Notes
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[1]
On peut y ajouter le livre de Job, dont la trame générale porte moins sur le péché lui-même que sur la souffrance du juste et l’énigmatique « chant du serviteur » d’Esaïe 52,13-53,12, « portant nos souffrances, chargé de nos douleurs… », dont le Seigneur « a fait un sacrifice pour le péché… alors qu’il a porté le péché d’une multitude » (53,10-12).
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[2]
Rendus parfois aussi par adikia (injustice), anomia (désordre, chaos), asebeïa, kakia, etc.
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[3]
Georges Auzou, De la servitude au service. Étude du livre de l’exode, Paris, Éd. de l’Orante, 1961.
-
[4]
Cet amour n’est pas uniquement d’ordre personnel ou interpersonnel. Il implique aussi toute une éthique de justice sociale et politique. Les interventions véhémentes des prophètes en témoignent amplement, mais la Torah elle-même n’est pas en reste, comme le montre la finale du Lévitique (chapitre 25), instituant l’année sabbatique et l’année du jubilé. Dès lors, le péché, loin de ne concerner que des actions individuelles, touche encore l’ensemble du peuple.
-
[5]
Voir notamment les commentaires de René Péter-Contesse, Lévitique 1-16, Genève, Labor et Fides, 1993 et Alfred Marx, Lévitique 17-27, Genève, Labor et Fides, 2011. Le rituel de iom kippour, jour du grand pardon (chap. 16), est encore compliqué par le fait qu’à côté du bouc offert en « sacrifice pour le péché », un autre bouc (référence chère à René Girard !) est envoyé vivant « pour l’expiation » et « pour Azazel » dans le désert (v.5-10 ; 20-22).
-
[6]
Voir Jean-François Collange, « L’arbre du bien et du mal : le couple et l’éthique théologique aujourd’hui (Gn 2,15-23) », RETM 291, 2016, p. 189-193 ; Josy Eisenberg, Armand Abécassis, Et Dieu créa Ève. À Bible ouverte II, Albin Michel, 1979 ; André Wénin, D’Adam à Abraham ou les errances de l’humain. Lecture de Genèse 1,1-12,4, Éd. du Cerf, 2007, p. 70-86.
-
[7]
André Wénin propose d’ailleurs de traduire le terme ici par « ratée » pour éviter les connotations trop éthiques de « péché » (D’Adam à Abraham ou les errances de l’humain. Lecture de Genèse 1,1-12,4, p. 132). Dans un sens plus simple à comprendre, mais générique, voir encore 18,20 ; 20,9 ; 31,36.
-
[8]
L’ensemble du Nouveau Testament emploie le substantif « péché » [hamartia] (173 fois) + [hamartèma] (5 fois), le qualificatif « pécheur » [hamartôlos] (47 fois) et le verbe « pécher » [hamartanein] (42 fois). La répartition s’opère ainsi : Paul : 91 fois ; Jean : 51 fois (évangile : 24 ; épîtres : 27) ; Hébreux : 29. Les synoptiques sont bien plus sobres : Marc et Matthieu : une quinzaine fois ; Luc étant plus prolixe (33 fois), avec une nette prédilection pour hamartôlos (18 fois).
-
[9]
Par le baptême de Jean « pour le pardon des péchés » auquel Jésus se soumet (Mc 1,4-11) et par la guérison d’un paralytique, auquel le Maître pardonne également ses péchés (Mc 2,1-12).
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[10]
Ce n’est qu’au début de l’évangile de Matthieu que l’ange du Seigneur annonce à Joseph que l’enfant à naître « sauvera son peuple de ses péchés », sans préciser d’ailleurs la manière dont ce salut sera réalisé (Mt 1,21).
-
[11]
Mc 2,15ss par. ; Lc 19,1-10.
-
[12]
Mc 2,13ss par. ; voir Mt 10,3.
-
[13]
La même scène est rapportée, à la veille de la Passion, par Marc et Matthieu (Mc 14,3-9 ; Mt 26,6-13). Il n’y est plus reproché à la femme son statut de « pécheresse », mais le gaspillage que représente l’onction qu’elle réalise. En Jn 12,1-8, elle prend même le nom de Marie, sœur de Lazare et de Marthe.
-
[14]
Il n’en va pas ainsi seulement pour le partage de repas, mais pour toute liberté prise par le Maître vis-à-vis de la tradition : respect du sabbat, jeûne, contact avec des malades impurs, etc.
-
[15]
L’attention particulière de Luc envers les « pécheurs » le conduit à insister sur la nécessité de la repentance (métanoïa), tout en soulignant qu’ « il y a plus de joie au ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentance » (Lc 15,7.10). Curieusement, le terme de « pécheur » n’apparaît pas dans les Actes.
-
[16]
Marc suggère cette interprétation lorsqu’il termine cette abrupte et mystérieuse condamnation par ces mots : « [il parlait ainsi] parce qu’ils disaient “il a un esprit impur”. » On notera encore le parallélisme avec le commandement du début de la Genèse (2,16ss) : le pardon des péchés n’est concevable (et réalisable ?) qu’à condition qu’il comporte une limite !
-
[17]
Jean 9 est le seul chapitre chez Jean employant le qualificatif hamartôlos, imputé par les pharisiens tant à l’aveugle qu’à Jésus. N’apparaissent pas plus dans le quatrième évangile collecteurs d’impôts ou prostituées !
-
[18]
Voir v.16. 24s.31. 34. 39ss ; et encore 8,21.24. 46.(15,22-24) ; 16,8s.
