Couverture de RETM_254

Article de revue

Face à la violence des inégalités, quelle éthique théologique ?

Pages 97 à 126

Notes

  • [1]
    Consulter le site : ursule-tours.cef.fr
  • [2]
    Comede, B.P. 31, 94272 Le Kremlin Bicêtre Cedex. Consulter le site : www.comede.org
  • [3]
    Élisabeth Didier, Quelle place pour le théologien moraliste dans le débat en éthique médicale ? À propos de l’évaluation théologique d’un outil pédagogique élaboré par le Centre de droit et éthique de la santé de Lyon, Mémoire de maîtrise en théologie morale, Institut catholique de Paris, juin 1995, p. 67.
  • [4]
    Je tiens à remercier particulièrement Philippe Bordeyne, doyen de la faculté de théologie de l’Institut catholique de Paris. Cet article est un des fruits du « compagnonnage » dont j’ai bénéficié tout au long de l’année. Tuteur pédagogue et exigeant, il a su transmettre et faire partager sa passion pour la réflexion théologique par ses propositions de lecture et d’écriture, ses encouragements et son profond intérêt pour le sujet.
  • [5]
    Le modèle est défini comme « tout système de relations entre des propriétés sélectionnées, abstraites et simplifiées, construites consciemment à des fins de description, d’explication ou de prévision et, par là, pleinement maîtrisable » : voir P. Bourdieu, J.-C. Passeron, J.-C. Chamboredon, Le Métier de sociologue, Paris, Mouton, 1980, p. 75.
  • [6]
    Voir Mt 25, 31-46.
  • [7]
    Consulter le site : http://iris.ehess.fr
  • [8]
    Didier Fassin, L’Espace politique de la santé, Paris, puf, coll. « Sociologie d’aujourd’hui », 1996, p. 59.
  • [9]
    Voir Laurent Vidal, Karine Delaunay, « Analyse et compte rendu », Cahiers d’études africaines, 1999, vol. 39, n° 153, p. 196-200, p. 196-197, et la recension de l’ouvrage sur le site : http://www.persee.fr
  • [10]
    Didier Fassin, L’Espace politique de la santé, p. 294.
  • [11]
    Ibid., p. 70-73.
  • [12]
    Ibid., p. 241.
  • [13]
    Ibid., p 105.
  • [14]
    Voir Didier Fassin, « L’altérité de l’épidémie. Les politiques du sida à l’épreuve de l’immigration », REMI, Revue européenne des migrations internationales, vol. 17, n° 2, p. 139-151.
  • [15]
    Didier Fassin, « Le corps de l’étranger », Maux d’exil, n° 12, Paris, septembre 2005, p. 1-3, p. 1.
  • [16]
    L’accès à la couverture maladie universelle donne à l’étranger malade la possibilité de la gratuité des soins, puis l’obtention d’une autorisation de travail lui permet de subvenir à ses besoins.
  • [17]
    Voir Didier Fassin, « Le corps de l’étranger », p. 3.
  • [18]
    Didier Fassin, L’Espace politique de la santé, p. 303.
  • [19]
    Ibid., p. 304.
  • [20]
    Didier Fassin, Quand les corps se souviennent. Expériences et politiques du sida en Afrique du Sud, Paris, La Découverte, 2006, p. 14.
  • [21]
    Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Seuil, 1995, p. 31, in Didier Fassin, Quand les corps se souviennent, op. cit., p. 12.
  • [22]
    Didier Fassin, Quand les corps se souviennent, p. 12.
  • [23]
    Ibid., p. 398.
  • [24]
    Ibid., p. 273 s.
  • [25]
    Ibid., p. 25.
  • [26]
    Ibid., p. 399.
  • [27]
    Voir Lisa Sowle-Cahill, « Génétique éthique et politique sociale. L’état de la question », Concilium, n° 275, 1998, p. 7-13.
  • [28]
    Voir Didier Fassin, Quand les corps se souviennent, p. 364 s.
  • [29]
    Consulter le site : www.comede.org
  • [30]
    Équivalant à dix-sept temps pleins.
  • [31]
    Exil provient du latin exilium, dérivé de exilirse qui signifie sauter dehors.
  • [32]
    Voir Élisabeth Didier, « L’espérance au cœur de la souffrance et de la solitude ou l’hôte retrouvé », colloque acat, Paris, 5 novembre 1994, Centre d’études du Saulchoir, n° 2, juin 1995, Paris, Cerf, p. 23-33.
  • [33]
    Gomez Mango, Psychiatre au Centre Minkowska, Paris.
  • [34]
    Jeanne Champion a rassemblé des récits d’exilés dans son livre : Mémoires en exil, Paris, Fayard, 1989.
  • [35]
    Maurice Bellet, L’Écoute, Paris, epi/ddb, 1989, p. 40.
  • [36]
    Ibid., p. 41.
  • [37]
    Sur la question de la légitimité et de la légitimation des compétences des personnes et des institutions, voir Didier Fassin, L’Espace politique de la santé, p. 153 s.
  • [38]
    Consulter le site : www.comede.org
  • [39]
    De la République démocratique du Congo.
  • [40]
    Au sujet des démarches administratives et juridiques concernant la demande d’asile, consulter les sites du Gisti et de la Cimade.
  • [41]
    Nicole Lery, « Le médecin légiste confronté à la torture », Pratique et répression judiciaire de la torture, l’actualité à la lumière de l’histoire, p. 318.
  • [42]
    Élisabeth Didier, « Torture et mythe de la preuve », Plein Droit, n° 18-19, oct. 92, p. 64-69. Voir aussi : François Bernard, « Évolutions récentes de la juridiction de l’asile », Maux d’exil, n° 12, Paris, juin 2008, p. 1-3.
  • [43]
    Voir Élisabeth Didier, « Restauration physique et morale des victimes de la torture », Document acat, n° 49/1994, p. 33-41.
  • [44]
    Voir Élisabeth Didier, « Les difficultés du consentement », Soins, n° 563/564, août-septembre 1992, p. 12-15.
  • [45]
    Didier Fassin, « Le corps de l’étranger », op. cit., p. 3.
  • [46]
    Cf. Didier Fassin, « Une double peine. La condition sociale des immigrés malades du sida », L’Homme, Revue française d’Anthropologie, n° 160, 2001, p. 137-162, p. 162.
  • [47]
    Didier Fassin, « Le corps de l’étranger », p. 3.
  • [48]
    Voir la pétition sur le site www.comede.org et le rapport de l’Observatoire du droit à la santé des étrangers sur le site : www.odse.eu.org
  • [49]
    Les Français abritant chez eux des étrangers sans titre de séjour en cours de validité sont condamnés par la loi.
  • [50]
    « Les étrangers en situation illégale en Europe », texte adopté à la rencontre à Munich, suscitée par la Conseil pontifical pour la pastorale des migrants, en 1994, édité par le Service national de la pastorale des migrants, Paris, p. 1-8.
  • [51]
    Dietmar Mieth, « Hommes en fuite. Réflexions socio-éthiques sur la répartition des droits et des devoirs », Concilium, n° 248, 1993, p. 91-108, p. 105-106.
  • [52]
    Ernst Tugendhat, cité par Dietmar Mieth, art. cit., p. 97.
  • [53]
    Voir André Jacques, « Pour une société de vérité, de justice et de pardon », Document acat, p. 44.
  • [54]
    Gn 4, 9-10.
  • [55]
    Augustin George, « La parabole du riche et de Lazare : Lc 16, 19-31 », Assemblées du Seigneur, n° 57, Paris, Cerf, 1971, p. 80-93, p. 84.
  • [56]
    Alain Dragon, « La parabole du riche et du pauvre Lazare », Sémiotique et Bible, n° 117, Lyon, mars 2005, p. 46-55, p. 48.
  • [57]
    Luc le fait dans le Magnificat (1, 52-53), les Béatitudes (6, 20-21) : voir Augustin George, p. 87.
  • [58]
    Hugues Cousin, L’Évangile de Luc, Paris/Ottawa, Centurion/Novalis, 1993, p. 222.
  • [59]
    Expression de Joseph A. Fitzmeyer, citée par Yves Boursier, p. 58.
  • [60]
    Yves Boursier, « Le mauvais riche et le pauvre Lazare : une lecture sociale », Scriptura, n° 23, Montréal, 1997, p. 53-69, p. 54.
  • [61]
    Elian Cuvillier, « Jugement eschatologique et éthique : une tension féconde », Colloque Eschatologie et morale, Institut catholique de Paris, mars 2008. Intervention non publiée à ce jour. Les citations entre guillemets qui suivent et qui n’ont pas de référence en bas de page, sont de l’auteur.
  • [62]
    Gaudium et Spes n° 27 § 3.
  • [63]
    Voir Philippe Bordeyne, « La dignité de la personne et la communauté humaine » (GS 12-32), in : Gérard Daucourt et alii, Dieu, chemin vers l’homme ; l’homme, chemin vers Dieu. Réflexions à partir de « Gaudium et Spes ». Conférences de Carême à Notre-Dame de Pentecôte à La Défense, Paris, Parole et Silence, 2006, p. 49-70.
  • [64]
    Ibid., p. 70.
  • [65]
    Alain Dragon, p. 55.
  • [66]
    Didier Fassin, Quand les corps se souviennent, p. 391.
  • [67]
    Expression retenue par la Congrégation générale de la Compagnie de Sainte-Ursule de Tours de 1984, en référence à l’option préférentielle pour les pauvres. Voir Décrets de la 32e Congrégation générale de la Compagnie de Jésus, Paris, 1976.

