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Article de revue

Identités plurielles, intersubjectivité et apprentissage dans les institutions contemporaines

Pages 93 à 110

Notes

  • [1]
    Cl. Dubar, La Crise des identités, Paris, puf, 1999.
  • [2]
    L. Boltanski, De la critique. Précis de sociologie de l’émancipation, Paris, Gallimard, 2009.
  • [3]
    L. Boltanski et L. Thévenot, De la justification, les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.
  • [4]
    F. Dublet, Le Déclin de l’institution, Paris, Éd. du Seuil, 2002.
  • [5]
    F. Dubet, Le Travail des sociétés, Paris, Éd. du Seuil, 2009, p. 86.
  • [6]
    Ibid., p. 87.
  • [7]
    Ibid., p. 88.
  • [8]
    P. 90.
  • [9]
    P. 91.
  • [10]
    P. 92.
  • [11]
    P. 93.
  • [12]
    P. 94.
  • [13]
    P. 97.
  • [14]
    P. 98.
  • [15]
    P. 100.
  • [16]
    Cl. Dubar, La Crise des identités, Paris, puf, coll. « Le lien social », 2000.
  • [17]
    Ibid., p. 11.
  • [18]
    Ibid., p. 12.
  • [19]
    P. 52.
  • [20]
    P. 222.
  • [21]
    P. 56.
  • [22]
    R. Gély, Identités et monde commun, psychologie sociale, philosophie et politique, Bruxelles, Peter Lang, p. 14.
  • [23]
    Voir le numéro spécial de la revue Multitudes, « Du commun au comme-un », n° 45, 2012, p. 15-214.
  • [24]
    Ibid., p. 12-13.
  • [25]
    P. 13.
  • [26]
    R. Gély, p. 11.
  • [27]
    F. Dubet, op. cit.
  • [28]
    M. Maesschalck, « L’intervention éthique en régime pragmatique », Journal international de bioéthique, à paraître en 2012.
  • [29]
    Ibidem.
  • [30]
    Ibid.

1Les questions soulevées par les transformations des institutions contemporaines et leurs répercussions sur les sujets qui les composent sont très présentes dans le champ de l’éthique médicale. C’est à partir de l’expérience d’intervention dans les institutions de soin de notre Centre d’éthique médicale que j’ai entamé ma réflexion sur la thématique du colloque.

2Il est clair aujourd’hui que les questions posées par les acteurs du soin à propos de leurs pratiques sont largement liées à la transformation des institutions hospitalières et des établissements médico-sociaux. Si les années 1970 et 1980 ont été marquées par un développement exponentiel des techniques et la multiplication des acteurs du soin, les années 1990 par la mise en place de dispositifs visant à limiter la croissance des coûts, aujourd’hui on prend pleinement la mesure de ces transformations pour l’activité de soin elle-même. Comment peut-on assurer une prise en charge de qualité sur le plan technique, efficiente sur le plan économique et respectueuse des individus dans une institution fragmentée et face à des sujets éparpillés ?

3Dans ce cadre, la question que nous nous posons est de savoir comment accompagner les acteurs du soin dans leurs questionnements et dans la réalité qui est la leur ? Comment est-il possible de faire face à la réalité des institutions aujourd’hui ? Comment est-il possible de les faire évoluer pour qu’elles soient plus en phase avec les enjeux pratiques et éthiques vécus au quotidien pour les acteurs du soin ?

4Pour mieux cerner ces enjeux et tenter de trouver des pistes de réponse à ces questions, nous avons suivi les analyses de sociologues, de psychosociologues et de philosophes à propos de l’évolution des institutions, de la pluralisation des acteurs qui les composent mais aussi des identités qu’ils mobilisent au sein des institutions. Cette enquête devrait nous permettre de poser à nouveaux frais la question de l’accompagnement ou de l’intervention éthique dans ces contextes et de montrer l’importance de la notion d’apprentissage collectif pour faire face à la fragmentation et à l’éparpillement vécus au sein des organisations actuelles.

Les institutions et leur évolution

5La question des relations entre sujets et institutions, de la transformation des identités a été principalement traitée par la sociologie. En effet, cette question est abordée à travers la question de la socialisation, donc du rapport entre la société et les sujets et, de plus en plus, entre les sujets et la société.

6Les pères de la sociologie ont fondé leur discipline sur cette idée d’une socialisation des individus à travers les institutions au point, d’une certaine façon, de faire disparaître la question du sujet au profit de la dimension sociale.