-
[19]
Soit un total de 82 usages pour le substantif (64 hamartia, 2 hamartèma, 16 paraptôma), 17 pour le verbe hamartanein et 8 pour hamartôlos. Pour ce qui est des substantifs rendant le français « péché », Paul utilise près de 43 % des termes de l’ensemble du Nouveau Testament. À elle seule, l’épître aux Romains recourt 66 fois au vocable.
-
[20]
Bien entendu, dans les exhortations qui concluent généralement ses lettres, l’apôtre se fait plus précis et n’hésite pas à énumérer les manifestations concrètes du péché. Ainsi en Gal 5,19ss évoque-t-il les « œuvres de la chair » (du péché) comme : « libertinage, impureté, débauche, idolâtrie, magie… ». Mais le même chapitre commence par ces mots : « C’est pour que nous soyons vraiment libres que Christ nous a libérés… » (5,1ss). Un peu plus loin, il ajoute que « la loi tout entière tient son accomplissement dans l’amour du prochain » (v.14 ; voir Rm 13,8-10).
-
[21]
Parmi les lettres, celle aux Romains présente se pensée de la façon la plus systématique. Notre propos s’appuie donc surtout sur elle, à laquelle les références renverront sans précision particulière.
-
[22]
On note encore que, pour Paul, l’auteur premier de la désobéissance est bien Adam et non pas Ève. Par ailleurs, sa réflexion embrassant toute l’histoire, Paul se doit d’intégrer les grands moments et les grandes figures de l’histoire d’Israël : notamment Abraham et Moïse (Rm 4 ; Gal 3)… jusqu’à Jésus lui-même « issu selon la chair de la lignée de David… » (Rm 1,3).
-
[23]
Hupakoè ! Et non sacrifice, voir toutefois Rm 3,25 ; 2Cor 5,21.
-
[24]
Chacun des deux substantifs est utilisé une dizaine de fois dans les épîtres, le verbe 35 fois.
-
[25]
Pour le seul Nouveau Testament, il conviendrait d’ajouter encore Hébreux, I Jean…
1Quiconque s’interroge aujourd’hui sur le péché risque fort de retrouver la perplexité de saint Augustin confronté à la question du temps : « Qu’est-ce en effet que le temps ? » se demandait-il alors dans ses Confessions (XI, 14,17). « Qu’est-ce que le péché ? » demandons-nous aujourd’hui. Et de poursuivre avec l’évêque d’Hippone : « Qui saurait en donner avec aisance et brièveté une explication ? Si personne ne me pose la question, je le sais ; si quelqu’un pose la question et que je veuille l’expliquer, je ne sais plus. »
2Se tourner vers la Bible pour tenter d’y voir un peu plus clair à ce sujet est certes indispensable. Mais ce mouvement pourrait bien, de prime abord du moins, renforcer notre perplexité : les termes mêmes de la famille « péché » (hatta’t et ‘avon en hébreu – pour s’en tenir aux plus courants –, harmatia et hamartanein en grec) apparaissent pour les premiers des centaines de fois dans le Premier Testament (couvrant des siècles d’histoire et de traditions diverses) et très exactement 267 fois pour les seconds dans le Nouveau Testament. Comment faire face à une telle abondance et diversité ? Celle-ci laisse par ailleurs soupçonner que les auteurs bibliques n’étaient peut-être pas tellement plus avancés que nous sur la question : évoquer le péché dans les contextes les plus divers leur paraissait assez naturel, en préciser le ou les sens de façon organisée et cohérente ne relevait pas forcément de leur première préoccupation.
3Cela dit, j’essaierai de ne pas me soustraire au défi qui m’est proposé. Pour ce faire, je suivrai l’ordre chronologique, remontant du Premier Testament à Jésus de Nazareth et aux évangiles pour terminer par les élaborations plus théologiques de l’apôtre Paul. Ce bref parcours me permettra alors de suggérer quelques éléments de synthèse en conclusion.
Le Premier Testament
4La notion de péché dans la Bible hébraïque ne fait guère l’objet de réflexions systématiques – si ce n’est en des endroits très particuliers comme le début de la Genèse et, dans une certaine mesure, le livre du Lévitique [1]. De la sorte, la LXX regroupera souvent sous le terme d’hamartia de nombreux vocables hébraïques évoquant l’idée de mal faire ou de faire le mal [2]. Parmi ceux-ci, les plus fréquents appartiennent aux familles de hatta’/hatta’t (plus de six cents fois : « manquer sa cible », « trébucher », « pécher »), de ‘ava/’avon (« courber », « tordre ») ou encore pésha (« transgresser », « se révolter »). Ces trois modalités de l’action mauvaise sont parfois même présentées de façon rhétorique et cumulative, sans que l’on puisse vraiment distinguer un sens propre à chacun des termes utilisés. Ainsi, lorsqu’il se manifeste à Moïse au sommet du Sinaï, Dieu se présente-t-il ainsi : « IHWH… [celui qui] garde son amour jusqu’à mille générations et pardonne la faute (‘avon), la révolte (pésha) et le péché (hatta’) » (Ex 34,7 ; voir Ps 51,3-7, Dn 9,24).
5Ce faisant, pour autant que soient bien évoqués faute, révolte et péché, ce n’est ni pour stigmatiser, maudire ou condamner, mais pour proclamer amour et pardon. Dieu propose ainsi une alliance à son peuple, délivré de l’aliénation et de l’esclavage égyptiens et, dans ce geste de libération, lui offre sa Loi comme Charte de la liberté.
