Notes
-
[1]
George W. Bush, “President’s Statement on Funding Stem Cell Research,” [« Déclaration du Président sur le financement de la recherche sur les cellules souches »], New York Times, 9 août 2001.
-
[2]
Special Article: “Babies by Means of In Vitro Fertilization: Unethical Experiments on the Unborn” [Article spécial : « Des bébés au moyen de la Fécondation in vitro : expériences non éthiques sur l’enfant à naître »], New England Journal of Medicine 285:21 (1974), p. 1174-1179.
-
[3]
Leon R. Kass, “The Wisdom of Repugnance” [« La sagesse de la répugnance »], The New Republic (2 juin 1997), p. 17-26.
-
[4]
Le lecteur trouvera une liste de ces commissions et de leurs publications sur le site web du cpbe: http://www.bioethics.gov/reports/pastscommissions/index.html.
-
[5]
Federal Advisory Committee Act, 5 U.S.C., & 5 (b) (2) and (3).
-
[6]
Jerome Groopman, “Comment: Science Fiction” [« Commentaire : la science-fiction »] The New Yorker, 4 février 2002, p. 23.
-
[7]
“Reflections on Public Bioethics: A View from the Trenches” [« Réflexions sur la bioéthique : une vue depuis les tranchées »], Kennedy Institute of Ethics Journal 15:3 (2005), 221.
-
[8]
Claudia Dreifus, “A Conversation with Elizabeth H. Blackburn: Finding Clues to Aging in the Fraying Tips of Chromosomes”, [« Une conversation avec Elizabeth H. Blackburn : trouver des indices sur le vieillissement dans les ficelles des chromosomes »], New York Times, 3 juillet 2007.
-
[9]
Diana Schaub, “Slavery Plus Abortion” [« Esclavage plus avortement »], The Public Interest, hiver 2003. Disponible en ligne sur http://www.thenewatlantis.com/publications/slavery-plus-abortion.
-
[10]
Une troisième nomination, nécessaire pour atteindre l’effectif complet de dix-huit membres après le départ volontaire d’un autre membre originel, Benjamin Carson, neurochirurgien pédiatre de l’Université Johns Hopkins, clinicien en activité qui se décrit comme un chrétien engagé et membre de la Seventh Day Adventist Church.
-
[11]
“Cell Biologists Oppose Bush’s Removal of Scientist from Bioethics Council” [« Des biologistes cellulaires s’opposent au renvoi d’une scientifique du Conseil bioéthique »] ScienceBlog, 1er mars 2004. Disponible en ligne sur http://www.scienceblog.com/ cms/node/2384.
-
[12]
L. Kass, “Reflections on Public Bioethics: A View from the Trenches” [« Réflexions sur la bioéthique : une vue depuis les tranchées »], p. 224.
-
[13]
Ibid., p. 225.
-
[14]
Ibid., p. 224 s.
-
[15]
“The Wisdom of Repugnance”, p. 18.
-
[16]
Cité dans M. Cathleen Kaveny, “Diversity and Deliberation: Bioethics Commissions and Moral Reasoning” [« Diversité et délibération : les commissions bioéthiques et la réflexion morale »], Journal of Religious Ethics 34:2 (2006), 320, n. 17. Cette remarque en préface n’apparaît plus dans la version publiée en ligne de Human Cloning and Human Dignity [Clonage humain et dignité humaine].
-
[17]
Mary Anderlik Mamjuder, “Respecting Difference and Moving Beyond Regulation: Tasks for U. S. Bioethics Commissions in the Twenty-First Century” [« Respecter la différence et aller au-delà de la régulation : des tâches pour les commissions bioéthiques américaines au xxie siècle »], Kennedy Institute of Ethics Journal 15:3 (2005), 296.
-
[18]
Sur http://www.bioethics.gov/reports/
-
[19]
Human Cloning and Human Dignity, p. 134, 157, 174.
-
[20]
“Diversity and Deliberation”, p. 321.
-
[21]
Pour une discussion plus complète de l’usage d’arguments sur la valeur de la souffrance dans certaines bioéthiques chrétiennes, se reporter à mon article : “Christian Ethics: A Jewish Perspective” [« L’éthique chrétienne : un point de vue juif »], dans Robin GILL (ed.), The Cambridge Companion to Christian Ethics, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 138-153.
-
[22]
Beyond Therapy [Au-delà de la thérapie], p. 194 s.
-
[23]
Le Conseil était au courant de ces faits. Son rapport, Taking Care (p. 6), note que durant le dernier siècle, l’espérance de vie moyenne d’un Américain à la naissance est montée de 47 ans en 1900 à 77 ans en 2000, et progresse encore.
-
[24]
Nick Bostrom et Toby Ord, “The Reversal Test: Eliminating Status Quo Bias in Applied Ethics” [« Le test d’inversion : éliminer le parti pris du statu quo dans l’éthique appliquée »], Ethics 116 (juillet 2006), 656-679, disponible en ligne sur http://www.nickbostrom.com/ethics/statusquo.pdf.
-
[25]
Beyond Therapy, p. 55.
-
[26]
“In Search of Wisdom: Bioethics and the Character of Human Life” [« À la recherche de la sagesse : la bioéthique et le caractère de la vie humaine »], janvier 2002. Disponible en ligne sur : http://www.bioethics.gov/background/meilaenderpaper.html.
-
[27]
Michael Sandel, “The Case against Perfection” [« L’argument contre la perfection »], The Atlantic, avril 2004, p. 51-62.
-
[28]
Lors d’un débat public avec cet auteur au Hampden-Sydney College, le 30 mars 2005, Meilaender a déclaré que sa conception de chaque enfant comme une bénédiction l’empêchait de soutenir les tests prénataux pour éviter la naissance d’un enfant souffrant de maladies dégénératives fatales comme la maladie de Tay-Sachs.
-
[29]
Ronald M. Green, “For Richer or Poorer? Evaluating the President’s Council on Bioethics” [« Pour le meilleur ou pour le pire ? Évaluation du Conseil du Président pour la bioéthique »], HEC Forum: Special Issue on Presidential Commissions, 18:2 (2006), 108-124.
-
[30]
R. M. Green, The Human Embryo Research Debates: Bioethics in the Vortex of Controversy [Les Débats sur la recherche embryonnaire humaine : la bioéthique dans le tourbillon de la controverse], New York, Oxford University Press, 2001.
-
[31]
Près de quinze États américains sur cinquante seulement obligent les assureurs à couvrir, d’une façon ou d’une autre, les services à l’infertilité.
-
[32]
Christina Bergh, “How to Promote Singletons” [« Comment promouvoir les singletons »], Reproductive BioMedicine Online 15 Suppl. 3, 2007. Sur le web le 27 mars 2007. Disponible en ligne sur www.rbmonline.com/Article/2749.
-
[33]
“A Missed Opportunity: The President’s Council on Bioethics Report on Ethical Caregiving” [« Une occasion manquée : le rapport sur le soin éthique du Conseil du Président pour la bioéthique »], The American Journal of Bioethics 6:2 (2006), W20-23.
-
[34]
Taking Care [Prendre soin], p. 20.
-
[35]
Ibid., p. 47-48.
-
[36]
The Changing Moral Focus of newborn Screening [L’Évolution de la vision morale du dépistage néonatal], p. 106.
-
[37]
usccb, “Seven Key Themes of Catholic Social Teaching” [« Sept thèmes clés de l’enseignement social catholique »] disponible en ligne sur http://www.usccb.org/ sdwp/projects/socialteaching/excerpt.shtml.
-
[38]
“Editorial: Dignity is a Useless Concept” [« Éditorial : La dignité est un concept inutile »] bmj 327 (2003), 1419-1420.
-
[39]
Ibid.
-
[40]
Leslie A. Meltzer, “Book Review: Human Dignity and Bioethics: Essays Commissioned by the President’s Council on Bioethics” [« Critique littéraire : La dignité humaine et la bioéthique : Essais sollicités par le Conseil du Président pour la bioéthique »], The New England Journal of Medicine 359:6 (7 août 2008), 660.
-
[41]
Ibid.
-
[42]
“Diversity and Deliberation”, 313.
-
[43]
L. Kass, “Reflections on Public Bioethics: A View from the Trenches”, 224.
-
[44]
John Rawls, Political Liberalism [Libéralisme politique], New York, Columbia University Press, 1993, p. 217, 212-254.
-
[45]
Ibid., 224-25.
-
[46]
Voir à ce sujet : Denis Müller, « The Role and Influence of Religions in Bioethics », in Ronald L. Green, Aine Donovan et Steven A. Jauss (éd.), Global Bioethics: Issues of Conscience for the 21st Century, Oxford, Clarendon Press et Oxford University Press, 2008, p. 279-294.