1Religieuse de la Compagnie de Sainte-Ursule de Tours [1], j’ai travaillé durant neuf ans comme médecin coordinateur d’une équipe médicale pluridisciplinaire au Comede (Comité médical pour les exilés [2]), puis onze ans comme médecin consultant dans des hôpitaux publics auprès des malades touchés par le virus du sida. Ce long compagnonnage avec les exilés et les patients a été pour moi un temps d’apprentissage où je me suis mise, avec d’autres, à leur école. J’ai vécu dans des lieux où se manifestent une fragilité extrême et une profonde injustice en raison des conditions sociales des personnes (réfugiés, étrangers sans titre de séjour en France, exilés ayant subi des violences, sévices ou tortures dans leur pays d’origine, etc.) ou de leur situation médicale (difficultés d’accès aux soins, affection du sida touchant des patients de toutes origines). Ceux que j’appelle « les plus petits » ont nourri ma foi et peuplé ma prière ; ils m’ont engagée et ancrée dans la recherche concrète d’une plus grande solidarité. Enfin, ils ont interrogé ma pratique professionnelle et ma réflexion théologique [3]. Je voudrais, dans cet article, relire à nouveaux frais mon expérience et engager une réflexion d’éthique théologique [4].

2La lecture des ouvrages de Didier Fassin, médecin, anthropologue et sociologue spécialiste des politiques de la santé publique, m’a fait découvrir l’intérêt de ce que j’appellerai l’inégalité comme modèle [5] explicatif. Ce processus d’analyse permet en effet de mieux comprendre l’enchaînement des phénomènes qui engendre l’inégalité. Et l’éthique a, en particulier, pour fonction de débusquer la part de fabrication de l’inégalité inhérente à toute décision. Quand elle se saisit de ce modèle et en critique le fonctionnement à la lumière du principe de justice, elle nous engage à repenser notre rapport à autrui, qu’il soit individuel ou collectif. C’est ce qui fera l’objet de la première partie.

3Dans la deuxième partie, j’essaierai de relire mon expérience du soin auprès des étrangers et des malades en tenant compte du modèle de l’inégalité. Qu’est-ce que les exilés et les malades m’apprennent aujourd’hui de cette inégalité à laquelle ils sont confrontés et que le corps social engendre ? Comment m’ont-ils obligée à en prendre conscience pour tenter, avec d’autres, de la réduire ? En quoi ont-ils transformé mon regard et ma pratique ? Quelles conduites et quelles solidarités m’ont-ils enjointe de mettre en œuvre ? J’essaierai de montrer en quoi cette démarche d’apprentissage est une tâche éthique et donc un lieu de croissance tant pour « le plus petit » lui-même que pour celui qui en prend soin.

4L’Écriture raconte en particulier la geste de Dieu auprès des opprimés et des exclus. Dans la parabole du riche et du pauvre Lazare (Lc 16, 19-31), Jésus dénonce avec rudesse les comportements d’indifférence et d’injustice. Comment sa Parole éclaire-t-elle l’inégalité de certaines de nos pratiques humaines ? Si l’on considère que Jésus ne reste pas dans la seule accusation, quelle autre perspective de vie offre-t-il à ses auditeurs ? Nous verrons dans la troisième partie en quoi la Parole de Jésus, qui s’est identifié au « plus petit », est susceptible d’éclairer les pratiques chrétiennes d’aujourd’hui.

5Si les étrangers, les exilés ou les malades recouvrent des réalités et des catégories complexes mais bien identifiées par la sociologie, il n’en est pas de même pour « le plus petit ». J’ai pourtant volontairement choisi cette expression en raison de sa référence à la tradition biblique et évangélique [6] en particulier. Dans ces réalités aussi diverses, « le plus petit » représente ici « l’autre » pris dans un processus d’inégalité dont il subit une partie des conséquences et qu’il révèle à celui qui se fait son vis-à-vis. Il est aussi la figure d’une altérité qui convoque à un questionnement et à un agir éthiques.

