Couverture de RFAP_113

Article de revue

Chronique du secteur public économique

Pages 175 à 183

Notes

  • [1]
    Après une réforme en cours, la fabrication annuelle de billets par agent atteindra 2,4 millions contre 4 dans le secteur privé. Il faut savoir également que le surdimensionnement de l’implantation territoriale aboutissait par exemple à ce que le tri d’un paquet de billets revienne de 3 à 30 euros selon les agences. Il a fait l’objet d’une réforme « courageuse » mise en œuvre à partir de septembre 2004, qui réduira leur nombre de 211 à 128, chiffre encore excessif (45 en Allemagne, 14 au Royaume Uni).
  • [2]
    Loi du 30 décembre 1991 et décret du 30 décembre 1992.
  • [3]
    Décret du 22 février 2002.
  • [4]
    La cession, à 14,30 euros, a permis à l’État de profiter d’une augmentation de 20 % de la valeur de l’action depuis le début de 2004, mais les commentateurs financiers estiment que le cours n’a pas encore enregistré tous les profits de l’absorption de KLM, alors que déjà le résultat net du premier semestre 2004 avait crû de 56,6 % par rapport au premier semestre de l’année précédente.
  • [5]
    APRR est la troisième société d’autoroutes européenne, avec 2 205 kilomètres, après l’Italienne Autostrade (3 100 kms) et Autoroutes du sud de la France (2 866 kms), et avant la société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France (SANEF) (1684 kms) et l’Espagnol Abertis (1 300 km). Son chiffre d’affaires est de 1,5 milliard d’euros (+ 2,4 %), sa dette a diminué (5,25 milliards d’euros) et son résultat net a augmenté (148 M d’euros soit + 45 %).
  • [6]
    Il faut ajouter les facteurs communs aux sociétés d’autoroutes : la croissance continue du trafic, qui doit profiter à APPR, qui draine à la fois le trafic de Paris et de l’est vers le sud et inversement, l’augmentation du nombre d’usagers qui paient par carte bancaire ou spécialement dans son cas recourent au télépéage, ce qui réduit considérablement les frais de personnel, l’extension du champ d’activités, par la multiplication des sous-concessions (stations service, restauration, magasins des aires), le lancement d’autres métiers (parkings surveillés, parkings urbains en dehors du réseau autoroutier, système d’intermodalité route-fer ou même route-fer-voie navigable, offres d’entretien des voiries « décentralisées »), le développement à l’étranger.
English version

1La chronique analyse d’abord les observations des rapports publics de la Cour des comptes relatives au secteur économique public : d’abord le rapport public général sur France Télévisions (publié en mars) puis le rapport public particulier consacré à la Banque de France (publié le même mois). Elle résume par ailleurs une autre observation du rapport public général portant sur les spécificités comptables d’EDF et un rapport public particulier sur le démantèlement des installations nucléaires et la gestion des déchets radioactifs. Les observations suivantes portent sur la poursuite et les suites des privatisations, la préparation des privatisations partielles de GDF et EDF, la création de l’Agence de financement des infrastructures de transport.

I — L’OBSERVATION DU RAPPORT PUBLIC DE LA COUR DES COMPTES SUR FRANCE TÉLÉVISIONS

2La Cour rappelle qu’elle a, il y a sept ans, publié une observation sur France Télévisions, où elle avait souligné notamment l’absence d’une structure adaptée à un rôle de holding, structure ensuite donnée par la loi du 1er août 2000. Contrôlant cette nouvelle holding et ses grandes filiales (France 2, France 3, France 5, FTV Publicité, FTV Distribution, les chaînes thématiques), elle constate « une nette amélioration », qui laisse subsister des problèmes de gestion et des incertitudes stratégiques liées à des problèmes de financement.

3La Cour note que la holding a utilement centralisé les trésoreries et les risques financiers et exerce une certaine surveillance rendue indispensable. L’obligation faite aux présidents des conseils d’administration des sociétés par la loi sur la sécurité financière du 1er août 2002 de produire un rapport sur les procédures d’audit va dans ce sens, de même que la création à France Télévisions d’une direction de l’audit, de procédures de reporting axées sur les objectifs et les résultats, différentes « de la logique budgétaire antérieure » axée sur les moyens. Les résultats du groupe sont ainsi devenus modestement bénéficiaires, tandis que la progression des ressources publicitaires permettait une moindre évolution des crédits publics. La Cour note aussi l’existence d’études d’audience spécifiques aux objectifs de chaînes non commerciales.