7Dans ce cadre, il semble que tout l’effort de la sociologie contemporaine soit précisément d’avoir progressivement travaillé à comprendre et à mieux saisir la question de l’articulation entre les sujet et les institutions, entre l’acteur et le système. D’une certaine manière, la sociologie est aujourd’hui amenée à renverser la problématique et à aborder la question de l’institution à partir de la question des sujets. Cette évolution a conduit la sociologie à interroger une conception trop mécanique de la socialisation et à mettre en lumière le fait que celle-ci est le résultat d’un processus complexe d’interactions entre les institutions et leur évolution, d’une part, les individus et les groupes, d’autre part. La complexification des sociétés contemporaines a conduit les sociologues à s’intéresser de plus près aux acteurs, à leurs interactions et aux rapports qu’ils entretiennent aux institutions censées opérer l’intégration des sociétés.

8Dans ce cadre, il apparaît que la socialisation n’est plus de type communautaire, fondée sur un mode d’identification culturelle ou statutaire des individus, mais, de plus en plus, une socialisation sociétaire. Cette forme de socialisation ne suscite plus des formes d’identification structurelle et fonctionnelle des individus mais, de plus en plus, des formes narratives et réflexives qui ont mis en jeu le système et les individus en crise. Claude Dubar parle donc d’une « crise des identités [1] ».

9Cette évolution a opéré une transformation de la sociologie elle-même comme en atteste, notamment, le débat mis en scène par Luc Boltanski [2]. Dans son précis de sociologie de l’émancipation, si la sociologie critique des années 1970 soulignait et débusquait les modalités de domination dans la société contemporaine, en particulier dans les institutions, la sociologie pragmatique de la critique entend plutôt s’appuyer sur les acteurs pour construire cette critique. Cette sociologie pragmatique de la critique a d’ailleurs souligné la fragmentation des institutions et l’importance des épreuves dans la gestion de cette fragmentation [3].

Le déclin de l’institution

10Un des auteurs qui a sans nul doute analysé le plus finement cette transformation des rapports entre les institutions et les sujets est François Dubet. En effet, dans son ouvrage Le Déclin de l’institution[4], il montre la transformation profonde de ces rapports entre les institutions et les individus qui les composent. S’appuyant sur un travail de terrain dans différentes institutions consacrées à ce qu’il appelle le travail sur autrui, il montre comment le travail d’intégration et de socialisation des individus par les institutions s’est profondément transformé et débouche aujourd’hui sur la montée en puissance de l’organisation.

11Pour Dubet, l’institution a longtemps été envisagée comme un dispositif pratique et symbolique « arrachant les individus au flux de la vie quotidienne pour les élever vers la société [5] ».

12En effet, dans la foulée des sociologies allant de Durkheim à Parsons et, dans une certaine mesure, jusqu’à la sociologie wébérienne des religions, on peut dire que la définition de l’institution peut se comprendre à travers le verbe instituer. Les institutions sont les organisations qui travaillent sur autrui pour l’instituer comme sujet de la société de manière volontaire et programmée [6].

13Dans cette perspective, les institutions sont donc des organisations qui se donnent pour objectif de transformer des valeurs et des principes universels en subjectivités et en personnalités afin de fabriquer les sujets de la société, et d’établir la correspondance la plus étroite entre l’individu et la société.

14C’est précisément ce mécanisme et son automaticité qui sont aujourd’hui remis en question. En effet, François Dubet défend la thèse selon laquelle on assiste aujourd’hui au déclin du programme institutionnel à travers lequel cette socialisation opérait et que le déclin de ce programme est associé à l’extension des institutions politiques et des organisations.

15Suivons donc Dubet dans son analyse. En effet, dans la société moderne, on ne passe pas spontanément de la famille ou de la communauté à la société et la mise en forme de ce passage est assurée par ce qu’il appelle le programme institutionnel.

16Ainsi, la socialisation institutionnelle est conduite au nom de principes perçus comme « hors monde », universels et donc « sacrés [7] » (religion, raison, science, liberté ou nation). Dans ce cadre, le sacré est la représentation de la société elle-même. Pour cela, il a fallu construire une technologie sociale particulière. L’école, l’hôpital, la justice, les institutions charitables, etc., sont devenus nationaux, modernes et rationnels. La société nationale, industrielle, moderne et démocratique a été définie par ces valeurs communes et par la capacité des institutions à produire les sujets de ces valeurs.

17Le programme institutionnel a gardé de l’Église un principe d’incarnation dans la définition des professionnels chargés d’agir sur autrui [8]. En effet, ceux-ci sont définis autant par la vocation que par leurs compétences professionnelles et leur rôle bureaucratique. Les professions ne tirent pas uniquement leur autorité de leur rôle légal dans ce programme, mais du fait qu’elles incarnent le sacré de l’institution et, au-delà, de la société. Cela suppose un engagement vocationnel de leur part. Chez un auteur comme Parsons, l’autorité du médecin découle du fait qu’il incarne l’autorité de la science.

