Notes
-
[1]
Ernst Haeckel, Generelle Morphologie der Organismen, allgemeine Grundzüge des organischen Formen-Wissenschaft, mechanisch begründet durch die von Charles Darwin reformierte Deszendenz-Theorie, t. 2, Berlin, Reimer, 1866, p. 286.
-
[2]
Gary L. Miller et Robert E. Ricklefs, Écologie, Bruxelles, De Boeck, 2005, p. xix.
-
[3]
LS 16.
-
[4]
Jean-Jacques Brun, « Écosystème », dans Fabien Revol (dir.), Avec Laudato si’, devenir acteurs de l’écologie intégrale, Lyon, Éd. Peuple libre, p. 167.
-
[5]
Arthur G. Tansley, « The Use and Abuse of Vegetational Concepts and Terms », Ecology 16, n° 3, 1935, p. 284-307.
-
[6]
Rachel Carson, Silent Spring, Boston, Éd. Houghton Mifflin, 1962 (réimpr. Mariner Books, 2002), Printemps silencieux, Paris, Éd. Plon, 1963.
-
[7]
Jean Dorst, Avant que nature meure. Pour une écologie politique, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1965.
-
[8]
Gary L. Miller et Robert E. Ricklefs, Écologie, p. 37.
-
[9]
Edwin Zaccaî, « Développement durable », Dictionnaire de la pensée écologique, Dominique Bourg et Alain Papaux (dir.), Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2015, p. 275-278. Voir aussi Diocèse de Nantes, Pour un engagement écologique : simplicité et justice, Paris, Éd. Parole et Silence, 2014, p. 19-20.
-
[10]
Gro H. Brundtland, Notre avenir à tous, 1987, https://www.diplomatie.gouv.fr/sites/odyssee-developpement-durable/files/5/rapport_brundtland.pdf (consulté le 02.01.2018).
-
[11]
Nations Unies, « Convention-cadre sur les changements climatiques », 29 janvier 2016, http://unfccc.int/resource/docs/2015/cop21/fre/10a01f.pdf (consulté le 02.01.2018).
-
[12]
LS 193.
-
[13]
CA 38.
-
[14]
Georges Guille-Escuret, « Écologie humaine », Dictionnaire de la pensée écologique, p. 328-330.
-
[15]
Paul et Anne Ehrlich, Population, Resources, Environment. Issues in Human Ecology, San Francisco, Freeman, 1970.
-
[16]
LS 148, 152, 155, 156.
-
[17]
LS, chap. 4.
-
[18]
Compendium, 464.
-
[19]
LS 70.
-
[20]
Paul Josef Crutzen et Eugène F. Stoermer, The Anthropocene, Global Change, NewsLetter 41, 2000, p. 17-18.
-
[21]
Paul VI, « Discours à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la FAO », le 16 novembre 1970, 4.
-
[22]
Gérald Hess, « Biocentrisme », Dictionnaire de la pensée écologique, p. 80-83.
-
[23]
Voir LS 68, 69, 115, p. 122-136.
-
[24]
Rémi Beau, « Écocentrisme », Dictionnaire de la pensée écologique, p. 307-309.
-
[25]
Diocèse de Nantes, Pour un engagement écologique, p. 38-40.
-
[26]
Ibid., p. 30-32 pour les huit principes, et Hicham-Stéphane Afeissa, « Deep ecology/écologie profonde », Dictionnaire de la pensée écologique, p. 249-251.
-
[27]
Arne Naess, Vers l’écologie profonde, Wild Project, 2009.
-
[28]
Diocèse de Nantes, Pour un engagement écologique, p. 25-29.
-
[29]
L’économie bleue 3.0, Les Nouvelles Éditions Caillade, 2017.
-
[30]
Voir par exemple le film d’Al Gore, Une vérité qui dérange, 2006.
-
[31]
Hans Jonas, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Éd. du Cerf, [1979], 1991.
-
[32]
Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Points, 2004.
-
[33]
Serge Latouche, « Décroissance », Dictionnaire de la pensée écologique, p. 246-249 ; Diocese de Nantes, Pour un engagement écologique, p. 29.
-
[34]
Pierre Rabhi, Vers une sobriété heureuse, Arles, Actes Sud, 2010.
-
[35]
Robert Dumoulin, Comment atteindre la simplicité volontaire : une nouvelle façon de vivre sans artifices : se recentrer sur les choses vraiment importantes, Montréal, Éd. Édimag, 2003.
-
[36]
Nicolas Ridoux, La décroissance pour tous, Lyon, Parangon Vs, 2006. Et voir la revue Limite, issue du courant d’écologie intégrale français à la suite du livre de Gauthier Bès et al., Nos limites. Pour une écologie intégrale, Paris, Éd. Le Centurion, 2014.
-
[37]
LS 193.
-
[38]
Les pionniers de l’écologie, une histoire des idées écologiques, Éd. Sang de la Terre, 1992 ; édition anglaise : 1985, p. 23-44.
-
[39]
The Natural History and Antiquities of Selborne, Penguin Books, 1977, Penguin Classics, 1987.
-
[40]
Lynn White jr., « The Historical Roots of Our Ecological Crisis », Science 155, 1967, p. 1203-1207, et la traduction française : « Les Racines historiques de notre crise écologique », trad. J. Morizot, appendice de Jean-Yves Goffi, Le philosophe et ses animaux, du statut éthique de l’animal, Nîmes, Éd. Jacqueline Chambon, coll. « Rayon Philo », 1994, p. 289-309.
-
[41]
Aldo Leopold, A Sand County Almanac, & Other Writings on Conservation and Ecology, Oxford, Oxford University Press, 1949, 2001.
-
[42]
Jean Dorst, Avant que nature meure. Pour une écologie politique, p. 15.
-
[43]
Thomas Berry et Mary E. Tucker (dir.), The Sacred Universe: Earth, Spirituality, and Religion in the 21st Century, Columbia University Press, 2009.
-
[44]
Environmental Ethics, Philadelphie, Temple University Press, 1988.