4Mais elle relève aussi beaucoup de points à améliorer. Les charges de personnel sont en hausse trop rapide, à cause d’un « système d’automatismes et de mécanismes paritaires qui laisse la portion congrue aux méthodes modernes de gestion des ressources humaines » (gestion prévisionnelle, bilans de compétences...). Le souci de respecter l’attachement des salariés aux chaînes et la diversité des conventions collectives « ne sauraient justifier l’inaction ». De plus, les pratiques coûteuses qui sont critiquées privent en même temps de possibilités de recrutements de talents et d’adaptation aux changements technologiques et à de nouveaux métiers.

5La Cour demande aussi un renforcement du contrôle de la holding sur ses filiales liées à l’action internationale (CFI, TV5, Arte), dans un secteur ultra concurrentiel. La fonction d’arbitrage de France Télévisions devrait éviter un excès de redondances dans les dépenses résultant des programmations.

6Quant à « l’horizon de la télévision publique », titre de la deuxième partie, la Cour note l’absence de choix d’une stratégie et notamment les délais excessifs du déploiement d’une offre publique par le réseau numérique terrestre, lancé seulement fin mars 2005 alors qu’il constituait l’axe majeur du contrat d’objectifs 2000-2005, et que, par ailleurs, la participation au « bouquet » satellitaire TPS avait été abandonnée et que les chaînes thématiques montées à cet effet avaient été vendues. L’offre de France Télévisions dans la TNT s’en trouve affaiblie et devra donc être adaptée. Dans le même temps, France Télévisions est invitée à bâtir une chaîne d’information internationale en continu dans le cadre d’une parité avec TF1 sans qu’à ce jour la question du financement soit résolue.

7Rapprochant la progression des charges de personnel (+ 5,2 % en moyenne par an) et des coûts des programmes (+ 4,29 % en moyenne par an), plus élevée que celle des ressources (+ 3,2 % par an), la Cour constate une sorte de cercle vicieux. Si l’on veut améliorer les ressources en accroissant les recettes de publicité, on risque de mettre en cause l’équilibre actuel entre la presse écrite et le secteur privé, et il serait politiquement difficile d’accroître la redevance, encore que l’adossement à la taxe d’habitation entraînera peut-être une augmentation de son produit. Dès lors, la situation actuelle crée un risque, celui de devoir plus ou moins abandonner la politique normale d’une télévision publique, qui est, comme dans le cas de la BBC, de satisfaire la diversité des publics ; mais alors la réduction de la « part d’audience » qui est le critère des annonceurs aboutirait à une baisse des recettes et à une aggravation de la situation financière. Il ne reste que la voie de la rigueur de gestion et d’une stratégie mieux conçue et mieux suivie pour sortir du dilemme.

II — LE RAPPORT PUBLIC PARTICULIER SUR LA BANQUE DE FRANCE

8Le fait que la Cour des comptes ait consacré un rapport public particulier à la Banque de France, au demeurant souvent sévère, signifie qu’il n’existe plus pour aucun agent public ni aucune personne publique d’atténuations à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui les oblige à rendre compte de leur administration. Les temps ont changé depuis que, il y a une douzaine d’années, la Cour avait encore dû fortement insister pour que ses demandes soient satisfaites par la Banque, notamment lorsqu’elle avait instruit l’affaire du Crédit lyonnais, objet d’un rapport public.

9Aujourd’hui, si la Banque est une institution indépendante en ce qui concerne la monnaie, ce qui ne signifie plus grand-chose depuis la création de la Banque centrale européenne, la Cour rappelle qu’« elle demeure sous la tutelle de l’État en ce qui concerne sa gestion et l’exécution des missions d’intérêt général que l’État lui confie ». Or « la profonde transformation du contexte de l’activité de la Banque » oblige à « reconsidérer l’éventail de ses activités », d’autant plus qu’elle doit « faire face à la dégradation de sa situation financière ».