18Le programme institutionnel se traduit également dans une dynamique de sanctuarisation. L’individu ne peut être élevé vers la conscience de la société que s’il en est éloigné et s’il est comme préservé de la diversité et versatilité du monde [9]. Les institutions ont été élaborées comme des ordres réguliers protégés par leurs murs et leurs symboles, dans une espèce de rationalité pure. Le salut passe par la séparation d’avec la trivialité de la vie sociale.

19Sanctuaires, les institutions ne rendent de comptes qu’à elle-même. Elles construisent en elle-même une hiérarchie du sacré et du profane. Plus on est près de la science, de la raison, de la loi, de la grande culture, plus on est soi-même sacré ; plus on s’en éloigne et plus on est profane. Cette hiérarchie immunise l’institution de la remise en cause dans la mesure où, suivant cette hiérarchie, ce qui n’est pas conforme dans la société au principe de ces institutions est considéré comme le mauvais malade, le mauvais élève ou le mauvais justiciable. L’institution ainsi sanctuarisée protège également les individus derrière les blouses, les uniformes, les règlements [10].

20Pour Dubet, une dernière caractéristique de ce programme institutionnel tient au fait que l’on produit de l’autonomie et de la liberté par la soumission à une discipline rationnelle. Il s’agit d’un programme résolument moderne, par cette soumission même. Il faut que l’individu oublie ses habitudes locales, communautaires, singulières en se pliant à une discipline objective qui l’élèvera dans la mesure où elle met en œuvre des valeurs universelles. L’internalisation de cette discipline objective conduit à la possibilité d’un contrôle de soi-même dont je suis moi-même l’auteur et se substitue au contrôle par les autres. C’est ainsi que se fabriquent les individus de la société, c’est ainsi que se forge la distance entre le public et le privé, et puis la distance entre le privé et l’intime, entre l’universel et le singulier.

21Ce programme, comme processus de socialisation, a donc été mis en œuvre avec la « complicité », l’aval de ceux qui pouvaient l’imposer et le subir et peut expliquer aujourd’hui la nostalgie et souvent les sentiments de crise profonde qui affectent, en particulier, les professionnels (médecins, enseignants, juges, travailleurs sociaux, etc.) qui pensent que ce programme institutionnel se dérobe sous leur pas. Peut-être aussi ne faut-il pas exclure que, pour ceux qui le subissaient ou le subissent encore, celui-ci a représenté dans un certain nombre de cas une « lueur de paix et de liberté » comme voie réelle d’émancipation.

22Ce programme, même s’il est aujourd’hui emporté par un déclin irréversible, nous dit Dubet, arrivait à résoudre un certain nombre de paradoxes en combinant socialisation et représentation de l’autonomie des sujets garantie par les valeurs les plus universelles de la société, conférait une grande légitimité aux professionnels de ces institutions, permettait de supporter tout le tragique du travail de socialisation et promouvait l’idée d’une société composée d’individus « libres », liés aux autres par le partage de valeurs communes qui ne peuvent passer par la seule tradition. Il a conduit également à soutenir une certaine idée de l’égalité [11].

Une mutation profonde dans la socialisation : le déclin de l’institution

23« Il est peut-être paradoxal de parler de déclin de l’institution dans des sociétés où les organisations chargées de travailler sur autrui ont étendu leur territoire et leur emprise comme jamais [12]. » C’est le cas pour l’école, la médecine, le travail social. La société produit ou entend produire ses acteurs de manière de plus en plus volontaire, rationnelle et organisée.

24Mais, plus cette extension du champ des institutions est importante, indique Dubet, plus le programme institutionnel conçu comme manière de produire les sujets de la société semble s’affaiblir. Ce déclin se marque au niveau des quatre axes repérés précédemment.

25Tout d’abord, le socle de valeurs et de principes sacrés qui surplombaient le programme institutionnel subit le processus de rationalisation et de désenchantement qui caractérise la modernité. Laquelle modernité est traversée par une différenciation de sphères de rationalité, de sous-systèmes sociaux et de principes entre lesquels nous ne pouvons plus trouver une homogénéité et une cohérence. De ce point de vue, la bioéthique offre un exemple assez clair dans la mesure où ses fameux principes (autonomie, bienfaisance, justice) manifestent bien cette pluralisation des références, comme les économies de la grandeur dans les travaux de Luc Boltanski et Laurent Thévenot manifestent la pluralité des définitions du juste et du bien. Il y a donc une diversité des représentations dans une société de la communication, où des institutions concurrentes en matière de culture, de santé, de justice, se côtoient. La socialisation échappe au monopole des institutions, passe par d’autres canaux dont la démocratie d’opinion et l’industrie des médias.