-
[45]
Voir, par exemple, le volume sur le christianisme de Dieter T. Hessel et Rosemary Radford Ruether (dir.), Christianity and Ecology, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2000.
-
[46]
Lynn White Jr., « Les Racines historiques de notre crise écologique », p. 300.
-
[47]
Ibid., p. 308-309.
-
[48]
Hélène et Jean Bastaire, Lettre à François d’Assise sur la fraternité cosmique, Paris, Éd. Parole et silence, 2001, et Un nouveau franciscanisme, Les petits frères et les petites sœurs de la Création, Paris, Éd. Parole et Silence, 2005.
-
[49]
Voir par exemple A Franciscan View of Creation: Learning to Live in a Sacramental World, The Franciscan Heritage Series 2, 2003.
-
[50]
Voir par exemple Michel Maxime Egger, La Terre comme soi-même, repères pour une écospiritualité, Genève, Labor et Fides, 2012.
-
[51]
John Chryssavgis (éd.), Cosmic Grace + Humble Prayer, The Ecological Vision of the Green Patriarch Batholomew I, Grand Rapids, Michigan, Eerdmans Publishing Co., 2003.
-
[52]
Ignace IV, Sauver la création, suivi de trois essais sur la rencontre des Églises et des religions, Paris, Desclée de Brouwer, coll. « Théophanie », 1989.
-
[53]
Le Catholicisme Vert, Histoire des relations entre l’Église et la nature au xx e siècle, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Histoire », 2008.
-
[54]
Voir ses textes dans l’ouvrage de Marc Stenger (dir.), Planète vie, planète mort, l’heure des choix, Paris, Éd. du Cerf, 2006.
1 Je dédie cette intervention à Jean Bastaire qui nous a quittés le 24 août 2013.
2 Je vais dans un premier temps parler d’écologie, de ce que ce terme recouvre du point de vue des concepts, et leur histoire dans la pensée occidentale. Il s’agit de clarifier un mot que l’on qualifie parfois de « valise » et qui a perdu de sa crédibilité pour bon nombre de nos contemporains tant il est utilisé pour signifier des réalités diverses, pour ne pas dire contradictoires. Dans un registre interdisciplinaire qui est celui de cette communication, ces distinctions sont nécessaires quand on a la prétention de faire entrer, dans un deuxième temps, l’écologie en dialogue avec la pensée chrétienne, et d’affirmer que la théologie morale peut s’approprier des questionnements d’écologie.
Écologie
Histoire du concept
3 Le mot « écologie » – oikos et logos – a été forgé en 1866 pour désigner la discipline qui s’intéresse aux relations des êtres vivants entre eux et avec leur milieu [1]. Son auteur, le naturaliste allemand Ernst Haeckel, se situe dans la ligne scientifique de Charles Darwin. Le mot « écologie », et ensuite les concepts que ce mot recouvre, naît dans le contexte d’une réflexion sur les sciences du vivant. Il garde aujourd’hui la même définition dans son volet scientifique. Dans les manuels, on trouve qu’il s’agit de « l’étude des interactions qui existent entre les organismes et leur environnement physique et biologique [2] ». On peut encore dire que c’est la science de la biosphère, zone de développement de la vie à la surface de la terre, la rencontre entre l’atmosphère (le gaz), la croûte terrestre (le minéral), et l’hydrosphère (l’eau).
4 La notion scientifique qui convient pour parler de relations des êtres naturels est celle d’interaction, d’interdépendance, ce qui invite à penser en termes de relations. Un mode de pensée écologique se développe à partir des représentations engendrées par la notion de relation. L’écologie invite à penser que tout être est en interaction. Cela signifie a contrario que rien n’existe s’il n’est relié. Ainsi Mgr Stenger disait dans son intervention : « La relation n’est pas qu’accidentelle, elle relève de ce qui essentiel. » Réciproquement, tout être appartient à un système avec lequel il est en relation avec d’autres êtres. Dans ce système, il apporte sa contribution et il fait ce que les autres sont aussi. Ce que je suis et ce que je fais contribuent à la construction d’un système d’interactions dans et par lequel les choses sont ce qu’elles sont, les unes par rapport aux autres. Cette intégration de la notion d’interaction permet de mieux saisir le sens du refrain « tout est lié [3] » dans l’encyclique Laudato si’, afin de comprendre cet horizon placé devant nous qu’est l’écologie intégrale.
5 Les systèmes de relations dans lesquels nous sommes inclus sont les écosystèmes [4]. C’est un concept qui apparaît en 1935, d’après le biologiste Arthur George Tansley [5]. Il s’agit de la somme des êtres vivants qui sont sur un milieu et qui interagissent entre eux et avec leur milieu non organique, plus les relations. L’ensemble des écosystèmes forment des paysages sur de plus grands territoires. La somme des écosystèmes à la surface de la terre forme la biosphère.
6 L’écologie se structure progressivement pendant un siècle jusque vers les années 1960 au cours desquelles un tournant éthique se constitue. Des scientifiques commencent à dire que les écosystèmes étudiés sont caractérisés par une certaine fragilité, et qu’ils peuvent être dégradés par l’activité humaine, voire détruits. Le scientifique est ainsi capable d’évaluer l’influence anthropique sur les écosystèmes. L’exemple paradigmatique des premières alertes tirées aux États-Unis est le livre de la zoologiste Rachel Carson, Le Printemps Silencieux (Silent Spring [6]). Il s’agit d’une interpellation de la société américaine sur l’usage des pesticides dans la campagne états-unienne. En France, nous avons eu aussi dans la même période le biologiste Jean Dorst avec son livre Avant que nature meure [7].