10Après une présentation extrêmement intéressante du passé de la Banque, de ses activités et de son réseau, la Cour commence par constater que cette dégradation résulte de ce que « ses produits se réduisent alors que ses charges restent stables ». Le « produit monétaire net » est descendu, de 1995 à 2004, de 1724 à 1341 M d’euros alors que les charges ont légèrement augmenté (de 1231 à 1261 M d’euros). Le résultat net a même montré une perte de 179 M d’euros en 2003. Il est certes « largement dépendant de variables économiques et financières que la banque ne maîtrise pas » : circulation fiduciaire relativement faible en France, ce qui limite le « droit de seigneuriage » (revenu du droit de battre monnaie), taux d’intérêt bas et répercussion des pertes de la Banque centrale européenne sur les banques centrales nationales. À ce sujet, est-il permis de penser qu’un jour la gestion de la BCE pourrait être aussi contrôlée et ses résultats évalués ?

11Il reste que la Banque de France doit ajuster ses moyens à ses ressources, en dégageant un profit suffisant pour reverser à l’État notamment l’équivalent des droits de seigneuriage, donc en « abaissant son point mort » et pour cela « en poursuivant ses réformes de structure », car les comparaisons avec les autres banques centrales européennes lui sont défavorables. Elle a obtenu et pourrait encore obtenir des modifications justifiées de ses rapports avec l’État, et une rémunération plus complète de ses prestations, que la Cour énumère en relevant qu’elles sont plus nombreuses que dans les autres pays. Certaines sont des sortes de « délégations de service public » comme la gestion du surendettement, parfois déficitaires ou non rémunérées comme le contrôle prudentiel des établissements bancaires. L’examen des missions permet de relever des « ambiguïtés » et des « contraintes ». Ainsi, les missions du Comité de politique monétaire créé en 1993 sont devenues « très restreintes » du fait des transferts de responsabilités à la BCE, alors qu’elles ont un coût et qu’il n’existe plus d’autre pays sauf un qui en ait conservé l’équivalent. La Cour met aussi en cause les attributions du Conseil général où l’État n’est pas représenté de façon « adéquate ».

12Il reste que la gestion interne présente de très nombreuses faiblesses que la Cour met en évidence. Le « pilotage opérationnel » de la Banque se caractérise « par un mélange de centralisme et d’éparpillement des responsabilités ». Les « rigidités statutaires concernant les personnels (...) constituent un handicap pour la gestion des ressources humaines ». Elle note une certaine « inamovibilité géographique », l’extension de fait de dispositions statutaires aux agents hors statut, des sureffectifs. La diminution des effectifs de 19 920 à 17 380 en 2003 et une accentuation récente des plans sociaux n’ont pas suffi à les résorber et les opérations se sont effectuées selon un processus « indépendant de toute vision de la stratégie de la Banque », sans remettre en cause la gestion des personnels ni rétablir un déséquilibre démographique qui subit encore les effets de recrutements supérieurs aux besoins au début des années quatre-vingt. Au total, la Cour trouve trop lente « l’adaptation des moyens aux missions »; en outre, elle considère que la Banque continue de « définir son périmètre d’action et ses modalités d’organisation en fonction de ses effectifs et non selon la logique inverse ».

13Ses activités, plus larges que celles d’« aucune autre banque centrale », pourraient justifier de nouvelles répartitions, par exemple avec l’INSEE, dont la Cour affirme que les coûts sont inférieurs d’un tiers pour des tâches comparables, des « réductions de format » (fichier bancaire des entreprises), ou d’autres adaptations, sans compter que les appels d’offres de la BCE diront si les efforts de compétitivité en matière de fabrication de billets ont été suffisants, hors toute subvention [1].

14La Banque possède un parc immobilier locatif d’une rentabilité « particulièrement faible » (1 à 1,2 %), loué dans des conditions que la Cour estime « peu transparentes » et « très avantageuses pour les locataires », y compris pour des logements de grand standing tels que ceux de la place du Palais-Royal. Elle pense que la Banque « exerce un métier de gestionnaire d’immeubles qui n’est pas le sien », et conclut que « ces appartements doivent être cédés ».

