Couverture de RFAP_108

Article de revue

Le personnel du ministère des finances sous la IVe république

Le cas des contrôleurs des dépenses engagées

Pages 565 à 576

Notes

  • [1]
    Carré de Malberg (Nathalie), Entre l’État et l’entreprise : les inspecteurs des finances d’une guerre à l’autre. Recrutement, carrière et filières d’accès à la direction des finances publiques et privées, thèse d’histoire, Paris X-Nanterre, 2001,3 volumes.
  • [2]
    Vies de percepteurs, fragments autobiographiques, morceaux choisis et commentés par Jumeau (Catherine), CHEFF, 2001,706 p.; morceaux choisis par Costes (Jean-François) des manuscrits autobiographiques des agents des impôts, CHEFF, 1200 p., à paraître; morceaux choisis par Poulain (Michel) des manuscrits autobiographiques des agents des douanes, CHEFF, à paraître.
  • [3]
    Quennouëlle (Laure), La direction du trésor 1947-1967. L’État banquier et la croissance, Paris, CHEFF, 2000,693 p.
  • [4]
    Terray (Aude), Des francs-tireurs aux experts. L’organisation de la prévision économique au ministère des finances 1948-1968, Paris, CHEFF, 2002,684 p.
  • [5]
    Tristram (Frédéric), La direction générale des impôts et la politique fiscale de 1948 à la fin des années 1960, thèse d’histoire en cours.
  • [6]
    La direction du budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur... ou témoin, Paris, CHEFF, 1998,864 p.
  • [7]
    Guillaume (Sylvie), « La direction du budget et Antoine Pinay », p. 43-58; Baruch (Marc Olivier), « Qui arbitre ? Les relations entre la direction du budget, les cabinets et la présidence du Conseil », p. 59-80; Carré de Malberg (Nathalie), « Les fonctionnaires du budget, le Parlement et la commission des finances de l’Assemblée nationale à travers les archives orales », p. 81-125.
  • [8]
    La comptabilité publique, continuité et modernité, Paris, CHEFF, 1995,558 p.
  • [9]
    Masquelier (Philippe), « Une volonté de réforme du système financier de la France : le cas de Gilbert Devaux, haut fonctionnaire au ministère des finances de 1930 à 1960 », Actes du colloque de la Société française de finances publiques, La formation des grands textes financiers, tenu les 16 et 17 mai 2003 à l’Université Paris X-Nanterre, à paraître à la Revue française de finances publiques.
  • [10]
    Castelnau (Anne de), Les administrations nationales face aux défis européens au XXe siècle, « Le SGCI de 1948 à 1965 », Colloque Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, septembre 2003, à paraître.
  • [11]
    Voir à ce titre les résultats très contrastés des concours autobiographiques réalisés auprès des agents du ministère des finances. Pour les douanes, Drelon (Jacques), Par le corps et la grenade, Paris, CHEFF, 2003, 370 p. Pour les impôts, Mathé (Yvonne), La longue marche d’une auxiliaire des impôts, Paris, CHEFF, 1998, 147 p. Pour la comptabilité publique, Py (Blanche), Mémoires d’une employée du trésor public, Paris, CHEFF, 1995,126 p. Voir aussi les trois volumes de « morceaux choisis » précités dont les manuscrits sont consultables au CHEFF.
  • [12]
    Kott (Sébastien), Le contrôle des dépenses engagées, évolutions d’une fonction, thèse droit public Paris X, CHEFF, à paraître.
  • [13]
    En témoigne la formule provocatrice utilisée par un pamphlétaire de la revue Bref dans le numéro du 6 avril 1946 : « Les contrôleurs des dépenses engagées sont ceux qui, dans les ministères supervisent les dépenses administratives. Souvent, ils se transforment en machines à signer et parapher. Parmi eux se trouvaient autrefois des inspecteurs des finances. Mais ces derniers s’étaient rapidement aperçus du peu d’intérêt de la fonction. C’est bon pour l’administration avaient-ils dit. Et l’administration centrale, reconnaissante, s’était précipitée sur ces rogatons. Désormais, les contrôleurs sont désignés parmi les chefs et sous-chefs de bureau. C’est la plèbe indiscutablement ».
  • [14]
    La qualification opérée est évidemment subjective. Sont dits « budgétaires » les agents ayant exercé une fonction au sein de la direction durant au moins 3 années avant leur détachement en qualité de contrôleurs. Il en va de même pour le terme « comptable ».
  • [15]
    À partir du décret du 23 janvier 1956, évoqué plus loin, les contrôleurs financiers centraux forment administrativement un corps.
  • [16]
    Le ministère des finances occupe alors l’aile Richelieu du Louvre.
  • [17]
    Kott (Sébastien), « Le contrôleur des dépenses engagées-contrôleur financier et la direction du budget : du contrôle au conseil », La direction du budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur... ou témoin, op. cit., p. 345-375.
  • [18]
    Kessler (Marie-Christine), Entretiens réalisés auprès des contrôleurs financiers en 1969, archives privées.
  • [19]
    Voir à ce titre les travaux de Carré de Malberg (Nathalie) sur le corps des inspecteurs des finances.
  • [20]
    Perron (Jean-Luc), « Le ministère des finances. Les avants postes », Pouvoirs, n° 53,1990, p. 37-53.
  • [21]
    Imprimerie nationale, Éléments de documentation relatif au contrôle des dépenses engagées, Paris, Imprimerie nationale, 1942.
  • [22]
    Entretiens avec Roger Goetze haut fonctionnaire des finances, texte présenté et annoté par Carré de Malberg (Nathalie), Paris, CHEFF, 1997, p. 255.
  • [23]
    Ibid., p. 257.
  • [24]
    Ibid., p. 260.
  • [25]
    Ibid., p. 260.
  • [26]
    Baruch (Marc Olivier), « Qui arbitre ? Les relations entre la direction du budget, les cabinets et la présidence du Conseil », La direction du budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur... ou témoin, op. cit., p. 59-79.
  • [27]
    Carré de Malberg (Nathalie), Entretiens avec Roger Goetze haut fonctionnaire des finances, op. cit., p. 255, note 1.
  • [28]
    Entretiens avec Roger Goetze haut fonctionnaire des finances, texte présenté et annoté par Nathalie Carré de Malberg, op. cit., p. 256.
  • [29]
    Schuman, Reynaud, Pineau, Petsche, Mayer, Faure, Pinay, Bourgès-Maunoury, Buron, Pfimlin, Lacoste, Ramadier, Gaillard.
  • [30]
    Dates de nomination des directeurs du budget sous la IVe République : Ferdinand-Didier Gregh : 27 août 1944; Roger Goetze : 1er septembre 1949; Gilbert Devaux : 1er janvier 1957.
  • [31]
    Sur le rôle majeur joué par le décret de 1956 dans l’histoire des finances publiques, voir : Bottin (Michel), Histoire des finances publiques, Paris, Économica, 1997,112 p.; Burckel (Valérie) et Crémier (Catherine de), Histoire de la comptabilité publique, Paris, Économica, 1997,112 p. Voir aussi l’incontournable étude coordonnée par Isaia (Henri) et Spindler (Jacques), Histoire du droit des finances publiques, tome 1, Paris, Économica, 1986,443 p.
  • [32]
    Les directions sont « rivales » dans la mesure où la direction du budget est créée, en 1919, à partir de la « grande » direction de la comptabilité publique. Voir La direction du budget entre doctrines et réalités 1919-1944, Actes de la journée d’étude tenue à Bercy le 10 septembre 1999, Paris, CHEFF, 2001,591 p.
  • [33]
    Masquelier (Philippe), « Une volonté de réforme du système financier de la France : le cas de Gilbert Devaux, haut fonctionnaire au ministère des finances de 1930 à 1960 », Actes du colloque de la Société française de finances publiques, La formation des grands textes financiers, tenu les 16 et 17 mai 2003 à l’Université Paris X-Nanterre, à paraître à la Revue française de finances publiques.
  • [34]
    M. Martial-Simon était « destiné » au poste de directeur. Il obtient la direction de la « C.P. » et succède ainsi à celui qui prend sa place...
  • [35]
    Tallineau (Lucile), « L’inspiration keynesienne du décret du 19 juin 1956 », La direction du budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur... ou témoin, op. cit., p. 163-185.
  • [36]
    Décret n° 56-81 du 23 janvier 1956 portant règlement d’administration publique relatif au statut particulier des contrôleurs financiers, JO du 24 janvier 1956, p. 826 et 827.
  • [37]
    « Le changement de titre de contrôleur des dépenses engagées en contrôleur financier s’est fait à la demande de l’association pour montrer que les contrôles ne s’exerçaient pas que sur les dépenses engagées, mais sur tout ce qui était financier et concernaient la gestion financière. Cela n’a rien changé au travail », Caussin (André), contrôleur financier, archives orales, CHEFF, cassette n° 5. André Caussin était en poste en 1956.
  • [38]
    Circulaire du 1er décembre 1956 relative à la comptabilité des engagements de dépenses afférentes aux opérations d’investissement, JO du 9 décembre 1956, p. 11782 à 11789.
  • [39]
    Kott (Sébastien), « Les prescriptions budgétaires et comptables au sein des grands textes financiers », Actes du colloque de la Société française de finances publiques, op. cit., à paraître.
  • [40]
    Voir à ce titre les archives orales constituées et conservées au CHEFF.
  • [41]
    Devaux (Gilbert), La comptabilité publique, Paris, P.U.F., 1957, p. 3-4.
  • [42]
    Les archives privées de Roger Goetze conservées au CHEFF permettent de détailler la composition de la direction du budget. L’organisation de la direction est relativement stable sous la IVe République. Elle comporte 4 sous-directions qui se décomposent en 12 bureaux de 1945 à 1955 puis 16 à partir de 1956. Des recoupements permettent d’envisager 86 agents en 1945 (SAEF B 48 374 note de la direction du personnel et du matériel) et 104 en 1950 (archives privées Roger Goetze). On note qu’il s’agit-là d’un effectif théorique, dit budgétaire, certainement supérieur à l’effectif réel.
  • [43]
    Devaux (Gilbert), La comptabilité publique, op. cit., p. 209-210.

