et passait également en revue les problèmes pratiques posés par la question des affectations, le contrôle de l’absentéisme, la notation, la discipline. Enfin, il abordait la question de la répartition des compétences et du pouvoir de décision entre les services de personnel, les autres chefs de service, le ministre, les finances et la direction de la fonction publique.
20Si l’ITAP a participé activement à l’amélioration des méthodes d’organisation administrative, son objectif a été également de contribuer à l’évolution de l’état d’esprit des fonctionnaires. La multiplication des conférences de caractère psychologique et sociologique témoignait de cette préoccupation. Nous prendrons, pour l’illustrer, le sommaire d’une session particulièrement originale consacrée aux administrations et à leurs publics. Des exposés furent successivement présentés sur les différentes sortes de publics, les attitudes de fonctionnaires vis-à-vis des administrés, l’organisation d’un service de relations publiques à la Préfecture de Police, les relations publiques à la mairie de Mulhouse, le rôle de l’attaché de presse dans l’administration, les problèmes qui se posent aux journalistes chargés d’assurer les contacts avec les administrations, les bureaux d’accueil, les renseignements administratifs téléphonés, et enfin la simplification des formalités administratives.
21Les « Semaines de l’administré » à Tours en 1965 et à Mâcon en 1966 furent des expériences nouvelles, destinées à mieux informer le public sur le fonctionnement de l’administration. La principale réalisation de la Semaine de Tours était une exposition présentant de manière claire et simple, par des organigrammes, tableaux, graphiques, etc., les activités des différentes administrations publiques. Par ailleurs, un centre d’information était à la disposition du public et, enfin, de nombreuses conférences furent prononcées par les responsables de divers services locaux ou nationaux. L’ensemble de ces manifestations toucha environ six mille personnes, dont un grand nombre d’élèves et étudiants. La Semaine de Mâcon, organisée à l’initiative de l’administration, reçut environ neuf mille visiteurs et comportait essentiellement une exposition où chaque administration présentait un stand. Le bilan de ces expériences était positif, non seulement pour les administrés, mais également pour les fonctionnaires qui étaient amenés à expliquer leurs activités de manière simple et concrète. L’expérience fut renouvelée à la Maison de l’ORTF, à Paris, en 1970. Ces manifestations, qui étaient des premières en France, furent évidemment considérées comme anecdotiques par certains fonctionnaires, mais elles sont depuis devenues courantes.
22Parmi les initiatives de l’ITAP dans les années soixante, il faut enfin citer les séminaires résidentiels de recyclage administratif. Ces séminaires de quatre jours réunissaient des hauts fonctionnaires venant des administrations les plus diverses. Ils permettaient à des responsables souvent harcelés par les activités quotidiennes de réfléchir à des problèmes généraux et d’échanger leurs réflexions. Les participants au séminaire de Barbizon (février 1967) s’intéressèrent à des questions telles que l’administration face au problème des villes, les aspects régionaux de la planification, la « bureaucratie à la française », l’adaptation de l’administration à la vie moderne, les problèmes de gestion dans les entreprises, la réforme administrative régionale de 1964, l’administration et les juristes, la formation et le perfectionnement des fonctionnaires, l’amélioration des structures et des méthodes de l’administration, les motivations et comportements des agents. Cette sorte de « semaine sabbatique » était certainement très profitable. Les cycles résidentiels pouvaient également s’adresser à des personnalités appartenant à un même corps, ainsi les deux journées réservées, en octobre 1967, aux contrôleurs d’État.
L’INFLUENCE DE L’ITAP SUR LE MILIEU ADMINISTRATIF
23Après avoir retracé les principales activités de l’ITAP, il convient de préciser quelle a été son influence sur le milieu administratif. Former et perfectionner des fonctionnaires moyens et supérieurs supposait d’abord un effort de réflexion et d’élaboration de la part des animateurs. Ce fut peut-être là l’influence la plus profonde de l’Institut, bien qu’elle n’ait atteint qu’un nombre limité de personnes, comprenant les membres du Conseil d’administration et les conférenciers. En effet, certains membres du Conseil d’administration ont toujours été très actifs. Depuis 1947, la presque totalité des administrateurs était composée de hauts fonctionnaires : les administrateurs civils représentaient le tiers du total, puis venaient les membres des grands corps (1/5) et les ingénieurs (1/8), mais on trouvait également des fonctionnaires des administrations locales, du ministère des Armées (surtout des corps de contrôle) et quelques représentants du secteur nationalisé. Ces fonctionnaires avaient assez souvent des responsabilités importantes dans l’administration, dont plusieurs directeurs et préfets. Parmi les animateurs de l’ITAP, se trouvaient non seulement les administrateurs mais également les conférenciers et directeurs de stages, les deux catégories se recoupant assez fréquemment. La moitié environ des conférenciers étaient des fonctionnaires supérieurs des administrations centrales, administrateurs civils ou ingénieurs. Le ministère des Finances devançait de très loin les autres administrations, avec un administrateur civil sur deux. Parmi les autres administrations les plus représentées, citons les Armées, les PTT, la Fonction publique et les grands corps, puis les universitaires après 1957.