7 Un glissement s’opère depuis un discours, une discipline scientifique de l’écologie vers des interpellations éthiques, puisqu’on interpelle la puissance d’actions humaines sur les environnements naturels. On impute à l’être humain la responsabilité de la dégradation de son environnement par ses modes de vie inappropriés. De là peuvent naître des engagements de types sociaux et politiques, avec des actions concrètes pour la protection de la planète, de la nature ou des écosystèmes, dans le cadre d’associations, de mouvements de militance, ou encore de mouvements politiques écologistes. Il y a ainsi un deuxième glissement qui s’est opéré vers le domaine politique. L’écologie aujourd’hui est toujours beaucoup mieux connue sous son volet social et politique que sous son volet purement scientifique, et j’aime à rappeler qu’avant qu’elle ne devienne un courant politique, l’écologie a été un travail scientifique pendant un siècle environ.
8 Les scientifiques de l’écologie répondent à la dénomination d’« écologues ». Les gens qui s’engagent et qui militent pour la protection de la planète sont nommés « écologistes ». L’alliance des deux dans une dimension proactive a donné ce qu’on appelle « les sciences de l’environnement », c’est-à-dire cette discipline issue de la géographie et des sciences humaines qui réfléchit sur la manière intelligente d’accompagner et d’acclimater l’activité humaine à son environnement naturel [8].
9 Au sein des engagements en écologie, il faut identifier différents courants. Le développement durable [9], mauvaise traduction de « sustainable development », est un concept qui a été rendu populaire par le rapport Brundtland [10] en 1987. Il identifie un projet d’organisation de l’économie planétaire en vue d’un développement de nos sociétés qui puisse concilier trois axes que sont l’économie, le social et l’environnement. Il a été intégré dans les politiques publiques comme un concept phare, en particulier dans les institutions internationales. Il est récurrent et prédomine, par exemple, dans le langage de l’ONU pour les dix-sept objectifs du développement durable de septembre 2015 et de la COP 21 dans les Accords de Paris [11]. Beaucoup de milieux écologistes radicaux, très engagés sur le terrain, sont réticents à l’usage de ce terme. Que signifie un développement, cause de la crise écologique, qui soit durable, surtout s’il est basé sur une croissance économique indéfinie qui s’érige en norme d’elle-même ? Pour sortir de la crise écologique, il faudrait justement sortir de la mentalité croissanciste qui fonde l’idée de développement sur le paradigme de l’économie libérale. Notons que la notion de développement durable est employée avec prudence et avec quelques précautions dans Laudato si’ [12] puisque le concept que propose vraiment le pape François est celui d’écologie intégrale.
10 Le concept d’écologie humaine nous est connu depuis quelques années dans la littérature théologique puisque le pape Jean-Paul II en a fait une référence importante quand il parle de l’écologie à partir des années 1990, en particulier dans Centesimus Annus [13]. Les questions d’écologie sont prises traditionnellement par l’Église catholique par la porte d’entrée de la dignité de la personne humaine. C’est pourtant un concept un peu plus ancien, né dans un contexte laïc [14]. Il concerne les politiques de maîtrise de développement de la population humaine [15]. C’est donc un concept emprunté et catholiquement reforgé. Dans Laudato si’, il est employé de manière ciblée pour parler des relations et activités humaines [16], mais il n’est plus le fer de lance de l’argumentation pontificale.
11 Ce fer de lance est désormais l’écologie intégrale [17]. Il s’agit d’une expression qui cherche à définir comment être au monde en tant qu’être humain. Cet être au monde se conjugue selon quatre axes, ou quatre relations fondamentales qui structurent notre humanité. C’est premièrement le rapport à Dieu. Le pape François reprend directement cet élément de Jean-Paul II et du Compendium de doctrine sociale de l’Église [18]. Deuxièmement, c’est le rapport à l’autre, à la dignité de la personne humaine dans l’autre que soi. Troisièmement, c’est le rapport à soi-même, à la dignité de la personne humaine en soi. Quatrièmement, c’est le rapport aux créatures non humaines [19]. Ces quatre axes peuvent être représentés sous la forme d’un tétraèdre, une pyramide à quatre faces triangulaires dont les quatre coins sont en relation directe les uns avec les autres. Or, si une de nos quatre relations fondamentales n’est pas équilibrée, cela a un impact direct sur les trois autres. Si mon rapport à moi-même, par exemple, est mal ordonné, cela introduit un désordre dans mon rapport aux autres, dans mon rapport à Dieu, dans mon rapport aux créatures non humaines, etc. « Tout est lié », c’est aussi ce que cela veut dire.
Crises, transitions, problème de vocabulaire
12 La « crise écologique » est une notion dont on entend parler depuis des décennies maintenant, mais qui semble passer progressivement de mode. Cela fait cinquante ans qu’on parle de cette crise, et même cent soixante ans qu’on peut dire qu’elle existe. C’est un processus long dans lequel nous sommes inscrits et dont certains aspects sont peut-être réversibles et d’autres non. Il faudrait alors plutôt parler de transition que nous sommes en train de vivre et de traverser. Cette dernière notion est une invitation à se préparer à affronter un nouvel état écologique du monde qui aura des implications très importantes sur nos modes de vie.
13 Je tiens encore un peu à la notion de crise, parce que d’un point de vue écologique et d’un point de vue de l’histoire de la planète, cela a du sens. Si on compare effectivement la crise écologique à l’échelle de notre vie humaine, avec ses cent soixante ans, on peut voir qu’elle dure depuis plusieurs générations. Mais cent soixante ans de crise écologique face à, par exemple, la durée de développement d’un écosystème forestier – un millier d’années – c’est déjà plus court. Pour mettre en place le système climatique tempéré comme le nôtre, il faut autour de cent cinquante mille ans. Combien de temps a-t-il fallu au dernier dinosaure pour rendre l’âme il y a soixante-cinq millions d’années à partir du moment où, admettons, une comète est tombée du ciel pour déclencher la grande crise Crétacé-Tertiaire ? La réponse est quatre cent mille ans ! Par rapport aux cent quatre-vingt-dix millions d’années qu’a duré l’ère Secondaire (252-65 MA) et pendant laquelle les dinosaures ont occupé presque toutes les niches écologiques terrestres, quatre cent mille ans sont très courts. C’est bien le mot « crise » qui est employé pour désigner ce qui s’est passé à cette époque lointaine. Quand on réfléchit en termes d’échelles géologiques et écologiques, cent soixante ans est une durée extrêmement courte.
