Notes
-
[1]
Lawler (E.), « From job-based to competency-based organizations », Journal of Organizational Behavior, 1994, vol. 15, p. 3-15.
-
[2]
Horton (S.), Hondeghem (A.) and Farnham (D.) Eds., Competency Management in the Public Sector : European Variations on a Theme, Amsterdam, IOS, 2002.
-
[3]
Boyatzis (R.), The Competent Manager : A Model for Effective Performance, New York, Wiley, 1982.
-
[4]
Ibid., p. 23.
-
[5]
Stebler (M.), Robinson (D.) and Heron (P.), Getting the Best out of Competencies, Sussex, Institute of employment Studies, 1997.
-
[6]
Hamel (G.), « The concept of core competencies » in Hamel (G.) and Heene (A.), Eds., Competence-based Competition, New York, Wiley, 1994.
-
[7]
Pollitt (C.) and Bouckaert (G.), Public Management Reform : A Comparative Analysis, Oxford University Press, 2004; Schedler (K.) and Proeller (I.), New Public Management, Berne, Haupt, 2000.
-
[8]
OECD, Integrating People Management into Public Service Reforms, Paris, OECD, 1996.
-
[9]
Horton (S.), Hondeghem (A.) and Farnham (D.) Eds, Competency Management in the Public Sector : European Variations on a Theme, Amsterdam, IOS, 2002.
-
[10]
McClelland (D. C.), « Testing for competence rather than for “intelligence” », American Psychologist, 28,1973, p. 1-14.
-
[11]
Horton (S.), « Competencies in human resourcing » in Pilbeam (S.). and Corbridge (M.), eds, People Resourcing : HRM in practice, Financial Times Prentice Hall, Harlow, 2002, p. 491-515.
-
[12]
Farnham (D.) and Horton (S.), « HRM Competency Framework in the British Civil Service », in Horton (S.) et al., Competency Management in the Public Sector : Variations on a Theme, Amsterdam, IOS, 2002.
-
[13]
Cabinet Office, Modernising Government (Cm 4310), London, The Stationery Office, 1999.
-
[14]
Cabinet Office, Civil Service Reform — Report by Sir Richard Wilson, London, Cabinet office, 1999.
-
[15]
Voir : www. cabinet-off?ce. gov. uk/ civilservice/ scscompetencies.
-
[16]
Horton (S.), « Performance Management in the British Senior Civil Service », Paper presented at the Irish Institute of Public Administration, Dublin, January 2005.
-
[17]
Parys (M.), « Het competentiedenken binnen de federale overheidsdiensten in België », Vlaams Tijdschrift voor Overheidsmanagement, 2001,6,3, p. 10-18.
-
[18]
Guest (D.), « Human resources management and industrial relations », Journal of Management Studies 24 (5), 1987.
-
[19]
Horton (S.), « Competencies in human resourcing », in Pilbeam (S.) and Corbridge, (M.), eds, People Resourcing : HRM in practice, Financial Times Prentice Hall, Harlow 2002; Van Beirendonck (L.), Beoordelen en ontwikkelen van competenties, Acco, Leuven, 2001.
-
[20]
Emery (Y.), « Added value in human resource management : an analysis of the competency management process », in Horton (S.) et al., Competency Management in the Public Sector : Variations on a Theme, Amsterdam, IOS, 2002, pp. 17-30; Hood (C.), Lodge (M.) and Clifford (C.), Civil service policy-making competencies in the German BMWi and British DTI : a comparative analysis based on six case studies, The Smith Institute, 2002, p. 67.
-
[21]
Boyatzis (R.), The Competent Manager : A Model for Effective Performance, New York, Wiley, 1982.
-
[22]
Hood (C.), Lodge (M) and Clifford (C.), Civil service policy-making competencies in the German BMWi and British DTI : a comparative analysis based on six case studies, The Smith Institute, 2002, p. 67.
-
[23]
Ibid., p. 67.
-
[24]
Townley (B.), « Nietzsche, Competencies and Ubermensch : reflections on human and inhuman resource management », Organization, 1999,6,2, p. 285-305.
-
[25]
Antonacopoulou (E.) and Fitzgerald (L.), « Reframing competency in management development », Human Resource Management Journal, 1996,6,1, p. 27-45.
-
[26]
Horton (S.), « Competencies in human resourcing » in Pilbeam (S). and Corbridge (M.), People Resourcing : HRM in practice, Financial Times Prentice Hall, Harlow, 2002.
-
[27]
Brewster (C.), « European HRM, Reflection of, or challenge to, the American concept », in Kirkbridge (P.), ed., HRM in Europe, Routledge, 1994, p. 56-89.
1Dans les études sur la gestion des ressources humaines, la notion de gestion des compétences est très répandue. Certains chercheurs évoquent même un transfert du modèle d’organisation fondé sur la notion de fonction vers un autre, fondé sur la notion de compétence [1]. D’un point de vue historique, le mouvement en faveur de la prise en compte de la compétence s’est d’abord développé — comme d’ailleurs la plupart des innovations qui ont eu lieu dans le domaine de la gestion des ressources humaines — dans le secteur privé, où la gestion des compétences avait pour but principal de permettre une meilleure compétitivité en milieu concurrentiel. D’un point de vue sémantique, les mots compétition et compétence sont similaires. Dans le secteur public, la concurrence est moins évidente; elle n’en reste pas moins présente : elle s’exerce ainsi en matière de recrutement ou de fidélisation du personnel, d’accès aux ressources, d’obtention de contrats au sein d’un marché ouvert ou bien encore de recherche de résultats. C’est dans ce contexte que s’explique, en partie, l’attrait des institutions publiques pour la gestion des compétences.
2La gestion des compétences est une nouvelle manière de prendre en compte les carrières dans le secteur public. Traditionnellement, les carrières reposaient sur les diplômes, les examens ou l’ancienneté, dans un système où la compétence prévaut, les carrières, en revanche, sont fondées sur les « atouts » des employés ; atouts qui profitent à l’organisation. Notons dès à présent que les employés sont eux-mêmes largement responsables du développement de leurs compétences.