24Pour mesurer l’influence de l’ITAP sur l’administration en général, un premier indice est donné par le nombre des adhérents qui étaient, soit des personnes à titre individuel, soit des services. En 1952, les Cahiers de l’ITAP (no 16 et 17) publiaient un annuaire des 122 adhérents individuels et 179 services, soit un total de 301. En 1967, les adhérents étaient classés en 214 membres actifs et 305 abonnés à la documentation, soit 519 au total. Les administrations parisiennes, administrations centrales, préfectures de la Seine et de Police, en représentaient 39,5 %, les administrations locales (mairies, préfectures et services départementaux) 30 %, les correspondants étrangers 11 %, le secteur public 10,5 % et le secteur privé 5,5 %.
25Dans l’ensemble, le public de l’ITAP était formé d’attachés d’administration et d’administrateurs civils, ou de fonctionnaires de niveau équivalent, ingénieurs, officiers supérieurs, etc. Si les anciens élèves de l’ENA étaient rares parmi les auditeurs, ils étaient beaucoup plus nombreux parmi les conférenciers. De 1955 à 1967, l’Institut reçut 3.300 stagiaires. La participation aux sessions posait évidemment le problème des crédits à dégager pour les frais d’inscription, et certaines administrations consacraient plus volontiers que d’autres des ressources à la formation de leur personnel. Les comptes rendus des sessions étaient mis en vente sous forme de dossiers multigraphiés [8]. A partir de 1964, certaines conférences furent également publiées dans les Cahiers de l’ITAP (nouvelle série).
26S’il est impossible de mesurer l’influence de l’ITAP sur l’évolution des esprits et des attitudes, on peut citer des réalisations dans la genèse desquelles il a joué un rôle certain, ainsi le mouvement Organisation et Méthodes, qui aboutit à la création du Service central Organisation et Méthodes au ministère des Finances. De même, les études effectuées sur les marchés publics ont conduit à la création de l’Association pour le perfectionnement des approvisionnements dans les services publics (APASP). L’ITAP combla, tant bien que mal, l’absence de politique concernant la formation permanente des fonctionnaires. Après 1971, il fut plus ou moins marginalisé dans la mesure où l’administration était censée prendre en charge le problème [9]. Aussi, à partir de 1975, l’ITAP se réduisit à une sorte de club organisant, de temps à autre, quelques manifestations, comme les tables-rondes sur la déontologie en 1984-85 [10].
27Nous voudrions, en conclusion, insister sur l’originalité de l’Institut technique des administrations publiques. Sa création et son développement ont correspondu à un besoin profond de l’administration française, à une époque où les problèmes de perfectionnement en cours de carrière étaient à peu près inconnus. On peut affirmer que si l’ITAP n’avait pas été créé, un autre organisme aurait certainement vu le jour..., mais beaucoup plus tard. Car l’impulsion première est venue d’un homme extérieur à l’administration, mais l’Institut a malgré tout été « sécrété » par le milieu administratif. Animé par des militants bénévoles de la réforme, convaincus que les méthodes et les techniques étaient du même ordre dans toutes les administrations, publiques ou privées, l’ITAP fut, comme la Revue Administrative et Robert Catherine ou le Comité central d’enquête, un bon miroir des idées qui agitèrent les administrations jusqu’aux années soixante [11]. Il était aussi, pour le jeune chercheur, un bon observatoire des mœurs administratives. Certes, son caractère non public provoqua chez certains fonctionnaires particulièrement bureaucratisés une réticence : n’était-il pas inconcevable, en effet, qu’un organisme privé ait la prétention d’aider à l’évolution et au perfectionnement de l’administration ? Sans doute une institution officielle aurait-elle bénéficié de moyens plus importants et l’on peut se demander si sa faculté d’innovation n’aurait pas été entravée par les pesanteurs traditionnelles. Mais elle aurait aussi coûté beaucoup plus cher, en un temps où les consultants n’avaient pas envahi le marché des administrations et où les idées n’étaient pas encore une marchandise. L’intérêt de l’ITAP tenait, en effet, à son caractère improvisateur et créateur et c’est, pourquoi ne pas le dire, ce rien de fantaisie qui faisait non seulement son charme, mais finalement son efficacité.