L’inégalité invite au cheminement éthique

6Présentons rapidement Didier Fassin, avant de voir comment il s’engage dans une analyse critique de l’inégalité après en avoir établi le concept. Didier Fassin assure la direction de l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux. Professeur à l’université Paris-XIII, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales [7], il est aussi directeur adjoint de la Maison des sciences de l’homme. Ses principaux thèmes de recherche concernent les enjeux sociaux, politiques et moraux dans les sociétés contemporaines, la production et la construction des problèmes de santé, les inégalités sociales, le traitement de la pauvreté, de l’immigration et de l’asile en France. Plus largement, l’auteur propose une réflexion morale sur le gouvernement des êtres humains et sur la vie comme enjeu dans les politiques contemporaines.

7Didier Fassin confronte ses thèses à des questions qui concernent les sociétés d’aujourd’hui. S’il demeure sur le terrain de l’anthropologie et de la sociologie, il s’engage dans une relecture et donc dans une interprétation où « l’autre » est au centre de la réflexion « comme un autre soi-même ». En ouvrant le débat, il permet de mesurer davantage les enjeux des politiques de santé et, par là, il interroge notre vision personnelle et collective du monde et de l’histoire. Quand il se fait critique, il ouvre des possibilités et invite à s’y risquer. Il rejoint en cela le travail et la quête des théologiens moralistes.

Santé et inégalités

L’inscription de l’inégalité dans les corps

8Toute vie sociale qui s’organise produit des inégalités [8] dans la mesure où le fonctionnement même des relations humaines, qui implique des rapports de pouvoir, en crée. Dans L’Espace politique de la santé[9], Didier Fassin analyse les processus d’inégalité que font naître les politiques engagées vis-à-vis de la maladie, des possibilités de soins, de la mort et donc de la santé. Il entreprend une « comparaison de situations temporellement et culturellement éloignées [10] », que ce soit celles de sociétés traditionnelles d’Afrique ou d’Amérique latine, ou celles des sociétés occidentales. Il montre que la maladie n’est pas uniquement un événement biologique qui affecte l’individu et mobilise le savoir des devins, des guérisseurs ou des médecins. Elle est aussi une réalité sociale qui met en jeu des rapports de pouvoir.

9Si les inégalités s’inscrivent dans les corps depuis les origines, la première d’entre elles concerne la différence des genres qui fait apparaître la domination des hommes sur les femmes comme parfaitement légitime [11]. Ces violences relèvent d’une logique de traduction physique des relations de pouvoir. Dans certaines sociétés traditionnelles, l’inégalité se manifeste peu au niveau de la santé en raison de l’efficacité des règles de solidarité. Ces dernières sont ébranlées dans des circonstances exceptionnelles de catastrophe ou de famine. Pour que les inégalités s’expriment dans les écarts d’espérance de vie et de qualité de vie, il a fallu que s’établissent des différences et des disparités dans les conditions et les modes de vie. Les phénomènes de l’urbanisation puis du capitalisme et de l’industrialisation vont amplifier le phénomène. Et selon la manière dont ils se situent, les États peuvent donner au processus de civilisation une forme qui aggrave ou réduit l’injustice sociale.

Processus de prise en charge des inégalités

10L’instauration d’un ordre sanitaire et de procédures de prise en charge des disparités devant la maladie et la mort fait partie intégrante de la construction des États. Ceux-ci jouent un rôle essentiel dans la reconnaissance et la légitimation des acteurs et des instances de santé, dans l’instauration des systèmes de protection sociale et dans les politiques. La santé publique, initiée d’abord par le politique [12], devient une discipline à part entière. Elle voit ses domaines d’intervention s’étendre à un nombre croissant de registres.

11Si l’on se place à l’échelle de la planète, on constate combien les modèles de lutte contre l’inégalité face à la santé se sont multipliés et diversifiés. Aujourd’hui, pourtant, jamais les disparités devant la mort n’ont été aussi grandes. Si l’espérance de vie est de 79 ans au Japon, elle est de 39 ans en Guinée Bissau. Mais, lorsque des politiques sociales, éducatives, sanitaires volontaristes sont mises en œuvre comme en Chine, au Sri Lanka, à Cuba ou au Costa Rica, les espérances de vie sont comparables à celles de certains pays européens [13]. Et les bienfaits qui en résultent sont souvent mis en avant pour légitimer et renforcer le pouvoir de l’État.

Les enjeux des politiques de la santé

12La santé fait partie intégrante du débat politique et les questions qu’elle pose concernent de plus en plus le champ politique. En France, il a fallu plus de deux décennies pour que les problèmes posé par le lien entre sida et immigration soient publiquement débattus [14]. Il y a un quart de siècle, l’immigré était considéré comme une force de travail censée contribuer à la production de la richesse nationale. S’il devenait improductif du fait de la maladie, le corps de l’immigré n’avait plus d’utilité économique – et donc plus de légitimité sociale. Dans les années 1970, le caractère indésirable de l’immigration se traduit dans les politiques nationales. « Le “travailleur immigré” ne fait plus partie de notre univers sémantique alors que “l’étranger” éventuellement “en situation irrégulière” s’est imposé [15]. » Mais, au cours des années 1990, la maladie devient, pour l’étranger, une ressource – souvent la dernière pour faire valoir ses droits [16]. En effet, l’affection dont l’absence de prise en charge pourrait avoir des « conséquences d’une exceptionnelle gravité » est une des clauses de la régularisation de son titre de séjour. Le corps malade a retrouvé une reconnaissance sociale pour autant qu’il était souffrant ou démuni. Ce droit s’inscrit dans l’histoire de la République et fait partie de ses valeurs [17]. Mais nous verrons plus loin que de nouvelles exigences d’expertise médicale viennent le restreindre. Ces changements ont une portée politique qu’on ne peut négliger dans la mesure où ils touchent les membres les plus fragiles de nos sociétés.

13Didier Fassin élargit son champ d’analyse et montre en quoi l’épidémie du sida est révélatrice des disparités majeures entre les pays du monde et celles des politiques des pays riches vis-à-vis des étrangers. Les véritables enjeux des politiques de la santé ne sont pas apparents, « soit qu’on les occulte, soit qu’on les ignore. Que ces disparités soient si marquées et si méconnues, tient probablement en grande partie à ce que cette inégalité n’est pas réellement considérée comme sociale [18] ». C’est pourquoi l’auteur engage à poursuivre la réflexion car c’est « dans l’espace politique de la santé que se cristallisent quelques-uns des enjeux essentiels de ce temps et que doivent se débattre certaines questions cruciales posées aux sociétés [19] ».