3Dans le cadre de cet article, nous nous proposons de décrire les origines de ce nouveau type de gestion et de clarifier dans le même temps quelques questions conceptuelles ; nous présenterons deux exemples de la gestion des compétences et discuterons de la valeur ajoutée que peut offrir la gestion des compétences dans le secteur public, à la lumière des problèmes qui sont apparus en pratique. Cet article a pour base une étude menée en collaboration avec le groupe d’étude du GEAP sur les politiques de personnel dans le secteur public [2].
LES ORIGINES DE LA GESTION DES COMPÉTENCES DANS LE SECTEUR PUBLIC
4La notion de gestion des compétences fit une première apparition dans le secteur privé, aux États-Unis et en Grande-Bretagne dans les années quatre-vingt. Il s’agissait alors d’une réponse apportée aux défis soulevés par les changements économiques liés à la mondialisation, à une concurrence internationale grandissante et aux transformations technologiques. En premier lieu, on essaya d’accroître le niveau de performance des systèmes éducatifs, car on considérait qu’ils étaient incapables de répondre aux besoins du marché du travail ou de doter les jeunes d’un savoir adapté et de la capacité à trouver un emploi puis à l’occuper avec succès ; les systèmes éducatifs en question ne servaient donc, dans une telle perspective, ni l’industrie, ni la jeunesse. En second lieu, on se pencha sur la force de travail et son manque de qualification : la Grande-Bretagne introduisit un système, dirigé par l’industrie elle-même, destiné à établir des critères de performance pour chacun de ses secteurs (National Vocational Qualification); les États-Unis suivirent l’exemple britannique en établissant en 1994 un système similaire (National Skills Standards Board).
5En réponse au déclin de la compétitivité, les anglo-américains examinèrent également ce que devaient être les compétences des gestionnaires. Un rapport d’un consultant en gestion, McBer et Associés, répertoria — pour le compte de l’Association américaine de management — les caractéristiques des meilleurs gestionnaires d’entreprises américaines. L’auteur Richard Boyatzis [3] élabora un modèle de compétences qui prit en compte dix-neuf caractéristiques génériques, réunies en cinq groupes : objectifs et actions, gestion des ressources humaines, direction, attention portée aux autres, relation aux subordonnés. Ses travaux eurent un impact majeur sur la réflexion sur le management aux États-Unis et furent exportés par la suite en Grande-Bretagne, par l’entremise des consultants en gestion, des institutions éducatives et des compagnies américaines installées dans le pays. De la même manière, ses idées se sont répandues en Europe et à travers le monde.
6Les interprétations et définitions de ce que sont les compétences et la gestion des compétences sont à la fois nombreuses et différentes. Pour ce qui nous concerne, nous retenons la définition de Boyatzis selon laquelle les compétences sont « les caractéristiques comportementales d’un individu en relation directe avec l’accomplissement efficace ou remarquable d’un travail » [4]. Un modèle de compétences est une liste de compétences, mais aussi un outil grâce auquel lesdites compétences sont exprimées, évaluées et mesurées [5]. Un concept important est celui de compétence clé. Il peut être associé à un travail ou à une fonction particulière ou bien encore servir à différencier les compétences essentielles que les individus possèdent (ou dont ils ont besoin), de celles qui ont une importance moindre. Ce concept peut aussi s’appliquer aux compétences des organisations [6]. La gestion des compétences implique que soient identifiées les compétences nécessaires à l’accomplissement adéquat de tâches dans chacun des secteurs d’activité de l’organisation et que soit élaboré un modèle qui serve de base au recrutement, à la sélection, à la formation, au développement ou à d’autres aspects de la gestion du personnel. L’avantage évident d’une telle approche, est qu’elle favorise la cohérence de l’identification et de l’évaluation de la qualité des employés, dans tous les processus de gestion des ressources humaines. Elle a également pour but de jauger le talent, la motivation, la personnalité et d’autres attributs qui permettent de différencier les niveaux de performance (faible, moyenne ou supérieure). En d’autres termes, la gestion des compétences considère l’individu comme la ressource primordiale au sein de l’organisation et comme la source de son succès ou de son échec.
7Les premiers pas de la gestion des compétences dans le secteur public s’effectuent aux États-Unis et au Royaume-Uni dans les années quatre-vingt. Cette avancée coïncide avec l’introduction de la nouvelle gestion publique (New Public Management) au Royaume-Uni et du gouvernement d’entreprise aux États-Unis (Entrepreneurial or Re-engineered Government). Elle apporte une réponse aux problèmes posés par les changements culturels et organisationnels qui se mettent alors en place. Tandis que la nouvelle gestion publique se répand, sous diverses variantes, à travers l’Europe et les pays de l’OCDE [7], la gestion des ressources humaines et la gestion des compétences deviennent des notions crédibles [8]. L’OCDE et d’autres organisations internationales rejoignent ainsi les consultants privés en gestion dans ce qui est aujourd’hui considéré comme une bonne pratique.
8Une étude menée sur la gestion des compétences dans le secteur public [9] fait apparaître qu’à la fin du XXe siècle, celle-ci n’était pas encore une pratique universelle, même au Royaume-Uni, qui avait pourtant ouvert la voie. La Belgique, les Pays-Bas, la Finlande commençaient certes à l’adopter, mais sur une base très sélective. De son côté, la France, l’Italie, l’Allemagne n’en étaient qu’à l’évaluation des besoins dans ce domaine. Les pays d’Europe de l’Est, quant à eux, tentaient d’installer un système d’administration publique plus traditionnel dans le but d’accompagner leur transition du communisme vers la démocratie libérale et l’économie de marché. On ne peut donc parler d’une généralisation de la gestion des compétences dans le secteur public en Europe; on peut néanmoins observer des tendances qui convergent, chacunes à leur façon, vers la prise en compte de la notion de compétence.