1Depuis 1989, le Comité d’histoire économique et financière de la France (CHEFF) entreprend la constitution d’une histoire du ministère des finances. Le projet est vaste. Il concerne plusieurs champs et permet la rencontre de plusieurs disciplines. Si l’étude historique est prépondérante, elle est complétée par les travaux d’économistes et de juristes. S’agissant d’une administration aux missions multiples, l’approche sectorielle a permis l’éclosion de sous-projets pertinents puisqu’ils constituent autant de lieux de rencontre entre les missions et les différentes administrations. Les travaux permettent une approche organique autant qu’une approche matérielle de l’administration financière.

2Les questions de personnel apparaissent spontanément. Elles génèrent parfois des études propres. Le travail de Nathalie Carré de Malberg relatif aux inspecteurs des finances est une référence en ce qui concerne l’histoire du personnel du ministère [1]. Il est prolongé pour les directions de la comptabilité publique, des impôts et des douanes par les études de Catherine Jumeau, Jean-François Costes et Michel Poulain [2].

3À travers les études sectorielles réalisées on voit souvent poindre les questions de personnel. Les travaux de Laure Quennouëlle [3] et Aude Terray [4] relatifs respectivement à la direction du trésor et à la généalogie de la direction de la prévision du ministère des finances abordent cette question. Une étude sur la direction générale des impôts est actuellement en cours [5]. Sur la période, la direction du budget a fait l’objet d’une journée d’étude spécifique [6]. Les actes comportent plusieurs études dédiées au problème du personnel et à ses relations avec la décision [7]. Un colloque consacré à la direction générale de la comptabilité publique [8] permet de brosser à grands traits les enjeux majeurs auxquels faisaient face les comptables après la Seconde Guerre mondiale, ce travail est complété par les travaux de Philippe Masquelier portant plus particulièrement sur la personne et l’œuvre de son directeur phare durant la période : Gilbert Devaux [9].