Une tâche éthique

14Ces éléments nous font dire que, dans le domaine éminemment complexe de la santé, toute décision prise, toute politique engagée pour les individus, les collectivités ou les nations engendre une part d’inégalité. Tout en respectant les particularités, ce concept permet de mieux discerner en quoi certains processus instaurés dans « notre commune humanité [20] » sont source d’injustices. Ce qui vaut pour la santé vaut pour toute autre décision humaine, aussi éthique soit-elle. Une des tâches de l’éthique est donc de rechercher et de dévoiler la part de fabrication de l’inégalité inhérente à toute décision. Ne pas la voir, ni vouloir en mesurer les conséquences pour le corps social en redouble la gravité. En revanche, le modèle d’inégalité permet à l’éthique en quête de justice de situer une réalité d’injustice dans une histoire, d’admettre des lectures et des interprétations différentes, et de sensibiliser les consciences. Dans cette perspective, Didier Fassin offre des outils de compréhension et d’analyse dont l’éthique théologique peut se saisir pour les intégrer dans sa réflexion critique.

Pour « une communauté de destins et une réciprocité des regards »

15Dans son livre Quand les corps se souviennent, Didier Fassin soulève la question éthique fondamentale de la relation à autrui. Il part du constat de l’anesthésie politique ayant pour origine l’indifférence à l’égard de l’Afrique du Sud et de l’épidémie qui la décime. Mais, loin de nous y enfermer, il se risque à proposer un autre chemin en vue d’un meilleur « vivre ensemble » qu’il croit possible :

16

Ce retrait de l’altérité, qui est intellectuel et moral avant toute autre chose, est un renoncement à la politique au sens où, pour Hannah Arendt [21], elle « traite de la communauté et de la réciprocité d’êtres différents ». L’anesthésie politique, c’est-à-dire ce qui nous rend insensible au sort des autres et d’abord nous le fait paraître incompréhensible, ne garde de cette définition que la différence : ni la communauté, ni la réciprocité ne sont possibles. L’ambition qui m’anime ici est, contre cette impossibilité proclamée ou supposée, d’affirmer des principes d’intelligibilité et, je l’espère, d’apporter des éléments de compréhension qui jettent les bases d’une communauté de destins et d’une réciprocité de regards [22].

Le passage par l’histoire

17L’Afrique du Sud, avec six millions de personnes infectées, est le pays du monde le plus gravement touché par l’épidémie de sida. Cette singularité qui fait du sida non seulement l’objet de politiques, mais aussi un enjeu politique, trouve sa source dans l’histoire. En effet, à partir de 1994, l’Afrique du Sud rompt avec l’apartheid et entre dans une nouvelle ère où l’horizon de la construction d’une nation affranchie des barrières raciales semble enfin se profiler. Or, la terreur biologique succède à la terreur politique.

18

L’histoire du sida en Afrique du Sud tisse un tissu de significations qui va bien au-delà des frontières du pays et bien au-delà des contours de la maladie. Elle raconte un ordre politique du monde qui est fait à la fois de configurations sociales et de dispositifs symboliques, de relations de savoir et de rapports de pouvoir, de représentations et de discours sur l’autre [23].

19Comment comprendre les déclarations du président sud-africain Thabo Mbeki niant le lien entre le virus hiv et le sida, sans chercher à entendre son insistance sur les facteurs sanitaires et socio-économiques de l’épidémie ? Comment percevoir le succès populaire des rumeurs de complot sur l’origine de la diffusion du virus, sans tomber dans un jugement hâtif d’irrationalité et sans considérer la culture et les croyances comme des obstacles à la lutte contre le sida ? Pourquoi y a-t-il eu si peu de réactions pour dénoncer les pratiques des laboratoires pharmaceutiques dans la mise en place des essais cliniques en Afrique, alors qu’il a été démontré que ceux-ci ont des exigences éthiques bien moindres sur ce continent qu’ailleurs ? Pourquoi a-t-il fallu attendre 2001 pour que deux compagnies d’extraction minière décident un plan de prévention, de dépistage et de soins des mineurs, alors qu’elles savaient depuis 1999 que 45 % des mineurs africains étaient séropositifs [24] ?

20Didier Fassin montre comment l’histoire de la colonisation et de la ségrégation demeure vivante dans les inégalités, les violences et le racisme. Son ouvrage est le fruit de cinq années d’enquêtes dans les townships et les anciens homelands comme dans les milieux scientifiques et politiques sud-africains. Dans le présent, c’est le passé qui s’actualise avec différentes prises de positions, des affrontements et des polémiques qui se sont exacerbés au sein même du pays et sur la scène internationale.

21Le passage par l’histoire n’est pas un détour facultatif pour tenter de mieux comprendre le monde. L’auteur, en racontant l’histoire de l’épidémie, retrace les enjeux d’une crise qui met en cause les discours de la science autant que la gestion du pouvoir. Il montre aussi la nécessité d’une interrogation rigoureuse sur la conception du monde et d’autrui, sur les enjeux des choix faits pour l’autre avant d’oser une parole qui brise le silence et invite à changer de regard. En cela, l’auteur rejoint la tâche et la quête des théologiens moralistes.

Les récits de vie

22En prenant le parti de relater des récits de vie, Didier Fassin donne du poids aux expériences individuelles et collectives ; il révèle la complexité des réalités vécues et de la tâche éthique elle-même.

Rien n’a été plus décisif pour moi, intellectuellement et humainement, que les moments que j’ai passés, depuis cinq ans, avec celles et ceux qui m’ont raconté leur histoire, m’ont exprimé leur colère et leurs inquiétudes, m’ont dit leurs attentes et leurs espoirs. Certains ne sont déjà plus. Beaucoup auront disparu lorsque seront publiées ces pages. Si les mots de ce livre sont de moi, leur vie, leur corps, leur mémoire en sont la matière [25].
« Suspendre son jugement, prendre le temps d’observer et d’écouter, préférer la réflexion critique à l’inculpation hâtive est peut-être la plus haute exigence que nous pouvons avoir dans le monde où nous vivons [26]. » Si l’auteur rattache cette attitude à la tâche même de l’anthropologue, ne peut-on y déceler un impératif éthique pour ceux qui choisissent de s’engager davantage dans une communauté de destins et une réciprocité des regards ? Écouter l’histoire de l’autre, en pressentir les ruptures comme les renouveaux, laisser le fil du récit tisser les liens fait partie intégrante d’un cheminement éthique et donne sens à une commune humanité. Cette démarche est de l’ordre d’un apprentissage qui exige une conversion du regard et du rapport à autrui.

À l’écoute et à l’école des plus pauvres

23Ce faisant, on répond à l’invitation pressante de Lisa Cahill : « Les théologiens moralistes ont encore beaucoup à apprendre des questions telles qu’elles se posent concrètement chez les plus pauvres [27] ». Il s’agit de se mettre à l’écoute et à l’école de celles et ceux qui savent parce qu’ils souffrent d’inégalités de plus en plus grandes et de plus en plus criantes, mais aussi parce qu’ils essaient, avec d’autres, de mettre en œuvre leurs ressources personnelles et collectives pour résister et pour vivre.