9Une première tendance fait apparaître que les compétences sont de plus en plus prises en considération par les organisations au détriment des diplômes. Ce mouvement concrétise l’idée avancée en 1973 par un des pionniers en la matière, McClelland, lequel préconisait la suprématie de la compétence sur les diplômes dans les procédures de sélection [10]. Les compétences, dans la plupart des pays, ont une définition large qui prend en compte : le talent, l’expérience, les capacités, le comportement ainsi que les connaissances. Les diplômes sont, eux, réduits au savoir scolaire et aux certificats. Dans la plupart des pays européens, et certainement en ce qui concerne les procédures de sélection, la compétence commence à prendre le pas sur les diplômes. En d’autres termes, les examens et concours, qui sont les instruments traditionnels de gestion de personnel, perdent de l’importance au profit d’instruments qui permettent l’évaluation des compétences.
10Une deuxième tendance considère la gestion des compétences comme un levier du changement. La plupart des systèmes d’administration publique en Europe ont été l’objet de réformes majeures au cours des vingt dernières années et continueront de se transformer dans les années à venir. La gestion des compétences est censée conforter ce processus de changement. Elle est considérée comme un moyen de transformer une bureaucratie traditionnelle en une organisation moderne et flexible. Les compétences offrent un langage commun et une même compréhension des comportements requis, nécessaires pour atteindre les objectifs de l’organisation. Elles sont de surcroît un instrument de cohérence dans un secteur public très fragmenté.
11La troisième tendance de la gestion des compétences fait sienne, tout comme la gestion des ressources humaines, l’idée selon laquelle ce sont les individus qui font la différence et selon laquelle les compétences humaines sont l’atout principal d’une organisation. On constate que beaucoup de pays sont attentifs au développement individuel des employés, l’accent étant mis sur la nécessité pour chacun d’être son propre patron (émancipation) et sur la recherche de l’excellence. On observe que ce dernier aspect est lié au précédent dès lors que la gestion des compétences est considérée, dans un certain nombre de pays, comme le vecteur d’un changement culturel et le moyen d’injecter davantage de flexibilité, d’adaptabilité et d’esprit d’entreprise dans les organisations.
12Le dialogue avec l’échelon hiérarchique supérieur, lequel devient gestionnaire du personnel, est très important dans ce processus. Pour l’instant, on ne peut pas parler de généralisation de la gestion des compétences en Europe; mais il est clair que le mouvement en faveur de la prise en compte de la compétence a le vent en poupe. Nous allons maintenant décrire deux cas exemplaires des différences d’approche dans la gestion des compétences.
GESTION DES COMPÉTENCES DANS LA HAUTE FONCTION PUBLIQUE AU ROYAUME-UNI
13La fonction publique (civil service) britannique a envisagé une gestion des ressources humaines fondée sur la compétence au début des années quatre-vingt. Les compétences clés exigées pour la haute administration publique furent définies et un profil de qualités personnelles et de talents requis pour chaque échelon fut esquissé. Ces différents éléments ont servi de base à la sélection des candidats, à la progression des carrières et à la formation. En 1987, l’École d’administration publique (Civil Service College) développa — pour les sept échelons supérieurs de la fonction publique — un plan de formation s’appuyant sur les compétences. L’ensemble des cours tournaient autour de compétences clés, combinant des critères relatifs au travail, au rôle social et personnel. La formation mélangeait l’approche conventionnelle, laquelle définit des standards pour chaque fonction, et celle prenant en compte les compétences de comportement [11]. Des plans de formation, également fondés sur la notion de compétence, furent élaborés pour d’autres échelons de la fonction publique. Une étude publiée en l’an 2000 révéla que 80 % des départements et agences possédaient un modèle prenant en compte les compétences, les autres étant sur le point de le faire [12]. Ces modèles furent rarement utilisés dans tous les processus de gestion des ressources humaines. Les processus d’application les plus souvent cités sont : le recrutement, l’évaluation et la formation.
14La haute administration publique — qui comprend, répartis dans les différents fonctions publiques, les 3 500 fonctionnaires de rang les plus élevés — offre le meilleur exemple d’une approche globale de la gestion des compétences. Le premier modèle de compétences pour les trois échelons supérieurs de la fonction publique fut développé en 1993. Quelques révisions mineures permirent d’intégrer les échelons quatre et cinq quand la haute administration publique (Senior Civil Service) fut créée en 1996. L’actuel modèle de compétences date de 2001. Le projet de modernisation du gouvernement travailliste (Labour), qui accéda au pouvoir en 1997, comprenait un programme de réforme de la fonction publique [13]. Un rapport sur la réforme de la fonction publique [14] soumit des propositions pour un nouveau système de gestion des salaires et des performances ainsi qu’un nouveau modèle de compétences pour la haute administration publique. Il s’agissait à la fois de refléter la nouvelle culture de la fonction publique et prouver que celui-ci disposait de l’autorité et des compétences clés nécessaires pour mener à bien le programme de réforme gouvernemental.
15Un consultant (Development Partnership) fut désigné pour développer, mettre en place et tester un nouveau modèle de compétences. Le projet s’échelonna sur quinze mois en trois étapes. Le personnel participa activement à chacune d’elles. Au cours de la première étape, on identifia les compétences et on créa une nouvelle grille. Plusieurs méthodes furent utilisées. D’abord, on demanda à quatorze cadres dirigeants, ainsi qu’à des responsables de la haute administration publique d’exprimer leur opinion sur le projet de modernisation du gouvernement, sur le rôle dirigeant de la haute administration publique et sur les compétences et les comportements que les hauts fonctionnaires devaient posséder pour être efficaces dans l’avenir. Au cours de la seconde étape, des entretiens détaillés avec une trentaine de fonctionnaires de la haute administration publique issus de diverses administrations, permirent de cerner les comportements clés en termes de fonctionnement. Durant la troisième étape, quatre ateliers de douze membres chacun — issus de différentes administrations, à divers échelons — discutèrent de ce que l’on était en droit d’attendre des membres de la haute administration publique. D’autres réunions suivirent avec des spécialistes des ressources humaines et les dirigeants de six organisations extérieures pour évoquer leur expérience des compétences et leur perception de la haute administration publique. Les résultats d’une analyse dite « à 360° », menée auprès du personnel de la haute administration publique, fut également prise en considération. Enfin, on entreprit la recherche et l’examen d’informations sur les modèles de compétences adoptés par d’autres organisations publiques ou privées au Royaume-Uni et ailleurs.
