Couverture de REVD_054

Article de revue

Politique et droit de la concurrence en Afrique du Sud

Pages 7 à 78

Notes

  • [*]
    Michael Wise est membre de la Division de la concurrence de l’OCDE.
  • [1]
    Les chiffres concernant son PIB moyen par habitant (PPA) varient largement, d’environ $2700 (EIU) à $8500 (CIA).
  • [2]
    Dans la série de données de Deininger et Squire, le coefficient de Gini pour les revenus en Afrique du Sud est de . 63 ( 1993), et seul celui du Gabon est supérieur. On peut consulter cette série à l’adresse wwww. worldbank. org/ research/ growth/ dddeisqu.htm. Ce chiffre repose sur les données de la série qui sont les plus complètes et dont la qualité est la meilleure.
  • [3]
    GN 801,2 mai 1986.
  • [4]
    Avis 1954 Gazette 16085,23 novembre 1994
  • [5]
    Bien que ces déclarations ne conditionnent pas l’application de la législation, elles ne sont pas superflues. Elles sont suffisamment importantes pour que les parties prenantes prêtent attention à leurs détails. Le premier paragraphe a été modifié en 2000, de toute évidence pour corriger une interprétation erronée ou donner une indication sur une considération de politique générale.
  • [6]
    ISCOR Limited & Saldanha Steel (Pty) Ltd, Cas no 67/LM/Dec01 du Tribunal.
  • [7]
    Glaxo Wellcome, Affaire no 15/CAC/Feb02.
  • [8]
    Telkom SA Ltd./TPI Investments/Praysa, affaire no 81/LM/Aug00 du Tribunal.
  • [9]
    Trident Steel (Pty) Ltd et Baldwins Steel.
  • [10]
    Naspers Limited/The Education Investment Corporation Limited.
  • [11]
    Schumann Sasol et Price’s Daelite, affaire no 10/CAC/Aug01. Après avoir rejeté les conclusions du Tribunal quant aux effets sur la concurrence, la Cour a considéré qu’il n’était pas nécessaire de déterminer si des facteurs d’intérêt public étaient pertinents.
  • [12]
    Shell-Tepco, affaire no 66/LM/Oct 01.
  • [13]
    Standard Bank Investment Corporation Ltd v. Competition Commission and Others; Liberty Life Association of Africa Ltd. v. Competition Commission and Others 2000 ( 2) SA 797 (SCA).
  • [14]
    South African Raisins (Pty) Ltd. and Another v. SAD Holdings Ltd and Another 2001 ( 2) SA 877 (SCA).
  • [15]
    Nedcor-B.O.E Bank.
  • [*]
    Consumer Affairs (Unfair Business Practice) Act 71,1988

1. Fondements de la politique de la concurrence

1Le cadre dans lequel s’inscrivait la politique économique en Afrique du Sud – caractérisé par un secteur public de grande dimension, des mesures protectrices et une politique de remplacement des importations– différait de celui qu’on retrouve souvent dans les pays en transition et en développement. En Afrique du Sud, cette configuration allait de pair avec des droits de propriété bien établis et des institutions de marché très développées. Le défi pour la politique de la concurrence en Afrique du Sud était de « relancer immédiatement la machine » lorsque les structures historiques se sont effondrées. Les nouvelles institutions ont été confrontées à une culture juridique ancienne, sophistiquée et puissante lorsqu’il s’est agi de promouvoir une nouvelle approche de l’économie et une plus large participation à la vie publique.

1.1. Contexte et historique

2La politique économique en Afrique du Sud a été façonnée par la dépendance vis-à-vis des industries extractives et l’isolement par rapport à de nombreux marchés mondiaux. Certaines des structures de base de l’économie ont vu le jour au moment de la découverte de diamants et d’or dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Les grandes industries modernes se sont développées autour de l’extraction des ressources naturelles pour le marché mondial. Les politiques de développement économique aux XIXe et XXe siècles protégeaient les investisseurs dans ces entreprises, pour beaucoup étrangers. Toutefois, conscients des risques d’une spécialisation excessive, les pouvoirs publics se sont efforcés de réduire la dépendance à l’égard du secteur minier, en encourageant l’agriculture et les industries manufacturières locales. Des monopoles ont été accordés à certaines entreprises vers la fin du XIXe siècle. Les producteurs bénéficiaient du faible coût des intrants tels que l’acier et l’électricité, qui étaient fournis par les monopoles d’État, ainsi que de la protection de barrières tarifaires. Les entreprises publiques dominaient les activités manufacturières à la fin des années 1930. Un autre élément caractéristique de la politique de l’époque, la discrimination raciale, a eu pour effet de maintenir les coûts de la main d’œuvre à un niveau bas. La discrimination et la protection se traduisaient par des mesures qui abritaient les entreprises et agriculteurs blancs de la concurrence africaine, en réservant la majeure partie des terres à des propriétaires blancs et en accordant la préférence aux agriculteurs blancs et aux entreprises appartenant aux Blancs pour les subventions et les autres aides. Les entrepreneurs noirs se retrouvaient en dehors de l’économie officielle.

3Le remplacement des importations, les contrôles des marchés et la propriété publique dans les secteurs clés ont perduré tout au long du XXe siècle. Le rôle de l’État dans l’économie n’a pas faibli durant la phase d’expansion de l’aprèsguerre. Tandis que le secteur privé se diversifiait, à mesure que les conglomérats miniers élargissaient leurs activités, l’État continuait de renforcer ses aides et ses investissements directs dans l’agriculture et le secteur manufacturier, en s’efforçant de réduire la dépendance de l’économie vis-à-vis du secteur minier. Les industries telles que le textile, la pâte à papier et le papier doivent leur existence au soutien de la société publique Industrial Development Corporation. D’autres entreprises publiques produisaient de l’acier, des engrais, du pétrole, des produits chimiques et des armements. Dans les années 1970, la valeur de la production manufacturière a dépassé celle du secteur minier. Mais l’État possédait ou gérait près de 40 % des avoirs productifs du pays, et l’économie demeurait vulnérable au caractère cyclique des secteurs de l’agriculture et des ressources naturelles. Par ailleurs, dans les années 1980, les politiques d’autarcie et de remplacement des importations se sont intensifiées face à la montée des sanctions économiques internationales contre l’apartheid.

4Les marchés des produits et la propriété du capital étaient extrêmement concentrés. La forte concentration du marché était caractéristique non seulement des industries lourdes, où les économies d’échelle sont essentielles, mais aussi de certains produits de grande consommation. Ainsi, il existe en Afrique du Sud un quasi-monopole pour la bière. Cette forte concentration découle des monopoles concédés dans le passé et, d’autre part, de facteurs d’échelle. Bien que l’Afrique du Sud soit le plus grand marché en Afrique, son marché local est de taille relativement réduite. Pour beaucoup de produits manufacturés, il pourrait être desservi par quelques entreprises opérant à une échelle mondialement efficace. L’Afrique du Sud est géographiquement éloignée de bon nombre d’autres grands marchés et centres de production, et les échanges internationaux ont du mal à compenser ces conditions, même si le commerce s’est développé depuis 1994, en particulier avec l’UE et les États-Unis. Le niveau des droits de douane a baissé en moyenne, mais des droits antidumping protègent les secteurs clés comme l’acier, où l’État a des intérêts de longue date et un régime d’exclusivité à l’exportation peut éviter l’arbitrage entre les marchés d’exportation et le marché local. Les nouveaux acteurs potentiels se heurtent aux difficultés inhérentes à la tradition de remplacement des exportations ainsi qu’aux pratiques commerciales bien ancrées et à la politique gouvernementale en faveur d’un groupe très fermé d’industriels locaux. Au moment du changement de régime en 1994, cinq conglomérats d’investissement, remontant aux compagnies minières du XIXe siècle, comptaient pour 84 % dans la capitalisation boursière — et l’un d’eux en représentait 43 % à lui seul. Un réseau complexe de participations croisées et autres relations imbriquées accentue cette influence, et il est d’autant plus difficile de déterminer exactement qui contrôle quoi.

5La situation de l’économie sud-africaine est difficile à classifier. Dans une large mesure, l’Afrique du Sud dispose d’une économie de marché bien développée. Mais la nécessité de mettre fin à sa tradition bien enracinée de propriété et de contrôle centralisés pour devenir plus efficace rappelle la situation des pays en transition. En outre, une grande partie de la population évolue dans un environnement économique peu développé. En moyenne, l’Afrique du Sud se situe parmi les pays à revenu intermédiaire [1]. Toutefois, la moyenne dissimule une distribution extrêmement bipolaire des richesses et des revenus. A un extrême, une importante minorité jouit d’un niveau de vie comparable à celui des pays Membres de l’OCDE. L’infrastructure des services financiers et juridiques, des communications et des transports est bien développée et moderne. La bourse se situe parmi les dix plus grandes places boursières au monde. Mais à l’autre extrême, une majorité considérable ne bénéficie pas encore de ces richesses. L’écart entre les revenus en Afrique du Sud, tel que mesuré par le coefficient de Gini, est environ deux fois plus élevé que celui observé habituellement dans la plupart des pays Membres de l’OCDE [2]. Dans les « townships » noirs, le chômage dépasse largement le taux national déjà élevé de l’ordre de 30%, et les revenus se situent bien au-dessous de la moyenne nationale. L’Afrique du Sud comprend à la fois une économie en développement et une économie moderne.

6Le système politique de gouvernement par une minorité qui a prévalu pendant la majeure partie du XXe siècle a divisé la population afin de préserver ces inégalités. La volonté croissante de changement politique, qui a débouché sur le renouveau constitutionnel du pays dans les années 1990, a également entraîné une évolution des politiques économiques. Les questions économiques étaient traitées tout autant que les questions politiques dans le programme du Congrès national africain (ANC) au cours des années qu’il a passées dans l’opposition. Pour ceux qui, au sein de l’ANC, étaient en faveur de l’intervention de l’État et du socialisme, la préoccupation n’était pas le degré de participation de l’État, mais sa nature et l’identité des responsables. Certains, au sein de l’ANC, ont résisté aux efforts de privatisation du gouvernement à la fin des années 1980, craignant que les biens finissent entre les mains d’investisseurs blancs. Toutefois, depuis 1994 et le transfert du pouvoir, moins de revendications se sont manifestées dans le sens d’une vaste participation de l’État. L’un des éléments économiques de la plate-forme de l’ANC pour la révolution sociale pacifique, analysé plus en détail ci-après, était un droit de la concurrence plus vigoureux.

7Le droit est important en Afrique du Sud. La culture juridique très développée du pays est diversifiée. Une grande partie du droit de la propriété, de la vente et des contrats provient du droit néerlando-romain, que les colons européens ont introduit au XVIIe siècle. Le droit des sociétés, le droit financier et le droit de la propriété intellectuelle dérivent davantage de sources anglaises, en raison du développement, au XIXe siècle, des grandes entreprises du secteur minier. Pour ce qui est des aspects juridiques de l’organisation des pouvoirs publics et de l’administration, l’Afrique du Sud s’est totalement inspirée du Commonwealth britannique. La constitution de 1994 a lancé un effort de reconstruction de l’État et du droit sur de larges bases démocratiques locales. L’importance historique centrale de cette nouvelle constitution consacre une caractéristique de l’Afrique du Sud qui aide à expliquer son approche de la politique de la concurrence. Fonder les politiques sur le droit et les mettre en œuvre dans le respect de procédures juridiques adéquates sont des valeurs essentielles.

8Certains principes de la concurrence et même certains éléments précurseurs du droit de la concurrence transparaissent dans ces traditions juridiques. Le monopole était un délit en droit néerlando-romain : la volonté d’empêcher des conditions anticoncurrentielles contraires à l’intérêt public remonte à un édit de Charles Quint au XVIe siècle. Mais il n’y a pas de trace de condamnation pour monopole. En revanche, il est possible que d’autres éléments de l’ancien droit néerlando-romain, qui ont contribué au commerce florissant de l’âge d’or des Pays-Bas, aient toléré des pratiques anticoncurrentielles. En particulier, le droit présumait la validité des contrats, même ceux comportant des restrictions anticoncurrentielles. Quoi qu’il en soit, la composante pénale du droit néerlando-romain n’a probablement pas été reprise dans le droit de l’Afrique du Sud et il a donc fallu traiter les problèmes de monopole au moyen d’actes législatifs. Ces actes législatifs ont adopté une position tolérante, peut-être influencée par la tradition permissive du droit des contrats. Certaines situations particulières de la concurrence ont fait l’objet de lois spéciales dès 1907. Aux termes d’une loi applicable de 1923 à 1944, le Conseil du commerce et de l’industrie pouvait rendre des avis sur les problèmes de politique de la concurrence. C’est un rapport de ce Conseil qui a débouché sur la première législation générale de la concurrence en Afrique du Sud, la loi de 1955 sur la réglementation des conditions monopolistiques.

9Cette loi sur la concurrence de 1955 était prudente et permissive. Elle définissait et contrôlait un certain nombre de « conditions monopolistiques », c’est-à-dire des pratiques pouvant être anticoncurrentielles. Aucune de ces pratiques n’était interdite en tant que telle. Simplement, la loi prévoyait une procédure administrative pour examiner les cas particuliers et recommander des mesures. La norme d’analyse était simplement celle de l’« intérêt public ». Le Conseil du commerce et de l’industrie était chargé d’enquêter sur les pratiques, de recommander des mesures ainsi que de négocier et de superviser l’application. Il pouvait être fait appel de ses décisions devant une juridiction spéciale. Mais le Conseil ne jouissait d’aucun pouvoir indépendant, ni pour les enquêtes, ni pour les mesures correctrices. Le ministre du Commerce et de l’Industrie décidait de ce qui devait faire l’objet d’une enquête et des mesures correctrices qui, le cas échéant, seraient appliquées. Les mesures correctrices et les sanctions ne valaient que pour l’avenir; il s’agissait par exemple d’une ordonnance de mettre fin à un accord restrictif ou de remédier à ses conséquences. Le non-respect d’une ordonnance de ce type pouvait faire l’objet de poursuites pénales. Reconnaissant peut-être que la protection face à la concurrence internationale constituait l’une des principales sources de monopole, l’une des mesures correctrices possibles consistait à demander au ministre des Finances de suspendre les droits d’importation sur des biens similaires à ceux concernés par la situation de monopole. La loi ne traitait pas des fusions ni des situations de position dominante en tant que telles. Théoriquement, elle s’appliquait probablement aux activités de l’État, mais cette application était improbable car elle supposait une initiative du ministre. L’une des principales exemptions visait les coopératives agricoles et les offices de commercialisation de produits agricoles approuvés par l’État. Quoi qu’il en soit, cette loi a rarement été mise en oeuvre. Sur une période de plus de vingt ans, le ministre n’a ouvert que 18 enquêtes. Le Conseil a conclu qu’il existait certaines restrictions contraires à l’intérêt public, notamment des accords de fixation de prix et de remises, des ventes à prix imposés, des ventes exclusives et des boycottages. Parmi les secteurs où des problèmes ont été détectés, on compte l’alimentation, les appareils sanitaires et la quincaillerie, les films, les cigarettes et les dérivés du tabac, les livres, les journaux et périodiques, la construction. Dans la quasi-totalité des cas, il y a eu règlement à l’amiable. Le ministre n’est intervenu qu’une fois. La procédure la plus significative en vertu de cette loi, en 1969, a interdit les ventes à prix imposés (sauf pour les livres, les périodiques, les pneus et le pétrole). Les restrictions à la concurrence pour l’alcool, les produits pharmaceutiques, les pneus et les allumettes ont été maintenues car jugées conformes à l’intérêt public. Aucune décision n’a jamais été déférée à la juridiction spéciale. La principale fonction du Conseil semblait être de superviser l’application de quelques lignes directrices et ordonnances négociées. Quelques poursuites ont été intentées contre ceux qui n’avaient pas obtempéré, mais aucune pénalité très sévère n’a été prononcée.

10Une commission d’enquête désignée en 1975 a critiqué le dispositif de mise en œuvre de la loi de 1955. Subordonner les enquêtes aux instructions du ministre laissait place à une trop grande influence politique. Par ailleurs, les missions du Conseil étaient contradictoires. Son rôle principal était de déterminer les niveaux de droits de douane pour protéger les entreprises locales, de sorte qu’il n’était pas véritablement à même de remettre en cause le comportement de ces mêmes entreprises. La commission a demandé que soit mise en place une nouvelle instance de la concurrence dotée de plus de moyens, que soient infligées des pénalités plus lourdes en cas d’inobservation d’une ordonnance et que la loi soit élargie aux fusions. Elle a recommandé une nouvelle structure institutionnelle s’inspirant du système tripartite du Royaume-Uni et constituée d’un ministère de tutelle, d’un organisme spécifique d’« exécution » et d’une instance décisionnelle plus indépendante. Cependant, toutes ses recommandations n’ont pas été adoptées. La nouvelle loi de 1979 a institué un Conseil de la concurrence nommé par le ministre du Commerce et de l’Industrie, qui pouvait enquêter de sa propre initiative. Elle autorisait des poursuites contre les fusions anticoncurrentielles et créait une nouvelle catégorie de « situation de monopole », déterminée essentiellement par la structure du secteur. Sur la plupart des autres plans, la nouvelle loi sur la concurrence ressemblait à l’ancienne. Elle ne contenait aucune interdiction expresse, sa norme de fond était en définitive « l’intérêt public », non défini, les appels devaient être portés devant une juridiction spéciale (mais il n’y en a jamais eu) et c’était au ministre qu’il revenait effectivement de prendre les décisions et de rendre les ordonnances. La procédure régissant le Conseil de la concurrence était essentiellement informelle. Le Conseil a effectivement exercé son pouvoir d’enquête et a produit quelque 75 rapports officiels. Toutefois, rares étaient les rapports qui traitaient de ce qui constituait probablement la source la plus importante de restrictions anticoncurrentielles, à savoir le rôle de l’État. Du fait de sa composition, le Conseil de la concurrence était lié au gouvernement. La loi prévoyait que six de ses membres devaient être des responsables ou candidats d’autres ministères, en particulier ceux des finances et de l’agriculture. Tous les membres, à l’exception du président, n’exerçaient leurs fonctions qu’à temps partiel. La mesure la plus importante prise en vertu de la loi de 1979 est un règlement, publié par le ministre après l’ouverture d’une enquête du Conseil de la concurrence en 1984, par lequel certaines pratiques ont été frappées d’illicéité en soi : les ventes à prix imposés, la collusion horizontale sur les prix, les conditions ou les parts de marché, et les soumissions concertées [3]. Toute infraction à ces interdictions était un délit, mais aucune poursuite n’a été intentée (à l’exception d’une affaire qui a abouti à un règlement à l’amiable sur plaidoyer de culpabilité). Ces interdictions ont perduré car elles ont été reprises dans la réforme de la politique de la concurrence qui a suivi le changement de régime gouvernemental en Afrique du Sud.

11Le réexamen de la politique de la concurrence était un point prioritaire pour le premier gouvernement largement démocratique élu en 1994. Le Congrès national africain (ANC) avait défendu une politique économique socialiste pendant les décennies où il avait joué le rôle de mouvement de libération, en appelant à des mesures telles que la nationalisation de l’industrie et le démantèlement des grandes sociétés d’investissement. Toutefois, au moment où l’ANC a pu prendre part ouvertement à la vie politique en Afrique du Sud, la situation était en train d’évoluer. La perspective d’être en charge du gouvernement, s’ajoutant à l’ample déclin du socialisme doctrinaire, l’a conduit à modérer ces objectifs et, en particulier, à moins mettre l’accent sur la nationalisation des entreprises privées. La politique de la concurrence l’a remplacée comme moyen privilégié de contrôler l’entreprise privée dans l’intérêt public. Cinq années de débats et de consultations officielles ont permis d’étudier, d’élaborer et d’affiner cette profonde réforme.

12Une réforme ambitieuse de la politique de la concurrence figurait dans les lignes directrices de 1992 de l’ANC pour une Afrique du Sud démocratique. L’un des objectifs de cette réforme était de remédier à la concentration du « pouvoir économique », considérée comme nuisible à un développement économique équilibré. Il s’agissait non seulement d’adopter une législation conforme aux normes et pratiques internationales, mais aussi de réduire la « domination persistante de l’économie par une minorité au sein de la minorité blanche et de promouvoir une plus grande efficacité du secteur privé ». La vision stratégique énoncée dans ce document est globale :

  • La politique de la concurrence proposée ici reconnaît la logique de la concurrence libre et active sur les marchés, l’importance des droits de propriété, la nécessité d’une plus grande efficacité économique, l’objectif d’affectation optimale des ressources, le principe de la transparence, la nécessité d’une plus grande compétitivité internationale et la volonté de faciliter l’entrée sur les marchés – et ce dans le cadre d’une stratégie de développement qui s’efforce sciemment de corriger les déséquilibres structurels et les injustices économiques passées.
  • La politique de la concurrence cherche à conjuguer les intérêts des consommateurs, des travailleurs, des jeunes entrepreneurs et des autres entreprises concurrentes, ainsi qu’à protéger la capacité de nos grandes entreprises à pénétrer sur les marchés internationaux. De même, nous devons permettre aux investisseurs étrangers d’exercer des activités en Afrique du Sud en vue d’améliorer l’efficacité et la croissance globales.
  • La politique de la concurrence doit comporter, pour le règlement des litiges relevant du droit de la concurrence, une procédure juste, cohérente, rapide et décisive, et les nouveaux dispositifs institutionnels pour la mise en œuvre de cette politique doivent s’appuyer sur une division du travail appropriée au sein de l’organisme concerné et lui conférer l’indépendance voulue.
  • Enfin, la politique de la concurrence doit s’efforcer d’être suffisamment souple pour intégrer les politiques en vigueur et les modes futurs de régulation des marchés s’appliquant, de façon cohérente dans les domaines suivants : la politique industrielle et commerciale, la politique de change, les mesures visant à attirer les investissements étrangers directs, la restructuration des actifs de l’État, la réforme fiscale, la politique du marché du travail, la réglementation des marchés financiers, la protection des consommateurs,

13 l’encouragement des activités de recherche et développement, les programmes de discrimination positive et les mesures destinées aux petites entreprises, le gouvernement d’entreprise ainsi qu’un droit des sociétés révisé.

14Le cadre général de la politique suivie pendant la période de l’après-1994 était défini dans le Programme de reconstruction et de développement (RDP) de l’ANC et dans sa stratégie macroéconomique pour la croissance, l’emploi et la redistribution (GEAR). Le RDP promettait de « mettre en place une législation antitrust stricte en vue de créer un environnement commercial plus concurrentiel et plus dynamique ». Au premier rang des objectifs se trouvait la réforme de la structure de l’économie « afin de décourager systématiquement le système pyramidal aboutissant à une concentration excessive du pouvoir économique et à des conseils d’administration interdépendants », suivie de l’abolition des pratiques anticoncurrentielles et de la lutte contre l’exploitation des consommateurs. Le RDP appelait à la création d’une commission « chargée d’examiner les structures de contrôle et de concurrence dans l’économie et d’élaborer des solutions efficaces et démocratiques ». Le livre blanc de 1994 du RDP [4] développait ces thèmes tout en mettant l’accent sur les intérêts des petites et moyennes entreprises ainsi que sur le problème de l’oligopole :

  • Une politique de la concurrence crédible est essentielle pour le bon fonctionnement de l’économie. Cette politique a pour objectif d’éliminer ou de réduire les effets de distorsion dus à une concentration économique excessive et à la présence de conglomérats d’entreprises, aux pratiques collusoires et à l’abus de pouvoir économique de la part d’entreprises en position dominante. En outre, cette politique doit garantir que la participation des petites et moyennes entreprises efficaces à l’activité économique ne soit pas menacée par des structures et comportements anticoncurrentiels.
  • Les autorités s’efforceront également d’accroître le caractère concurrentiel des marchés intérieurs et d’influencer le comportement des principaux participants sur les marchés fortement concentrés par des moyens socialement souhaitables. Elles identifieront et élimineront les pratiques qui limitent l’entrée de nouvelles entreprises dans certains secteurs, s’emploieront à éliminer les pratiques illégales telles que les ventes à prix imposés, la collusion entre entreprises pour le partage du marché, de même que la collusion horizontale pour la répartition de la production et pour le soumissionnement aux marchés publics.