4Les études sectorielles réalisées abordées sous l’angle de leur personnel, révèlent un écueil méthodologique. Il convient de distinguer deux types de directions au sein du ministère des finances. Les directions d’état-major comportent un effectif resserré au sein duquel la proportion de cadres est relativement forte. À l’inverse, les directions opérationnelles affichent des effectifs très importants dont la répartition par catégorie d’agents est largement pyramidale. Les trois directions du ministère les plus importantes en terme d’effectifs sont la direction générale des douanes, la direction générale des impôts et la direction de la comptabilité publique. Au-delà de l’approche sectorielle d’un ministère dont les missions sont diverses, peut-on envisager d’étudier dans sa globalité le personnel d’une direction comptant des milliers d’agents ? Doit-on distinguer l’étude des hauts fonctionnaires de l’étude de la base d’une direction ? Posée en d’autres termes, la question devient d’autant plus préoccupante. Qui met en œuvre les décisions politiques au sein d’une direction, le directeur et ses proches ou les agents qui l’exécutent ? Quelle est la marge de manœuvre des agents et comment sont-ils susceptibles de freiner les orientations décidées à la tête ? À l’inverse, il existe des « petites » directions par la taille. Au sein de ces directions, les hauts fonctionnaires sont en prise directe avec la décision et l’action. Outre les directions du budget, du trésor et de la prévision déjà mentionnées, on peut considérer que le Secrétariat général de coordination interministérielle (SGCI) se trouve dans ce cas. Le SGCI est une administration de mission, une toute petite cellule rattachée directement au Président du Conseil, dépendant administrativement du ministère des finances. On y trouve une densité de hauts fonctionnaires assez exceptionnelle [10]. Ce problème méthodologique trouve une résonance particulière au niveau des sources. Si l’on envisage l’administration comme une entité dévouée et dédiée à l’action de son directeur, les sources traditionnelles semblent suffisantes. Les archives du ministère des finances constituent des travaux préparatoires dont les orientations sont validées ou invalidées par les actes réglementaires et les résultats observés sur le terrain. Les archives administratives permettent d’évaluer de façon satisfaisante le degré d’initiative des fonctionnaires. Mais si l’on envisage l’administration dans sa diversité, du directeur à l’agent de constatation, du cabinet à la brigade de vérification, le problème des sources devient double. Tout d’abord la multiplication des actes administratifs quotidiens amoindrit la fiabilité de l’étude. Ensuite les travaux récents confirment certains soupçons : la base n’a-t-elle pas tendance à dire ce que la tête souhaite entendre ? Pour compléter et déchiffrer cette multitude de pièces, les concours autobiographiques constituent une aide précieuse. On y découvre les codes internes à chaque service, les pratiques régionales, l’évolution des mentalités. Des éléments aussi riches apporteront nécessairement des renseignements précieux [11].

5À l’inverse, et malgré les difficultés évoquées pour les directions aux gros effectifs, l’étude des directions plus légères s’est spontanément intéressée aux questions de personnel. L’évolution de la qualité de la formation des agents, la réception de la technique à travers la mécanisation des services, l’adaptation à un environnement changeant et bien évidemment la recherche d’efficacité dans l’action, constituent autant d’axes d’étude. Il s’agit bien de constater la mutation de l’État et de se poser la question de sa réforme. Les fonctionnaires accompagnent-ils ou génèrent-ils la réforme de l’État ? Les fonctionnaires du ministère des finances définissent-ils ou appliquent-ils les politiques publiques ?

6À ce titre, le contrôle des dépenses engagées semble un lieu d’observation intéressant. Le contrôle des dépenses engagées est une procédure budgétaire originale. Il s’agit d’un contrôle financier, administratif et préalable. Le contrôle est financier en ce qu’il concerne les mouvements financiers effectués par les différentes administrations dépendant de l’État, autant en recette qu’en dépense. Il est administratif car exercé par des fonctionnaires, dans un premier temps recrutés au sein des administrations concernées et à partir de la Première Guerre mondiale au sein du ministère des finances. Il est préalable car le contrôleur intervient avant l’engagement juridique, avant que l’État ne soit juridiquement lié c’est-à-dire avant que la dépense (ou la recette) devienne en quelque sorte inéluctable. Le contrôleur se prononce entre le moment ou une proposition (de recette ou de dépense) est préparée par les services administratifs et le moment ou cette proposition acquiert une force juridique par la signature de la personne compétente (le ministre ordonnateur ou une personne régulièrement habilitée). Il s’agit donc d’un acte administratif qui intervient au plus près de la décision politique et qui possède la particularité de pouvoir l’entraver. La fonction apparaît avec l’article 59 de la loi du 29 décembre 1890. Après quelques tâtonnements elle est codifiée par la loi du 10 août 1922. Cette loi n’a subi que des adaptations de circonstances et perdure jusqu’à la loi organique du 1er août 2001. Sous la IVe République, la fonction est bien établie, elle est rodée et n’évolue pas [12]. Pour autant elle n’est pas complètement figée et ce sont bien des questions de personnel qui offrent alors l’actualité intéressante. Les contrôleurs des dépenses engagées deviennent contrôleurs financiers avec le décret du 23 janvier 1956.

7Pourquoi avoir substitué le terme de contrôleur financier à celui de contrôleur des dépenses engagées ? Quelle signification doit-on accorder à cette modification ?

8La IVe République est évidemment une période d’accélération des mutations administratives. Le corps de contrôleurs des dépenses engagées offre-t-il une illustration du phénomène ? Observe-t-on une transformation de la composition du corps qui permettrait d’envisager une modernisation de la fonction par un renouvellement du personnel ? La IVe République est aussi symptomatique de l’opposition entre les sphères politiques et administratives. Est-ce que les enjeux de personnel permettent de caractériser l’émergence de l’administratif dans le champ du politique ?

LES CONTRÔLEURS DES DÉPENSES ENGAGÉES SOUS LA IVe RÉPUBLIQUE

9Les contrôleurs des dépenses engagées constituent un corps assez restreint au sein d’une petite direction du ministère des finances. Ce sont à la fois des cadres et des agents de terrain. Ces hauts fonctionnaires travaillent au sein des ministères contrôlés. Agents des finances, ils encadrent un personnel mis à leur disposition par le ministère dit à l’époque « dépensier ». Est-ce l’évolution des contrôleurs qui justifie le changement de titre ?