6Le respect de cette Charte doit permettre d’échapper au péché et – selon la belle expression de Georges Auzou – de passer de la servitude au service [3]. La Loi en effet présente deux faces indissociables : un versant théologique et un versant éthique. Selon le premier, le seul moyen de ne pas tomber ou retomber dans l’aliénation et la servitude revient à éviter toute clôture ou repli sur soi, tout fantasme portant à se croire et à se faire ce qu’on n’est pas, à savoir Dieu lui-même. Porter atteinte au respect de l’Inatteignable, tel est donc le péché par excellence, dénoncé tant par la première table de la Loi que par les multiples réquisitoires prophétiques, dénonçant cultes étrangers et idoles « faites de main d’homme », dont le service est souvent accusé de « prostitution » (zanah).
7Le versant éthique de la Loi énonce les principes structurants du respect, de l’aide et de l’amour dus à autrui. Déployés là encore tout au long de la Torah comme des livres prophétiques, c’est au cœur même d’un ensemble de prescriptions particulièrement minutieuses – voire tatillonnes – déclinées par le Lévitique, qu’ils trouvent pourtant l’expression de leur quintessence : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. C’est moi, le Seigneur » (Lev 19,18) [4].
8Or les multiples prescriptions du Lévitique justement, relatives aux sacrifices, au pur et à l’impur, au saint et au profane, ne sont pas pour rien dans la complexité et les dérives formalistes et légalistes qui ont pu entourer la perception du mal en général, du péché en son sein en particulier. Aussi est-on généralement tenté de ne pas trop s’y attarder. Pourtant, c’est bien ce livre qui condense le plus grand nombre de mentions du mot spécifique « péché » (hatta’t) au sein du Premier Testament.
9La chose est, on s’en doute, loin d’être simple [5]. Elle s’avère même déroutante, car hatta’t signifie à la fois « péché » et « sacrifice pour le péché » ! Par ailleurs, le péché évoqué est un péché involontaire (concernant une impureté ou une souillure), ce qui a de quoi désarçonner nos habituelles réflexions éthico-théologiques sur la question. La chose mériterait toutefois qu’on y arrête son attention, ne serait-ce que pour comprendre de façon précise ce que pouvaient signifier les interprétations de la mort du Christ comme sacrifice pour le péché – parues dès le début du christianisme, sans exclusive pourtant !
10Approfondir ce point dépasserait toutefois tant mes compétences propres que le cadre de cette présentation générale. Je me contente donc d’évoquer un problème complexe, trop souvent passé par pertes et profits, tout en suspectant néanmoins combien l’insistance sur les catégories de pureté et d’impureté – mises en cause par Jésus lui-même, nous le verrons – est source de malentendu. Le Premier Testament en témoigne à sa manière, lorsque ses prophètes dénoncent « les fêtes que Dieu déteste, les sacrifices qu’il méprise et les assemblées qu’il ne peut sentir. Car il ne prend aucun plaisir aux holocaustes et aux offrandes qu’on lui présente… attendant seulement que le droit jaillisse comme un cours d’eau et la justice comme un torrent qui n’arrête jamais de couler » (Amos 5,21ss).
11Mais c’est l’auteur du livre de la Genèse, tout particulièrement de son prologue (Ge 1,1-12,4), qui présente le tableau le plus abouti de l’origine, de la prolifération du mal sur la terre, des rapports qu’il instaure entre Dieu et l’homme et de sa possible rédemption. C’est aussi le plus lu, raconté et commenté. Quoique peu présent à l’arrière-plan du Nouveau Testament en général, il structure toute la pensée paulinienne. Comme il est et reste au fondement de la plus grande part de la culture chrétienne – savante ou populaire. Que ce soit l’élaboration de la doctrine du péché originel ou les histoires d’Adam et d’Ève, du serpent et du fruit défendu, du déluge ou de la tour de Babel, cette vaste fresque des débuts de l’aventure humaine n’a cessé et ne cesse – pour son bonheur comme pour son malheur – de hanter les consciences.
12On ne peut qu’admirer la profondeur de vue de l’auteur de ces chapitres. Son regard porte au-delà d’Israël. Il englobe jusqu’à la lumière et aux ténèbres, la voûte céleste, la mer et la terre ferme, les plantes et les animaux, etc. Quant à l’être humain (‘adam), il le présente, sans discrimination aucune, comme être générique « à l’image et à la ressemblance de son créateur » (1,26s). À l’aide de reprises et d’adaptations de récits, mythes et données scientifico-historiques de l’époque, il construit un impressionnant panorama de l’échec de la destinée humaine livrée à elle-même, à laquelle pourtant son Créateur offre une double alliance pour l’arracher à son funeste destin : alliance noachique (chapitre 9) protégeant l’humanité tout entière d’une part, alliance abrahamique (chapitres 12-50) faisant d’Israël le signe particulier de la constance et de la miséricorde divines d’autre part.
13Cette clé de voûte salvatrice posée, l’auteur trace avec une intelligence consommée – à travers usage des termes, agencement des symboles et enchaînement des récits – la lente dégradation d’une humanité créée « très bonne » en « monde corrompu devant Dieu et rempli de violence » (6,11 ; voir 6,5 ; 8,21). Au sein de cette corruption sont plus particulièrement évoqués ou détaillés la désobéissance première du couple d’Adam et Ève (2,15-3,23), le meurtre d’Abel par Caïn (4,1-16), le déchaînement de violence de Lamek (4,17-26), la concupiscence des « fils de Dieu » (6,1-8) et l’hubris des constructeurs de la tour de Babel (11,19).