15En 1995, le ministère du Commerce et de l’Industrie (DTI) a lancé un projet sur trois ans de consultations avec les experts et les différents acteurs en vue d’élaborer un nouveau cadre de politique de la concurrence. Les résultats de ce projet ont été publiés en novembre 1997, sous la forme d’un projet de lignes directrices du DTI pour la politique de la concurrence, afin d’alimenter le débat public sur la façon dont la politique de la concurrence pouvait contribuer à restructurer l’économie. Cette proposition décrivait l’objectif en termes d’économie plus « efficace », exigeant une meilleure définition de l’intérêt public dans le contexte de la structure et des pratiques des entreprises. Avec des politiques bien conçues, le DTI estimait que la compétitivité et le développement se stimuleraient mutuellement, au lieu d’avoir des effets opposés. Pour cela, il fallait assurer la cohérence de la politique commerciale et de la politique industrielle, restructurer les actifs de l’État et donner plus de pouvoir économique aux jeunes entrepreneurs – autant de tâches et d’objectifs considérés comme relevant de la politique de la concurrence. Pour faire face aux distorsions économiques dont l’Afrique du Sud avait hérité, il fallait adopter une démarche spécifique. La promotion de la compétitivité et de l’efficacité devait aussi garantir un accès à ceux qui n’avaient pas bénéficié des mêmes possibilités de participation. Les lignes directrices de 1997 du DTI constataient que le droit de la concurrence de 1979 était incomplet, ne s’appuyait pas sur des prérogatives suffisantes et ne s’inscrivait pas dans un contexte politique bien conçu. La législation alors en vigueur ne traitait pas des regroupements verticaux ou congloméraux, ni de la concentration de l’actionnariat, et elle ne comportait pas de procédure de notification avant fusion, ni de moyens de contrôle efficaces après fusion. Ses interdictions concernant les pratiques anticoncurrentielles étaient faibles. Le DTI a proposé un nouveau droit de la concurrence comprenant les éléments habituels de la politique de la concurrence, notamment une réglementation plus rigoureuse et une autorité administrative plus indépendante et plus puissante. Sur le plan de la concentration de la propriété, le DTI prévoyait de plus larges pouvoirs de désinvestissement. Par ailleurs, conscient du caractère global de la politique de la concurrence, le DTI appelait à un réexamen du droit des valeurs mobilières, des institutions chargées de superviser la structure des entreprises, du gouvernement d’entreprise, de la loi sur les pratiques commerciales préjudiciables aux intérêts des consommateurs, ainsi que des interactions concurrentielles entre les entreprises publiques et le secteur privé.

16Veiller à assurer une large participation est une préoccupation politique essentielle de l’Afrique du Sud de l’après-1994. Le débat sur le cadre de la politique de la concurrence proposé s’est appuyé sur le NEDLAC (« National Economic Development and Labour Council »). Le NEDLAC a été créé en 1994 pour dégager un consensus entre les pouvoirs publics, les entreprises, les travailleurs et les ONG communautaires. Il a succédé à deux organes dotés d’une composition et d’un champ d’action plus limités : le National Economic Forum et la National Manpower Commission. La loi qui a créé le NEDLAC charge cet organisme d’examiner tous les changements importants de la politique sociale et économique et de s’efforcer de parvenir à un consensus avant qu’ils soient mis en œuvre ou soumis au Parlement. La Chambre de commerce et d’industrie du NEDLAC a examiné les propositions du DTI sur la politique de la concurrence au début de 1998. Le NEDLAC a été consulté au sujet des principes et du cadre de politique générale proposé, mais pas sur le texte détaillé de la loi. Les travailleurs et les entreprises ont donné leur accord sur les principes et sur la conception des institutions, tout en faisant part de divergences d’opinion sur certaines questions générales et certaines modalités institutionnelles. Le rapport du NEDLAC a été ratifié lors d’une réunion des responsables de la Chambre de commerce et d’industrie en mai 1998. (NEDLAC, 1998)

17Ce processus de longue haleine, comprenant également quatre jours d’auditions et des dizaines de rapports écrits soumis à la commission parlementaire pour le commerce et l’industrie, a débouché sur le « Competition Act no. 89 », qui a été adopté en 1998 et est entré en vigueur le 1erseptembre 1999 (ci-après « loi sur la concurrence »). (La loi sur la concurrence a été modifiée en 2000, en partie pour clarifier les rapports entre les instances générales de la concurrence et les autres instances de régulation). Des experts et des universitaires de huit pays et d’organismes multilatéraux ont également participé à ces travaux. La loi sur la concurrence et la structure institutionnelle mise en place s’inspirent fortement de l’expérience et de la pratique des pays développés. La loi sur la concurrence crée trois institutions directement chargées de son application. Chacune de ces institutions – la Commission de la concurrence, le Tribunal de la concurrence et la Cour d’appel de la concurrence – est, à des degrés légèrement différents, indépendante du gouvernement. La loi sur la concurrence comporte des éléments qui répondent directement à la situation spécifique de l’Afrique du Sud. Dans certains cas, elle permet de prendre en compte des questions qui relèvent de l’équité, notamment le transfert de pouvoirs économiques, l’emploi et les préoccupations des petites et moyennes entreprises. Le DTI a considéré qu’un droit de la concurrence axé sur l’efficience économique et appliqué par des instances politiquement indépendantes conviendrait aux secteurs des services et aux secteurs industriels bien développés de l’Afrique du Sud. En dépit de l’importance de premier plan accordée aux préoccupations et d’équité et d’économie politique dans le débat national, ce ne sont pas les éléments moteurs de l’application de la loi sur la concurrence, et il n’est pas possible de faire valoir ces préoccupations par des voies purement politiques lorsque des questions de concurrence sont en jeu. C’est aux organismes indépendants chargés de la mise en œuvre de la politique de la concurrence qu’il incombe de prendre les décisions sur les autres questions de politique publique, et les ministres ne peuvent en aucune manière annuler leurs décisions ou leur donner des instructions.

1.2. Objectifs généraux

18Les objectifs de la loi sur la concurrence commencent par l’efficacité économique, mais ils vont bien au-delà. La finalité première « promouvoir et maintenir la concurrence », est complétée par sixséries d’objectifs spécifiques. La première comprend l’efficacité, l’adaptabilité et le développement de l’économie. Ces objectifs correspondent à la politique de la concurrence reposant sur une analyse économique telle que la souhaitait le DTI. La deuxième, des prix compétitifs et un large choix pour les consommateurs, traduit le fait qu’une politique fondée sur des préoccupations économiques doit rechercher le bien-être des consommateurs. Les quatreautres séries d’objectifs reflètent d’autres considérations d’intérêt public que les différents acteurs ont jugées importantes : emploi et bien-être économique et social, possibilités d’accès aux marchés mondiaux (et reconnaissance de la concurrence étrangère en Afrique du Sud), opportunités équitables offertes aux PME de participer à l’économie, et plus large appropriation au profit des personnes historiquement désavantagées (article 2).

19Le préambule de la loi réaffirme les motivations politiques. Il s’agit des considérations d’équité, de distribution et d’efficience et l’on voit clairement transparaître les objectifs et idéaux, en termes de droit de la concurrence, issus des anciennes positions de l’ANC et du débat avec l’ensemble des acteurs [5]. Ce préambule caractérise le problème auquel la loi cherche à remédier, à savoir que les pratiques passées, notamment l’apartheid, ont conduit à une concentration excessive de la propriété et du contrôle, à une maîtrise insuffisante des pratiques commerciales anticoncurrentielles et à des restrictions injustes à une participation pleine et libre à l’activité économique. Il dispose que « l’économie doit être ouverte à une plus grande participation d’un plus grand nombre de Sud-africains ». L’optique est celle de l’équité et de la justice. Se situant dans la rhétorique de l’équité, le préambule qualifie les restrictions à la libre concurrence d’« injustes » et non d’« inefficientes ». Il reconnaît le problème de l’inefficience et du gaspillage, mais établit là aussi un lien avec l’équité, en notant non seulement qu’une législation de la concurrence crédible et des institutions capables de la gérer sont nécessaires pour une économie efficiente, mais aussi qu’un « environnement économique concurrentiel, trouvant le juste équilibre entre les intérêts des travailleurs, des propriétaires et des consommateurs et axé sur le développement bénéficiera à tous les Sudafricains ».

20Pour parvenir à des résultats cohérents, il faut choisir judicieusement entre des objectifs multiples et parfois contradictoires. Au départ, les choix avaient été évités. La définition polyvalente de l’« intérêt public » dans le Projet de lignes directricesdu DTI de 1997 ne cherchait nullement à fixer des priorités. En fait, le DTI considérait que la réglementation devait à la fois intensifier la concurrence et promouvoir les autres objectifs, et il écartait toute contradiction entre l’efficience économique et l’intérêt public. La prise en compte d’autres objectifs a eu pour effet une plus forte mobilisation en faveur du principe de la mise en place d’une politique de la concurrence. Les entreprises craignaient que ces objectifs ne soient invoqués arbitrairement, pour justifier des résultats obéissant en fait à des considérations politiques non affichées. Ces craintes se sont apaisées à mesure que la loi a été mise en œuvre, car ce sont les impératifs de concurrence et d’efficience qui ont prévalu dans la pratique. Le Tribunal de la concurrence interprète la loi comme ayant pour principal objectif de promouvoir et préserver la concurrence. À ce jour, il n’y a eu qu’une décision [6] dans laquelle le Tribunal a tenu compte principalement des autres facteurs d’intérêt public. L’expérience confirme qu’il était judicieux d’expliciter les facteurs d’intérêt public. Les décisions peuvent ainsi s’appuyer sur ces facteurs directement et de façon transparente, plutôt que de tenter subrepticement de justifier certaines mesures pour des raisons de concurrence alors qu’elles répondent en réalité à d’autres motivations.

21Plusieurs groupes d’intérêt ont voix au chapitre dans le domaine de la concurrence. Les syndicats jouent officiellement un rôle dans l’examen des fusions ; ils peuvent faire directement part de leurs préoccupations en termes de pertes d’emplois. Les intérêts des petites entreprises sont pris en compte non seulement du fait des exemptions potentielles aux interdictions prévues par la loi, mais aussi dans des dispositions détaillées sur l’abus de position dominante et la discrimination par les prix.

22Les questions de structure et de propriété des entreprises, qui avaient dominé le débat, ont perdu de leur importance dans la pratique. On retrouve dans de nombreuses économies des formules de holding et de vastes réseaux de participations croisées. Ce type de contrôle du capital est souvent suspecté d’entraver la concurrence économique ou de concentrer le pouvoir politique. Quelques pays, en particulier la Corée, ont essayé de contrôler et d’éliminer ces structures au moyen de la politique de la concurrence. Que cela constitue ou non une mise en œuvre cohérente de la politique de la concurrence, une intervention visant à imposer une restructuration des grands holdings d’Afrique du Sud pourrait se révéler inutile. À mesure que le marché s’est ouvert, ils se sont restructurés d’eux-mêmes, souvent pour élaguer les activités éloignées de leur cœur de métier et se concentrer sur un nombre réduit de secteurs. Les conséquences de cette restructuration susceptibles de porter atteinte à la concurrence économique relèveraient bien entendu de la procédure de contrôle des fusions.

23La politique d’intérêt public la plus originale est celle qui vise à transférer plus de pouvoirs économiques aux personnes historiquement désavantagées. L’article 9( 2) de la constitution d’Afrique du Sud autorise, voire impose, des programmes de discrimination positive, en disposant que l’« égalité recouvre la jouissance pleine et égale de tous les droits et libertés. En vue de promouvoir l’égalité, des mesures législatives et autres, destinées à protéger des personnes ou catégories de personnes désavantagées par une discrimination injuste ou à faire progresser leur cause, peuvent être adoptées ». Les propositions de 1997 du DTI prévoyaient d’avoirs recours à la politique de la concurrence pour accroître la participation en capital des Noirs dans l’économie, en particulier dans le secteur manufacturier. Cet objectif est désormais inscrit dans la loi et, dans quelques affaires de fusion, les décisions ont tenu compte de la meilleure façon de le réaliser.

24L’objectif de participation aux marchés mondiaux pourrait être interprété comme une réponse aux arguments des entreprises concernant la compétitivité, en d’autres termes, à l’idée selon laquelle la politique de la concurrence doit permettre la création de grandes entreprises – même d’entreprises puissantes sur le marché local – en vue d’une meilleure compétitivité sur les marchés internationaux. Pourtant, ce n’est pas ainsi que la composante de politique industrielle de la politique de la concurrence avait été conçue en Afrique du Sud. Il ressort de l’analyse de la politique commerciale et industrielle dans les propositions de 1997 du DTI que l’utilisation de ce qu’il est convenu d’appeler des « stratégies industrielles » était jugée intéressante, mais qu’elles devaient avoir pour objet de corriger les distorsions passées et les résultats des dysfonctionnements du marché dont on considérait qu’ils avaient porté atteinte aux capacités en ressources humaines et technologiques et entravé l’accès aux marchés des capitaux. Afin d’éviter toute distorsion de la concurrence, le DTI a proposé que ce type d’interventions de « stratégie industrielle » cible « certaines grappes d’activités et certaines collectivités » et non des entreprises particulières. Qui plus est, les propositions de 1997 du DTI réfutaient l’idée que la politique de la concurrence doive être affaiblie afin de créer des concurrents plus forts sur le plan international, en faisant valoir qu’une vive concurrence intérieure prépare bien à une forte concurrence internationale. Libéraliser les échanges et attirer l’investissement étranger étaient jugés importants pour promouvoir la concurrence. Des stratégies d’intervention pouvaient toutefois être appliquées, par exemple pour faciliter l’entrée de petites entreprises appartenant à des Noirs sur les marchés internationaux. Le DTI envisageait que les autorités de la concurrence s’efforcent de canaliser les investissements étrangers dans la création de liens avec des partenaires locaux pour intensifier la concurrence (au lieu d’acquisitions financières ou d’absorptions d’entreprises existantes). Le gouvernement a également voulu se réserver le pouvoir de prendre des mesures de protection commerciale dans certains cas, une politique de la concurrence intérieure vigilante étant ainsi d’autant plus importante (DTI, 1997, ch. 4).

25Les grandes orientations de la loi sur la concurrence qui ont trait à l’efficience économique et aux avantages pour les consommateurs laissent une marge de manœuvre dans leur application. Le terme « efficience » ne doit pas nécessairement être interprété dans le sens d’une analyse statique du bien-être, encore que cette interprétation soit possible. Conjuguée à l’« adaptabilité », elle implique un plus grand souci des éléments dynamiques d’entrée et de mobilité. Le concept supplémentaire de promotion du « développement de l’économie » témoigne également d’une très large perspective économique. Et la disposition relative aux intérêts des consommateurs mentionne à la fois les prix et les choix, ce qui implique qu’il pourrait être jugé important de préserver des points de vente ou des marques, même à un prix quelque peu supérieur.

2. Questions de fond : contenu du droit de la concurrence

26La loi sur la concurrence comporte les ingrédients que l’on retrouve habituellement dans la législation et les concepts de la concurrence de bon nombre d’autres pays. La loi encourage même les comparaisons internationales, puisqu’en vertu de son article 1( 3) le droit étranger et le droit international pertinents peuvent être pris en compte pour son interprétation. Les règles relatives aux accords restrictifs reprennent en partie le traité de l’UE, les normes en matière de fusion sont similaires à celles du Canada, et les dispositions applicables à la discrimination par les prix ressemblent à une version révisée et améliorée du Robinson-Patman Act des États-Unis. Quelques pratiques sont interdites en elles-mêmes, mais en général, pour qu’il y ait infraction à la loi sur la concurrence, il faut établir que l’effet net est anticoncurrentiel. Les interdictions applicables aux restrictions horizontales et verticales sont énoncées spécifiquement. Les pratiques individuelles des entreprises sont traitées sous l’angle de l’abus de position dominante et non sous celui de la monopolisation. Les procédures de contrôle des fusions sont complexes. Mais, à l’exception de l’examen des fusions, pour lequel la Commission et le Tribunal se sont montrés étonnamment actifs, il n’y a eu à ce jour que peu de mesures d’application, qui n’ont donné lieu qu’à quelques décisions.

27Le système d’interdiction de la loi sur la concurrence est contrebalancé par un dispositif d’exemptions qui tient compte de considérations générales autres que la concurrence. Peu d’exemptions ont toutefois été accordées à ce titre. La Commission a le pouvoir d’accorder une exemption aux interdictions frappant les accords restrictifs et l’abus de position dominante (article 10). L’exemption peut concerner un accord ou une pratique spécifiques ou une catégorie générale d’accords ou de pratiques. L’exemption ne peut avoir qu’une durée limitée. Des exemptions peuvent être accordées notamment pour les raisons suivantes : maintenir ou promouvoir les exportations, accroître la compétitivité des petites entreprises contrôlées par des personnes historiquement désavantagées, modifier la capacité en vue d’enrayer le déclin d’un secteur, et assurer la « stabilité économique » d’un secteur désigné par le ministre du Commerce et de l’Industrie après consultation du ministre responsable du secteur en question (article 10( 3)(b)). La procédure d’octroi ou de retrait des exemptions exige une enquête et la publication d’un avis pour commentaires. L’octroi d’une exemption n’est pas discrétionnaire. La Commission est tenue d’accorder une exemption si les conditions sont remplies, et de la refuser si elles ne le sont pas (ou si le comportement en question n’enfreint en rien la loi sur la concurrence). Les décisions de la Commission en matière d’exemption peuvent faire l’objet d’un appel devant le Tribunal.

28Les normes applicables aux exemptions sont étonnamment larges ; même des prix imposés et le partage des marchés pourraient donner lieu à exemption s’ils ont pour effet de promouvoir les exportations, de renforcer des entreprises appartenant à des minorités, de permettre une rationalisation mutuelle afin de préserver les bénéfices ou, tout simplement, d’aider des entreprises à maintenir leurs positions concurrentielles traditionnelles les unes par rapport aux autres. Même une pratique illicite en soi pourrait remplir les conditions d’une exemption. La portée de l’article 10 n’exclut pas ce résultat et les conditions d’une exemption en vertu de l’article 10 sont indépendantes des effets sur la concurrence.

29La possibilité qu’un secteur soit désigné pour bénéficier d’une exemption en vue d’assurer la « stabilité économique » est conçue comme un moyen d’intervention ministérielle sur les questions de politique industrielle ou d’intérêt national. Toutefois, la désignation par un ministre ne vaut pas en soi exemption. La désignation autorise la Commission de la concurrence à accorder l’exemption si elle décide que la loi est respectée. Cette disposition n’a été utilisée qu’une fois, pour des combustibles liquides, mais des demandes de désignation ont également été soumises pour le transport des marchandises et les automobiles. La Commission a fait savoir qu’elle était opposée à la demande de désignation des automobiles en décembre 2002. Le DTI travaille sur un cadre général pour traiter ces demandes. Une procédure générale contribuerait à éviter des réponses ponctuelles et non transparentes aux pressions politiques qui s’exercent en faveur de la protection d’intérêts particuliers.

30La décision prise en 2001 d’autoriser un accord de partage des codes de vol entre South African Airlines et Qantas illustre bien l’utilisation du pouvoir d’exemption. South African Airlines a fait valoir que cet accord accroîtrait les recettes d’exportation, tout en menaçant de cesser d’assurer ce service s’il n’était pas donné suite à sa demande. Toutefois, la compagnie aérienne n’a pas prétendu ni démontré qu’elle perdait de l’argent sur le service précédent. L’exemption pour cet accord de partage du marché a été accordée pour un an, sous réserve de certaines conditions. Ces conditions comprenaient la présentation de rapports réguliers sur les tarifs passagers et les ventes, l’interdiction de mettre les recettes en commun et une tarification indépendante. L’exemption ne pouvait être prorogée que s’il était démontré que les allégations relatives à la promotion des exportations s’étaient concrétisées. Les parties ont demandé, et finalement obtenu, une prorogation, mais seulement d’une année.

2.1. Accords horizontaux

31La première règle de la loi sur la concurrence applicable aux restrictions horizontales est une interdiction reposant sur la règle de raison. Les pratiques horizontales restrictives – à savoir des accords, des pratiques concertées ou des décisions émanant d’un groupement de concurrents – sont interdites si elles ont pour effet de réduire sensiblement ou d’empêcher la concurrence sur un marché. La définition des types d’accords interdits est calquée sur le droit de la concurrence de l’UE. Il est possible d’échapper à l’interdiction en démontrant que les avantages proconcurrentiels l’emportent sur l’effet anticoncurrentiel (article 4( 1)(a)). Les éléments qui peuvent être pris en compte aux termes de l’article 4(1)(a) se limitent à la technologie, à l’efficience de la production, ou à d’autres facteurs liés à l’effet de la restriction à la concurrence. La prise en compte d’autres éléments relève de la procédure d’exemption de l’article 10.

32Dans la pratique, une règle d’illicéité en soi est probablement un instrument d’exécution plus important. Les accords horizontaux dont on peut craindre qu’ils aient les effets anticoncurrentiels les plus graves – prix imposés, partage du marché et soumissions concertées – sont interdits purement et simplement, sans qu’il soit nécessaire de démontrer leurs effets préjudiciables et sans qu’il soit possible de démontrer qu’ils sont globalement efficients (article 4( 1)(b)). Ces interdictions sont reprises de la réglementation adoptée dans le cadre du droit de la concurrence d’avant 1998. Ce qui semble être une disposition « fourre-tout » pour l’application de la règle d’illicéité automatique (interdiction) des accords portant sur « toute autre condition commerciale » est interprété de façon étroite dans la pratique comme ne s’appliquant qu’aux facteurs qui sont étroitement liés au prix, à la quantité et à la qualité. Cette disposition n’est pas utilisée pour élargir la règle de l’illicéité automatique.

33Si des entreprises se livrant à une pratique commune ont un administrateur ou un actionnaire important commun, ou détiennent une participation importante l’une dans l’autre, elles sont alors présumées s’être concertées, bien que cette présomption puisse être écartée en démontrant que cette pratique est une réponse normale compte tenu des conditions en vigueur sur le marché (articles 4( 1)(b), 4( 2)). L’effet et la finalité de cette présomption sont peu clairs, notamment parce que la loi définit déjà largement le terme « accord ». La présomption d’accord entre des entités liées était peut-être conçue comme un moyen d’appliquer un contrôle plus strict à des parties qui sont liées par le biais de structures d’investissement complexes et lâches, et de les encourager ainsi à démanteler ces structures ou à rendre plus transparentes les relations de contrôle. Les accords conclus entièrement entre les membres d’un groupe de sociétés composé de filiales à cent pour cent ou d’une structure similaire ne sont pas interdits, ni en vertu de la règle de l’illicéité automatique, ni en vertu de la règle de raison (article 4(5)).

34La procédure d’exemption en vertu de l’article 10 permet de tenir compte des autres considérations de politique sociale ou économique de la loi sur la concurrence, notamment des dispositions visant à promouvoir la compétitivité des petites entreprises, comme en témoigne une exemption accordée à une association de pharmaciens indépendants, qui ont été autorisés à faire de la publicité et à commercialiser leurs produits conjointement pour faire face à la concurrence des grandes chaînes. Cette action conjointe a favorisé la croissance du groupe, qui est passé de 10 à 33 membres, et sa réussite a persuadé la Commission de renouveler l’exemption pour cinqans encore.

35Il y a eu très peu de mesures d’exécution à l’encontre des restrictions horizontales, que ce soit aux termes de l’interdiction réglementaire précédente basée ou de l’interdiction législative actuelle. Quelques enquêtes, qui portent sur de grandes entreprises manufacturières nationales, sont en cours. Dans l’une des affaires les plus intéressantes à ce jour, la Commission a refusé d’accepter une proposition de règlement amiable et d’amende concernant un cartel d’exportation, car le cartel avait l’intention de poursuivre ses pratiques de vente en faisant transiter ses opérations par un pays tiers. La seule mesure signalée à l’encontre de restrictions dans les secteurs des services auto réglementés a concerné la profession juridique et les tribunaux l’ont rejetée : la Commission a tenté, sans succès, de subordonner à certaines conditions une exemption concernant les règles du barreau applicables en matière d’honoraires et d’implantation.

2.2. Accords verticaux

36À la différence de la plupart des lois sur la concurrence, qui regroupent généralement toutes les pratiques restrictives dans une règle unique, La loi sur la concurrence de l’Afrique du Sud établit une distinction entre la règle concernant les pratiques restrictives verticales et celle concernant les restrictions horizontales. Les effets des accords verticaux en termes de concurrence, plus complexes, sont généralement évalués selon la règle de raison. Dans les pays où la loi interdit les accords restrictifs sans distinction aucune, il faut tenir compte des différences sur le plan de leurs effets probables, par le biais de lignes directrices de mise en oeuvre. En vertu de la loi sud-africaine sur la concurrence, un accord vertical est interdit s’il a pour effet d’empêcher ou de réduire sensiblement la concurrence sur un marché, à moins qu’une partie puisse prouver que tout avantage proconcurrentiel résultant de cet accord sur le plan technologique, sur le plan de l’efficience ou sur tout autre plan, l’emporte sur l’effet anticoncurrentiel (article 5( 1)). De ce fait, il faut habituellement démontrer l’existence effective d’un effet anticoncurrentiel pour établir qu’il y a violation de la loi. La seule pratique illicite en soi est la vente à prix minimum imposé. Un fournisseur peut recommander des prix de revente à condition qu’ils n’aient pas un caractère obligatoire. Si le prix de revente est indiqué sur le produit, il doit porter la mention « prix recommandé » (articles 5(2), 5( 3)).