-
[47]
Carson Strong, “Lost in Translation: Religious Arguments Made Secular”, The American Journal of Bioethics, 5:3 (2005), 31.
1À la mi-juin 2009, l’administration Obama a dissous le Conseil du Président des États-Unis pour la bioéthique (cpbe), un groupe qui avait été mis en place par le Président George W. Bush en août 2001 et dont les presque huit années d’existence ont été marquées du début à la fin par la polémique. Tandis que certains regretteront la disparition du cpbe, d’autres y verront une expérimentation ratée de bioéthique publique.
Les débuts
2La controverse autour du Conseil a commencé avant même son établissement effectif. Le Président Bush avait annoncé son intention de le créer, lors d’une déclaration nationale du 9 août 2001, au cours de laquelle il avait présenté une politique de subvention fédérale de la recherche sur les cellules souches. Le groupe a formellement vu le jour par un ordre exécutif présidentiel en novembre 2001 et a commencé aussitôt ses réunions publiques. Les événements se sont étrangement succédé. Plutôt que de commencer par former un Conseil pour l’aider sur cette question complexe, Bush était parvenu de lui-même à une position restrictive concernant la recherche sur les cellules souches, n’autorisant qu’un petit nombre de lignées cellulaires qui avaient déjà été créées à cette date et pour lesquelles, comme il le dit, « la décision de vie ou de mort a déjà été prise [1] ». Le Conseil a été créé pour donner des avis sur cette question et sur d’autres. Mais alors qu’une décision bioéthique clé était déjà prise, l’indépendance du Conseil – sa capacité, par exemple, à recommander une voie différente de celle du Président – a été remise en question dès le départ.
3Pour diriger le Conseil, Bush avait choisi Leon Kass, un médecin et chercheur ayant fait preuve de longue date de ses intérêts pour la bioéthique, et qui avait déjà été l’un des conseillers principaux du Président sur la politique des cellules souches. Les références de Kass comme bioéthicien conservateur étaient bien établies. Dans des écrits publiés dans les années 1970, il s’était opposé au développement de la fécondation in vitro, défendant la position selon laquelle elle pouvait menacer le mariage traditionnel, et remplacer le processus de « procréation » par un schéma de « fabrication [2] ». Son article “The Wisdom of Repugnance” [« La sagesse de la répugnance »], qui constituait une déclaration d’opposition à toute forme de clonage humain, a réitéré son inquiétude vis-à-vis des nouvelles technologies reproductives ou génétiques [3]. Bien que Kass ait, depuis, renoncé à son objection à la fiv, son travail à la tête du Conseil restera influencé par ce point de vue de l’impact négatif des biotechnologies sur le mariage traditionnel et les relations familiales.
4Le cpbe s’est inscrit dans une longue lignée de commissions nationales américaines sur la bioéthique qui, à des degrés variés, ont élaboré des politiques globales et nationales en biomédecine [4]. La National Commission for the Protection of Human Subjects of Biomedical and Behavioral Research, créée par le Congrès en 1974, a instauré les principales structures régulatrices qui gouvernent encore la recherche dans ce pays, dont l’important système de l’Institutional Review Boards. Au début des années 1980, la President’s Commission for the Study of Ethical Problems in Medicine and Biomedical and Behavioral Research, également créée par le Congrès, a continué d’établir les réglementations et les politiques pour la recherche sur les sujets humains ; elle a rédigé des rapports influents, dans lesquels la mort était précisément définie, et qui traitaient de questions telles que la décision de fin de vie et le génie génétique humain.
5De la fin des années 1970 au début des années 1990, des branches de l’exécutif telles que le U.S. Department of Health Education and Welfare ou le National Institute of Health (nih) ont mis en place une série de comités d’experts pour examiner les questions de reproduction ; mais ceux-ci, pris dans la tourmente grandissante des politiques américaines sur l’avortement, ont eu des carrières moins couronnées de succès que les premières commissions du Congrès. L’Ethics Advisory Board, formé en 1978, a recommandé le soutien fédéral à la recherche sur la fiv, mais ses recommandations ont été ignorées par l’administration Reagan nouvellement installée. En 1988, la commission Human Fetal Tissue Transplantation Research Panel, mise en place par un autre président républicain, George H. W. Bush, a soutenu la recherche sur la transplantation de tissus fœtaux, mais ses recommandations n’ont pas été acceptées par l’administration et n’ont été prises en compte qu’en janvier 1993, à la suite de l’élection de Bill Clinton. Le Human Embryo Research Panel du nih, dans lequel j’ai servi en 1994, était la première instance fédérale à recommander l’allocation de fonds gouvernementaux pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines, utilisant les embryons inutilisés par les procédures de fiv, mais ces recommandations ont été balayées par l’élection d’un Congrès républicain conservateur à mi-mandat en 1994. Un autre organisme présidentiel, le National Bioethics Advisory Board, mis en place par le Président Clinton, a commencé à travailler à la fin des années 1990. Revenant sur des problèmes éthiques liés à la recherche, il a composé des rapports respectés sur la recherche impliquant des personnes avec des désordres mentaux et la recherche impliquant des matériaux biologiques humains. Toutefois, ses recommandations privilégiant la recherche sur les cellules souches et le clonage thé-rapeutique n’ont pas pu venir à bout de l’opposition conservatrice du Congrès et ont été neutralisées par l’élection de George W. Bush en 2000.
Toutes ces commissions et ces comités, le cpbe compris, sont soumis au Federal Advisory Committee Act (FACA) de 1972, loi qui garantit que des groupes établis pour conseiller le gouvernement soient publiquement responsables. Les organismes du FACA ne peuvent faire que des recommandations au Congrès ou à l’exécutif qui les a mis en place ; ils ne peuvent pas être à l’initiative d’une politique. Ainsi que le précise la loi, de tels comités doivent être « justement équilibrés en termes de points de vue représentés et de fonctions exercées par le comité d’avis », et leurs procédures doivent « comporter des conditions appropriées pour assurer que leurs avis et leurs recommandations (…) ne seront pas influencés par l’autorité demandeuse ou par quelque intérêt particulier, mais seront le résultat d’un jugement indépendant du comité d’avis [5] ».
En réalité, aucun conseil consultatif fédéral ou presque n’est, à un certain degré, parvenu à se montrer à la hauteur de ce standard d’objectivité. Des critiques conservateurs ont accusé nombre de ces comités de dérives libérales, spécialement lorsqu’il s’agissait de questions controversées sur la reproduction, et toutes les commissions ont eu tendance à rédiger des rapports qui furent ensuite suivis par ceux qui les avaient mis en place, empêchant une pleine objectivité. Mais, indépendamment de cela, le manque d’objectivité du cpbe était frappant. Dès le départ, sa composition et son approche semblaient violer à la fois l’esprit et la lettre du Federal Advisory Committee Act.
Composition
6De par les membres qui le composaient, le cpbe a été initialement très orienté vers une politique conservatrice, qui reflète l’hostilité de son président aux valeurs du progrès scientifique et médical. Des dix-huit membres d’origine, seuls cinq avaient une expertise scientifique ou médicale et seuls trois étaient des chercheurs scientifiques biomédicaux en exer-cice. Au cours du travail du Conseil, les trois scientifiques ont souvent formé une minorité d’opposition contre les recommandations du Conseil. Huit des treize autres membres, éthiquement et politiquement orientés, dont Kass, étaient connus pour avoir pris des positions conservatrices sur la reproduction humaine et les questions génétiques, dont l’avortement. Cette inclination conservatrice de la commission était symbolisée par le choix de Kass de commencer la première rencontre du cpbe par une discussion sur la nouvelle de Nathaniel Hawthorne, The Birthmark [La Marque de naissance], une fable du xixe siècle dans laquelle un scientifique brillant épouse une femme dont l’extraordinaire beauté n’était gâchée que par une tache sur la joue. L’élimination de cette imperfection obsède le scientifique, jusqu’à ce que ses expériences causent finalement la mort de sa femme. Comme le note le médecin-commentateur Jerome Groopman, « utiliser la littérature pour prévenir contre la quête scientifique de la perfection est caractéristique de l’approche de Kass de la bioéthique [6] ».