16Le consultant susmentionné élabora un modèle de compétences décrivant six compétences clés ainsi que les effets qui y devaient être attachés. Le Conseil de gestion de la fonction publique (Civil Service Management Board) accepta ce document comme base de nouvelles consultations. Ce modèle fut d’abord testé dans quatorze départements et agences auprès de personnels occupant toutes sortes de fonctions. Une nouvelle série de onze ateliers fut organisée à travers tout le pays aux fins de validation, y compris auprès du personnel féminin, du personnel issu des minorités ethniques ou des employés handicapés. Plus de mille personnes participèrent à ces ateliers. Les consultations individuelles furent la dernière étape du processus de validation. Tous les membres de la haute administration publique purent faire des commentaires sur le nouveau modèle [15]. Le questionnaire d’auto-évaluation fut rempli par 500 des 3 500 membres de la haute administration publique.
17À la fin de la deuxième phase, le modèle de compétences connut quelques modifications. Tous les membres de la haute administration publique furent informés des résultats de l’étude et une recherche, s’appuyant sur « l’analyse à 360° » permit d’évaluer les forces et les faiblesses de la haute administration publique actuelle à la lumière du nouveau modèle de compétences. Finalement, le modèle fut approuvé et devint opérationnel en même temps que le nouveau système de gestion des salaires et des performances, en avril 2001.
18Ce modèle de compétences, baptisé « une direction, des résultats » (‘Leadership for results’) repose entièrement sur les comportements. Il comporte six compétences clés, considérées comme indispensables à l’efficacité du personnel de la haute administration publique dans son ensemble. Chacune de ces compétences est associée à une liste de comportements, efficaces et inefficaces, qui sont autant de critères pour l’évaluation des performances, (comme indiqué dans la figure no 1). Ces compétences et ces comportements reflètent les priorités du projet gouvernemental de modernisation et de réforme de la fonction publique et se concentrent sur ses objectifs principaux.
Le modèle de compétences de la haute fonction publique au Royaume-uni
Le modèle de compétences de la haute fonction publique au Royaume-uni
19Development Partnership justifia l’omission de compétences spécifiques en indiquant que celles-ci sont généralement un préalable à l’occupation d’un emploi, et que ce sont plutôt les comportements, révélateurs du savoir et du talent, qui ajoutent de la valeur au travail des individus. Une exception fut ménagée à l’égard des spécialistes dans la fonction publique à travers la mention « Être apprécié pour son application judicieuse du savoir et de l’expertise » dans la compétence clé « Produire un impact personnel » (cf. diriger par l’exemple).
20Le nouveau modèle ne fait aucune référence aux réseaux (politiques, parlementaires ministériels ou au sein des représentants du personnel) qu’il est pourtant possible de considérer comme une compétences clé des hauts fonctionnaires. Il est clair que la notion de gestion générique, chère à la nouvelle approche britannique en matière de nouvelle gestion publique, imprègne le nouveau modèle de compétences et qu’elle est l’illustration de la convergence avec le secteur privé à ce sujet. Le nouveau modèle a pour but de faire évoluer les comportements, d’identifier les raisons du succès et de l’échec, de comprendre ce qui différencie la performance satisfaisante de l’excellente performance. Il joue également le rôle de vecteur du changement et fait désormais partie intégrante du nouveau système de gestion des salaires et des performances.
21Depuis 2001, chaque membre de la haute administration publique doit donner son aval à un plan annuel de performance visant quatre ou cinq objectifs, dont deux sont en rapport avec les compétences. L’évaluation annuelle examine les performances à la lumière des objectifs fixés et situe les employés dans une de ces trois tranches : performance exceptionnelle, satisfaisante ou insuffisante. Un système de rémunération des performances permet à ceux qui sont placés dans la tranche supérieure de bénéficier d’une prime, alors que ceux se situant dans les deux tranches inférieures n’en bénéficient pas. En cas de performance insuffisante, la direction établit un plan d’amélioration des performances, qui est réévalué tous les six mois.
22Tous les autres membres du personnel bénéficient d’un plan de développement des performances qui peut inclure de la formation, un stage ou d’autres stratégies de développement [16]. Pour éviter que la direction — comme elle en avait tendance dans le passé — place tous ses employés dans la catégorie supérieure, le système utilise un système de répartition forcée. Pas plus de 20 % du personnel ne peut être dans la tranche « performance exceptionnelle ». De même, la tranche « performances insuffisantes » ne peut accueillir moins de 20 % (cette proportion peut néanmoins être réduite à 10 %). Le groupe le plus large des « performances satisfaisantes » n’a pas droit aux primes ; il peut avoir réalisé les objectifs sans pour autant avoir atteint un niveau exceptionnel. Il s’agit de l’aspect le plus décrié par le personnel, tout comme le montant relativement faible des primes.
23En plus de son utilisation au sein du nouveau système de gestion des salaires et des performances, le modèle de compétences donne aux cadres supérieurs des indications sur l’orientation de leur propre travail et sur l’identification des aptitudes à diriger. Une centaine d’individus sont invités chaque année à des ateliers de direction, complétés par des tests psychométriques pour offrir aux panels de sélection une meilleure idée de l’adéquation entre les compétences et les individus. Le but est de définir un profil pour chaque candidat et d’autoriser les trajectoires individuelles ainsi que d’esquisser les perspectives de progression. Jusqu’à quel point cela a-t-il favorisé la compétence dans la haute administration publique ? La question reste ouverte.