37Dans ce domaine également, peu de mesures d’application ont été prises. Le Tribunal n’a rendu qu’une décision sur le fond concernant une restriction verticale, bien qu’il y ait eu toute une série de décisions procédurales ou interlocutoires, pour la plupart dans le cadre d’une controverse complexe et longue sur les accords de distribution des produits pharmaceutiques

2.3. Abus de position dominante

38La réglementation sud-africaine concernant les pratiques individuelles repose sur l’abus de position dominante, mais comprend également une disposition relative à la discrimination par les prix qui rappelle le droit nord-américain. La position dominante est définie en termes de part de marché et de pouvoir de marché (article 7). On considère que toute entreprise exerçant un pouvoir de marché occupe une position dominante, quelle que soit sa part de marché (article 7(c)). La définition du pouvoir de marché reprend plusieurs éléments de la définition de la position dominante dans le droit de l’UE : « le pouvoir qu’a une entreprise de contrôler les prix ou d’exclure la concurrence, ou encore d’avoir, dans une mesure significative, un comportement indépendant de ses concurrents, de ses clients ou de ses fournisseurs » (article 1( 1)(xiv)). Une entreprise détenant une part de marché de plus de 45 % est considérée irrémédiablement comme dominante. Une entreprise dont la part de marché est comprise entre 35% et 45% est présumée détenir une position dominante, mais elle peut écarter cette présomption en démontrant qu’elle n’exerce pas un pouvoir de marché. Si l’entreprise a une part de marché inférieure à 35%, c’est aux autorités de la concurrence qu’il incombe de prouver qu’elle exerce un pouvoir de marché.

39L’abus de position dominante est essentiellement envisagé sous l’angle d’une liste de pratiques interdites. La première consiste à pratiquer des « prix excessifs » préjudiciables pour les consommateurs (article 8(a)). Un « prix excessif » est un prix qui n’a pas de rapport raisonnable avec la valeur économique et est supérieur à cette valeur (article 1( 1)(ix)). La seconde consiste à refuser à un concurrent l’accès à une facilité essentielle (sous réserve qu’il soit économiquement possible d’accorder cet accès) (article 8(b)). Une facilité essentielle est une infrastructure ou une ressource qui ne peut pas être raisonnablement dupliquée et sans laquelle, s’ils n’y ont pas accès, les concurrents ne peuvent raisonnablement desservir leurs clients (article 1(1)(vii)). Ces deux pratiques sont frappées d’illicéité automatique, sans qu’il soit tenu compte des effets nets en termes de concurrence. Toutefois, comme pour d’autres éléments du droit de la concurrence, les pratiques interdites pourraient être autorisées si les conditions d’exemption en vertu de l’article 10 sont remplies.

40La loi sur la concurrence interdit d’autres actes d’exclusion de la part d’entreprises en position dominante : imposer ou contraindre à accepter des transactions exclusives, refuser de fournir des produits rares à un concurrent, ou imposer des conditions contractuelles sans liens entre elles, vendre au-dessous du coût marginal ou du coût variable moyen, et accaparer l’offre de biens intermédiaires dont un concurrent a besoin (article 8(d)). Ces pratiques sont présumées préjudiciables, mais la règle de raison s’applique. Il peut ne pas y avoir abus de position dominante en cas de transactions exclusives, de refus de fourniture de marchandises, de subordination de vente, de prédation ou d’accaparement de biens, si l’entreprise démontre que l’effet net du comportement en question sur la concurrence sur le marché en cause est positif. En outre, il existe une interdiction générale, basée sur la règle de raison, à l’encontre des actes d’exclusion émanant d’une entreprise en position dominante. Aux termes de cette règle générale, qui s’applique à des actes qui ne sont pas spécifiquement identifiés dans la loi, c’est aux autorités de la concurrence qu’il incombe de démontrer que les effets anticoncurrentiels l’emportent sur les avantages proconcurrentiels en termes de technologie ou d’efficience (article 8(c)). La distinction entre ce qui relève de la règle de raison et de l’illicéité automatique est soigneusement conçue. La Cour d’appel de la concurrence a invalidé une décision du Tribunal qui avait interprété un refus de traiter comme un refus d’accès à une installation essentielle. Le Tribunal considérait que ces deux concepts étaient équivalents sur le plan économique, mais la Cour d’appel s’est montrée soucieuse de bien les différencier du fait de leur régime juridique très dissemblable [7].

41La position dominante est définie en termes de marché spécifique, et pas uniquement en fonction de la taille de l’entreprise. Mais la loi prévoit une exemption générale reposant sur la taille de l’entreprise, qui a bien sûr pour objet de faire en sorte que les petites entreprises ne soient pas considérées comme dominantes sur des marchés de petite taille. Le ministre a le pouvoir de fixer un seuil au-dessous duquel l’interdiction d’abus de position dominante ne s’applique pas. Ce seuil peut être fonction du chiffre d’affaires ou des actifs, et avoir un caractère général ou concerner certains secteurs. Il est fixé en concertation avec la Commission de la concurrence et après avis au public et commentaires (article 6). En vertu de cette disposition, un seuil de minimis a été fixé ; il est de 5 millions de rands de chiffre d’affaires ou d’actifs en Afrique du Sud (Brassey et al., 2002, p. 181).

42Un article est spécifiquement consacré à la discrimination par les prix. Il s’inspire du Robinson-Patman Act des États-Unis, mais avec certaines adaptations gommant les particularités et les problèmes du droit des États-Unis. La loi sud-africaine sur la concurrence interdit la discrimination par les prix, les remises, les rabais, les déductions, les conditions de crédit, les services, ou les modalités de paiement, pour des produits ou des services. Mais l’exercice d’un pouvoir de marché est une condition préalable. Seule une entreprise en position dominante agissant en qualité de vendeur peut être poursuivie pour discrimination par les prix. Dans tous les cas, le critère des effets sur la concurrence entre en ligne de compte; il faut que la discrimination en question ait « probablement pour effet d’empêcher ou de réduire sensiblement la concurrence ». Le critère reste le même, que l’effet se fasse sentir au niveau primaire ou secondaire ou à tout autre niveau de concurrence. Il faut que les transactions soient équivalentes et portent sur des produits ou services d’une catégorie et d’une qualité similaires. Un traitement différencié peut néanmoins être justifié pour des raisons de coût ou d’alignement sur la concurrence. Sur le plan des coûts, la quantité et d’autres facteurs énumérés par la loi peuvent être pris en considération. L’argument de l’alignement sur la concurrence suppose la bonne foi. Un traitement différencié peut être une réponse justifiée face aux conditions du marché, par exemple la perte imminente de biens périssables, l’obsolescence, la liquidation, ou la cessation d’activité (article 9). Une règle explicite en matière de discrimination par les prix peut être un moyen de montrer aux petites entreprises que le droit de la concurrence veille à leurs intérêts. Il n’y a eu que peu d’affaires à ce jour au titre de cet article, sans doute parce qu’il a été rédigé de façon à exclure les réclamations peu importantes sur le plan de la concurrence.

43Du fait de la première pratique interdite, la facturation de prix excessifs, la loi sud-africaine sur la concurrence peut être le fondement d’un contrôle des prix. Cette possibilité est actuellement testée pour ce qui est des prix des médicaments contre le SIDA. En 2001, la Commission a reçu une plainte d’une société pharmaceutique du Cap, qui faisait valoir que les prix des médicaments rétroviraux étaient excessifs. Dans cette plainte, qui cite un certain nombre de sociétés pharmaceutiques internationales, il est allégué que le plaignant pourrait produire des génériques meilleur marché de ces médicaments et que les titulaires du brevet ont conclu des accords exclusifs de licence et autres empêchant la distribution ou la commercialisation de produits meilleur marché. En septembre 2002, une ONG, la « Treatment Action Campaign » (« TAC »), a déposé une autre plainte devant la Commission. Dans sa plainte, formulée au nom des patients et du corps médical, la TAC fait valoir également que les prix sont trop élevés. Le mémoire de la TAC comporte des déclarations sous serment de dizaines d’experts et autres personnes concernées ainsi que d’autres documents, et il est demandé à la Commission d’accorder la priorité absolue à cette question et d’infliger de fortes pénalités aux sociétés pharmaceutiques. La Commission et le Tribunal devront donc peut-être se prononcer sur la façon dont la loi sur la concurrence peut être utilisée pour contrôler les prix dans une situation rendue plus complexe par deux facteurs : le liens entre la politique de la concurrence et les droits de propriété intellectuelle, y compris la reconnaissance de ces droits à l’échelle internationale, et l’intérêt public dans le cas d’un problème de santé publique à grande échelle comme le SIDA. Bien entendu, une décision au titre de la loi sur la concurrence ne peut pas reposer sur l’« intérêt public » en tant que tel. Une décision de la Commission ou du Tribunal sur ces plaintes devra être motivée par des considérations de politique de la concurrence et par les politiques et objectifs spécifiques identifiés dans la loi sur la concurrence.

44Il y a encore eu peu d’affaires concernant l’accès à des installations de réseaux, bien que le refus d’accorder l’accès à une facilité essentielle soit défini de telle sorte qu’il pourrait être aisé de faire appliquer cette règle. Cela tient probablement en grande partie à l’incertitude qui entoure la question de la compétence. Jusqu’à ce que la loi sur la concurrence soit modifiée en 2000, son application aux activités de réseau réglementées était équivoque. La loi sur la concurrence telle que modifiée prévoit des accords de collaboration avec les autorités sectorielles de régulation. La réforme des infrastructures de réseau faisant l’objet d’un monopole ne fait que démarrer en Afrique du Sud. Le monopole des télécommunications a pris fin en 2001, et la Commission commence à examiner les plaintes émanant d’autres prestataires de services qui concernent l’accès au réseau, en concertation avec l’autorité sectorielle de régulation, l’« Independent Communications Authority of South Africa » (ICASA).

45Les présomptions de la loi sur la concurrence quant à l’effet du comportement d’une entreprise dominante sont strictes. En dépit du libellé de la règle de raison, pour les prix excessifs et l’accès à une installation essentielle, la réglementation sud-africaine semble équivalente au traitement appliqué par l’UE à l’abus de position dominante, à savoir l’interdiction sans exemption. Imposer d’autres conditions pour établir le bien-fondé d’une plainte pour refus d’accès pourrait affaiblir dans la pratique cette illicéité de principe. Mais le strict libellé de la loi montre que l’Afrique du Sud se méfie du comportement des grandes entreprises et s’efforce de contrôler et de corriger les antécédents de forte concentration de l’industrie. Toutefois, le fait qu’aucune action n’ait été intentée à ce jour dans ce contexte laisse supposer que cet instrument n’est pas utilisé à cette fin.

2.4. Fusions

46Les normes juridiques applicables au contrôle des fusions sont générales et clairement permissives. Le critère de la politique de la concurrence qui doit être examiné en premier lieu consiste à déterminer si la fusion aura « probablement pour effet d’empêcher ou de réduire sensiblement la concurrence ». Cette évaluation exige une analyse plurifactorielle, détaillée dans la loi, pour déterminer la probabilité que les entreprises se fassent concurrence ou coopèrent après la fusion. Les facteurs à prendre en compte comprennent la concurrence des importations, la facilité d’entrée, les obstacles tarifaires et réglementaires, la concentration, tout antécédent de collusion, tout pouvoir compensateur sur le marché, les caractéristiques dynamiques du marché telles que la croissance, l’innovation, et la différenciation des produits, l’intégration verticale, la défaillance d’une partie à la fusion et l’élimination d’un concurrent effectif (article 12A( 1)).

47Si l’analyse de la concurrence fait apparaître un problème, l’étape suivante consiste à déterminer s’il est probable que des gains technologiques, d’efficience ou autres favorisant le jeu de la concurrence sont susceptibles de compenser les effets anticoncurrentiels et ne seraient pas réalisés en l’absence de fusion (article 12A(1)(a)(i)). La question de savoir si l’efficience doit être répercutée sur les consommateurs ou manifestement leur être bénéfique est fonction de la nature de l’efficience alléguée. Le Tribunal établit une distinction entre l’efficience quantifiable « réelle », pour laquelle il est moins nécessaire de démontrer clairement un avantage pour les consommateurs, et les éléments « moins convaincants », pour lesquels il doit être démontré que les effets bénéfiques sont répercutés sur les consommateurs.

Encadré 1. Efficience et avantages pour les consommateurs

Le libellé des dispositions consacrées à l’efficience à l’article 16 de la loi sur la concurrence de l’Afrique du Sud s’inspire de l’article 46 de la loi sur la concurrence du Canada. Dans Trident Steel (Pty) Ltd et Baldwins Steel, le Tribunal s’est prononcé sur la prise en compte des arguments d’efficience dans le cadre d’une fusion aboutissant à un quasi-monopole dans les aciers spéciaux. Après un examen exhaustif de la façon dont l’efficience est traitée aux États-Unis et au Canada, le Tribunal a opté pour une échelle mobile inverse. Plus il est clair qu’il existe des éléments réels d’efficience, moins il est nécessaire de démontrer comment les consommateurs en bénéficieront directement. Dans ce contexte, le Tribunal est prêt à tenir compte de l’efficience dynamique, l’efficience productive allant des économies de gamme et d’échelle des entreprises à l’efficience dans la recherche et le développement, dès lors qu’elle ne pourrait pas être réalisée sans fusion. Toutefois, l’« efficience pécuniaire ne constitue pas une économie réelle, pas plus que les éléments d’efficience qui se traduisent par une simple redistribution de revenus des clients, fournisseurs ou salariés au profit de l’entité ayant fusionné ». Et le Tribunal s’est montré sceptique à l’égard des gains d’efficience administrative, qu’on peut faire valoir pour la plupart des fusions.

48Une fusion peut également être approuvée ou rejetée sur la base du critère de l’« intérêt public substantiel ». L’intérêt public recouvre un champ vaste, mais pas illimité : on prend en compte l’effet sur un secteur ou une région, l’emploi, la compétitivité internationale des industries sud-africaines, ou la capacité des petites sociétés ou entreprises contrôlées par des personnes historiquement désavantagées à devenir compétitives (article 12A( 1)(a)(ii)). Ce critère est légèrement différent des objectifs de politique générale qui peuvent être pris en compte pour l’exemption des interdictions de la loi sur la concurrence.

49La démarche minutieuse suivie pour l’analyse des fusions, la pertinence des facteurs liés à l’intérêt public et certains des problèmes de compétence sont illustrés dans l’affaire Nedcor-Stanbic, l’une des premières grandes affaires relevant de la loi sur la concurrence. Examinant un projet de fusion de deux grandes banques, la Commission a procédé à une analyse classique, en définissant les marchés de services, en constatant qu’il existait une forte concentration et en s’attachant aux effets réels probables en termes de concurrence. La Commission a considéré que huit des douze marchés de produits dans les services bancaires aux entreprises, d’investissement et de banque d’affaires présentaient une concentration inquiétante et donc problématique, en dépit de la probabilité d’une concurrence étrangère importante. Dans les services aux particuliers et aux petites entreprises, la situation était encore plus préoccupante, car il était moins probable que l’entrée de banques étrangères limite le pouvoir de marché pour ces services. Les éléments d’efficience ont été examinés, mais les arguments invoqués ont été rejetés; en effet, des effets bénéfiques pour les consommateurs étaient peu probables. L’impact en termes d’emploi était également important, car le regroupement éliminerait 4000 emplois (Commission de la concurrence, 2000). En dernière analyse, il a fallu soumettre ces conclusions à titre d’avis à l’autorité de régulation bancaire au lieu de les mettre en œuvre par décision en vertu de la loi sur la concurrence, car les tribunaux on jugé que la loi sur la concurrence ne s’appliquait pas si un secteur était soumis à régulation. La loi sur la concurrence a été modifiée pour restreindre considérablement cette interprétation.

50Le fait qu’une transaction constitue une fusion soumise à notification et examen est fonction de l’acquisition ou de l’établissement du contrôle, direct ou indirect. Le « contrôle » est un élément factuel, que la loi sur la concurrence définit de deux façons. Formellement, c’est la propriété effective d’une majorité du capital ou le pouvoir de contrôler une majorité d’actions ou de nommer une majorité d’administrateurs ou de dirigeants équivalents (ou d’exercer un droit de veto à leur encontre). Formellement, c’est la capacité d’influencer de façon substantielle la politique de l’entreprise de façon comparable à une personne qui peut exercer un « contrôle » tel qu’on l’entend dans la pratique commerciale ordinaire (article 12( 2)). La Commission n’a pas voulu publier des lignes directrices définissant le contrôle en termes plus précis. Elle a été critiquée à cet égard, du fait qu’elle accroissait ainsi l’incertitude et donc les coûts des décisions des entreprises. Par ailleurs, compte tenu de la complexité byzantine des investissements croisés en Afrique du Sud, il est peut-être particulièrement nécessaire de préserver une conception souple du contrôle. Les mêmes problèmes s’étaient fait jour pour la législation antérieure à 1998, et le Conseil de la concurrence avait alors aussi essayé d’éviter une conception formaliste du « contrôle », afin de préserver ses options.

51Cette insuffisante certitude peut faire obstacle aux dispositifs conçus pour faciliter les transferts d’entreprises en liquidation ou pour faciliter les obligations d’information en cas d’opérations internationales. L’un des avantages d’une règle formelle et explicite est que, du moins du point de vue des entreprises, avec des délimitations claires il est plus simple de concevoir les opérations de façon à ce qu’elles se situent à l’intérieur ou à l’extérieur de ces limites. Les entreprises préféreraient souvent ne pas notifier des opérations relevant de multiples autorités de la concurrence lorsque des pays comme l’Afrique du Sud et d’autres petits pays sont concernés tant qu’elles ne savent pas clairement si l’opération sera approuvée ou soumise à certaines conditions sur les grands marchés. Des avocats ont proposé des interprétations habiles du contrôle afin de justifier l’absence de notification en Afrique du Sud. Par exemple, en notant que le loi sur la concurrence dispose que les parties ne peuvent pas « mettre en œuvre » une fusion tant qu’elle n’est pas approuvée (article 13A(3)), certains ont fait valoir que l’acquisition du contrôle n’équivaut pas en fait à mettre en œuvre la transaction et que, dès lors, la notification ou l’approbation peut être reportée jusqu’à la mise en œuvre, à savoir jusqu’à ce que ceux qui détiennent le pouvoir de contrôle prennent effectivement des mesures pour concrétiser la fusion. Un mécanisme plus plausible consiste, pour les parties, à proposer de « cantonner » les opérations sud-africaines qui sont concernées, en s’engageant à maintenir ces opérations séparées, en Afrique du Sud ou même ailleurs, jusqu’à achèvement de la procédure d’examen et d’approbation. La Commission préfèrerait que des engagements à caractère exécutoire soient pris pour ce qui concerne l’Afrique du Sud. En outre, la Commission doute que les dirigeants d’une entité censée fonctionner séparément en attendant l’approbation de l’opération adoptent effectivement un comportement indépendant des intérêts des futurs propriétaires.

52Les dates limites et les procédures diffèrent en fonction de l’importance de l’opération. Les fusions sont qualifiées de petites, intermédiaires ou grandes en fonction de seuils de chiffre d’affaires ou d’actifs qui sont fixés par un règlement du DTI adopté après notification et commentaires et en concertation avec la Commission (article 11). Le seuil a été nettement relevé depuis 1998 afin de réduire le nombre d’opérations soumises à notification et examen obligatoires. Par « grande fusion », on entend plus de 3.5 milliards de rands de chiffre d’affaires ou d’actifs après fusion (et plus de 100 millions de rands pour l’entreprise acquise). Une « petite fusion » correspond à un niveau de chiffre d’affaires ou d’actifs après fusion inférieur à 200 millions de rands (et à moins de 30 millions de rands pour l’entreprise acquise). Les frais de procédure ont été réduits de moitié et sont désormais de 250 000 rands pour les grandes fusions et de 75 000 rands pour les fusions intermédiaires.

53Généralement, les petites fusions n’ont pas à être notifiées à la Commission. Celle-ci peut exiger la notification d’une petite fusion si elle considère que cette fusion pourrait avoir un effet anticoncurrentiel ou pourrait ne pas être dans l’intérêt public. La Commission doit prendre cette décision dans les sixmois qui suivent l’opération, et les parties doivent suspendre son exécution jusqu’à ce que l’examen soit achevé. Les fusions intermédiaires et les grandes fusions doivent être notifiées à l’avance à la Commission de la concurrence, et le syndicat (ou les salariés) de la principale entreprise se portant acquéreur et de la cible principale doivent être avisés.

54Le dossier de notification doit comprendre un certain nombre de documents en plus des formulaires requis : le contrat de fusion, « un document évaluant l’opération en termes de conditions concurrentielles », les documents sur l’opération établis pour le conseil d’administration, les rapports annuels récents, les plans d’activité et les rapports à l’autorité de régulation des valeurs mobilières. Les parties utilisent généralement le document décrivant l’opération et les conditions de concurrence pour soumettre leur projet. Les documents préexistants établis pour le conseil d’administration de l’entreprise sont également censés être remis, mais c’est rarement le cas. Parfois, les parties ont refusé de communiquer des documents et informations demandés par la Commission, en se bornant à les transmettre au Tribunal lorsque cela semblait nécessaire pour renforcer leur position. La Commission a constaté que les informations communiquées dans les dossiers de fusion sont souvent incomplètes, et il est de plus en plus fréquent que la Commission soit appelée à « arrêter la pendule » lorsque les informations fournies sont insuffisantes. Au départ, la Commission, s’efforçant d’encourager les entreprises à se conformer à la procédure, avait accepté des dossiers incomplets. Pour assurer le respect des obligations de notification et des autres formalités, des sanctions administratives peuvent être prononcées par le Tribunal. La sanction en cas de fusion réalisée sans l’approbation requise peut aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires des parties.

55Pour les petites fusions et les fusions intermédiaires, c’est à la Commission qu’il incombe principalement de prendre la décision. La Commission doit statuer dans les 20 jours ouvrables qui suivent la notification. Cette période peut être prorogée une fois, jusqu’à 40 jours ouvrables. Si la Commission n’agit pas dans ce délai, la fusion est approuvée. La Commission doit motiver sa décision si elle interdit une fusion ou impose des conditions— ou lorsque les parties le demandent, même si la Commission approuve l’opération (article 13). Pour les grandes fusions, la Commission doit transmettre la notification au Tribunal et au ministre du Commerce et de l’Industrie. Dans les 40 jours ouvrables qui suivent la notification, la Commission doit leur soumettre sa recommandation. Le Tribunal peut proroger ce délai, de 15 jours ouvrables à la fois. Si la Commission ne respecte pas le délai, les parties peuvent demander au Tribunal de procéder à la fusion sans recommandation de la Commission. Pour une grande fusion, l’inaction de la Commission ne vaut pas approbation de la fusion (article 14A).

56C’est le Tribunal qui statue sur les grandes fusions. Le Tribunal peut également être appelé à se prononcer sur une petite fusion ou une fusion intermédiaire dans certains cas. Si la Commission interdit une petite fusion ou une fusion intermédiaire ou subordonne cette fusion à des conditions, les parties peuvent demander au Tribunal d’examiner ces conditions ou la fusion. Si la Commission approuve une fusion intermédiaire ou impose des conditions, le syndicat ou les salariés qui ont été avisés peuvent demander au Tribunal d’examiner l’approbation ou les conditions imposées (mais seulement s’ils ont participé à la procédure de la Commission) (article 16( 1)). Dans tous les cas de fusion, le Tribunal doit statuer dans un délai fixé par voie de règlement et il doit motiver sa décision. Pour les grandes fusions, la règle du consentement tacite ne s’applique pas.

57Les décisions sur les questions d’intérêt public ainsi que sur les questions de concurrence sont du ressort de la Commission et du Tribunal. L’avant-projet initial de la loi sur la concurrence donnait au ministre le pouvoir d’appliquer le critère de l’intérêt public, c’est-à-dire de passer outre la décision politique de la concurrence. Mais le ministre a décliné à l’époque ce pouvoir. Le ministre peut participer à la procédure en qualité de partie devant la Commission ou le Tribunal pour l’examen des fusions intermédiaires ou des grandes fusions, afin d’exposer son point de vue en ce qui concerne l’intérêt public (article 18(1)). Ce n’est que dans le secteur bancaire qu’il existe une disposition permettant d’invoquer, au niveau ministériel, d’autres intérêts de politique générale qui l’emportent sur la loi sur la concurrence : une fusion bancaire peut échapper à notification ou examen dans le cadre de la loi sur la concurrence si le ministre des Finances certifie qu’il est dans l’intérêt public qu’elle relève uniquement de la loi bancaire (article 18(2)). L’existence d’une réglementation ou d’une intervention publiques ne donnant pas lieu à exemption à la politique de la concurrence, les opérations de restructuration ou de privatisation réalisées par les pouvoirs publics seraient soumises à la procédure de notification et d’examen des fusions. La Commission et le Tribunal les examineraient normalement si les conditions de seuil étaient remplies (Commission de la concurrence, 2002).