7Selon des sources émanant des membres mêmes de la commission, il y eut des rumeurs suivant lesquelles la politique partisane avait joué un rôle significatif dans sa composition. Kass l’a nié, affirmant dans un article défendant le travail du Conseil, qu’« il n’y a eu aucune question politique ou idéologique préalable à la nomination au Conseil (…). Des dix-huit membres originaux, probablement sept ou huit n’ont pas voté pour le Président Bush, et personne ne le leur a demandé [7] ». Néanmoins, de fortes rumeurs ont laissé entendre que les membres pressentis s’étaient fait demander s’ils avaient voté pour George Bush. La scientifique Elizabeth Blackburn l’a confirmé lorsque, dans des commentaires publiés en 2007 dans le New York Times, décrivant sa nomination à la commission, elle a déclaré : « J’ai été personnellement interrogée par le bureau de la Maison Blanche. L’une des questions qui m’a été posée était : “Pour qui avezvous voté ?” [8] » Il est maintenant bien établi que, dans une rupture des pratiques des présidences précédentes, l’administration Bush se montrait zélée pour nommer des personnes idéologiquement sympathiques dans des agences qui auraient précédemment échappé à de telles interventions politiques. Il apparaît que le récit de Blackburn est ici plus proche de la vérité.
Pour beaucoup, la tendance partisane et idéologique de la commission a été soudainement confirmée en février 2004, lorsque, dans ce que la presse a décrit comme un « Massacre du vendredi après-midi », deux des « progressistes » au Conseil, l’éthicien William F. May et la biologiste moléculaire Blackburn, ont été informés que leurs services n’étaient plus nécessaires. May, un bioéthicien protestant renommé, et Blackburn, l’une des rares scientifiques « en activité » dans la commission, faisaient partie de la petite minorité (10-4) qui avait voté contre la recommandation du Conseil de juillet 2002, pour un moratoire du soutien fédéral à la recherche en clonage thérapeutique. Ces dissensions étaient apparemment inacceptables pour la Maison Blanche de Bush. Les deux progressistes ont été remplacés par Diana Schaub, une scientifique politique qui a décrit le clonage thérapeutique comme l’addition de l’esclavage et de l’avortement [9], et Peter Lawler, un philosophe politique conservateur [10]. Ces changements soudains ont renforcé le penchant conservateur du Conseil. En réaction, l’American Society for Cell Biology, une organisation à but non lucratif représentant plus de onze mille chercheurs biomédicaux aux États-Unis et dans quarante-cinq autres pays, a diffusé une déclaration protestant contre l’éviction du Conseil de Blackburn [11].
« Une bioéthique plus riche »
8Dès son origine, il était clair que le cpbe approcherait la bioéthique d’une autre manière que les commissions précédentes. Ces dernières étaient normalement nommées pour examiner une question ou un problème auquel le gouvernement fédéral et ses établissements médicaux et de recherche devaient faire face : comment la recherche sur les sujets humains devrait-elle être régulée, est-ce que le gouvernement devait soutenir financièrement la recherche sur les cellules souches, etc. Puisque le Président Bush avait déjà arrêté sa politique sur la plus pressante des questions biomédicales en date, la mission du cpbe couvrait donc un champ plus large. Il lui a été demandé de « conseiller le Président sur les questions de bioéthique qui pourraient apparaître comme une conséquence des avancées dans les sciences et technologies biomédicales », et sa mission incluait les données suivantes :
(1) prendre en charge des enquêtes fondamentales sur la signification humaine et morale des développements des sciences et technologies biomédicales et du comportement ; (2) explorer des questions éthiques et politiques spécifiques liées à ces développements ; (3) lancer un forum pour une discussion nationale sur les questions bioéthiques ; (4) faciliter une plus grande compréhension des questions bioéthiques ; et (5) explorer les possibilités d’une collaboration internationale utile sur les questions bioéthiques [12].
10Ce mandat large et cette mission de réflexion convenaient à Kass. Ce dernier aspirait à ce qu’il décrivait comme une « bioéthique plus riche », qui débattrait des « fins autant que des moyens » et qui « s’appliquerait en conscience à articuler le champ complet des biens humains que nous sommes désireux de promouvoir et de défendre [13] ». S’expliquant en 2004 sur le mandat du Conseil, Kass observait :
Nous sommes chargés d’abord, non de juger si l’acte « x » ou « y » est moral ou immoral, ou si la technologie « p » ou « q » devrait être subventionnée ou interdite. Nous sommes conviés à explorer les questions humaines les plus profondes afin d’articuler pleine-ment ce qui est humainement en jeu à l’intersection de la biologie et de la biographie, où la vie vécue concrètement rencontre les résultats de la vie étudiée scientifiquement. Cela signifie, par exemple, de se demander non seulement si la technique de clonage est sans danger, mais aussi ce que cela signifierait pour les relations intergénérationnelles si les enfants naissaient non de l’accouplement de deux personnes, mais de la réplication d’une seule, ou, pour la nature de la société, si la procréation devrait se tourner définitivement en direction de la manufacture… C’est un appel pour rendre à la bioéthique publique les préoccupations mêmes qui ont donné le jour à la matière, à la fin des années 1960 et au début des années 1970 : Où la biotechnologie nous mène-t-elle ? Qu’est-ce que cela signifie pour notre humanité ? Quel genre de personnes souhaitons-nous être, et vers quel genre de société souhaitons-nous aller [14] ?
12À première vue, cette conception du travail du Conseil est séduisante. Que pourrait-il y avoir de mal à ce que dix-huit sages se rassemblent pour réfléchir sur quelques-unes des questions les plus fondamentales de la vie et, avec l’aide de scientifiques, de philosophes et d’autres invités, pour accompagner le processus, appliquer ces réflexions fondamentales aux questions biomédicales qui se font jour ? Grâce aux délibérations publiques du Conseil, et au moyen d’articles, de publications et de rapports, Kass et les autres membres du Conseil espéraient remplir une fonction largement pédagogique – une sorte de séminaire national – et créer un corpus de réflexions vers lequel la nation pourrait se tourner pour être guidée sur certaines des questions les plus déroutantes que lui pose la technologie biomédicale. Kass a même refusé de considérer que le Conseil fût une réunion de bioéthiciens professionnels. Critiquant les experts de la bioéthique des commissions précédentes pour avoir « réduit les grandes questions humaines en bouillie inconsistante [15] », il s’est empressé de préciser que « le sien était un conseil sur la bioéthique et non un conseil de bioéthiciens [16] ».
13Cependant, ce qui aurait pu être en réalité une quête humaniste est devenu quelque chose d’assez différent. Libre du besoin de fournir des avis politiques concrets aux organismes faisant face à des problèmes pressants, le cpbe est devenu un forum pour les opposants, souvent sur des bases religieuses sectaires, à toutes les possibilités de la médecine reproductive et génétique moderne et, plus généralement, un forum de réfractaires opposés à la modernité.
14Mary Anderlik Mamjuder signale cette transformation dans son effort pour caractériser l’approche du Conseil. S’appuyant sur une expression que nous devons au bioéthicien Daniel Callahan, elle la décrit comme une bioéthique « prophétique ». La plupart des bioéthiques publiques, observe Mamjuder, ont été jusque-là des « bioéthiques régulatrices », comprises comme un « effort pour trouver un juste milieu entre partisans et opposants à certaines pratiques, et pour établir un consensus procédural qui tendrait à une régulation de cette pratique comme une alternative acceptable à son interdiction ou à son autorisation sans borne ». Au contraire, la « bioéthique prophétique » articulée par le cpbe tend vers une « critique de la médecine moderne, de ses pratiques et de ses valeurs [17] ».
La prophétie, bien sûr, n’est pas mauvaise en soi. Un pays comme les États-Unis, avec des dizaines de millions de citoyens manquant d’un accès adéquat aux soins, pourrait avoir besoin d’une critique pénétrante de son système de santé et de toutes ses priorités biomédicales. Mais ce n’est pas la direction prise par le cpbe. Aucun des rapports du Conseil n’examine les questions d’équité et de justice de la santé américaine. À la place, la critique s’est focalisée sur les technologies de reproduction, des pratiques ou des politiques disponibles, comme le suicide assisté, qui menace de modifier le statu quo médical. Si le cpbe représente une « bioéthique prophétique », il s’agit davantage d’une prophétie conservatrice, plus proche de l’opposition de divers fondamentalismes religieux à la modernité et à la transformation sociale, que de la prophétie classique d’un activisme social et d’un souci de justice.
Les rapports du Conseil
15Sous la direction de Kass, de la fin 2001 à la fin 2005, le Conseil a produit cinq rapports majeurs : Human Cloning and Human Dignity: An Ethical Inquiry [Clonage humain et dignité humaine : une enquête éthique] (juillet 2002) ; Beyond Therapy: Biotechnology and the Pursuit of Happiness [Au-delà de la thérapie : la biotechnologie et la poursuite du bonheur] (octobre 2003) ; Monitoring Stem Cell Research [Surveiller la recherche sur les cellules souches] (janvier 2004) ; Reproduction and Responsibility: The Regulation of New Biotechnologies [Reproduction et responsabilité : La régulation des nouvelles biotechnologies] (mars 2004) et Taking Care: Ethical Caregiving in Our Aging Society [Prendre soin : l’éthique de soins dans notre société vieillissante] (septembre 2005). En plus de ces rapports, le Conseil a publié un livre blanc, Alternative Sources of Human Pluripotent Stem Cells [Des sources alternatives de cellules souches pluripotentes humaines] (mai 2005), et Being Human [être humain] (décembre 2003), une collection d’exposés littéraires liés à la bioéthique. Tous ces rapports sont disponibles gratuitement en ligne [18].
