Couverture de RETM_298

Article de revue

L’essor des techniques de dépistage prénatal

Des questions d’éthique biomédicale et politique

Pages 55 à 74

Notes

  • [1]
    Voir par ex. Freddy Sarg, « En Alsace, traditions et soins », dans Marie-Jo Thiel (dir.), Quand la vie naissante se termine, Strasbourg, PUS, 2010, p. 219-224.
  • [2]
    Une ou plusieurs transfusions in utero permettent la naissance d’enfants sains qui autrefois mourraient d’anasarque fœto-placentaire.
  • [3]
    Cette infection parasitaire qui conduisait autrefois le plus souvent à une interruption médicale de grossesse, peut aujourd’hui, à condition d’être précoce, bénéficier d’un traitement maternel qui préviendra la constitution de lésions cérébrales majeures.
  • [4]
    Comité consultatif national d’éthique (CCNE), n° 83, « Le dépistage prénatal généralisé de la mucoviscidose », 8 décembre 2003. Téléchargeable depuis le site du CCNE.
  • [5]
    Eugénisme négatif par élimination des « indésirables ». L’eugénisme positif visant à préférer la reproduction des individus dont le potentiel génétique apparaît le plus prometteur (voir clonage) n’est pas de mise aujourd’hui, du moins pour les humains.
  • [6]
    Le concept est apparu en Californie, sous la houlette de Lee Hood, président and cofondateur de l’Institute for Systems Biology.
  • [7]
    « P4 Medicine has two major objectives : to quantify wellness and to demystify disease. » (Lee Hood).
  • [8]
    Acronyme pour désigner la convergence des sciences et technologies de type nano, bio, informationnel et cognitif.
  • [9]
    Voir Christiane Olivier & Marie-Jo Thiel, « La fin de vie au risque d’une spoliation de l’autonomie », Esprit 440, décembre 2017, p. 124-135.
  • [10]
    Le site de l’Agence de la biomédecine propose de nombreux chiffres, statistiques, que nous ne reprendrons pas ici.
  • [11]
    Voire un enfant juste né (dépistage néonatal). ELnet. fr fait aussi ce choix d’une définition large dans son article « Diagnostic prénatal ».
  • [12]
    Dans son avis 107 (2009), le CCNE s’est déclaré favorable au dépistage dans le cadre d’un DPI d'une trisomie 21 et à la « prédisposition génétique obéissant à une transmission monogénique et associée à un risque majeur de cancers survenant à un âge précoce, et dont les possibilités de traitement ou de prévention sont très limitées ».
  • [13]
    Elizabeth S. Ginsburg, al., “Use of preimplantation genetic diagnosis and preimplantation genetic screening in the United States : a society for assisted reproductive technology Writing Group paper”, Fertil Steril, 2011, 96:865-8.
  • [14]
    Norbert Gleicher, “Preimplantation genetic screening : unvalidated methods discard healthy embryos”, 11 décembre 2017.
  • [15]
    On doit le DPNI grâce aux travaux dans les années quatre-vingt-90 de Dennis Lo. Dans son article princeps – Yuk Ming Dennis Lo, al., « Presence of fetal DNA in maternal plasma and serum », Lancet 1997 ; 350 : 485-87 – il montre que l’ADN fœtal libre circulant dans le sang maternel provient des cellules placentaires, qu’il est présent dès la 4e semaine d’aménorrhée (SA), bien détectable dès la 7e. Sa concentration augmente au cours de la grossesse mais ces cellules disparaissent en quelques heures après l’accouchement.
  • [16]
    Le 1er décembre 2017, cet hôpital organisait sa 2e Journée d’éthique des nouvelles techniques de dépistage génétique et précisait les informations que nous donnons ici (https://www.american-hospital.org/fr/actualites/agenda-scientifique/actualite/article/1er-octobre-2017-2.html).
  • [17]
    Plus de 7 000 tests de dépistage ont été réalisés depuis l’ouverture du centre en janvier 2013, parmi lesquels 5164 DPNI « classiques » et 3226 genome wide.
  • [18]
    Il est possible de séquencer de manière non-invasive le génome prénatal complet. Voir H. Christina Fan et al., « Non-invasive prenatal measurement of the fetal genome », Nature 487, 320-324 (19 July 2012).
  • [19]
    Jean-Louis Mandel, « Améliorer l’homme par la génétique ? », Revue d'éthique et de théologie morale 2015/4 (n° 286), p. 25-34.
  • [20]
    Voir l’influence des mouvements de médicalisation dans Marie-Jo Thiel, La santé augmentée : réaliste ou totalitaire ?, Montrouge, Bayard, 2014.
  • [21]
    Didier Sicard, président du CCNE, « La France au risque de l’eugénisme », Le Monde du 6 février 2007.
  • [22]
    La Food and Drug Administration (FDA) autorisera d’autant plus facilement que les techniques ne sont pas remboursées, accessibles seulement pour les plus aisés, et que la mentalité américaine pragmatique et utilitariste est très différente de l’européenne. À l’heure d’écrire cette contribution, le site de la FDA propose une information sur « What Is Gene Therapy ? How Does It Work ? », rappelant que « les gènes nous font ce que nous sommes ». On ne sera pas étonné que les Américains soient beaucoup plus réceptifs à donner toutes leurs informations génétiques et prêts à des modifications sur le génome.
  • [23]
    François Meunier, « La bataille de l’Obamacare et ses leçons pour la France », Esprit 2017/11 (novembre), p. 107.
  • [24]
    « Il faut mieux évaluer les innovations liées à l'assistance médicale à la procréation », Le Monde du 15 février 2017, supplément « science et médecine », p. 7. L’auteur est biologiste de la reproduction. Il a créé à Strasbourg le premier centre de DPI en France.
  • [25]
    Sandra Schultz, « Das ganze Kind hat so viele Fehler ». Geschichte einer Entscheidung aus Liebe. Hambourg, Rowohlt Taschenbuch Verlag, 2017.
  • [26]
    Abstract Gynécologie, février 2010, n° 341.
  • [27]
    Toutes les données chiffrées sont disponibles sur le site HAS et colligées dans Eurocat (http://www.eurocat-network.eu/ACCESSPREVALENCEDATA/PrevalenceTables). Voir également le rapport HAS « Les performances des tests ADN libre circulant pour le dépistage de la trisomie 21 fœtale », sept. 2015, p. 13-14.
  • [28]
    Haut Comité de la santé publique, Pour un nouveau plan périnatalité, Éd. ENSP, 1994.
  • [29]
    Ces données rejoignent bien d’autres études. Voir par ex. Romain Favre, En quoi le niveau de connaissance médicale et la position des médecins respectent-ils ou non le consentement des patientes dans le cadre du dépistage de la trisomie 21 ? Thèse de doctorat, université Paris René Descartes, Faculté de médecine Paris V, 27 septembre 2007. Romain Favre, « Dépistage de la trisomie 21 en France. Quelle est la place du consentement des patientes ? », dans Marie-Jo Thiel (dir.), Quand la vie naissante se termine, Strasbourg, PUS, 2010, p. 182-188.
  • [30]
    Deux praticiens agréés du CPDPN doivent signer une attestation pour autoriser l’IMG.
  • [31]
    Voir ENnet. fr (id), n° 61-72. Le préjudice est constitué par la non-possibilité de l’IMG.
  • [32]
    Il faut tuer le bébé in utero et ensuite l’expulser mort comme lors d’un accouchement.
  • [33]
    Un sondage Ifop réalisé à l’occasion de la révision des lois bioéthiques (La Croix du 3 janvier 2017) confirme s’il s’en fallait, l’évolution très rapide et forte de l’opinion publique ces dernières années dans le sens de la libéralisation des mœurs et sans grande différence entre catholiques et français en général, signe d’une vague de fond… L’enfant devient un « bien de consommation ».
  • [34]
    Lors de l’émission « JDS Info » sur France 2, coproduite par « Le Jour du Seigneur » et La Croix du 12 février 2007.
  • [35]
    Nous ne sommes que très partiellement conditionnés par nos gènes, hors maladies génétiques sévères : rôle des facteurs environnementaux, culturels, et complexité extrême des interactions gènes-environnements…
  • [36]
    D. Wilkinson & J. Savulescu, “Disability, discrimination and death : Is it justified to ration life saving treatment for disabled newborn infants ?”, Monash Bioethics Review, mars 2014, vol. 32, no 1-2. p. 43-62. Voir aussi John Wyatt, « Le prix de la survie face à la grande prématurité », dans Marie-Jo Thiel (dir.), Enjeux éthiques du handicap. Strasbourg, PUS, 2014. Ce paradoxe veut que des personnes en situation de handicap sévère s’affirment, lorsqu’elles sont interrogées, plus heureuses et satisfaites que ce que les autres personnes pourraient imaginer.
  • [37]
    North Dakota, Indiana et Ohio. “Ohio Bans Doctors From Performing Down Syndrome Abortions”, NYT, 22 décembre 2017.
  • [38]
    States parties should address stigmatization through modern forms of discrimination, such as a disability-selective antenatal screening policy that go against the recognition of the equal worth of every person.” – Committee on the Rights of Persons with Disabilities. General Comment on Equality and Non-discrimination (Article 5), 31 août 2017, http://www.ohchr.org/documents/HRBodies/CRPD/GCArt5.docx.
  • [39]
    Concluding observations on the initial report of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland, United Nations, 3 octobre 2017, CRPD/C/GBR/CO/1.
  • [40]
    Doivent se justifier désormais non ceux qui recourent à la technique mais ceux qui la refusent…
  • [41]
    CIB (Comité international de Bioéthique) de l’UNESCO, « Rapport du CIB sur la mise à jour de sa réflexion sur le génome humain et les droits de l’homme », Paris, 2 octobre 2015, n° 89, p. 26.
  • [42]
    CIB, id., n° 91, p. 26.
  • [43]
  • [44]
    Marc Crépon, « Vous apprendrez à apprivoiser vos peurs », Le Monde du 30 décembre 2017, suppl. Idées, p. 6.
  • [45]
    Cité par La Croix du 2 janvier 2018, p. 24.
  • [46]
    Jean-Louis Chrétien, Fragilité, Paris, Éd. de minuit, p. 262.
  • [47]
    Alain Cordier, « La décision juste », Esprit 2017/11, p. 57.