58Les parties à un projet de fusion, ou leurs syndicats ou salariés, peuvent faire appel de la décision du Tribunal devant la Cour d’appel de la concurrence (CAC). La Commission ne peut pas faire appel si le Tribunal rejette sa recommandation. La CAC peut confirmer, modifier ou infirmer la décision du Tribunal. Il n’est pas indiqué clairement si la CAC pourrait renvoyer l’affaire pour complément de procédure. Si ce n’est pas le cas, dès lors que la CAC infirme la décision précédente, elle doit rendre sa propre décision d’approbation ou d’interdiction de la fusion, ou encore de subordination de l’opération à certaines conditions (article 17).

59La Commission s’efforce d’utiliser au mieux ses ressources en identifiant rapidement les fusions qui ont de bonnes chances d’être approuvées et celles qui seront probablement problématiques. La Commission a proposé une procédure « expresse » dans ses normes de procédure, qui ont fait l’objet d’un aide-mémoire de décembre 2001 décrivant les types d’opérations susceptibles de bénéficier de ce régime accéléré. Deux types d’opérations qui n’ont pratiquement jamais d’incidence en termes de concurrence sont les cessions immobilières et les rachats d’entreprises par les salariés. La Commission traitera en outre rapidement les opérations faisant intervenir une entreprise en grave difficulté ou encore un nouvel entrant. Le régime accéléré devrait s’appliquer si les marchés de produits ou les marchés géographiques ne se recoupent pas. Si la part de marché totale dépasse 15 %, la décision d’accorder ou non un traitement accéléré sera fonction du degré de concentration et de l’ordre de grandeur de la concentration. Les seuils structurels pour le traitement accéléré sont similaires à ceux qui sont appliqués en Amérique du Nord : HHI inférieur à 1000, ou HHI compris entre 1000 et 1800 et accroissement de moins de 100, ou HHI supérieur à 1800 et accroissement de moins de 50. Les parties doivent soumettre les éléments factuels à l’appui de leurs allégations relatives au marché, aux effets sur la concurrence et aux éléments d’efficience, et elles doivent produire une lettre d’accord présumé des syndicats renonçant à toute intention de soulever des questions touchant à l’emploi. Pour les opérations remplissant les critères fixés, la Commission s’engage à statuer dans les 20 jours. (Le délai ne peut être inférieur à 10 jours car c’est le laps de temps dont dispose le ministre pour faire savoir s’il a l’intention de soulever toute question d’intérêt public). Les décisions sur les grandes fusions sont souvent rendues le jour de l’audience. En 2000-2001, c’est ce qui s’est passé dans 24 affaires de ce type sur 35. Au cours de cette période, seules 2 décisions relatives à une fusion ont pris plus d’une semaine après l’audience du Tribunal. Environ un quart des grandes fusions notifiées au cours de cette période s’inscrivaient dans le cadre d’opérations multinationales et toutes les fusions concernées ont été approuvées.

60Les considérations liées à l’intérêt public sont indépendantes de celles qui ont trait à la concurrence et à l’efficience, et elles sont tout aussi importantes. Une fusion ne soulevant pas de problèmes de la concurrence peut néanmoins être interdite en raison d’autres considérations d’intérêt public. Au moins une fusion n’a été autorisée qu’après que les parties ont accepté certaines conditions en matière de sécurité de l’emploi, bien qu’il ait été jugé que l’opération ne posait pas de problèmes de concurrence [8]. Les considérations liées à l’intérêt public vont souvent de pair avec les arguments d’efficience. Le Tribunal a autorisé des fusions par ailleurs anticoncurrentielles lorsqu’il ressortait clairement que l’efficience productive ferait plus que compenser l’effet anticoncurrentiel [9]. Les considérations d’intérêt public ont joué un grand rôle dans d’autres décisions, mais sans forcément conduire à une approbation. Le Tribunal a jugé les risques de monopole dans l’enseignement suffisamment graves pour subordonner à certaines conditions une acquisition qui concernait des services éducatifs [10] faisant l’objet d’une franchise. Toutefois, la Cour d’appel de la concurrence a laissé entendre que les facteurs d’intérêt public ne devaient pas empêcher une fusion s’il n’y a pas lieu de le faire pour des raisons de politique de la concurrence [11].

61Le contrôle des fusions peut être utilisé pour promouvoir des mesures législatives d’intérêt général, notamment pour favoriser la participation de personnes historiquement désavantagées aux activités industrielles et commerciales. Par exemple, une entreprise achetant des équipements à une autre entreprise cessant ses activités faisait valoir que cela accroîtrait les possibilités d’emploi et de vente pour les agriculteurs noirs ; toutefois, l’entreprise aurait de ce fait détenu une position dominante en tant qu’entreprise de transformation dans la région en ayant la plus grande part de marché du produit (coton). La Commission a exigé une restructuration afin que les « partenaires du transfert de pouvoir économique » soient l’entreprise se portant acquéreur, de façon qu’apparaisse un nouveau concurrent (Commission de la concurrence, 2001, p. 9). Des divergences se sont fait jour quant à la mise en œuvre de ces mesures. A une occasion, la Commission a essayé d’imposer des conditions pour l’acquisition d’une entreprise contrôlée par les membres d’un groupe minoritaire, dans l’optique du critère législatif d’aide aux entreprises contrôlées par des personnes historiquement désavantagées ou leur appartenant. Le Tribunal n’a pas été de cet avis et a fait valoir que l’objectif de transfert du pouvoir économique serait réalisé si l’on permettait aux membres du groupe minoritaire de leur vendre sa participation et d’investir leurs capitaux ailleurs s’il le souhaitait La seule question qui se posait était celle de l’intérêt public, car l’entreprise acquise, l’une des seules entreprises dont des Noirs étaient propriétaires dans le secteur pétrolier, ne jouait pas un rôle significatif sur le plan de la concurrence, sa part de marché étant inférieure à 1 %. [12]

62La procédure de contrôle des fusions accorde également un rôle explicite aux intérêts des travailleurs. Les syndicats doivent être avisés des grandes fusions et des fusions intermédiaires, afin de pouvoir décider s’ils souhaitent participer à l’examen. Les syndicats participent à environ 20% des procédures de fusion, et environ 20% des syndicats qui sont avisés d’un projet de fusion décident de participer à la procédure (Commission de la concurrence, 2001). Les syndicats participants peuvent même faire appel s’ils ne sont pas satisfaits du résultat. Les syndicats considèrent qu’ils sont avisés promptement, mais que leur participation ultérieure est parfois entachée d’incertitude. Doivent-ils être avisés des étapes ultérieures de l’examen et peuvent-ils avoir accès au dossier ? Cela peut dépendre de l’attitude du responsable chargé du dossier et de celle des parties à la fusion, selon qu’elles seront plus ou moins disposées à donner accès à des informations confidentielles. Les syndicats se sont montrés très actifs dans plusieurs cas, en particulier dans les affaires SFW-Distillers et Unilever-Robertsons, où ils ont formulé des observations sur les effets sur la concurrence et les consommateurs ainsi que sur l’incidence en matière d’emploi. Il est clair que l’emploi est un enjeu important, et les syndicats veulent avoir la certitude que la procédure d’examen des fusions peut être mise à profit pour protéger ces intérêts. Les syndicats se plaignent de ce que les entreprises retardent la notification de l’opération en Afrique du Sud afin de pouvoir modifier les effectifs avant d’être tenues d’en informer les syndicats et ils reprochent aussi aux parties aux fusions de ne pas fournir d’informations exactes sur l’évolution des effectifs. La prise en considération des effets sur l’emploi n’est pas une nouveauté de la loi sur la concurrence de 1998, mais la procédure formelle de notification et de participation au profit des syndicats constitue une innovation. Aux termes de la loi de 1979, l’effet sur l’emploi relevait des considérations entrant en ligne de compte pour se prononcer sur l’intérêt public, et l’ancien Conseil de la concurrence a parfois rejeté des fusions en raison de leurs effets négatifs sur l’emploi.

63Les problèmes généraux concernant la structure de l’économie n’ont pas été une composante du contrôle des fusions, bien qu’ils aient été au premier plan du débat qu’a suscité le droit de la concurrence dans les années 1990. La Commission et le Tribunal adoptent une approche classique de la politique de la concurrence dans les analyses et mesures qui ont trait aux fusions. Les problèmes liés à la concentration globale et aux structures d’investissement pyramidales, quoiqu’ils présentent encore un certain intérêt, ne sont pas entrés en ligne de compte dans le prononcé des décisions.

64A un degré surprenant, la politique de la concurrence en Afrique du Sud concerne avant tout les fusions. Avant même que la nouvelle loi ne soit adoptée en 1998, la politique de la concurrence était déjà essentiellement centrée sur le contrôle des fusions. Cette tendance s’est confirmée dans le cadre des nouvelles procédures plus strictes de contrôle des fusions. Le barreau préférait l’ancien système, qui était plus informel et plus discret. Mais il était aussi moins transparent. La portée excessive évidente de l’obligation d’examen découlant des seuils initialement fixés avait été critiquée par les entreprises. Les révisions apportées en 2000 pour réduire le champ d’application de l’obligation de notification et la procédure mise en place en 2001 pour axer l’examen sur les opérations les plus importantes ont tenté de répondre à ces critiques. Les décisions prises à ce jour montrent que, en termes d’analyse économique de fond et de sensibilité au cadre de politique générale, l’examen des fusions en Afrique du Sud est extrêmement perfectionné.

Encadré 2. Principales questions examinées dans les affaires de fusion

Compte tenu de leurs larges missions de contrôle des fusions, les autorités d’Afrique du Sud ont rendu en quelques années des dizaines de décisions. Cela tient à l’obligation d’examiner chaque grande opération et de se prononcer, même brièvement, dans chaque cas. L’éventail des questions que le Tribunal et la Commission ont eu à traiter est impressionnant, de même que la complexité économique de leur démarche.
Définition du marché : Dans l’affaire JD-Ellerines, le Tribunal a interdit un regroupement entre des chaînes de distribution de meubles. Le Tribunal a usé de ses pouvoirs pour obtenir des éléments de preuve complémentaires ; il ne s’en est pas tenu aux statistiques superficielles, mais a examiné en détail les stratégies de marketing effectives. Il en a conclu que la fusion réduirait la concurrence sur le marché local pour les services destinés aux clients les plus pauvres, qui ont probablement davantage besoin d’acheter à crédit.
Réglementation : Dans l’affaire Tongaat-Hulett Group Ltd-Transvaal Suiker, le Tribunal a interdit une fusion dans l’industrie sucrière. Les parties avaient fait valoir, apparemment sans ironie aucune, que leur fusion n’aurait pas d’incidence sur la concurrence dans la mesure où ce sont les réglementations qui fixent les prix et que, de ce fait, il ne pouvait y avoir d’effets sur la concurrence. La Commission craignait une concentration déjà forte, une division du marché de facto entre les ventes industrielles et de grande consommation, et l’absence d’importations ou de pouvoir compensateur. Par ailleurs, l’une des entreprises en question était l’entreprise « réfractaire » du secteur (Commission de la concurrence, 2001). Le Tribunal a recherché des éléments de preuve complémentaires au cours de la procédure. En dernière analyse, le Tribunal a jugé préférable de préserver les possibilités de concurrence au cas où les réglementations seraient modifiées. Des assurances écrites du DTI précisant que la réglementation serait modifiée pour stimuler la concurrence n’ont pas convaincu le Tribunal d’autoriser l’opération à suivre son cours.
Efficience : Dans l’affaire Trident Steel (Pty) Ltd-Baldwins Steel, évoqué ci-dessus, le Tribunal a jugé que les arguments liés à l’efficience étaient suffisamment crédibles pour justifier une fusion proche d’un monopole dans les aciers spéciaux. Cette décision contient des lignes directrices nuancées pour traiter les questions d’efficience et soupeser les arguments d’efficience productive et de préjudice pour les consommateurs.
Petites entreprises : Dans l’affaire National Sorghum Breweries-South African Breweries, un accord de licence restrictif concernant le secteur du sorgho a convaincu la Commission d’interdire l’opération. Mais, par la suite, la modification de cet accord lui a permis de l’autoriser. La Commission estime que ce résultat a favorisé la compétitivité des petites entreprises.
Exclusion verticale : Dans l’affaire Schumann Sasol-Price’s Daelite, le Tribunal a essayé d’empêcher un fournisseur de matières premières, disposant d’une part de marché de 70 %, d’acquérir un client en aval, qui détenait une part de 40 % du produit en question La Commission avait recommandé l’approbation de l’opération, qui résultait du règlement d’un différend contractuel entre les parties, mais le Tribunal l’a rejetée en raison de la fermeture d’une grande partie du marché et de l’obligation d’entrée à deux stades imposée aux entreprises en aval. Toutefois, c’est la Cour d’appel de la concurrence qui a eu le dernier mot, et se prononçant pour la première fois sur le fond dans une affaire de fusion, elle a annulé la décision du Tribunal. La Cour a fait valoir qu’il existe un marché mondial pour la matière première, la cire, et qu’un producteur du produit en aval, les bougies, n’aurait aucune difficulté à se procurer la matière première. La Cour a critiqué le Tribunal pour ses spéculations, mais la décision de la Cour ne cite que l’argument des avocats à l’appui de sa propre conclusion inverse et se base essentiellement sur des présomptions d’ouvrages universitaires quant à la façon dont les fusions verticales sont susceptibles d’affecter la concurrence.
Marchés internationaux : Dans l’affaire Nampak-Malpak, le Tribunal a autorisé une fusion entre de grands producteurs d’emballages, en dépit des objections de nombreux clients qui affirmaient ne pas avoir de possibilité de faire contrepoids. Le Tribunal a noté que le marché était en fait scindé en deux. Une partie comprend les ventes aux multinationales, qui concentrent de plus en plus la production mondiale à un seul endroit au lieu de la répartir sur différents marchés. Dans ce secteur, une entreprise d’Afrique du Sud doit être exceptionnellement grande et complexe pour assurer ce qui pourrait être une production à l’échelle mondiale ou continentale. Et dans ce secteur, la nouvelle entreprise ne se situerait qu’au 31e rang mondial. L’autre partie recouvre les ventes aux entreprises nationales, fonctionnant à une échelle plus réduite— mais ce secteur peut être desservie par les entreprises restantes, de plus petite taille. En outre, le Tribunal a considéré que l’entrée à échelle réduite ne serait pas très difficile. Un acheteur multinational pourrait promouvoir l’entrée (ou appuyer l’expansion de l’une des entreprises marginales restantes) en cas d’abus de la part de l’entreprise issue de la fusion. Le Tribunal a imposé une condition, exigeant la cession d’une usine fabriquant un produit d’isolation, pour lequel le marché était local et les acheteurs étaient dispersés.
Produits de grande consommation différenciés Dans l’affaire Pioneer Foods-SAD, le Tribunal a approuvé une fusion qui semblait déboucher sur un quasi-duopole dans le secteur des céréales prêtes à l’emploi. L’une des raisons de cette approbation tenait à l’apparente facilité d’entrée dans les produits de type muesli, qui constituaient la principale ligne de produits de l’entreprise acquise. En outre, des entreprises de marque internationale qui n’étaient pas encore sur le marché d’Afrique du Sud, comme General Mills, CPW, et Nabisco, pouvaient y entrer également. Une analyse d’élasticité comparative a été utilisée pour déterminer le degré de pouvoir sur le marché local, le cas échéant, de Kellogg’s et de la nouvelle entreprise. Compte tenu de la large différenciation des produits, une collusion a semblé peu probable. Et le Tribunal a noté que les distributeurs pouvaient avoir intérêt à favoriser de nouvelles entrées sur le marché afin d’empêcher les abus.
Contacts multimarchés : Dans l’affaire Mondi-Kohler, le Tribunal a avalisé la recommandation de la Commission d’interdire ce qui ressemblait à une regroupement vertical portant sur un produit industriel mal connu, à savoir les mandrins utilisés pour le bobinage des textiles et du papier. Le fournisseur de la matière première souhaitant acquérir le fabricant de mandrins. Le secteur des « produits du papier » au sens large est un duopole en Afrique du Sud, et le Tribunal a considéré que ce regroupement simplifierait à plusieurs égards la coordination globale du duopole, en particulier compte tenu d’une autre opération qui était sur le point d’être réalisée à l’époque.

3. Questions institutionnelles : structures et pratiques de mise en application

65Les nouvelles institutions d’Afrique du Sud s’efforcent de mettre en œuvre une politique à base économique dans le contexte d’une culture d’application des lois dont le souci de juridisme reflète les anciennes méthodes. Le dispositif d’examen des fusions a été mis en place, mais les procédures d’application et d’exemption doivent maintenant retenir davantage l’attention.

3.1. Institutions de la politique de la concurrence

66La principale innovation de la loi sur la concurrence de 1998 a été la création d’organismes d’application indépendants et efficaces. Le pouvoir de décision a été retiré au ministre et confié à un Tribunal de la concurrence indépendant. Même le bureau chargé des enquêtes et des recommandations a été transféré en dehors du DTI et reconstitué sous la forme de la nouvelle Commission de la concurrence. La loi sur la concurrence a aussi créé une juridiction spéciale, la Cour d’appel de la concurrence. On met beaucoup l’accent sur la nouveauté de ces institutions, mais il existe une certaine continuité du point de vue de leurs missions et de leurs effectifs avec celles qui les ont précédées. Le président ainsi que l’autre membre permanent du Tribunal étaient membres de l’ancien Conseil de la concurrence, et plusieurs hauts fonctionnaires de la Commission occupaient des postes similaires au DTI, au secrétariat du Conseil de la concurrence.

67La Commission est l’organe d’enquête et l’organe exécutif. Contrairement à ce que pourrait donner à penser sa dénomination, la Commission est une administration exécutive et non un organe collégial, dont le pouvoir est principalement dévolu au Commissaire, en qualité de principal responsable. La seule autre nomination requise est celle du Commissaire adjoint. Le mandat est de 5 ans renouvelable (article 22). Le Commissaire ne peut être démis de ses fonctions que pour juste motif, en l’occurrence pour faute lourde, incapacité permanente, ou exercice d’activités pouvant « nuire à l’intégrité » de la Commission. Le ministre du Commerce et de l’Industrie nomme le Commissaire et le Commissaire adjoint et fixe leur rémunération ainsi que leurs conditions d’emploi, en concertation avec le ministre des Finances. Le Commissaire a un accord définissant des objectifs de performance annuels avec le DTI et est responsable devant le ministre. La Commission et son personnel sont soumis aux règles généralement applicables concernant les conflits d’intérêts et l’utilisation abusive d’informations confidentielles (article 20( 2)). Le Commissaire dirige la Commission et son personnel, avec le concours d’un bureau du DTI pour les questions administratives. La principale différence entre la Commission, indépendante, et le secrétariat de l’ancien Conseil sur la concurrence est que la Commission dispose de davantage de ressources. Bénéficiant du versement de substantiels frais de procédure en cas de fusion, la Commission compte près de 100 agents dans ses bureaux de Pretoria.

68Bien que la Commission se situe à la première étape dans l’application de la loi sur la concurrence, la liste de ses fonctions, énumérées dans la loi sur la concurrence, ne commence pas par l’application de la loi, mais par la sensibilisation à la concurrence. La Commission est tenue de « mettre en œuvre des mesures visant à accroître la transparence du marché » et de « sensibiliser le public » à la loi sur la concurrence. La Commission enquête sur les infractions et les évalue, accorde les exemptions, examine et autorise ou interdit les fusions, ou saisit les autres autorités dans les conditions prévues par la loi, et elle est entendue par le Tribunal. La Commission a plusieurs missions réglementaires. Elle négocie des accords avec d’autres autorités réglementaires en vue d’harmoniser leurs compétences respectives et participe aux procédures d’autres autorités réglementaires. Elle est aussi chargée d’examiner les lois et règlements et de faire rapport au ministre sur toute disposition ouvrant la voie à des pratiques anticoncurrentielles (article 21(1)). La Commission peut examiner toute question « relative aux finalités de la loi » et faire rapport à ce sujet au ministre du Commerce et de l’Industrie. Le ministre doit présenter à l’Assemblée nationale ces rapports ainsi que ceux concernant les problèmes de concurrence que soulèvent les lois et règlements.

69Le Tribunal de la concurrence est une juridiction collégiale qui relève de la catégorie des juridictions spéciales. La loi dispose qu’il se compose de 3 à 10 membres plus un président, dont les candidatures sont toutes présentées par le ministre du Commerce et de l’Industrie et qui sont nommés par le Président d’Afrique du Sud (article 26). Les membres ont un mandat de même durée que celui du Commissaire, à savoir 5 ans, et ils ne peuvent être démis de leurs fonctions que pour juste motif. Toutefois, le président ne peut exercer ces fonctions que deux mandats consécutifs (article 29). Les membres du Tribunal ne représentent pas des groupes d’intérêts. Ils sont censés assurer une « large représentation de la population ». Ils doivent être qualifiés et expérimentés dans les questions dont traite le Tribunal et ils ne peuvent être responsables de mouvements ou partis politiques (article 28). Une contrainte s’applique en ce qui concerne la qualification des membres : il doit y avoir suffisamment de juristes pour pouvoir affecter au moins un juriste à chaque chambre. La rémunération et les conditions d’emploi, qui sont définies par le ministre, ne peuvent pas être réduites en cours de mandat. (Il convient de noter que le Commissaire, qui peut exercer ses fonctions plus longtemps et a par conséquent un statut plus proche de celui d’un fonctionnaire, ne jouit pas de la protection contre les réductions de rémunération). En 2001, les membres du Tribunal comptaient six juristes, trois économistes et un comptable agréé.

70Le Tribunal statue en première instance sur les grandes fusions et sur les plaintes pour pratiques restrictives et abus de position dominante. Il statue également en appel sur les décisions de la Commission relatives aux exemptions et aux fusions petites ou intermédiaires (article 27). Il peut prononcer des mesures correctrices provisoires – et cette procédure a constitué sa tâche principale – après examen des fusions. Le Tribunal est doté de pouvoirs propres d’enquête et il n’est donc pas tenu de se limiter aux éléments de preuve et arguments présentés par la Commission et les parties. Les affaires sont jugées par une chambre de troismembres.

71A deux exceptions près, les membres du Tribunal exercent leurs fonctions à temps partiel. Leur rémunération n’est pas très élevée. Ces facteurs conjugués peuvent poser des problèmes pour les affaires complexes. Le ministre n’a pas accepté l’interprétation que faisait le Tribunal de la formule de rémunération et a réduit la rémunération quotidienne des membres de plus de 50%. Ce différend n’est pas encore entièrement réglé (Commission de la concurrence, 2001, p. 4,7). Plusieurs membres ont récemment quitté le Tribunal, notamment pour exercer dans le privé — l’un deux a rejoint la Commission — parce qu’ils n’étaient pas suffisamment bien rémunérés. Du fait de l’activité à temps partiel, il est difficile de constituer une chambre pour les questions complexes autres que les fusions, pour lesquelles de nombreuses journées d’audience sont nécessaires.

72Le ministère du Commerce et de l’Industrie (DTI) est principalement chargé de la politique générale et de la législation, ainsi que des nominations. Le DTI est responsable des budgets de la Commission et du Tribunal (Commission de la concurrence, 2002). En dépit de ces liens, l’indépendance décisionnelle de la Commission et du Tribunal est bien établie. Il a été jugé nécessaire que la nouvelle structure de politique de la concurrence soit à l’abri des influences politiques afin qu’elle soit crédible aux yeux des marchés et des citoyens. L’action de la Commission n’est soumise à aucune directive politique, même si le Commissaire est dûment responsable devant le ministre. La Commission est tenue de par la loi d’être « indépendante et soumise exclusivement à la constitution et à la loi », d’être impartiale et de « s’acquitter de ses fonctions sans crainte, faveurs ou préjugés » (article 20( 1)). Les autres responsables et institutions au niveau national, provincial et local doivent aider la Commission à préserver son indépendance et son impartialité (article 20( 2)). Le Tribunal, tout comme la Commission, a l’obligation d’être indépendant et impartial. Le ministre, comme le prévoit la loi, a pris position sur certaines questions d’intérêt public. On n’a pu observer jusqu’à présent aucune tentative politique d’influencer les décisions des autorités chargées de la mise en œuvre du droit de la concurrence.

73La Cour d’appel de la concurrence a le statut de juridiction supérieure. Ses membres doivent être des juges de la High Court. Elle compte au moins troismembres, nommés par le Président sur avis de la Commission des services judiciaires. D’autres juges de la High Court peuvent être détachés auprès de la CAC à titre de juges suppléants. La durée du mandat des membres de la Cour d’appel de la concurrence est fixée par le Président lors de leur nomination. La rémunération et la protection statutaire des juges sont celles dont ils bénéficient en qualité de juge à la High Court (article 39).