16Le modèle de la prophétie conservatrice était clair dans le premier rapport, Human Cloning and Human Dignity. Dans un geste controversé, le rapport étendait largement ses inquiétudes sur le clonage reproductif humain au clonage dans la recherche biomédicale. (Le rapport rejetait fermement l’utilisation du terme « clonage thérapeutique » sur la base plutôt contestable que cette technologie n’avait pas encore produit de thérapie.) Alors que le clonage pour la recherche biomédicale ne mettait en aucun cas en danger le bien-être d’un quelconque enfant né, puisqu’il implique seulement la création de cellules souches à partir d’embryons clonés, le rapport argumentait que la manipulation et la destruction de l’embryon humain à un stade précoce pou-vaient remettre en cause le respect de la vie humaine [19]. Comme le note Kathleen Kaveny, le rapport semble présenter équitablement les arguments pour et contre le clonage pour la recherche biomédicale, mais, en fait, la structure rhétorique et la stratégie argumentaire pervertissent cette équilibre apparent, mettant en avant des inquiétudes plus spéculatives tout en minimisant les bénéfices. Une brève méditation sur le « sens humain du soin, dit Kaveny, affaiblit considérablement l’impératif du clonage pour la recherche biomédicale avant même qu’il ne soit réalisé. Par exemple, la réflexion met en exergue que la souffrance est inhérente à l’existence humaine, tout autant que la tâche de soulager la souffrance est une tâche imparfaite, qui ne devance pas toute autre considération ». D’un point de vue rhétorique, cette réflexion sabote l’insistance de ceux qui argumenteront dans les pages suivantes que le soulagement de la souffrance est une obligation morale prioritaire. Tout au long de ce chapitre – expressément consacré à plaider en faveur du clonage pour la recherche biomédicale –, peu de place est faite aux espoirs qu’offre une telle recherche, ou aux ravages causés par les maux qu’elle cible. D’un autre côté, la possibilité que la recherche fondée sur le clonage humain déshumanise l’embryon et désensibilise la société aux questions de la dignité humaine reçoit une considération vive et approfondie. Structurellement et rhétoriquement, l’argument en faveur du clonage pour la recherche biomédicale est donc enfermé dans une posture extrêmement fragile et défensive [20].
17Je pourrais ajouter que l’argument du rapport met en avant une autre caractéristique typique de presque tous les rapports du Conseil : une référence inavouée aux positions et arguments religieux. Cela se révèle dans l’évaluation de la souffrance comme phénomène humain édifiant, et dans la tendance à mettre l’accent sur le risque éthique de la manipulation et de la destruction des embryons humains. Les deux thèmes sont omniprésents dans les écrits biomédicaux conservateurs chrétiens, mais ils sont introduits sans mentionner leur provenance religieuse [21]. En ce qui concerne les embryons, le recours apparemment laïc aux conséquences sociales négatives de la manipulation d’embryons – le risque de réduire notre respect pour la vie humaine en général – admet le point de vue religieusement soutenu que les embryons et les fœtus sont moralement égaux à tous les êtres humains. Ce point de vue était celui de la quasi-majorité des membres du Conseil – et des sympathisants « pro-life » qui ont contribué à faire élire le Président Bush.
18La même prophétie conservatrice et des sous-entendus religieux imprègnent le rapport Beyond Therapy. Dans sa totalité, ce rapport est une critique de l’usage des moyens pharmaceutiques ou génétiques pour améliorer le fonctionnement ou la longévité humaine. Le rapport soulève néanmoins d’importantes questions : l’accès plus large à des drogues améliorant l’humeur ou les capacités intellectuelles incitera-t-il forcément à un usage manifeste par émulation collective ? Les parents devraient-ils miser sur la sécurité de leurs enfants en utilisant des technologies d’amélioration génétique, dans l’espoir de faire d’eux des enfants « plus que bien » ? Quelles seront les conséquences sociales et psychologiques de l’extension significative de la durée de la vie humaine ? Mais Beyond Therapy apporte à ces questions une approche qui reflète l’opposition implicite de son auteur à la recherche visant à toute forme d’amélioration biomédicale de l’Homme. Des titres de chapitre comme « Better Children » [« De meilleurs enfants] », « Ageless Bodies » [« Des corps sans âge »] et « Happy Souls » [Des âmes heureuses] le prouvent. Tandis que certains pourraient avoir envie d’utiliser la biomédecine pour atteindre l’immortalité personnelle, la plupart des recherches sur le prolongement de la vie résultent de l’effort pour comprendre le processus du vieillissement humain dans le but d’arrêter ou d’inverser les nombreuses maladies qui altèrent le fonctionnement des personnes âgées. Le rapport dénature cette recherche, la présentant comme une quête pour des « corps sans âge ».
19De plus, la structure argumentaire et la rhétorique du rapport conduisent à nouveau la discussion dans une direction conservatrice. Par exemple, à un moment, le rapport identifie une série d’inquiétudes que l’extension significative de la durée de vie pourrait poser :
Les fils pourraient ne plus surpasser leurs pères en vigueur au moment où ils se préparent à devenir des pères eux-mêmes. Ainsi, la génération mûre pourrait ne pas avoir de raison évidente de laisser la place à la suivante tandis que les années passent. La succession des générations pourrait être bloquée par un excès d’actifs. Les anciens pourraient moins penser à préparer leur remplacement, et les jeunes pourraient ne voir devant eux que des couches de leurs aînés bloquant leur chemin, et aucune raison valable de se presser à fonder des familles ou à embrasser des carrières – restant, du point de vue fonctionnel, de « jeunes adultes » immatures pour des décennies, ni désireux ni capables de se mettre à la place de leurs pères et mères [22].
21Mais alors que toutes ces inquiétudes sont légitimes, le rapport n’essaie jamais d’appliquer la même logique à l’augmentation substantielle de la longévité qu’ont connue les pays les plus développés au cours des deux derniers siècles [23]. Ces augmentations ont aussi altéré les relations générationnelles et beaucoup de réalités sociales, mais ni les auteurs de Beyond Therapy, ni personne d’autre ne suggère que nous devrions abandonner les avancées qui les ont rendues possibles.
22Lorsqu’ils ont soutenu la possibilité d’améliorer la biologie humaine (incluant les améliorations génétiques), les philosophes d’Oxford Nick Bostrom et Toby Ord ont proposé un test conceptuel pour déterminer le moment où notre pensée est biaisée de façon déraisonnable par le statu quo. Ils appellent ce moment le « reversal test » [test d’inversion] :
Lorsqu’une proposition de changer un paramètre est soupçonnée d’avoir de mauvaises conséquences générales, considérons une modification du même paramètre dans la direction opposée. Si cette dernière est également susceptible d’avoir de mauvaises conséquences générales, ceux qui sont arrivés à ces conclusions sont dans l’obligation d’expliquer la raison pour laquelle cette position ne peut pas être améliorée par les changements de paramètre. S’ils en sont incapables, nous avons alors des raisons de suspecter qu’ils souffrent d’un parti pris de statu quo [24].
24L’ensemble des conjectures du rapport relatif aux effets négatifs de l’amélioration de la longévité ne réussit pas à passer ce test. Plus grave, le rapport n’essaie même pas de l’appliquer. Il n’examine jamais la valeur des réussites de la médecine. Cela nous montre que les inquiétudes qu’il véhicule ne sont pas tant l’expression d’un effort sincère et délibéré de comprendre les risques et les bénéfices d’une amélioration humaine, que la composante d’une stratégie rhétorique visant à installer la peur des changements dans le statu quo.
25Beyond Therapy manifeste également le même recours voilé aux perspectives religieuses que j’ai déjà signalées plus haut dans le mode de travail du Conseil. C’est peut-être la chose la plus évidente dans le traitement des améliorations génétiques des enfants. Ici, le rapport s’inquiète continuellement de l’impact du contrôle des parents sur les caractères génétiques de leur enfant, sur l’enfant lui-même et sur sa relation avec eux :
Avec le dépistage génétique, la procréation commence à présenter certains aspects de l’idée – voire de la pratique – de manufacture, de fabrication d’un produit selon un standard défini. Le parent – en partenariat avec le médecin de fiv ou le conseiller génétique – devient, dans une certaine mesure, le maître du destin de l’enfant dans une proportion sans précédent. Cela pose la question de ce que peut signifier pour un enfant de vivre avec un génotype choisi : il peut être reconnaissant envers ses parents qui se sont donné tout ce mal pour lui épargner le fardeau de divers défauts génétiques ; mais il pourrait aussi avoir à gérer le sentiment qu’il n’est pas seulement un don né de l’amour de ses parents, mais aussi, d’un certain côté, un produit de leur volonté [25].