1Jusqu’aux années 1970, peu de malformations étaient diagnostiquées durant la grossesse. Si elles n’avaient pas suscité une complication fœtale ou maternelle venant l’interrompre, c’est en général à la naissance que se découvrait l’enfant « mal formé » qui tantôt mourrait vite, tantôt survivait dans des conditions plus ou moins bonnes, tantôt était éliminé comme s’il n’avait jamais existé [1].

2Les années 1970 voient l’apparition de l’échographie et des premiers diagnostics génétiques ; le diagnostic prénatal (DPN) – parfois appelé anténatal (DAN) – se met en place et avec lui des responsabilités nouvelles tant du côté de la médecine que des couples attendant un enfant. Très souvent, le DPN permet de confirmer la « normalité » du fœtus, rassurant ainsi les couples en leur permettant de concevoir sans crainte excessive. Le pouvoir de déceler des anomalies embryonnaires et fœtales implique donc d’informer correctement les couples et de les accompagner dans leur décision de poursuivre ou, au contraire, d’interrompre la grossesse en cours. Car l’envers du DPN est bien l’idée qu’à défaut de pouvoir guérir le fœtus porteur de maladie ou de handicap, soit acceptée l’éventualité de le supprimer. Les enjeux sont non seulement éthiques mais aussi sociopolitiques.

3Certes, avec les techniques qui se multiplient et se précisent, des traitements deviennent accessibles soit à la naissance, soit même in utero. Ils restent cependant très peu nombreux. Parmi les pathologies traitables, on peut citer les atteintes fœtales par incompatibilité rhésus [2], certaines infections comme la toxoplasmose [3], certaines malformations susceptibles d’être opérées comme le syndrome transfuseur-transfusé au cours des grossesses gémellaires monochoriales, ou la hernie diaphragmatique congénitale, certains troubles du rythme du cœur fœtal générateurs de défaillance cardiaque mortelle… Le fœtus devient ainsi progressivement un patient à part entière.

4La médecine individuelle répond à la demande spécifique de chaque couple, souvent dans un contexte émotionnel de pathologies à répétition, héréditaire ou par « malchance ». Mais elle évolue progressivement vers une médecine de santé publique, collectant les données à grande échelle et plus axée sur l’économie de la santé. Le diagnostic fait alors place à des « dépistages que l'on peut qualifier de “personnel”, “familial”, “étendu” à une population déterminée, ou “généralisé”, […] autant d'adaptations à des situations particulières [4] ». L’acronyme DPN en vient à signifier à la fois le diagnostic et le dépistage prénatal, dans une confusion qui ouvre parfois la porte à des perspectives eugénistes qui n’osent pas dire leur nom : la trisomie 21 fait aujourd’hui l’objet d’une véritable éradication collective organisée [5]. L'objectif se déplace : s’il s’agit toujours de faire un diagnostic individuel pour des couples à risques, le but principal est désormais d’éviter la naissance d’enfants porteurs d’un handicap, de dépister des éventualités (de trisomie, de mucoviscidose…) et d’y parer.

