Notes
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[1]
Nous remercions Mme Véronique Massignani et M. Fred Boissy qui ont fourni la documentation pour cet article. Nos remerciements s’étendent à Madame Lucie Rouillard, professeur titulaire à l’ENAP pour ses judicieux commentaires.
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[2]
OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), Governing for results, Paris, PUMA, 2002.
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[3]
Boyne (Georges), Gould-Williams (J.), « Planning and Performance in Public Organisations : an empirical analysis », Public Management Review, 2003,5,1, p. 128.
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[4]
Aucoin (Peter), Turnbull (L.), « The Democratic Deficit : Paul Martin and Parliamentary Reform », Canadian Public Administration, 2003,46,4, p. 444.
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[5]
Pollitt (Chris), Bouckaert (G.), Public Management Reform : a Comparative Analysis, New York, Oxford University Press, 2000,314 p.
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[6]
LQ, 2000, c.8, Loi sur l’administration publique; LQ, chapitre A-6.01.
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[7]
Les observations qui fondent cet article proviennent de trois sources : d’abord d’un sondage mené en février 2003 auprès de 20 représentants ministériels sur la planification stratégique. Ensuite, cinq ateliers de formation de deux jours chacun tenus entre mai et octobre 2003, réunissant 38 gestionnaires agissant comme responsables ministériels de la modernisation, chargés de mettre en œuvre la gestion axée sur les résultats et fondée sur une démarche de planification stratégique. Les commentaires des participants ont été validés en sessions plénières. Les résultats du sondage ont été présentés aux participants des ateliers qui les ont décrits comme très réalistes Il serait toutefois opportun d’étendre l’échantillon du sondage pour tenir compte de la diversité des organisations (taille, clientèle, missions). Il faudrait aussi recueillir l’opinion des autres, les « opérationnels » qui ne travaillent pas en planification stratégique, mais qui doivent « faire avec ». Enfin, quelques entretiens semi-directifs avec des ministres, des sous ministres et des députés ont permis de compléter les informations évaluatives. La description de la modernisation est fondée sur les publications du gouvernement et de l’Assemblée nationale. Une étude menée par une autre équipe de recherches (Côté (L.) et Charest (N.), « L’implantation de la Loi sur l’administration publique : le point de vue des acteurs », ENAP, Rapport de l’Observatoire de l’administration publique pour le SCT, sept. 2003,31 p.), a validé la quasi-totalité des opinions qui suivent.
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[8]
Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
-
[9]
Herzog (Robert), « Le nouveau système budgétaire de l’État : vers une gestion publique performante », in Introduction à l’administration française, ENA — La Documentation française (coll. « Connaissance de l’administration française »), Paris, 2004, à paraître.
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[10]
Il s’agit de la commission de l’administration publique. Devant l’ampleur de cette tâche, des discussions ont exploré, à l’automne 2003, la possibilité de donner plus d’importance aux commissions sectorielles comme le prévoit la loi française.
-
[11]
Paquin (Michel), Charih (M.), « La planification stratégique à Ottawa et à Québec », Administration publique du Canada, 1993, vol. 36, n° 2, p. 189.
-
[12]
LQ, c. I-4.1.
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[13]
La Commission de l’administration publique a été créée par une modification du règlement de l’Assemblée nationale adoptée le 10 avril 1997.
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[14]
Une UAS est formée d’une ancienne direction ministérielle demeurant sous l’autorité du sous-ministre, mais à qui est octroyée plus d’autonomie administrative et opérationnelle.
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[15]
Résultats d’un sondage de l’Institut économique de Montréal, diffusé les 10 et 11 novembre 2003.
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[16]
La première parution des « Bulletins de santé » des hôpitaux et CLSC du Québec a eu lieu à l’automne 2002 à l’initiative du ministre de la santé de l’époque, François Legault.
-
[17]
Gouvernement du Québec, Pour de meilleurs services aux citoyens : un nouveau cadre de gestion pour la fonction publique, 1999,60 p.
-
[18]
Thomas (Paul), « Au-delà des mots à la mode : faire face au changement dans le secteur public », Revue internationale des sciences administratives, vol. 62, n° 1,1996, p. 13.
-
[19]
Deschênes (Jean-Claude), « Les agences britanniques, source d’inspiration des modernisation administratives », Choix, vol. 2, n° 3, février 1996,37, p. 9-11.
-
[20]
Gouvernement du Québec, Pour de meilleurs services aux citoyens : un nouveau cadre de gestion pour la fonction publique, op. cit., p. IV.
-
[21]
Aucoin (Peter) et Heintzmann (R.), « La dialectique de l’imputabilité de la performance dans la réforme de l’administration publique » in Peters (G. B.) et Savoie (D.), La gouvernance au XXIe siècle : revitaliser la fonction publique, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2001, p. 181.
-
[22]
Mulgan, (R.), « Accountability : an Ever-expanding Concept ? », Public Administration, 2000, vol. 78, n° 3, p. 555.
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[23]
Engstrom (John H.), Leon (E. Hay), Essentials of Accounting for Governmental and Not-For-Profit Organisation, Chicago, Irwin Book, MI, 1996, p. 333.
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[24]
Côté (L.), Charest (N.), « L’Implantation de la loi sur l’administration publique : le point de vue des acteurs », op. cit., p. 3.
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[25]
« Cela signifie l’amélioration des services et des politiques à travers un apprentissage continu, l’examen des alternatives et la prise de décision fondée sur le constat de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas. Cela signifie une bonne planification des activités, des décisions sur le meilleur moyen d’atteindre des résultats avec les ressources disponibles, un apprentissage continu, l’amélioration des programmes des politiques et des services, réactivité et responsabilité vis-à-vis des citoyens, du Parlement et des partenaires », Ulrich (M.), « Results-Based Management : the Canadian Experience », Commonwealth Innovations, 1999, vol. 5, n° 1, p. 10.
-
[26]
ENAP, Sondage auprès des représentants ministériels, janvier 2003.
-
[27]
Mintzberg (Henry), Bourgault (Jacques), Manager en public, Presses de l’Université de Toronto, CCG et IAPC, 2000, p. 361.
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[28]
Ibid., p. 414.
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[29]
En ce cas, que faire d’un plan qui toucherait des actions représentant seulement 30 % des crédits du ministère, parce qu’il ne s’intéresserait qu’aux activités nouvelles ? Dans ce cas, la cohérence entre le plan stratégique, le plan annuel de gestion des dépenses et le rapport annuel de gestion, pose rapidement problème. À la fin du cycle, comment remettre et justifier un rapport annuel de gestion exhaustif si les engagements de résultats ne touchent pas l’essentiel des activités du ministère, de l’organisation ou, à l’inverse, si les dépenses portent sur des activités qui n’apparaissent pas à la planification ?
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[30]
Bourgault (Jacques), Planification stratégique : session avancée, ENAP, Direction des services aux organisations, septembre 2003,166 p.
-
[31]
Boyne (Georges), Gould-Williams (J.), « Planning and Performance in Public Organisations : an empirical analysis », op. cit., p. 129.
-
[32]
Côté (L.), Charest (N.), « L’implantation de la loi sur l’administration publique : le point de vue des acteurs », op. cit., p. 11.
-
[33]
Ansoff, (Harry Igor), McDonnell (E.), Implanting Strategic Management, Prentice-Hall. Englewood Cliffs, NJ, 1990, p. 147.
-
[34]
Ibid., p. 17.
-
[35]
Kepner (Robert), Vision in Action : Putting a Winning Strategy to Work, Simon and Schuster, New York, 1989,223 p.
-
[36]
Côté (L.), Charest (N.), « L’implantation de la loi sur l’administration publique : le point de vue des acteurs », op. cit., p. 22.
-
[37]
Bouckaert (Geert), « Measurement and Meaningful Management », Public Productivity and Management Review, 1993,17,1, p. 33.
-
[38]
Kepner (Robert), Vision in Action : putting a winning strategy to work, op. cit., p. 71.
-
[39]
Mintzberg (Henry), Grandeur et décadence de la planification stratégique, Paris, Dunod, 1994, p. 76-92.
-
[40]
Kaplan (Robert S.), Norton (D.), Comment utiliser le tableau de bord prospectif, Paris, Éd. d’Organisation, 2001, p. 393-396.
-
[41]
Ibid., p. 247.
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[42]
Une des commissions de l’Assemblée nationale, nécessairement présidée par un député de l’opposition.
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[43]
Côté (L.), Charest (N.), « L’implantation de la loi sur l’administration publique : le point de vue des acteurs », loc.cit., p. 13.
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[44]
Mintzberg (Henry), Bourgault (Jacques), Manager en public, op. cit., p. 21.
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[45]
Kaplan (Robert S.), Norton (D.), Comment utiliser le tableau de bord prospectif, op. cit., p. 391.