Les hommes dans le corps

10Durant la IVe République, on dénombre 51 contrôleurs des dépenses engagées. En très grande majorité, les contrôleurs intègrent l’administration par le concours de rédacteur du ministère des finances. Ce concours était réservé aux candidats titulaires du baccalauréat. La population étudiée se compose pourtant de licenciés en droit et d’étudiants de l’École libre des sciences politiques. Dans certains cas, les candidats sont docteurs en droit. On note que les rangs de sortie des contrôleurs sont bons. Les candidats sont généralement classés dans les 10 premiers, voire dans les 15 premiers pour les moins bien lotis. Sur la population de contrôleurs, 10 ne sont pas des rédacteurs. Issus des grands corps, ils se répartissent également : 5 inspecteurs des finances et 5 membres de la Cour des comptes. Les grands corps semblent se détourner de la fonction [13]. Les parcours des agents issus de la Cour ou de l’inspection qui intègrent le contrôle sont en fait assez atypiques. Les motifs qui guident les choix sont très certainement peu liés à l’évolution de la carrière. Ils tiennent vraisemblablement de considérations géographiques, quand ils dépendent des agents. Le poste de contrôleur des dépenses engagées est situé à Paris, dans les locaux du ministère concerné. On conçoit qu’il puisse être attirant pour un agent en fin de carrière. En ce qui concerne les fonctionnaires du ministère des finances, le poste de contrôleur représente un débouché plus qu’honorable et vraisemblablement assez recherché. Les postes confient une relative autonomie hiérarchique. Le premier ancien élève de l’ENA à accéder à la fonction est Maurice Zulke, qui intègre le contrôle financier central en 1958. La même année un rédacteur du concours 1936, un de 1938, un de 1939 et un de 1941 l’accompagnent.

11Quand ils sont issus des rangs de l’administration des finances, les agents sont-ils tous issus de la direction du budget ? Avec quelle « culture » les agents accèdent-ils au poste de contrôleur ? Pour une très grande majorité d’agents, les dossiers de personnel permettent de reconstituer les carrières. Il en va ainsi pour 46 agents des 51 contrôleurs actifs sous la IVe République. Outre les 10 personnes issues des grands corps, on dénombre 20 budgétaires, 6 comptables [14] et 8 agents ayant effectué une bonne partie de leur carrière au sein du ministère des finances (ils viennent généralement d’autres directions du ministère des finances : dette inscrite, mouvement général des fonds/trésor). Dans deux cas seulement, les agents viennent d’une autre administration (affaires étrangères et marine).

Tableau 1

Origine des contrôleurs ayant exercé la fonction sous la IVe République

Tableau 1
Tableau 1 – Origine des contrôleurs ayant exercé la fonction sous la IVe République Origine Nombre Rapport Indéterminés 5 Non compris Budgétaires 20 44 % 74 %Comptables 6 13 % Autres directions du ministère des finances 8 17 % Grands corps 10 22 % Autres administrations 2 4 %

Origine des contrôleurs ayant exercé la fonction sous la IVe République

12L’origine de la population évolue-t-elle avec le temps ? Peut-on distinguer le type de contrôleur suivant sa date d’entrée en fonction ? Les contrôleurs nommés avant la IVe République mais exerçant leurs fonctions après 1946 révèlent-ils une origine différente ? L’échantillon observé comporte 18 agents et les chiffres n’évoluent pas sensiblement. Le recrutement sur la période semble relativement homogène. Ces données sont confirmées par la répartition des contrôleurs en fonction de leur origine administrative sous la IVe République, soit 33 personnes.

Tableau 2

Origine des contrôleurs suivant leur date d’entrée en fonction

Tableau 2
Tableau 2 – Origine des contrôleurs suivant leur date d’entrée en fonction Origine Recrutés avant 1946 Recrutés entre 1946 et 1958 Indéterminés 1 Non compris 4 Non compris Budgétaires 7 42 % 13 45 % Comptables 2 12 % 4 14 % Autres directions du ministère des finances 5 29 % 3 10 % Grands corps 3 17 % 7 24 % Autres administrations 0 0 % 2 7 %

Origine des contrôleurs suivant leur date d’entrée en fonction

13Les derniers entrants manifestent-ils un désir de rénovation du personnel ? Les 12 agents recrutés pour exercer la fonction à partir de 1956 ne s’écartent pas des chiffres moyens et confirment un recrutement reposant en grande partie sur la direction du budget mais ouvert aux autres cadres du ministère.

Les hommes et le corps

14Les contrôleurs forment un corps relativement homogène [15]. Ils sont constitués en très grande partie de fonctionnaires du ministère des finances dont le grade est assimilé à celui de directeur. On ne peut pas pour autant admettre une unité de leur recrutement. Ce dernier est à la fois espacé dans le temps et ouvert au sein de l’administration centrale de la rue de Rivoli [16].

15Le poste de contrôleur des dépenses engagées n’offre généralement pas de débouché. Il est un débouché [17]. Ainsi, sur les 51 contrôleurs en fonction sous la IVe République, 32 font valoir leur droit à la retraite à l’issue de leur détachement. Le temps moyen passé au contrôle est important, douze ans et demi pour la période considérée. De ce fait, le renouvellement des effectifs est assez lent, les recrutements peu fréquents et il semble impossible pour le ministère des finances d’envisager une réelle politique de gestion du personnel. Les places se libèrent lors d’un départ à la retraite. On les propose à des hauts fonctionnaires désireux de rester à Paris et qui n’ont pu accéder à un poste de directeur d’administration centrale. Dès lors, il semble difficile de constituer un corps au sens sociologique du terme. Les travaux de Marie-Christine Kessler vont dans ce sens. Les approches du métier sont par trop différentes [18]. Par ailleurs, l’esprit de corps se caractérise aussi par un langage commun [19], or ce langage ne saurait exister chez des agents dont le recrutement est aussi éclaté dans le temps et dans l’espace. En outre, les contrôleurs sont en fait relativement isolés. Ils sont à la fois proches de la direction du budget et éloignés de celle-ci. Si leur situation géographique facilite indéniablement les contacts, ils ne partagent que peu les préoccupations des agents de la rue de Rivoli. Le contrôle est tourné vers l’exécution là ou la direction travaille plutôt sur la préparation du budget. Si elle existe, la « culture budget » ne les concerne vraisemblablement pas. Inversement, et ce n’est pas un paradoxe, ils concourent à forger l’image de la direction du budget. Ils en sont les fers de lance, les avant-postes [20]. Une chose est certaine, ils représentent bel et bien la direction au sein des ministères dépensiers.