LA GESTION DES COMPÉTENCES DANS LA FONCTION PUBLIQUE FÉDÉRALE BELGE
24Comme dans d’autres pays de l’OCDE, la fonction publique belge a engagé un processus de modernisation qui prit largement en compte la gestion moderne des ressources humaines. Comparé à d’autre pays, pourtant, ce processus de modernisation débuta tardivement : c’est dans les années quatre-vingt dix seulement qu’on en observa les effets. Le gouvernement flamand fut pionnier en la matière. Le développement fut plus lent au niveau fédéral, l’existence de deux cultures différentes occasionnant des difficultés. Cependant, le plan Copernic, qui fut lancé par le gouvernement après sa victoire aux élections de 1999, rattrapa le train de la modernisation.
25Avant la réforme Copernic, la gestion des compétences était impossible dans l’administration fédérale pour deux raisons majeures : premièrement, il n’existait pas d’objectifs stratégiques ; deuxièmement, le personnel n’était pas considéré comme une ressource humaine vouée aux missions de l’organisation. Avec l’introduction de la gestion des compétences, furent désormais liés : les principaux objectifs de l’organisation, d’une part, et l’utilisation et le développement des compétences, d’autre part. La notion de compétence était le fil conducteur de l’ensemble de la nouvelle politique de gestion des ressources humaines, ainsi que celui de processus annexes de gestion des ressources humaines [17]. On décida dès le départ que la rémunération devait être liée au développement des compétences et qu’en conséquence un système de prime à la compétence devait être institué. On pensait inciter ainsi les fonctionnaires à développer leurs compétences et, par voie de conséquence, à développer celles du gouvernement fédéral dans son ensemble. Le système de progression traditionnel des carrières n’offrait pas une émulation suffisante pour permettre un développement permanent.
26Une des premières initiatives du gouvernement fédéral en faveur de la gestion des compétences fut de développer un modèle de compétences. Un modèle récent (intitulé « modèle de compétences 5+1 »), mis au point par un consultant privé, fut le point de départ. Il consiste en cinq groupes de compétences génériques et un groupe de compétences techniques.
Le « modèle de compétences 5 + 1 »
Le « modèle de compétences 5 + 1 »
27Les compétences génériques sont celles qui sont plus ou moins nécessaires dans chaque fonction et ne sont pas directement liées à un travail particulier (Elles sont spécifiées dans la figure no 3). Les compétences techniques allient des connaissances et un savoir-faire particuliers requis pour des travaux spécifiques. Il n’existe pas pour elles de modèle général.
28Les compétences génériques comportent plusieurs groupes : gestion de l’information, gestion des tâches, direction, relations interpersonnelles et fonctionnement personnel. Les deux premiers groupes sont dans la catégorie des compétences « dures », car elles peuvent être mesurées grâce à des résultats précis. Les trois derniers groupes sont considérés comme des compétences « douces », car elles se réfèrent à des comportements beaucoup plus difficiles à mesurer. À chacune des compétences du modèle, correspondent une définition et une spécification en termes de comportements caractéristiques.
29Dans chaque groupe (excepté le dernier), il existe une hiérarchie dans les degrés de difficulté pour l’acquisition des compétences. Dans le groupe « gérer l’information », par exemple, la compétence « comprendre » est plus facile à acquérir que la compétence « analyser », elle-même d’accès plus aisé que la compétence « intégrer », etc.
30Cette hiérarchie existe car le modèle de compétences est lié au système d’évaluation des fonctions (Compass). En évaluant les compétences nécessaires à un travail, il doit être possible d’apprécier sa portée et de le relier à une échelle de rémunération spécifique.
Le modèle de compétences du gouvernement fédéral belge
Le modèle de compétences du gouvernement fédéral belge
31Il convient d’ajouter certaines compétences à ce modèle, à savoir les compétences que l’on qualifie de compétences clés du gouvernement fédéral et qui sont les suivantes : être serviable, coopérer, agir de façon loyale, influer sur les résultats, s’auto-développer. Elles se réfèrent aux valeurs du gouvernement fédéral qui doivent être celles de tous ses fonctionnaires. Ces valeurs n’étaient pas incluses dans le modèle initial défini par le consultant. Elles furent ajoutées par la suite.
32Le modèle de compétences de l’administration fédérale a eu plusieurs usages jusqu’à présent. Le principal fut de définir des profils de postes pour plusieurs familles de fonction; mais la notion de compétence fait désormais partie intégrante de plusieurs processus de gestion des ressources humaines. Les compétences sont aujourd’hui une base pour le recrutement et les sélections, même si les diplômes sont encore une condition préalable à l’attribution des postes. Une des premières réformes du plan Copernic fut la modernisation du Service permanent de recrutement, aujourd’hui baptisé Bureau de sélection de l’administration fédérale (SELOR). Les tests de sélection ne sont plus fondés sur les connaissances mais sur les compétences des candidats. Le descriptif des emplois et les profils de compétences définis par les services du personnel constituent la base du recrutement et sont en adéquation avec les perspectives de l’organisation et de sa culture de référence. Autre élément nouveau dans la procédure de sélection : le recours à un assesment center qui est un test reconnu d’évaluation des compétences.
33Formation et développement sont deux aspects importants de la gestion des compétences. Ils sont un moyen d’accroître les compétences et l’employabilité des fonctionnaires. Il existe un plan de formation pour chacun. Le plan de formation est également un élément essentiel du nouveau système d’évaluation du gouvernement fédéral. Ce système d’évaluation, aussi appelé cycles de développement, n’a pas l’ambition de mesurer les performances en tant que telles, mais plutôt de vérifier si les objectifs des fonctionnaires, assignés à titre personnel et au profit de l’organisation, sont réalisés. En fait, le nouveau système d’appréciation ne veut pas « punir » le fonctionnaire, mais l’encourager à développer davantage ses compétences dans le but de réaliser les objectifs fixés. Quand les objectifs de formation sont atteints, le fonctionnaire reçoit une prime de compétence, qui s’ajoute à sa rémunération normale.