-
[46]
Bourgault (Jacques), Marsolais (I.), « Le suivi de la performance », Administration publique du Canada, automne 2002, vol. 45, n° 3, p. 364-388.
-
[47]
Côté (L.), Charest (N.), « L’implantation de la loi sur l’administration publique : le point de vue des acteurs », op. cit., p. 20.
-
[48]
Sauf pour les axes stratégiques qui semblent mal compris.
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[49]
Radin (Beryl A.), « A Comparative Approach to Performance Management : Contrasting the Experience of Australia, New Zealand and the United States public », International Journal of Public administration, 26,12, p. 1374.
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[50]
Bureau du Vérificateur général, Rapport à l’Assemblée nationale pour l’année 1998-99, t. II, « La gestion par résultats : les conditions favorables à son implantation », Québec, nov. 1999, § 32-128.
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[51]
« Dans l’organisation, la mission et la stratégie sont maintenant bien acceptées partout. Ce fut une occasion de réflexion profonde et de dégager un accord sur les valeurs, les enjeux, et les résultats. Elle a permis, chez nous, une exceptionnelle implication de tous les gestionnaires et surtout de la haute direction ».
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[52]
Côté (L.), Charest (N.), « L’implantation de la loi sur l’administration publique : le point de vue des acteurs », op. cit., p. 3.
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[53]
Ibid., p. 20.
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[54]
Ibid., p. 23.
1La gestion axée sur les résultats (GAR) et le développement de l’imputabilité colorent de plus en plus la gestion publique. Plusieurs pays de l’OCDE ont mis sur pied une nouvelle approche plus managériale de la conceptualisation et du contrôle de la dépense publique [2]. Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de réaliser des activités pour exécuter la législation mais, toujours en conformité avec le cadre législatif, d’identifier des objectifs à atteindre et d’obtenir des résultats en optimisant l’utilisation des ressources. Les organisations publiques sont plus performantes lorsqu’on y trouve une attitude favorable au processus de planification stratégique et lorsqu’un tel processus s’y réalise [3]. D’autre part, il faut combler une partie du déficit démocratique en améliorant les outils de travail des parlementaires [4] afin qu’ils puissent mieux exécuter leur tâche de contrôle de l’exécutif et fournir au public une image plus complète de la performance de leur administration [5].
2La France et le Québec se sont engagés récemment dans cette voie. Cet article analyse les leçons à retenir de la mise en place au Québec de la loi sur l’administration publique (LAP) [6], particulièrement en matière de gestion axée sur les résultats et de reddition de comptes. Ces observations peuvent intéresser ceux qui, en France, mettent en place la loi organique sur les lois de finances publiques (LOLF). Avant de tirer les leçons de l’implantation des instruments de la gestion axée sur les résultats, l’article présentera le cadre de la modernisation de la gestion publique [7].
LA LOI ORGANIQUE SUR LES LOIS DE FINANCES PUBLIQUES ET LES EXPÉRIENCES QUÉBÉCOISES
3Le Parlement français a adopté le 1er août 2001 la loi organique relative aux lois de finances [8] (LOLF) visant à orienter la gestion publique sur les résultats et la performance. Cette loi organique définit le cadre général dans lequel devront s’inscrire, dès 2005, les lois de finances annuelles ainsi que les modalités relatives à leur préparation, à leur adoption et à leur exécution. Cette « constitution financière » [9] définit le nouveau cadre juridique de la réforme par un engagement sur des objectifs, un processus budgétaire orienté vers les résultats — et non plus par nature de dépenses — et une plus grande responsabilisation des gestionnaires.
4Cette réforme majeure qu’il ne nous appartient pas de décrire ici, présente plusieurs similitudes importantes avec celle qui s’applique au Québec depuis 2000. Aux yeux de l’observateur québécois, ces deux législations se ressemblent sensiblement par leur caractère organique, leur volonté de moderniser la gestion budgétaire, d’orienter l’exercice sur les résultats et de renforcer le rôle du Parlement dans l’examen de la reddition de comptes. Cependant, les différences existent. La loi française consacre une large place au droit budgétaire en matière de gestion du budget et de règles comptables alors que la réforme du Québec agit plutôt par des dispositions relevant de législations spécifiques (Assemblée nationale, administration financière) ou encore par arrêtés de son Conseil du trésor qui émet plutôt des directives. La loi française se fait moins prolixe en matière de management par les résultats. Au cours des dernières années, le Québec avait déjà retenu le principe des enveloppes disponibles en début d’exercice, de la fongibilité asymétrique des crédits et du report de crédits. Cet État avait déjà adopté une perspective managériale plus holistique en soumettant le budget à une démarche plus large qui place en amont, pour chaque ministère ou organisme, le plan stratégique et le plan d’amélioration continue des services aux citoyens. L’architecture budgétaire française se décline par missions-programmes-titres tandis que celle du Québec table sur les orientationsaxesobjectifscréditscatégories de dépenses (qui correspondent grosso modo aux titres du budget français). Alors que la loi française situe les programmes immédiatement sous les missions, la loi québécoise postule implicitement que les politiques, les programmes et les mesures constituent des moyens de réaliser les stratégies et objectifs. Les deux législations prescrivent l’énonciation d’indicateurs et la loi du Québec prévoit des cibles de résultats. Enfin, la loi française délie les fonctionnaires de leur obligation de secret et assigne aux diverses commissions du Parlement l’examen des rapports de performance alors qu’au Québec, cette tâche a été originellement confiée à une commission spécialisée [10].
5Après une description du cheminement de l’expérience québécoise et des instruments utilisés dans le processus, on relèvera quelques leçons tirées des trois premières années de sa mise en œuvre susceptibles de présenter un intérêt pour les acteurs français.
LE CHEMINEMENT DE L’EXPÉRIENCE QUÉBÉCOISE
6Au Québec comme en France, le concept de budget-programme apparaît au début des années soixante-dix pour inciter à la budgétisation par objectifs, sur la base de coûts unitaires réels, plutôt que de budgétiser par ministère de manière historique, en prenant pour base l’enveloppe de l’année précédente. Les résultats sont mitigés. Au Québec, assez rapidement, les frontières des programmes épousent celles des ministères et s’installe le réflexe de réfléchir sur les programmes à partir d’une approche « historique », ceci dès l’étape de préparation budgétaire dite de « revue de programme ». L’application québécoise de la RCB visait à produire un nouvel impact culturel en faisant apparaître les coûts unitaires des activités et en enclenchant, chez les agents, une réflexion managériale « objectifs-extrants-activités-intrants ». Bref, le budget et ses crédits devaient être finalisés par les résultats visés.
7Les premiers plans stratégiques et opérationnels existaient dès la fin des années quatre-vingt, notamment au ministère des transports. Paquin et Charih qui ont étudié cette expérience concluaient en 1993 que la réussite d’une telle opération dépend de certaines conditions : il faut impliquer tous les niveaux hiérarchiques, compter sur une équipe de direction stable, adapter le processus au cas de chaque organisation, garder le processus simple, accepter de gérer les conflits inévitables, consulter, responsabiliser les gestionnaires et intégrer l’opération au processus de décision central du ministère [11]. En 1993, le gouvernement du Québec adopte la loi sur l’imputabilité des sous ministres et dirigeants d’organismes publics [12] qui oblige ceux-ci à rendre compte devant l’Assemblée nationale de leur « gestion administrative » (sic) et de toute autre matière de nature administrative relevant de leur ministère ou organisme et signalée dans un rapport du vérificateur général ou du Protecteur du citoyen. En 1997, cette forme d’imputabilité prendra un nouveau relief avec la création de la commission sur l’administration publique de l’Assemblée nationale [13].
8Dès 1994, le gouvernement du Québec avait entrepris une démarche de responsabilisation des gestionnaires avec notamment la mise en place d’un modèle de gestion par les résultats et la création d’unités autonomes de service (UAS) [14]. La qualité des services et la productivité sont au centre du concept. Jusque fin 1998, quatorze UAS seront mises en place dans des ministères et organismes. Chaque UAS doit produire trois documents publics : une entente de gestion (définissant le mandat, les produits et services, la responsabilité du gestionnaire, la composition du comité consultatif, les indicateurs et le cadre de gestion propre à l’unité), le plan d’action annuel (définissant les enjeux, le niveau de personnel et de ressources dont dispose l’unité et les cibles de résultats à atteindre) et enfin un rapport de gestion annuel (permettant à l’unité de rendre compte de l’atteinte des résultats et de comparer sa performance avec des organisations privées ou publiques offrant les mêmes services). Toutes n’ont pas bénéficié de la marge de manœuvre escomptée.