14Il n’est évidemment pas possible de revenir ici sur chacun de ces épisodes à la signification particulièrement dense et profonde. Je me contente de noter quelques points :
- 1. J’ai pu montrer ailleurs – après bien d’autres – que la loi fondamentale accordée par le Seigneur Dieu à l’humain (2,16-17) consiste dans l’appel à jouir de toute la création qui vient de lui être présentée. Cette jouissance toutefois nécessite le respect d’une limite et de « ne pas tout manger ». Or, dans le contexte qui suit immédiatement et voit la création de la femme, la limite (le « côté » – tsèlah) c’est Ève, « créée comme vis-à-vis en face (ézer kenegdo) » et le respect du commandement originel signifie d’abord celui de son altérité. Ce qu’il faut faire à tout prix pour pouvoir jouir de la vie, c’est (on est navré de devoir confesser un tel truisme) « ne pas la manger », elle, Ève. Ce que ne fait pas, symboliquement, Adam qui s’empresse de parler à sa place et de lui donner un nom (isha) qui, sous couvert de reconnaissance, ne fait que l’assujettir à son homme (ish) [6].
- 2. Genèse 2 et 3 n’emploient pas le terme « péché » pour évoquer le drame. Ils se contentent d’en rapporter les différents aspects. D’une manière générale d’ailleurs, les termes servant plus directement à désigner le péché dans le Premier Testament (hatta’t, ‘avon ou pésha) ne sont pas utilisés dans ces premiers chapitres de la Genèse, sauf en 4,6 où Dieu met en garde Caïn contre la jalousie, « péché (hatta’t) qui se trouve tapi à sa porte [7] ». Lorsqu’il évoque la déchéance de l’humanité, l’auteur parle plutôt de « mal ou méchanceté – malheur » (rah, 6,5 ; 8,21), de « violence » (6,11.13) ou de « corruption » (6,11s). Faut-il y voir le signe d’une distinction entre un horizon universel de violence et de malheur et une conscience plus spécifique du ou des péchés, définie par la Torah, réservée au peuple élu ? La question reste posée.
- 3. Ce que vise l’auteur n’est pas, une fois encore, d’insister sur la perversion des uns et des autres, mais sur l’inlassable et miséricordieuse intervention divine. Le Seigneur Dieu en effet ne crée pas seulement, mais se soucie infiniment du sort de sa création et de ses créatures, les accompagnant, les reprenant sans cesse et leur offrant pleinement l’alliance destinée à les arracher à la servitude pour les conduire au service.
Jésus de Nazareth, les évangiles synoptiques et l’évangile de Jean
15Contrastant avec les usages relativement abondants des termes hamartia / hamartanein par Paul, Jean et l’auteur de l’épître aux Hébreux [8], les évangiles synoptiques recourent à ce vocable avec une sobriété notable. Leur préoccupation première n’a pas pour objet la question du péché et son cortège de manifestations, mais l’avancée joyeuse de celui qui annonce l’approche du Règne de Dieu et appelle hommes et femmes à s’y préparer et à lui faire fête. La façon dont est présentée, dans les synoptiques, cette marche conquérante – cet « Évangile » par lequel s’ouvre le livre de Marc (Mc 1,1ss) –, est symptomatique : le péché y est certes évoqué dès les deux premiers chapitres [9], mais, ces deux mentions liminaires faites, le terme « péché » lui-même n’apparaît quasiment plus sur le chemin du Nazaréen, un peu comme si le tracé de la Bonne Nouvelle s’en trouvait dégagé. Luc souligne ce fait à sa manière en notant que « le diable », après son échec lors de la tentation (Lc 4,1-12 par.), « s’écarta de Jésus jusqu’au moment fixé ».
16Ce « moment fixé », Luc le place au début de la Passion, quand « Satan entra dans Judas Iscariote » (Lc 22,3). Réapparaît alors dans les synoptiques par deux fois le vocable hamartia / hamartanein, mais – de façon a priori surprenante – sans lien avec le sens de la mort du Christ [10]. Ne sont précisés en effet que le fait que c’est « aux mains des pécheurs » que Jésus se trouve livré (Mt 26,45 par.), et que Judas se repent en prenant conscience de son péché (Mt 27,4). Dans ces deux cas, sans signification théologique particulière, pécher doit être compris dans un sens éthique de trahison de la justice, de la loyauté et de la fidélité.
17C’est ce sens encore que l’on retrouve dans les rares apparitions du terme dans le corps des paroles du Nazaréen. Il y demande notamment de « pardonner à un frère qui vient à pécher [contre toi]… jusqu’à sept fois » (Lc 17,3s ; Mt 15,21-22) ou rapporte les paroles de repentance du fils prodigue, confessant « avoir péché contre le ciel et contre son père » (Lc 15,18). Dans ces derniers cas d’ailleurs, le péché est moins évoqué pour lui-même que pour en annoncer le pardon (aphèsis).
18Pourtant, ce ne sont pas ces éléments qui frappent le plus à la lecture des synoptiques. Ce qui caractérise ces derniers à ce propos tient dans l’importance qu’y jouent, non tant le péché ou l’action pécheresse en eux-mêmes, que le pécheur (hamartôlos), homme ou femme de chair et de sang… à la rencontre desquels Jésus ne cesse de se porter et qu’il fréquente assidûment. Divers épisodes en témoignent.
19Par deux fois Jésus et les siens sont présentés à la table de collecteurs d’impôts (telônai) [11], considérés comme pécheurs fréquentant d’autres pécheurs (hamartôloi, voir notamment Mc 2,15), dont des prostituées (Mt 21,31). Dans le premier cas, l’hôte – Lévy (selon Marc) ou Matthieu (selon Matthieu) – devient même un des Douze [12]. Dans le second cas, Zachée (Lc 19,1-10) donne la moitié de ses biens aux pauvres et se déclare prêt à rendre le quadruple d’éventuels biens spoliés. D’où la louange de Jésus qui le reconnaît comme enfant d’Abraham et annonce le salut pour lui et sa maison (v.9s). Une troisième scène de repas partagé évoque la présence, chez un pharisien, d’une pécheresse (hamartôlos – Lc 7,36-50 [13]) aux pieds de Jésus qu’elle couvre d’un parfum de grand prix. Dans une parabole enfin, le Nazaréen n’hésite pas à opposer le pharisien faisant étalage de sa piété au collecteur d’impôts confessant son péché et implorant son pardon (Lc 18,9-14).