34Si le nouveau processus d’évaluation s’intéresse au développement des compétences, c’est également le cas de la nouvelle politique des salaires. Avant Copernic, la rémunération des fonctionnaires était fondée sur leur ancienneté et sur des tests de connaissance qui n’avaient souvent pas grand-chose à voir avec le travail réel. Désormais, la rémunération et la promotion sont liées à la capacité et à la volonté du fonctionnaire de développer ses compétences dans le but de réaliser ses objectifs personnels et ceux de l’organisation. Cependant, on peut se demander s’il était judicieux d’établir ce lien si rapidement, alors que la gestion des compétences dans le secteur public vient à peine d’être introduite.
35Le bilan de la gestion des compétences au sein du gouvernement fédéral belge est pour l’instant mitigé. D’un côté, sa mise en place, en tant que levier de la modernisation de la gestion des ressources humaines, est un point positif. D’un autre coté, il semble que la mutation s’opère trop rapidement. Il existe aujourd’hui un déséquilibre entre la gestion des compétences et la gestion des performances. Les employés se voient récompensés parce qu’ils s’investissent dans le développement et non parce qu’ils obtiennent de bons résultats. On note également un manque d’unité entre les différentes procédures de gestion des ressources humaines. Le modèle de compétences et les profils de compétences ne sont clairement liés, ni au système d’évaluation, ni à celui des rémunérations, alors que toutes les procédures s’appuient désormais sur la notion de compétence. Enfin et surtout, il existe un risque de bureaucratisation. Le gouvernement fédéral belge a une longue tradition légaliste et toutes ces nouvelles procédures sont l’objet de réglementations. En conséquence, le système est devenu très complexe et risque de manquer son but initial, à savoir une meilleure utilisation des ressources et des compétences humaines.
LES QUESTIONS SOULEVÉES
36Nous voudrions maintenant évoquer quelques questions essentielles : la gestion des compétences a-t-elle réalisé son ambition d’intégration horizontale et verticale ? Est-elle différente dans le secteur public et dans le secteur privé ? Quels sont les problèmes éventuels qui se posent ?
Intégration horizontale et verticale
37L’une des différences entre la gestion traditionnelle du personnel et la gestion des compétences, si l’on observe les études réalisées en la matière, réside dans les notions d’intégration horizontale et verticale [18]. La gestion des compétences établit un lien entre la compétence individuelle des employés et les compétences clés de l’organisation, entre les performances individuelles et les objectifs stratégiques de l’organisation (intégration verticale); les instruments de gestion de personnel sont, eux, tous liés et coordonnés (intégration horizontale). À partir d’un modèle de compétences qui s’ancre dans la mission affichée et les objectifs poursuivis par l’organisation, on spécifie un certain nombre de compétences individuelles qui sont la base de la sélection, de l’évaluation, du développement et de la rémunération. Pourtant, en observant la réalité, il faut admettre que les objectifs de l’intégration horizontale et verticale n’ont pas été réalisés. Les compétences sont définies de manière pragmatique, ad hoc. L’expérience prouve également que l’identification des compétences et l’élaboration d’un modèle est un processus difficile.
38On s’est également rendu compte que les compétences ne fondent pas l’ensemble des instruments de gestion du personnel. On les retrouvent dans la sélection, le développement et, à un degré moindre, dans l’évaluation. Elles sont peu prises en compte dans le système de rémunération du secteur public. Même la Grande-Bretagne n’a introduit que récemment des éléments du système de rémunération fondé sur la compétence, alors qu’elle est pionnière dans ce domaine et possède le système de gestion des compétences le plus avancé et que la politique salariale fondée sur la performance y est en vigueur depuis 1988. Certains chercheurs et praticiens émettent des doutes quant à la pertinence d’un système de rémunération fondé sur les compétences [19]. Premièrement, il existe toujours de nombreux problèmes méthodologiques pour mesurer la compétence et ses différents degrés. Deuxièmement, la rémunération fondée sur la compétence pourrait avoir un effet négatif, au sein d’un travail d’équipe, sur la motivation des employés qui ne seraient pas gratifiés. Troisièmement, cela pourrait interférer avec d’autres composantes du modèle de compétences, concernant la formation du personnel par exemple.
39Si l’intégration horizontale est problématique, l’intégration verticale l’est plus encore. En Europe, l’approche organisationnelle et le débat sur les compétences clés commencent à peine à émerger dans le secteur public. Le raisonnement stratégique y est, en effet, moins développé et plus récent que dans le secteur privé. En l’absence d’une mission affichée et d’objectifs d’entreprise, il n’est pas s’étonnant que les compétences clés nécessaires à l’organisation n’aient pas été identifiées. Certains chercheurs [20] ont déploré le peu d’attention accordée aux compétences organisationnelles et à celles des équipes dans le secteur public. L’accent est toujours mis sur la performance et sur l’effort individuel de formation. Cela est dû en partie à l’approche imposée par McClelland et d’autres psychologues, pionniers dans le domaine de la gestion des compétences.
La spécificité du secteur public
40La gestion des compétences a été directement calquée sur celle du secteur privé et la question est de savoir si l’approche doit être différente dans le secteur public. Existe-t-il des compétences spécifiques liées à ce contexte ainsi que des instruments de gestion de personnel différents ? La transposition à l’identique n’est pas évidente, même s’il existe d’importantes similarités dans le langage et dans l’usage de l’évaluation et du développement fondés sur les compétences. Il existe également des différences significatives au sein des divers secteurs publics en Europe. La première différence réside dans le degré de référence à un environnement politique spécifique. Dans le modèle de compétences de la haute administration publique britannique, par exemple, il n’existe aucune référence aux aptitudes politiques des hauts fonctionnaires ; dans d’autres systèmes, en revanche, aux Pays-Bas par exemple, une grande attention est portée à l’environnement politique dans lequel ils sont amenés à exercer. Boyatzis [21], un des pères de la gestion des compétences, met fortement l’accent sur la nécessaire adéquation entre le modèle de compétences et l’organisation qu’il doit servir.