15La Cour consacre un dernier chapitre à « une politique du personnel généreuse », marquée par une « stratification » de primes, indemnités, avantages en nature, et par une application de la participation et de l’intéressement qui en font des primes supplémentaires. Le régime des retraites, assorti de compléments spécifiques dits « bénévolences », constitue « un poids préoccupant » et sa réforme, par une décision d’État, « ne saurait être différée plus longtemps ».

16Le financement par la Banque des activités sociales et culturelles au-delà des obligations légales, qui « forment un ensemble sans équivalent », pèse tellement sur les comptes (13 % de la masse salariale) qu’ils mettent en cause « la restauration de son compte d’exploitation ». La co-gestion avec le comité d’entreprise est « mal maîtrisée » et s’accompagne en outre de prises en charge directes de rémunérations et autres charges, rendant artificiel l’équilibre apparent de ces diverses activités (restaurants, centres de vacances, coopératives de vente, sociétés mutualistes, caisse spéciale d’assurance-maladie). La Cour poursuit par d’autres critiques concernant la gestion des détachements, la promotion interne, le « cloisonnement » et la rareté des mutations, et plus généralement une gestion « qui ne permet pas à la banque de disposer des compétences dont elle a besoin ». Elle ne peut plus éviter « une réforme profonde des ses modes de gestion des ressources humaines ».

17La Banque a très vivement réagi à ce rapport, non seulement dans sa réponse, qui figure à la suite des observations de la Cour, et où son gouverneur souligne les divers domaines où la Cour reconnaît les efforts entrepris, mais aussi dans un argumentaire publié sur son site Internet et par diverses déclarations. Elle a en particulier regretté une « fuite » qui permit à la presse de mentionner plusieurs critiques peu avant la publication : s’il est unanimement reconnu que la Cour maîtrise la confidentialité de ses rapports avant publication, le fait qu’elle doive les communiquer, dans le cadre de sa procédure contradictoire, aux organismes et aux administrations de tutelle concernées, crée effectivement des occasions de telles fuites si la confidentialité n’y est pas étroitement surveillée.

III — LE RAPPORT PUBLIC PARTICULIER SUR LE DÉMANTÈLEMENT DES INSTALLATIONS NUCLÉAIRES ET LA GESTION DES DÉCHETS RADIOACTIFS

18La Cour constate que le choix français d’une puissante filière nucléaire pose des problèmes exceptionnels de démantèlement des installations et de gestion des déchets. Elle cite les différents intervenants : le CEA, qui gère de nombreuses installations diverses à but militaire et civil; sa filiale AREVA, en charge des mines et de la chimie de l’uranium, de la fabrication de combustible et des retraitements ; EDF avec ses centrales, dont celles de première génération sont en voie de démantèlement, et qui aura à démanteler ses 58 centrales de 2018 à 2042; l’Agence nationale des déchets radioactifs (ANDRA) [2] dont l’organisation actuelle est source de situations conflictuelles et de « périodes de vacance de pouvoir » du fait de retards de désignation d’administrateurs et de financements discontinus ; l’Institut de protection et de sécurité nucléaires (IPSN) [3]; la direction générale de sûreté des installations nucléaires, qui s’intitule « Autorité de sûreté nucléaire » bien que le statut d’autorité administrative indépendante ait été refusé par le Conseil d’État en 1999. La Cour rappelle aussi l’existence d’autres instances de contrôle ou de conseil au niveau national et international, les propositions de directives européennes ne devant toutefois pas avoir d’incidence car conformes à l’expérience nationale.

19La Cour présente ensuite un « panorama des installations nucléaires et des déchets radioactifs », note les incertitudes sur la nature des diverses sortes de déchets et leurs volumes, objet enfin d’un inventaire récent, qui demande à être précisé dans le cas des installations sans réacteur et des traitements de déchets étrangers et dépend beaucoup de leur réutilisation, celle-ci pouvant concerner jusqu’à la quasi-totalité du combustible irradié (technologie Mox...).

20Une deuxième partie examine les premières expériences de démantèlement et de stockage de déchets, les difficultés rencontrées par le CEA et ses réticences à en rendre compte, et mentionne de grandes erreurs de prévision des coûts, qui ont conduit à plus que doubler les provisions, les désaccords sur les coûts des stockages profonds évalués par l’ANDRA, etc.