26Par ailleurs, la figure du professionnel se transforme. La domination de la figure de la vocation (engagement total, sacrifice, incarnation) se déplace vers une figure plus protestante (pas dévouée à Dieu ou à des principes supérieurs) où il s’agit de s’accomplir soi-même à travers le travail. Ce travail est moins un don qu’un accomplissement de soi, une activité, une technique. On glisse donc vers la figure du professionnel. On joue la carte de la spécialisation et du diplôme, même au niveau syndical. Légitimité fondée sur la compétence et l’utilité. Les professionnels doivent donc rendre des comptes aux usagers et aux politiques [13]. On passe du contrôle par les normes au contrôle par les résultats. L’autorité ne résulte plus seulement de l’accomplissement d’un rôle, mais elle doit se démontrer.

27La sanctuarisation de l’institution est remise en cause. Les institutions ne sont plus en dehors des passions et du siècle. Elles sont envahies par les demandes de la société. Ainsi, l’hôpital n’est plus le temple d’une science inaccessible et de la compassion, mais une entreprise de soins qui doit répondre à des demandes de santé [14]. Cette organisation hypercomplexe doit répondre à des problèmes médicaux, techniques, sociaux, économiques, etc. Les institutions doivent rendre des comptes, avoir des objectifs, rationaliser leurs pratiques. Elles doivent donc sortir de leur tour d’ivoire et tenir compte de leur environnement. Cette évolution peut être envisagée à la fois comme une crise ou, au contraire, comme une mutation positive et démocratique.

28Dans ce cadre, l’image du sujet qui, jusque-là, était plutôt envisagé « comme une cire molle auquel l’institution impose sa discipline libératrice, émancipatrice [15] », est remise en question. À l’école, l’enfant et l’adolescent sont pris en compte comme des sujets et plus seulement comme des élèves. Les pédagogies actives se développent. Le malade acquiert des droits et ne peut plus être réduit à sa maladie. On lui demande de s’impliquer dans sa guérison. Il faut désormais prendre en compte la singularité des individus. Il faut les mobiliser plutôt que les encadrer, même si la résistance à ces démarches de mobilisation peut parfois donner lieu à une répression assez dure. Dans ce cadre, l’individu social de la première modernité rationaliste ne serait plus tout à fait en phase avec le sujet personnel, et la soumission à la discipline de l’institution ne serait plus considérée comme le seul chemin de la liberté.

29C’est à ce niveau que la critique des institutions est la plus vive. Elles sont accusées d’étouffer les individus, les singularités, etc. Ce mouvement est un mouvement de fond. Le déclin du programme institutionnel se traduit par le fait qu’il ne fonctionne plus aussi bien comme machine à réduire la dimension tragique, et la plupart des opérations magiques que le programme institutionnel réalisait avec élégance ont cessé d’être symboliquement efficaces. La discipline semble se réduire à une machine de contrôle social, avec des velléités d’un retour à l’autorité. Plus l’acteur et le système se séparent, plus l’individu social et le sujet se distinguent. Plus on en appelle à la motivation des sujets et, alors qu’on était face à des pathologies liées à la répression excessive, on est aussi aujourd’hui face à des pathologies de type dépressif liées à une fatigue d’être soi. Nous semblons écrasés par le thème de la souffrance. Cette aÿrmation est sans doute à relativiser suivant les situations de perte ou de souffrance qui paraissent « légitimes » et celles qui ne le paraissent pas. Cette confrontation à la souffrance – qui, auparavant, était davantage masquée par la machine à conjurer le tragique qu’était le programme institutionnel – est aujourd’hui source de souffrance, mais aussi d’un regain d’intérêt et de sens du travail sur autrui.

30Beaucoup de professionnels vivent ce déclin du programme institutionnel comme une crise, surtout à la base des organisations, mais aussi au sommet. On peut voir cette crise de manière positive dans la mesure où elle oblige à s’interroger, à mettre en question des évidences, et sépare des logiques d’action de plus en plus autonomes.

31Ce que le programme institutionnel avait permis d’organiser dans une logique d’engendrement linéaire – principes, acteurs professionnels et bénéficiaires – tend à s’autonomiser. Le contrôle social, le service comme acte technique, la relation au bénéficiaire, à l’usager, tendent de plus en plus à s’individualiser et donc à mettre en cause une relation professionnelle codifiée et les routines. Dans le cadre des institutions qui « travaillent sur autrui », les individus sont amenés à mobiliser plusieurs identités, celle d’expert comme professionnel, celle de membre de l’organisation comme forme de citoyenneté, et leur identité personnelle. Ces différentes facettes ou identités des personnages interagissent aujourd’hui au sein des institutions. On passe donc d’un schéma de l’expérience de travail linéaire du programme institutionnel à une dynamique triangulaire dans laquelle jouent différentes logiques d’action qui s’interpellent mutuellement. Cette dynamique déstabilise les routines. Cette déstabilisation peut créer des malaises, renforcer des fragilités mais aussi permettre des ouvertures et des remises en question.