5Le dépistage prénatal évolue au cœur d’une médecine devenue systémique : la médecine des quatre P (prédictive, préventive, personnalisée et participative [6]) encore appelée « médecine de précision » aux États-Unis et « médecine personnalisée » dans l’Union européenne. L’objectif [7] pour ses promoteurs vise la santé publique et le bien-être individuel en s’appuyant sur les technologies convergentes des NBIC [8] dans une perspective de systèmes. L’analyse de l’ADN fœtal circulant dans le sang maternel – on parle encore de DPNI pour DPN non invasif – s’inscrit dans cette évolution. Elle détecte les anomalies chromosomiques et génétiques des embryons et des fœtus, et ouvre la voie au séquençage complet du génome de l’enfant à naître avec des questionnements éthiques redoutables tant il est difficile d’interpréter des probabilités (de pathologies) et de prédire ce que seront les thérapies quand des maladies plus ou moins graves se déclareront… Parler de DPNI laisse croire à l’innocuité de ces tests, « non invasifs » comme le sont l’échographie ou une prise de sang – par opposition aux tests invasifs que sont (surtout) le prélèvement de villosités choriales (ponction trophoblastique, pratiquée entre 11 et 14 semaines) ou l’amniocentèse (ponction de liquide amniotique quel que soit le terme de la grossesse) et qui présentent toutes deux un risque de fausse couche… En fait, la malignité est liée à la puissance du test combinée à la difficulté décisionnelle… au point qu’il n’est pas exclu de penser que demain les algorithmes trancheront, donnant priorité à la maladie plutôt qu’à la personne, voire à la société avec ses priorités socio-économico-politiques plutôt qu’à l’individu qui, dans son autonomie [9], « devrait comprendre » qu’il lui faut choisir « l’intérêt général »…

6Les enjeux s’avèrent donc innombrables et de tous ordres. Dans cette contribution, nous proposerons de faire brièvement l’état de la question sur le développement et l’extension progressive des techniques de diagnostics prénatal et préimplantatoire [10], puis nous proposerons une relecture sociopolitique et éthique, pour terminer sur des limites et ouvertures.

DPN ou DAN, de quoi parle-t-on ?

7La loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique regroupe le diagnostic prénatal et le diagnostic préimplantatoire (DPI) sous une même rubrique intitulée « Diagnostics anténataux » qui explicite : « Le diagnostic prénatal s'entend des pratiques médicales, y compris l'échographie obstétricale et fœtale, ayant pour but de détecter in utero chez l'embryon ou le fœtus une affection d'une particulière gravité. » (Article L2131-1). Quant au DPI, il s’entend comme « le diagnostic biologique réalisé à partir de cellules prélevées sur l'embryon in vitro » et il n'est autorisé que si un « médecin exerçant son activité dans un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal » (CPDPN) atteste « que le couple, du fait de sa situation familiale, a une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d'une maladie génétique d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic » (Article L2131-4). Ce diagnostic (pour une grossesse donnée) peut ou non être relié à une action de dépistage (action visant un groupe cible, potentiellement toutes les femmes enceintes).

8Dans une acception large, le DPN désigne tout acte diagnostique ou de dépistage visant à déterminer ou prévoir l’état de santé, actuel ou futur, d’un enfant à naître [11]. Ainsi compris, le DPN inclut le DPI, mais aussi le dépistage génétique. Il vient déplacer le DPN au sens étroit de recherche d’une anomalie morphologique, génétique ou chromosomique (actuelle ou pathologie à venir) touchant l’enfant dans le sein de sa mère.

9Le DPN en vient donc à englober toute une gamme des tests médicaux et génétiques réalisés à divers moments et pour divers publics :

Le diagnostic préimplantatoire (voir plus haut)

10Pratiqué en France depuis 1999, il s’est progressivement imposé dans nombre de pays sans toujours être juridiquement encadré (Luxembourg, Ukraine…). Il nécessite une fécondation in vitro (FIV), toujours lourde, permettant la recherche d’une pathologie grave [12] sur les cellules prélevées sur chacun des zygotes afin de sélectionner un œuf indemne de la maladie recherchée qui sera alors transféré dans l’utérus maternel. Il permet aussi de connaître le sexe de l'enfant (une indication sur six aux États-Unis [13]). Mais à quel stade pratiquer la biopsie ? L’étude du globule polaire étant complexe, les biopsies sont réalisées sur les embryons trois jours après la fécondation (pratique toujours usuelle en France), jusqu’à ce que l’American Society for reproductive medicine la déclare inefficace en 2008. On prélève alors au stade blastocyste mais le taux de faux positifs augmente car l’embryon doté de plasticité et d'un pouvoir de réparation considérable, non connu jusque-là, corrige lui-même certaines mutations issues des premières divisions cellulaires. Le DPI a donc conduit à la destruction de bien des embryons « par erreur » ! De nouvelles directives sont publiées en 2016, mais les limites semblent bien arbitraires [14]. Notons aussi que cette technique a ouvert la voie au « bébé médicament » ou « bébé du double espoir », en permettant de faire naître un enfant « compatible » c'est-à-dire doté de caractéristiques génétiques permettant de soigner son frère ou sa sœur atteint d'une maladie grave. Enfin, il n’est pas exclu que demain un diagnostic de maladie monogénique puisse bénéficier d’un traitement génique grâce à une technique appelée CRISPR-Cas9.

Le dépistage prénatal orienté

11Il est à destination des groupes à risques (âge maternel, antécédents connus de trisomie 21…) ou déterminé par un signe d’appel (clinique ou dépistage). Pour les antécédents d’anomalie chromosomique, on fait le caryotype des parents et un DPN s’ils sont porteurs d’une mutation équilibrée par exemple. La trisomie 21 (T21), elle, bénéficie d’un dépistage organisé systématique et doit donc être « obligatoirement proposé » à chaque femme enceinte dans une procédure de test dit « combiné » (11-14e semaine de grossesse) qui combine l'échographie avec des examens biochimiques du sang maternel : si le risque est élevé, un complément d’investigation est proposé avec DPNI [15] et techniques invasives. Les tests développés depuis 2008 dans le cadre du DPNI permettent, grâce au séquençage haut débit, de rechercher une surreprésentation de séquences anormales d’ADN fœtal au sein de l’ADN fœtal libre circulant dans le sang maternel. Il a été inscrit dans le cadre législatif français avec le décret n° 2017-808 du 5 mai 2017 qui l’introduit officiellement dans la liste des examens de diagnostic prénatal (JORF n° 0108 du 7 mai 2017) après un rapport et des recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) du 26 avril 2017 focalisant le DPNI sur la T21.

Le dépistage du génome (genome-wide screening)

12Il s’inscrit dans la logique du DPNI et consiste à analyser l’ensemble du génome, et non plus seulement une ou plusieurs maladies cibles. L’Hôpital américain de Paris [16] pratique ces tests depuis 2013. Analysant sa pratique [17], Philippe Bouhanna note les « bons résultats » pour la trisomie 21 et justifie le genome wide avec la mal-compréhension de l’information donnée aux patientes qui, quand le DPNI est négatif, pensent que « l’enfant n’a pas de problème ». Ce qui est faux. Le screening complet [18] permettrait alors de dépister d’autres pathologies, et selon François Vialard, il prendra d’ici 5 ou 10 ans la place du DPNI sélectif.