21La troisième partie est consacrée aux « Interrogations et incertitudes actuelles ». La Cour formule « un constat globalement positif sur la question essentielle des provisions » (71 milliards d’euros), sur laquelle elle avait beaucoup insisté dans le passé, sauf incertitudes précédemment relevées et causes futures d’évolution, ce qui la conduit à rappeler les problèmes de financement, en soulignant la disparité des situations d’AREVA, qui a d’importantes ressources, du CEA, d’EDF, pénalisé par son endettement, et à insister sur les problèmes de « sécurisation » et de rattachement de ces financements, afin d’éviter qu’in fine « la charge en rejaillisse sur l’État ». La Cour termine, conformément à son rôle fondamental, en souhaitant plus de transparence et « une meilleure prise en compte des besoins d’information du public ».

IV — L’OBSERVATION DU RAPPORT PUBLIC GÉNÉRAL SUR LES SPÉCIFICITÉS COMPTABLES D’EDF

22Dans ce rapport, publié en février 2005, la Cour rappelle qu’elle a déjà formulé de nombreuses observations sur les comptes d’EDF, notamment en matière de provisions, de traitement comptable des concessions, d’engagements de retraite, etc. Elle souligne certes que EDF « est à bien des égards une entreprise singulière, sans équivalent en France et à l’étranger », du fait de son premier rang mondial en énergie nucléaire, qui pose des problèmes très spécifiques et à très long terme pour les constructions de centrales, leur exploitation et la gestion des déchets, enfin leur démantèlement. Elle rappelle certaines conséquences à en tirer. Son statut de concessionnaire, qui a toutefois été abandonné en 1997 pour le réseau de transport, après des observations de la Cour en ce sens, pose d’autres problèmes.

23Le rapport analyse le bilan consolidé et la signification souvent très limitée de ses postes. Il constate des améliorations, en suggère d’autres, examine les effets de changements de méthodes comptables et de l’introduction des normes IFRS. Il explique ainsi pourquoi la Cour, notamment du fait d’absence de solution jusqu’à une date récente en matière d’engagements de retraite, a dû émettre l’avis selon lequel les comptes d’EDF étaient réguliers et sincères, mais ne donnaient pas jusqu’ici une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat des exercices contrôlés.

V — POURSUITE ET SUITES DES PRIVATISATIONS (AIR-FRANCE, SNECMA, SOCIÉTÉS D’AUTOROUTES)

• La réduction de la participation de l’État dans Air France-KLM

24L’État a réduit, en décembre 2004, sa participation dans le capital de la compagnie Air France-KLM de 44 % à 25,6 %, ce qui lui a rapporté environ 700 millions d’euros. Sur les 18,4 % cédés, 17,7 % ont été placés en bourse et 0,7 % distribués au personnel [4]. Dans une période où les compagnies aériennes perdent des sommes énormes, que l’Association internationale du transport aérien chiffre à 4,8 milliards de dollars en 2004, la situation d’Air France-KLM est remarquable, alors que l’absorption de KLM commence à peine à produire des effets de synergie, estimés devoir atteindre 580 M d’euros pour 2008-2009. Les Néerlandais, pourtant réputés fort nationalistes et très pointilleux en affaires, reconnaissent que les Français se conduisent en partenaires loyaux, que la partie KLM du nouvel ensemble progresse en chiffre d’affaires comme en profits, et que ses comptoirs gardent indépendance et pouvoirs d’initiative.

25Deux autres opérations de cessions d’actions concernant Air France, portant sur environ 8 % du capital, ont été effectuées en mars 2005, l’une prenant la forme d’une offre réservée aux salariés et l’autre d’un « échange salaire contre actions », reprenant l’idée de l’offre faite en 1998 aux pilotes d’une attribution d’actions en échange d’une modération des augmentations salariales, destinées à les rapprocher des salaires moins élevés généralement versés par les compagnies concurrentes. La première a été souscrite 1,4 fois et la seconde, dont on espère une petite réduction de dépenses (20 M? par an), à 93 %. À l’issue de ces deux opérations, la participation des salariés dépasse 17 % et celle de l’État descend à 18,3 %. Le fait qu’il reste de beaucoup le principal actionnaire et que les personnels aient une participation comparable met la compagnie à l’abri de tentatives de raids.