24Didier Fassin analyse deux phénomènes qui vont en ce sens. Le premier concerne le corps « vivant », politique et social, de la Renaissance africaine. Ce mouvement invite l’Afrique du Sud à puiser dans son histoire, dans ses valeurs ancestrales, dans ses combats pour exister dans le monde, afin d’y chercher une promesse de vie nouvelle. Le second concerne le corps « vivant » des malades atteints du sida apprenant leur fin proche et inéluctable. Beaucoup rejoignent des associations, d’autres se convertissent et sont intégrés dans des communautés chrétiennes. S’ils trouvent ici et là accueil, soutien et accompagnement [28], ils bénéficient de solidarités concrètes en y participant activement.

25L’irruption de la maladie instaure une rupture dans la vie des individus et des communautés. L’auteur décrit l’importance des phénomènes de « renaissance, libération et conversion » qui peuvent alors transformer le « souci de soi » en « souci des autres ». Une nouvelle vie commence parce qu’elle donne de prendre part à une commune humanité.

26La pertinence du modèle d’inégalité peut susciter un cheminement éthique et la force de vie qui se dégage des expériences singulières et communautaires de l’Afrique du Sud ne peut qu’interroger les théologiens moralistes. Ces points ont rejoint, enrichi, voire déplacé ma propre réflexion et m’ont fait relire, à distance et avec un regard renouvelé, mon expérience et mes propres écrits.

L’inégalité révélée par « le plus petit » convoque à une éthique de l’apprentissage et de l’hospitalité

27Dans cette partie, je ferai davantage référence à l’expérience vécue au sein du Comede auprès des exilés qu’à mon activité de médecin consultant auprès des malades touchés par le sida. Ceci pour la simple raison que les questions auxquelles sont confrontés les exilés me semblent plus méconnues que celle des patients infectés par le sida. Les uns comme les autres ont été pour moi, en tant que religieuse, médecin et théologienne, les « plus petits » durant plus de vingt-cinq ans.

28Le Comité médical pour les exilés [29], dont la présidence est actuellement assurée par Didier Fassin, est une association humanitaire qui gère un dispensaire de soins gratuits pour les demandeurs d’asile et les réfugiés. Depuis sa création en 1979, le Comede a reçu plus de 92 000 exilés de 140 nationalités différentes. En 2007, plus de 15 000 consultations ont été assurées en vingt langues par une équipe pluridisciplinaire, constituée d’une quarantaine de personnes [30]. Le Comede essaie de répondre à deux enjeux majeurs que sont la prise en charge globale de la personne et l’approche spécifique de l’exil. Reconnu par les pouvoirs publics, il est devenu un lieu d’information et de formation sur la santé des exilés, le droit d’asile, et le droit à la santé des étrangers.

29Le compagnonnage vécu avec les exilés et les malades relève, à mes yeux, d’une éthique de l’apprentissage. Ce mot suggère un cheminement, avec son lot de tentatives, d’épreuves et d’échecs, mais aussi de progrès et de croissance mutuelle. Il évoque aussi des solidarités, des espérances et des joies partagées. Comment la critique de l’inégalité convie-t-elle à cette attitude éthique qu’est l’apprentissage, pratique que j’ai essayé de faire mienne pendant tant d’années ? Quelles solidarités ai-je tenté de mettre en œuvre, alors que nombre de questions surgies de l’expérience paraissaient insolubles, tant leur origine est liée à des situations d’injustice ? Qu’est-ce que les « plus petits » m’ont transmis, appris et fait découvrir ? Comment, en équipe et grâce à d’autres, avons-nous tiré de l’expérience des impératifs éthiques qui ont fondé nos attitudes et nos décisions ? Récits, analyses et réflexions tenteront d’illustrer ces questions.

30L’apprentissage du soin relève aussi d’une éthique de l’hospitalité. Une chose est de vouloir servir et prendre soin, une autre est d’accueillir réellement les exilés ou les malades, de vivre « avec et pour eux ». Parce qu’elle se fonde sur le désir des personnes qui veulent être une communauté de destins et une réciprocité de regards, l’éthique de l’hospitalité dit quelque chose de notre humanité en quête de sens et de solidarité. Si, en situation d’inégalité, elle demeure une utopie, j’essaierai de relater comment cette éthique se conjugue parfois au présent et toujours de façon modeste.

Accueillir l’étranger et découvrir notre part commune d’humanité

31Comment puis-je prétendre savoir et comprendre ce que l’autre a vécu alors que l’exil en a fait un déraciné [31], ou le sida un marginal ? La rencontre avec l’exilé ou le malade m’enjoint d’abord de ne pas me dérober à son regard, d’écouter son étrangeté, de le laisser me surprendre et me déplacer, afin de me situer modestement à ma juste place [32].

32

« Entre celui que j’étais là-bas et celui qu’à peine je suis ici, il y a un abîme [33]. » L’exilé est une personne étrangère de par son origine ethnique, sa langue, sa culture. Son histoire est jalonnée de conflits, de ruptures multiples qui ont entraîné son exil. Écartelé entre son désir de vivre et la culpabilité d’avoir quitté les siens, l’exilé se trouve devant un douloureux travail de deuil. Il n’a pas encore découvert sa nouvelle identité « altérisée » par ces pertes multiples. Son étrangeté nous dit aussi sa manière particulière d’aborder la maladie, la souffrance… ou tout simplement sa propre histoire.

33Un Kurde vient au Comede à de nombreuses reprises et me répète : « Je pense tout le temps au pays ». Il me dit son mal-être, ses mois d’emprisonnement et d’isolement dans les geôles turques qu’aucun traitement ne peut soulager. Jeanne Champion, écrivain, pensait à un livre sur l’exil et passait cette journée-là au Comede pour rencontrer des exilés. Je propose au patient de faire la connaissance de Jeanne, qui l’accueille dans une salle, et je poursuis mes consultations. En fin de journée, Jeanne me parle de l’échange étonnant avec cet homme, polyglotte, issu d’une grande famille riche et empreinte de la culture ottomane. Quand elle lui a demandé ce qu’il voyait là-bas et sentait de sa fenêtre, il a fermé les yeux et s’est mis à évoquer ses souvenirs d’adolescence. Sa grand-mère possédait une oliveraie dans les collines. Elle organisait des soirées de théâtre où grands et petits jouaient des pièces de Shakespeare ! Grandes furent ma surprise et ma joie d’entendre plus tard cet homme me dire qu’il avait revu Jeanne à plusieurs reprises. La connivence culturelle et littéraire a offert un cadre et un support inattendus à cet homme, et lui a permis de faire le récit de parcelles de sa vie [34].

34Plusieurs éléments méritent d’être relevés si l’on dépasse l’anecdote. La relation établie dans la confiance avec le patient, même si elle demeure asymétrique, ne se situe pas dans le seul registre d’un contrat de soins. Il s’agit d’établir une relation qui fait lien et qui devient une alliance dans laquelle le respect est mutuel et l’estime réciproque. Alors que les liens sont encore bien fragiles, la médiation d’un tiers vient en renforcer la trame. Pour le soignant, cette relation se vit sur un fond d’ignorance qu’il reconnaît et à laquelle il apprend à consentir. Sans cela, il ne pourrait s’opposer à l’inégalité que produit une attitude de surplomb basée sur le savoir médical et le pouvoir qui en découle.