14 Il existe un consensus pour identifier sept critères scientifiques définissant la crise écologique globale : (1) les évolutions atmosphériques (changement climatique) ; (2) la dégradation, voire la disparition de certains habitats naturels ; (3) l’évolution de la disponibilité et de la qualité de l’eau ; (4) l’évolution de la production de déchets (pollution) ; (5) la modification des compétitions entre espèces ; (6) la multiplication de crises relatives à la bio-sûreté (comme la crise de la grippe aviaire) ; (7) le rythme élevé de disparition des espèces (techniquement corrélé au point 2).
Anthropocène et éthique
15 L’anthropocène est une ère qui a été définie récemment par le chimiste de l’atmosphère Paul Josef Crutzen, prix Nobel en 1995, pour désigner une nouvelle époque géologique qui aurait débuté, selon lui, à la fin du xviii e siècle avec la révolution industrielle, et succéderait ainsi à l’Holocène [20]. Ce nom signifie que les conséquences de l’action humaine sont tellement importantes qu’elles laissent des traces géologiques spécifiques dans les couches sédimentaires. Cela veut dire que l’être humain est devenu puissance de modification de cycles géologiques terrestres. C’est un concept qui permet de réfléchir sur les grandes influences que l’être humain opère aujourd’hui sur son environnement. Quelle maîtrise, quel impact sur la géomorphologie, l’homme peut-il avoir par son activité ? Quelle responsabilité se dessine dans la maîtrise raisonnée de ces processus ? Cela renvoie à ce que disait Paul VI, en 1971, quand s’il s’adressait à la FAO :
Il a fallu des millénaires à l’homme pour apprendre à dominer la nature, « à soumettre la terre » selon le mot inspiré du premier livre de la Bible (Gn 1, 28). L’heure est maintenant venue pour lui de dominer sa domination, et cette entreprise nécessaire ne lui demande pas moins de courage et d’intrépidité que la conquête de la nature [21].
17 La notion d’Anthropocène manifeste l’enjeu de l’acquisition de la maîtrise de la puissance qui peut avoir une influence sur les cycles terrestres.
Des idéologies
18 L’écologie naît bien sûr d’une science, mais elle n’est pas exempte d’idéologie. Il y a, en effet, beaucoup de courants d’idées qui ne sont pas forcément cohérents les uns avec les autres et qui se font concurrence. Il y a beaucoup, par exemple, de mots en « -centrisme » qui orientent les courants de pensée écologique, comme le biocentrisme, le géocentrisme, l’anthropocentrisme ou l’écocentrisme. Dans le cas du biocentrisme [22], la valeur la plus importante à protéger est la vie biologique. L’être humain se subordonne en tant que valeur axiologique à celle de la vie. Un autre concept – le géocentrisme – identifie que c’est la planète qui est la valeur centrale à protéger. L’anthropocentrisme que nous connaissons bien en christianisme est une posture qui organise tous les modes de vie et les valeurs autour de la personne humaine et sa dignité. C’est un courant issu de la pensée grecque qui a infusé dans le christianisme, et qui se retrouve de manière très forte dans la pensée moderne. Notons que dans Laudato si’, le pape François se positionne de manière subtile sur ces notions en « -centrisme », et il dénonce celles qui semblent être contraires à une vision chrétienne, comme les excès du biocentrisme qui relativisent la dignité de la personne humaine. Il dénonce aussi l’anthropocentrisme dévié et moderne qui semble être à la source des problèmes écologiques [23].
19 L’écocentrisme [24] pense une place prépondérante aux écosystèmes, et dans ces écosystèmes, il s’agit de comprendre la place de chacun des êtres qui en font partie comme des contributeurs à la constitution du bien du tout, de l’ensemble. Le mode de vie qui se rapporte à cet écocentrisme en termes de vie éthique et politique est l’éco-citoyenneté, c’est-à-dire reconnaître la part de chacune des entités dans le bon fonctionnement des écosystèmes compris comme des communautés, êtres humains inclus.
20 L’écologie radicale [25] est peut-être le courant écologiste le plus caricatural, celui que l’on accuse de considérer l’être humain comme le principal problème de la terre et des écosystèmes en tant que prédateur ou comme la maladie de la planète. L’écologie radicale s’intéresse d’abord aux valeurs de biocentrisme et de géocentrisme car pour ses tenants, la planète Terre survivra à l’espèce humaine. Si l’être humain se détruit, par exemple avec la bombe atomique, les écosystèmes repartiront d’eux-mêmes. Si l’être humain ne joue pas son rôle et s’il ne reste pas à sa place, c’est à ses risques et périls. Les chiffres les plus extrêmes disent qu’il faudrait réduire la population planétaire à cinq cents millions d’êtres humains pour mettre fin aux problèmes écologiques. Certaines formes de ce courant promeuvent le suicide assisté, la stérilisation volontaire, l’avortement systématique, etc.
21 L’écologie radicale est à distinguer de l’écologie profonde [26]. Cette dernière est issue d’un courant philosophique initié par le philosophe norvégien Arne Naess [27]. Elle s’oppose historiquement à ce que Naess appelle l’écologie superficielle, c’est-à-dire les mesures économiques, sociales et politiques qui consistent à réparer écologiquement les problèmes créés par la société sans remettre en cause nos modes de vie, ni nos modèles de société. Naess propose une écologie dite « profonde » dans laquelle il réfléchit aux articulations de l’être humain avec les autres éléments du monde. Il propose de réfléchir en termes écosystémiques et donc écocentriques : avec quoi l’être humain est-il en relation, à quel ensemble contribue-t-il, comment les différentes espèces de son milieu le constituent, et lui, en tant qu’être humain, quelle est sa responsabilité au sein de cette vision ? L’écologie profonde n’est pas une idéologie anti-humaniste. Au contraire, dans la pensée du philosophe norvégien, il y a une véritable réflexion sur la dignité de la personne humaine et de son rôle prépondérant dans la bonne gestion des équilibres écosystémiques.