• La réalisation de la fusion SNECMA-SAGEM

26La précédente chronique avait décrit les conditions prévues pour la privatisation de la SNECMA, dont l’État détenait 62,2 % du capital après une privatisation partielle, par fusion avec la société privée SAGEM, dont toutefois l’État était actionnaire indirect, à travers AREVA et la CDC à concurrence de 21,6 %.

27Depuis lors, la commission des participations et des transferts a donné un avis favorable en février, les nouveaux membres du conseil de surveillance et du directoire ont été mis en place en mars, et la nouvelle société a révélé son nouveau nom, SAFRAN, pièce maîtresse du gouvernail d’un bateau et donc symbole « de direction, d’objectif, de cap, de mouvement, de stratégie ». Les deux firmes ont présenté en commun leurs résultats 2004 : 10,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires, derrière EADS (32,5), BAe Systems (19,5), à quasi-égalité avec Thalès (10,3), et avant les autres groupes européens. Le bénéfice net en progression de 28 % a atteint 368 M d’euros, venant en majorité de la SNECMA, qui assurait en 2004 les deux tiers du chiffre d’affaires. Des progrès de croissance ont été annoncés pour 2005. L’effectif atteint 56 000 salariés. L’État garde 35 % directement, les participations d’AREVA et de la CDC étant de leur côté maintenues mais diluées.

• Privatisation partielle des Sociétés des Autoroutes Paris Rhin Rhône (APRR) et Nord et Est de la France (SANEF)

28Le succès de la privatisation partielle d’ASF a conduit l’État à réaliser celle de la Société des Autoroutes Paris Rhin Rhône (APRR) et de la SANEF (Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France), et à prévoir celle de la SAPN (Société des autoroutes Paris-Normandie), sous forme d’augmentations de capital pouvant précéder utilement des cessions de titres de sociétés mieux capitalisées : il y aurait ainsi, pour chacune, deux appels au marché d’un milliard environ chacun, ramenant dans chaque cas la participation de l’État autour de 70 %.

29

  • APRR [5] a procédé à une augmentation de capital de 1,35 milliard d’euros (30 % du capital total), au prix de 40,5 euros l’action (41,5 euros pour les institutionnels), ce qui valorise la société d’environ 4 milliards d’euros et laisse l’État propriétaire de 70 % du capital. L’offre a été sur-souscrite deux fois par les particuliers et onze fois par les institutionnels. La valeur a crû ensuite à 44 euros environ. Ce résultat est le fruit de la recherche de valeurs sûres, du succès de la mise antérieure sur le marché d’actions ASF, de la promesse de distribuer 70 % du résultat net au lieu de 40 %, du fait que ses obligations contractuelles ne lui imposent plus que la construction de 55 kms d’autoroutes, enfin de résultats en constante amélioration. En outre, l’augmentation de capital va permettre les investissements nécessaires sans alourdir la dette et donc les frais financiers [6].
    Si l’État ne perçoit pas de recettes du fait de l’augmentation de capital précitée, il met la société ainsi recapitalisée dans une bien meilleure position pour une opération ultérieure de cession partielle du capital. On sait pourtant que de telles cessions, souhaitées par le ministère des finances du fait des recettes qu’elles procurent à court terme, ne le sont pas par le ministère de l’équipement, des transports et de l’aménagement du territoire, dans une perspective à long terme, les dividendes importants et récurrents des sociétés d’autoroutes pouvant servir à financer la modernisation des infrastructures notamment ferroviaires (voir VII ci-dessous).
  • La SANEF a procédé en mars 2005 à une augmentation de capital d’un montant de 950 millions d’euros, facilitée par la progression de son chiffre d’affaires en 2004 (1 066 M d’euros) et de son résultat (97 M d’euros). Cette opération dilue la part de l’État, qui restera cependant supérieure à 70 %. Profitant d’une embellie boursière, le prix a été fixé assez haut. Le placement a été cependant sur-souscrit, mais ensuite le cours est revenu sous le prix de cession.