27Normalement, là où il y a un don, il y a un donneur. Ce langage suggère donc directement une source religieuse. Cette impression est renforcée lorsque nous voyons que des arguments similaires ressortent des écrits de Gilbert Meilaender, un éthicien religieux protestant et membre du Conseil dont les opinions, avec celles de Kass, ont grandement influencé les écrits de celui-ci sur la reproduction [26]. On pourrait objecter que le langage utilisé au sujet des enfants en tant que « don » ne relève pas tant de la théologie que de l’expression de l’idéal psychologique et moral de la parenté humaine. Voir l’enfant comme un « don » revient simplement à l’accepter comme il est. D’autres membres du Conseil, comme le philosophe politique Michael Sandel, ont employé le même langage sans référence religieuse évidente [27]. Mais cette lecture occulte la portée réelle de ce langage. Prises comme une vision idéalisée de l’éducation des enfants, ces déclarations ne tiennent pas, et ne sont pas convaincantes. Après tout, des parents sont rarement passifs vis-à-vis des traits naturels d’un enfant. Ils tentent couramment de changer ou d’améliorer les qualités de leurs enfants grâce à des interventions biomédicales comme l’orthodontie, ou grâce à une éducation particulière et des programmes athlétiques. Pourquoi et en quoi le rôle des parents par leurs efforts pour améliorer l’héritage génétique d’un enfant est-il différent ? Pourquoi les interventions génétiques font-elles davantage de l’enfant « un produit de la volonté des parents » que la myriade des autres moyens à leur disposition pour tenter de le former ? Il y a également de nombreuses personnes qui utilisent des technologies génétiques de diagnostic prénatal pour éviter la naissance d’un fœtus porteur d’une sévère anomalie congénitale. N’est-ce pas là une répudiation du « don » que l’enfant représente ?
28Il n’y a aucun doute que les rédacteurs de Beyond Therapy pourraient tenter de répondre à ces questions et défendre leur position. D’autres pourraient réfuter ces arguments. Mais cela néglige un point plus profond : ces déclarations ne sont pas fondées en premier lieu sur des bases morales au sujet de l’éducation appropriée des enfants. Elles sont plutôt des affirmations religieuses qui se basent sur une théologie de la sexualité et de la reproduction humaine : une version sexualisée du concept chrétien, et spécifiquement protestant, de la justification de la foi par la grâce. Les êtres humains ne se justifient pas devant Dieu par leurs œuvres, dont l’expression mène à une fière affirmation de soi, mais par l’acceptation reconnaissante de l’offre gracieuse par Dieu de la rédemption. Dans la théologie du rapport du Conseil, l’enfant devient le symbole de ces dynamiques. Nous sommes judicieusement liés à Dieu comme créatures lorsque nous acceptons nos enfants comme des dons gratuits, dont la présence et la nature sont au-delà de notre contrôle. Le contraire, l’introduction de nos volontés dans le processus (« manufacture » ou « production », selon les mots du Conseil, par opposition à « engendrement »), incarne la fierté humaine et a les conséquences prophétiquement prévisibles de la destruction personnelle et sociale. (Il est intéressant de noter que le symbole de Nicée revendique que l’unique relation entre Dieu et le Christ est décrite comme « engendrée et non faite ».) Dans la pensée du membre du Conseil Gilbert Meilaender, la gêne provoquée par le contrôle humain de la reproduction et la forte préférence pour l’acceptation reconnaissante des initiatives de Dieu prennent même la forme d’une opposition à l’usage de diagnostic prénatal pour éviter la naissance d’un enfant souffrant de maux génétiques sévères [28]. Cette position, renforcée par l’opposition à l’avortement fondée sur les convictions religieuses de Meilaender et de beaucoup d’autres membres, imprègne les écrits du Conseil sur les choix reproductifs.
29Deux autres rapports du Conseil, Reproduction and Regulation et Taking Care, répètent ces stratégies rhétoriques et la dépendance vis-à-vis de vues religieuses implicites. Ils sont aussi la preuve du penchant singulièrement conservateur de la position prophétique du Conseil et de son manque d’intérêt pour les problèmes plus généraux de justice. Reproduction and Regulation était un effort du Conseil pour examiner les nombreuses questions éthiques soulevées par les technologies de reproduction assistées (tras). Dès le début du travail sur ce rapport, beaucoup de patients et de médecins de la fiv craignaient que le Conseil, répondant à la base conservatrice du Président, ne recommandât une législation limitant le nombre d’embryons pouvant être créés pour la fiv (comme l’Italie l’avait fait sous l’influence de la pression religieuse), ou restreignant autrement les manipulations embryonnaires au détriment du succès clinique. Finalement, en réponse au lobbying substantiel des groupes de soutien à la médecine de l’infertilité, le Conseil n’a pas choisi cette direction, recommandant seulement une meilleure surveillance des résultats des tras, et exigeant la prohibition de certaines possibilités extrêmes, telle la création de chimères animal-humain. Le rapport consacre également des efforts importants à la critique de la nature dérégulée de l’industrie de l’infertilité aux États-Unis. Il remet en cause le transfert d’embryons en nombre pour assurer une grossesse, une pratique qui a abouti à une importante augmentation des naissances multiples médicalement dangereuses dans ce pays, et il critique l’introduction de nouvelles technologies, telle que l’injection de sperme intra-cytoplasmique (ICSI) sans la recherche animale adéquate préalable pour tester leur sécurité.
30Ce sont des critiques raisonnables. Mais, comme je l’ai observé ailleurs [29], ce n’est pas tant les questions sur les pratiques du tra qui sont dignes d’êtres relevées, que ce qu’il oublie de mentionner ou même d’envisager : l’abandon pendant trente ans par le gouvernement fédéral de tout soutien à la recherche ou d’une supervision éthique de la médecine reproductive. Malgré le fait que près de cinq cents cliniques américaines pratiquent la médecine de l’infertilité et que des centaines de milliers d’enfants sont nés des procédés de tra, quasiment rien n’a été dépensé pour essayer d’améliorer la sécurité ou l’efficacité de ces procédures. Cette négligence est le résultat de près de trente ans d’opposition conservatrice et religieuse à toute recherche impliquant des embryons humains, parfois inspirée par les premiers écrits de Kass [30]. Dans le secteur privé, les effets négatifs de cet abandon ont été accentués par l’absence de couverture d’assurance pour l’infertilité, obligeant les cliniques privées à financer la recherche sur l’infertilité avec les seuls dollars des patients [31].
Considérant ce passif, se plaindre, comme le fait le cpbe, que les procédés de tra sont introduits avec peu de recherche sur leur sécurité est trompeur. Si le gouvernement fédéral avait depuis longtemps abandonné la recherche sur le cancer, pourrions-nous blâmer les patients qui s’accrocheraient au moindre espoir pour des soins, y compris ceux qui mettraient leur vie en danger ? Pourrions-nous blâmer les cliniciens d’introduire des traitements risqués ou douteux dans le but d’aider des patients désespérés ? Reproduction and Regulation oublie complètement de mentionner l’abandon de la recherche comme une cause de nos difficultés actuelles. Même si la détresse et l’abandon des personnes stériles ne sont peut-être pas les principaux problèmes de justice sociale du système de soin américain, ce point devrait susciter l’attention des bioéthiciens. De plus, c’est un problème lié aux autres problèmes mentionnés par le rapport du Conseil, comme l’incidence des naissances multiples, largement causée par le fait que des couples payant des prix exorbitants pour la fiv sont prêts à tout pour garantir une naissance. Il est bon de noter que les pays européens qui ont pris des mesures pour réduire l’incidence des naissances multiples, en établissant des procédures de transfert d’un seul embryon, sont aussi ceux qui financent les procédures de fiv grâce à leur système d’assurance sociale. Ainsi la régulation va de pair avec l’aide sociale [32]. Le rapport du cpbe, au contraire, illustre une mentalité qui essaierait de réduire les options des tras, tout en ignorant la détresse de ceux qui souffrent de stérilité.