22 J’évoque, enfin, le thème de la croissance verte [28]. C’est l’idée que le système économique capitaliste libéral dans lequel nous vivons est bien le bon. Il suffit de s’adapter aux questions écologiques pour qu’il soit à même de résoudre les problèmes écologiques que nous rencontrons (et créons). Une modification du concept de croissance est à envisager : entre autres, une dématérialisation de cette croissance, plus axée vers les services. J’ajoute à cela l’engouement contemporain pour l’« économie bleue » de Günter Pauli [29] qui, outre la bonne idée de faire en sorte qu’un déchet d’une activité économique devienne la matière première d’une autre, considère que la nature et les écosystèmes sont une source inépuisable d’informations (bio-mimétisme) qu’il faut exploiter pour créer les nouvelles technologies de demain, et qui seront à même de résoudre les problèmes écologiques. Dans ce contexte, la croissance est possiblement infinie puisque non basée sur la consommation des ressources matérielles, mais sur l’information disponible dans la nature.
Les motivations à l’engagement en écologie
23 La médiatisation des problèmes écologiques et l’incitation à l’engagement écologique passent par le recours à la catastrophe et à ses représentations [30]. La peur paraît être le principal moteur de la sensibilisation à l’écologie. Cela provient de l’influence de deux penseurs récents que sont Hans Jonas et Jean-Pierre Dupuy. Pour le premier, la cause de la protection de la planète s’enracine dans le projet qu’il y ait toujours des êtres humains habitant la terre dans le futur [31] : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre. » Cela signifie que la motivation est la peur de l’échec d’un tel projet. Jean-Pierre Dupuy vient compléter cette approche en proposant le catastrophisme éclairé [32] : il s’agit d’imaginer les scénarios catastrophes les pires afin d’anticiper et de prendre les mesures préventives nécessaires. En un sens ici, il s’agit de se faire peur pour stimuler les comportements ad hoc. Cela pose une question d’éthique assez fondamentale : la peur est-elle le moteur de l’engagement chrétien pour la sauvegarde de la création ?
Écologie et modes de vie
24 Je ne peux pas faire l’impasse sur les courants contemporains de contestation de la société moderne de production et de consommation. On parle de décroissance [33], de sobriété heureuse [34], de simplicité volontaire [35]. Ce sont des mots qui s’inscrivent dans une réflexion sur le sens des limites [36]. Dans ma vie, de quoi ai-je vraiment besoin pour être un être humain authentique et vivre une vie authentiquement humaine ? Quelles sont les limites de mes besoins ? L’hubris contemporaine d’une consommation exaltée et toujours amplifiée correspond-elle à cette prise de conscience sur le sens des limites ? Cette approche s’inscrit à rebours de l’idéologie croissanciste, dans l’idée que le bonheur ne réside pas dans l’accumulation de biens matériels et qu’il y a d’autres aspects de mon humanité que je peux développer pour être et vivre heureux.
25 C’est en complément la prise en compte réaliste des limites physiques de la terre qui ne peut pas supporter une croissance indéfinie. Il s’agit en premier lieu des limites des ressources fossiles, mais aussi des ressources renouvelables qui se renouvellent à un certain rythme, lui-même limité dans le temps et l’espace. Si je puise trop dans les énergies renouvelables, j’en détruis le fonctionnement, je mets en péril ma survie par cette destruction. Ces notions de décroissance et de sobriété qui arrivent dans Laudato si’ d’une manière presque inattendue [37], nous renvoient à cette réflexion sur les limites de la nature et de nos propres besoins. La défense de la notion de limite peut paraître en contradiction avec une certaine forme de pensée chrétienne fondée sur l’idée de la croissance du Royaume de Dieu. De même, que signifie être un être de désir, d’infini, inscrit dans un état de créature finie et une création marquée par la finitude ? Question ouverte, sur laquelle la réflexion chrétienne doit se pencher.
Pensée chrétienne en dialogue avec l’écologie
Aux sources de l’écologie, le naturalisme des prêtres anglicans
26 Pour faire le lien avec ce qui précède, revenons un peu en arrière pour évoquer une figure fondatrice en écologie, du fait de sa posture par rapport à la nature. Donald Worster fait commencer son histoire de l’écologie [38] avec Gilbert White (1720-1793), prêtre anglican qui habitait dans le sud-est de l’Angleterre et curé de la paroisse de Selborne. Ce clergyman s’est rendu célèbre en écrivant en 1789, The Natural History and Antiquities of Selborne [39]. Il avait sa petite paroisse à gérer, et quand il avait fini le catéchisme, il prenait son chapeau de paille et son filet pour aller herboriser. On est devant la figure paradigmatique du prêtre anglican naturaliste. Worster le met en avant du fait de son regard sur la nature qui travaille à comprendre les grands systèmes naturels dans lequel il vit. Il ne parlait pas en termes de systèmes, mais c’est quelqu’un qui avait le souci de regarder le bon ordre de la campagne anglaise, son harmonie, et d’y voir quelque chose de la gloire de Dieu. Pour ce saint prêtre, faire le naturaliste, c’était un acte de reconnaissance de – et envers – la Providence divine. La préhistoire de l’écologie s’inscrit ainsi dans une réflexion sur la Providence à l’œuvre dans l’ordre de la nature avec ce premier naturaliste.
La porte d’entrée de la doctrine sociale de l’Église
27 En ce qui concerne l’Église catholique, la porte d’entrée de l’écologie est la doctrine sociale de l’Église et donc l’éthique. Personnellement, venant de l’écologie scientifique, ma porte d’entrée pour penser théologiquement l’écologie vient du dialogue entre science et foi, par le fait de la théologie de la Création. Dans le contexte de la réflexion chrétienne générale sur l’écologie, le biais de la doctrine sociale de l’Église reste un cas particulier, parce que dans les autres confessions chrétiennes, cela vient par d’autres biais que peuvent être la spiritualité, le dialogue sciences et religion, la théologie systématique avec le thème de la Création. Or, mon expérience a été celle d’aller me former en théologie de l’écologie au Canada où j’ai d’abord été en contact, non pas avec la doctrine sociale, mais avec la théologie de la Création. Le contexte américain est, en effet, marqué par une histoire particulière : la critique de Lynn White jr.