32L’évolution décrite par François Dubet est évidemment paradoxale dans la mesure où le déclin du programme institutionnel et les dynamiques qui ont émergé au sein des institutions déstabilisent profondément ces institutions et les individus qui les composent. Cette déstabilisation peut donner l’impression d’institutions fragmentées et de sujets éparpillés. Cependant, la réalité est sans doute moins fragmentée et moins éparpillée qu’il n’y paraît. Les contradictions et les tensions au sein des institutions sont plus grandes que ne le laisse apparaître la description d’une évolution inexorable des institutions. En effet, les institutions se perçoivent et restent structurées par la figure du programme institutionnel, et les malaises ou initiatives des acteurs n’y trouvent pas nécessairement place. Les institutions doivent encadrer et structurer des activités de plus en plus complexes sollicitant les individus dans leurs différentes identités et compétences.

Crise des identités ou identités plurielles ?

33Comme nous l’avons vu, cette évolution des institutions et le « déclin du programme institutionnel » ont évidemment une incidence sur la question des identités. Ici encore, la sociologie s’est emparée de la question et a mis en exergue les transformations des identités ou plutôt des processus d’identification à l’œuvre dans la société et les institutions contemporaines. Ainsi, les travaux du Claude Dubar sur la crise des identités [16] envisagent plutôt une crise des modes d’identification. Cette crise correspond à la rupture d’un certain équilibre au niveau des règles, des politiques et des institutions s’accompagnant d’un ensemble de catégories partagées, d’un système de désignation et de classement fortement intériorisés [17]. Cette rupture d’équilibre provoque une déstabilisation des repères, des appellations, des systèmes symboliques, qui touche la subjectivité, le fonctionnement psychique et les formes d’individualité. Il y a donc un lien entre la crise des liens sociaux, des institutions, et les crises existentielles de la subjectivité.

34En effet, selon Claude Dubar, on assiste depuis les années 1960 à une crise de la configuration des formes identitaires dans le champ de la famille et des relations entre les sexes, du travail et des relations professionnelles, du religieux et du politique, ainsi que des relations aux institutions. En réalité, c’est « la configuration des formes identitaires, constituée dans la période précédente, qui a perdu sa légitimité [et qui fait qu’]on peut parler d’une crise des identités, au sens de déstabilisation de l’agencement antérieur des formes identitaires [18] ».

35On voit ici que les travaux de Claude Dubar rejoignent ceux de François Dubet qui, dans Le Déclin de l’institution, repère et met en avant non seulement une déstabilisation de formes identitaires et de processus d’identification, mais également une pluralisation de ces identités et un réagencement des identités plurielles, en particulier dans un cadre comme celui du « travail sur autrui ».

36Ainsi, pour Claude Dubar, on serait passé d’une forme identificatoire communautaire du « Nous » modelant complètement un « Je » défini par sa généalogie et ses traits culturels, à une forme sociétaire unissant des « Nous » contingents et dépendants des identifications stratégiques à des « Je » poursuivant leurs intérêt de réussite économique et de réalisation personnelle [19]. On se trouve donc, selon lui, dans des processus d’identification qui combinent de manière complexe des processus d’identification relationnelle (communautaire et/ou sociétaire) et des processus d’identification biographique (narratif et/ou réflexif) dont aucun ne peut être considéré clairement comme dominant.

37Si, dans cette évolution, une affirmation et une attention plus forte aux individus sont présentes, cela ne signifie pas nécessairement un triomphe de l’individu sur le collectif. L’opposition individu/collectif ne permet pas de comprendre le processus en cours. Il y a, à la fois, des processus ou des mécanismes collectifs qui semblent d’ailleurs peser d’autant plus lourd qu’ils interviennent dans un cadre plus individualisé, mais également des processus collectifs qui sont fragilisés par l’individualisation ou la revendication de minorités. Les efforts pour éviter que le monde vécu ne soit colonisé par le système peuvent être longs et difficiles.

38Dans ce cadre, les identités personnelles sont des subjectivités en devenir permanent. Cette aspiration à la subjectivité ne signifie pas le triomphe de l’égoïsme hédoniste dans la mesure où elles s’édifient et se développent toujours dans la relation à l’autre. Être sujet, c’est pouvoir se construire, tout au long de sa vie, dans des relations de reconnaissance mutuelle. Être sujet, c’est aussi refuser, pour soi comme pour les autres, les rapports de domination, d’assujettissement, d’autorité imposée arbitrairement, de mépris et de subordination personnelle [20].