16Là encore il convient d’opérer une distinction. La fonction de chaque contrôleur dépend étroitement de l’administration au sein de laquelle il exerce sa mission. Les modalités d’action des ministères sont très différentes. La maîtrise d’ouvrage, la subvention, ou la gestion de personnels n’entraînent pas les mêmes conséquences en terme de contrôle. Il convient de nommer un spécialiste des marchés publics au sein de ministères comme l’équipement et un spécialiste des questions de personnel à l’éducation nationale. De surcroît, certains ministères ne tolèrent qu’une très faible intrusion du ministère des finances dans leurs comptabilités administratives. Ainsi, le ministère de la défense nationale utilise-t-il au maximum de ses capacités la notion de secret militaire qui lui permet de ne transmettre que le volet strictement comptable des dossiers. Cette propension à ne pas détailler la dépense est d’autant plus forte que la IVe République est une intense période d’opérations militaires. Ainsi, du point de vue du contrôle, les missions sont très hétérogènes, ce qui rend difficile la communication entre les contrôleurs dont les âges et les origines sont multiples.

17En outre, lors de leur entrée en fonction les contrôleurs des dépenses engagées ne bénéficient pas d’une formation spécifique. Cette formation permettrait une uniformisation des procédures et une forme de transmission de culture orale. Cette transmission n’existe que de façon partielle. Les contrôleurs bénéficient d’une documentation technique de base. Cette Documentation à l’usage des contrôleurs des dépenses engagées fut rédigée en 1941 et publiée en 1942 [21]. Elle ne semble pas avoir bénéficié de mise à jour durant la période étudiée. Le terme « documentation » doit s’entendre dans son acception technique ou administrative. Il s’agit d’un recueil de textes législatifs ou réglementaires concernant la tenue de la comptabilité des dépenses engagées. L’ouvrage n’a pas de vocation didactique.

LA LOGIQUE DE DIRECTION ET LES ENJEUX DE PERSONNEL

18Les contrôleurs des dépenses engagées se situent au cœur de la mutation des finances publiques dans les années cinquante. Les années de la IVe République marquent une accélération de la modernisation de l’administration. Cette modernisation rime largement avec développement de la technique, suivant un double mouvement — mécanisation des services, montée en puissance de l’expertise de ses agents — auquel participe largement le ministère des finances. Dans un contexte qui laisse une place à l’expression de la décision administrative, l’apparition formelle d’un corps d’experts dénote-t-elle une volonté politique de l’administration ? Cette volonté peut-elle être autonome ?

La stabilité à la tête de la direction du budget

19La direction du budget occupe une place centrale et convoitée au sein de l’administration de l’État. De l’aveu un peu imprudent de son directeur : « La direction du budget, c’est le patron de l’administration ! Il n’y a pas de questions ! Il faut bien l’admettre. Toutefois, les choses ont beaucoup changé depuis le temps où j’y étais » [22]. Il ne faut pas pour autant en déduire que le pouvoir appartient à l’administration. « C’est le ministre qui a forcément raison. Il ne peut pas en être autrement » [23]. Et quand Nathalie Carré de Malberg demande confirmation (« d’une manière générale, un directeur, en fait, applique dans n’importe quelle occasion la politique décidée par son ministre ? ») [24], l’ancien directeur du budget acquiesce : les rôles sont établis clairement [25]. Ainsi, en dépit de (et certainement grâce à) sa stabilité, le directeur du budget pose comme allant de soi sa sujétion au décideur politique [26]. Cependant, cette sujétion ne l’empêche pas de revendiquer un rôle actif, de l’ordre du conseil, dans la décision. Un haut fonctionnaire en place depuis longtemps maîtrise en effet son administration et bénéficie d’un grand crédit auprès de son ministre. Si la décision appartient formellement au politique, elle résulte vraisemblablement d’un dialogue au cours duquel l’administration intervient. Cette intervention s’effectue alors directement du directeur à son ministre. Le contrôle des dépenses engagées joue alors le rôle de relais, de courroie de transmission ou de bras armé du directeur selon les circonstances. Les contrôleurs deviennent les yeux et les oreilles de la direction sur le terrain. Ils participent de ce fait au processus d’élaboration de la décision sans prendre formellement part à celle-ci.

20Progressivement, un filtre apparaît et s’établit, le cabinet du ministre, dont le jeu est ambigu : politique par essence, le cabinet est souvent administratif par composition. Nathalie Carré de Malberg en décrit ainsi la composition et le mode de fonctionnement : « La participation massive des fonctionnaires dans les cabinets ne date pas de la Ve République, et n’a fait que se renforcer (60 % en 1914,80 % en 1936,90 % en 1975) depuis le début du siècle. La direction du budget, notamment, a toujours délégué un de ses membres, au moins, dans le cabinet du ministre des finances, au secrétariat d’État au budget lorsqu’il y en a un, à la Présidence du Conseil et parfois dans d’autres ministères » [27]. Il convient toutefois de distinguer les ministères forts et homogènes (comme les finances) des ministères à faible structure administrative. Au sein des premiers, le cabinet fait face à un front uni dont il semble difficile de se passer — comme le confirme Roger Goetze : « À mon époque, le cabinet jouait son rôle politique mais il ne faisait pas prendre de lui même les décisions au ministre sur les questions de trésorerie ou de budget sans en avoir prévenu la direction du budget et du trésor » [28].

21L’instabilité politique de la IVe République est facteur de perte d’adhérence des gouvernants sur la décision. On sait que cette instabilité n’est que relative dans la mesure où le renouvellement du personnel politique s’effectue au sein de groupes parlementaires stables. Treize ministres des finances se succèdent au sein des 24 gouvernements de la IVe République [29]. Le rythme est ralenti entre 1949 et 1957 puisque 7 ministres (seulement) ont Roger Goetze pour interlocuteur à la tête de la direction du budget. On sait aussi que l’instabilité politique déteint, dans certains cas, sur l’administration. Elle peut s’accompagner d’un mouvement de personnel. Ce mouvement est nécessaire au niveau des cabinets, il peut se propager jusqu’au niveau des directeurs. Tel n’est toutefois pas le cas au ministère des finances.