Taking Care révèle le même oubli des questions plus larges de justice sociale. Le rapport a plusieurs objectifs. Un d’entre eux est de noter la valeur limitée des « directives anticipées » comme une réponse aux défis grandissants des dépendances et maladies liées à l’âge. Un autre objectif est la condamnation des alternatives à l’euthanasie et au suicide assisté. En effet, comme l’a noté Lisa Eckenwiller [33], la date de la sortie du rapport, le 28 septembre 2005, est significative. À ce moment-là, la Cour suprême des États-Unis se préparait à entendre les parties du cas Gonzalez v. Oregon par lequel l’administration Bush cherchait, sans succès, à faire annuler la loi de l’État de l’Oregon permettant le suicide médicalement assisté. L’Oregon et Washington sont les seuls États américains qui ont décriminalisé le suicide médicalement assisté. Depuis leur entrée en vigueur, ces initiatives ont été la cible d’attaques par les groupes évangéliques protestants et l’Église catholique romaine. L’entrée du Conseil dans ce débat renforce l’affirmation qu’il a assumé le rôle de prophète conservateur, s’opposant aux politiques impliquant des innovations biomédicales et bioéthiques.
Quelle est donc la solution du rapport aux problèmes grandissants associés à l’administration de soins et aux prises de décisions médicales pour les personnes âgées ? En s’inspirant de l’éthique de la vertu, il s’agit principalement d’un appel à une plus grande humanité et une plus grande compassion. « Le besoin grandissant d’administration de soins, dit le rapport, testera notre force de caractère et notre compréhension de nous-mêmes, requérant la mise de coté de notre intérêt personnel afin de s’occuper de ceux qui ne peuvent plus s’occuper d’eux-mêmes [34]. » Il poursuit :
Comme l’observe Eckenwiller, il y a ici une critique implicite des transformations sociales dans la famille, notamment l’entrée des femmes sur le marché du travail, qui a rendu de plus en plus difficile pour les familles le fait de s’occuper des personnes âgées dépendantes. La solution principale du Conseil est un retour à des valeurs anciennes. Il est encore plus significatif que le rapport néglige presque totalement le besoin d’un soutien social plus grand aux personnes âgées et dépendantes dans cet environnement en mutation. Elle illustre le problème par une série de questions :Nous aurons des décisions difficiles à prendre entre deux biens concurrents […] [et] à éviter deux crises : […] le danger que certaines personnes âgées soient abandonnées et la transformation totale de l’administration de soins en travail, créant une situation dans laquelle les besoins physiques fondamentaux sont efficacement fournis par les « travailleurs », mais où leurs besoins humains et spirituels plus profonds sont largement ignorés, car ceux qui ont les liens les plus forts en sont incapables ou ne veulent pas les accompagner [35].
Je pourrais continuer à illustrer ainsi, rapport après rapport, les nombreux éléments à remettre moralement en cause dans le travail du Conseil et ses valeurs sous-entendues : le scepticisme à propos de la valeur des avancées biomédicales ; la préférence pour le statu quo ; un penchant pour les valeurs religieuses traditionalistes, et le recours souvent inavoué à des concepts éthico-religieux ; la persistante objection à toute remise en question du caractère sacré de la vie humaine prénatale ou à l’avis de l’individu sur sa propre décision de fin de vie. Je pense avoir suggéré que les expressions de ces éléments ne sont pas de simples accidents dans l’un ou l’autre de ces documents, mais une part fondamentale de la bioéthique prophétique et conservatrice qui a marqué, dès son origine, le Conseil de Kass.Où sont les discussions sur les réformes sociales et économiques qui pourraient soutenir les travailleurs sociaux et les personnes âgées dépendantes ? Où en est la considération des réformes des lieux de travail et celle des politiques cohérentes de congés pour raisons familiales ? Où en est l’exploration des stratégies de soutien – financier ou autre – de ceux qui resteront à domicile pour administrer des soins à plein temps ? Ce qui rendrait les bons soins possibles, et plus fondamentalement, selon la position présentée ici, c’est « la définition et l’acquisition du caractère de soigneur si indispensable à la tâche… » (p. 149).
Le conseil Pellegrino
31À la fin de 2005, Leon Kass a quitté sa place de directeur du Conseil (mais est resté membre de cette instance). Il a été remplacé par Edmund D. Pellegrino, un clinicien et bioéthicien éminent qui a, entre autres, fondé le Center for Clinical Bioethics à l’Université de Georgetown et a été président de la Catholic University of America. Bien que clairement impliqué dans les valeurs fondamentalement catholiques en bioéthique, dont l’opposition à l’avortement et à toute forme d’euthanasie active, son implication de longue date dans les soins cliniques l’a rendu moins indulgent vis-à-vis des critiques du système médical et de l’amélioration des soins qui marquent la prophétie conservatrice de Kass. Dans la période placée sous la direction de Pellegrino, le Conseil a publié deux rapports : un Livre blanc Controversies in the Determination of Death [Controverses sur la caractérisation de la mort] (décembre 2008) et The Changing Moral Focus of Newborn Screening [L’Évolution de la vision morale du dépistage néonatal] (décembre 2008), et une série d’essais, Human Dignity and Bioethics [Dignité humaine et bioéthique] (mars 2008). Les deux rapports sont notablement moins tendancieux que les précédents. Ils traitent des sujets qui ne sont pas représentatifs de la division de notre culture bioéthique. Les positions sur des questions comme la caractérisation de la mort ou l’extension du dépistage anténatal ne correspondent pas clairement avec celles qui marquent nos débats éthico-religieux.
32Cela ne veut pas dire pour autant que la tendance conservatrice de l’approche du Conseil ait été abandonnée. Le rapport sur le dépistage anténatal en est un exemple. Inquiet de la stigmatisation des enfants identifiés comme souffrant d’une maladie pour laquelle aucun traitement n’est encore disponible et de l’impact en résultant sur la vie de famille, le rapport prend position contre l’extension du dépistage à ce stade. C’est une position opposée à celle de beaucoup de groupes médicaux progressistes, notamment l’American College of Medical Genetics et l’American Academy of Pediatrics. Ces groupes notent que les avancées en matière de technologie de dépistage multiplex facilitent maintenant l’identification précoce de nombreux états liés ou potentiellement liés à des maladies, rendant disponibles de nombreuses données pour la recherche et pouvant épargner aux parents une angoisse du type « odyssée du diagnostic » lorsqu’un enfant présente plus tard les signes d’une maladie qui aurait pu être signalée à la naissance. Contre ces positions, le rapport du Conseil est d’avis que nous ne suc-combions pas aux « impératifs technologiques » qui menacent les valeurs humaines [36].
33La publication la plus controversée de la commission Pellegrino est sa collection d’essais Human Dignity and Bioethics. Le terme « dignité » est devenu une pomme de discorde dans la bioéthique contemporaine. Pour beaucoup, le concept a été coopté par les porte-parole religieux conservateurs qui l’utilisent comme un substitut d’apparence laïque au terme « sainteté », plus religieusement connoté. Ainsi, le Catéchisme de l’Église catholique utilise le terme plus de cent fois, souvent en connexion avec son opposition à l’avortement et à l’euthanasie. La Conférence des évêques américains considère « la dignité de la personne humaine » comme le premier de ses « sept thèmes clés de l’enseignement social catholique », et l’estime « directement attaquée » par les partisans de l’avortement, de l’euthanasie, du clonage et de la recherche sur les cellules souches embryonnaires [37]. Dans l’autre camp, certains avocats du suicide médicalement assisté ou de formes d’euthanasie ont utilisé le terme pour soutenir leur cause, parlant de « mort dans la dignité ». Nous avons vu aussi que le cpbe utilise fréquemment ce terme, comme dans son rapport inaugural Human Cloning and Human Dignity, pour soutenir sa position contre les formes de manipulation génétiques humaines et les interventions sur la reproduction.
34Dans un éditorial du British Medical Journal largement cité, la bioéthicienne américaine Ruth Macklin conteste l’introduction même du terme « dignité » dans le langage de la bioéthique [38]. Examinant les usages variés du terme dans les principaux documents de bioéthique, dont la Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine du Conseil de l’Europe, Macklin conclut que « l’appel à la dignité est soit une vague reformulation d’autres notions plus précises, soit un simple slogan qui n’apporte rien à la compréhension du sujet ». Elle ajoute, dans la convention du Conseil de l’Europe et d’autres documents : « le mot “dignité” semble n’avoir pas de sens audelà de ce qui est impliqué dans le principe de l’éthique médicale du respect des personnes : le besoin d’obtenir un consentement volontaire et informé ; la nécessité de protéger la confidentialité ; et le besoin d’éviter la discrimination et les pratiques abusives [39] ».