74La constitution exige une possibilité d’appel auprès d’une juridiction indépendante. La CAC joue ce rôle tout en développant une expertise particulière pour les questions complexes de concurrence. La CAC peut être saisie de toute décision du Tribunal pour illégalité et incompétence. La CAC statue également au fond sur toute décision finale du Tribunal (à l’exception d’une ordonnance de règlement amiable) et toute décision interlocutoire pour laquelle la loi autorise un appel. La CAC peut confirmer, infirmer, modifier ou renvoyer une décision. La CAC siège en chambres de trois juges, un seul juge pouvant toutefois se prononcer sur les décisions interlocutoires ou les questions de procédure. La CAC n’a rendu qu’une dizaine de décisions en trois ans. La plupart des décisions de la CAC portent sur des questions de procédure et de compétence. La CAC n’a encore guère établi une jurisprudence sur le fond.

75Les nouvelles institutions prennent une multitude de décisions, surtout dans le domaine des fusions. Sur les quelque 175 décisions du Tribunal au cours de ses troisans d’existence, 125 portent sur de grandes fusions (la quasi-totalité ayant été approuvées). Tous les textes législatifs de base ainsi que les décisions du Tribunal et de la CAC peuvent être consultés sur des sites web clairs et commodes. La Commission publie des rapports annuels et des bulletins trimestriels, qui sont également diffusés sur le site web de la Commission. Toutefois, ils ne reprennent pas nécessairement toutes les mesures de la Commission. Les avis consultatifs ne sont pas diffusés et ils ne peuvent donc pas servir de principes directeurs. Il y a eu peu de lignes directrices officielles à ce jour. Les lignes directrices relatives aux fusions que l’ancien Conseil de la concurrence avait publiées en 1981 sont toujours jugées utiles par les praticiens, en particulier pour ce qui a trait à la question du seuil caractérisant le changement de « contrôle » (Brassey et al., 2002, p. 229). La Commission a refusé de publier de nouvelles lignes directrices sur cette question dans le cadre de la loi de 1998, en faisant valoir qu’elle attendait d’avoir acquis une plus grande expérience du nouveau système.

3.2. Mise en oeuvre de la réglementation de la concurrence

76L’application de la loi comporte des aspects administratifs et quasi-judiciaires. La Commission est compétente au premier chef pour toute question relevant de la loi sur la concurrence. Les décisions contestées sont soumises au Tribunal, qui statue après avoir entendu la Commission et les parties. Le Tribunal peut également prononcer des sanctions. Les parties peuvent faire appel de toute décision finale du Tribunal (et de quelques autres décisions également) devant la CAC. Dans la pratique, l’expérience du contentieux de l’application de la loi est limitée, sauf pour les fusions. La plupart des affaires autres que les fusions ont été résolues par accord amiable ou reportées du fait de demandes de mesures provisoires (Tribunal de la concurrence, 2002).

77Le Commissaire peut agir de son propre chef contre une pratique interdite. Lorsqu’elle reçoit une plainte ou des informations d’une tierce partie concernant une pratique interdite, la Commission doit ouvrir une enquête (article 49B). Le Tribunal doit être saisi dans un délai d’un an, ou bien l’affaire doit être classée dans le même délai. Si l’affaire est classée, le demandeur doit en être avisé (article 50) Le délai d’un an peut être prorogé, sur ordonnance du Tribunal ou avec l’accord du défendeur. Le Tribunal peut ordonner des mesures provisoires pour éviter des dommages graves ou irréparables pendant que l’enquête de la Commission suit son cours. Ces mesures provisoires, examinées plus en détail ciaprès, sont devenues un élément essentiel du contentieux.

78Tout règlement amiable négocié avec la Commission doit être ratifié par le Tribunal, qui peut le rejeter ou indiquer quelles modifications doivent y être apportées. Une ordonnance de règlement amiable peut comporter l’attribution de dommages-intérêts au plaignant (article 49D). L’ordonnance du Tribunal confirmant un règlement amiable ne peut être contestée devant la CAC. La procédure d’ordonnance de règlement amiable suppose que le défendeur admette ses torts. C’est un préalable à toute action civile ultérieure. Afin d’éviter d’avoir à reconnaître leurs torts et de réduire le risque de responsabilité civile, les défendeurs se sont efforcés de transiger en-dehors de la procédure judiciaire de règlement amiable. La Commission souhaiterait trouver un moyen d’appuyer cette solution, afin d’accroître son taux de réussite. Dans un premier temps, la loi sur la concurrence invitait les entreprises à demander un avis pour déterminer si une pratique était ou non interdite et elle prévoyait que la Commission se prononcerait le cas échéant par une « lettre d’accord présumé ». Cet article (ancien article 10( 2)) a été supprimé dans le cadre des modifications de 2001. Désormais, les entreprises doivent demander une exemption ou un avis consultatif officiel, contre paiement. Les frais vont de 2500 rands pour un simple avis consultatif jusqu’à 100 000 rands pour l’instruction d’une demande d’exemption pour une association professionnelle.

79Les pouvoirs d’investigation sont larges, mais ils sont soumis à un contrôle judiciaire sur les points sensibles. Tous locaux peuvent être perquisitionnés s’il existe des motifs raisonnables de penser qu’une pratique interdite y est exécutée (ou y a été exécutée, ou y sera exécutée) ou qu’une personne s’y trouvant détient ou a sous son contrôle toute chose se rapportant à une enquête en vertu de la loi sur la concurrence. Une telle perquisition exige un mandat délivré par un juge (article 46). Toutefois, un mandat n’est pas toujours nécessaire pour procéder à une perquisition dans une entreprise si le propriétaire ou la personne en ayant le contrôle y consent, ou si le responsable concerné estime raisonnablement qu’un mandat serait délivré, mais que le délai exigé pour l’obtenir porterait préjudice à l’objet de la perquisition (article 47). En d’autres termes, la loi permet une « descente éclair » ex parte dans les locaux de l’entreprise. Les enquêteurs peuvent examiner des documents, demander des informations sur ces documents, prendre des notes et faire des copies, utiliser les systèmes informatiques pour rechercher et reproduire des données enregistrées électroniquement, et saisir des preuves (article 48). Il existe un certain nombre de sauvegardes concernant la régularité de la procédure. Une perquisition doit se faire dans le respect de la décence et de l’ordre ainsi que de la dignité des personnes, de la sécurité, de la liberté et de la protection de la vie privée, et les personnes concernées doivent être informées de leur droit d’être assisté d’un avocat. Mais la loi comporte aussi certaines mesures visant à l’efficacité des perquisitions. La police peut accompagner les enquêteurs et vaincre toute résistance en faisant raisonnablement usage de la force, par exemple en brisant une vitre pour entrer (article 48,49). La Commission peut contraindre une personne à témoigner (sous réserve de la protection contre l’auto-incrimination) et à produire des documents ou d’autres éléments de preuve (article 49A). La Commission a dû user de ses pouvoirs de perquisition et de saisie contre une société qui avait manqué à sa promesse de fournir des informations suite à une citation (qui avait été retirée compte tenu de la promesse faite) ; la High Court a validé l’exercice de ce pouvoir, qui découlait d’un mandat (Commission de la concurrence, 2001, p. 35).

80La confidentialité est le premier sujet de l’article de la loi sur la concurrence qui concerne les pouvoirs d’enquête. Cela reflète probablement son caractère prioritaire pour le monde des affaires et peut-être pour les pouvoirs publics également. La désignation par une entreprise d’un document comme étant confidentiel a un caractère impératif pour la Commission. La Commission peut demander au Tribunal de décider si les informations ainsi désignées répondent aux conditions prévues par la loi, et dans l’affirmative, de rendre une ordonnance concernant l’accès à ces informations (article 44). Toute personne peut saisir le Tribunal pour avoir accès à des informations désignées comme confidentielles et elle peut faire appel auprès de la CAC si l’accès lui est refusé (article 45).

81Les audiences du Tribunal sont publiques, sauf dans la mesure nécessaire pour protéger des informations confidentielles, mais la procédure peut être souple. Les conférences téléphoniques et les vidéoconférences sont autorisées, par exemple, et la procédure peut être informelle ou inquisitoire (article 52). Les parties (les défendeurs et les plaignants) ainsi que certains tiers ayant un intérêt substantiel (notamment les parties en droit d’être avisées d’une fusion) peuvent participer aux audiences du Tribunal, en ayant le droit de poser des questions et d’examiner les éléments de preuve présentés (article 53). Le Tribunal peut citer des témoins à comparaître et les obliger à témoigner, sous réserve de la protection contre l’auto-incrimination, et il peut exiger la production de documents (articles 54 et 56). Le Tribunal n’est pas soumis à toutes les règles applicables aux juridictions ordinaires. Par exemple, il peut accepter des témoignages sans serment ou des éléments de preuve qui ne seraient pas admissibles devant les juridictions ordinaires (article 55).

82En matière de fusion, la Commission doit agir dans les 40 jours. Il y a eu des réclamations en raison de retards. La rapidité d’action de la Commission est fonction de la complexité de l’affaire, du degré de coopération des parties à l’enquête qu’elle conduit, ainsi que des méthodes et de la notoriété des conseils. La procédure respecte généralement les dates butoirs, du moins pour les fusions. Mais la Commission prend encore le temps d’examiner chaque affaire, notamment parce qu’elle tire parti des notifications de fusion pour donner l’occasion à son personnel de mieux connaître les différents secteurs. La procédure accélérée mise en place au début de 2002 semble donner de bons résultats. Certaines des réclamations concernant les retards semblent être liées à des différends sur la question de savoir si l’opération pouvait bénéficier de la procédure accélérée. La loi n’impose pas de délai au Tribunal pour les affaires de fusion, mais il a généralement agi rapidement, en convoquant les audiences sans tarder (dans les 10 jours) après avoir reçu les recommandations de la Commission de la concurrence. Pour les avis consultatifs et les décisions relatives aux demandes d’exemption, la Commission s’est fixé des objectifs dans ses normes de service, et elle considère qu’elle respecte ces mesures, du moins en moyenne. Ces objectifs vont de 5 jours pour les éclaircissements à 8 semaines pour les avis consultatifs sur des pratiques interdites complexes. Le fait que le temps moyen consacré à ces dossiers soit presque exactement égal à l’objectif pour de nombreuses catégories implique que certaines questions prennent beaucoup plus de temps (ou que la Commission utilise toujours l’intégralité du délai qu’elle s’est imposé).

83Le Tribunal peut prendre toute une série de mesures correctrices : ordonner l’arrêt de pratiques interdites, exiger du défendeur qu’il approvisionne une autre partie aux conditions raisonnables requises pour mettre un terme à une pratique interdite, ordonner un désinvestissement, déclarer qu’un comportement constitue une pratique interdite aux fins d’une action civile, prononcer la nullité d’un contrat ou ordonner l’accès à une facilité essentielle à des conditions raisonnables (article 58). Une pénalité financière administrative peut aussi être infligée en cas de pratiques visées par la loi sur la concurrence : fixation horizontale des prix, partage du marché, soumissions concertées, vente à prix minimum imposé, fixation de prix abusifs et refus d’accès à une facilité essentielle. D’autres comportements interdits peuvent aussi être soumis à des pénalités financières administratives s’ils persistent après que le Tribunal a ordonné qu’il y soit mis fin. La pénalité administrative peut en outre être infligée pour non-respect des obligations et procédures de notification des fusions. Le montant de la pénalité est fonction de la nature, de la durée, de la gravité et de la portée de l’infraction, du préjudice qui en découle, du comportement du défendeur, de la situation du marché, du profit tiré de l’infraction, du degré de coopération du défendeur et de ses antécédents (primo-infraction ou récidive). La pénalité maximale se monte à 10% du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise en Afrique du Sud et des exportations à partir de l’Afrique du Sud (article 59). La Commission peut saisir la High Court pour le recouvrement des pénalités (article 64). Un désinvestissement peut être imposé pour annuler une fusion qui contrevient à la loi, ou pour remédier à un abus de position dominante si aucune autre mesure correctrice n’est adéquate ou s’il y a récidive. Les ordonnances de désinvestissement doivent toutefois être spécifiquement confirmées par la CAC (article 60). Les sanctions et ordonnances prévues dans la loi restent en grande partie théoriques car, à ce jour, le Tribunal a rendu très peu d’ordonnances finales ou prononçant des mesures correctrices ou des mesures d’exécution.

84Des sanctions pénales peuvent frapper les personnes en cas de récidive ou lorsqu’il a été fait obstacle à la procédure d’application de la loi ou qu’une obligation de confidentialité n’a pas été observée. Le fait d’enfreindre les règles de protection de la confidentialité ou de ne pas s’être conformé à certaines obligations en cas d’enquête, de même que tout autre agissement entravant la procédure, constitue une infraction passible d’une amende maximale de 2 000 rands et d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 6 mois. Des sanctions beaucoup plus sévères peuvent être appliquées pour non-respect d’ordonnances provisoires ou définitives du Tribunal ou de la CAC, à savoir une amende maximale de 500 000 rands et une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 10 ans (article 73,74). Ces infractions et sanctions demeurent théoriques, puisque aucun cas ne s’est actuellement présenté dans la pratique.

85La CAC est l’unique instance d’appel contre les décisions du Tribunal prises en application de la loi sur la concurrence. Ses décisions sur l’interprétation et l’application de cette loi sont finales. Ses décisions concernant la compétence de la Commission et du Tribunal ou l’interprétation de la constitution peuvent faire l’objet d’un recours devant la Cour suprême d’appel ou la Cour constitutionnelle, selon le cas (article 62). Ce recours n’est cependant pas de droit; une autorisation à cet effet doit être obtenue auprès de la CAC ou, le cas échéant, de la Cour suprême d’appel ou de la Cour constitutionnelle, et cette autorisation peut être subordonnée à un cautionnement pour les frais d’appel (article 63). Dans les cas où la Commission et le Tribunal sont en désaccord, l’appel d’une partie auprès de la CAC peut produire de curieux résultats. Le Tribunal, en tant que juridiction de première instance, ne défend pas sa position devant la CAC. Et la Commission, dont le Tribunal a rejeté les vues, peut choisir de ne pas défendre la position du Tribunal non plus. À moins qu’une autre partie soit prête à adopter cette position (notamment, peut-être, un tiers prêt à faire valoir ces moyens à titre d’amicus curiae), la CAC pourrait n’entendre que les moyens de l’appelant. Dans l’affaire de la cire de bougies, le Tribunal n’était pas présent pour défendre sa propre position ; c’est ce qui explique probablement l’arrêt quelque peu asymétrique de la CAC. Dans cette situation, une solution consiste à désigner un amicus pour défendre la position qui n’est pas représentée. Cette procédure a un parallèle devant la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud. L’amicus serait probablement désigné par la CAC, mais on ne sait pas très bien qui le rémunèrerait. Une source qui va de soi est le budget de la Commission. Toutefois cela équivaudrait à utiliser des fonds de la Commission pour défendre une position avec laquelle elle n’est pas d’accord.

86La conjonction de pouvoirs d’investigation et d’application a conduit à s’interroger sur la qualité de la procédure d’enquête. La Commission s’efforce de régler soigneusement le contentieux relatif à l’accès à des informations confidentielles, qu’il s’agisse de délibérations internes ou de documents confidentiels d’une société. A mesure que les nouvelles institutions ont testé les nouveaux instruments, des problèmes se sont posés. Les parties ont parfois contesté les erreurs en saisissant la High Court, juridiction ordinaire, et non la CAC, juridiction spécialisée. C’est ainsi qu’un demandeur a été débouté devant la High Court alors qu’il faisait valoir que la saisine du Tribunal par la Commission n’avait pas été dûment autorisée par le Commissaire ou le Commissaire adjoint, mais seulement par le Comité directeur des chefs de division. La première tentative d’exécution forcée a tourné court lorsque les enquêteurs de la Commission se sont fait accompagner des médias à l’occasion d’une « descente éclair », tactique qui a suscité de vives critiques de la Cour suprême d’appel. La Commission a dû restituer tous les documents.

87Une partie lésée peut intenter une action en vue d’obtenir réparation, mais elle doit préalablement déposer une plainte auprès de la Commission. Si le Commissaire refuse de renvoyer la plainte devant le Tribunal, le plaignant peut alors le faire lui-même (article 51). Le plaignant ne peut agir indépendamment que si la Commission a délivré un certificat de non-saisine ou si le délai réglementaire d’un an s’est écoulé sans que la Commission agisse, ce qui a le même résultat. L’inaction de la Commission vaut rejet, sans que celui-ci soit alors opposable au plaignant. Le Tribunal doit statuer sur toute affaire dont il est saisi, par la Commission ou par un plaignant (article 52( 1)). Normalement, chaque partie supporte ses propres dépens, mais le Tribunal peut attribuer les dépens à la partie ayant eu gain de cause (article 57). Le nombre d’affaires dont a eu à connaître le Tribunal sur certificat de non-saisine est à peu près le même que celui des plaintes soumises par la Commission — ce qui témoigne essentiellement de la faible priorité que la Commission accorde aux questions autres que les fusions et des longs délais qui en découlent. Certaines affaires ont donné lieu à la procédure de non-saisine du fait que la Commission n’avait pas achevé son enquête et formulé une recommandation dans un délai d’un an.

88Les parties utilisent plus fréquemment la procédure des mesures provisoires lorsqu’elles veulent faire agir le Tribunal. Une partie qui a déposé une plainte auprès de la Commission peut demander au Tribunal une ordonnance de mesures provisoires en attendant que la Commission ait achevé son enquête (article 49C). Le plaignant doit démontrer au Tribunal que le défendeur s’est livré à une pratique interdite, qu’il est lui-même menacé d’un préjudice grave ou irréparable et que la « balance des inconvénients » penche en faveur d’une ordonnance de mesures provisoires. La norme de preuve est celle de la preuve prima facie. La procédure est similaire à celle des mesures pendente lite devant les juridictions ordinaires sud-africaines et s’en inspire. Des mesures provisoires peuvent être ordonnées pour une durée allant jusqu’à sixmois ou jusqu’à ce que l’affaire soit en l’état d’être jugée. Le Tribunal peut proroger ce délai, si l’affaire n’est pas en l’état à l’issue du délai de six mois. Sur 14 demandes, le Tribunal a accordé des mesures provisoires dans quatre cas. Chaque fois, le défendeur a fait appel de la décision. Les procédures de mesures provisoires suivent généralement leurs cours indépendamment de la procédure correspondante de plainte à la Commission. En effet, il semble que les parties puissent préférer maintenir la Commission à l’écart de la procédure devant le Tribunal, afin de mieux maîtriser la procédure et la preuve dans un contexte accusatoire semblable à celui d’une juridiction ordinaire, qui leur est familier.

89Une partie qui a subi un préjudice du fait d’un comportement interdit peut intenter une action en dommages-intérêts devant une juridiction ordinaire, si des dommages-intérêts n’ont pas déjà été accordés dans une ordonnance de règlement amiable avec la Commission. Mais pour pouvoir intenter cette action, il faut préalablement obtenir un certificat du Tribunal ou de la CAC, que le demandeur doit produire à l’appui de son action. Une pratique interdite par la loi sur la concurrence n’est pas frappée de nullité à d’autres fins juridiques tant que le Tribunal ou la CAC ne l’a pas déclarée telle. Si le Tribunal certifie qu’une pratique constituant le fondement d’une action en dommages-intérêts est interdite par la loi sur la concurrence, ce certificat est une preuve concluante, impérative pour la juridiction civile. Si un point relatif à une pratique interdite est soulevé dans un autre type de procès civil, le juge saisi ne peut pas statuer sur le fond, mais doit appliquer l’ordonnance du Tribunal (ou de la CAC), le cas échéant. S’il n’y a pas d’ordonnance, le juge doit renvoyer devant le Tribunal, sous réserve que le règlement de cette question soit nécessaire pour le résultat final de l’action en justice et que la question n’ait pas été soulevée simplement pou des raisons dilatoires ou dans un but de diversion (article 65).

3.3. Questions relatives au commerce international dans la politique de la concurrence et sa mise en oeuvre

90Tout comportement ayant un effet en Afrique du Sud relève de la loi sur la concurrence (Commission de la concurrence, 2001). Il n’est pas nécessaire de démontrer que l’effet en Afrique du Sud est anticoncurrentiel, de sorte que les règles d’illicéité automatique pourraient interdire certaines pratiques en-dehors de l’Afrique du Sud. Une fusion en-dehors de l’Afrique du Sud peut devoir être notifiée et approuvée si le chiffre d’affaires ou les actifs des parties en Afrique du Sud dépassent les seuils de notification. Dans l’autre sens, l’Afrique du Sud a envisagé d’adopter une exemption de la loi sur la concurrence pour les ententes à l’exportation, c’est-à-dire pour les restrictions dont l’effet se fait sentir uniquement à l’étranger (Commission de la concurrence, 2001).

91L’ampleur et la nature des échanges internationaux, ou les contraintes applicables aux échanges internationaux, sont prises en compte dans l’analyse factuelle de chaque affaire. Par exemple, dans une affaire de fusion sur le marché du sucre, qui subit de fortes distorsions, le Tribunal a tenu compte de l’incidence sur la concurrence d’interventions réglementaires dans d’autres pays. Mais les autorités de la concurrence n’ont pas de rôle officiel dans l’application des lois qui ont une incidence directe sur les échanges internationaux. Les litiges antidumping et les autres questions commerciales relèvent du Board of Tariffs and Trade (BTT). Les liens entre les institutions chargées des échanges et de la concurrence étaient beaucoup plus étroits avec l’ancienne législation, mais cela tenait notamment au fait que la politique de la concurrence était subordonnée à la politique commerciale protectionniste. Le Board of Trade and Industries, précurseur du Conseil de la concurrence, était également chargé des questions de tarifs douaniers (en fait on le connaissait généralement sous le nom de « Tariff Board »). La Commission pourrait participer aux procédures du BTT, et il pourrait être important pour elle de le faire, compte tenu de la longue tradition sudafricaine de protectionnisme et de remplacement des importations. La politique mise en oeuvre porte encore les traces d’une économie fermée et protégée, et l’application de la loi sur la concurrence doit tenir compte de ces antécédents.

92En principe, l’application de la loi est non discriminatoire en termes d’implantation ou de statut. Les entreprises étrangères investissent ou opèrent en Afrique du Sud depuis longtemps. Il n’y a pas eu de plaintes officielles de discrimination dans l’application du le droit de la concurrence aux entreprises étrangères et aux entreprises locales. En théorie, peut-être, une entreprise étrangère pourrait se trouver dans une situation différente lorsque certains facteurs d’intérêt public sont invoqués. Toutefois, aucune différence de traitement n’est en fait apparue. Le statut étranger a parfois une incidence sur la capacité d’obtenir des informations, surtout en raison des difficultés pratiques liées à la distance. Afin de surmonter certaines de ces difficultés, dans une enquête sur un cartel d’exportation des États-Unis, la Commission a pris contact avec des autorités étrangères traitant le même dossier.

93L’Afrique du Sud n’a pas d’accord de coopération officiel avec d’autres autorités de la concurrence. Mais même sans accord officiel, la Commission a travaillé avec la Commission européenne, le Canada, l’Australie et les États-Unis sur des questions de fusion. Elle entretient également des relations avec d’autres autorités de la concurrence de la région, notamment au Zimbabwe, en Zambie, et dans les autres pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) (Commission de la concurrence, 2001). Le rôle central de l’Afrique du Sud dans l’économie régionale en fait un pivot potentiel pour la mise en place de capacités régionales de politique de la concurrence.

3.4. Ressources, actions et priorités

94A la Commission, 91 postes sont budgétisés, bien que l’effectif réel soit légèrement inférieur. Le Tribunal compte un personnel de soutien de 11 personnes. Sur les 10 membres autorisés du Tribunal, tous sauf deux travaillent à temps partiel et trois des postes à temps partiel sont vacants. Les quatre divisions de la Commission qui sont plus directement chargées des questions de fond — application, fusions, exécution-exemptions, études et recherches — ont chacune entre 12 et 14 agents. Il y a aussi une division juridique, un peu plus petite, et une division de soutien administratif, beaucoup plus grande, qui représente plus de 30% du personnel de la Commission— en dépit des ambitions de la Commission de tirer pleinement parti des technologies de l’information, de devenir un bureau électronique et d’utiliser essentiellement des sources d’information électroniques plutôt qu’une bibliothèque traditionnelle.

95Les ressources budgétaires proviennent presque exclusivement des redevances perçues dans leur quasi-totalité au titre des notifications de fusions. En 2001,89% des budgets de la Commission et du Tribunal provenaient des redevances relatives aux fusions (Tribunal de la concurrence, 2001, p. 21; Commission de la concurrence, 2001, p. 17). Cette proportion va probablement baisser en raison de la réduction du niveau des redevances et du relèvement des seuils de notification. Dépendre de ce type de financement est risqué. Le parlement a prévu un financement de secours de 2 millions de rands par an pendant 3 ans, afin de compenser toute insuffisance éventuelle des recettes de redevances.