22À la Libération, Gregh devient directeur du budget. Il succède à Dagnicourt atteint par une balle perdue au balcon de son bureau de la rue de Rivoli en août 1944 [30]. Didier Gregh est à la tête de la direction du budget pendant 5 années. Roger Goetze prend le poste en 1949, il sera le directeur du budget de la IVe République. Cette dénomination lui convient à un double titre. Roger Goetze exerce une direction importante tant en ce qui concerne la durée de sa présence que sa qualité. Tout d’abord, il dirige l’administration pendant 8 années d’un régime qui en compte douze. Ensuite, il est l’auteur du décret du 19 juin 1956 déterminant le mode de présentation du budget de l’État. Ce texte majeur préfigure l’ordonnance organique du 2 janvier 1959 et intègre des données politico-économiques au droit des finances publiques [31]. Le décret de 1956 ancre le droit des finances publiques dans la politique interventionniste de l’État. Quand Roger Goetze quitte son poste de directeur du budget, son successeur est Gilbert Devaux. À la tête de la direction de la comptabilité publique (CP) depuis 1947, celui-ci était le pendant, par sa longévité, de Roger Goetze au sein de la direction rivale [32]. Son passage à la direction du budget est sujet à controverses [33]. Gilbert Devaux prend la tête d’une direction dont il n’est pas issu, et empêche de ce fait le mouvement « naturel » d’avancement et de promotion interne [34] — qu’avait déjà contribué à freiner la durée du mandat de Roger Goetze.

Le choc des cultures à la tête de la direction

23Roger Goetze accompagne et participe à la modernisation des finances publiques. Sa grande œuvre, le décret du 19 juin 1956, réforme le mode de présentation du budget de l’État. Il intègre une dimension économique caractéristique d’un certain environnement intellectuel [35]. La culture financière promue par Roger Goetze trouve une illustration au niveau du contrôle des dépenses engagées. Par le décret du 23 janvier 1956 [36], les contrôleurs des dépenses engagées deviennent contrôleurs financiers. Ce changement de titre s’accompagne de la création du corps. Le terme de contrôleur des dépenses engagées est changé pour deux raisons. La première est de pure forme : le terme est devenu impropre depuis l’adoption de l’article 147 de la loi du 13 juillet 1911. Cette disposition fait du contrôle des dépenses engagées un contrôle des dépenses à engager. La subtilité réside dans le caractère a priori du contrôle et non plus simplement « préalable ». La dépense n’est plus engagée juridiquement quand le contrôleur intervient. Le contrôle porte sur l’acte qui tend à l’engager. La seconde raison est la cause directe de cette modification. Le changement de titre est intervenu à la demande des contrôleurs qui souhaitaient par-là que soit reconnue leur mission de conseil au même titre que leur mission de contrôle [37].

24Cette revendication rencontre évidemment un écho favorable au sein de la direction. On en trouve une trace au sein de la circulaire du 1er décembre 1956 [38] relative à la comptabilité des engagements de dépenses afférentes aux opérations d’investissement. Le contrôleur financier apparaît très en amont dans le processus de la dépense publique et surtout n’est plus considéré comme un comptable. Le titre V relatif à la comptabilité des engagements de dépenses ne le mentionne pas ; c’est au contraire à l’ordonnateur qu’incombe la tâche de tenir sa comptabilité des engagements de dépenses. Le directeur et son administration sont ainsi en phase avec leur environnement intellectuel.

25Quand Gilbert Devaux prend la tête de la direction du budget, il tente d’y réaffirmer une « culture comptable ». Il se situe de ce fait manifestement à contre courant de la « culture budget » [39]. Il s’agit-là d’un exemple flagrant de « choc des cultures ». D’un côté, une culture budget, par essence tournée vers la prévision et par obligation imprégnée de considérations politiques. D’un autre côté, une culture comptable, par essence tournée vers l’exécution et par obligation dégagée de toute considération politique. Du point de vue des agents de la direction du budget, la direction de Devaux n’a pas laissé de bons souvenirs : son passage est au mieux éludé, au pire considéré comme un échec par un grand nombre d’entre eux [40]. Pourtant les deux postes de directeurs du budget et de la comptabilité publique sont administrativement équivalents et Devaux reste considéré comme un « grand » directeur de la comptabilité publique. Mais les directions sont fondamentalement différentes. La CP est une très lourde direction opérationnelle, qui compte aux alentours de trente mille agents [41]. À l’inverse la direction du budget est une petite direction d’état-major, formée d’une large centaine d’agents sous la IVe République [42]. Quelques témoignages permettent de penser que l’homme n’est pas parvenu à intégrer cette différence fondamentale dans sa façon de diriger ses collaborateurs ; le directeur n’est alors en phase, ni avec son administration, ni avec son environnement.

26Dès lors, la nomination d’un comptable à la tête de la direction du budget n’influera qu’à la marge sur les événements. Deux témoignages subsistent de ce « choc des cultures » : le premier réside en l’ouvrage de Gilbert Devaux, La comptabilité publique, rédigé en 1957, le second est l’article 16 de l’ordonnance du 2 janvier 1959 dans lequel on note clairement la place prépondérante faite à la notion de compte (« le budget est constitué par l’ensemble des comptes qui décrivent, pour une année civile, toutes les ressources et toutes les charges permanentes de l’État »). Malgré son parcours et son approche très claire des enjeux juridiques, Gilbert Devaux ne parvient pas à infléchir le cours des choses. Les contrôleurs des dépenses engagées devenus contrôleurs financiers s’orientent de plus en plus vers l’analyse et l’expertise et s’éloignent de l’acception juridico-comptable de leur mission. G. Devaux le regrette et le dénonce; « Enfin la tolérance devenait une sorte de “ procédure administrative ”, comme s’il était possible, avec l’accord du ministre des finances, de déroger à un acte réglementaire ou de dépasser une limite prévue par la loi » [43]. Si les contrôleurs s’éloignent de la vérification pour se rapprocher de l’expertise, ils ne sortent cependant pas du cadre strictement administratif qui est le leur. Il n’est ni de leur ressort, ni de leur prérogative de s’opposer à l’opportunité des décisions des ministres dont ils contrôlent les services. Pour autant, le contrôle ne se contentera plus d’enregistrer des écritures comptables, il intègre une pensée financière à l’époque symbole de modernité.