La plupart des auteurs contribuant à Human Dignity and Bioethics sont totalement en désaccord avec cet avis. Alors que dans ce recueil sont publiés un petit nombre d’écrivains qui partagent le scepticisme de Macklin sur l’usage de « dignité » en bioéthique, l’écrasante majorité des contributeurs du volume – selon mon estimation, douze des dix-huit rédacteurs – voient de la valeur dans le concept, et cherchent à le défendre. De façon remarquable, Macklin elle-même est absente. Dans une critique piquante du volume parue dans The New England Journal of Medicine, l’avocate et bioéthicienne Leslie Meltzer note ce déséquilibre d’approches, observant à propos des essais que « plus de la moitié sont écrits par des auteurs qui, soit travaillent pour des institutions chrétiennes, soit s’identifient comme membres de l’Église catholique. Plus d’un tiers des auteurs ont publié des articles dans des journaux néoconservateurs ou sont membres de “think tank” néoconservateurs [40] ». La déception de Melzer va plus loin : « Nous pourrions imaginer que ces auteurs – qui croient que la dignité est un attribut de tout être humain – concluent logiquement que la dignité requiert également que la société soulage la famine, apporte l’éducation et l’accès universel aux soins. » Mais ce n’est pas le sens de leurs arguments. Au lieu de cela, la dignité est déployée « comme un arrêt moral pour réprimer les activités qui ont, de longue date, troublé les néoconservateurs et les adhérents aux positions judéo-chrétiennes : l’avortement, la recherche sur les embryons, le clonage, la recherche sur les cellules souches, le suicide assisté et les améliorations humaines [41] ».
Cette critique nous montre que la Commission Pellegrino, bien que sans doute moins ouvertement aux mains de la « prophétie conservatrice », est perçue comme ayant continué dans la direction idéologique du Conseil de Kass. Peu de personnes furent donc surprises par la décision de l’administration Obama de mettre fin au Conseil. Avec nombre d’autres reliques du régime Bush, le cpbe a disparu sans fanfare ni grande expression publique de regret.
Les leçons apprises
35Tout le monde ne sera pas d’accord avec mon compte rendu de l’historique du cpbe. Certains diront que j’ai été trop dur ; d’autres que plus de critiques auraient pu être faites. Ce débat continuera. L’important, néanmoins, est de tirer les leçons de cette récente et, d’une certaine manière, singulière expérience de commission publique de bioéthique. Comme nous l’avons vu, dans sa composition et sa conduite le cpbe représentait un changement par rapport au schéma établi par la plupart des commissions bioéthiques américaines précédentes. En présumant que l’administration Obama cherchera à remplacer le cpbe par une nouvelle commission, il est maintenant temps de faire un bilan. Qu’avons-nous appris, pour la bioéthique publique aux États-Unis ou ailleurs, de ces huit ans d’existence du cpbe ? Voici quelques tentatives de réponses sous forme de recommandations à Obama et à d’autres dirigeants politiques dans sa position.
Leçon 1 : s’efforcer d’assurer une authentique diversité et un équilibre dans l’effectif
36Dès le début, le cpbe était probablement trop déséquilibré dans des domaines clés pour gagner le respect de la communauté biomédicale et bioéthique. Un problème évident a été le manque de chercheurs scientifiques et de cliniciens en activité, soit des personnes engagées sur le front de la recherche et des soins cliniques. Sans de tels membres, une commission bioéthique ne peut pas recevoir l’audience dont elle a besoin dans les communautés concernées. Plus important : elle manquerait de l’expertise nécessaire pour traiter avec succès des questions et problèmes émergents. Kathleen Kaveny l’exprime bien lors-qu’elle dit qu’une commission nationale de bioéthique a besoin avant tout d’une « diversité épistémologique [42] ».
Il est également vrai que des efforts doivent être faits pour éviter le genre de déséquilibre idéologique qui a marqué le travail du cpbe. On ne peut pas exiger une objectivité absolue. Naturellement, les administrations politiques libérales nommeront des directions et des membres du conseil qui tendent vers leurs positions ; les administrations conservatrices feront de même. Mais un effort doit toujours être fait pour atteindre un équilibre ; ce pourrait être le cas en nommant une majorité de membres centristes dont l’intégrité et la compétence imposent le respect de toutes les parties pour les recommandations de la commission. Dans le cadre du cpbe, William May, éthicien et bioéthicien estimé, est une personne de cette trempe. La décision prise unilatéralement par la Maison Blanche de ne pas renouveler son mandat a été l’une des plus regrettables de l’administration Bush.
Leçon 2 : se concentrer sur des avis réglementaires liés à des questions spécifiques et pressantes
37Nous avons vu que la tâche du cpbe était très large. Elle incluait des « enquêtes fondamentales sur la signification humaine et morale des développements biomédicaux et des sciences et technologies du comportement [43] ». Leon Kass y a vu une occasion de se lancer dans des examens sur l’orientation épistémologique de la médecine et de la recherche biomédicale, à la façon d’un séminaire. Mais une commission nationale n’est pas le lieu pour de telles explorations. Tous les pays possèdent de nombreux « think-tanks » biomédicaux et bioéthiques, ainsi que des publications où de telles enquêtes générales peuvent être menées. Lorsque les réponses à de telles explorations s’appliquent à des questions publiques urgentes – Comment devrionsnous définir la mort ? Quel est le statut moral de l’embryon précoce ? Comment devrions-nous conduire le dépistage anténatal ? –, ces réflexions plus vastes peuvent, certes, entrer en considération en tant qu’éléments des rapports et témoignages commandés et liés à la question réglementaire spécifique. Mais il est inapproprié de leur consacrer les principales délibérations et les principaux rapports. Cela encourage à tort les spéculations et prises de positions idéologiques, sans relation avec les besoins pratiques immédiats. Le système législatif américain interdit à la branche judiciaire de considérer les affaires politiques non liées à un contentieux en instance et aux plaintes des plaideurs réels. Cette discipline saine devrait s’appliquer, mutatis mutandis, au travail des commissions nationales de bioéthique.
Leçon 3 : s’efforcer de confiner le discours de la commission dans les frontières de la « Raison publique »
38Le philosophe John Rawls a introduit le concept de « raison publique » dans la compréhension du discours sur les questions de politique et de justice sociale [44]. Selon la position de Rawls, les citoyens ont comme « devoir citoyen » de définir les principes et les politiques qu’ils défendent en termes de considérations qui peuvent faire appel au bien commun de tous – raisons publiques – plutôt qu’à la philosophie privée, morale, ou aux valeurs religieuses qu’ils soutiennent [45]. Cela ne signifie pas que ceux qui s’engagent dans le discours public doivent ignorer les perspectives religieuses et métaphysiques qui les nourrissent. Non seulement c’est impossible, mais dans le contexte de l’histoire des États-Unis, une telle demande aurait exclu les participants motivés par la religion à nos débats publics sur l’esclavage, les droits des femmes ou les droits civils [46]. En revanche, cela signifie que le respect des autres nécessite de mettre de côté tous les arguments qui dépendent de propositions de foi non partagées par ceux-ci, et d’avoir la volonté – ainsi que l’honnête disposition – de redéfinir ces arguments en termes d’impact évident sur le bien-être de tous. Si l’on ne peut pas le faire, on doit mettre de côté ces inquiétudes et réserver leurs applications à la seule sphère de sa propre vie privée.
39Dans le cas du cpbe, nous avons assisté à une parodie de cette procédure. Plutôt qu’un effort de bonne foi pour transformer des positions fondées sur la religion en raisons publiquement accessibles, ces positions étaient présentées comme laïques, sans mention de leur inspiration religieuse. Selon les mots de Carson, des arguments religieux forts apparaissent « sous le masque de la laïcité [47] ». Ainsi, il était prétendu qu’un enfant devait être considéré comme un « don », avec toute la force religieuse/émotionnelle de ce terme, mais l’exploration critique rigoureuse des implications morales de cette idée était ignorée.
La frontière est ici subtile. Il est difficile de respecter et de reconnaître l’inspiration religieuse des convictions morales, tout en demandant que chacun traduise ses inquiétudes dans un langage éthique accessible à tous. Néanmoins, il est crucial pour la conduite et le succès des commissions publiques que cette discipline soit respectée. Autrement, les recommandations d’une commission sont perçues comme des contraintes plutôt que comme un effort authentique pour servir le bien public. C’est ce dont le civisme, dans une démocratie pluraliste, a besoin. Le fait que le cpbe n’ait pas réussi à respecter cette exigence, que sa direction et ses membres aient trop souvent cherché à imposer leurs convictions personnelles concernant l’intérêt commun, est le plus grand échec du Conseil.
Notes
-
[1]
George W. Bush, “President’s Statement on Funding Stem Cell Research,” [« Déclaration du Président sur le financement de la recherche sur les cellules souches »], New York Times, 9 août 2001.