Tableau 1.

Ressources

Tableau 1.
Tableau 1. Ressources Personne/années Budget 2001 96 R 15.4M 2000 77 R 10.6M 1999 8 Source : Commission de la concurrence, 2002.

Ressources

Commission de la concurrence, 2002.

96La division exécution-exemptions de la Commission, qui a en charge toutes les questions d’exécution autres que celles concernant les fusions, est loin d’avoir pourvu les 21 postes qui sont budgétisés. La division application, qui est chargée des contacts avec les parties prenantes, s’occupe de la communication, de l’action externe et des programmes éducatifs, ainsi que de l’application de la loi par les entreprises. L’un des principaux services pour l’application de la loi consiste à formuler des avis consultatifs sur les questions de notification et de conformité. Cela signifie que les avis consultatifs informels sur la conformité à la loi et l’exécution pour non-conformité relèvent de deux bureaux différents. Ce partage des tâches améliore probablement l’efficacité de la division de l’exécution en éliminant les erreurs, mais il peut nuire à l’autorité des avis consultatifs.

97Ce sont les fusions qui retiennent le plus l’attention. La Commission utilise 38% de ses ressources pour l’examen des fusions. Le Tribunal consacre presque tout son temps et toute son attention aux fusions, bien que dans certains cas les mesures provisoires non liées aux fusions se soient révélées complexes et longues. L’autre grande activité de la Commission, qui représente 28% de ses ressources, est l’investigation des pratiques interdites. Au nombre des autres fonctions importantes, on compte l’éducation et l’information ( 13%) et les études et recherches (11%). Un peu moins d’attention est accordée aux avis consultatifs ( 5%) ou aux demandes d’exemption ( 4%) et encore moins à l’examen des réglementations ( 2 %) (Commission de la concurrence, 2001). Certaines demandes d’exemption semblent avoir exigé beaucoup de moyens, ou alors la procédure d’exemption ne s’est pas déroulée efficacement. Le coût moyen par mesure d’exemption était nettement supérieur à celui des autres mesures, et le taux de rendement du personnel était alors très inférieur. Au cours de la première année d’activité, les fusions ont été traitées dans un délai de 48 jours en moyenne, et les plaintes en 112 jours en moyenne, tandis que les demandes d’exemption ont exigé 149 jours en moyenne (Commission de la concurrence, 2001, p. 11).

98Les priorités pourraient être réorientées, les fusions cédant le pas à l’application d’autres volets de la loi sur la concurrence. L’arriéré initial de notifications s’est maintenant résorbé et le rythme des dépôts de dossiers s’est considérablement ralenti. Les changements intervenus à la direction de la division exécution-exemptions, qui a connu une forte rotation du personnel au cours de la première année d’activité, pourraient en améliorer l’efficacité. Cette division, de même que la division des fusions, a été réorganisée en unités définies par secteur, en partie pour améliorer l’expertise des questions sectorielles et pour renforcer la crédibilité des agents auprès de leurs interlocuteurs externes.

Tableau 2.

Mesures d’exécution

Tableau 2.
Tableau 2. Mesures d’exécution Abus Accords Accords de position Fusions horizontaux verticaux dominante 2001 : dossiers ouverts 13 21 25 220 Sanctions ou ordonnances demandées 4 4 5 Ordonnances ou sanctions imposées 2 1 2 0 2000 : dossiers ouverts 15 22 48 407 Sanctions ou ordonnances demandées 2 3 3 Ordonnances ou sanctions imposées 1 1 6 1999 : dossiers ouverts 331 Sanctions ou ordonnances demandées Ordonnances ou sanctions imposées 8 Source : Commission de la concurrence, 2002.

Mesures d’exécution

Commission de la concurrence, 2002.

99Il a été difficile d’attirer et de retenir des agents capables de traiter efficacement avec des représentants du secteur privé jouissant d’une longue expérience et bien rémunérés. La Commission fait parfois appel à des conseils juridiques extérieurs. Les cabinets d’avocats extérieurs sont utilisés essentiellement pour les questions de procédure et pour les comparutions lorsque la pratique locale impose la présence d’un avocat au tribunal. Les services d’avocats spécialistes de la concurrence ayant une longue expérience ont été retenus aux termes d’accords de longue durée pour plaider certaines affaires au Tribunal. Par le passé, certains se sont montrés disposés à le faire pour seulement une partie de leurs honoraires habituels. Le budget de la Commission pour le contentieux atteint 3 millions de rands, soit 20% de son budget total.

100C’est surtout pour le personnel de la catégorie intermédiaire que les moyens sont insuffisants. La Commission peut payer des salaires qui sont équivalents à ceux que versent les cabinets d’Afrique du Sud aux avocats débutants ayant environ deux ans d’ancienneté. Mais le secteur privé peut offrir de meilleures perspectives à long terme. Ainsi, la Commission, de même que la plupart des autres organismes chargés de l’application des lois, constate qu’elle ne peut pas attirer de jeunes agents ambitieux et brillants ou qu’elle ne peut pas les retenir une fois qu’ils ont acquis l’expérience nécessaire pour être véritablement efficaces. Le secteur privé a proposé de détacher des professionnels débutants auprès de la Commission, mais la Commission considère qu’elle a davantage besoin de personnel plus expérimenté que celui que le secteur privé lui a proposé. Cette pénurie de personnel qualifié est un problème généralisé en Afrique du Sud. Les prestataires de services professionnels du secteur privé constatent également qu’ils doivent offrir le statut d’associé et d’autres mesures d’incitation relativement vite s’ils veulent attirer et retenir les personnes qui leur conviennent. Le Tribunal pourrait bien lui aussi éprouver des difficultés à attirer et retenir des membres ayant les qualifications que le poste exige.

4. Limites de la politique de la concurrence : exemptions etrégimes réglementaires spéciaux

4.1. Traitements spéciaux et exemptions n’ayant pas un caractère sectoriel

101La loi sur la concurrence ne comporte aucune disposition concernant le cas où un autre texte législatif ou réglementaire permet ou impose des actes qui pourraient être considérés comme anticoncurrentiels. Il est probable que si un conflit de ce type survenait, les tribunaux appliqueraient alors la règle générale d’interprétation qui veut que la loi générale ne l’emporte pas sur la loi spéciale (même antérieure) à moins que l’intention du législateur soit manifeste.

102Cette question n’a pas été immédiatement tranchée. Dans un premier temps, la loi sur la concurrence de 1998 excluait les actes relevant d’une autre loi ou autorisés par une autre loi. Les tribunaux ont commencé à interpréter ces termes comme signifiant que les entreprises des secteurs réglementés n’étaient pas soumises à la loi sur la concurrence, que l’autre dispositif réglementaire contrôle ou non également les comportements anticoncurrentiels. Tout d’abord, la Cour suprême d’appel a jugé que la loi sur la concurrence ne s’appliquait pas aux fusions bancaires, car elles étaient aussi soumises à l’autorité de contrôle bancaire [13]. Puis un juge de la High Court a écarté l’application de la loi sur la concurrence à une coopérative agricole, laquelle était régie par une loi sur la commercialisation des produits agricoles [14]. Le problème a été réglé juste à temps. Le jugement de la High Court a été infirmé en appel, au motif qu’aucune réglementation n’était en fait en vigueur et que la simple possibilité de réglementation n’était pas suffisante pour empêcher l’application de la loi sur la concurrence. La loi a été ensuite modifiée pour éviter ce problème à l’avenir.

103Telle que modifiée en 2000, la loi sur la concurrence stipule désormais que si un autre dispositif réglementaire s’applique aux questions de concurrence, il y a présomption de compétence conjointe de la loi sur la concurrence. La loi modifiée donne également instruction aux organismes réglementaires concernés d’élaborer des procédures et des accords avec la Commission de la concurrence pour éviter les doubles emplois et les compétences multiples (Tribunal de la concurrence, 2001, p. 7). La loi sur la concurrence n’est pas expressément subordonnée à une autre loi, pas plus qu’elle ne prévaut expressément sur une autre loi. Aucun cas de conflit présumé ne s’est présenté depuis que la loi a été modifiée. Les autorités de la concurrence ne prendraient probablement pas de mesures d’application à l’encontre d’une pratique autorisée par un autre texte législatif ou réglementaire, même si cela peut désormais être concevable sur le plan du droit. La Commission se montrerait probablement plutôt en faveur d’une modification du texte législatif ou réglementaire en question.

104La loi sur la concurrence ne contient qu’une seule exemption générale, qui couvre les négociations collectives et les conventions collectives de travail (article 3( 1)(a), (b)). En outre, un type connexe d’action concertée est également exempté, il s’agit des « actions concertées ayant pour objet de réaliser un objectif socio-économique non commercial ou un but similaire » (article 3( 1)(e)) Cette disposition a clairement pour objet d’éviter que la loi sur la concurrence ne soit utilisée contre des boycottages ou des actions similaires fondés sur des motifs de justice sociale. Tout dépend de l’interprétation de « ayant pour objet ». Il est clair que des piquets de grève instaurés en cas de revendications portant sur les salaires et conditions de travail, bien qu’ils soient de nature économique, seraient considérés comme « non commerciaux ».

105La loi sur la concurrence est opposable à l’État lui-même et, de ce fait, s’applique pleinement aux entreprises à capitaux publics. Parmi les affaires concernant des entreprises publiques, on peut citer une plainte pour comportement prédatoire à l’encontre de South African Airlines (SAA), qui est désormais la propriété exclusive de l’État après la faillite de l’associé privé. Cette plainte a été rejetée car le plaignant n’a pas démontré que les prix de SAA se situaient au-dessous de la mesure de coût pertinente. Ainsi, le Tribunal n’a pas eu à décider si, du fait que le gouvernement en est propriétaire, il est crédible que SAA menace d’absorber des pertes pour éliminer la concurrence. Une plainte plus intéressante est en instance contre Transnet, un organisme parapublic dont la division Portnet possède et contrôle les ports du pays. Une société de logistique prétend qu’elle a été exclue du marché par un bail de longue durée de Portnet donnant à un rival un accès préférentiel. Le plaignant demande soit un bail équivalent, soit une ordonnance lui donnant accès à la « facilité essentielle ». Mais Portnet fait valoir qu’une mesure correctrice fragmentaire prise en vertu de la loi sur la concurrence nuirait à sa tentative de révision de la réglementation des ports en vue de promouvoir la concurrence. L’une des réformes proposées par Portnet consisterait à mettre en place une autorité de régulation portuaire ayant compétence en matière de concurrence.

106Bien qu’il n’y ait pas d’exemption générale en faveur des petites entreprises, la loi sur la concurrence comporte des dispositions claires reconnaissant leurs intérêts et les appuyant. Le soutien aux petites entreprises est étroitement lié à la politique de transfert de pouvoirs économiques aux populations historiquement désavantagées, dont les entreprises sont souvent de petite taille. Le soutien aux petites entreprises et le transfert de pouvoirs économiques comptent parmi les critères d’exemption au titre de l’article 10. En outre, les préoccupations ayant trait à la situation des petites entreprises peuvent aussi constituer un élément des priorités d’application de la loi. Les décisions du Tribunal et de la Commission à propos d’actions de petits agriculteurs contre des coopératives nationales et de franchisés contre des franchiseurs en position dominante sont conformes à l’un des objectifs explicites de la loi sur la concurrence, à savoir ménager aux PME des possibilités équitables de participation à l’économie. La politique visant à accroître la participation des personnes historiquement désavantagées équivaut souvent à essayer d’appuyer les sociétés de promotion économique des Noirs (« Black Economic Empowerment » ou BEE). Néanmoins, les choix dans certains cas particuliers peuvent être complexes. Les opérations au titre du BEE peuvent couvrir des comportements anticoncurrentiels. Parfois, il est difficile de savoir quel est le résultat qui a pour effet de promouvoir effectivement l’objectif législatif. Dans l’une de ces décisions, le Tribunal a jugé qu’imposer la préservation de situations découlant du BEE pourrait en fait aller à l’encontre de l’objectif de promotion économique des Noirs. Les petites entreprises et celles relevant du BEE ont le droit de participer à l’examen des facteurs d’intérêt public lors du contrôle des fusions.

4.2. Exclusions, règles et exemptions sectorielles

107La possibilité que d’autres autorités de régulation puissent être concernées par des questions de politique de la concurrence est un problème qui se posait avant même la loi sur la concurrence. Avant 1998, certaines autres lois donnaient compétence à des instances sectorielles pour les questions de concurrence. En vertu de la loi sur les télécommunications de 1996, l’Autorité de régulation des télécommunications d’Afrique du Sud doit assurer une concurrence loyale dans le secteur des télécommunications. Le « Airports Company Act » de 1993 a mis en place un Comité de la réglementation ayant pour mission d’interdire les pratiques restrictives de la Airports Company Ltd. ; par ailleurs, les pratiques restrictives que ce Comité est chargé de superviser sont celles qui étaient définies dans le « Maintenance and Promotion of Competition Act » de 1979. Ces législations sectorielles ne dérogeaient pas formellement aux compétences du Conseil de la concurrence à l’égard des pratiques restrictives et des acquisitions dans ces secteurs; toutefois, elles ne prévoyaient pas non plus de solutions pour résoudre les conflits de compétence (DTI, 1997).

108Lorsque la loi sur la concurrence a été modifiée en 2000 afin de préserver sa compétence à l’égard de secteurs réglementés, on a laissé aux autorités de régulation le soin de régler, « dans la mesure du possible », les modalités d’une supervision parallèle (article 3(1A)). Les accords conclus à cet effet sont destinés à établir des procédures, promouvoir la coopération, et assurer des échanges d’informations ainsi que la protection des informations confidentielles (article 82). La division application de la Commission de la concurrence travaille à l’élaboration de ce type d’accords avec les autres autorités de régulation pour les services financiers et les banques, les télécommunications et l’électricité. C’est pour les télécommunications et l’électricité que ce processus a été poussé le plus loin. Ces accords ne peuvent probablement pas explicitement délimiter ou répartir les compétences respectives, car les autorités de régulation et la Commission ne peuvent pas renoncer à exercer des pouvoirs que leur assigne la loi. Ces accords serviront plutôt de lignes directrices sur la façon dont les autorités sectorielles de régulation et la Commission géreront leurs rapports. La Commission a fait de la conclusion de ces accords une priorité. Afin de trouver une solution harmonieuse et de donner l’occasion aux responsables des autorités de régulation d’échanger leurs points de vue, la Commission a contribué à la mise en place d’un forum des régulateurs, qui se réunit tous les trimestres.

109Si ce n’est dans le droit, du moins dans la pratique, la compétence en vertu de la loi sur la concurrence peut être fonction de la conclusion d’un accord avec le régulateur sectoriel. Le Tribunal a récemment eu à se prononcer sur le point suivant : le responsable de l’exploitation des ports, Portnet, division d’un organisme d’État, est une « autorité de régulation » mise en place par la législation nationale chargée de réglementer le secteur des transports, avec compétence parallèle. Portnet a fait valoir que, puisque aucun accord n’avait encore été conclu entre la Commission et sa société de tutelle, Transnet, sur le partage des compétences, le Tribunal n’avait aucune compétence à son égard. Le Tribunal a jugé qu’il pouvait trancher la question sans avoir à examiner ce point, qui n’a donc pas été résolu.

4.2.1. Secteur bancaire

110Le secteur bancaire présente la situation la plus épineuse du point de vue de la compétence. C’est une fusion bancaire qui a fait éclater la crise quant aux prérogatives réglementaires et au partage des compétences. Dans le cadre de cette fusion, l’entreprise se portant acquéreur (dans une situation d’offre d’achat inamicale) soutenait que les fusions bancaires étant contrôlées par le « Registrar of Banks » aux termes de la loi bancaire de 1990, la loi sur la concurrence n’était pas applicable. La banque cible faisait valoir que cette opération serait anticoncurrentielle et a demandé l’aide du Tribunal pour y résister. La Cour suprême d’appel, saisie, a considéré que les fusions bancaires étaient régies uniquement par la loi bancaire. Le syndicat des employés de banque a pris part à cette procédure pour s’opposer à la fusion, en raison de la menace qu’elle représentait pour l’emploi. Il jugeait inquiétante une procédure de fusion qui ne relèverait pas de la loi sur la concurrence, car seule la procédure instaurée par cette loi lui accorde un rôle officiel de partie prenante. Les régulateurs du secteur bancaire, le Registrar of Banks et la South Africa Reserve Bank (SARB) n’étaient pas en désaccord avec la Commission sur le fond. Plusieurs affaires ultérieures donnent à penser que des désaccords entre les régulateurs du secteur bancaire peuvent justifier en l’occurrence un traitement sectoriel spécial.

111Le ministre des Finances peut soustraire une fusion bancaire à la compétence de la loi sur la concurrence s’il juge que cela est dans l’intérêt public (article 18). L’intérêt public n’est pas défini, mais il était entendu que le ministre n’appliquerait cet article que pour faciliter une approbation réglementaire urgente dans le cas où l’acquisition d’une banque en difficulté serait nécessaire pour éviter un risque systémique. Le ministre des Finances a exercé ce pouvoir à plusieurs reprises. Même si l’article 18 est invoqué, le ministre, par l’entremise du « Registrar of Banks », peut demander l’avis de la Commission de la concurrence dans le cadre de l’examen de l’opération au titre de la loi bancaire. Certains accords de fusion bancaire ont été conclus sous réserve que le ministre invoque l’article 18 afin d’éviter la procédure de notification de la loi sur la concurrence. La Commission a parfois remis en cause l’exercice des pouvoirs résultant de l’article 18 dans les cas où la fusion ne portait pas sur une entreprise en difficulté, mais renforçait nettement la concentration sur certains marchés [15].

112La décision d’invoquer l’article 18 commence par une recommandation du département de supervision bancaire de la SARB. Toutefois, c’est le ministre des Finances qui prend la décision finale et, au moins à une occasion, le ministre n’a pas accepté la recommandation de la SARB d’invoquer l’article 18. La SARB s’est inquiétée du fait que la procédure de la loi sur la concurrence prend du temps, et que même la possibilité d’invoquer l’article 18 est de nature à exacerber les problèmes systémiques en attirant l’attention du public sur les difficultés d’une banque. L’examen de fusions de banques de deuxième niveau pour lesquelles le ministre a invoqué l’article 18 a été mené à bien en l’espace de 2 ou 3 semaines, tandis que l’instruction du dossier d’une fusion pour laquelle le ministre avait refusé d’invoquer l’article 18 a pris plusieurs mois. La Commission fait valoir qu’elle peut répondre rapidement, voire en 24 heures, en cas d’extrême menace de défaillance, et le Tribunal peut également se réunir rapidement. La procédure d’examen de la fusion ne doit pas nécessairement faire l’objet d’une annonce publique avant que leur démarche ait abouti, en particulier s’il est important d’en préserver le caractère confidentiel lorsque sont en jeu d’autres valeurs comme la stabilité du système bancaire. La décision et l’action du ministre au titre de l’article 18 sont confidentielles et ne sont connues que des demandeurs. Si l’action du ministre devient publique, c’est probablement parce que les parties ont décidé de la rendre publique.

113Le Département de supervision bancaire de la SARB s’est opposé à une compétence parallèle. Dans son rapport annuel pour 2000, il a fait valoir qu’une compétence parallèle pouvait être source d’incertitude et donc nuire à la stabilité. Du fait que l’article 37( 2)(b) de la loi bancaire prévoit des consultations à l’appui de l’action de la SARB, celle-ci remet en question la valeur de consultations sur d’autres bases, et elle s’inquiète de ce qu’un désaccord puis une impasse entre les différentes instances puissent nuire à la sécurité juridique et à la stabilité. La SARB n’est pas encore parvenue à un accord avec la Commission sur un partage des compétences. Elle préférerait que toutes les fusions de banques, qu’il s’agisse de banques en bonne santé financière ou de banques en difficulté, ne soient traitées que par les responsables de la réglementation bancaire, sans que la Commission ou le Tribunal n’aient un rôle officiel en matière de notification ou d’examen des fusions. Les instances de la concurrence seraient simplement invitées à faire part de leurs commentaires à la SARB sur l’impact concurrentiel de l’opération. En dépit de ces désaccords, et sans aucun doute en vue de les résoudre, un haut responsable de la SARB a été invité à participer au comité directeur du forum des régulateurs.

4.2.2. Coopératives agricoles

114Les problèmes de concurrence dans l’agriculture découlent de pratiques protectionnistes anciennes. Des offices de commercialisation ont été mis en place au début du XXesiècle afin de stabiliser la production et de fixer ou subventionner les prix. Les pouvoirs publics se sont efforcés de réduire leur importance dans les années 90, lorsque la loi de 1996 sur la commercialisation des produits agricoles a mis fin à l’aval de l’État pour les canaux de distribution uniques, afin d’élargir l’accès au marché et de promouvoir l’efficacité. Les vieilles méthodes ont cependant persisté dans les relations contractuelles, bien qu’elles ne soient plus imposées par la loi. Certaines coopératives se sont réorganisées en sociétés, perpétuant ainsi l’effet de monopole par le biais de modalités d’approvisionnement exclusif qui empêchent les nouveaux entrants du secteur de la transformation et de la distribution d’avoir accès à la production. Certains anciens membres résistent aux efforts déployés pour qu’ils s’en tiennent aux engagements antérieurs de production (Tribunal de la concurrence, 2001, p. 17).

115Une première bataille a été livrée dans le secteur des raisins secs. L’office de commercialisation des raisins secs s’est transformé en société en 1998. Il avait une part de marché d’environ 90 %. Un concurrent en puissance a déposé une plainte et demandé des mesures provisoires pour éviter que les accords d’approvisionnement exclusif de la nouvelle société ne soient pas appliqués. L’instrument de mise en œuvre du monopole était une règle adoptée depuis peu qui se traduisait par un remboursement anticipé des dettes des membres qui ne se conformaient pas à leurs obligations. Lorsque le Tribunal a rendu l’ordonnance demandée, le monopole a obtenu une ordonnance de la High Court aux fins de non-application de la loi sur la concurrence au secteur des raisins secs. La Cour Suprême d’appel a annulé cette décision, et a rétabli la compétence du Tribunal. Plus récemment, dans une décision de 2002, le Tribunal a jugé qu’une société locale de conditionnement d’agrumes, qui avait également succédé à une coopérative, détenant une position dominante et que les conditions d’approvisionnement exclusif qu’elle exigeait de ses membres constituaient un abus. Ces offices de commercialisation et ces coopératives ne bénéficient plus d’exemptions explicites ni même implicites. Mais la tradition d’action collective est bien ancrée et il ne serait pas surprenant que des efforts soient déployés pour restaurer une forme ou une autre d’exemption officielle.

4.2.3. Services professionnels

116Les associations professionnelles peuvent demander à bénéficier d’une exemption pour leurs dispositions d’auto réglementation administrative qui ont par ailleurs pour effet d’empêcher ou de réduire substantiellement la concurrence. Une annexe spéciale de la loi sur la concurrence fixe les procédures et normes pour ce type d’exemption. La Commission peut accorder une exemption si, « compte tenu des normes appliquées internationalement », la restriction à la concurrence est raisonnablement nécessaire pour maintenir des normes professionnelles ou le fonctionnement ordinaire de la profession. La Commission doit consulter le ministre responsable ou le membre responsable du Conseil exécutif au niveau provincial pour la demande d’exemption. Les associations professionnelles qui sont assujetties à cette procédure sont celles autorisées par la loi pour les comptables et commissaires aux comptes, les architectes, les ingénieurs, les agents immobiliers, les avocats, les scientifiques, les géomètres-experts, les urbanistes, les experts-estimateurs, les médecins, les dentistes, les infirmières, les techniciens dentaires, les pharmaciens, les vétérinaires, les chiropracteurs et les autres membres des professions médicales et paramédicales. D’autres professions peuvent être ajoutées à cette liste sur avis publié par le ministre.

117La seule association à avoir demandé une exemption de ce type à ce jour est le Conseil général du barreau d’Afrique du Sud (GCB), au nom de ses barreaux constitutifs. La Commission a accordé une exemption pour les règles des barreaux sur les honoraires recommandés comme référence lorsqu’il s’agit de statuer sur les plaintes pour honoraires exorbitants. La Commission a objecté à une règle qui exigeait l’approbation préalable du barreau avant de conclure un pacte de quota litis, et à la règle qui empêchait l’« advocate » (équivalent du barrister anglais) de traiter directement avec ses clients. (Le gouvernement envisageait de mettre fin à cette règle au moyen d’une loi). La Commission a également refusé d’exempter des règles qui empêcheraient une publicité véridique. Pour cette décision, le Commissaire a cité l’expérience internationale, notamment la table ronde du CLP de l’OCDE sur les services professionnels. Mais la Commission a signalé qu’elle était disposée à accepter des contrôles stricts sur la publicité mensongère et une règle interdisant les publicités auto laudatrices. D’autres règles auxquelles la Commission a objecté sont celles qui régissaient l’installation des attorneys (équivalents des solicitors anglais) et advocates et interdisaient les associations entre advocates (Commission de la concurrence, 2001, p. 39).