Le dépistage préconceptionnel (carrier screening)

13C’est un test génétique réalisé à partir d’une prise de sang pour déterminer si les deux parents sont hétérozygotes pour des maladies dites récessives (porteurs sains d’une mutation dans le même gène) et donc couples à risque d’avoir des enfants avec une maladie génétique (grave). Comme le rappelle J.L. Mandel [19], ce dépistage « est déjà fait depuis plus de 30 ans pour certaines maladies et dans des populations où elles sont particulièrement fréquentes : béta-thalassémies dans certaines populations méditerranéennes, Sardaigne, Chypre, Grèce, mais aussi Royaume-Uni… ; maladies des juives ashkénazes et mucoviscidose dans les communautés juives aux USA et Canada et extension en Israël (programme gouvernemental). La maladie de Tay-Sachs (maladie neurologique pédiatrique dramatique) était particulièrement fréquente dans les populations juives ashkénazes : de 1969 à 1998, sur 1,3 million de personnes testées dans cette population, on compte près de 50 000 porteurs sains identifiés, 3 000 grossesses suivies, 604 fœtus atteints et 583 IMG » (p. 31).

Le dépistage populationnel

14Il vise la détermination systématique du profil génétique de la population à partir d’un changement de paradigme et d’échelle du dépistage préconceptionnel. On passe « de la détection des mutations les plus fréquentes dans quelques maladies à la détection de (quasiment) toutes les mutations pour des centaines de maladies. La révolution technologique du séquençage à très haut débit permet de développer ces diagnostics de manière plus systématique. C’est un marché énorme ! Pensons à tous les couples ayant un projet parental… » (id.) En fait, le DPNI arrivera à long terme vers cette situation par déploiement des génomes successifs, connus dès le stade de l’enfant à naître… L’idée est « d’éviter » des partenaires à risques…

15Ces dépistages ne visent pas à soigner ou à améliorer les conditions d’accueil d’une personne malade, mais à la dépister, à la diagnostiquer afin de limiter progressivement la prévalence de ces pathologies dans la population générale. François Jacquemard, de l’hôpital américain susmentionné, estime ainsi que d’un porteur de la mucoviscidose sur 25, « on voudrait arriver à 1 sur 200 ». Il avance aussi que 30 à 40 % des individus sont porteurs d’une anomalie… À terme, la réponse adéquate serait donc le dépistage général de la population.

16Reste encore à mentionner le dépistage néonatal systématique : il recherche actuellement cinq pathologies, en application de l’article R1131-21 du code de la santé publique fixé par le ministre de la Santé après avis de l’Agence de biomédecine (arrêté du 22 janvier 2010) : la phénylcétonurie (PCU), l’hypothyroïdie congénitale (HC), l’hyperplasie congénitale des surrénales (HCS), la drépanocytose (HbS) et la mucoviscidose (CF). Les parents sont obligatoirement informés.

Relecture sociopolitique

17Le suivi des grossesses est extrêmement médicalisé, en France plus qu’ailleurs, en raison du système d’assurances sociales généralisées qui prévoit gratuitement dépistage, surveillance, prise en charge pour la mère et l’enfant à naître. Conséquemment, le politique décide des technologies à proposer, voire à rendre obligatoires. Mais globalement, et contrairement à bien d’autres pays, il y a une très grande accessibilité aux techniques de dépistage. Le point de vue des scientifiques [20] y est décisif : la science a certes besoin du politique qui la finance mais son discours offre aussi une sorte de caution au politique, des raisons d’agir, conforme au « progrès » des acquis scientifiques, des Lumières, de la Raison. « La France, note Didier Sicard, a une très grande confiance vis-à-vis de ces acquis, une confiance beaucoup plus grande que d’autres cultures [21]. » Or, continue-t-il, « il y a toujours un moment où la politique prend la science au mot pour transformer la société au motif que “la science dit le vrai” ». Et c’est ce qui s’est passé en France, plus qu’ailleurs. « Tout s’est passé comme si à un moment donné la science avait cédé à la société le droit d’établir que la venue au monde de certains enfants était devenue collectivement non souhaitée, non souhaitable. Et les parents qui désireraient la naissance de ces enfants doivent, outre la souffrance associée à ce handicap, s’exposer au regard de la communauté et à une forme de cruauté sociale née du fait qu’ils n’ont pas accepté la proposition faite par la science et entérinée par la loi. » Or, note celui qui était alors président du CCNE, « je ne suis pas certain que ce soit à la société d’intervenir dans le choix de ces parents » (id.).

18La situation est fort différente aux États-Unis où de nouvelles techniques sont élaborées et mises sur le marché dans un cadre plus pragmatique, sans doute moins contraignant dans la mesure où elles ne sont, en général, pas remboursées… Elles sont donc d’autant moins accessibles que l’accès à la santé est précaire [22]. Selon François Meunier, les États-Unis sont le « pays dont l’état de santé de la population est le pire de tous les pays développés, alors qu’il dispose du système de fourniture de soins le plus sophistiqué, le plus coûteux et techniquement le plus poussé [23] ». L’on arrive ainsi à des fossés sanitaires énormes mais où les plus aisés, précisément parce que mieux dotés, sont piégés plus facilement par des promesses qui font le jeu de tous les lobbies. Les tests génétiques en sont l’exemple paradigmatique. Le bénéfice pour les couples de certains tests préalables à l'implantation d'embryons, écrit Stéphane Viville [24], est un leurre : « Certains de ces couples sont prêts à dépenser sans compter pour atteindre leur but et il est très facile de leur faire miroiter le meilleur et surtout de le leur vendre. (…) Durant ces dix dernières années ont été mis en place pléthore de nouveaux tests pour lesquels, au moins pour la vaste majorité d'entre eux, aucune donnée robuste ne démontre qu'ils apportent un bénéfice tangible et avéré dans la prise en charge des couples. »

19Un dernier point de différence sociopolitique entre les pays ou les continents influençant le DPN tient au nombre et à la qualité des infrastructures pour l’accueil des personnes handicapées. Si en Allemagne et dans certains pays nordiques le dépistage n’est pas perçu de la même manière qu’en France, c’est parce que le handicap n’y est pas ou moins une entrave à naître, qu’une vie à accueillir, moins un choix reproductif qu’un enfant qu’il faut apprendre à aimer. Cela ne veut pas dire que tout est simple, il ne faut pas être naïf, mais quand des « solutions » d’accueil existent, les parents ont davantage le choix, sont moins contraints à opter pour une interruption médicale de grossesse (IMG). La journaliste allemande Sandra Schultz raconte de façon très honnête mais aussi très touchante son expérience d’accueil d’un enfant trisomique. Le titre de son livre est fort évocateur : « Cet enfant a tant de défauts. Histoire d’une décision par amour [25] ». Ce qui est déterminant, rappelle-t-elle, à la dernière page de l’ouvrage, est de savoir « si tu oses espérer » (« ob man sich traut zu hoffen », p. 232). Et cette question de l’espérance est bien plus complexe qu’une affaire technique. Mais elle ne reçoit de réponse que si les parents sont accompagnés dans une société qui ose croire que la diversité reste une chance pour tous et s’en donne les moyens.

20Or cela ne va pas de soi si l’objectif premier du DPN vise avant tout la prévention, le dépistage, la diminution à tout prix de la prévalence des pathologies ad hoc, au détriment des personnes. Et cela pose de nombreuses questions éthiques, transversales à l’ensemble des méthodes de DPN.