41Il est également frappant de constater que certains pays attachent toujours une grande importance aux compétences professionnelles et techniques, alors que d’autres sont plus axés sur les compétences personnelles et sociales. En Allemagne, par exemple, l’accent est mis sur les compétences professionnelles et techniques qui sont liées au concept de bureaucratie dont la principale caractéristique est l’expertise légale et technique de ses fonctionnaires. Par ailleurs, les pays où cette perspective est négligée sont parfois critiqués [22]. Une administration professionnelle a besoin non seulement de talent individuel et social, mais aussi de connaissances générales et techniques. L’appréhension et la compréhension du domaine politique dans lequel les personnels du secteur public travaillent pourraient être considérées comme une compétence cruciale pour les employés de la fonction publique, y compris dans ses plus hautes sphères.
42En ce qui concerne l’évaluation des compétences, aucune différence réelle n’est constatée entre les secteurs publics et privés. Des instruments tels que « l’analyse à 360° », les assesment centers et les entretiens de comportement sont de plus en plus utilisés dans l’administration publique en Europe. Une question importante se pose néanmoins : quel modèle de gouvernement a-t-il été considéré comme point de départ pour le modèle de compétences ? Compte tenu du fait que la gestion des compétences est issue du secteur privé, il est probable que ses modèles de compétences soient implicitement calqués sur celui de l’entreprise. Les consultants qui organisent l’introduction de la gestion des compétences dans le secteur public considèrent ce modèle comme acquis. Cependant, les modèles de compétence qui sont orientés par l’esprit d’entreprise tendent à une vision très auto-centrée [23]. Une trop grande importance accordée à la gestion, au détriment des autres rôles de la fonction publique, peut produire un modèle de compétences très restrictif.
43La vision gouvernementale a des implications majeures sur les compétences requises. Jusqu’à récemment, le « modèle de la nouvelle gestion publique » était le plus en vogue; mais désormais le « modèle de gouvernance » gagne du terrain. Ces deux modèles ont pour origine des visions différentes du rôle des gouvernements dans les sociétés. Dans le « modèle de la nouvelle gestion publique », des valeurs telles que l’efficacité, le rendement et l’économie sont centrales. Par contraste, dans le modèle de gouvernance, l’interaction et le dialogue entre le gouvernement et la société (c’est-à-dire les administrés) sont cruciaux. Le modèle de gouvernance requiert de nouvelles compétences de la part de l’administration publique, telles que la capacité de travailler en réseaux, de collaborer avec des partenaires, de négocier, etc. Le contexte institutionnel et politique a également une incidence sur les compétences requises qui peuvent varier si le gouvernement est dirigé par un seul parti ou une coalition, et s’il est centralisé ou non. Il est évident que dans les pays en développement les qualités demandées aux fonctionnaires sont différentes que celles demandées dans les pays développés. D’autres tendances telles que l’européanisation et la mondialisation ont également un impact sur les compétences exigées.
Les problèmes rencontrés
44La gestion des compétences est appliquée, depuis quelques années, dans certaines sphères du secteur public en Europe et elle est confrontée à certains problèmes. Il est possible de distinguer entre les problèmes d’ordre scientifique et ceux d’ordre pratique.
45Nous avons précédemment indiqué que la notion de compétence est encore vague et que le concept de « compétence clé » comporte des significations différentes selon les études menées. La pertinence des différentes compétences et leur mesure posent régulièrement des problèmes. Des critiques ont été émises à l’encontre des modèles de compétences à propos de leur méthode d’élaboration et de leur parti pris conceptuel. Certains considèrent, par exemple, qu’ils sont trop figés, insuffisamment tournés vers l’avenir, qu’ils n’identifient que des compétences faciles à mesurer et qu’ils définissent davantage le profil des comportements appréciés par la direction que les performances requises dans le futur [24]. D’autres critiquent une simplification excessive qui fait affront à la complexité humaine et rappellent l’importance du contexte social pour que s’exercent les compétences [25]. Enfin et surtout, on ne dispose d’aucune preuve empirique dans le domaine [26]. On pense certes que la gestion des compétences sera bénéfique aux organisations, mais il existe très peu d’indices pour conforter cette hypothèse. Les compétences sont en partie des constructions sociales, bâties sur des modèles d’organisation idéaux qui n’ont jamais été testés dans la pratique. Les problèmes théoriques de la gestion des compétences sont les mêmes que ceux de la gestion des ressources humaines en général : manque de clarté des concepts, nature prescriptive des théories et absence de preuves empiriques de leur efficacité. On retrouve dans les études sur ce sujet de nombreuses critiques de ce type [27]. La gestion des compétences, comme la gestion des ressources humaines, est plus une question de foi que de pratique validée.
46La gestion des compétences a aussi rencontré beaucoup de problèmes pratiques. Elle n’est toujours pas intégrée au quotidien de la gestion des opérations. L’encadrement, la direction, n’acceptent pas toujours son emprise. Il y a souvent un large fossé entre l’élaboration d’une méthode de gestion et son application à un niveau opérationnel. Comme le montre le cas britannique, il est important d’impliquer largement la direction, l’encadrement, les syndicats et les employés à l’élaboration du modèle de compétences. Ne pas le faire provoque immanquablement des difficultés de mise en place. Les cadres ne considèrent pas forcément la gestion des compétences comme une valeur ajoutée à l’organisation. C’est pour l’avenir, semble-t-il, un défimajeur.
47L’autre problème pratique est l’intégration des systèmes de compétences et de performance. La Belgique offre une bonne illustration de ce problème. Beaucoup d’efforts ont été entrepris, ces dernières décennies, par les organisations publiques pour développer une gestion des performances. Elles ont voulu être évaluées sur leur production (outputs) et leurs résultats plutôt que sur leurs moyens (inputs). Pourtant, la gestion des compétences relève des moyens, de la contribution des employés à leur travail. La question est de savoir comment les deux approches, gestion des performances et gestion des compétences peuvent prendre en compte, à la fois les résultats et les moyens.