9Par ailleurs, l’Institut économique de Montréal, un organisme porteur d’un agenda néo-libéral, introduit au milieu des années quatre-vingt-dix un palmarès des établissements d’enseignement primaire et secondaire. Un périodique établit le palmarès des collèges tandis qu’une publication canadienne publie celui des universités. Le débat fait encore rage sur la validité de ces palmarès : sur ce qu’ils mesurent au juste, sur le contexte de la « performance », sur la validité des indicateurs utilisés, etc. Plusieurs déplorent leurs effets pervers sur les organisations évaluées : de la satisfaction replète à la démobilisation. Mais personne ne doute que ces palmarès sont installés durablement; le public les réclame [15] et leur méthodologie s’est améliorée avec les années. Même les pouvoirs publics s’y sont soumis dans le domaine de la santé avec les bulletins de performance des hôpitaux et des CLSC (principaux établissements en matière de santé et de services sociaux) qui paraissent en 2001 [16].
10En 1999, le ministre d’État à l’administration et à la fonction publique et président du Conseil du trésor dépose à l’Assemblée nationale du Québec un énoncé de politique sur la gestion gouvernementale intitulé : « Pour de meilleurs services aux citoyens — un nouveau cadre de gestion pour la fonction publique ». Il s’agit d’établir un cadre de gestion tourné vers la prestation de services de qualité aux citoyens plutôt qu’un cadre de gestion axé sur les procédures internes.
11C’est la loi sur l’administration publique en 2000 qui suit l’énoncé d’intentions [17] et pose les fondements de la gestion axée sur les résultats. Ce texte prescrit un certain nombre de documents (schéma 1) et précise les éléments que devront comporter les nouveaux rapports de performance. Il s’agit de dresser un état de situation des ministères et organismes publics en fonction des activités mises en œuvre, des objectifs poursuivis et des résultats obtenus. À partir de ces informations précises, les parlementaires pourront questionner de manière pointue la gestion faite par les administrateurs publics. Cette approche de nouvelle gestion publique [18] s’inspire de missions d’observations réalisées en Grande-Bretagne par des hauts fonctionnaires québécois [19]. « Le cadre de gestion gouvernementale doit trouver son assise dans une législation [...] qui répond aux nouveaux besoins d’une administration efficace et garantit la transparence dont les parlementaires ont besoin et que la population exige » [20].
1°) La Déclaration de service aux citoyens (DSC), un des fondements de la performance
12La loi sur l’administration publique contraint les ministères et organismes publics à recenser les besoins exprimés par les citoyens. Tous doivent publier un document intitulé « Déclaration de services aux citoyens » qui exprime les objectifs quant au volume et à la qualité des services offerts. La loi oblige à produire en continu un plan d’amélioration des services, en fonction des ressources disponibles.
2°) Le plan stratégique ministériel arrime les orientations gouvernementales
13Les ministères et les organismes publics doivent établir un plan stratégique de plus d’une année. Ce plan stratégique s’inspire notamment des orientations gouvernementales qu’émet le ministère du Conseil exécutif. Sa structure peut être déterminée par le Conseil du trésor et comprend la description de la mission du ministère ou de l’organisme, celle du contexte dans lequel il évolue, les principaux enjeux auxquels il fait face, l’énoncé des orientations stratégiques, des objectifs et des axes d’intervention retenus, ainsi que des résultats visés au terme de la période couverte; il énonce les indicateurs de performance utilisés pour mesurer l’atteinte des résultats. Le plan stratégique se réalise à travers les éventuels plans annuels d’activités et l’incontournable plan annuel de gestion des dépenses, document budgétaire obligatoire qui associe les crédits aux composantes annualisées du plan.
3°) Le rapport annuel de gestion rend compte de la performance et de la conformité
14Le rapport annuel de gestion remplace l’ancien rapport d’activités que devaient déposer auparavant les ministères et organismes à l’Assemblée nationale. Il renforce les mécanismes de reddition de comptes en donnant à l’Assemblée nationale l’accès à des documents contenant des informations détaillées pour mieux évaluer la performance des organisations publiques. Le rapport annuel de gestion doit être préparé chaque année pour être déposé au Parlement québécois. Ce document fait état des résultats obtenus en fonction des objectifs préétablis dans le plan stratégique et juge de la performance de gestion des organisations ciblées par rapport aux indicateurs de performance contenus dans ce même document.
Loi sur l’administration publique
Loi sur l’administration publique
4°) Une imputabilité parlementaire accrue par la comparution des dirigeants
15Le principe d’imputabilité fonde l’exercice de la démocratie; les parlementaires sont redevables aux citoyens et les ministres aux parlementaires. L’imputabilité de l’administration publique exige que ceux qui détiennent et exercent l’autorité publique soient tenus de rendre des comptes aux ministres et maintenant aux parlementaires [21]. Selon Mulgan [22], Engstrom et Leon [23], l’imputabilité est un processus par lequel un mandataire responsable a l’obligation d’expliquer et de justifier ses décisions et actions à une autorité institutionnelle (ou un supérieur hiérarchique), tout en démontrant une utilisation efficace et efficiente des ressources et des mandats qui lui ont été confiés.
16C’est principalement sur la base du rapport annuel de gestion (lequel prend appui sur le plan stratégique et le plan annuel de gestion des dépenses) que seront questionnés les hauts fonctionnaires (sous ministres et dirigeants d’organismes publics) dans le cadre des audiences menées par les commissions parlementaires. Le rapport comporte à la fois le rapport financier et le rapport de performance.
LES LEÇONS DE L’EXPÉRIENCE DE L’ÉLABORATION DES INSTRUMENTS DE LA GESTION AXÉE SUR LES RÉSULTATS (GAR)
17L’ensemble des personnes interrogées dans nos enquêtes donne une appréciation générale très satisfaisante à cette première expérience de la GAR québécoise. Les fonctionnaires affichent plus de satisfaction que les ministres, et ceux-ci, plus que les députés. Les deux tiers des cadres interrogés trouvent que la GAR apporte plus qu’elle ne coûte et les trois-quarts qu’elle peut améliorer sensiblement l’organisation. Ils affichent, en février 2003, la conviction que cette approche de gestion « est installée à demeure ». Malgré une certaine frustration due aux conditions particulières de la première année d’implantation d’une réforme, les participants aux sessions souhaitent poursuivre les initiatives de modernisation de la gestion publique, en y apportant les améliorations nécessaires après l’analyse d’un premier exercice [24]. Presque tous croient que la satisfaction croîtra avec la pratique : les gens apprendront, le système s’améliorera et la mise en œuvre de cette réforme s’en trouvera facilitée. « D’ailleurs, dira l’un d’eux, dans mon organisation, la deuxième opération de conception du plan stratégique fut grandement améliorée du fait d’une plus grande implication du personnel ». Ces observations s’inscrivent dans le droit fil des remarques d’Ulrich quant à l’apprentissage continu qui sous-tend la gestion par résultats [25].
18Les ex-ministres et députés manifestent un peu plus de réserves : les premiers trouvent que le processus fut long, laborieux et mobilisa lourdement leur organisation; les députés estiment que les documents produits n’étaient ni conçus ni rédigés pour eux : « C’était écrit pour des initiés. Les documents sont inutilement lourds et ne décrivent pas assez spécifiquement la direction stratégique choisie par les ministères ». La mise en route précipitée de l’opération n’a pas servi celle-ci. On a manqué de temps pour travailler selon les règles de l’art, ne disposant que de trois mois pour tout concevoir : le plan stratégique, le plan annuel de gestion des dépenses, le plan annuel d’action et, dans certains cas, même la déclaration de services aux citoyens. En conséquence, on estime en général que le plan a été conçu en vase clos et que l’exercice est demeuré un peu trop superficiel. Les ex-ministres trouvent dans les contraintes de l’échéancier l’explication du fait qu’ils ont été peu impliqués dans l’opération. Cela a généré une appropriation très relative du plan stratégique par plusieurs ministres, donc une faible propension à le défendre, à s’y référer ou à le citer dans les discours.
19Ces circonstances marquées par la précipitation dans la production du plan stratégique ont fait apparaître un processus de création sur le mode de l’urgence : il fallait que des documents formels soient prêts à temps ce qui a concentré tous les efforts. Le sommet de l’organisation a dû agir vite et quelquefois improviser puis corriger le tir; cela a frustré les employés en créant de la confusion dans le ministère, et entamé la crédibilité du processus auprès des responsables opérationnels.
20Les fonctionnaires interrogés estiment adéquats les outils de la GAR, mais veulent en améliorer la mise en œuvre. Les résultats du sondage montrent que le taux de satisfaction diminue chez les personnes interrogées à mesure que les questions portent sur les dimensions concrètes et opérationnelles de la réforme : la moitié de ces personnes sont satisfaites de l’élaboration du plan, le quart de son utilisation, le sixième de sa mise en œuvre et le dixième de son appropriation par l’organisation [26]. Il faut aussi savoir se montrer réaliste dans l’estimation de la progression de l’apprentissage organisationnel : la précipitation de l’opération en obère la crédibilité aux yeux des gestionnaires de la base.