Relecture éthique

21Les couples concernés par une malformation, une pathologie pour leur enfant à venir, qu’ils soient ou non porteurs eux-mêmes des gènes en cause, vivent une situation complexe et douloureuse qui ne se résout pas simplement par un coup de baguette technique. Tout parent rêve d’enfants en bonne santé. Le DPN permet souvent de les rassurer, parfois de traiter certaines affections, mais insidieusement, tacitement, il signifie aussi consentement au principe de la suppression des fœtus que l’on ne peut guérir ; il implique sélection, discrimination et pose la question eugéniste. Et cela est particulièrement vrai pour la T21 : l’attitude à son égard est paradigmatique de ce que le DPN met actuellement en place, en particulier via le DPNI qui a fait l’objet d’un rapport et de recommandations de la HAS pour cette pathologie.

L’IMG « remède » à la trisomie 21 ?

22« Peut-on encore refuser le dépistage de la trisomie 21 ? » se demande Patrick Leblanc, gynécologue obstétricien au CHG de Béziers [26]. Tout pousse en effet à un dépistage très efficient et plus encore à une pression d’élimination de l’enfant atteint qui ne manque pas d’interroger. Aujourd’hui, on détecte [27] en France 92 % des cas de trisomie 21 et 96 % d'entre eux donnent lieu à une interruption de grossesse (bien plus que dans le reste de l'Europe). Dans d'autres pays, anglo-saxons ou nordiques en particulier, une plus grande proportion de couples décide de poursuivre la grossesse (60-80 % d'IMG). « La France s'engagerait-elle vers un eugénisme d'État pour des raisons économiques ? » En matière de T21, en effet, la politique de santé publique française « est fondée implicitement sur une comparaison des coûts » comme l'illustrent ces termes utilisés par le Haut Comité de la santé publique [28] : « L'analyse coût-bénéfice quand elle se contente d'opposer le coût collectif des amniocentèses, de celui des caryotypes et de celui de la prise en charge des enfants handicapés qui n'auraient pas été dépistés – et sous l'hypothèse qu'un diagnostic positif est suivi systématiquement d'une interruption de grossesse – montre que l'activité du diagnostic est tout à fait justifiée pour la collectivité » (id.) Nous reviendrons sur la question de l’eugénisme un peu plus loin.

23Notons aussi que le consentement éclairé, pilier de toute activité médicale, fait souvent défaut : « une information complète n'est pas toujours possible et nous ne sommes pas toujours bien compris de nos patientes car notre langage n'est pas constamment intelligible » (id.). Et de citer un rapport de l'Inserm qui « fait état d'une particulière mauvaise compréhension par les femmes du test de dépistage. […] “40 % d'entre elles n'avaient pas envisagé qu'elles puissent être confrontées à un moment donné à la décision d'interrompre leur grossesse. Plus de la moitié d'entre elles n'avaient pas pensé au fait que le dépistage pût aboutir à une amniocentèse.” [29] » Outre la question éthique posée par l’IMG – légale, elle ne manque cependant pas d’interroger et l’objection de conscience doit rester garantie – l’on peut donc aussi discuter parfois la valeur légale du formulaire de consentement signé par la patiente. Le centre pluridisciplinaire du DPN (CPDPN) doit permettre de limiter les différences d’appréciation entre professionnels devant une « anomalie » afin d’éviter les abus d’IMG [30]. Mais si le CPDPN sollicité refuse (2 % des cas), le couple peut faire une demande dans un autre CPDPN… À l’inverse, certains parents, malgré la gravité de l’affection dont souffre leur enfant, décident de continuer la grossesse. Le nombre (8 % ?) est difficile à évaluer car les demandes ne sont pas toutes présentées en CPDPN.

24En France, la T21 est toujours considérée comme de « particulière gravité »… Elle concerne classiquement 1/800 naissances, son risque est le même dans toutes les populations, sans différence ethnique. Cependant, selon la population, les pratiques religieuses et le niveau socio-économique, l'accès au DPN et l’IMG sont très variables. Si bien que la fréquence en France est aujourd’hui descendue à 1/1500 voire 1/2000 naissances, et devrait encore baisser avec la mise en œuvre systématique du DPNI, malgré l’augmentation progressive et continue de l’âge moyen à la maternité qui contribue à augmenter le nombre de T21. Pour autant, il reste des faux négatifs très mal vécus par les parents quand il y a eu un DPN ; ils font de plus en plus l’objet de demande de réparation devant la justice [31].

Figure 1. Données épidémiologiques issues des registres français colligées dans Eurocat pour la période 1980-2012 (taux pour 10 000 naissances)

Figure 1. Données épidémiologiques issues des registres français colligées dans Eurocat pour la période 1980-2012

Figure 1. Données épidémiologiques issues des registres français colligées dans Eurocat pour la période 1980-2012 (taux pour 10 000 naissances)

25HAS 2015, ibid.

Le point névralgique paradoxal de la souffrance

26Le DPN comme l’IMG sont « justifiés » au nom de la souffrance. Mais quelle souffrance ? Celle de l’enfant à naître ? Question redoutable et insoluble. Qui peut dire que les sujets porteurs d’une T21 par exemple sont malheureux ? En outre, chacun comprendra que le principe de supprimer le malade pour supprimer sa douleur est un raisonnement qui peut conduire très loin. Alors s’agit-il de la souffrance des parents ? Assurément, l’annonce d’un « problème grave » chez l’enfant à naître est un énorme séisme. Le plus souvent, les parents s’y attendent d’autant moins que le DPN paraît être une routine confirmant que « tout va bien ». Encore que certaines femmes n’osent pas « s’attacher » au bébé, disent-elles, tant qu’elles n’ont pas les résultats techniques. La souffrance des parents est indéniable… Certains parlent de vie gâchée. Mais comment penser qu’une interruption de grossesse en pareille circonstance est un acte qui s’oublie ? Il peut rester lancinant, lui aussi, tout au long de la vie. D’autant qu’une IMG surtout tardive est un acte très lourd [32]. D’autant également que la responsabilité parentale est socialement exacerbée (ai-je le droit de mettre au monde un enfant dépareillé, et donc malheureux ?), voire culpabilisante (nous n’avons pas tout fait pour prévenir ce fardeau social), en appelant à l’autonomie des parents pour s’en tenir à l’intérêt général de la société… L’IMG apparaît alors comme le moyen d’interruption médicalisée de l’angoisse pour société libéraliste [33].