48Le dernier problème est le risque de voir émerger une nouvelle bureaucratie. L’élaboration de modèles de compétences et l’évaluation des compétences requiert des instruments nouveaux qui peuvent devenir des fins en soi. Comme toute bureaucratie, la gestion des compétences court le risque de se transformer en machine à réglementer, dévoreuse de temps et procédurière à l’excès. En Grande-Bretagne, pionnière de la gestion des compétences en Europe, des efforts ont été consentis pour simplifier les modèles de compétences, pour les rendre faciles d’emploi. Ces modèles proposent en particulier des exemples d’attitudes positives et négatives pour aider ceux qui sont en charge de définir les normes de performance.
49Néanmoins, il est peut être important de revenir à ce qui fait l’essence de la gestion fondée sur la compétence : à savoir l’idée selon laquelle les individus représentent le capital humain des organisations et qu’ils doivent avoir toutes les opportunités d’utiliser et de développer leurs talents avec l’objectif de fournir au public un service meilleur. La gestion des compétences ne doit pas être introduite parce qu’il s’agit d’une nouvelle mode, mais parce qu’elle possède le potentiel d’une réelle valeur ajoutée pour les individus, les organisations et pour la société toute entière.
50Erratum. Dans l’article d’Annie Hondeghem et de Wouter Vandenabeele, « Valeurs et motivations dans le service public — Perspective comparative » paru dans le numéro no 115 de cette Revue p. 463 sqq, les notes sont décalées à partir de la note 73. À l’appel de note 73 correspond la note 74 et ainsi de suite. À partir de la note 105, les numéros sont corrects. La Revue présente ses excuses aux lecteurs.
Notes
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[1]
Lawler (E.), « From job-based to competency-based organizations », Journal of Organizational Behavior, 1994, vol. 15, p. 3-15.
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[2]
Horton (S.), Hondeghem (A.) and Farnham (D.) Eds., Competency Management in the Public Sector : European Variations on a Theme, Amsterdam, IOS, 2002.
-
[3]
Boyatzis (R.), The Competent Manager : A Model for Effective Performance, New York, Wiley, 1982.
-
[4]
Ibid., p. 23.
-
[5]
Stebler (M.), Robinson (D.) and Heron (P.), Getting the Best out of Competencies, Sussex, Institute of employment Studies, 1997.
-
[6]
Hamel (G.), « The concept of core competencies » in Hamel (G.) and Heene (A.), Eds., Competence-based Competition, New York, Wiley, 1994.
-
[7]
Pollitt (C.) and Bouckaert (G.), Public Management Reform : A Comparative Analysis, Oxford University Press, 2004; Schedler (K.) and Proeller (I.), New Public Management, Berne, Haupt, 2000.
-
[8]
OECD, Integrating People Management into Public Service Reforms, Paris, OECD, 1996.
-
[9]
Horton (S.), Hondeghem (A.) and Farnham (D.) Eds, Competency Management in the Public Sector : European Variations on a Theme, Amsterdam, IOS, 2002.
-
[10]
McClelland (D. C.), « Testing for competence rather than for “intelligence” », American Psychologist, 28,1973, p. 1-14.
-
[11]
Horton (S.), « Competencies in human resourcing » in Pilbeam (S.). and Corbridge (M.), eds, People Resourcing : HRM in practice, Financial Times Prentice Hall, Harlow, 2002, p. 491-515.
-
[12]
Farnham (D.) and Horton (S.), « HRM Competency Framework in the British Civil Service », in Horton (S.) et al., Competency Management in the Public Sector : Variations on a Theme, Amsterdam, IOS, 2002.
-
[13]
Cabinet Office, Modernising Government (Cm 4310), London, The Stationery Office, 1999.
-
[14]
Cabinet Office, Civil Service Reform — Report by Sir Richard Wilson, London, Cabinet office, 1999.
-
[15]
Voir : www. cabinet-off?ce. gov. uk/ civilservice/ scscompetencies.
-
[16]
Horton (S.), « Performance Management in the British Senior Civil Service », Paper presented at the Irish Institute of Public Administration, Dublin, January 2005.
-
[17]
Parys (M.), « Het competentiedenken binnen de federale overheidsdiensten in België », Vlaams Tijdschrift voor Overheidsmanagement, 2001,6,3, p. 10-18.
-
[18]
Guest (D.), « Human resources management and industrial relations », Journal of Management Studies 24 (5), 1987.
-
[19]
Horton (S.), « Competencies in human resourcing », in Pilbeam (S.) and Corbridge, (M.), eds, People Resourcing : HRM in practice, Financial Times Prentice Hall, Harlow 2002; Van Beirendonck (L.), Beoordelen en ontwikkelen van competenties, Acco, Leuven, 2001.
-
[20]
Emery (Y.), « Added value in human resource management : an analysis of the competency management process », in Horton (S.) et al., Competency Management in the Public Sector : Variations on a Theme, Amsterdam, IOS, 2002, pp. 17-30; Hood (C.), Lodge (M.) and Clifford (C.), Civil service policy-making competencies in the German BMWi and British DTI : a comparative analysis based on six case studies, The Smith Institute, 2002, p. 67.
-
[21]
Boyatzis (R.), The Competent Manager : A Model for Effective Performance, New York, Wiley, 1982.
-
[22]
Hood (C.), Lodge (M) and Clifford (C.), Civil service policy-making competencies in the German BMWi and British DTI : a comparative analysis based on six case studies, The Smith Institute, 2002, p. 67.
-
[23]
Ibid., p. 67.
-
[24]
Townley (B.), « Nietzsche, Competencies and Ubermensch : reflections on human and inhuman resource management », Organization, 1999,6,2, p. 285-305.
-
[25]
Antonacopoulou (E.) and Fitzgerald (L.), « Reframing competency in management development », Human Resource Management Journal, 1996,6,1, p. 27-45.
-
[26]
Horton (S.), « Competencies in human resourcing » in Pilbeam (S). and Corbridge (M.), People Resourcing : HRM in practice, Financial Times Prentice Hall, Harlow, 2002.
-
[27]
Brewster (C.), « European HRM, Reflection of, or challenge to, the American concept », in Kirkbridge (P.), ed., HRM in Europe, Routledge, 1994, p. 56-89.