35Comment permettre à l’autre « de parler en sa langue, de se tenir en sa demande [35] » ? Comment pouvais-je aider cet homme à renouer les fils de son histoire, à retrouver ses racines pour mieux intégrer son passé en le racontant ? L’accueil du patient, le consentement à un non-savoir, l’écoute de Jeanne et sa complicité ont rendu possible l’accès à la parole. L’attitude foncière qui est requise est bien celle de l’écoute, et les mots de Maurice Bellet prennent ici une résonance particulière :

36

S’il fallait donner une figure sociale à l’écoute, la meilleure serait sans doute du côté de cette pratique antique, perdue en notre monde : l’hospitalité. Écouter, c’est se faire l’hôte de l’hôte qui vient [36].

37Au cœur même des différences, l’hospitalité fait découvrir l’humanité que nous avons en partage. Elle fait passer d’un être et vivre « avec et pour d’autres » à un être et vivre « avec et parmi d’autres ». Elle permet ainsi, en évitant le piège du culturalisme ou du particularisme, de nous ouvrir à l’universel.

Le « plus petit » oblige à s’interroger sur les inégalités

38Les difficultés auxquelles se heurtent les patients venant au Comede sont nombreuses car les conditions de vie imposées par l’exil multiplient et renforcent les inégalités. Au sein de l’association, les exilés et les soignants eux-mêmes se heurtent aux salles d’attentes bondées, aux problèmes liés à la langue et à l’interprétariat, aux différences entre les procédures et pratiques médicales occidentales et celles pratiquées à l’étranger. Les délais d’obtention d’une couverture sociale rendent les malades trop dépendants des organisations de soins gratuits… Comment peut-on alors offrir au Comede un accueil de qualité ? Comment expliquer, faciliter les prises de rendez-vous, alléger les démarches des exilés ?

39Si nous restons seuls ou isolés, nous encourons le risque de l’impatience, du jugement, d’une décision hâtive, voire du découragement. Nous ne pouvons plus tenter d’entendre la souffrance et le désarroi, de reconnaître les disparités que nous pourrions aggraver si nous n’apprenons pas à en parler entre nous. Nous ne pouvons pas non plus vérifier les inégalités que nous essayons de réduire. C’est ainsi que l’hospitalité se joue dans les rencontres entre pairs et entre équipes pluridisciplinaires. La parole échangée avec l’assistante sociale, le médecin, l’infirmier et le psychothérapeute aide à mieux appréhender la réalité de l’exilé. C’est ensemble que nous pouvons chercher à vaincre la difficulté de communiquer ce que nous avons appris et voulons transmettre.

40Pour vivre concrètement cette hospitalité et découvrir la part d’inégalité inhérente aux situations décrites, pour apprendre à mieux juger de la cohérence de notre agir, plusieurs conditions sont requises. Pas tout seul : cette expression résume un impératif éthique qui dit la nécessité d’une réflexion plurielle et donc interdisciplinaire, ainsi que l’importance d’un travail en équipe et en réseaux. Pas seulement, correspond à un autre versant impératif qui dit le devoir impérieux de ne pas aborder la réalité des situations sous un seul angle, mais de façon globale et systémique. Pas tout seul et pas seulement sont deux attitudes qu’exigent les « plus petits » en raison de la complexité de leur condition, qui met en évidence la complexité même de l’éthique.

Des compétences et des ressources reconnues, partagées et transmises

41Tout service exige une compétence. Les formations spécifiques sont nécessaires pour l’obtenir et celle-ci doit être reconnue par les collaborateurs, les partenaires et les autorités extérieures [37]. Au fil du temps, les personnes engagées acquièrent un savoir-être et un savoir-faire. Le premier se communique en particulier aux pairs dans le travail commun de proximité avec l’exilé ou le malade ; le second cherche à se transmettre plus largement au dehors. Le Comede assure des sessions de formation sur la santé des exilés. En collaboration avec d’autres est édité depuis 2005 un Guide pratique de prise en charge médico-psycho-sociale des migrants/étrangers en situation précaire, à destination des professionnels de la santé et du social, et un Livret de santé traduit en vingt-trois langues [38].

42La nécessité d’acquérir une solide compétence semble de l’ordre de l’évidence. En revanche, quels moyens prend-on pour découvrir et faire reconnaître les compétences et les ressources de celles et ceux dont on choisit de prendre soin, qui ne sont sanctionnées par aucun diplôme, ni inscrites dans aucun curriculum vitae ?

43Un Malien d’origine peule me dit que sa santé est bonne mais qu’il ne dort pas à cause des soucis. Il est embauché comme homme d’entretien par une grande entreprise de nettoyage de bureaux. Depuis plusieurs mois, il fait des heures supplémentaires en raison du manque de personnel. « Docteur, je sais pas lire, je sais pas écrire, mais j’ai compté ici tous les jours et toutes les heures que j’ai faites et ils veulent pas me payer. » Il me montre des petites feuilles remplies de signes incompréhensibles et me demande de l’aider. Je suis tentée de baisser les bras… En effet, qui prendra en compte ces « gribouillis » ? J’appelle l’assistante sociale qui veut tenter, malgré les difficultés, de donner à cet homme un rendez-vous avec un inspecteur du travail. L’homme revient quelques temps après et nous offre des cadeaux : « Le monsieur inspecteur a pris du temps pour que je lui explique tous mes papiers… il a compté avec moi et il a rien oublié ! Il m’a aussi demandé de revenir avec les autres copains du travail qui sont comme moi. » En quittant le Comede, l’homme avait retrouvé sa stature altière et noble.

44Le récit illustre une manière de reconnaître en celui que l’on soutient des ressources parfois insoupçonnées ou souvent ignorées, la capacité à tenir dans les difficultés, la confiance dans la parole d’autrui, et le désir de faire profiter par un proche de l’aide dont il a bénéficié. On peut aussi remarquer que l’assistante sociale a cru dans les capacités de cet homme et qu’elle a valorisé le travailleur malien comme sujet et comme membre du corps social. Dans le même mouvement, elle a aussi permis à l’inspecteur d’exercer sa compétence professionnelle. Ce dernier a pu combattre l’injustice à une plus grande échelle en recourant au droit dont une des fonctions est de limiter la violence et, ici, celle de l’exploitation par le travail. C’est à plusieurs que l’on peut donner aux « plus petits » leur vrai poids d’humanité et les aider à devenir davantage autonomes et co-acteurs de la vie sociale.