27La question posée ici aurait pu être résumée en celle de la signification du changement d’intitulé de contrôle des dépenses engagées en contrôle financier. La composition du corps des contrôleurs financiers ne varie pas suffisamment au cours de la IVe République pour justifier une approche différente de la mission à travers l’évolution de ses acteurs. La réception d’un personnel de formation supérieure est trop tardive pour exercer la moindre influence. En tout état de cause, les premiers anciens élèves de l’École nationale d’administration apparaissent dans le corps des contrôleurs financiers. Le recrutement de la Ve République ouvrira largement mais non exclusivement la porte aux administrateurs civils sortis de l’ENA. Le poste restera de surcroît ouvert aux « non budgétaires ».

28C’est donc vers l’approche de la fonction par l’administration qu’il faut se tourner. Cette dernière dépend de la personnalité du contrôleur, de la conception qu’il se fait de sa mission. On en trouve les premières traces dans l’entre-deux guerres et la concrétisation en 1956. La demande politique adressée à l’administration tend vers l’expertise. C’est dans ce contexte que l’approche « financière » de la mission de la direction du budget, portée par Roger Goetze, concourt à l’épanouissement de la fonction de contrôle des dépenses engagées. Le mouvement est alors trop marqué pour être réversible. Malgré sa forte personnalité, Gilbert Devaux ne parvient pas à refaire des contrôleurs financiers des contrôleurs de la stricte exécution comptable. Ils sont et resteront des experts financiers au sein d’une direction du budget décrite comme omniprésente du fait de sa capacité d’expertise. La « financiarisation » de la direction du budget et de ses agents, entendue comme sa vocation à devenir un outil financier au-delà de son rôle comptable, est une réalité qui dépasse la volonté de ses directeurs. Si les réformes des années cinquante sont formellement l’œuvre des fonctionnaires, elles correspondent manifestement aux souhaits des décideurs politiques.