Pour un plan stratégique plus adéquat et convivial
21Les leçons à retenir portent sur la compréhension de la nature d’un plan réellement « stratégique », sa rédaction, les liens logiques entre les objectifs stratégiques et opérationnels ainsi que sa diffusion dans l’organisation.
1°) Bien outiller les cadres et agents
22Toute première entraîne inévitablement plus de difficultés dans la compréhension commune des termes et des directives que ce qui est attendu. Les directives et manuels gouvernementaux, arrivés sur le tard apparaissent souvent confus. Conséquence possible, plusieurs plans ministériels présentent une certaine confusion rédactionnelle entre les orientations, les axes, les objectifs, les indicateurs et les cibles. Les spécialistes ont tendance à compliquer les choses (les jargons, les étapes, le rigorisme des formulaires), ce qui peut démobiliser les agents opérationnels : « Ce qui doit compter c’est la convivialité du processus et la perception de son utilité ». D’ailleurs les objectifs identifiés se sont quelquefois éloignés du cœur des opérations du ministère; ainsi on reproche à la première opération de n’avoir pas été assez centrée sur les bénéficiaires, les partenaires et les usagers situés au centre de l’action du ministère.
2°) Bien saisir la portée d’un plan stratégique
23Mintzberg écrit que le premier rôle des planificateurs est d’être des « découvreurs de stratégies » [27] et qu’un des dangers de la planification stratégique est que le formalisme du processus n’obère la dimension de découverte d’une authentique stratégie adaptée au contexte. Il observe que trop d’efforts se trouvent mis sur le processus et le format du document ainsi que sur la reproduction des modèles acquis, cela, aux dépens de l’identification de la stratégie [28]. Dans l’expérience québécoise de 2000 à 2003, il s’est avéré difficile de faire apparaître la dimension ontologique de la démarche stratégique. Ainsi, la très forte majorité des participants aux ateliers, à l’aube de ce second plan stratégique, peine à distinguer le niveau stratégique de celui des opérations. Dans plusieurs plans, trop d’objectifs stratégiques se trouvent rédigés en termes opérationnels et sont dépourvus de perspective vraiment stratégique. Le caractère « stratégique » de l’objectif devrait lui faire viser les zones sensibles affectant la performance d’un secteur. Les objectifs stratégiques retenus doivent correspondre aux « bons niveaux » d’agglomération des problématiques : certains ministères poursuivent une multitude de petits objectifs qui portent sur des problématiques trop fines ou envisagées à trop court terme. Trop de secteurs du ministère cherchent à se rendre visibles compte tenu des enjeux en termes de budgets, de prestige et de crédibilité auprès des troupes. Enfin, certains plans renvoient à des actions conjointes de plusieurs organisations mais, dans la rédaction des objectifs et indicateurs, le partage des responsabilités n’est pas clair entre les divers intervenants ce qui rend difficile la délimitation des responsabilités.
24Le champ du plan stratégique fait encore l’objet d’incompréhensions et de débats : doit-il porter sur l’ensemble des activités du ministère ou seulement sur les nouveaux projets ? [29] Un tel plan devrait pourtant constituer « une stratégie planifiée de passage, pour toutes les composantes de la mission du ministère, et sur un horizon temporel donné, de la situation actuelle à celle qui est désirée, compte tenu de l’évolution anticipée de l’environnement de l’organisation pendant cette période » [30]. Il faut donc que le plan stratégique couvre toute l’activité du ministère ou de l’organisme quant aux produits livrés aux diverses composantes de sa clientèle. On rencontre aussi le problème inverse : celui de la multiplication des objectifs (jusqu’à 300 !) et des indicateurs (400) dans un même plan ministériel ! Boyne et Gould-Williams [31] ont observé que la performance des organisations publiques tend à diminuer lorsque le nombre d’objectifs stratégiques à poursuivre est trop important. Comme le plan stratégique couvre tout ce que fait le ministère, le niveau conceptuel de la rédaction importe au plus haut point. Il faut rédiger des objectifs de portée horizontale, afin qu’ils mettent à contribution un maximum de secteurs de l’organisation et que l’effort conceptuel porte sur le « core business » du ministère.
3°) Coordonner le portefeuille malgré l’autonomie des organismes qui le constituent
25La gestion de portefeuille pose trois défis : intégrer, laisser les marges opérationnelles qui sont nécessaires et savoir influencer. Lorsque cela s’avère nécessaire, il faut savoir relier le plan des organismes à celui du ministère dont ils relèvent. Deuxième cas de figure : les agences exécutives (anciennes unités autonomes de service) n’ont pas obtenu toute la marge de manœuvre budgétaire et administrative promise et, par conséquent, les désavantages de la production de justifications multiples ont gommé les avantages anticipés de la déconcentration [32]. Enfin, dans les ministères « à réseaux », comme ceux de l’éducation et la santé, on a reproché au plan stratégique de ne pas s’être suffisamment engagé sur des résultats-terrain dont il ne peut « qu’espérer » la réalisation par les institutions des réseaux. La solution passe par l’identification adéquate des moyens d’action dont jouit le ministère pour leur faire produire les résultats désirés ; il y a lieu d’identifier avec les institutions des réseaux les causes des carences, de partager des convictions, de contractualiser la performance, de pratiquer le financement conditionnel et de fournir toute l’assistance requise.
4°) Intégrer les instruments de la gestion budgétaire au plan stratégique
26Ansoff a bien montré l’importance de l’implantation du changement stratégique à travers l’intégration des systèmes de gestion du quotidien [33]. Avec l’apparition de nouveaux instruments de gestion, certains déplorent non pas la prolifération des processus de gestion, mais leur manque d’intégration dans la pratique quotidienne. L’amélioration des services aux citoyens, la revue de programmes budgétaires, le plan de gestion des ressources informationnelles, les attentes individuelles de rendement et le plan d’effectifs doivent bénéficier d’une plus grande intégration dans le fonctionnement des ministères. Il importe non seulement d’intégrer opérationnellement les mécanismes, mais aussi le travail des diverses équipes chargées de la GAR [34]; c’est le cas en particulier des services responsables de la Déclaration de services aux citoyens, du plan stratégique et du budget. Il revient aux directions des ministères d’assurer cette intégration dans la mise en œuvre, sous peine de générer une prolifération d’opérations parallèles et redondantes (voir schéma 2).
Mise en œuvre des plans stratégique et annuel
Mise en œuvre des plans stratégique et annuel
5°) Conduire les leaders à s’engager autour d’une vision crédible
27La firme Kepner-Tregoe a publié un classique illustrant que les organisations performantes sont celles qui s’appuient sur des dirigeants ayant établi, diffusé et implanté une vision articulée de ce que l’organisation devrait faire et devenir [35]. Les participants aux sessions de formation ont réitéré cette prescription. Selon eux, les dirigeants ministériels (ministres et sous ministres) doivent publiquement s’engager davantage sur des objectifs s’appuyant sur une vision claire de l’action à mener. En outre, celle-ci doit tenir compte d’une lecture bien informée de l’état actuel de l’organisation. Les dirigeants doivent aussi diffuser activement cette vision dans un plan spécifique bien articulé en évitant de croire que les mécanismes routiniers de la communication y suffiront. Deuxième leçon : la vision portée par le plan doit témoigner ostensiblement d’une forte intégration de l’ensemble des secteurs de l’organisation, souvent éclatée en « silos » verticaux trop étanches. Dans certains cas, on souhaite l’éclosion d’un discours unique, intégrateur des diverses agences ; dans d’autres, on demande que les services opérationnels soient arrimés aux services fonctionnels de développement des politiques, et que les services auxiliaires s’articulent à ces derniers dans des projets centrés sur les opérations principales de l’organisation.
28Le plan « à format unique » semble avoir généré des problèmes d’adaptation : plusieurs cadres souhaitent qu’il y ait deux types de plans stratégiques : un pour les ministères qui réalisent des opérations destinées à des clients ou des usagers spécifiques (ex. revenu) et l’autre pour des ministères aux fonctions plus stratégiques et immatérielles (ex. finances, relations internationales, etc.) [36]. Pour les premiers, des ateliers de réflexion impliquant des agents de différents services ont rendu plus opérationnelle et concrète l’analyse des situations, l’identification des enjeux, des opportunités et des moyens envisagés, et ils ont facilité l’appropriation de la démarche par les gestionnaires du terrain.