VI — LA PRÉPARATION DES PRIVATISATIONS PARTIELLES DE GAZ DE FRANCE ET D’ÉLECTRICITÉ DE FRANCE

• Gaz de France

30Gaz de France, qui s’est réorganisé en quatre branches, prépare une privatisation partielle que le ministre de l’économie a dit « espérer avant les vacances 2005 ». La société a annoncé un chiffre d’affaires de 18,1 milliards d’euros en 2004 et un résultat net en progression remarquable de 1,04 milliard d’euros, en ajoutant que les activités internationales représentent désormais 29 % du chiffre d’affaires contre 19 % en 2002. Elle s’est développée dans le secteur exploration-production (CA proche de 1 milliard), mais elle ne produit que 10 % du gaz qu’elle vend. Elle fait état de solides fonds propres (10 milliards d’euros) et d’un endettement décroissant à 4,4 milliards d’euros. Sans pouvoir se lancer dans des acquisitions de très grande ampleur, elle est cependant en pourparlers avancés pour la reprise de la Société de production d’électricité, deuxième producteur belge, en vue de faire à terme des offres mixtes gaz-électricité, comme EDF entreprend de le faire de son côté pour répondre à la concurrence. Ces résultats faciliteront la mise sur le marché de 30 % du capital, dont les premières démarches ont été faites à la Commission des participations et des transferts et à l’AMF, et qui inclurait 3 à 4,5 % mis à la disposition du personnel. On ignore encore si cette mise sur le marché résultera de la vente d’actions par l’État, d’une augmentation de capital ou encore d’un panachage.

• Électricité de France

31Le ministre de l’économie « espère » aussi que la privatisation de 30 % du capital d’EDF pourra intervenir « avant la fin de l’année 2005 ». Il faut en effet tenir compte de l’énormité de l’opération, des capacités d’absorption du marché, des autres candidatures à la privatisation. Du moins est-il clair qu’après GDF interviendra l’opération EDF, celle d’AREVA étant remise à 2006.

32Elle sera facilitée, comme celle de GDF, par de bons résultats 2004. Le chiffre d’affaires atteint 46,9 milliards d’euros, dont 29,4 en France et 17,5 à l’étranger, pour l’essentiel en Europe (15,3 milliards d’euros). Le résultat net qui avait chuté de 1,32 milliard d’euros en 2001 à 481 M? en 2002 et 857 M? en 2003, est remonté à 1,34 milliard d’euros. Le montant de la dette, de 17,5 milliards d’euros en 2000, a culminé à 26,8 en 2002 pour revenir à 19,6 en 2004. Toutes les filiales européennes dégagent des profits : c’est le cas notamment de EDF Energy au Royaume Uni (+ 306 M d’? ) et même de EnBW, jusque-là en perte. L’activité de négoce EDF trading a été aussi bénéficiaire de 202 M d’euros. Seules les filiales sud-américaines sont en perte, pour un total de 1,18 milliard d’euros, principalement du fait de Light au Brésil, où EDF il est vrai subit les effets de la politique économique locale.

33Un point noir demeure : le niveau des fonds propres du groupe, qui atteint seulement 8,4 milliards d’euros, du fait du versement de 11 milliards aux caisses de retraites du secteur privé pour la prise en charge des retraites de ses salariés. La société estime qu’elle aurait besoin de 30 milliards d’euros pour réaliser totalement son plan industriel d’ici 2007. Elle compte sur ses bénéfices, des ventes d’actifs pour une dizaine de milliards d’euros, des gains de productivité pour 7,5 milliards d’euros, y compris sur la masse salariale, proportionnellement beaucoup plus lourde que chez ses concurrents, et sur l’augmentation de capital qui pourrait rapporter entre 8 et 11 milliards d’euros.

34En Italie, pour éviter une OPA sur Edison, deuxième groupe énergétique italien, qui résulterait de ses engagements mais grèverait exagérément son endettement, et pour donner des gages à la politique très nationaliste du gouvernement italien, EDF a suscité des offres de partenaires italiens pour participer au capital futur d’Edison. En contrepartie, et en vue aussi d’un partenariat avec l’ENEL, par exemple pour une centrale nucléaire, l’Italie annulerait le décret qui interdit à EDF de disposer de plus de 2 % des droits de vote dans une entreprise dont elle détient déjà 18 %, et qui est illégal au regard des traités européens.