39Les formes identitaires sont inséparables des rapports sociaux et, d’ailleurs, la forme historique majeure de ce rapport est encore la domination d’un groupe imposant un mode légitime d’identification à tous les autres. Cette tendance à la domination peut d’ailleurs se retrouver, selon lui, dans les différentes formes d’identification repérées, qu’elle soit culturelle (domination de sexe), statutaire (domination bureaucratique), réflexive (domination symbolique) ou narrative (domination de classe) [21]. À ce titre, la diversification et la complexification des identités et des processus identificatoires ne sont pas en soi des processus émancipatoires ou une libération des individus. Elles peuvent clairement reconduire différentes formes de domination à l’œuvre dans la société. L’enjeu à cet égard est sans doute de nos jours de mieux comprendre ces processus identificatoires et de permettre aux individus qui construisent et mobilisent ces identités de savoir si ces processus contribuent à une véritable émancipation et donc à des possibilités pour chaque individu d’être mieux respecté, reconnu et inclus dans le processus de production des institutions contemporaines.

Identités et monde commun

40Il nous semble à cet égard que les travaux de Raphaël Gély peuvent éclairer les choses. En effet, pour lui, la possibilité même de construire un monde commun, une action commune démocratique, demande que « les individus se rencontrent les uns les autres en activant simultanément différents niveaux d’identification [22] ». Or, dans le débat contemporain en philosophie politique, il semble que l’on soit dans une perspective inverse, considérant qu’un débat démocratique n’est possible que si les individus se distancient de leurs identités et de leurs appartenances. Son propos est dès lors de montrer que « l’expérience d’un monde commun suppose au contraire que nous puissions attester de notre individualité autant par la voie d’une identification personnelle que par la voie d’une identification sociale », la confiance résultant précisément du fait que nous puissions construire du commun en prenant en compte et en travail les identités [23].

41Cependant, nous dit-il encore, une véritable démocratisation de l’espace social ne peut se concevoir sans développer une réflexivité des individus par rapport aux différentes significations que leurs gestes identitaires peuvent revêtir, « (…) la croyance que nous pouvons avoir en la possibilité de vivre ensemble dans un monde commun demande d’être potentialisée par un certain usage de nos identités, par une certaine façon de les investir et de les mobiliser [24] ».

42Il s’agit de pouvoir envisager explicitement et en commun si nos actes d’identification permettent de participer à la dynamisation de la vie sociale historique et à une démocratisation de l’espace social ou institutionnel. Autrement dit, une régulation démocratique de l’espace social ou institutionnel suppose que « les individus et les groupes qui partagent un champ d’influence réciproque, participent à partir de leurs situations à l’élaboration d’une histoire commune [25] ».

43Ainsi, la crise des identités implique que les individus s’engagent dans des formes d’action qu’ils puissent réfléchir, discuter et contrôler en commun. Cela implique de développer des capacités subjectives d’expression et d’argumentation mais aussi d’interaction, de soutien mutuel et de réflexivité.

44Par rapport à la situation contemporaine, l’hypothèse de Raphaël Gély consiste à dire « que la mobilisation de nos différentes identités est susceptible de prendre toute une série de significations très différentes en fonction du contexte au sein duquel elle a lieu (…). L’identité mobilisée prend une autre signification en fonction de l’individu lui-même, du contexte interpersonnel, des relations entre groupes et des déterminations pratiques et représentationnelles qui structurent le champ social [26] ».

Identités et apprentissage

45Dès lors, il est fondamental de pouvoir mettre en place des processus d’apprentissage au sein des institutions contemporaines, qui leur permettent de prendre la mesure de ce qui se joue en leur sein et de se transformer pour soutenir la mise en place de pratiques collectives plus adéquates aux enjeux qu’elles rencontrent et aux attentes des individus qu’elles mobilisent et qu’elles servent. En effet, si l’on peut considérer que les institutions ne sont pas seulement des contraintes qui s’imposent aux individus mais qu’elles peuvent aussi être des ressources et un soutien, ce n’est que dans la mesure où elles permettent aux sujets qui œuvrent en leur sein de mettre en place les processus d’apprentissage, de compréhension et de reconnaissance mutuelles, afin de trouver des solutions aux problèmes qu’ils rencontrent. L’idée générale qui ressort de cette analyse est bien qu’il y a lieu de prendre la mesure des évolutions, de comprendre les enjeux vécus par et avec les acteurs pour faire évoluer les pratiques et les cadres institutionnels (les rôles, les relations, les règles, les procédures, les objets) qui font souffrir ou ne rejoignent pas les aspirations des individus.

46À cet égard, le déclin du programme institutionnel indique un changement profond des processus de socialisation. Ces processus de socialisation doivent désormais être conçus comme des processus d’apprentissage à travers lesquels les individus peuvent prendre conscience de leurs identités, prendre conscience de l’identité de ceux avec qui ils interagissent, et envisager comment ils peuvent mobiliser et, au besoin, transformer celles-ci pour réaliser, améliorer les projets dans lesquels ils sont impliqués.