6°) Identifier des indicateurs et des cibles : une tâche toujours plus diff?cile
29La gestion axée sur les résultats a permis de mesurer la difficulté d’identifier des indicateurs de résultats éclairants, faciles à comprendre, conviviaux et fiables [37]. On a reproché aux indicateurs portant sur la gestion de ne pas toujours être probants et à ceux qui portent sur les résultats des programmes, d’apparaître souvent flous et inadéquats. Les défauts reprochés aux choix des cibles portent sur leur imprécision, leur manque de lien avec l’objectif et leur manque de réalisme. Les indicateurs ont des limites attribuables aux rapports de pouvoir au sein des organisations ; dans certains ministères, un cadre flou a été conservé pour se préserver des marges d’adaptation.
7°) Améliorer les diagnostics stratégiques
30Les liens logiques entre les diagnostics stratégiques, les objectifs stratégiques et opérationnels sont trop souvent considérés comme allant de soi [38]. Dans plusieurs plans stratégiques, il est apparu que le diagnostic ne s’est pas toujours traduit en objectifs stratégiques, et que ceux-ci ne se trouvent pas déclinés dans les objectifs opérationnels des plans annuels de gestion des dépenses qui présentent les crédits budgétaires. Parmi les améliorations souhaitées, certains demandent que le plan stratégique s’appuie davantage sur une réflexion de type diagnostic. Par ailleurs, dans plusieurs cas, il n’a pas été possible de dresser correctement le bilan de l’organisation (parce qu’on croit la connaître trop bien ?), alors que ce bilan constitue une composante du diagnostic stratégique : il importe de s’interroger sans complaisance sur les caractéristiques de cette dernière, ses forces et ses faiblesses. Enfin, plusieurs plans ne s’inscrivent pas dans une perspective à suffisamment long terme, d’autres ne situent pas leur action par rapport à celles des organisations analogues au Canada, dans le monde ou encore dans le secteur privé.
Le plan annuel de gestion des dépenses : simple formulaire de la bureaucratie budgétaire ?
31Mintzberg met en garde contre le « désordre des quatre hiérarchies de la planification : objectifs, budgets, stratégies, programmes ». Il défend l’idée que les interrelations entre les stratégies (incluant les objectifs) et les budgets (dont les programmes découlent selon lui) ne sont généralement pas spécifiés [39]. Là encore, comme il l’écrit, on a trop souvent cru que les choses iraient de soi. Le plan stratégique aurait dû générer des plans opérationnels annuels mais, en 2003, plusieurs ministères ne semblent toujours pas disposer de plan d’action ni de plan opérationnel. Davantage utilisé, le plan annuel de gestion des dépenses sert seulement à justifier l’obtention de crédits budgétaires plutôt qu’à programmer l’activité annuelle : « Ce n’est qu’un formulaire que l’on doit remplir pour solliciter des crédits ! Le plan annuel de gestion des dépenses, donc la répartition des crédits budgétaires, doit être vraiment coloré par le plan stratégique, c’est notre défi prioritaire de la prochaine année ». Les problèmes de cohérence décisionnelle apparaissent : là où le plan annuel de gestion des dépenses n’offre pas un niveau élevé de précision opérationnelle; lorsqu’il ne précise pas le calendrier des résultats et les responsabilités ; quand les décisions budgétaires ne traduisent pas suffisamment des choix opérationnels. La majorité des participants aux ateliers a noté que, de 2001 à 2003, peu de choix de priorités budgétaires avaient vraiment découlé des orientations du plan stratégique : « On budgète encore trop selon la méthode historique ! » Les participants pensent qu’il serait préférable d’établir un lien entre le plan annuel de gestion des dépenses et l’action quotidienne du ministère; ceci impliquerait, d’une part, que les unités administratives responsables du plan et du budget communiquent mieux entre elles, et que, d’autre part, la direction du ministère décide de prendre systématiquement ses décisions budgétaires en cohérence avec cette planification.
Suivre la performance : enrichir l’information de gestion
32Parmi les causes d’échecs de processus stratégiques, Kaplan et Norton identifient le caractère inadéquat des suivis de gestion. Ils pointent notamment le recours aux tableaux de bord inadaptés, l’usage de ceux-ci comme simples « événements ponctuels » ou, enfin, l’inapplication dans l’organisation des conclusions issues des observations de ces tableaux de bord. Ces tableaux doivent être traités comme des projets de gestion courante plutôt que des projets de systèmes dont on tient pour acquis qu’ils impliqueront nécessairement le passage à l’action [40]. Dans le cas québécois, l’absence de réels plans d’action illustre le problème de la mise en œuvre du plan stratégique qui devrait comporter toutes les étapes du schéma 2. Un suivi rigoureux des résultats doit se faire sur une base au moins trimestrielle via un tableau de bord de gestion utilisé lors de réunions de la direction, et partagé en temps réel dans toute l’organisation. À l’inverse, certains ministères ont mis sur pied un système de suivi comportant des échéances trop rapprochées, des réunions hebdomadaires avec des données de gestion. Selon des participants, « c’était trop : on se percevait trop en situation de crise continue quant à la réalisation du plan. Le fonctionnement de l’organisation était devenu moins important que l’observation rigoureuse du plan ! »
33L’administration se trouve chargée d’informations souvent liées à la gestion; cependant, on tient trop facilement pour acquis que l’information disponible présente un format d’utilisation immédiate et finalisée. L’information de gestion se définit comme un ensemble d’éléments qui informent le lecteur (agent, contrôleur ou responsable) au sujet des dimensions (qualitative autant que quantitative) d’un phénomène et qui en permettent l’avènement ou la gestion; elle porte sur les ressources, les activités, les produits, les résultats et les impacts. Grâce aux indicateurs et aux cibles, l’information de gestion permet de vérifier l’atteinte des engagements publiés dans la déclaration de services aux citoyens, le plan stratégique et le plan annuel d’action et d’en suivre la réalisation.
34Selon Kaplan et Norton, les indicateurs doivent nécessairement faire l’objet de consensus dans l’organisation; ils doivent être parfaitement compris par les salariés afin de pouvoir « guider » l’exécution de leur travail [41]. Plusieurs participants aux ateliers ont souhaité l’amélioration de la qualité des données recueillies : pour les rendre plus pertinentes, les gestionnaires doivent se faire à la fois créatifs et plus sélectifs dans leurs assemblages. Il faut aussi pouvoir « attribuer » les données, c’est-à-dire pouvoir en identifier la source, ce qui permet d’envisager leur validation. La plupart des ministères ne disposaient pas, en 2003, d’un tableau de bord de gestion utilisé de manière courante pour suivre l’évolution des indicateurs de mesure dans l’atteinte des cibles identifiées. Les participants souhaitent une meilleure intégration des bases de données pour que les interfaces appropriées évitent la double collecte d’informations qui frustre les agents et amène sa part d’erreurs, de vérifications et de coûts de transactions. Certains participants attribuent au sommet du ministère ainsi qu’aux organismes centraux cette absence de tableau de bord; ils estiment que ces instances ont peur de perdre le contrôle de l’influence décisionnelle en partageant avec les gestionnaires l’information en temps réel.
Alléger et rendre plus pertinent le rapport annuel de gestion
35Rédiger un premier rapport annuel de gestion comporte trois types d’écueils : le coût transactionnel de sa préparation, sa cohérence avec les engagements de début de cycle ainsi que son gabarit.
36Compte tenu des informations que ce rapport présente au sujet des résultats obtenus, les enjeux organisationnels liés à la préparation d’un tel rapport sont plus élevés qu’auparavant. L’élaboration de ces documents a donc suivi un processus complexe, lourd, en interactions au sein des ministères et posant le problème de la cohérence avec le plan annuel d’action — en vue de la présentation devant les parlementaires. Le volontarisme et l’ambition des objectifs et cibles du plan stratégique et du plan annuel de gestion des dépenses, devenaient patents dans le rapport annuel de gestion. Pour faire bonne figure, ou par manque d’expérience, les responsables s’étaient montrés trop ambitieux en début de cycle. Il fallait maintenant se justifier et rendre compte publiquement d’un résultat médiocre. Évidemment, cet exercice rédactionnel permet aussi de réaliser d’importants apprentissages organisationnels pour l’année à venir.
37Les suivis formels du plan stratégique et du plan d’action ont été rares au cours de l’année et la préparation du rapport annuel de gestion a souvent constitué une opération « créative » lourde et pénible. Les organisations qui ont le mieux réussi avaient rédigé leur rapport annuel de gestion à partir de rapports exécutifs trimestriels de 4 à 5 pages, produits pour le comité de direction. Ces suivis formels réguliers ont fait l’objet d’une édition récapitulative.
38Au vu de ces premières expériences, les observateurs ont suggéré de présenter un rapport annuel de gestion dont les liens logiques et rédactionnels avec le plan stratégique seraient plus clairs. Il ont aussi recommandé de mieux cibler les objectifs particuliers du rapport annuel de gestion qui doit rendre compte à la fois de la dépense effectuée, de l’atteinte des cibles et de la qualité du plan; à l’inverse, il a été demandé d’éviter la publication d’un rapport annuel de gestion trop opérationnel, trop détaillé et plus volumineux que le plan stratégique !