Date de mise en ligne : 01/11/2006

https://doi.org/10.3917/rfap.108.0565

Notes

  • [1]
    Carré de Malberg (Nathalie), Entre l’État et l’entreprise : les inspecteurs des finances d’une guerre à l’autre. Recrutement, carrière et filières d’accès à la direction des finances publiques et privées, thèse d’histoire, Paris X-Nanterre, 2001,3 volumes.
  • [2]
    Vies de percepteurs, fragments autobiographiques, morceaux choisis et commentés par Jumeau (Catherine), CHEFF, 2001,706 p.; morceaux choisis par Costes (Jean-François) des manuscrits autobiographiques des agents des impôts, CHEFF, 1200 p., à paraître; morceaux choisis par Poulain (Michel) des manuscrits autobiographiques des agents des douanes, CHEFF, à paraître.
  • [3]
    Quennouëlle (Laure), La direction du trésor 1947-1967. L’État banquier et la croissance, Paris, CHEFF, 2000,693 p.
  • [4]
    Terray (Aude), Des francs-tireurs aux experts. L’organisation de la prévision économique au ministère des finances 1948-1968, Paris, CHEFF, 2002,684 p.
  • [5]
    Tristram (Frédéric), La direction générale des impôts et la politique fiscale de 1948 à la fin des années 1960, thèse d’histoire en cours.
  • [6]
    La direction du budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur... ou témoin, Paris, CHEFF, 1998,864 p.
  • [7]
    Guillaume (Sylvie), « La direction du budget et Antoine Pinay », p. 43-58; Baruch (Marc Olivier), « Qui arbitre ? Les relations entre la direction du budget, les cabinets et la présidence du Conseil », p. 59-80; Carré de Malberg (Nathalie), « Les fonctionnaires du budget, le Parlement et la commission des finances de l’Assemblée nationale à travers les archives orales », p. 81-125.
  • [8]
    La comptabilité publique, continuité et modernité, Paris, CHEFF, 1995,558 p.
  • [9]
    Masquelier (Philippe), « Une volonté de réforme du système financier de la France : le cas de Gilbert Devaux, haut fonctionnaire au ministère des finances de 1930 à 1960 », Actes du colloque de la Société française de finances publiques, La formation des grands textes financiers, tenu les 16 et 17 mai 2003 à l’Université Paris X-Nanterre, à paraître à la Revue française de finances publiques.
  • [10]
    Castelnau (Anne de), Les administrations nationales face aux défis européens au XXe siècle, « Le SGCI de 1948 à 1965 », Colloque Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, septembre 2003, à paraître.
  • [11]
    Voir à ce titre les résultats très contrastés des concours autobiographiques réalisés auprès des agents du ministère des finances. Pour les douanes, Drelon (Jacques), Par le corps et la grenade, Paris, CHEFF, 2003, 370 p. Pour les impôts, Mathé (Yvonne), La longue marche d’une auxiliaire des impôts, Paris, CHEFF, 1998, 147 p. Pour la comptabilité publique, Py (Blanche), Mémoires d’une employée du trésor public, Paris, CHEFF, 1995,126 p. Voir aussi les trois volumes de « morceaux choisis » précités dont les manuscrits sont consultables au CHEFF.
  • [12]
    Kott (Sébastien), Le contrôle des dépenses engagées, évolutions d’une fonction, thèse droit public Paris X, CHEFF, à paraître.
  • [13]
    En témoigne la formule provocatrice utilisée par un pamphlétaire de la revue Bref dans le numéro du 6 avril 1946 : « Les contrôleurs des dépenses engagées sont ceux qui, dans les ministères supervisent les dépenses administratives. Souvent, ils se transforment en machines à signer et parapher. Parmi eux se trouvaient autrefois des inspecteurs des finances. Mais ces derniers s’étaient rapidement aperçus du peu d’intérêt de la fonction. C’est bon pour l’administration avaient-ils dit. Et l’administration centrale, reconnaissante, s’était précipitée sur ces rogatons. Désormais, les contrôleurs sont désignés parmi les chefs et sous-chefs de bureau. C’est la plèbe indiscutablement ».
  • [14]
    La qualification opérée est évidemment subjective. Sont dits « budgétaires » les agents ayant exercé une fonction au sein de la direction durant au moins 3 années avant leur détachement en qualité de contrôleurs. Il en va de même pour le terme « comptable ».
  • [15]
    À partir du décret du 23 janvier 1956, évoqué plus loin, les contrôleurs financiers centraux forment administrativement un corps.
  • [16]
    Le ministère des finances occupe alors l’aile Richelieu du Louvre.
  • [17]
    Kott (Sébastien), « Le contrôleur des dépenses engagées-contrôleur financier et la direction du budget : du contrôle au conseil », La direction du budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur... ou témoin, op. cit., p. 345-375.
  • [18]
    Kessler (Marie-Christine), Entretiens réalisés auprès des contrôleurs financiers en 1969, archives privées.
  • [19]
    Voir à ce titre les travaux de Carré de Malberg (Nathalie) sur le corps des inspecteurs des finances.
  • [20]
    Perron (Jean-Luc), « Le ministère des finances. Les avants postes », Pouvoirs, n° 53,1990, p. 37-53.
  • [21]
    Imprimerie nationale, Éléments de documentation relatif au contrôle des dépenses engagées, Paris, Imprimerie nationale, 1942.
  • [22]
    Entretiens avec Roger Goetze haut fonctionnaire des finances, texte présenté et annoté par Carré de Malberg (Nathalie), Paris, CHEFF, 1997, p. 255.
  • [23]
    Ibid., p. 257.
  • [24]
    Ibid., p. 260.
  • [25]
    Ibid., p. 260.
  • [26]
    Baruch (Marc Olivier), « Qui arbitre ? Les relations entre la direction du budget, les cabinets et la présidence du Conseil », La direction du budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur... ou témoin, op. cit., p. 59-79.
  • [27]
    Carré de Malberg (Nathalie), Entretiens avec Roger Goetze haut fonctionnaire des finances, op. cit., p. 255, note 1.
  • [28]
    Entretiens avec Roger Goetze haut fonctionnaire des finances, texte présenté et annoté par Nathalie Carré de Malberg, op. cit., p. 256.
  • [29]
    Schuman, Reynaud, Pineau, Petsche, Mayer, Faure, Pinay, Bourgès-Maunoury, Buron, Pfimlin, Lacoste, Ramadier, Gaillard.
  • [30]
    Dates de nomination des directeurs du budget sous la IVe République : Ferdinand-Didier Gregh : 27 août 1944; Roger Goetze : 1er septembre 1949; Gilbert Devaux : 1er janvier 1957.
  • [31]
    Sur le rôle majeur joué par le décret de 1956 dans l’histoire des finances publiques, voir : Bottin (Michel), Histoire des finances publiques, Paris, Économica, 1997,112 p.; Burckel (Valérie) et Crémier (Catherine de), Histoire de la comptabilité publique, Paris, Économica, 1997,112 p. Voir aussi l’incontournable étude coordonnée par Isaia (Henri) et Spindler (Jacques), Histoire du droit des finances publiques, tome 1, Paris, Économica, 1986,443 p.
  • [32]
    Les directions sont « rivales » dans la mesure où la direction du budget est créée, en 1919, à partir de la « grande » direction de la comptabilité publique. Voir La direction du budget entre doctrines et réalités 1919-1944, Actes de la journée d’étude tenue à Bercy le 10 septembre 1999, Paris, CHEFF, 2001,591 p.
  • [33]
    Masquelier (Philippe), « Une volonté de réforme du système financier de la France : le cas de Gilbert Devaux, haut fonctionnaire au ministère des finances de 1930 à 1960 », Actes du colloque de la Société française de finances publiques, La formation des grands textes financiers, tenu les 16 et 17 mai 2003 à l’Université Paris X-Nanterre, à paraître à la Revue française de finances publiques.
  • [34]
    M. Martial-Simon était « destiné » au poste de directeur. Il obtient la direction de la « C.P. » et succède ainsi à celui qui prend sa place...
  • [35]
    Tallineau (Lucile), « L’inspiration keynesienne du décret du 19 juin 1956 », La direction du budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur... ou témoin, op. cit., p. 163-185.
  • [36]
    Décret n° 56-81 du 23 janvier 1956 portant règlement d’administration publique relatif au statut particulier des contrôleurs financiers, JO du 24 janvier 1956, p. 826 et 827.
  • [37]
    « Le changement de titre de contrôleur des dépenses engagées en contrôleur financier s’est fait à la demande de l’association pour montrer que les contrôles ne s’exerçaient pas que sur les dépenses engagées, mais sur tout ce qui était financier et concernaient la gestion financière. Cela n’a rien changé au travail », Caussin (André), contrôleur financier, archives orales, CHEFF, cassette n° 5. André Caussin était en poste en 1956.
  • [38]
    Circulaire du 1er décembre 1956 relative à la comptabilité des engagements de dépenses afférentes aux opérations d’investissement, JO du 9 décembre 1956, p. 11782 à 11789.
  • [39]
    Kott (Sébastien), « Les prescriptions budgétaires et comptables au sein des grands textes financiers », Actes du colloque de la Société française de finances publiques, op. cit., à paraître.
  • [40]
    Voir à ce titre les archives orales constituées et conservées au CHEFF.
  • [41]
    Devaux (Gilbert), La comptabilité publique, Paris, P.U.F., 1957, p. 3-4.
  • [42]
    Les archives privées de Roger Goetze conservées au CHEFF permettent de détailler la composition de la direction du budget. L’organisation de la direction est relativement stable sous la IVe République. Elle comporte 4 sous-directions qui se décomposent en 12 bureaux de 1945 à 1955 puis 16 à partir de 1956. Des recoupements permettent d’envisager 86 agents en 1945 (SAEF B 48 374 note de la direction du personnel et du matériel) et 104 en 1950 (archives privées Roger Goetze). On note qu’il s’agit-là d’un effectif théorique, dit budgétaire, certainement supérieur à l’effectif réel.
  • [43]
    Devaux (Gilbert), La comptabilité publique, op. cit., p. 209-210.

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