Pour un apprentissage collectif dans les institutions contemporaines

47La question centrale qui se pose aujourd’hui est donc de savoir comment penser cette dynamique d’action collective en s’appuyant à la fois sur les sujets et sur les dispositifs permettant aux acteurs de participer à la construction ou à la reconstruction de formes de vie collective plus respectueuses, harmonieuses et plus justes pour tous dans les institutions.

48L’enjeu est effectivement délicat et difficile car, comme le montre François Dubet à l’issue de son ouvrage Le Déclin de l’institution, l’érosion du programme institutionnel soulève plusieurs problèmes, à savoir : la mise en cause de l’autorité, le développement d’un travail sur autrui sans médiation exposant les individus dans leur subjectivité, un manque de transparence et un risque important de fragilisation des plus faibles [27]. Dans ce cadre, les pistes le plus souvent mises en avant pour sortir de cette situation ne sont pas satisfaisantes. Une première piste serait de restaurer l’autorité ou un ordre moral partagé dont on ne voit pas bien comment elle pourrait s’imposer ou être restaurée dans le monde pluriel sans rester une incantation appuyée sur une violence institutionnelle. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les tenants de cette solution ne disent pas précisément comment s’y prendre pour restaurer cette autorité ou cet ordre. L’instauration d’un marché interne dans les institutions est une autre tentation face à la crise et à la fragmentation. Autrement dit, il s’agirait plutôt de détricoter les institutions. On peut mesurer tous les jours les limites de ce modèle et des réponses qu’il est censé apporter aux questions soulevées ci-dessus. Enfin, le droit est souvent invoqué comme moyen de gérer les conflits générés par la situation de fragmentation et de tension dans les institutions. Selon Dubet, l’entrée du droit dans les institutions est un progrès, mais il ne règle pas tout. Le droit ne semble pas apte à restaurer la confiance et la solidarité que réclame une action collective adéquate dans le monde complexe des institutions contemporaines.

49Toutes ces pistes ne semblent ni légitimes, ni réellement efficaces. Selon Dubet, il ne faut pas analyser le déclin de l’institution comme une crise des valeurs mais comme un processus inscrit dans le projet de la modernité par rapport auquel il soutient l’idée qu’il faut adopter une conception plus politique des institutions. Il semble donc que la seule piste à la fois légitime et praticable pour réformer les institutions soit l’approfondissement du processus de leur démocratisation. Ce processus ne repose pas sur un principe de rationalisation transcendant, de nature ou de raison, mais sur un lent et patient travail de socialisation consistant à prendre la mesure des situations de travail sur autrui, c’est-à-dire un travail qui prendrait acte de la complexité des situations, de la diversité des acteurs et des identités impliquées dans le travail sur autrui, avec une présence plus nette des usagers et des procédures permettant une reconstruction des rôles et des relations à travers une véritable reconnaissance des sujets impliqués.

50Pour être effectifs, ces processus de démocratisation des institutions ou, plus précisément, ces processus démocratiques que semblent appeler les tensions qui traversent les institutions contemporaines doivent répondre à une double exigence de « démocratie » et de « réflexivité ». Par l’exigence démocratique, il est manifeste que la structure de gouvernance adoptée doit être à même d’assurer « la satisfaction la meilleure possible des attentes normatives » de toutes les parties prenantes de l’organisation. Par l’exigence de réflexivité, il faut entendre la capacité collective d’un retour critique sur la perception du contexte qui permette de mettre en rapport le dispositif normatif/organisationnel que l’on veut établir et l’usage concret qui pourra être fait par les acteurs.

51Ces processus doivent donc permettre une meilleure appréhension des enjeux, des problèmes soulevés dans les situations de travail sur autrui. Pour cela, il semble nécessaire de s’appuyer sur l’expérience des acteurs en contexte en leur permettant de déployer, à partir de cette expérience, des processus d’apprentissage visant à cerner les enjeux de ces pratiques, à formuler des hypothèses et des pistes d’action à l’égard des problèmes qu’ils rencontrent, de pouvoir les tester et les évaluer.

52Cependant, cet apprentissage ne consiste pas simplement à incorporer des routines permettant une adaptation aux contraintes du contexte ; il s’agit de mettre en perspective, par une sorte de dédoublement de l’attention, différentes formes d’organisation des pratiques de manière expérimentale pour tester les formes les plus adéquates d’action collective. Comme le souligne Marc Maesschalck, ce doit être en encadrant ces processus d’apprentissage ou ces processus d’enquête [28]. Or, cet encadrement ne pourra se mettre en place qu’à travers une réflexivité à l’égard de la genèse de ces processus. En effet, cette capacité à faire face à leur évolution et aux problèmes qu’elles doivent résoudre nécessite que le cadre de gouvernance des institutions soit lui-même réflexif, c’est-à-dire capable de se remettre en cause à partir et en fonction de l’expérience et de la réflexivité déployée par les acteurs de l’institution pour résoudre les questions auxquelles ils sont confrontés.