L’imputabilité parlementaire facilitée par l’intervention du Bureau du vérificateur général
39À ce jour, il y a eu relativement peu de comparutions devant la commission de l’administration publique sur la base des rapports annuels de gestion. Plusieurs comparutions ont eu lieu sous le régime des anciens rapports de performance. Ces opérations suscitent généralement beaucoup d’appréhensions dans les ministères ; on ignore comment se comporteront certains parlementaires tentés d’utiliser toutes les occasions pour embarrasser le gouvernement. Le Bureau du vérificateur général (BVG) qui joue un rôle assez analogue à la Cour des comptes française et reçoit les rapports annuels de gestion, a eu l’heureuse initiative d’utiliser son expertise, sa position de neutralité et ses commentaires pour apporter une contribution positive au débat parlementaire. Avant les comparutions, le BVG valide ses observations auprès du plus haut dirigeant de l’organisme soumis à examen, puis discute avec ce dernier des commentaires qu’il soumettra aux députés membres de la commission. Ensuite, il rencontre les membres de la Commission de l’administration publique [42] pour leur présenter ses observations. Ce faisant, il oriente l’examen sur les questions plus systémiques et fondamentales posées par le rapport annuel de gestion.
40À l’usage, il s’est avéré que le débat lors des comparutions s’est fait moins partisan que prévu. Les députés produisent encore beaucoup d’interventions de « micromanagement » mais le niveau du débat évolue bien dans un contexte d’apprentissage mutuel. On estime qu’il faudra au moins cinq ans pour que les parlementaires acquièrent la « culture » de la GAR et, à cet égard, certains souhaitent qu’un meilleur appui technique leur soit fourni [43].
L’appropriation du processus par l’organisation et les employés
41Une réforme de cette ampleur peut difficilement mobiliser de manière homogène les organisations et les individus. La mobilisation s’est manifestée en îlots organisationnels. Le personnel en charge des opérations ne s’est pas impliqué dans la plupart des étapes du processus laissant toute la place aux équipes spécialisées dans la planification stratégique. Trois causes sont évoquées. Tout d’abord, la démarche de GAR et de remise en cause ne fait pas partie de l’univers mental habituel, les organisations et la majorité des agents jouissant d’une certaine permanence. Deuxièmement, les contraintes du calendrier auraient empêché que les ministres soient impliqués dès le début de l’opération. Alors que Mintzberg a démontré l’importance du rôle d’information des dirigeants — déclinés en ceux de guide, de diffuseur et de porte-parole [44] —, la haute direction est perçue par les cadres comme s’étant insuffisamment impliquée; elle ne se serait pas présentée comme « champion » de cette réforme, n’aurait pas procédé aux arbitrages difficiles du quotidien et n’aurait pas suffisamment aligné l’organisation sur le processus. Enfin, un certain cynisme habite des gestionnaires qui affirment avoir assisté à l’échec de plusieurs réformes.
42Dans un tel processus, comme l’écrivent Kaplan et Norton [45], les hauts dirigeants ne seront jamais trop impliqués. Les responsables de la planification se montrent sceptiques quant aux chances de succès de la GAR si l’on n’arrive pas à faire assumer plus de leadership de la part de la haute direction. Dans plusieurs cas, une différentiation des visions de l’organisation est apparue par niveau hiérarchique, faute de proposition suffisamment intégratrice venant du sommet; il faut qu’une autorité propose aux employés « sa » vision de l’organisation et qu’elle soit inclusive et mobilisatrice.
43Il a été montré que parmi les huit types de difficultés du suivi de la performance, plusieurs dépendent du partage dans l’organisation et de l’apprentissage chez les cadres et employés des unités opérationnelles [46]. Les participants aux ateliers ont insisté sur la nécessité de diffuser plus largement certains apprentissages de base : les gestionnaires opérationnels, souvent des spécialistes sectoriels, ne possèdent pas toujours la formation préalable pour maîtriser suffisamment les concepts fondamentaux; dans d’autres cas la formation a été jugée trop conceptuelle. Compte tenu de ce déficit de formation, les gestionnaires opérationnels ont peu contribué à faire émerger une véritable « vision ministérielle » des objectifs stratégiques. La démarche ascendante n’est pas venue compléter celle de la hiérarchie (top down). Ainsi les « gestionnaires-terrain » auraient-ils pu contribuer à la richesse du plan, à sa meilleur compréhension, à son acceptation et à sa mise en œuvre.
44La nécessité d’un plan spécifique est apparue pour mobiliser « la base », c’est-à-dire les fonctionnaires dont ce n’est pas le métier de pratiquer la budgétisation stratégique et qui sont affectés aux opérations courantes [47]. La réalisation d’un tel objectif suppose un plan de communication en amont et en aval de l’élaboration du plan stratégique, à travers une séquence d’explication et de mobilisation. Certains attribuent le défaut de mobilisation globale au fait que la gestion axée sur les résultats ne fait pas encore partie des valeurs fondamentales de l’organisation. D’autres manifestent un cynisme opportuniste pour échapper à l’opération et à ses impacts anticipés : certains disent que « sur les opérations courantes, on ne peut rien faire et que sur le rêve, il y a peu de budgets disponibles ! » Certains annoncent une approche mercantile : « Quelle est ma contrepartie dans cette opération ? ». Ici, des projets dûment budgétés sont réclamés, là on espère plutôt un accroissement de l’autonomie décisionnelle, comme c’est d’ailleurs prévu dans la GAR. La participation des gestionnaires à de tels processus fondés sur la rigueur de la gestion, contribue à leur formation en la matière, mais accroît du même coup leurs attentes quant à la cohérence de l’organisation.
45Il faut passer d’un exercice « sur papier » à un réel outil de gestion. Certains vieux routiers savent se débrouiller pour éviter les contraintes de cette innovation et, dans leur cas, la cohérence des instruments devient assez théorique. Un des problèmes est la distance entre l’action (le terrain au quotidien, les opérations courantes et fondamentales) et la réflexion (les documents officiels qui sont produits par la technostructure). Il faut que la forme du document officiel puisse rejoindre les préoccupations concrètes des personnes du terrain : le plan stratégique doit être suffisamment adaptable pour pouvoir orienter le quotidien des gens au sein des organisations.
46Au total, il apparaît nécessaire que les unités responsables de la planification stratégique fournissent une assistance technique plus « pro-active » aux unités opérationnelles. Ces unités doivent plutôt apporter leur soutien à un client que commander des unités administratives assujetties ; en outre, elles doivent savoir reconnaître leurs correspondants locaux et appliquer une stratégie adaptée à chacun. Elles doivent développer la formation dans l’action en aidant les gens du terrain à appliquer la GAR à leur propre cas. Elles doivent privilégier les ateliers avec les gestionnaires, plutôt que des réunions formelles de transmission d’informations standardisées.
47Dans tous les cas, une structure ministérielle en charge du processus d’élaboration et de gestion de la GAR est nécessaire. Ce comité formé de hauts fonctionnaires, de cadres et de professionnels de tous les secteurs du ministère gagne à être placé sous la direction exécutive d’un responsable opérationnel plutôt que d’un responsable du budget ou du plan stratégique, afin de renforcer la légitimité de l’opération. Alors que les gestionnaires du budget et du plan demeurent les dépositaires d’expertise au service des gestionnaires opérationnels, le plus haut dirigeant du ministère assume le rôle de figure de proue de l’opération.
48L’administration française est engagée dans la mise en place des dispositifs de la LOLF et, dans une certaine mesure, les leçons tirées de l’expérience québécoise pourraient l’intéresser. Il faudra tenir compte, non seulement des différences dans les lois concernées, mais aussi du fait que les règles du jeu ne sont pas les mêmes dans les institutions et les organisations concernées. En France, les orientations du gouvernement en termes de programmation budgétaire doivent se concilier, d’une part avec l’emprise des grands corps sur certains ministères, d’autre part, avec la légitimité du processus de planification stratégique régionale. Il y a là des sources de tensions potentielles qui constituent autant de défis à relever. Par ailleurs, l’importance du droit administratif et les contrôles ex ante de la dépense perdurent en France alors qu’au Québec la culture se fait plus managériale et les contrôles ex post font partie de la réforme; la conception du rôle de l’État et des acquis historiques ne laisse pas la même marge de manœuvre ici et là. Il en ressort la nécessité d’un dosage opportun entre détermination et réalisme : les réformes qui durent sont celles qui ont survécu aux premiers chocs qu’elles ont causés. Elles ne doivent ni être rejetées en bloc, ni se voir détournées de leur perspective.