La critique de Lynn White jr., une erreur incomprise
28 Pour beaucoup d’écologistes, les chrétiens peuvent paraître comme des ennemis en ce qui concerne la réflexion sur l’écologie. En cela, ils sont souvent inspirés par un article célèbre de White de la revue Science [40]. Avant lui, on peut identifier deux auteurs qui avaient préparé le terrain. Aldo Leopold, en 1949, disait déjà qu’il fallait aller au-delà de l’ « anthropologie abrahamique » si l’on voulait vraiment fonder une éthique écologique [41]. En France, Jean Dorst interpellait en 1964 le monde francophone au sujet de l’existence d’une crise écologique dont la pensée chrétienne portait la responsabilité [42]. Mais ils n’ont pas été bien entendus.
29 Cependant, la thèse de White est, en tout cas en France, une grande incomprise. En 1966, Lynn White affirma que le christianisme dans sa forme occidentale était responsable de la crise écologique. Les chrétiens aux États-Unis et au Canada – qui lisèrent cette accusation dans leur langue – ne comprirent pas car ce n’était pas leur sentiment que le christianisme devait être destructeur de la création… Il y eut une réaction très forte de réponse à cette thèse, et ce fut la naissance de la théologie de l’écologie bien représentée, par exemple, par le prêtre passioniste Thomas Berry [43], ou le moraliste Holmes Roslton [44] III et la série d’Harvard sur écologie et religion [45].
30 Pour étayer sa thèse, White dit que le christianisme est la religion la plus anthropocentrique qui ait jamais existé. L’être humain en tant qu’il est créé à l’image de Dieu, recevrait des droits et un pouvoir de domination et de possession de la Création pour en faire ce qu’il voudrait, en des termes despotiques et tyranniques. Il continue en disant que la posture chrétienne générale, telle qu’il la décrit, est la façon normale d’interpréter Gn 1, 26-28. Si on en restait là, on passerait complètement à côté de l’argumentation de White, et si on ne comprend pas ce qu’elle est vraiment, on ne peut pas comprendre Laudato si’ non plus. Cette encyclique est, en effet, la réponse la plus précise qui ait jamais été faite d’un point de vue théologique à la critique de White.
31 D’après ce dernier, pour évaluer la manière dont une civilisation est en rapport avec son environnement naturel, il faut s’intéresser à la façon dont les gens pensent la nature et leur environnement. « Ce que les gens font au sujet de leur écologie dépend de ce qu’ils pensent d’eux-mêmes, en relation avec les choses qui les entourent ; l’écologie humaine est conditionnée en profondeur par les croyances sur notre nature et notre destinée, à savoir la religion [46]. » Les idées, les représentations de la nature et de l’environnement naturel conditionnent des mentalités et influencent des comportements, par conséquent, des éthiques écologiques. Or, ces représentations et ces images de la nature viennent du discours religieux. White fait remarquer que les cosmologies et les cosmogonies qui diffusent à travers les cultures ont toutes une origine religieuse. S’il y a un problème dans une civilisation dans son rapport à la nature, c’est donc que ses représentations de la nature sont mauvaises. Il y a donc un écueil à la source, c’est-à-dire dans le discours religieux qui développe les représentations de la nature.
32 Pour White, nous sommes bien dans une situation de crise écologique. Le problème vient de la civilisation occidentale qui a conquis la surface de la planète dans tous ses aspects, tant politiques qu’économiques et culturels. La religion de l’Occident est le christianisme (catholique et protestant), il y a donc un problème dans le christianisme occidental au niveau des représentations de la nature qu’il fournit. Il se dessine une sorte de schéma fonctionnel formé de quatre éléments qui dessinent une chaîne linéaire. Il part du (1) discours religieux, qui définit (2) des représentations de la nature, ces dernières informent (3) des mentalités qui produisent (4) des éthiques écologiques. On peut critiquer bien sûr ce schéma et sa pertinence anthropologique, mais la lecture attentive de Laudato si’ montre que le pape François le maîtrise très bien, puisque, dans le chapitre 3, il dénonce toutes les représentations de la nature qui ne sont pas chrétiennes et qui sont à l’origine de la crise écologique.
La théologie de l’écologie en réponse
33 Il convient alors de changer ces représentations de la nature, les évacuer de nos mentalités et de nos catégories à la fois culturelles et personnelles. À la place, il faut adopter… l’« Évangile de la Création », chapitre 2 de l’encyclique. Le travail de ce chapitre revient à la source du schéma de White. Il part de la Révélation, dans une théologie en dialogue avec l’écologie et ses problèmes contemporains, pour arriver à retrouver le sens profond des représentations de la nature issues de la Révélation qui vont pouvoir modeler le projet de l’écologie intégrale (chap. 4) et qui vont pouvoir nourrir (chap. 5) des politiques et des mesures économiques concrètes, et (chap. 6) une spiritualité écologique. Dans ce dernier chapitre, le pape François le dit avec force : les idées sont insuffisantes si elles ne sont pas intégrées dans une pratique chrétienne quotidienne par la prière, par une éducation, etc.
34 Quand on dit que Lynn White n’a rien compris quand il affirme que le christianisme est responsable de la crise écologique, on a raison, parce qu’il confond la lecture cartésienne de Gn 1 – selon le Discours de la Méthode qui nous invite à nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature – avec la bonne interprétation de Gn 1, 26-28. Mais en même temps, quand White dit que les chrétiens sont complices de la crise écologique, ce n’est pas faux non plus, parce que nous autres chrétiens modernes, nous sommes engouffrés dans des représentations de la nature qui sont celles de la modernité, et nous les avons bien mises en pratique en pensant être de bons chrétiens. L’encyclique Laudato si’ vient remettre les choses à leur place.