27La souffrance s’appuie sur la peur qui elle-même est liée à l’imaginaire personnel et socialement nourri du handicap, à sa profonde méconnaissance dès lors qu’on ne l’a pas côtoyé dans la vraie vie. La T21 condense les peurs les plus archaïques rattachées à toute grossesse alors que la déficience intellectuelle est le plus souvent légère, permettant dans au moins la moitié des cas l'acquisition de la lecture et une certaine autonomie en milieu ordinaire, et l'espérance de vie est actuellement supérieure à 55 ans. Il faudrait que les clichés T21 cessent, que nous créions une société vraiment inclusive, que les médias arrêtent de n’évoquer la trisomie que sous l’angle des techniques de dépistage pour donner à voir d’autres Mélanie, à l’instar de cette jeune trisomique venue présenter la météo, en mars 2017, à une heure de grande écoute. Un changement de regard contribuerait à sortir de cette instrumentalisation de l'être humain prénatal qui a un impact sur la psychologie individuelle et collective, à favoriser un meilleur accueil du différent et à diminuer la souffrance des jeunes trisomiques qui se sentent discriminés comme des parents montrés du doigt…

28Reste enfin la souffrance particulière des porteurs de maladie grave à déclaration tardive (chorée de Huntington par exemple) et qui envisagent de procréer. Mais la possibilité des tests génétiques ne doit pas aboutir à une information des personnes qui ne veulent pas savoir pour ne pas avoir une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Le « droit de ne pas savoir » est inscrit dans le droit européen (convention d’Oviedo).

Pression eugéniste et discrimination

29L’article de Didier Sicard en 2007 (op. cit.) a fait date sur le sujet. Rappelant que le DPN vise non le traitement mais la suppression, le président du CCNE écrit : « La vérité centrale est que […] ce dépistage renvoie à une perspective terrifiante : celle de l’éradication. Et ceci est peut-être plus vrai en France que dans d’autres pays. » Pourquoi ? « Nous sommes ici dans un imaginaire où le chromosome et le gène prennent la place des agents pathogènes infectieux, que l’on demande à la médecine de ne plus voir. Le caractère systématique des dépistages nous situe collectivement devant un système de pensée unique, devant le fait que tout ceci soit désormais considéré comme un acquis. Cette évolution et cette radicalité me posent problème. Comment défendre un droit à l’inexistence ? J’ajoute que le dépistage réduit la personne à une caractéristique. C’est ainsi que certains souhaitent que l’on dépiste systématiquement la maladie de Marfan dont souffraient notamment le président Lincoln et Mendelssohn. Aujourd’hui, Mozart, parce qu’il souffrait probablement de la maladie de Gilles de la Tourette, Einstein et son cerveau hypertrophié à gauche, Petrucciani par sa maladie osseuse, seraient considérés comme des déviants indignes de vivre. »

30Faut-il parler d’eugénisme ? À la question du journaliste du Monde : « Peut-on faire un parallèle avec les politiques d’eugénisme menées à la fin du xixe et au début du xxe siècle en Europe du Nord et aux États-Unis ? », D. Sicard répond : « Peut-être. Disons que l’obsession du dépistage à laquelle nous assistons a beaucoup à voir avec une idéologie rendue possible par la technique. » Quelques jours après cet article [34], il s’explique : « L’eugénisme est la volonté d’une société de faire naître des enfants selon un caractère particulier : nous n’en sommes pas encore là ! Simplement, je me demande si nous ne sommes pas sur une pente glissante, dans la mesure où les examens sur une femme enceinte finissent, dans notre pays, par être d’une radicalité extrême. »

31« On pourrait en effet rétorquer que la sélection n’est pas “systématique” comme l’implique une politique eugéniste, que les parents ont le choix de leur décision, que l’éventualité d’éradication d’une maladie génétique est fantasmatique parce qu’il y aura toujours de nouvelles mutations à l’origine de nouvelles pathologies, qu’il ne faut pas oublier le rôle de l’épigénétique [35]… De fait, nous ne sommes pas dans le régime nazi mais pour certaines maladies comme la T21, il s’agit bien d’un dépistage sélectif, discriminant, à grande échelle, fondée sur des éléments génétiques tangibles. L’affaire Perruche, comme bien d’autres depuis, le confirme : le juge présume que si la femme avait su que son enfant était anormal, elle aurait avorté. »

32En réalité, quand l’enfant à naître n’est plus appréhendé en tant qu’être humain, fils/fille attendu, mais seulement comme agrégats de données non conformes, son élimination est facile. Une maman attend d’abord un enfant mais certaines instrumentalisations techniques l’en détachent en réifiant celui qui sur l’écran et selon les résultats biologiques n’apparaît pas à la hauteur du citoyen attendu. Pourtant, l’alternative entre d’une part le progrès technique et économique et d’autre part la régression sociétale est fausse. Les personnes en situation de handicap le rappellent : leur vie n’est pas moins « meaningful », elle n’est pas moins sensée que celle de tout un chacun, elle l’est même davantage parfois comme le rappelle le « disability paradox » étayé par Wilkinson et Savulescu [36].

33Certains résistent donc. Trois États américains [37] viennent de ré-interdire les avortements en cas de T21. Saisies par le CRPD (Comité des droits des personnes handicapées), les Nations-Unies viennent aussi de publier une Observation Générale qui affirme au §44 : « Les États partis devraient tenir compte de la stigmatisation qui passe par des formes modernes de discrimination comme la politique de dépistage prénatal visant à sélectionner les enfants à naître sur la base du handicap, politique qui va à l’encontre de la reconnaissance de la valeur égale de chaque personne[38]. » Le même Comité a reproché à la Grande-Bretagne « l’avortement sélectif sur la base d’une déficience du fœtus[39] ».

34Au regard de la prégnance de la technique qui renverse la charge de la justification [40], et surtout des développements présents et à venir du DPNI, il est pourtant à craindre que l’appel ne soit pas entendu : selon le rapport du CIB [41], cette technologie implique un « risque de banalisation et d'institutionnalisation du choix de ne pas faire naître un enfant malade ou handicapé », voire tout simplement un enfant de sexe féminin [42]. Il est significatif qu’après le décret n° 2017-808 du 5 mai 2017 (JO du 7 mai) introduisant le DPNI dans la liste des examens DPN, l’association Trisomie 21 France « réaffirme les droits de tous [43] ! »

Limites et ouvertures

35Comme l’a rappelé le CIB-UNESCO dans ses recommandations pratiques, il importe « de développer un cadre qui, d'une part reconnaisse le droit d'un individu à faire des choix autonomes, et d'autre part garantisse ce qui est exposé par les articles 6 et 2 de la Déclaration Universelle sur le Génome Humain et les Droits de l’Homme : que nul ne peut être soumis à la discrimination sur la base de caractéristiques génétiques et que les individus doivent être respectés dans leur singularité et leur diversité » (ibid. n° 93).

36Et pour les couples, le conseil génétique réalisé au sein d’une consultation spécifique représente une structure essentielle. Le cadre législatif français ne permet d’ailleurs pas de test génétique non prescrit par la médecine ou la justice. Le problème, c’est que ces tests sont en vente directe sur Internet et que la médecine subit la très forte pression du marché, la contrainte d’une soi-disant notion de « progrès », du « publish or perish »… Dans son avis n° 97 (janvier 2007), le CCNE avait mis en garde contre « la surenchère de l’information génétique », mais « des firmes particulièrement agressives en termes de dumping et de marketing, qui ne craignent pas de se présenter comme faisant le bien public, qualifient d’irresponsables ceux qui tentent de débattre de manière critique de ces questions » (D. Sicard, id.). L’enjeu est alors d’optimiser plutôt que de réfléchir.