-
[2]
Special Article: “Babies by Means of In Vitro Fertilization: Unethical Experiments on the Unborn” [Article spécial : « Des bébés au moyen de la Fécondation in vitro : expériences non éthiques sur l’enfant à naître »], New England Journal of Medicine 285:21 (1974), p. 1174-1179.
-
[3]
Leon R. Kass, “The Wisdom of Repugnance” [« La sagesse de la répugnance »], The New Republic (2 juin 1997), p. 17-26.
-
[4]
Le lecteur trouvera une liste de ces commissions et de leurs publications sur le site web du cpbe: http://www.bioethics.gov/reports/pastscommissions/index.html.
-
[5]
Federal Advisory Committee Act, 5 U.S.C., & 5 (b) (2) and (3).
-
[6]
Jerome Groopman, “Comment: Science Fiction” [« Commentaire : la science-fiction »] The New Yorker, 4 février 2002, p. 23.
-
[7]
“Reflections on Public Bioethics: A View from the Trenches” [« Réflexions sur la bioéthique : une vue depuis les tranchées »], Kennedy Institute of Ethics Journal 15:3 (2005), 221.
-
[8]
Claudia Dreifus, “A Conversation with Elizabeth H. Blackburn: Finding Clues to Aging in the Fraying Tips of Chromosomes”, [« Une conversation avec Elizabeth H. Blackburn : trouver des indices sur le vieillissement dans les ficelles des chromosomes »], New York Times, 3 juillet 2007.
-
[9]
Diana Schaub, “Slavery Plus Abortion” [« Esclavage plus avortement »], The Public Interest, hiver 2003. Disponible en ligne sur http://www.thenewatlantis.com/publications/slavery-plus-abortion.
-
[10]
Une troisième nomination, nécessaire pour atteindre l’effectif complet de dix-huit membres après le départ volontaire d’un autre membre originel, Benjamin Carson, neurochirurgien pédiatre de l’Université Johns Hopkins, clinicien en activité qui se décrit comme un chrétien engagé et membre de la Seventh Day Adventist Church.
-
[11]
“Cell Biologists Oppose Bush’s Removal of Scientist from Bioethics Council” [« Des biologistes cellulaires s’opposent au renvoi d’une scientifique du Conseil bioéthique »] ScienceBlog, 1er mars 2004. Disponible en ligne sur http://www.scienceblog.com/ cms/node/2384.
-
[12]
L. Kass, “Reflections on Public Bioethics: A View from the Trenches” [« Réflexions sur la bioéthique : une vue depuis les tranchées »], p. 224.
-
[13]
Ibid., p. 225.
-
[14]
Ibid., p. 224 s.
-
[15]
“The Wisdom of Repugnance”, p. 18.
-
[16]
Cité dans M. Cathleen Kaveny, “Diversity and Deliberation: Bioethics Commissions and Moral Reasoning” [« Diversité et délibération : les commissions bioéthiques et la réflexion morale »], Journal of Religious Ethics 34:2 (2006), 320, n. 17. Cette remarque en préface n’apparaît plus dans la version publiée en ligne de Human Cloning and Human Dignity [Clonage humain et dignité humaine].
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[17]
Mary Anderlik Mamjuder, “Respecting Difference and Moving Beyond Regulation: Tasks for U. S. Bioethics Commissions in the Twenty-First Century” [« Respecter la différence et aller au-delà de la régulation : des tâches pour les commissions bioéthiques américaines au xxie siècle »], Kennedy Institute of Ethics Journal 15:3 (2005), 296.
-
[18]
Sur http://www.bioethics.gov/reports/
-
[19]
Human Cloning and Human Dignity, p. 134, 157, 174.
-
[20]
“Diversity and Deliberation”, p. 321.
-
[21]
Pour une discussion plus complète de l’usage d’arguments sur la valeur de la souffrance dans certaines bioéthiques chrétiennes, se reporter à mon article : “Christian Ethics: A Jewish Perspective” [« L’éthique chrétienne : un point de vue juif »], dans Robin GILL (ed.), The Cambridge Companion to Christian Ethics, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 138-153.
-
[22]
Beyond Therapy [Au-delà de la thérapie], p. 194 s.
-
[23]
Le Conseil était au courant de ces faits. Son rapport, Taking Care (p. 6), note que durant le dernier siècle, l’espérance de vie moyenne d’un Américain à la naissance est montée de 47 ans en 1900 à 77 ans en 2000, et progresse encore.
-
[24]
Nick Bostrom et Toby Ord, “The Reversal Test: Eliminating Status Quo Bias in Applied Ethics” [« Le test d’inversion : éliminer le parti pris du statu quo dans l’éthique appliquée »], Ethics 116 (juillet 2006), 656-679, disponible en ligne sur http://www.nickbostrom.com/ethics/statusquo.pdf.
-
[25]
Beyond Therapy, p. 55.
-
[26]
“In Search of Wisdom: Bioethics and the Character of Human Life” [« À la recherche de la sagesse : la bioéthique et le caractère de la vie humaine »], janvier 2002. Disponible en ligne sur : http://www.bioethics.gov/background/meilaenderpaper.html.
-
[27]
Michael Sandel, “The Case against Perfection” [« L’argument contre la perfection »], The Atlantic, avril 2004, p. 51-62.
-
[28]
Lors d’un débat public avec cet auteur au Hampden-Sydney College, le 30 mars 2005, Meilaender a déclaré que sa conception de chaque enfant comme une bénédiction l’empêchait de soutenir les tests prénataux pour éviter la naissance d’un enfant souffrant de maladies dégénératives fatales comme la maladie de Tay-Sachs.
-
[29]
Ronald M. Green, “For Richer or Poorer? Evaluating the President’s Council on Bioethics” [« Pour le meilleur ou pour le pire ? Évaluation du Conseil du Président pour la bioéthique »], HEC Forum: Special Issue on Presidential Commissions, 18:2 (2006), 108-124.
-
[30]
R. M. Green, The Human Embryo Research Debates: Bioethics in the Vortex of Controversy [Les Débats sur la recherche embryonnaire humaine : la bioéthique dans le tourbillon de la controverse], New York, Oxford University Press, 2001.
-
[31]
Près de quinze États américains sur cinquante seulement obligent les assureurs à couvrir, d’une façon ou d’une autre, les services à l’infertilité.
-
[32]
Christina Bergh, “How to Promote Singletons” [« Comment promouvoir les singletons »], Reproductive BioMedicine Online 15 Suppl. 3, 2007. Sur le web le 27 mars 2007. Disponible en ligne sur www.rbmonline.com/Article/2749.
-
[33]
“A Missed Opportunity: The President’s Council on Bioethics Report on Ethical Caregiving” [« Une occasion manquée : le rapport sur le soin éthique du Conseil du Président pour la bioéthique »], The American Journal of Bioethics 6:2 (2006), W20-23.
-
[34]
Taking Care [Prendre soin], p. 20.
-
[35]
Ibid., p. 47-48.
-
[36]
The Changing Moral Focus of newborn Screening [L’Évolution de la vision morale du dépistage néonatal], p. 106.
-
[37]
usccb, “Seven Key Themes of Catholic Social Teaching” [« Sept thèmes clés de l’enseignement social catholique »] disponible en ligne sur http://www.usccb.org/ sdwp/projects/socialteaching/excerpt.shtml.
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[38]
“Editorial: Dignity is a Useless Concept” [« Éditorial : La dignité est un concept inutile »] bmj 327 (2003), 1419-1420.
-
[39]
Ibid.
-
[40]
Leslie A. Meltzer, “Book Review: Human Dignity and Bioethics: Essays Commissioned by the President’s Council on Bioethics” [« Critique littéraire : La dignité humaine et la bioéthique : Essais sollicités par le Conseil du Président pour la bioéthique »], The New England Journal of Medicine 359:6 (7 août 2008), 660.
-
[41]
Ibid.
-
[42]
“Diversity and Deliberation”, 313.
-
[43]
L. Kass, “Reflections on Public Bioethics: A View from the Trenches”, 224.
-
[44]
John Rawls, Political Liberalism [Libéralisme politique], New York, Columbia University Press, 1993, p. 217, 212-254.
-
[45]
Ibid., 224-25.
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[46]
Voir à ce sujet : Denis Müller, « The Role and Influence of Religions in Bioethics », in Ronald L. Green, Aine Donovan et Steven A. Jauss (éd.), Global Bioethics: Issues of Conscience for the 21st Century, Oxford, Clarendon Press et Oxford University Press, 2008, p. 279-294.
-
[47]
Carson Strong, “Lost in Translation: Religious Arguments Made Secular”, The American Journal of Bioethics, 5:3 (2005), 31.