Un retour de la théologie et de la spiritualité franciscaine
35 Lynn White apporte une petite incise intéressante, en fin d’article, en disant que le christianisme devrait s’inspirer de saint François d’Assise, un exemple de mode de vie et un modèle fondamental pour l’écologie [47]. En 1979, le pape Jean-Paul II proclama saint François d’Assise saint patron des écologistes. Il est de plus pris comme modèle pour l’écologie intégrale par le pape François dans Laudato si’. Il y a un renouveau d’un certain franciscanisme en théologie. J’ai dit un certain franciscanisme pour ne pas dire le franciscanisme, parce que quand on pose la question à des Franciscains, beaucoup d’entre eux ne se reconnaissent pas dans les préoccupations écologiques, et ne se reconnaissent pas forcément non plus dans la figure de saint François prêchant aux oiseaux, proche des créatures non humaines.
36 Mais ce retour d’une théologie franciscaine se fait soit par le biais franciscain, soit par le biais des non-Franciscains. Je pense à Jean Bastaire qui était un Franciscain de l’extérieur [48]. Il a fortement interpellé l’Ordre des Frères mineurs pour qu’ils s’inspirent plus de leur fondateur sur ce plan. De l’autre côté de l’Atlantique, on peut trouver des théologiens qui veulent remettre au goût du jour les intuitions de saint François d’Assise en ce qui concerne le rapport à la nature. Je pense à sœur Ilia Delio [49] qui travaille sur les œuvres de saint Bonaventure et les vestiges trinitaires dans la Création, ou la pensée du Bienheureux Jean Duns Scot en revenant sur la question « pourquoi Dieu s’est-il incarné ? » Était-ce pour réparer la faute du péché, ou parce que de toute éternité l’Incarnation du Christ était prévue, pour mettre en œuvre le projet de Dieu d’être en communion avec sa Création tout entière ? Cette dimension cosmique de la théologie franciscaine est en écho avec une autre qui connaît également un grand succès dans les milieux chrétiens intéressés par l’écologie : la théologie orthodoxe.
La posture orthodoxe : pas de rupture de tradition dans le rapport avec le cosmos
37 La spiritualité orthodoxe connaît un certain succès aujourd’hui en ce qui concerne les questions de l’écologie. Elle semble source de ressources spirituelles efficaces face à la crise écologique [50]. Le patriarche œcuménique Bartholomée I, connu comme le patriarche vert [51], et encore avant lui d’autres patriarches [52], ont aussi écrit sur cette question, en montrant la facilité de donner à la spiritualité chrétienne une dimension cosmique. Contrairement à l’Occident chrétien, l’Orient ne l’a jamais perdue. On peut les comprendre : d’une certaine manière, la théologie orthodoxe confinée dans les monastères sous oppression musulmane n’a pas subi les crises rationalistes que l’Occident chrétien a connues, crises à l’origine de cette forme d’étrangeté qui s’est introduite progressivement entre l’être humain et la création en Occident. Cette intimité avec les rythmes cosmiques est vécue car inscrite dans la liturgie orientale. Ces ressources théologiques et spirituelles sont facilement mobilisables.
Conclusion
38 Pensée chrétienne et écologie, c’est enfin faire mémoire des précurseurs de l’action et de l’engagement concret pour l’écologie au sein des églises. Je vous renvoie à l’excellent livre d’Olivier Landron, Le Catholicisme vert [53], qui met en valeur à la fois les courants de pensée, mais aussi des figures importantes de chrétiens qui se sont engagés – des catholiques aussi – pour leurs convictions écologiques et écologistes. Je voudrais rendre un hommage à Jean-Pierre Raffin qui a travaillé avec Mgr Marc Stenger à plusieurs reprises [54], avec la Conférence des évêques de France, et qui m’avait fait part d’une certaine déception en me disant : « Nous autres cathos, cela fait des années que nous sommes engagés dans l’écologie, et personne ne l’a vu, et personne ne s’en souvient, et pourtant on était là et on a manifesté notre foi au sein de notre militance. Ce qui est écrit dans Laudato si’, pour nous, ce n’est pas nouveau, etc. » Il faudrait enfin évoquer Jean-Marie Pelt, et encore une fois, Hélène et Jean Bastaire, pour leurs travaux d’écriture à la fin des années 1980 jusqu’aux années 2010.
Fabien RevolTitulaire de la Chaire Jean Bastaire
CIE, Université catholique de Lyon
Notes
-
[1]
Ernst Haeckel, Generelle Morphologie der Organismen, allgemeine Grundzüge des organischen Formen-Wissenschaft, mechanisch begründet durch die von Charles Darwin reformierte Deszendenz-Theorie, t. 2, Berlin, Reimer, 1866, p. 286.
-
[2]
Gary L. Miller et Robert E. Ricklefs, Écologie, Bruxelles, De Boeck, 2005, p. xix.
-
[3]
LS 16.
-
[4]
Jean-Jacques Brun, « Écosystème », dans Fabien Revol (dir.), Avec Laudato si’, devenir acteurs de l’écologie intégrale, Lyon, Éd. Peuple libre, p. 167.
-
[5]
Arthur G. Tansley, « The Use and Abuse of Vegetational Concepts and Terms », Ecology 16, n° 3, 1935, p. 284-307.
-
[6]
Rachel Carson, Silent Spring, Boston, Éd. Houghton Mifflin, 1962 (réimpr. Mariner Books, 2002), Printemps silencieux, Paris, Éd. Plon, 1963.
-
[7]
Jean Dorst, Avant que nature meure. Pour une écologie politique, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1965.
-
[8]
Gary L. Miller et Robert E. Ricklefs, Écologie, p. 37.
-
[9]
Edwin Zaccaî, « Développement durable », Dictionnaire de la pensée écologique, Dominique Bourg et Alain Papaux (dir.), Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2015, p. 275-278. Voir aussi Diocèse de Nantes, Pour un engagement écologique : simplicité et justice, Paris, Éd. Parole et Silence, 2014, p. 19-20.