Quel accompagnement ?

53Autrement dit, la réforme des institutions contemporaines demande la mise en place de modes coordonnés d’engagement des libertés et des identités pour résoudre les problèmes auxquels les institutions sont confrontées, mais elle demande aussi la capacité d’intégrer le produit de ces expériences dans ses modes de gouvernance. Dans cette perspective, les mécanismes d’intervention en vue de faire évoluer ces institutions dans ce sens doivent être envisagés dans la même logique. L’intervenant/accompagnant doit se concevoir comme partie prenante du collectif apprenant qu’il contribue à mettre en place au sein des institutions. Il doit donc se soumettre à la logique d’expérimentation à laquelle l’institution doit elle-même se plier. Les modalités d’intervention sont affectées par cette logique internaliste d’apprentissage collectif et la co-construction qui en résulte affecte à la fois le savoir, le devoir et le pouvoir de l’intervenant. Autrement dit, l’intervention doit se penser et se réfléchir à travers le processus d’intervention et d’apprentissage qu’elle suscite [29].

54Ainsi, l’évolution des institutions contemporaines, la pluralisation des acteurs et des identités qu’elle a générée demande une transformation de la manière d’envisager le changement au sein des institutions et son accompagnement. Le changement et la capacité d’appréhender adéquatement les problèmes auxquels les institutions font face aujourd’hui demandent la constitution de collectifs apprenants à travers lesquels les participants deviennent partie prenantes de la résolution des problèmes. Dans cette perspective, la conception de l’intervention ou de l’accompagnement doit également se transformer. Il ne s’agit pas de la concevoir comme un apport de solutions idéales supposées connues par expertise, mais d’envisager celle-ci comme ayant à se construire au sein de processus d’apprentissage collectifs pour forger une culture et une confiance commune entre les acteurs, en préservant surtout, par une réflexivité spécifique, un espace d’anticipation visant à identifier les limites du processus d’apprentissage lui-même [30].

55Dans le domaine d’intervention qui est le nôtre, à savoir le champ de la médecine et de la santé, une telle dynamique nécessite plusieurs déplacements par rapport à la culture dominante de l’action médicale et sanitaire. Il s’agit d’instaurer un autre rapport aux savoirs et aux modalités d’expertise, permettant de cerner plus globalement la situation des patients, mais surtout de les impliquer dans un processus au sein duquel il s’agit de construire des relations nouvelles entre les soignants comme avec les personnes de l’entourage. C’est un enjeu central aujourd’hui pour l’hôpital que de prendre la mesure de ces processus, mais surtout de les rendre possibles dans la durée, ce qui implique une transformation de l’institution hospitalière elle-même.


Date de mise en ligne : 10/09/2012.

https://doi.org/10.3917/retm.271.0093

Notes

  • [1]
    Cl. Dubar, La Crise des identités, Paris, puf, 1999.
  • [2]
    L. Boltanski, De la critique. Précis de sociologie de l’émancipation, Paris, Gallimard, 2009.
  • [3]
    L. Boltanski et L. Thévenot, De la justification, les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.
  • [4]
    F. Dublet, Le Déclin de l’institution, Paris, Éd. du Seuil, 2002.
  • [5]
    F. Dubet, Le Travail des sociétés, Paris, Éd. du Seuil, 2009, p. 86.
  • [6]
    Ibid., p. 87.
  • [7]
    Ibid., p. 88.
  • [8]
    P. 90.
  • [9]
    P. 91.
  • [10]
    P. 92.
  • [11]
    P. 93.
  • [12]
    P. 94.
  • [13]
    P. 97.
  • [14]
    P. 98.
  • [15]
    P. 100.
  • [16]
    Cl. Dubar, La Crise des identités, Paris, puf, coll. « Le lien social », 2000.
  • [17]
    Ibid., p. 11.
  • [18]
    Ibid., p. 12.
  • [19]
    P. 52.
  • [20]
    P. 222.
  • [21]
    P. 56.
  • [22]
    R. Gély, Identités et monde commun, psychologie sociale, philosophie et politique, Bruxelles, Peter Lang, p. 14.
  • [23]
    Voir le numéro spécial de la revue Multitudes, « Du commun au comme-un », n° 45, 2012, p. 15-214.
  • [24]
    Ibid., p. 12-13.
  • [25]
    P. 13.
  • [26]
    R. Gély, p. 11.
  • [27]
    F. Dubet, op. cit.
  • [28]
    M. Maesschalck, « L’intervention éthique en régime pragmatique », Journal international de bioéthique, à paraître en 2012.
  • [29]
    Ibidem.
  • [30]
    Ibid.
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