37Or, réfléchir est fondamental et commence par reconnaître l'objet de ses peurs, de savoir le nommer, l'identifier, mais pas de céder à la culture de la peur comme l’écrit si bien Marc Crépon [44] : « Tous ces affects, légitimement ressentis, n'en sont pas moins construits politiquement, et la conscience politique consiste à garder un regard critique, informé et distancié sur la façon dont nos peurs légitimes peuvent être exploitées et donc sélectionnées. » Le sociologue Zygmunt Bauman parlait de « cibles de substitution » : la cause de votre insécurité économique et sociale, ce sont les immigrés, les musulmans… les naissances non contrôlées…, le différent, l’autre… « Cette peur, continue Crépon, peut être instrumentalisée jusqu'à nous faire accepter, de dire ou penser des choses que nous n'aurions jamais dites et pensées autrement. » C'est ce qu’il a appelé la « sédimentation de l'inacceptable ». On pourrait aussi parler de la politique appuyée sur la « théorie du nudge », « se pousser du coude » pour faire adopter des comportements optimaux, guidés par un profilage qui ne repose que sur algorithmes – Antoinette Rouvroy l’évoque avec la « gouvernementalité algorithmique » ou néolibérale, ou encore l'atmosphering (consistant à créer une atmosphère numérique poussant à certains comportements), tout cela pour dire la pression qui repose aujourd’hui sur les couples via le DPN. Il importe donc que chacun reconnaisse cela, essaye de mettre cette pression à distance et sache quels sont les principes et les valeurs auxquels il ou elle tient sans que sa peur de la différence le fasse transiger. « Le courage, écrivait Nelson Mandela, n’est pas l’absence de peur, mais la capacité à la vaincre [45]. »

38Et « ce qui ne commence pas par l’espérance même, écrit J.L. Chrétien (écho à S. Schultz, ibid.), ne parviendra pas à la rejoindre, si nombreuses soient les médiations qu’on imaginerait vers elle ». Or, « la fragilité apparaît comme le lieu ou la condition de l’espérance [46] ». L’on ne peut construire une vie, une société seulement sur la force. Qu’on l’imagine dans la dénégation de la fragilité, de la vulnérabilité, ou dans la mêmeté totalement illusoire (des patrimoines génétiques sélectionnés), la force réifie et instrumentalise autant celui qui l’utilise que celui qu’elle asservit. Pour être juste, elle a besoin d’être rééquilibrée par la reconnaissance de la vulnérabilité ontologique qui ouvre à la relation avec autrui, dans sa différence et pas seulement sa mêmeté. Cela signifie que le débat autour du DPN ne peut seulement concerner un professionnel de santé responsable et un couple dans sa très grande vulnérabilité, malgré la bonne volonté en jeu. Si la question est de savoir comment construire ensemble un projet de vie commune, un projet de vie humaine, si la question est de savoir s’il est dans l’intérêt de l’enfant de vivre, même avec un handicap sévère, alors le débat doit être sociétal, éthique et métaphysique.

Conclusion

39Guidés par le rêve d’avoir un enfant « sain » – mais qu’est-ce au juste ? – avec une santé robuste, les parents suivent une certaine promesse de la médecine qui a séduit aussi le politique à la recherche d’une société saine, consommant peu de soins médicaux. Mais une fois éliminées les « tares » les plus monstrueuses, les moindres malformations n’auront-elles pas figure d’étrangetés inacceptables ? « Chaque décision, écrit Alain Cordier, est un verdict, mais il y a toujours un “après verdict”, qui signifie se soucier durablement des conséquences des décisions prises [47]. »