-
[10]
Gro H. Brundtland, Notre avenir à tous, 1987, https://www.diplomatie.gouv.fr/sites/odyssee-developpement-durable/files/5/rapport_brundtland.pdf (consulté le 02.01.2018).
-
[11]
Nations Unies, « Convention-cadre sur les changements climatiques », 29 janvier 2016, http://unfccc.int/resource/docs/2015/cop21/fre/10a01f.pdf (consulté le 02.01.2018).
-
[12]
LS 193.
-
[13]
CA 38.
-
[14]
Georges Guille-Escuret, « Écologie humaine », Dictionnaire de la pensée écologique, p. 328-330.
-
[15]
Paul et Anne Ehrlich, Population, Resources, Environment. Issues in Human Ecology, San Francisco, Freeman, 1970.
-
[16]
LS 148, 152, 155, 156.
-
[17]
LS, chap. 4.
-
[18]
Compendium, 464.
-
[19]
LS 70.
-
[20]
Paul Josef Crutzen et Eugène F. Stoermer, The Anthropocene, Global Change, NewsLetter 41, 2000, p. 17-18.
-
[21]
Paul VI, « Discours à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la FAO », le 16 novembre 1970, 4.
-
[22]
Gérald Hess, « Biocentrisme », Dictionnaire de la pensée écologique, p. 80-83.
-
[23]
Voir LS 68, 69, 115, p. 122-136.
-
[24]
Rémi Beau, « Écocentrisme », Dictionnaire de la pensée écologique, p. 307-309.
-
[25]
Diocèse de Nantes, Pour un engagement écologique, p. 38-40.
-
[26]
Ibid., p. 30-32 pour les huit principes, et Hicham-Stéphane Afeissa, « Deep ecology/écologie profonde », Dictionnaire de la pensée écologique, p. 249-251.
-
[27]
Arne Naess, Vers l’écologie profonde, Wild Project, 2009.
-
[28]
Diocèse de Nantes, Pour un engagement écologique, p. 25-29.
-
[29]
L’économie bleue 3.0, Les Nouvelles Éditions Caillade, 2017.
-
[30]
Voir par exemple le film d’Al Gore, Une vérité qui dérange, 2006.
-
[31]
Hans Jonas, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Éd. du Cerf, [1979], 1991.
-
[32]
Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Points, 2004.
-
[33]
Serge Latouche, « Décroissance », Dictionnaire de la pensée écologique, p. 246-249 ; Diocese de Nantes, Pour un engagement écologique, p. 29.
-
[34]
Pierre Rabhi, Vers une sobriété heureuse, Arles, Actes Sud, 2010.
-
[35]
Robert Dumoulin, Comment atteindre la simplicité volontaire : une nouvelle façon de vivre sans artifices : se recentrer sur les choses vraiment importantes, Montréal, Éd. Édimag, 2003.
-
[36]
Nicolas Ridoux, La décroissance pour tous, Lyon, Parangon Vs, 2006. Et voir la revue Limite, issue du courant d’écologie intégrale français à la suite du livre de Gauthier Bès et al., Nos limites. Pour une écologie intégrale, Paris, Éd. Le Centurion, 2014.
-
[37]
LS 193.
-
[38]
Les pionniers de l’écologie, une histoire des idées écologiques, Éd. Sang de la Terre, 1992 ; édition anglaise : 1985, p. 23-44.
-
[39]
The Natural History and Antiquities of Selborne, Penguin Books, 1977, Penguin Classics, 1987.
-
[40]
Lynn White jr., « The Historical Roots of Our Ecological Crisis », Science 155, 1967, p. 1203-1207, et la traduction française : « Les Racines historiques de notre crise écologique », trad. J. Morizot, appendice de Jean-Yves Goffi, Le philosophe et ses animaux, du statut éthique de l’animal, Nîmes, Éd. Jacqueline Chambon, coll. « Rayon Philo », 1994, p. 289-309.
-
[41]
Aldo Leopold, A Sand County Almanac, & Other Writings on Conservation and Ecology, Oxford, Oxford University Press, 1949, 2001.
-
[42]
Jean Dorst, Avant que nature meure. Pour une écologie politique, p. 15.
-
[43]
Thomas Berry et Mary E. Tucker (dir.), The Sacred Universe: Earth, Spirituality, and Religion in the 21st Century, Columbia University Press, 2009.
-
[44]
Environmental Ethics, Philadelphie, Temple University Press, 1988.
-
[45]
Voir, par exemple, le volume sur le christianisme de Dieter T. Hessel et Rosemary Radford Ruether (dir.), Christianity and Ecology, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2000.
-
[46]
Lynn White Jr., « Les Racines historiques de notre crise écologique », p. 300.
-
[47]
Ibid., p. 308-309.
-
[48]
Hélène et Jean Bastaire, Lettre à François d’Assise sur la fraternité cosmique, Paris, Éd. Parole et silence, 2001, et Un nouveau franciscanisme, Les petits frères et les petites sœurs de la Création, Paris, Éd. Parole et Silence, 2005.
-
[49]
Voir par exemple A Franciscan View of Creation: Learning to Live in a Sacramental World, The Franciscan Heritage Series 2, 2003.
-
[50]
Voir par exemple Michel Maxime Egger, La Terre comme soi-même, repères pour une écospiritualité, Genève, Labor et Fides, 2012.
-
[51]
John Chryssavgis (éd.), Cosmic Grace + Humble Prayer, The Ecological Vision of the Green Patriarch Batholomew I, Grand Rapids, Michigan, Eerdmans Publishing Co., 2003.
-
[52]
Ignace IV, Sauver la création, suivi de trois essais sur la rencontre des Églises et des religions, Paris, Desclée de Brouwer, coll. « Théophanie », 1989.
-
[53]
Le Catholicisme Vert, Histoire des relations entre l’Église et la nature au xx e siècle, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Histoire », 2008.
-
[54]
Voir ses textes dans l’ouvrage de Marc Stenger (dir.), Planète vie, planète mort, l’heure des choix, Paris, Éd. du Cerf, 2006.