VII — LA CRÉATION DE L’AGENCE DE FINANCEMENT DES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT DE FRANCE

35Le décret du 26 novembre 2004 crée une Agence de financement des transports de France, destinée à apporter un appoint considérable et non dépendant des circonstances budgétaires au financement d’infrastructures d’intérêt national routières, ferroviaires, fluviales ou portuaires et à des liaisons maritimes de fret, dont 35 projets ont déjà été examinés en Comité interministériel en décembre 2004. Son budget 2005 sera de 635 millions d’euros, dont 435 venant des dividendes des sociétés d’autoroutes et 200 millions de crédits budgétaires. Il est estimé que de 2005 à 2012, les versements de dividendes devant atteindre 4 milliards et la capacité d’emprunt de l’Agence étant évaluée à 3 milliards d’euros (ses emprunts seront réalisés et gérés par l’Agence de la dette publique), ce sont au total 7,5 milliards d’euros qui seront mobilisés, permettant le financement de 20 milliards d’euros d’investissements. Des mécanismes pourront encore améliorer ce système : les Caisses d’épargne et la Banque européenne d’investissement ont prévu un financement de 500 millions d’euros et ont signé un protocole pour la mise en place de « partenariats public-privé » pour les transports urbains.

36L’agence est un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère des transports et géré par un conseil d’administration composé des directeurs des administrations concernées (budget, trésor, routes, transports terrestres, etc.), ainsi que d’un député et d’un sénateur, en considération du mécanisme de débudgétisation résultant de sa création.


Date de mise en ligne : 01/11/2006

https://doi.org/10.3917/rfap.113.0175

Notes

  • [1]
    Après une réforme en cours, la fabrication annuelle de billets par agent atteindra 2,4 millions contre 4 dans le secteur privé. Il faut savoir également que le surdimensionnement de l’implantation territoriale aboutissait par exemple à ce que le tri d’un paquet de billets revienne de 3 à 30 euros selon les agences. Il a fait l’objet d’une réforme « courageuse » mise en œuvre à partir de septembre 2004, qui réduira leur nombre de 211 à 128, chiffre encore excessif (45 en Allemagne, 14 au Royaume Uni).
  • [2]
    Loi du 30 décembre 1991 et décret du 30 décembre 1992.
  • [3]
    Décret du 22 février 2002.
  • [4]
    La cession, à 14,30 euros, a permis à l’État de profiter d’une augmentation de 20 % de la valeur de l’action depuis le début de 2004, mais les commentateurs financiers estiment que le cours n’a pas encore enregistré tous les profits de l’absorption de KLM, alors que déjà le résultat net du premier semestre 2004 avait crû de 56,6 % par rapport au premier semestre de l’année précédente.
  • [5]
    APRR est la troisième société d’autoroutes européenne, avec 2 205 kilomètres, après l’Italienne Autostrade (3 100 kms) et Autoroutes du sud de la France (2 866 kms), et avant la société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France (SANEF) (1684 kms) et l’Espagnol Abertis (1 300 km). Son chiffre d’affaires est de 1,5 milliard d’euros (+ 2,4 %), sa dette a diminué (5,25 milliards d’euros) et son résultat net a augmenté (148 M d’euros soit + 45 %).
  • [6]
    Il faut ajouter les facteurs communs aux sociétés d’autoroutes : la croissance continue du trafic, qui doit profiter à APPR, qui draine à la fois le trafic de Paris et de l’est vers le sud et inversement, l’augmentation du nombre d’usagers qui paient par carte bancaire ou spécialement dans son cas recourent au télépéage, ce qui réduit considérablement les frais de personnel, l’extension du champ d’activités, par la multiplication des sous-concessions (stations service, restauration, magasins des aires), le lancement d’autres métiers (parkings surveillés, parkings urbains en dehors du réseau autoroutier, système d’intermodalité route-fer ou même route-fer-voie navigable, offres d’entretien des voiries « décentralisées »), le développement à l’étranger.

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