20Ces événements sont loin d’être anodins et attisent l’antagonisme entre le Maître de Nazareth et les « scribes et les pharisiens », qui allait conduire à l’issue tragique que nous connaissons. Ces derniers en effet, soucieux d’une observance rigoureuse de la Loi, ne peuvent tolérer que l’on s’affranchisse des règles de pureté particulièrement marquées pour ce qui est de la nourriture et des repas (voir Mc 7,1ss ; Mt 15,1-9) [14]. Le péché pour eux tient beaucoup dans le manquement à ces règles. Or, la compréhension de Jésus est tout autre. Concernant la pureté, il affirme qu’« il n’y a rien d’extérieur à l’homme et entrant en lui qui peut le rendre impur, mais [bien] les choses qui sortent de sa bouche » (Mc 7,14 ; Mt 15,3). Concernant la tradition rabbinique – présentée comme la Loi –, il lui reproche de contredire le commandement de Dieu, notamment lorsqu’elle propose d’échapper au devoir de respect et d’aide à apporter à ses parents (Mc 7,6-13 ; Mt 15,1-9). D’où les violentes diatribes justement contre les scribes et les pharisiens, notamment rapportées au chapitre 23 de l’évangile de Matthieu. Pour Jésus en effet, le critère de la pureté et de la Loi tient dans le sommaire qu’il en présente : « aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, sa pensée et sa force… et son prochain comme soi-même » (Mc 12,28-34 par.). Ce que le contexte conduit à comprendre ainsi : « Aimer Dieu, c’est d’abord aimer son prochain. »
21Par ailleurs, le partage des repas avec les uns et les autres, tout particulièrement avec les oubliés et les rejetés, avec les pécheurs ! n’est que l’anticipation du Royaume qui vient. Il ouvre un temps où « le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19,10), s’approcher des « mal-portants qui ont besoin de médecin et non des bien-portants qui n’en ont cure » et à « appeler les pécheurs et non les justes » (Mc 2,17 par.) [15]. Ce que souligne encore superbement le logion de la source Q, où le Nazaréen se présente à la manière d’un joueur de flûte invitant à la danse : « Jean est venu ne mangeant, ni ne buvant et ils disent “il a un démon”. Est venu le Fils de l’homme, mangeant et buvant, et ils disent “Voici un glouton et ivrogne, ami des publicains et des pécheurs” » (Mt 11,16-19 ; Lc 7,31-35).
22Dès lors, un autre logion relatif au péché, mystérieux et dérangeant, pourrait bien trouver à s’éclairer. On y entend en effet le chantre du pardon des péchés s’exprimer avec une remarquable sévérité : « Tous les blasphèmes et tous les péchés seront remis aux fils des hommes. Tous, sauf un ! Quiconque blasphémerait contre l’Esprit Saint n’aura pas de pardon, éternellement ; il est coupable d’un péché éternel » (Mc 3,28-30 par.).
23Faut-il comprendre alors que blasphémer contre l’Esprit Saint revient à ne pas percevoir, ne pas admettre, que c’est bien dans le joueur de flûte que l’Esprit se manifeste comme jamais [16] ?
24Cette interprétation permet dès lors un bref regard sur la compréhension johannique du péché. Pour Jean en effet, pécher consiste essentiellement à ne pas voir en Jésus l’envoyé du Père et à ne pas croire en lui. En témoigne notamment son chapitre 9, tout entier consacré à la guérison d’un aveugle de naissance, auquel le Christ donne (et non re-donne !) la vue. D’emblée, le récit s’ouvre par une question des disciples s’interrogeant sur le fait de savoir qui ––de l’aveugle ou de ses parents – a pu pécher pour mériter pareil sort (v.1-2). On connaît la réponse du Maître : le handicap n’est pas le fait d’un péché, mais l’occasion de la manifestation des œuvres de Dieu (v.3). Une fois de plus, le péché n’est pas évoqué pour lui-même ou dans une perspective culpabilisante, mais bien pour célébrer le pardon, illustré ici par la guérison, manifestant elle-même l’accès à la foi.
25Des pécheurs en effet, fréquentés par Jésus dans les synoptiques, il n’y a chez Jean aucune trace, sinon celle de cet aveugle auquel est consacré tout un chapitre [17]. Du point de vue pharisien et juif, pécher tient dans l’impossibilité de quelque rapport que ce soit avec Dieu (v.16.33). Tel est l’état attribué tant au handicapé de naissance qu’à celui qui le guérit un jour de sabbat. Mais pour Jean, la guérison opérée manifeste comme jamais combien, loin des raisonnements spécieux, Jésus est bien « issu de Dieu » et y conduit. Ce que confirme la question conclusive, adressée à l’homme ayant retrouvé la vue : « Crois-tu au Fils de l’homme ? » et la réponse de qui se prosterne devant lui : « Je crois, Seigneur » (v.35-38) [18].
L’apôtre Paul
26Avec Paul, on change – formellement du moins – d’univers. On quitte la Galilée et la Palestine, pour affronter le vaste Empire romain.