Le « plus petit » oblige au secret et non pas au silence

45Toute relation de soin a ses règles, en particulier celle du respect de la personne et celle de la confidentialité. Les réalités extrêmes que sont l’exil, la torture, le sida ou l’immigration portent en elles un potentiel de violence destructive tant pour ceux et celles qui les subissent, que pour le corps social. C’est pourquoi le « plus petit » oblige à garder le secret et à rompre le silence. Je vais m’arrêter sur la question de la torture car non seulement elle a marqué ma pratique et mes responsabilités au sein du Comede, mais elle m’a obligée à prendre la parole, à intervenir à plusieurs reprises en public et m’a poussée à publier des articles. Face à cette question, l’expérience la plus difficile à vivre a été sans doute, pour moi, celle du silence et de la suspicion dont nous risquons d’être complices.

46Un Congolais [39] passe devant la Commission des Recours [40], qui décide ou non d’accorder le statut de réfugié. Au cours de l’audition, l’homme relate avoir subi de nombreux sévices au Zaïre, au cours d’une incarcération de plusieurs mois. Il avait été souvent flagellé et avouait avoir été profondément humilié. Le jury met en doute et la véracité du récit du requérant et le certificat médical que j’avais établi au Comede. Le président demande à l’homme s’il accepterait de montrer son dos au jury. N’attendant pas l’opposition indignée de son avocat, l’homme se retourne, soulève sa chemise et présente à la Cour son dos qui n’est plus qu’un tissu de cicatrices informes. Silence et stupéfaction… Quelques semaines plus tard, cet homme revient me voir. Il me tend sa carte de réfugié, mais la tristesse de son visage me déroute. L’obtention du statut, en effet, est toujours l’occasion d’éclats de rire, de réjouissances avec l’équipe qui suspend quelques instants son activité. Le corps voûté, il me raconte alors ce qui s’est passé à la Commission des Recours. Je l’écoute et me souviens du long entretien au cours duquel il m’avait dit avec une profonde détresse : « Docteur, le dos, c’est rien… le pire c’était la soupe que je devais lécher tous les jours dans la gamelle jetée par terre comme pour un chien… » Je laisse le silence s’établir entre nous, puis le regarde et lui dis doucement : « Ils n’ont vu que votre dos… » Il relève alors son visage qui s’éclaire et me dit : « Oui, docteur, mais pas vous… alors cette carte elle est aussi pour vous. »

47Le nombre de personnes qui ont été victimes de sévices ou de tortures dans leur pays d’origine représente près du tiers des exilés reçus au Comede. Les médecins sont donc engagés dans une formation spécifique pour rédiger les certificats médicaux qui appuient la demande d’asile des étrangers auprès des services concernés. Dans le cas cité, si les séquelles cutanées me paraissaient compatibles avec les faits allégués, une question majeure se posait à moi : « Comment transmettre à la Commission des Recours et donc au corps social l’effet ultime des sévices subis qu’est l’humiliation allant jusqu’à détruire cet homme ? » L’immense pudeur, la sobriété et la justesse des mots et des postures chez bon nombre d’exilés torturés qui ont raconté leur histoire m’ont toujours frappée. En essayant de faire miennes ces attitudes, les exilés m’ont appris comment respecter leur dignité et leur souffrance. C’est pourquoi, dans le certificat, je n’ai pu que transcrire mot à mot les propres paroles de cet homme. Mais le jury n’a rien entendu ni rien compris. Comme si, en réduisant les faits aux seules marques visibles sur le corps, il attendait des tortionnaires la signature de leurs méfaits. Ce sont bien les victimes qui nous enjoignent de dénoncer les dérives de certaines procédures et la manipulation de certains discours. Encore faut-il prendre conscience des effets pervers que la question de la preuve peut aussi produire chez les soignants eux-mêmes. Rester dans le discours étiologique des dents cassées, des fractures et des cicatrices renforce le mythe de la preuve et risque de nous enfermer dans le soupçon. Que dire alors des terreurs nocturnes, du sentiment d’errance, des horreurs inscrites dans la mémoire ? Ce n’est que bien plus tard que j’ai pu écrire :

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« Nous savons bien que la torture s’inscrit dans un programme de déstructuration et de dépersonnalisation de l’individu. Nous savons aussi que si l’agression physique est l’image la plus “populaire” de la torture, elle en est aussi le témoin le plus réducteur. La torture est l’expression d’une pathologie aiguë du pouvoir. Si la torture est classiquement admise pour faire parler, dans une contagion progressive de silence elle finit par faire taire tous les régulateurs sociaux, journalistes, médecins, juristes [41]. » Et pourtant, les administrateurs et les magistrats attachent quasi instinctivement une plus grande importance aux séquelles physiques de la torture, dont ils demandent une preuve, qu’aux allégations et à l’histoire de l’exilé. L’exigence de la preuve devient de plus en plus prégnante pour le requérant et aboutit à des dérives majeures. La parole de la victime est d’emblée suspectée, voire de plus en plus niée. On oppose la parole du médecin à celle de l’exilé. Celle du sujet supposé savoir est retenue contre la parole de celui qui sait parce qu’il a souffert [42].

49Écriture et parole n’ont été possibles qu’après avoir découvert ce qui, en situation extrême, m’ouvrait une autre voie. Dans l’exemple cité, c’est l’homme qui m’a appris à écouter l’inaudible et à me tenir en sa parole. C’est lui qui m’a révélé que le profond respect peut transformer le silence de sidération en communion. Alors que l’obtention de son statut de réfugié lui ouvrait un avenir, cet homme m’a fait aussi découvrir le fruit d’une histoire maintenant commune. Quand le « plus petit » nous met à son école et à son écoute, c’est bien lui qui nous sauve du risque de la désespérance.

50Pour sortir du cercle infernal de la violence engendrée par l’inégalité, la vigilance est aussi de mise. Elle demeure de l’ordre de l’apprentissage et ne peut se faire qu’à plusieurs. Il faut pouvoir entendre le sentiment d’impuissance, la surcharge, le trop-plein, la lassitude et les doutes de celles et ceux qui sont au service. Prendre soin des soignants, tâche souvent trop réduite, est pourtant aussi vital pour les personnes que pour les institutions. C’est seulement dans la mesure où la vulnérabilité et les limites sont entendues et prises en compte, qu’une parole pourra oser se dire, aussi modeste soit-elle.

51Arnaud Veïsse, actuellement médecin directeur du Comede, me rappelait trois mots que je reprenais à l’envi : reconnaissance, restitution et réhabilitation[43] de la parole de l’exilé. Je ne sais si je reprendrais aujourd’hui ces mêmes termes. Mais l’impératif qu’ils évoquent, tant vis-à-vis des « plus petits » que de celles et ceux qui en prennent soin, garde et son sens et sa force pressante : il indique une tâche parfois accomplie, mais qui demeure toujours en devenir.

Sortir de la marginalité

52Sans que nous soyons l’un d’eux, ni comme eux en tout, les exilés et les malades nous marginalisent, nous fragilisent et nous mettent à distance du corps social. Pour sortir des ghettos qui les enferment et qui nous enferment, ils nous obligent à trouver des modèles d’information, de communication et de débat. Travaux et protocoles de recherche, participation aux colloques et publications sont des moyens de démarginaliser l’institution [44].