49Cette première opération de GAR au Québec montre qu’il est plus facile pour les organisations de se conformer aux prescriptions formelles des réformes qu’à leur esprit. En effet la GAR québécoise présente une forte conformité aux normes réglementaires : les composantes du plan apparaissent très respectueuses des prescriptions de la loi et des directives du Conseil du trésor [48]; les calendriers sont respectés ; les plans reflètent bien la mission du ministère; ils comportent des engagements clairs quant aux délais et à la qualité des prestations pour la clientèle. Les orientations retenues correspondent bien à celles manifestées par le Conseil des ministres. Ils font une assez bonne lecture de l’environnement et caractérisent en général bien le contexte dans lequel évolue le ministère. Cependant, la dimension véritablement stratégique des plans et l’arrimage entre les budgets annuels et le plan doivent être améliorés.
50On a aussi appris que les réformateurs prennent trop de choses pour acquises : cela a été le cas de la préparation des gestionnaires, de l’appropriation de la perspective intellectuelle, de la formulation d’indicateurs et de cibles, etc. On a vu qu’il importe de former à l’esprit et aux instruments de la réforme, non seulement les spécialistes mais aussi les gestionnaires opérationnels, et que cette formation peut se faire dans l’action et la réflexion critique. Il faut accepter et intégrer les tensions « normales » et inévitables au sein de l’organisation, souvent sous-estimées par les promoteurs et les publics de ces réformes [49]. Beaucoup d’apprentissages se sont fait par la pratique : par exemple, on conçoit et on rédige mieux les objectifs lors du second exercice. Enfin, cette réforme a permis une certaine évolution de la mentalité des gestionnaires et des organisations par l’appropriation progressive de certains aspects de la culture managériale.
51L’apprentissage doit permettre de tirer des leçons de l’expérience. Or les observations de Paquin et Charih, formulées dès 1993, au sujet des conditions de succès de la planification stratégique, ne semblent pas avoir été pleinement exploitées dans l’exercice 2001-2003. Selon les observations de ces chercheurs, il aurait fallu impliquer tous les niveaux hiérarchiques des personnels, compter sur une équipe de direction stable, adapter le processus au cas de chaque organisation, garder le processus simple, accepter de gérer les conflits inévitables, consulter et responsabiliser les gestionnaires et intégrer l’opération au processus de décision central du ministère. Or plusieurs critiques ont justement porté sur ces aspects. Il faut se demander pourquoi les savoirs du passé au sujet de réformes très similaires se trouvent si peu mis à contribution dans la mise en place des réformes courantes.
52Pour un premier exercice, l’application au Québec de la GAR a donné des résultats fort satisfaisants. Les plans 2001-2004 marquent en outre une nette amélioration par rapport à ce que constatait le Vérificateur général du Québec en 2000 au sujet de la génération de plans précédente, avant la loi sur l’administration publique [50]. De manière générale, les gestionnaires interviewés estiment que l’opération a rapporté plus qu’elle n’a coûté, et qu’elle est irréversible. D’autres personnes interrogées se félicitent de l’évolution organisationnelle que la GAR a permise [51]. L’opération aurait favorisé la manifestation d’une culture commune et d’une plus grande collaboration au sein de l’organisation. Ses effets bénéfiques vont donc au-delà de ses objectifs immédiats.
53La comparaison des deux processus attire notre attention sur les éléments suivants :
- La LOLF française semble se centrer plutôt sur la perspective budgétaire justifiée par des programmes, tandis qu’au Québec la LAP privilégie la perspective managériale-stratégique dont les moyens sont, notamment, budgétaires. Il peut y avoir danger en France que le formalisme obligé des règles budgétaires ne prenne le pas sur la dimension managériale.
- La LOLF française reconnaît, à juste titre, la place centrale de la mission pour définir des programmes, puis des résultats désirés. Cependant, il faudrait se garder de créer une mission au libellé trop juridique, proche de ce que l’on trouve dans les lois constitutives, et trop peu soucieuse des objectifs poursuivis.
- La loi française valorise opportunément le rôle et les prérogatives des parlementaires dans l’examen des rapports de performance. On peut cependant se demander si la Cour des comptes peut offrir assez de support aux parlementaires, compte tenu de l’accroissement de leur rôle ? Il faut noter la prescription qui délie les fonctionnaires de leur engagement de secret; mais il semble que les règles d’engagement de ceux-ci dans le débat doivent être précisées au fil de l’expérimentation.
55Les difficultés vécues au Québec ont permis de tirer plusieurs leçons spécifiques pouvant intéresser nos amis français : la réforme ne vient pas à bout par sa seule force des « silos » organisationnels ; les acteurs-clés du ministère ont, par leur degré de réelle implication, un pouvoir de vie ou de mort sur la réalité de la réforme. Les changements nécessaires sont considérés comme « allant de soi », et ainsi ne font pas l’objet d’une stratégie bien arrêtée. Les « silos » verticaux segmentent les ministères et limitent la cohérence des unités administratives. Le succès de l’opération dépend de la capacité d’évolution de la culture de gestion au sein des ministères [52]. Les solutions envisagées passent par une conduite plus rigoureuse et transparente au sommet du ministère, avec un leadership mieux affirmé de la part d’une haute direction, souvent confrontée à des problèmes de stabilité [53]. Il faut donner le temps à l’opération de se mettre vraiment en route.
56Le plan « à format unique » semble avoir généré des problèmes d’adaptation compte tenu de la différence de mission entre les ministères. Il faut se soucier de garder simples et conviviaux les documents annexes et les présenter de manière à ce que les gestionnaires perçoivent l’utilité de la réforme. Il ne faudrait pas sous-estimer la difficulté d’identifier les indicateurs de résultats ainsi que des cibles réalistes et adéquates. Il faudra se souvenir que l’information actuellement disponible n’est pas nécessairement utilisable dans le nouveau système. Elle l’est en tout cas beaucoup moins qu’elle n’y paraît ! Les objectifs retenus devraient avoir une portée transversale, afin d’impliquer toute l’organisation. L’adoption du budget formel ne signifie pas pour autant que l’organisation est gérée selon une culture de résultats.
57La cohérence a fait problème lorsqu’il n’y avait pas, au sein de l’organisation, de cascades d’attentes de performance de haut en bas de l’organisation : les principes généraux retenus au sommet ne se sont pas opérationnellement traduits en obligations concrètes dans le quotidien des agents à travers les plans d’action ou la signification des attentes aux fins d’évaluation du rendement des cadres. La formation et la mobilisation des employés devraient faire l’objet de programmes particuliers.
58Enfin on retient qu’il faut absolument instaurer au sein de la direction du ministère une reddition de comptes périodique au sujet des résultats sur lesquels l’engagement est pris en début de cycle. Le rapport final doit être préparé tout au long de l’année et présenter une forte cohérence avec le plan budgétaire d’origine et ses annexes. En ce qui concerne la comparution parlementaire, l’expérience enseigne que sa préparation par une institution qui prête ses bons offices améliore la productivité de l’opération.
59Il faudra quelques années de mise en œuvre patiente, souple et appliquée pour que la GAR produise ses effets dans l’ensemble de l’administration. Le transfert aveugle des « best practices » venues d’ailleurs ne permet pas une implantation adéquate [54]. La formule doit être en harmonie avec l’histoire et la culture de l’administration. Cette culture devra, elle aussi, continuer d’évoluer pour remplacer le conformisme légal par une approche managériale de pertinence de l’action, d’optimisation des ressources et de service à l’usager.
Notes
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[1]
Nous remercions Mme Véronique Massignani et M. Fred Boissy qui ont fourni la documentation pour cet article. Nos remerciements s’étendent à Madame Lucie Rouillard, professeur titulaire à l’ENAP pour ses judicieux commentaires.
-
[2]
OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), Governing for results, Paris, PUMA, 2002.
-
[3]
Boyne (Georges), Gould-Williams (J.), « Planning and Performance in Public Organisations : an empirical analysis », Public Management Review, 2003,5,1, p. 128.
-
[4]
Aucoin (Peter), Turnbull (L.), « The Democratic Deficit : Paul Martin and Parliamentary Reform », Canadian Public Administration, 2003,46,4, p. 444.
-
[5]
Pollitt (Chris), Bouckaert (G.), Public Management Reform : a Comparative Analysis, New York, Oxford University Press, 2000,314 p.
-
[6]
LQ, 2000, c.8, Loi sur l’administration publique; LQ, chapitre A-6.01.