118Le GCB a intenté une action en justice contre la Commission. Toutefois, il n’a pas fait appel devant le Tribunal, puis devant la CAC, mais a saisi directement la High Court. Le GCB a reproché à la Commission de ne pas avoir consulté le ministre de la Justice et du Développement constitutionnel et d’avoir commis plusieurs erreurs de procédure. Un vice de forme, que la Commission a admis, tenait au fait que les dispositions pour l’exemption au titre de l’annexe 1 ne prévoient pas l’imposition de conditions comme c’est le cas pour les exemptions au titre de l’article 10. Mais la Commission a dénié que les vices de procédure donnent à la High Court compétence pour se prononcer sur le bien-fondé des mesures prises par la Commission, car cela équivaudrait à donner à la High Court le pouvoir d’accorder des exemptions à la loi sur la concurrence ; or, la loi confère la compétence exclusive à cette fin à la Commission et au Tribunal. La High Court a statué en faveur du GCB et s’est montrée extrêmement critique vis-à-vis de la Commission. Par ailleurs, la High Court ne s’est pas bornée à se prononcer sur les vices de procédure allégués ; elle a jugé que l’effet net était favorable à la concurrence et que les règles du GCB devaient donc être exemptées.

4.2.4. Électricité

119Le Régulateur national de l’électricité (NER) a été mis en place afin de réguler les activités de l’opérateur historique, la compagnie publique d’électricité ESKOM. Eskom est une entreprise intégrée verticalement, dont la part dans la production atteint un niveau de monopole (bien plus de 90%) et qui contrôle le système de transport haute tension. La restructuration en vue de promouvoir la concurrence démarre tout juste. Eskom vient d’être constituée en société et doit maintenant payer des impôts et des dividendes à l’État. Lorsque la restructuration sera plus avancée et que des composantes d’ESKOM seront privatisées ou auront une structure commerciale, le NER aura davantage à faire, de même que la Commission dans ce secteur. Le NER est favorable à la mise en place d’une structure concurrentielle avant la privatisation. L’un des projets consiste à rationaliser le secteur de la distribution, en regroupant le système national d’Eskom et les 250 réseaux municipaux. Il vise à créer sixdistributeurs selon une répartition géographique, qui seraient la propriété conjointe d’Eskom et des municipalités. Il s’agirait de monopoles locaux pour la fourniture au détail, certains gros clients pouvant toutefois choisir leur fournisseur. La concurrence au niveau des opérations de gros jouerait pour l’approvisionnement de ces monopoles de détail et des gros clients à site unique. Le deuxième projet consiste à restructurer la production et le transport de l’électricité. L’une des propositions vise à mettre en place cinq à sept entreprises de production avec des structures de coûts similaires (les installations nucléaires restant séparées). Mais Eskom représenterait encore 70% de la capacité de production. Les services de la Commission de la concurrence doutent qu’on obtienne ainsi une situation de concurrence, mais le NER estime que c’est le mieux qu’on puisse faire compte tenu des circonstances. Le NER souhaite séparer Eskom de la bourse de l’électricité et du gestionnaire de réseau, tandis qu’Eskom s’efforce de conserver les lignes de transport. Un point de discorde et d’incertitude concerne la distinction entre la distribution et le transport.

120La loi régissant actuellement le secteur de l’électricité, qui remonte à 1987, ne mentionne pas la concurrence. La future loi sur la fourniture d’électricité comportera des dispositions sur la promotion de la concurrence, mais n’établira pas de critère ni de norme. Dans l’attente du jour où la loi sur la concurrence aura un rôle à jouer dans ce secteur, la Commission et le NER ont élaboré un accord pour définir leurs compétences respectives. Ces deux organes mettent actuellement sur pied une équipe chargée d’identifier les problèmes les plus probables. La Commission n’avait pas été membre de l’équipe interministérielle qui avait planifié la réforme du secteur de l’électricité, bien qu’il y ait eu des contacts informels. La participation de la Commission sera plus officielle à l’avenir.

4.2.5. Télécommunications

121Une autre autorité indépendante de régulation, l’Autorité indépendante de la communication d’Afrique du Sud (ICASA), est chargée des télécommunications et de l’audiovisuel. Elle est compétente pour les enquêtes et les plaintes relatives aux abus pouvant être commis par le monopole d’État, fonction qui recoupe manifestement les règles de la loi sur la concurrence qui ont trait à l’abus de position dominante. La Commission et l’ICASA ont conclu un protocole d’accord, aux termes duquel les deux instances peuvent agir conformément à leur loi d’habilitation tout en attribuant le rôle principal à l’une ou à l’autre selon les cas. La Commission jouerait le rôle principal s’il s’agissait d’une question d’accès à une installation essentielle, et l’ICASA s’il y avait infraction à une licence ou non-respect d’un tarif douanier. Les deux organismes établiront un comité de travail conjoint pour coordonner les responsabilités dans les différentes enquêtes.

122L’ICASA peut réglementer les fusions dans la mesure où elle doit donner son accord pour les transferts de licences. Il y a eu divergence entre l’ICASA et la Commission au sujet d’une fusion dans l’audiovisuel. La Commission n’a pas jugé que cette fusion posait des problèmes de concurrence ou d’intérêt public, mais l’ICASA l’a rejetée car elle a considéré que les demandeurs ne remplissaient pas les critères pour bénéficier d’une exemption aux règles visant à promouvoir une plus large participation économique des Noirs dans ce secteur. L’ICASA a conclu que l’actionnariat de l’entreprise se portant acquéreur était moins représentative de la population noire devant être aidée que celle de l’entreprise cible. L’ICASA peut aussi avoir compétence à l’égard de pratiques anticoncurrentielles si elles enfreignent une condition d’une licence ou une interdiction résultant de la législation des télécommunications (article 53) qui recoupe, par sa nature et non son libellé exact, une interdiction découlant de la loi sur la concurrence.

123Le monopole pour le téléphone fixe devait arriver à expiration en mai 2002. En fait, le secteur des télécommunications est néanmoins toujours un monopole puisqu’il n’y a pas encore de deuxième opérateur. Dans le service mobile, il y a deux opérateurs depuis 1994, et un troisième est entré sur le marché l’année dernière. L’exploitant du service fixe, l’opérateur historique, a considéré que sa licence lui conférait le droit exclusif de fournir certains services et qu’elle l’autorisait donc à refuser l’accès aux concurrents. Les différends concernant cette interprétation de la licence qui ont été soumis à l’ICASA n’ont pas encore été résolus. Une plainte similaire a maintenant été déposée devant la Commission. Maintenant que l’exclusivité a pris fin, on peut supposer que le Tribunal a désormais le pouvoir d’ordonner l’accès conformément à la loi sur la concurrence.

5. Promotion de la concurrence et études de politique générale

124La promotion de la concurrence et les études de politique générale se sont vu accorder moins d’attention que l’application de la loi. Les économistes de la division des études et recherches de la Commission s’intéressent à ces questions et disposent des moyens nécessaires. Mais c’est la division application qui est responsable en premier lieu des activités de promotion, car la plupart de ces efforts ont visé à sensibiliser le public à la loi sur la concurrence plutôt que de réaliser des études et de donner des conseils sur les effets que les textes législatifs et réglementaires peuvent avoir sur la concurrence.

125Le DTI a pour principale mission d’examiner l’impact des projets de lois et règlements sur la concurrence. Certains textes sont transmis à la Commission pour commentaires. Les pouvoirs de la Commission dans le domaine de la défense de la concurrence résultent de l’article 21 de la loi sur la concurrence. Au nombre de ses responsabilités, la Commission est tenue de participer aux procédures des autorités réglementaires, de conseiller et de recevoir des conseils d’autres autorités réglementaires, d’examiner les lois et les réglementations publiques, et de faire rapport au ministre sur les dispositions autorisant des pratiques anticoncurrentielles. La Commission peut entreprendre d’autres études similaires sur demande du ministre. Les demandes ministérielles d’études et de rapports peuvent avoir trait à des questions d’actualité, comme une augmentation de 20% des prix des produits alimentaires en 2002. Autre question d’actualité : la fixation de prix de parité à l’importation, dans la mesure où les fabricants en aval se plaignent de devoir payer les prix mondiaux pour des matières premières produites dans le pays, sans pouvoir se prévaloir des économies sur les coûts de transport. Les fluctuations des taux de change expliquent probablement ces plaintes. Pour les prix des produits alimentaires, il en a résulté un rapport de la Commission sur la situation du marché et le gouvernement a décidé de surveiller la concurrence de plus près. Pour la fixation de prix de parité à l’importation, des mesures coercitives pourraient être prises contre certains fournisseurs sud-africains.

126La Commission a mené certaines actions de défense de la concurrence dans le domaine de la réglementation. Peu de temps après avoir démarré ses activités, la Commission a soumis aux régulateurs financiers des observations objectant à un projet de fusion qui aurait créé la plus grande banque commerciale en Afrique. La Commission a été invitée à faire part de ses commentaires sur diverses propositions de restructuration des télécommunications, du secteur de l’électricité ainsi que des concessions et réglementations portuaires. Le Parlement est saisi d’un projet de loi visant à créer un régulateur des ports qui aurait compétence en matière de concurrence. La Commission a fait valoir que les autorités de droit commun devaient être chargées des questions de concurrence dans ce secteur. La Commission a également prêté son concours à des études de consultants universitaires sur les questions réglementaires dans le domaine de l’eau, de l’électricité, des télécommunications et des médias, de l’aviation et de l’agriculture.

127Les études économiques de la Commission appuient également les décisions d’application ou traitent des considérations d’intérêt public dans le cadre de la loi sur la concurrence. La division des études et recherches de la Commission a analysé l’incidence que les fusions en Afrique du Sud ont eue sur l’emploi, au moyen d’un échantillon portant sur une durée d’un an et 125 opérations. Dans l’ensemble, les effets nets étaient limités. Tous les gains d’emploi se situaient dans des secteurs relativement peu concentrés (TC 4 entre 0.4 et 0.6 au niveau CTI à 5 chiffres), tandis que la plupart des pertes d’emploi se situaient dans les secteurs plus concentrés. Un autre projet consiste à recueillir des informations sur la concentration de la propriété au niveau du marché pertinent, au moyen des données du projet « African Statistics ». Ces études retracent les relations et profils d’actionnariat, là encore au niveau CTI à 5 chiffres. Sur cette base, la Commission a réalisé un tableau des dix premières « sociétés de participation », faisant apparaître quels groupes avaient des participations dans des secteurs définis largement, pour l’évaluation des fusions conglomérales. Quatre groupes ont été jugés largement diversifiés : Anglo-American (dans 35 % des secteurs), Sanlam ( 22 %), Old Mutual ( 20 %) et Rembrandt ( 18 %). Par ailleurs, la division des études et recherches a mis en place une présélection selon des critères de structure-comportement-performance afin d’identifier les secteurs manufacturiers où un examen plus détaillé s’impose. Sur la base des HHI, des taux de concentration et des critères de comportement tels que les marges prix-coûts, les dépenses de publicité et les coefficients de capital, il est apparu que les secteurs potentiellement problématiques étaient les produits du tabac, le raffinage du pétrole, les équipements de bureau, les piles et batteries, et les postes de télévision et de radio. Ces conclusions n’étaient toutefois pas conformes à la composition des plaintes, puisque celles-ci portaient généralement davantage sur les produits chimiques (notamment les produits pharmaceutiques) et les produits du papier que sur les secteurs identifiés dans l’étude comme potentiellement problématiques.

Encadré 3. Protection des consommateurs – la prochaine réforme à haute priorité ?

Les institutions et les politiques de protection des consommateurs en Afrique du Sud semblent faibles. Le ministère du Commerce et de l’Industrie (DTI) a passé en revue la politique à l’égard des consommateurs et les possibilités de la relier à la politique de la concurrence. Il n’existe aucun lien explicite actuellement. Les pratiques de commercialisation et les questions de protection des consommateurs ne sont pas couvertes par la loi sur la concurrence et ne font pas partie des responsabilités de la Commission et du Tribunal. Les plaintes relatives à la concurrence déloyale relèvent du règlement de différends privés conformément à la common law. Elles peuvent également être soumises à la section du DTI chargée des questions de consommation, qui applique la loi sur les pratiques commerciales dommageables.
Des mesures de protection des consommateurs sont prévues dans les lois spéciales relatives aux jeux de hasard, aux agents immobiliers, aux multipropriétés et à d’autres secteurs. Mais il n’existe aucune législation nationale de large portée sur la publicité mensongère ou les pratiques commerciales, en partie du fait que la protection des consommateurs est une fonction qu’assurent en parallèle le gouvernement national et les provinces. La loi sur les questions de consommation [*] suit le modèle de la législation de la concurrence d’avant 1998, en donnant au ministre le pouvoir discrétionnaire d’interdire des pratiques après coup. Cette législation, qui vise essentiellement les fraudes, ne contient aucune règle obligatoire pour orienter l’action future. Cette loi prévoit également des tribunaux spéciaux pour les consommateurs, qui fonctionnent de façon ponctuelle.
La Commission, par l’entremise de sa division de l’application, a essayé de sensibiliser les consommateurs aux questions de concurrence. Parmi les groupes qu’elle a contactés, on peut citer la « South African National Consumer Union », le « National Consumer Forum » (qui regroupe quelque 80 autres organisations), le « Consumer Institute of South Africa », le « National Consumer Affairs Office » du ministère du Commerce et de l’Industrie, et le « South African Bureau of Standards ». La Commission s’efforce de mieux faire connaître la loi sur la concurrence aux groupements de consommateurs, d’éduquer et d’informer les consommateurs et d’établir de multiples liens en vue de promouvoir le bien-être des consommateurs. Elle a créé à cet effet une unité chargée de l’éducation des consommateurs.
En dépit de cette pléthore d’organismes, un mouvement de consommateurs autonome et d’intérêt général ne s’est pas encore constitué en Afrique du Sud. Les organisations syndicales ou civiques se sont parfois engagées dans des actions et des boycottages, pour des situations et des Encadré 3. Protection des consommateurs – la prochaine réforme à haute priorité ? (suite) problèmes spécifiques. Le règlement de procédure du Tribunal permet la représentation des intérêts des consommateurs, mais peu de représentants de consommateur ont effectivement participé aux procédures du Tribunal, à une exception notable près : la « Treatment Action Campaign » (TAC). En effet, la TAC a participé à l’examen de la fusion Glaxo-SmithKline afin de plaider pour des médicaments abordables contre le VIH/SIDA. Et la TAC a déposé une plainte relative aux prix des médicaments pour le traitement du VIH/SIDA devant la Commission, au nom des consommateurs.

6. Évaluation et options

128Les institutions de politique de la concurrence en Afrique du Sud doivent être évaluées dans le contexte d’une économie de marché développée. De plus, la meilleure façon de se prononcer sur les réglementations et les institutions est d’examiner leur évolution par rapport aux dispositifs précédents. Une législation complète de la concurrence est en place depuis 1955. La structure réglementaire et institutionnelle actuelle est issue d’une série de réformes, dont chacune visait à mettre en place un système plus large et plus solide. La situation de l’Afrique du Sud diffère de celle qui a caractérisé la transition des pays d’Europe centrale et orientale, où il n’y avait pas de réglementation de la concurrence et où des lois remontant au début du XXe siècle avaient été abrogées ou oubliées. L’ampleur de l’intervention de l’État sud-africain dans l’économie de marché capitaliste de type privé pose des problèmes du même ordre que ceux que soulève la transition de l’économie planifiée à l’économie de marché, du moins dans une série de secteurs. Cependant, on ne constate pas la même nécessité de développer la culture institutionnelle pour conforter un système d’investissement privé et d’échanges marchands. Le niveau de développement du pays diffère également de celui caractéristique des situations de transition. Globalement, l’Afrique du Sud est un pays à revenu intermédiaire comparable à certaines économies d’Europe centrale. Néanmoins, le niveau d’activité économique est beaucoup plus différencié en Afrique du Sud. Une grande partie de l’économie n’a rien à envier aux économies les plus développées sur le plan de la sophistication des entreprises et des marchés. C’est la partie de l’économie qui a retenu l’attention des autorités de la concurrence. S’il est vrai que la dimension développement apparaît dans certains des objectifs et des critères d’exemption de la loi sur la concurrence, cet aspect occupe le second plan dans la pratique. Certes, les enjeux du développement ont joué un grand rôle dans le processus de réforme. L’un des thèmes de la transformation constitutionnelle de l’Afrique du Sud dans les années 1990 a été de redresser les déséquilibres économiques, qui correspondaient aux divisions raciales de la société. Une politique de la concurrence plus vigoureuse a été proposée pour aider à éliminer les structures organisationnelles des entreprises accusées d’avoir empêché un développement et une participation plus larges. Ce thème rappelle les motivations des réformes de la politique de la concurrence dans des pays comme la Hongrie, le Mexique et la Corée. Dans ces pays, une politique de la concurrence vigoureuse a été également considérée comme l’une des composantes d’une stratégie délibérée de restructuration et de réforme à grande échelle. En outre, la dimension développement sous-tend les questions actuelles de mise en œuvre de la réglementation de la concurrence, notamment avec la plainte de la TAC concernant le prix des médicaments pour le traitement du SIDA. La situation spécifique de l’Afrique du Sud explique pourquoi cette controverse avait tout lieu d’éclater dans ce pays. La plainte a été formulée au nom de patients appartenant généralement à la population qui ne fait pas partie de l’économie pleinement développée, à l’encontre des sociétés pharmaceutiques internationales. Et cette plainte a été déposée dans le cadre d’une loi sur la concurrence qui comporte des moyens d’analyse et des mesures correctrices qu’on retrouve dans bien d’autres pays.

129Les autorités sud-africaines de la concurrence sont prises au sérieux. Le surcroît de prestige dont jouissent la Commission et le Tribunal, par rapport aux institutions qui les ont précédés, tient en grande partie à leur nouvelle indépendance. En outre, la loi sur la concurrence a affiné les outils utilisés pour le contrôle des fusions, domaine qui retient tout particulièrement l’attention des entreprises et des investisseurs. La Commission et le Tribunal se sont concentrés sur le contrôle des fusions avec une intensité inhabituelle pour de nouvelles autorités de la concurrence dans une économie en développement et en transition, mais qui se comprend compte tenu de l’expérience et du niveau de développement de l’Afrique du Sud. Les fusions étaient aussi le principal dossier de la politique de la concurrence avant 1998. Dans le climat politique du changement de régime, la focalisation sur les fusions a traduit la volonté de corriger la concentration excessive du pouvoir économique. Le nouveau système de notification préalable et de contrôle débouche sur une série de décisions publiques qui montrent rapidement l’impact que peut avoir la législation. Les décisions en matière de fusions peuvent donner l’occasion à un organisme nouvellement constitué de faire la preuve de ses capacités et de les développer. Le contrôle des fusions peut exiger moins de ressources que la lutte contre les prix imposés ou les monopoles, car l’enquête est simplifiée par le processus de notification, et du fait que les parties ont intérêt à ce que l’opération soit approuvée, elles sont encouragées à coopérer. Bien que l’analyse d’une fusion paraisse souvent particulièrement complexe aux yeux d’un non-spécialiste, elle peut être relativement simple pour un économiste expérimenté, une fois que les faits sont présentés en détail. À cet égard, la continuité de l’expérience au plus haut niveau du Tribunal a joué un rôle particulièrement important dans la mise en œuvre réussie d’un contrôle cohérent des fusions dans le cadre de la loi sur la concurrence. Par ailleurs, consacrer des ressources au contrôle des fusions contribue aussi à développer des compétences spécialisées. Se servir du contrôle de fusion comme outil de formation, de façon qu’un personnel sans expérience puisse apprendre comment les entreprises fonctionnent effectivement, est une approche courante dans les environnements véritablement en transition, lorsque peu de responsables à l’intérieur ou en dehors de l’administration ont une expérience directe de l’économie de marché. Toutefois, le changement de régime en Afrique du Sud a créé une situation similaire puisqu’il a fait entrer des personnes ayant une expérience relativement limitée des entreprises dans le personnel d’organismes tels que la Commission et le Tribunal.

130Une solide analyse économique a étayé les décisions de mise en œuvre de la loi sur la concurrence. Les décisions en matière de fusions montrent que sont appliquées avec assurance les démarches classiques pour la définition du marché, l’entrée, la structure et les effets sur la concurrence, ce à quoi il faut ajouter un traitement efficace des allégations d’efficience. Les concepts appliqués sont modernes et les décisions sont généralement bien motivées et convaincantes. Malgré tout, la Cour d’appel de la concurrence infirme certaines décisions et toutes les composantes de la communauté des affaires en Afrique du Sud ne sont pas convaincues. D’autres éléments de politique générale et motivations du contrôle des fusions, notamment la prise en compte des facteurs d’intérêt public et la poursuite de l’objectif de déconcentration, ont été traités de façon judicieuse. Par ailleurs, l’évolution des marchés a contribué à éviter certaines controverses. La restructuration des conglomérats sous l’influence d’impératifs liés à la gestion et à l’organisation des entreprises ainsi qu’à la situation du marché financier a ouvert des possibilités de transfert du pouvoir économique.

131La procédure suivie en Afrique du Sud pour l’examen de l’intérêt public reconnaît que les considérations en question peuvent être légitimes, mais veille aussi à ce que les décisions qui les invoquent soient transparentes et à l’abri d’un contrôle politique direct. En Afrique du Sud, les responsables politiques peuvent défendre les considérations d’intérêt public en participant, en tant que parties, aux procédures, mais ils ne peuvent pas décider du résultat. D’autres acteurs, en particulier les syndicats, peuvent également prendre part à la procédure pour faire valoir leur point de vue sur les questions d’intérêt public. Cette voie est moins utilisée que prévu. Le faible niveau de participation peut être dû à une insuffisance de ressources, si ce n’est à un manque d’intérêt. Une autre mesure, actuellement testée, pour faire face à d’autres préoccupations consiste à désigner un secteur comme exempté pour protéger la stabilité économique. En principe, un ministère ne peut pas, de son propre chef, déroger à la politique de la concurrence. Cette désignation est le préalable à toute prise en compte par la Commission et le Tribunal dans leurs décisions. Ce pouvoir de désignation n’a pas été encore beaucoup utilisé. De plus, il reste à savoir si la désignation d’un secteur par un ministère serait absolument opposable à la Commission et au Tribunal, les obligeant en fait à accorder une exemption. Un tel renversement des priorités pourrait ravaler la politique de la concurrence au rang d’un pur cérémonial.

132Les bases d’une politique de la concurrence plus vigoureuse demeurent incertaines, en dépit des efforts de sensibilisation et de promotion déployés par le DTI et la Commission. En l’absence de forte mobilisation en faveur d’une politique de la concurrence cohérente, les pressions exercées pour obtenir des mesures spéciales de protection et d’exemption risquent davantage d’aboutir. Les organisations de consommateurs, qui soutiennent souvent les initiatives ayant trait à la politique de la concurrence, ne jouent pas un grand rôle en Afrique du Sud. Au niveau national, la réglementation concernant la protection des consommateurs ne couvre que certains aspects sectoriels. Le DTI travaille sur des mesures visant à réformer les institutions et réglementations concernant la protection des consommateurs. Une option qui ne semble pas être envisagée consisterait à conjuguer les compétences en matière de protection des consommateurs et de concurrence. Disposant déjà d’une économie de marché qui fonctionne, l’Afrique du Sud n’est pas dans la situation que l’on retrouve dans certains pays en transition, où une nouvelle instance de la concurrence peut commencer par lutter contre les pratiques trompeuses et démontrer comment les marchés peuvent fonctionner au profit des consommateurs tandis que les entreprises se réorganisent en structures plus efficaces. La Commission n’a pas autant besoin de jouer ce type de rôle en Afrique du Sud.

133La Commission et le Tribunal ont plutôt besoin de traiter efficacement avec leurs interlocuteurs dans l’environnement juridique, industriel et commercial développé qui caractérise l’Afrique du Sud. Longtemps, les milieux d’affaires se sont concentrés sur la promotion et la défense d’intérêts qui bénéficiaient de mesures de protection et de monopole, et ils se satisfaisaient donc d’une politique de la concurrence politisée, discrétionnaire et faible. Maintenant que le marché s’ouvre, certains acteurs sont partisans d’une politique non interventionniste dans le domaine de la concurrence, en faisant valoir désormais que les entreprises d’Afrique du Sud doivent se moderniser et se regrouper pour être compétitives sur les marchés mondiaux. Habitués de longue date à la discrétion du règlement amiable, certains chefs d’entreprise ont réagi vivement la première fois que le Tribunal a officiellement et publiquement rejeté un projet de fusion. Leurs avocats ont exploité ce filon. Les mesures correctrices font l’objet d’une forte résistance, qui prend la forme d’un contentieux très nourri sur les questions de compétence et de procédure. Il convient bien entendu de veiller à une application correcte de la loi. Les sauvegardes constitutionnelles, l’État de droit et le respect d’une procédure régulière sont des valeurs essentielles, qui revêtent une importance particulière en Afrique du Sud aujourd’hui. Mais l’expérience montre comment les moyens invoqués au titre de ces principes peuvent anéantir toute action. Au Mexique, par exemple, les justiciables fortunés utilisent fréquemment la procédure constitutionnelle de l’amparo sur des points de procédure et de compétence, ce qui paralyse la mise en œuvre des politiques publiques.