27L’apôtre Paul est l’auteur du Nouveau Testament qui recourt le plus aux termes hamartia / hamartanein, avec une prédilection pour le substantif hamartia, auquel il convient d’ajouter son synonyme paraptôma [19]. Chez lui, le péché se trouve comme personnalisé, élément d’un drame remontant à la création du monde. Selon Romains 5,12 en effet : « [de par la faute] d’un seul homme, le péché (hamartia) est entré dans le monde et avec lui la mort… » (voir encore 7,11). Cette dramaturgie cosmique fait dès lors peu de place tant à la figure concrète du pécheur, qu’au contenu moral précis des actes par lequel il se manifeste [20]. Ce qui importe d’abord à Paul, pour ce qui est du péché, c’est l’histoire d’un désastre qui touche l’humanité tout entière, mais aussi la lutte victorieuse menée contre lui par le Christ et son Évangile.
28L’apôtre révèle en effet une vision du monde globale et universelle. Cette vision est, pourrait-on dire avant la lettre, celle d’une foi mondialisée. Juif et citoyen romain, Paul conçoit son apostolat comme celui auprès des païens, c’est-à-dire de 90 % du monde « civilisé » d’alors. C’est pourquoi il cherchera avec constance à atteindre le centre de cet empire, Rome – ce qui le conduit à rédiger la principale de ses lettres, adressée aux Romains. Il compte alors y réaliser l’unité des judéo- et des pagano-chrétiens (d’où la perspective universelle d’histoire du salut qui sous-tend toute la lettre), puis poursuivre son œuvre d’évangélisation jusqu’aux confins du monde d’alors, se rendant jusqu’en Espagne (15,24) [21].
29C’est donc une véritable histoire du salut que dessine Paul, chacun des deux termes (histoire et salut) ayant son importance. Salut en effet, dans la mesure où – comme dans l’ensemble des textes bibliques –, c’est à partir de sa libération, opérée en Christ, qu’est abordée la question du péché. C’est justement parce qu’il est vaincu que l’on peut le regarder de près et en face. Mais histoire aussi, dans la mesure où cette victoire s’inscrit dans une longue marche qui traverse siècles et empires. Cette marche commence par la désobéissance d’Adam, le premier homme, et culmine avec la mort et la résurrection du Christ, rétablissant l’ordre originel. Il convient toutefois de voir en Adam moins un être historique (ce qu’il est certainement aussi pour Paul) qu’une figure typique, celle de tout être humain et de l’humanité dans son ensemble [22]. En désobéissant au commandement divin, l’humanité en Adam permet au Mal de faire son œuvre en son sein pour la conduire à la mort. N’est donc fondamentalement péché, pour Paul, ni la transgression de quelque règle de pureté ni le manquement à quelque loi religieuse ou morale particulière. Pécher, c’est faire le mal, participer par ses actes au malheur qui divise et déchire le monde, drame absolu dont nul humain ne peut s’abstraire ou s’absoudre et qui conduit à la mort.
30Or, voilà qu’en Jésus-Christ, second Adam, ce drame sans issue se trouve comme retourné : à la désobéissance se substitue l’obéissance, à l’injustice la justice, à la condamnation la grâce et la justification. Et cela, non à l’initiative de l’homme ou en raison de quelque qualité particulière, mais du fait de Dieu lui-même, de lui seul et par pure grâce. D’où ce propos capital du chapitre 5 : « Si par la faute (paraptôma) d’un seul la multitude a subi la mort, à plus forte raison la grâce de Dieu, grâce accordée en un seul homme, Jésus-Christ, s’est-elle répandue en abondance sur la multitude (hoï polloï)… De même en effet que par la désobéissance d’un seul homme, la multitude a été rendue pécheresse, de même aussi par l’obéissance [23] d’un seul, la multitude sera-t-elle rendue juste » (5,15-19).
31Le raisonnement est jusqu’ici limpide. Il se complexifie toutefois, lorsque la loi (nomos) insiste pour y trouver sa place. Elle insiste en effet, ne serait-ce que parce qu’elle résume à elle seule tout le judaïsme d’alors et qu’elle imprègne encore largement la foi chrétienne naissante.
32Or, pour l’apôtre, loi et péché forment couple, au sens quasi mécanique du terme : le fonctionnement de l’un entraînant la mise en mouvement de l’autre et réciproquement. Et cela à deux niveaux au moins : sur un plan fondamental et existentiel d’une part, à un niveau socioreligieux d’autre part.
33La fonction existentielle de la loi (essentiellement présentée dans un discours en « je » en Romains 7) part de l’observation générale, selon laquelle pour qu’il y ait transgression (ou péché) et culpabilité, il faut qu’il y ait d’abord règle, interdit ou loi. Ce qui conduit l’apôtre à écrire : « Je n’ai connu le péché que par la loi. Et je n’aurais pas connu la convoitise (epithumia) si la loi n’avait dit : “Tu ne convoiteras pas” » (7,7). Loin donc de permettre d’éviter la faute ou le péché, la loi l’attise – tant sur un plan quasi métaphysique (sans règle, point d’infraction !), que psychologico-existentiel (la règle posée incite à la transgresser). D’où l’exclamation conclusive : « Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de cette condition mortelle ?… Me voilà à la fois assujetti par l’intelligence à la loi de Dieu et par la chair à la loi du péché » (7,24s). C’est de ce malheur que délivre la foi en Christ, par la puissance de l’Esprit (chapitre 8) : ce n’est pas par mes œuvres que je puis y échapper, mais par la pleine confiance en l’œuvre de Dieu seul, me permettant d’avancer résolument vers une vie renouvelée.
34La malédiction dont la loi est porteuse révèle toutefois une autre face encore, d’ordre social (voire politique) et religieux cette fois-ci. La recherche exacerbée du respect de la loi pousse en effet à ce qui pour Paul constitue comme l’essence du péché, à savoir l’orgueil, la prétention, l’auto-glorification, réalité rendue sous sa plume par les termes de la famille kauchèma / kauchèsis / kauchasthai, qu’il est pratiquement seul à utiliser dans le Nouveau Testament [24].