Date de mise en ligne : 23/04/2018

https://doi.org/10.3917/retm.298.0055

Notes

  • [1]
    Voir par ex. Freddy Sarg, « En Alsace, traditions et soins », dans Marie-Jo Thiel (dir.), Quand la vie naissante se termine, Strasbourg, PUS, 2010, p. 219-224.
  • [2]
    Une ou plusieurs transfusions in utero permettent la naissance d’enfants sains qui autrefois mourraient d’anasarque fœto-placentaire.
  • [3]
    Cette infection parasitaire qui conduisait autrefois le plus souvent à une interruption médicale de grossesse, peut aujourd’hui, à condition d’être précoce, bénéficier d’un traitement maternel qui préviendra la constitution de lésions cérébrales majeures.
  • [4]
    Comité consultatif national d’éthique (CCNE), n° 83, « Le dépistage prénatal généralisé de la mucoviscidose », 8 décembre 2003. Téléchargeable depuis le site du CCNE.
  • [5]
    Eugénisme négatif par élimination des « indésirables ». L’eugénisme positif visant à préférer la reproduction des individus dont le potentiel génétique apparaît le plus prometteur (voir clonage) n’est pas de mise aujourd’hui, du moins pour les humains.
  • [6]
    Le concept est apparu en Californie, sous la houlette de Lee Hood, président and cofondateur de l’Institute for Systems Biology.
  • [7]
    « P4 Medicine has two major objectives : to quantify wellness and to demystify disease. » (Lee Hood).
  • [8]
    Acronyme pour désigner la convergence des sciences et technologies de type nano, bio, informationnel et cognitif.
  • [9]
    Voir Christiane Olivier & Marie-Jo Thiel, « La fin de vie au risque d’une spoliation de l’autonomie », Esprit 440, décembre 2017, p. 124-135.
  • [10]
    Le site de l’Agence de la biomédecine propose de nombreux chiffres, statistiques, que nous ne reprendrons pas ici.
  • [11]
    Voire un enfant juste né (dépistage néonatal). ELnet. fr fait aussi ce choix d’une définition large dans son article « Diagnostic prénatal ».
  • [12]
    Dans son avis 107 (2009), le CCNE s’est déclaré favorable au dépistage dans le cadre d’un DPI d'une trisomie 21 et à la « prédisposition génétique obéissant à une transmission monogénique et associée à un risque majeur de cancers survenant à un âge précoce, et dont les possibilités de traitement ou de prévention sont très limitées ».
  • [13]
    Elizabeth S. Ginsburg, al., “Use of preimplantation genetic diagnosis and preimplantation genetic screening in the United States : a society for assisted reproductive technology Writing Group paper”, Fertil Steril, 2011, 96:865-8.
  • [14]
    Norbert Gleicher, “Preimplantation genetic screening : unvalidated methods discard healthy embryos”, 11 décembre 2017.
  • [15]
    On doit le DPNI grâce aux travaux dans les années quatre-vingt-90 de Dennis Lo. Dans son article princeps – Yuk Ming Dennis Lo, al., « Presence of fetal DNA in maternal plasma and serum », Lancet 1997 ; 350 : 485-87 – il montre que l’ADN fœtal libre circulant dans le sang maternel provient des cellules placentaires, qu’il est présent dès la 4e semaine d’aménorrhée (SA), bien détectable dès la 7e. Sa concentration augmente au cours de la grossesse mais ces cellules disparaissent en quelques heures après l’accouchement.
  • [16]
    Le 1er décembre 2017, cet hôpital organisait sa 2e Journée d’éthique des nouvelles techniques de dépistage génétique et précisait les informations que nous donnons ici (https://www.american-hospital.org/fr/actualites/agenda-scientifique/actualite/article/1er-octobre-2017-2.html).
  • [17]
    Plus de 7 000 tests de dépistage ont été réalisés depuis l’ouverture du centre en janvier 2013, parmi lesquels 5164 DPNI « classiques » et 3226 genome wide.
  • [18]
    Il est possible de séquencer de manière non-invasive le génome prénatal complet. Voir H. Christina Fan et al., « Non-invasive prenatal measurement of the fetal genome », Nature 487, 320-324 (19 July 2012).
  • [19]
    Jean-Louis Mandel, « Améliorer l’homme par la génétique ? », Revue d'éthique et de théologie morale 2015/4 (n° 286), p. 25-34.
  • [20]
    Voir l’influence des mouvements de médicalisation dans Marie-Jo Thiel, La santé augmentée : réaliste ou totalitaire ?, Montrouge, Bayard, 2014.
  • [21]
    Didier Sicard, président du CCNE, « La France au risque de l’eugénisme », Le Monde du 6 février 2007.
  • [22]
    La Food and Drug Administration (FDA) autorisera d’autant plus facilement que les techniques ne sont pas remboursées, accessibles seulement pour les plus aisés, et que la mentalité américaine pragmatique et utilitariste est très différente de l’européenne. À l’heure d’écrire cette contribution, le site de la FDA propose une information sur « What Is Gene Therapy ? How Does It Work ? », rappelant que « les gènes nous font ce que nous sommes ». On ne sera pas étonné que les Américains soient beaucoup plus réceptifs à donner toutes leurs informations génétiques et prêts à des modifications sur le génome.
  • [23]
    François Meunier, « La bataille de l’Obamacare et ses leçons pour la France », Esprit 2017/11 (novembre), p. 107.
  • [24]
    « Il faut mieux évaluer les innovations liées à l'assistance médicale à la procréation », Le Monde du 15 février 2017, supplément « science et médecine », p. 7. L’auteur est biologiste de la reproduction. Il a créé à Strasbourg le premier centre de DPI en France.
  • [25]
    Sandra Schultz, « Das ganze Kind hat so viele Fehler ». Geschichte einer Entscheidung aus Liebe. Hambourg, Rowohlt Taschenbuch Verlag, 2017.
  • [26]
    Abstract Gynécologie, février 2010, n° 341.
  • [27]
    Toutes les données chiffrées sont disponibles sur le site HAS et colligées dans Eurocat (http://www.eurocat-network.eu/ACCESSPREVALENCEDATA/PrevalenceTables). Voir également le rapport HAS « Les performances des tests ADN libre circulant pour le dépistage de la trisomie 21 fœtale », sept. 2015, p. 13-14.
  • [28]
    Haut Comité de la santé publique, Pour un nouveau plan périnatalité, Éd. ENSP, 1994.
  • [29]
    Ces données rejoignent bien d’autres études. Voir par ex. Romain Favre, En quoi le niveau de connaissance médicale et la position des médecins respectent-ils ou non le consentement des patientes dans le cadre du dépistage de la trisomie 21 ? Thèse de doctorat, université Paris René Descartes, Faculté de médecine Paris V, 27 septembre 2007. Romain Favre, « Dépistage de la trisomie 21 en France. Quelle est la place du consentement des patientes ? », dans Marie-Jo Thiel (dir.), Quand la vie naissante se termine, Strasbourg, PUS, 2010, p. 182-188.
  • [30]
    Deux praticiens agréés du CPDPN doivent signer une attestation pour autoriser l’IMG.
  • [31]
    Voir ENnet. fr (id), n° 61-72. Le préjudice est constitué par la non-possibilité de l’IMG.
  • [32]
    Il faut tuer le bébé in utero et ensuite l’expulser mort comme lors d’un accouchement.
  • [33]
    Un sondage Ifop réalisé à l’occasion de la révision des lois bioéthiques (La Croix du 3 janvier 2017) confirme s’il s’en fallait, l’évolution très rapide et forte de l’opinion publique ces dernières années dans le sens de la libéralisation des mœurs et sans grande différence entre catholiques et français en général, signe d’une vague de fond… L’enfant devient un « bien de consommation ».
  • [34]
    Lors de l’émission « JDS Info » sur France 2, coproduite par « Le Jour du Seigneur » et La Croix du 12 février 2007.
  • [35]
    Nous ne sommes que très partiellement conditionnés par nos gènes, hors maladies génétiques sévères : rôle des facteurs environnementaux, culturels, et complexité extrême des interactions gènes-environnements…
  • [36]
    D. Wilkinson & J. Savulescu, “Disability, discrimination and death : Is it justified to ration life saving treatment for disabled newborn infants ?”, Monash Bioethics Review, mars 2014, vol. 32, no 1-2. p. 43-62. Voir aussi John Wyatt, « Le prix de la survie face à la grande prématurité », dans Marie-Jo Thiel (dir.), Enjeux éthiques du handicap. Strasbourg, PUS, 2014. Ce paradoxe veut que des personnes en situation de handicap sévère s’affirment, lorsqu’elles sont interrogées, plus heureuses et satisfaites que ce que les autres personnes pourraient imaginer.
  • [37]
    North Dakota, Indiana et Ohio. “Ohio Bans Doctors From Performing Down Syndrome Abortions”, NYT, 22 décembre 2017.
  • [38]
    States parties should address stigmatization through modern forms of discrimination, such as a disability-selective antenatal screening policy that go against the recognition of the equal worth of every person.” – Committee on the Rights of Persons with Disabilities. General Comment on Equality and Non-discrimination (Article 5), 31 août 2017, http://www.ohchr.org/documents/HRBodies/CRPD/GCArt5.docx.
  • [39]
    Concluding observations on the initial report of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland, United Nations, 3 octobre 2017, CRPD/C/GBR/CO/1.
  • [40]
    Doivent se justifier désormais non ceux qui recourent à la technique mais ceux qui la refusent…
  • [41]
    CIB (Comité international de Bioéthique) de l’UNESCO, « Rapport du CIB sur la mise à jour de sa réflexion sur le génome humain et les droits de l’homme », Paris, 2 octobre 2015, n° 89, p. 26.
  • [42]
    CIB, id., n° 91, p. 26.
  • [43]
  • [44]
    Marc Crépon, « Vous apprendrez à apprivoiser vos peurs », Le Monde du 30 décembre 2017, suppl. Idées, p. 6.
  • [45]
    Cité par La Croix du 2 janvier 2018, p. 24.
  • [46]
    Jean-Louis Chrétien, Fragilité, Paris, Éd. de minuit, p. 262.
  • [47]
    Alain Cordier, « La décision juste », Esprit 2017/11, p. 57.

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