134Ce type de contentieux est inévitable dans un pays comme l’Afrique du Sud, où tout ce qui a trait à l’application des lois est marqué d’un extrême juridisme. Lorsque vouloir obtenir des informations expose à une contestation juridique, il faut rédiger et exécuter très soigneusement les demandes de renseignements ; sinon l’enquête sera inopérante. En butte à des contestations, les responsables de la Commission de la concurrence ont dû décider si le jeu en valait vraiment la chandelle. La Commission a choisi de livrer ces batailles procédurales incessantes afin d’établir les principes de base, d’éclaircir les règles si nécessaire et de familiariser les juridictions ordinaires aux nouvelles procédures. La Commission et le Tribunal ont des positions légèrement différentes sur ces questions, bien qu’ils aient été exposés l’un comme l’autre à de violentes controverses juridiques collatérales. La Commission doit améliorer ses compétences en matière de tactique procédurale, ou confier ces fonctions à des experts du secteur privé. Il faudra aussi que le Tribunal veille à mieux respecter les contraintes juridiques dans le cadre de son processus décisionnel. Un grand nombre de ses membres, spécialistes au départ de la politique générale de la concurrence, ne connaissent pas bien ces formalités. Les parties aux procédures du Tribunal concernant les mesures provisoires ont utilisé tous les moyens et ont saisi chaque occasion de prendre l’avantage dans ce qui s’apparente souvent à une politique jusqu’auboutiste. Dans ses décisions, le Tribunal accorde désormais plus d’attention aux formalités procédurales qu’initialement, mais il s’est aussi parfois montré peu enclin à se préoccuper des détails de procédure. Vu la culture juridique de l’Afrique du Sud, négliger les détails de procédure en y voyant de simples artifices techniques peut être risqué. Il faut s’attendre à ce que les parties encouragent les juges de la High Court qui siègent à la CAC à faire en sorte que le Tribunal respecte les normes de procédure qu’il connaissent bien, et à ce qu’ils recherchent d’autres possibilités si cette voie n’aboutit pas.

135Nombreux sont ceux qui, parmi les juristes et hommes d’affaires, ont perçu une certaine dissonance culturelle par rapport au personnel de la Commission. La direction de la Commission a pris des mesures en vue de remédier à cette situation, qui pourrait n’être que le symptôme d’une crise de croissance. La méfiance de certains agents de la Commission envers le secteur privé, et envers les avocats en particulier, tenait probablement à la crainte d’être floué. D’autres facteurs, notamment les différences sur le plan de l’expérience et des antécédents, ont probablement joué un rôle également. Les entreprises ont appris comment faire face à cette réticence. En arrivant à la conclusion que le personnel de la Commission traiterait les fusions plus rapidement si aucun avocat ne participait à la procédure, certaines sociétés soumettent les notifications préparées par leurs avocats comme si elles les avaient rédigées elles-mêmes. Néanmoins, un problème plus important tient aux inégalités de compétence et de professionnalisme à la Commission et au Tribunal. Les dirigeants de la Commission et les membres permanents du Tribunal sont très respectés. Mais au-dessous de ce niveau, la situation ne paraît pas homogène. La plupart des décisions importantes du Tribunal émanent des membres permanents. Les contributions des autres membres ne sont pas claires. Il semble que les compétences, la réactivité et le professionnalisme des responsables de dossiers à la Commission soient variables. Il est possible que ces disparités traduisent en fait de simples difficultés de croissance des nouvelles institutions, mais aussi la pénurie de professionnels compétents qui touche aussi le secteur privé en Afrique du Sud. Les effets de cette pénurie ont sans aucun doute été exacerbés par la nécessité de doter en personnel deux organismes indépendants dans la structure institutionnelle complexe de l’Afrique du Sud. Ces effets ont été encore aggravés par l’impérieuse nécessité de créer des institutions pouvant être qualifiées de « nouvelles ». Cela a probablement amené à écarter des compétences professionnelles qui auraient pu être précieuses, en raison de liens avec le régime précédent. Ainsi, a-t-on également confié à certains individus des fonctions pour lesquelles ils n’avaient pas encore acquis les compétences ni les facultés de jugement nécessaires. Certains des problèmes signalés étaient peut-être limités à quelques individus seulement, et des améliorations ont été constatées récemment. Pour une amélioration durable, il faudra créer un vivier plus riche de professionnels de niveau intermédiaire. Compte tenu de la culture d’application des lois en Afrique du Sud, il sera particulièrement important de développer des capacités juridiques plus solides, tant sur le plan des compétences techniques que sur celui de l’analyse stratégique. Bon nombre d’observateurs estiment qu’il y a dans ce domaine des marges de progrès.

136Un autre problème tient à l’absence de résultats, comparativement, dans les secteurs autres que les fusions. Sachant que les fusions se voient clairement accorder la première priorité, la section de la Commission chargée des plaintes concernant les pratiques restrictives et des demandes d’exemption a pu être privée de ressources. Les plaignants ont été déçus qu’il faille généralement une année entière pour traiter leur dossier, que la procédure semble évoluer dans un certain flou et que peu d’affaires aboutissent. Les parties demandant des exemptions et des avis consultatifs ont fait part de frustrations similaires. La Commission et le Tribunal n’ont pas été non plus particulièrement actifs dans la promotion de la concurrence. La direction de la Commission a pris plusieurs mesures pour redéployer les ressources en faveur des dossiers autres que ceux concernant les fusions et pour améliorer la façon dont ils sont traités.

137Le niveau de ressources est adéquat, mais il est légèrement plus faible que celui observé dans plusieurs pays de taille comparable. L’effectif total des deux organismes de la politique de la concurrence d’Afrique du Sud est à peu près le même que celui des deux organismes similaires en Espagne, à savoir une centaine de personnes. Toutefois, il est nettement inférieur à l’effectif total en Pologne (environ 190) et en Corée (plus de 400). Disposer de plus de ressources permettrait de mieux hiérarchiser les priorités. Mais pour mobiliser ces ressources, il faudra faire preuve de créativité, eu égard en particulier à la demande de personnel qualifié en Afrique du Sud. Pour le moment, la Commission est suffisamment dotée pour verser des salaires compétitifs, en particulier pour le personnel n’ayant que quelques années d’expérience. Le problème est de trouver ces personnes et les convaincre de travailler dans un organisme public plutôt que dans le secteur privé, qui offre la perspective d’une plus forte rémunération à long terme.

138Le rôle de la Cour d’appel de la concurrence, et donc l’intérêt d’une juridiction spéciale dans ce domaine, reste à établir. Sur les trois institutions créées par la loi sur la concurrence, la CAC est la seule qui n’ait pas d’antécédent. La disposition prévoyant une juridiction spéciale aux termes de la législation antérieure n’avait en fait jamais été appliquée, car il n’y avait aucune décision officielle dont quiconque pouvait se plaindre. En l’absence de la CAC, la procédure d’appel contre les mesures appliquant la loi sur la concurrence aurait probablement été confiée à une chambre de juges de la High Court. Tous les juges de la CAC sont des juges de la High Court. Ce qui différencie donc la CAC de l’autre solution qui aurait été la plus probable, c’est que ses membres peuvent être auto sélectionnés en raison de l’intérêt qu’ils portent de longue date aux questions de concurrence. On peut espérer que la CAC développera une plus grande expertise des questions de fond que celle dont a fait preuve la High Court dans les quelques affaires dont elle a eu à connaître. Cependant, à ce jour, les décisions formalistes de la CAC ressemblent davantage à celles d’une juridiction ordinaire qu’à celles d’une juridiction spécialisée. Dans la seule décision rendue par la CAC sur le bien-fondé d’une fusion, le raisonnement est doctrinaire et dénué de toute originalité, ce qui montre bien que les juges se sentent plus à l’aise s’ils s’en remettent à des traités de droit et à des présomptions juridiques sur les effets économiques plutôt qu’à l’évaluation des éléments de preuve économiques par le Tribunal. Il est possible que la procédure ait été faussée du fait que le Tribunal n’y a pas participé pour expliquer et défendre sa décision, et le résultat auquel a abouti la CAC, qui a autorisé une fusion verticale car elle n’était pas convaincue qu’il y avait motif à se préoccuper du risque de fermeture du marché, se défend à première vue. Mais sachant qu’elle n’a eu à se prononcer que sur quatre affaires par an, la CAC n’a sans doute pas été à même de se familiariser avec ce type de problèmes.

139La question du lien entre la concurrence et la réglementation n’est pas résolue, bien que le revirement rapide après les premières décisions d’incompétence, qui auraient pu être paralysantes, soit un signe positif. Le jugement en appel de la deuxième affaire portant sur la compétence a probablement corrigé utilement les aberrations des tribunaux inférieurs, mais la modification de la loi a donné un caractère plus permanent à cette correction. Néanmoins, cette modification est source d’incertitude sur ce plan. En donnant instruction aux différents organismes de conclure des accords sur leurs compétences respectives, la loi sur la concurrence soulève de nouveaux problèmes, sous couvert de résoudre les problèmes anciens. Comme le montre désormais le contentieux concernant les ports, la loi appelle l’interprétation selon laquelle, en droit, la compétence au titre de la loi sur la concurrence dépend de l’existence d’un accord de coopération entre la Commission et le régulateur sectoriel concerné. Il existe clairement une prédisposition des gouvernants sud-africains à diviser les responsabilités plutôt qu’à mettre en place des organes uniques dotés d’une autorité plus large. Ainsi, une répartition des compétences en matière de politique de la concurrence à l’image de celle qui caractérise les régulations sectorielles peut sembler naturelle. Cependant, elle est difficile à mettre en œuvre compte tenu de la pénurie, en Afrique du Sud, de spécialistes de la concurrence et de la régulation économique. Il pourrait être plus efficace de regrouper les fonctions de concurrence et de régulation au sein d’un plus petit nombre d’organismes. Avant que les gouvernants soient prêts à regrouper toutes les missions de politique de la concurrence, pour tous les secteurs, dans le cadre de la seule loi sur la concurrence, les autorités de la concurrence devront peut-être devoir faire leurs preuves aux yeux de l’opinion, des pouvoirs publics et des autres autorités de régulation. Bien entendu, cela pourrait aussi susciter une réaction inverse de la part des parties soumises à la régulation. À mesure que la loi sur la concurrence sera appliquée plus efficacement, les entreprises pourraient plaider en faveur d’un régulateur sectoriel, sur lequel elles seraient à même d’exercer plus d’emprise. Un nouveau dispositif sectoriel s’accompagnant de compétences en matière de politique de la concurrence est proposé pour les ports. Ce n’est probablement pas une coïncidence si la Commission a eu à connaître de plaintes pour pratiques anticoncurrentielles de la part d’un organisme ayant des liens avec l’instance appelée à devenir le nouveau régulateur.

140En dépit des préoccupations et des problèmes évoqués, les autorités sud-africaines de la concurrence ont la réputation d’être particulièrement compétentes et sérieuses. Le Tribunal est relativement bien connu et respecté. La Commission a essuyé plus de critiques, mais bon nombre d’observateurs du secteur privé la soutiennent, en estimant qu’elle a relevé les défis auxquels doit faire face toute instance nouvelle appliquant une nouvelle réglementation et subissant d’inévitables contraintes de capacité. La Commission et le Tribunal ont écouté les critiques et apporté des améliorations, en adoptant notamment des normes de service pour traiter rapidement les affaires autres que les fusions. Ils s’efforcent également de suivre des pratiques optimales en tirant parti de l’expérience d’autres autorités de la concurrence de par le monde, sachant que c’est selon ces critères que les jugent les juristes et hommes d’affaires d’Afrique du Sud.

7. Options à examiner

? Conclure avec les autres autorités de régulation les accords concernant les compétences parallèles, afin d’assurer l’application uniforme de la politique de la concurrence dans tous les secteurs.

141Des accords clairs concernant les compétences parallèles seraient un bon moyen de coordination, même si la loi sur la concurrence n’en exige pas. Certes, les organismes concernés pourraient peut-être résoudre les problèmes à mesure qu’ils se présentent sans avoir conclu préalablement un accord en bonne et due forme sur les procédures à suivre. Cela peut être particulièrement simple dans les petits pays où les autorités publiques entretiennent des liens très étroits. Mais plus le pays est grand, et plus sa culture est formaliste, plus il est important de mettre en place des lois spécifiques ou des accords explicites entre les organismes chargés de la mise en œuvre des réglementations. Toutefois, en Afrique du Sud, la disposition de la loi sur la concurrence qui concerne ces accords a soulevé une autre controverse, à savoir qu’en l’absence d’accord la loi sur la concurrence ne serait pas applicable. Cette interprétation pourrait aboutir à une politique inefficace, balkanisée et découlant non pas d’un acte législatif formel et transparent visant à dissocier les compétences, mais de l’intransigeance d’un régulateur aux ordres d’un secteur régulé. Les tribunaux pourraient être appelés à résoudre cette question. Un autre aspect doit être surveillé de près : la tendance à la prolifération des régimes sectoriels spéciaux avec compétence autonome en matière de politique de la concurrence. Trop souvent, cette tendance tient à la volonté du secteur de mettre en place un régulateur qui aurait une attitude complaisante envers les producteurs. Il faudrait que la Commission et le Tribunal persistent à défendre le dossier d’une solution unifiée. Ils devraient aussi continuer d’appuyer et d’aider les autres régulateurs confrontés, dans le cadre de leurs compétences, à des problèmes de concurrence complexes qui ne leur sont pas familiers. Dans les télécommunications, par exemple, la loi sur la concurrence peut être une bonne solution pour traiter les problèmes d’accès.

? Améliorer le traitement des questions autres que les fusions, leur accorder une plus grande priorité et leur consacrer plus de ressources.

142Ce problème n’a pas été négligé, bien au contraire. Une direction plus expérimentée est désormais en place. Les normes de service de la Commission pour traiter les demandes d’exemption et répondre aux plaintes sont de bon augure. La Commission affirme qu’elle respecte généralement ces normes. Certains observateurs du secteur privé objectent que les délais promis ne sont pas tenus, mais leurs constatations et leurs données datent peut-être d’avant l’adoption des normes de service. Les mesures déjà prises ou en cours d’adoption en ce qui concerne le prix de l’acier et le boycottage par les coopératives agricoles illustrent le champ d’action dans le domaine des pratiques abusives et des restrictions à la concurrence.

? Accroître les ressources en acceptant les offres de soutien de tiers – avec prudence.

143La Commission doit étoffer son personnel professionnel de niveau intermédiaire. Développer les compétences de son personnel actuel est un projet de longue haleine. La Commission doit pouvoir offrir des salaires plus élevés sur le long terme, afin de persuader ses agents de rester en poste une fois qu’ils ont acquis l’expérience nécessaire. Elle doit aussi avoir les moyens de former son personnel ou la patience de supporter les conséquences des erreurs qu’il peut commettre. Une autre solution pourrait donner des résultats plus rapides, tout en étant nécessaire dans tous les cas si l’objectif à long terme est de développer les compétences du personnel même de la Commission : s’adjoindre des agents de niveau intermédiaire d’autres administrations, voire du secteur privé. Les trajectoires professionnelles permettant le passage du secteur privé à l’administration publique (et vice versa) à plusieurs reprises ne sont pas fréquentes en Afrique du Sud. C’est pourquoi il peut être difficile de recruter dans le secteur privé. Mais la Commission pourrait tirer parti de l’intérêt que peut susciter une évolution en ce sens. Des cabinets d’avocats ont proposé des détachements de courte durée de jeunes professionnels. Il est clair qu’eux-mêmes et leurs cabinets bénéficieraient de cette expérience auprès des autorités de la concurrence, en se familiarisant à leurs approches et procédures. La Commission considère, à juste titre, que c’est de professionnels de niveau intermédiaire ayant assez d’expérience pour prendre des initiatives et pour diriger, gérer et former d’autres agents dont elle a le plus besoin. Néanmoins, la Commission devrait étudier cette offre sérieusement. Faire travailler ensemble des agents de la Commission et des professionnels du secteur privé, même s’ils ont à peu près le même niveau d’expérience, pourrait améliorer le niveau global de compétence et favoriser une compréhension plus productive à long terme entre les deux parties au niveau opérationnel. Le développement à long terme du personnel de la Commission en bénéficierait plus encore si les détachés étaient aguerris au contentieux.

144Les plaignants constituent une autre source de soutien de la part des tiers. Dans le système sud-africain, la Commission joue un rôle de filtrage. Les parties privées doivent saisir la Commission avant de pouvoir intenter leur propre action. Mais rien ne les empêche d’aider la Commission à agir pour leur compte. La plainte de la TAC relative aux médicaments contre le SIDA est un bon exemple de ce type de situation où le représentant du secteur privé est tout à fait disposé à apporter son concours. Une telle aide peut être fort précieuse lorsqu’il s’agit de questions complexes, qui pourraient dépasser les capacités de bon nombre d’autorités de la concurrence. Il est vrai que l’extrême visibilité de cette affaire donne à penser que la procédure devant la Commission et le Tribunal aura probablement pour fonction principale de canaliser les opérations de relations publiques et les pressions politiques. Mais cette question arrive à point nommé et est très importante, non seulement pour l’Afrique du Sud mais pour beaucoup d’autres pays. Les problèmes en cause, qui touchent au droit, à l’économie et à l’action des pouvoirs publics, sont à l’avantgarde de l’évolution du droit et de la politique de la concurrence et de la propriété intellectuelle au niveau international. Ce pourrait être aussi une bonne occasion de faire appel à la coopération internationale, non seulement pour recueillir des informations, mais aussi pour comparer les positions sur les aspects juridiques et analytiques les plus délicats du droit de la propriété intellectuelle et des liens avec les obligations et engagements découlant des accords commerciaux internationaux.

? Décourager l’abus des mesures provisoires

145Bien que la loi sur la concurrence n’ouvre pas d’action purement privée, les parties ont trouvé un moyen de créer un substitut proche. Le Tribunal a eu à connaître de demandes peu plausibles et insuffisamment fondées de mesures provisoires dans le contexte d’accords verticaux et d’allégations de position dominante. Le Tribunal est bien conscient du fait que, dans bon nombre de ces cas, les concurrents s’efforcent d’utiliser la loi sur la concurrence pour s’assurer des avantages tactiques. Si la Commission traitait plus rapidement les affaires autres que celles concernant les fusions, son contentieux serait désencombré et elle pourrait statuer plus rapidement sur le fond ou déterminer plus rapidement les points essentiels à trancher.

? Utiliser davantage les lignes directrices.

146Des procédures et des lignes directrices claires pour l’examen sur le fond peuvent compenser dans une certaine mesure le manque de personnel expérimenté. Mais l’élaboration de lignes directrices a un coût : cet exercice peut accaparer le temps et l’attention des agents qui, justement du fait de leur plus grande expérience, sont les plus précieux pour l’instruction des dossiers. La plupart des autorités de la concurrence utilisant désormais des méthodes analytiques similaires, la Commission pourrait limiter ses efforts en profitant de ceux de ses homologues étrangères.

? Clarifier les conditions de rémunération des membres du Tribunal afin d’attirer des personnes qualifiées

147Le Tribunal, tout comme la Commission, a besoin de spécialistes expérimentés. Du fait de sa responsabilité décisionnelle finale, le Tribunal peut même avoir davantage besoin de membres expérimentés. Attirer et retenir des membres qualifiés est difficile lorsque le service est à temps partiel et les niveaux de rémunération ne sont pas compétitifs. Le travail du Tribunal à ce jour est largement respecté. Afin de maintenir un niveau de performance à la hauteur de cette réputation, les postes vacants au Tribunal doivent être pourvus par des candidats très qualifiés et très expérimentés. Le niveau de qualification exigé ressort du lien qui a été établi entre la rémunération des membres du Tribunal et celle des juges de la High Court. Mais en raison de désaccords sur les méthodes de calcul, il est possible que le niveau de rémunération des membres du Tribunal soit trop faible actuellement, en particulier compte tenu du temps qu’ils doivent consacrer à siéger en chambre pour l’examen des éléments de preuve, qui prend souvent beaucoup de temps. Le Tribunal ne pourra pas maintenir la qualité de ses décisions si ses membres sont disposés à exercer leurs fonctions pour une rémunération inférieure simplement pour pouvoir se familiariser avec le droit de la concurrence. Le Tribunal a besoin de membres qui soient déjà des experts dans ce domaine.

? Utiliser les ressources économiques de la Commission plus efficacement pour la promotion de la concurrence

148L’Afrique du Sud a peu d’expérience dans le domaine de la promotion de la concurrence. Cette mission est souvent un volet majeur de l’activité d’un nouvel organisme de la concurrence. En outre, étant donné l’ampleur du contrôle de l’État sous le régime précédent, il est probable que de nombreux problèmes réglementaires subsistent et qu’ils doivent être examinés et résolus. Les ressources économiques de la Commission seraient utilisées plus efficacement à la promotion de la concurrence qu’à l’établissement de séries de données sur le taux global de concentration et les participations croisées.

Bibliographie

Sources

  • Brassey, Martin, et al., ( 2002), Competition Law, Lansdowne.
  • Government of South Africa ( 2001), Competition Commission, Annual Report 2001.
  • Government of South Africa ( 2001), Competition Commission, Annual Report 2000.
  • Government of South Africa ( 2001), Competition Commission, Annual Report 1999.
  • Government of South Africa ( 2001), Competition Tribunal, Annual Report 2000/2001.
  • Government of South Africa, Department of Trade and Industry ( 1997), The Evolution of Policy in SA : Proposed Guidelines for Competition Policy; A Framework for Competition, Competitiveness and Development. www. compcom. co. za/ aboutus/ EvolutionOfPolicyInSA. asp.
  • Library of Congress, Federal Research Division (1996), Country Study : South Africa, ed. Rita M. Byrnes
  • National Economic Development and Labour Council ( 1998), Report on Competition Policy, www. nedlac. org. za/ docs/ agreements/ index. html.

Notes

  • [*]
    Michael Wise est membre de la Division de la concurrence de l’OCDE.
  • [1]
    Les chiffres concernant son PIB moyen par habitant (PPA) varient largement, d’environ $2700 (EIU) à $8500 (CIA).
  • [2]
    Dans la série de données de Deininger et Squire, le coefficient de Gini pour les revenus en Afrique du Sud est de . 63 ( 1993), et seul celui du Gabon est supérieur. On peut consulter cette série à l’adresse wwww. worldbank. org/ research/ growth/ dddeisqu.htm. Ce chiffre repose sur les données de la série qui sont les plus complètes et dont la qualité est la meilleure.
  • [3]
    GN 801,2 mai 1986.
  • [4]
    Avis 1954 Gazette 16085,23 novembre 1994
  • [5]
    Bien que ces déclarations ne conditionnent pas l’application de la législation, elles ne sont pas superflues. Elles sont suffisamment importantes pour que les parties prenantes prêtent attention à leurs détails. Le premier paragraphe a été modifié en 2000, de toute évidence pour corriger une interprétation erronée ou donner une indication sur une considération de politique générale.
  • [6]
    ISCOR Limited & Saldanha Steel (Pty) Ltd, Cas no 67/LM/Dec01 du Tribunal.
  • [7]
    Glaxo Wellcome, Affaire no 15/CAC/Feb02.
  • [8]
    Telkom SA Ltd./TPI Investments/Praysa, affaire no 81/LM/Aug00 du Tribunal.
  • [9]
    Trident Steel (Pty) Ltd et Baldwins Steel.
  • [10]
    Naspers Limited/The Education Investment Corporation Limited.
  • [11]
    Schumann Sasol et Price’s Daelite, affaire no 10/CAC/Aug01. Après avoir rejeté les conclusions du Tribunal quant aux effets sur la concurrence, la Cour a considéré qu’il n’était pas nécessaire de déterminer si des facteurs d’intérêt public étaient pertinents.
  • [12]
    Shell-Tepco, affaire no 66/LM/Oct 01.
  • [13]
    Standard Bank Investment Corporation Ltd v. Competition Commission and Others; Liberty Life Association of Africa Ltd. v. Competition Commission and Others 2000 ( 2) SA 797 (SCA).
  • [14]
    South African Raisins (Pty) Ltd. and Another v. SAD Holdings Ltd and Another 2001 ( 2) SA 877 (SCA).
  • [15]
    Nedcor-B.O.E Bank.
  • [*]
    Consumer Affairs (Unfair Business Practice) Act 71,1988
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