35Obnubilé en effet par sa recherche de l’observation de la loi, l’individu s’enferme non seulement sur lui-même, mais il le fait encore au détriment du souci d’autrui qu’il ne considère que pour l’évaluer, le juger et, en définitive, le dénigrer. Ce faisant, le zélateur de la loi s’aveugle sur lui-même, sur son prochain et sur Dieu lui-même. Aussi est-ce bien à cette manière d’auto-aveuglement prétentieux que s’oppose la foi (pistis) qui s’en remet pleinement à Dieu et à autrui pour jalonner le parcours de la vie en Christ.
36À l’inverse, la voie ouverte par le souci de la loi conduit à divers types de ségrégations ou de discriminations, expressions toutes particulières du péché qui déchire l’humanité. Il classe entre purs et impurs, pieux et mécréants, bons et méchants, moins bons et meilleurs. La loi exige que, pour être enfant de Dieu, on porte tel signe dans sa chair ou qu’on respecte tel rituel à la lettre. Elle empêche les membres de la famille humaine de vivre en communion les uns avec les autres. Or cette vie commune se manifeste notamment dans le partage de la nourriture et des repas. Conduire au refus de ce partage – comme le fait le respect littéral de la Loi, tout particulièrement entre judéo- et pagano-chrétiens –, tel est le comble du scandale et du reniement de l’Évangile. D’où notamment le violent conflit entre Paul et Pierre-Céphas à Antioche, ce dernier ayant renoncé à prendre ses repas avec les chrétiens issus du paganisme (Gal 2,11-21). Or le véritable « miracle » de l’Évangile consiste justement à réconcilier les uns avec les autres et à leur permettre de vivre ensemble. L’épître aux Éphésiens le dit comme jamais : « Le Christ est notre paix : de ce qui était divisé il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation : la haine. Il a aboli la loi et ses commandements avec leurs observances, pour créer, en lui, avec les deux, un seul homme nouveau » (Ep 2,14ss).
37Ainsi l’obéissance du Christ venant mettre fin à la désobéissance d’Adam, conduit-elle bien tous les humains à s’en remettre à la seule grâce divine qui leur donne et leur ordonne en même temps de partager ce qui leur est le plus précieux et le plus commun : leur être « justifié » ne leur vient pas d’eux-mêmes, mais d’un A/autre.
38Peut-on conclure ce tour d’horizon incomplet ?
39Passant par-dessus la richesse et la diversité des termes, des récits et des textes (qui constituent en elles-mêmes une des caractéristiques de l’appréhension biblique du péché [25]), trois traits fondamentaux apparaissent toutefois de façon récurrente à travers l’ensemble du corpus évoqué :
- 1. Le péché se présente moins comme un acte ou une action particulière que comme une condition ou un état : celui de toute l’humanité livrée au mal et au malheur. L’origine de ce mal et de ce malheur reste inscrutable, mais la part qu’y prend l’humanité en général et chaque individu en particulier ne saurait être niée.
- 2. Dès lors, le péché des péchés revient à se désolidariser de cet état commun, à se considérer et se vouloir comme pur, rejetant la cause du mal et du malheur sur autrui. Les questions de nourriture – et de nourriture partagée – y jouent un rôle à la fois symbolique et concret : au début de la Genèse, à l’occasion de sacrifices, dans le partage des repas pris par Jésus et les « pécheurs », comme entre chrétiens issus tant du judaïsme que du paganisme.
- 3. La révélation de Dieu – tout particulièrement en Jésus-Christ – met en lumière cette condition comme les actes qui la tissent. Mais cette mise en lumière n’a pas pour seule fonction que d’annoncer le pardon, appeler à la repentance et engager dans un avenir neuf.
Notes
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[1]
On peut y ajouter le livre de Job, dont la trame générale porte moins sur le péché lui-même que sur la souffrance du juste et l’énigmatique « chant du serviteur » d’Esaïe 52,13-53,12, « portant nos souffrances, chargé de nos douleurs… », dont le Seigneur « a fait un sacrifice pour le péché… alors qu’il a porté le péché d’une multitude » (53,10-12).
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[2]
Rendus parfois aussi par adikia (injustice), anomia (désordre, chaos), asebeïa, kakia, etc.
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[3]
Georges Auzou, De la servitude au service. Étude du livre de l’exode, Paris, Éd. de l’Orante, 1961.
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[4]
Cet amour n’est pas uniquement d’ordre personnel ou interpersonnel. Il implique aussi toute une éthique de justice sociale et politique. Les interventions véhémentes des prophètes en témoignent amplement, mais la Torah elle-même n’est pas en reste, comme le montre la finale du Lévitique (chapitre 25), instituant l’année sabbatique et l’année du jubilé. Dès lors, le péché, loin de ne concerner que des actions individuelles, touche encore l’ensemble du peuple.
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[5]
Voir notamment les commentaires de René Péter-Contesse, Lévitique 1-16, Genève, Labor et Fides, 1993 et Alfred Marx, Lévitique 17-27, Genève, Labor et Fides, 2011. Le rituel de iom kippour, jour du grand pardon (chap. 16), est encore compliqué par le fait qu’à côté du bouc offert en « sacrifice pour le péché », un autre bouc (référence chère à René Girard !) est envoyé vivant « pour l’expiation » et « pour Azazel » dans le désert (v.5-10 ; 20-22).