Comptes-rendus des sessions édités par l’ITAP
28Budget, Finances, Comptabilité, 1951.
29Le facteur humain dans l’administration, 1953.
30Coût et prix de revient, 1953.
31Les machines à cartes perforées, 1953.
32La mécanographie, 1953.
33La mairie au service du public (première session), 1953.
34Les machines comptables, 1954.
35Problèmes modernes d’organisation administrative, 1954.
36Les bureaux O et M, 1955.
37L’emploi des aveugles, 1955.
38Problèmes de psychosociologie, 1955-1957.
39Mécanographie, 1956.
40Finances, Budget, 1956.
41La mairie au service du public, 1956.
42Techniques administratives de base, 1957.
43La mairie au service du public, 1957.
44L’État et ses fournisseurs, 1957.
45Problèmes modernes d’organisation administrative, 1957.
46Finances publiques, 1957.
47Gestion du personnel, 1957.
48Cours de psychologie, I.II.III, 1958.
49Administration et vie économique, 1958-1959.
50La personnalisation des tâches, 1959.
51Problèmes de personnel, 1959.
52Les marchés de travaux, 1959.
53Les administrations et leurs publics, 1960.
54La vie des organisations administratives, 1960.
55Hommes et Techniques : l’État est-il un bon client ? 1960.
56Coût et prix de revient dans les services publics, 1960-1961.
57Gestion du personnel, 1961.
58La documentation dans les administrations publiques, 1962.
59L’exécution des travaux administratifs sur machines électroniques, 1962.
60L’application du plan comptable, 1962.
61Les grands corps d’inspection et de contrôle, 1963.
62Journées d’études municipales, 1963.
63Techniques comptables, 1965.
64Problèmes de personnel, 1966.
Notes
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[1]
Ce texte reprend, avec quelques ajouts, de larges extraits des Cahiers de l’ITAP, no 14-15,1968.
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[2]
On se reportera au chapitre « Initiatives et analyses en marge de l’appareil administratif » dans : Siwek-Pouydesseau (Jeanne), Fractales administratives, en ligne : www. cersa. org.
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[3]
Weexsteen (Antoine), Le conseil aux entreprises et à l’Etat en France : le rôle de Jean Milhaud (1898-1991) dans la CEGOS et l’ITAP, Thèse IHESS, 1999,1 107 p.
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[4]
Milhaud (Jean), Chemins faisant, Editions Hommes et Techniques, 1956,294 p.; Sur les ailes du temps, Nouvelles Editions Latines, 1962,216 p.; Promotion Humaine, Ed. Serg, 1965,231 p.; Mon ami l’Etat, Imprimerie nationale, 1973,143 p.
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[5]
L’ITAP fut reconnu d’utilité publique en 1964.
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[6]
Après son passage au Comité d’enquête, Gabriel Ardant fut Commissaire à la Productivité de 1953 à 1958.
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[7]
Weexsteen (Antoine), « La réforme de l’administration à travers les archives de l’ITAP », La Direction du Budget face aux grandes mutations des années 50, CHEFF, 1998, p. 377-392.
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[8]
Voir en annexe, la liste des comptes-rendus de sessions édités par l’ITAP.
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[9]
Milhaud (Jean), « Les trente ans de l’ITAP », Les Cahiers de l’ITAP, no 36-37,1977.
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[10]
Les Cahiers de l’ITAP, no 49-50,1985,96 p.
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[11]
D’une certaine manière, et dans un style bien différent, l’Institut français des sciences administratives, reprit, avec Guy Braibant, les réflexions sur l’administration dans les années 1970. Par ailleurs, la collection des Cahiers de l’IFSA de 1967 à 1981 mériterait une étude.