-
[7]
Les observations qui fondent cet article proviennent de trois sources : d’abord d’un sondage mené en février 2003 auprès de 20 représentants ministériels sur la planification stratégique. Ensuite, cinq ateliers de formation de deux jours chacun tenus entre mai et octobre 2003, réunissant 38 gestionnaires agissant comme responsables ministériels de la modernisation, chargés de mettre en œuvre la gestion axée sur les résultats et fondée sur une démarche de planification stratégique. Les commentaires des participants ont été validés en sessions plénières. Les résultats du sondage ont été présentés aux participants des ateliers qui les ont décrits comme très réalistes Il serait toutefois opportun d’étendre l’échantillon du sondage pour tenir compte de la diversité des organisations (taille, clientèle, missions). Il faudrait aussi recueillir l’opinion des autres, les « opérationnels » qui ne travaillent pas en planification stratégique, mais qui doivent « faire avec ». Enfin, quelques entretiens semi-directifs avec des ministres, des sous ministres et des députés ont permis de compléter les informations évaluatives. La description de la modernisation est fondée sur les publications du gouvernement et de l’Assemblée nationale. Une étude menée par une autre équipe de recherches (Côté (L.) et Charest (N.), « L’implantation de la Loi sur l’administration publique : le point de vue des acteurs », ENAP, Rapport de l’Observatoire de l’administration publique pour le SCT, sept. 2003,31 p.), a validé la quasi-totalité des opinions qui suivent.
-
[8]
Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
-
[9]
Herzog (Robert), « Le nouveau système budgétaire de l’État : vers une gestion publique performante », in Introduction à l’administration française, ENA — La Documentation française (coll. « Connaissance de l’administration française »), Paris, 2004, à paraître.
-
[10]
Il s’agit de la commission de l’administration publique. Devant l’ampleur de cette tâche, des discussions ont exploré, à l’automne 2003, la possibilité de donner plus d’importance aux commissions sectorielles comme le prévoit la loi française.
-
[11]
Paquin (Michel), Charih (M.), « La planification stratégique à Ottawa et à Québec », Administration publique du Canada, 1993, vol. 36, n° 2, p. 189.
-
[12]
LQ, c. I-4.1.
-
[13]
La Commission de l’administration publique a été créée par une modification du règlement de l’Assemblée nationale adoptée le 10 avril 1997.
-
[14]
Une UAS est formée d’une ancienne direction ministérielle demeurant sous l’autorité du sous-ministre, mais à qui est octroyée plus d’autonomie administrative et opérationnelle.
-
[15]
Résultats d’un sondage de l’Institut économique de Montréal, diffusé les 10 et 11 novembre 2003.
-
[16]
La première parution des « Bulletins de santé » des hôpitaux et CLSC du Québec a eu lieu à l’automne 2002 à l’initiative du ministre de la santé de l’époque, François Legault.
-
[17]
Gouvernement du Québec, Pour de meilleurs services aux citoyens : un nouveau cadre de gestion pour la fonction publique, 1999,60 p.
-
[18]
Thomas (Paul), « Au-delà des mots à la mode : faire face au changement dans le secteur public », Revue internationale des sciences administratives, vol. 62, n° 1,1996, p. 13.
-
[19]
Deschênes (Jean-Claude), « Les agences britanniques, source d’inspiration des modernisation administratives », Choix, vol. 2, n° 3, février 1996,37, p. 9-11.
-
[20]
Gouvernement du Québec, Pour de meilleurs services aux citoyens : un nouveau cadre de gestion pour la fonction publique, op. cit., p. IV.
-
[21]
Aucoin (Peter) et Heintzmann (R.), « La dialectique de l’imputabilité de la performance dans la réforme de l’administration publique » in Peters (G. B.) et Savoie (D.), La gouvernance au XXIe siècle : revitaliser la fonction publique, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2001, p. 181.
-
[22]
Mulgan, (R.), « Accountability : an Ever-expanding Concept ? », Public Administration, 2000, vol. 78, n° 3, p. 555.
-
[23]
Engstrom (John H.), Leon (E. Hay), Essentials of Accounting for Governmental and Not-For-Profit Organisation, Chicago, Irwin Book, MI, 1996, p. 333.
-
[24]
Côté (L.), Charest (N.), « L’Implantation de la loi sur l’administration publique : le point de vue des acteurs », op. cit., p. 3.
-
[25]
« Cela signifie l’amélioration des services et des politiques à travers un apprentissage continu, l’examen des alternatives et la prise de décision fondée sur le constat de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas. Cela signifie une bonne planification des activités, des décisions sur le meilleur moyen d’atteindre des résultats avec les ressources disponibles, un apprentissage continu, l’amélioration des programmes des politiques et des services, réactivité et responsabilité vis-à-vis des citoyens, du Parlement et des partenaires », Ulrich (M.), « Results-Based Management : the Canadian Experience », Commonwealth Innovations, 1999, vol. 5, n° 1, p. 10.
-
[26]
ENAP, Sondage auprès des représentants ministériels, janvier 2003.
-
[27]
Mintzberg (Henry), Bourgault (Jacques), Manager en public, Presses de l’Université de Toronto, CCG et IAPC, 2000, p. 361.
-
[28]
Ibid., p. 414.
-
[29]
En ce cas, que faire d’un plan qui toucherait des actions représentant seulement 30 % des crédits du ministère, parce qu’il ne s’intéresserait qu’aux activités nouvelles ? Dans ce cas, la cohérence entre le plan stratégique, le plan annuel de gestion des dépenses et le rapport annuel de gestion, pose rapidement problème. À la fin du cycle, comment remettre et justifier un rapport annuel de gestion exhaustif si les engagements de résultats ne touchent pas l’essentiel des activités du ministère, de l’organisation ou, à l’inverse, si les dépenses portent sur des activités qui n’apparaissent pas à la planification ?
-
[30]
Bourgault (Jacques), Planification stratégique : session avancée, ENAP, Direction des services aux organisations, septembre 2003,166 p.
-
[31]
Boyne (Georges), Gould-Williams (J.), « Planning and Performance in Public Organisations : an empirical analysis », op. cit., p. 129.
-
[32]
Côté (L.), Charest (N.), « L’implantation de la loi sur l’administration publique : le point de vue des acteurs », op. cit., p. 11.
-
[33]
Ansoff, (Harry Igor), McDonnell (E.), Implanting Strategic Management, Prentice-Hall. Englewood Cliffs, NJ, 1990, p. 147.
-
[34]
Ibid., p. 17.
-
[35]
Kepner (Robert), Vision in Action : Putting a Winning Strategy to Work, Simon and Schuster, New York, 1989,223 p.
-
[36]
Côté (L.), Charest (N.), « L’implantation de la loi sur l’administration publique : le point de vue des acteurs », op. cit., p. 22.
-
[37]
Bouckaert (Geert), « Measurement and Meaningful Management », Public Productivity and Management Review, 1993,17,1, p. 33.
-
[38]
Kepner (Robert), Vision in Action : putting a winning strategy to work, op. cit., p. 71.
-
[39]
Mintzberg (Henry), Grandeur et décadence de la planification stratégique, Paris, Dunod, 1994, p. 76-92.
-
[40]
Kaplan (Robert S.), Norton (D.), Comment utiliser le tableau de bord prospectif, Paris, Éd. d’Organisation, 2001, p. 393-396.
-
[41]
Ibid., p. 247.
-
[42]
Une des commissions de l’Assemblée nationale, nécessairement présidée par un député de l’opposition.
-
[43]
Côté (L.), Charest (N.), « L’implantation de la loi sur l’administration publique : le point de vue des acteurs », loc.cit., p. 13.
-
[44]
Mintzberg (Henry), Bourgault (Jacques), Manager en public, op. cit., p. 21.
-
[45]
Kaplan (Robert S.), Norton (D.), Comment utiliser le tableau de bord prospectif, op. cit., p. 391.
-
[46]
Bourgault (Jacques), Marsolais (I.), « Le suivi de la performance », Administration publique du Canada, automne 2002, vol. 45, n° 3, p. 364-388.
-
[47]
Côté (L.), Charest (N.), « L’implantation de la loi sur l’administration publique : le point de vue des acteurs », op. cit., p. 20.
-
[48]
Sauf pour les axes stratégiques qui semblent mal compris.
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[49]
Radin (Beryl A.), « A Comparative Approach to Performance Management : Contrasting the Experience of Australia, New Zealand and the United States public », International Journal of Public administration, 26,12, p. 1374.
-
[50]
Bureau du Vérificateur général, Rapport à l’Assemblée nationale pour l’année 1998-99, t. II, « La gestion par résultats : les conditions favorables à son implantation », Québec, nov. 1999, § 32-128.
-
[51]
« Dans l’organisation, la mission et la stratégie sont maintenant bien acceptées partout. Ce fut une occasion de réflexion profonde et de dégager un accord sur les valeurs, les enjeux, et les résultats. Elle a permis, chez nous, une exceptionnelle implication de tous les gestionnaires et surtout de la haute direction ».
-
[52]
Côté (L.), Charest (N.), « L’implantation de la loi sur l’administration publique : le point de vue des acteurs », op. cit., p. 3.
-
[53]
Ibid., p. 20.
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[54]
Ibid., p. 23.