-
[6]
Voir Jean-François Collange, « L’arbre du bien et du mal : le couple et l’éthique théologique aujourd’hui (Gn 2,15-23) », RETM 291, 2016, p. 189-193 ; Josy Eisenberg, Armand Abécassis, Et Dieu créa Ève. À Bible ouverte II, Albin Michel, 1979 ; André Wénin, D’Adam à Abraham ou les errances de l’humain. Lecture de Genèse 1,1-12,4, Éd. du Cerf, 2007, p. 70-86.
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[7]
André Wénin propose d’ailleurs de traduire le terme ici par « ratée » pour éviter les connotations trop éthiques de « péché » (D’Adam à Abraham ou les errances de l’humain. Lecture de Genèse 1,1-12,4, p. 132). Dans un sens plus simple à comprendre, mais générique, voir encore 18,20 ; 20,9 ; 31,36.
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[8]
L’ensemble du Nouveau Testament emploie le substantif « péché » [hamartia] (173 fois) + [hamartèma] (5 fois), le qualificatif « pécheur » [hamartôlos] (47 fois) et le verbe « pécher » [hamartanein] (42 fois). La répartition s’opère ainsi : Paul : 91 fois ; Jean : 51 fois (évangile : 24 ; épîtres : 27) ; Hébreux : 29. Les synoptiques sont bien plus sobres : Marc et Matthieu : une quinzaine fois ; Luc étant plus prolixe (33 fois), avec une nette prédilection pour hamartôlos (18 fois).
-
[9]
Par le baptême de Jean « pour le pardon des péchés » auquel Jésus se soumet (Mc 1,4-11) et par la guérison d’un paralytique, auquel le Maître pardonne également ses péchés (Mc 2,1-12).
-
[10]
Ce n’est qu’au début de l’évangile de Matthieu que l’ange du Seigneur annonce à Joseph que l’enfant à naître « sauvera son peuple de ses péchés », sans préciser d’ailleurs la manière dont ce salut sera réalisé (Mt 1,21).
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[11]
Mc 2,15ss par. ; Lc 19,1-10.
-
[12]
Mc 2,13ss par. ; voir Mt 10,3.
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[13]
La même scène est rapportée, à la veille de la Passion, par Marc et Matthieu (Mc 14,3-9 ; Mt 26,6-13). Il n’y est plus reproché à la femme son statut de « pécheresse », mais le gaspillage que représente l’onction qu’elle réalise. En Jn 12,1-8, elle prend même le nom de Marie, sœur de Lazare et de Marthe.
-
[14]
Il n’en va pas ainsi seulement pour le partage de repas, mais pour toute liberté prise par le Maître vis-à-vis de la tradition : respect du sabbat, jeûne, contact avec des malades impurs, etc.
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[15]
L’attention particulière de Luc envers les « pécheurs » le conduit à insister sur la nécessité de la repentance (métanoïa), tout en soulignant qu’ « il y a plus de joie au ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentance » (Lc 15,7.10). Curieusement, le terme de « pécheur » n’apparaît pas dans les Actes.
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[16]
Marc suggère cette interprétation lorsqu’il termine cette abrupte et mystérieuse condamnation par ces mots : « [il parlait ainsi] parce qu’ils disaient “il a un esprit impur”. » On notera encore le parallélisme avec le commandement du début de la Genèse (2,16ss) : le pardon des péchés n’est concevable (et réalisable ?) qu’à condition qu’il comporte une limite !
-
[17]
Jean 9 est le seul chapitre chez Jean employant le qualificatif hamartôlos, imputé par les pharisiens tant à l’aveugle qu’à Jésus. N’apparaissent pas plus dans le quatrième évangile collecteurs d’impôts ou prostituées !
-
[18]
Voir v.16. 24s.31. 34. 39ss ; et encore 8,21.24. 46.(15,22-24) ; 16,8s.
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[19]
Soit un total de 82 usages pour le substantif (64 hamartia, 2 hamartèma, 16 paraptôma), 17 pour le verbe hamartanein et 8 pour hamartôlos. Pour ce qui est des substantifs rendant le français « péché », Paul utilise près de 43 % des termes de l’ensemble du Nouveau Testament. À elle seule, l’épître aux Romains recourt 66 fois au vocable.
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[20]
Bien entendu, dans les exhortations qui concluent généralement ses lettres, l’apôtre se fait plus précis et n’hésite pas à énumérer les manifestations concrètes du péché. Ainsi en Gal 5,19ss évoque-t-il les « œuvres de la chair » (du péché) comme : « libertinage, impureté, débauche, idolâtrie, magie… ». Mais le même chapitre commence par ces mots : « C’est pour que nous soyons vraiment libres que Christ nous a libérés… » (5,1ss). Un peu plus loin, il ajoute que « la loi tout entière tient son accomplissement dans l’amour du prochain » (v.14 ; voir Rm 13,8-10).
-
[21]
Parmi les lettres, celle aux Romains présente se pensée de la façon la plus systématique. Notre propos s’appuie donc surtout sur elle, à laquelle les références renverront sans précision particulière.
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[22]
On note encore que, pour Paul, l’auteur premier de la désobéissance est bien Adam et non pas Ève. Par ailleurs, sa réflexion embrassant toute l’histoire, Paul se doit d’intégrer les grands moments et les grandes figures de l’histoire d’Israël : notamment Abraham et Moïse (Rm 4 ; Gal 3)… jusqu’à Jésus lui-même « issu selon la chair de la lignée de David… » (Rm 1,3).
-
[23]
Hupakoè ! Et non sacrifice, voir toutefois Rm 3,25 ; 2Cor 5,21.
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[24]
Chacun des deux substantifs est utilisé une dizaine de fois dans les épîtres, le verbe 35 fois.
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[25]
Pour le seul Nouveau Testament, il conviendrait d’ajouter encore Hébreux, I Jean…