53L’expérience du soin et du compagnonnage nous fait croire qu’il est concrètement possible de s’engager dans un dialogue avec les associations, les communautés chrétiennes, ainsi qu’avec les instances publiques, gouvernementales ou les médias. Elle nous pousse à trouver des personnes ressources pour sortir des approximations et des clichés, à donner une information plus juste au sujet de questions complexes. Elle fait changer de regard et suscite de nouvelles conduites. Et, malgré les échecs, elle nous apprend à identifier les avancées et les réussites, même discrètes.

54Sortir de la marginalité passe aussi par le témoignage qui ouvre un espace de parole où le « plus petit » trouve sa place, où les acteurs font part de la fécondité du travail de proximité et d’entraide. Les récits de vie relatés dans les publications parlent plus que de longs discours. Cette pratique ancestrale du récit met en relation. Elle fait passer l’autre de « l’un parmi nous » à « l’un de nous ». Si le récit de vie n’efface pas les processus d’inégalité, il cherche à déplacer le lecteur ou l’auditeur. En faisant considérer l’autre comme « un autre soi-même », le récit nous rappelle le potentiel d’une éthique narrative et ses ressources pour grandir en humanité.

Interpeller en vue d’un agir solidaire

55Dans un article édité en 2005 par le Comede, Didier Fassin [45] fait part de la question du droit de séjour des étrangers en France pour raison médicale. L’auteur saisit l’occasion pour montrer en quoi la nouvelle condition sociale des étrangers définie par le droit devient alors « un analyseur des fondements moraux de notre monde [46] ». Et il en souligne les enjeux pour la vie de la cité :

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Les restrictions récentes du droit au séjour pour raison médicale et de l’accès aux soins pour les sans-papiers s’inscrivent dans un mouvement plus large qui vise à resserrer l’étau des pouvoirs publics sur les segments les plus fragiles de notre société – bien au-delà des seuls étrangers [47].

57Or, les restrictions de ce droit se sont aggravées depuis. Ce constat a alarmé bon nombre d’associations et de médecins : « De nombreuses préfectures ont commencé à refuser d’instruire la demande lorsque le “rapport médical” n’émanait pas d’un confrère “médecin agréé ou un praticien hospitalier”. […] Cette exigence nouvelle complique considérablement la procédure pour les malades concernés, et alourdit inutilement le travail de leurs médecins soignants [48] ». La pétition lancée en juin 2008 poursuit :

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Face à cette situation, nous ne pouvons accepter que, au mépris de la loi, les principes de la déontologie médicale s’effacent devant les mécanismes de la « lutte contre l’immigration ». Nous attendons que soient respectés notre exercice de médecins et les missions qui sont les nôtres pour la continuité des soins de tous nos patients, français comme étrangers.

59Trois revendications comprenant des propositions concrètes et réalisables sont alors adressées par le collectif au ministère de la santé publique.

60Cet exemple montre que l’interprétation des pratiques et l’analyse de leurs enjeux ne peuvent en rester au seul discours. La parole pour les « sans voix » n’a de sens que si elle s’articule, dans le même mouvement, à un agir solidaire. Les réalités d’injustice peuvent faire choisir d’entrer, avec d’autres, en dissidence, voire en « résistance », de poser des actes de désobéissance civile [49]. « La solidarité vis-à-vis des exclus ne s’arrête pas là où le droit impose des limites. […] Les communautés chrétiennes devront être soutenues par leur Église, y compris lorsque, dans des situations particulièrement graves, elles auront pris le risque de l’illégalité [50]. » Les croyants peuvent compter sur leur Église et sur sa mission « d’avocat et de défenseur [51] ». Quand ils interpellent la société, au nom même de l’Évangile et comme partenaires de mouvements sociaux ou associatifs, ils soutiennent ainsi les efforts entrepris pour dénoncer les dérives d’une interprétation restrictive du droit légitimant une politique d’exclusion. Les communautés s’insèrent alors dans la longue tradition chrétienne de justice sociale et l’actualisent.

« Où est ton frère ? Qu’as-tu fait ? »

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« Faire place à l’étranger dans nos démocraties n’est ni un luxe ni une faveur laissée au bon vouloir de l’État qui les accueille [52]. » C’est un devoir fondamental qu’aucune législation ou pratique politique n’a le droit de détourner ni de pervertir. L’idée d’une Europe retrouvant sinon une abondance, du moins une postérité à condition qu’elle s’érige en forteresse en se protégeant avant tout des étrangers est non seulement un rêve et une illusion, elle est un mensonge qui mène à la mort. Une société qui regarde l’autre étranger comme une menace est livrée à tous les conflits et s’expose à sa destruction [53].

62Ces paroles soulèvent deux questions que les étrangers eux-mêmes lancent de façon incisive : « Où est ton frère ? Qu’as-tu fait ? » La double interrogation se réfère aux paroles adressées par Dieu dans le livre de la Genèse [54]. Et les « plus petits » nous apprennent à l’entendre autrement, tant elle est essentielle pour qui veut fonder les bases d’une éthique de l’hospitalité nécessaire au « vivre ensemble ». C’est ce compagnonnage qui pousse des croyants à poser la question « Où est ton frère ? », en la traduisant par : « Quelle place fais-tu à l’étranger ? ». En effet, quelles possibilités la société offre-t-elle à celles et ceux qui se heurtent aux difficultés d’accès aux soins, à l’école, au logement, à l’emploi ? Plus fondamentalement encore, ces croyants demandent à chaque membre du corps social : « Qui considères-tu comme ton frère ? ». C’est aussi la pratique de l’hospitalité qui les oblige à dire : « Qu’as-tu fait ? » à « une société qui regarde l’autre étranger comme une menace ». Nous pouvons tous faire mémoire de moments cruciaux, dans l’histoire du monde, où le refus de l’autre a mené des milliers de personnes à la mort. Ici, l’appel lancé tant aux individus qu’aux sociétés oblige à voir et à se situer ; il dénonce et requiert une réponse.

63La Bible est riche en paroles pour « temps de crise », qui sont aussi temps de la décision. Récits, oracles ou paraboles sont alors là pour mettre en cause l’agir des humains vis-à-vis des « plus petits ». La parabole du riche et du pauvre Lazare en est un exemple, et son interprétation va permettre de poursuivre la réflexion éthique théologique.

Le service des « plus petits » comme unique réponse à la violence des inégalités : une lecture de la parabole du riche et du pauvre Lazare (Lc 16, 19-31)

64L’expérience du compagnonnage avec les « plus petits » ouvre un nouvel accès à la Parole de Dieu. Et la voie à emprunter pour se mettre à l’écoute de la Parole est encore celle de l’apprentissage. En me laissant instruire par les exilés et les malades, j’ai essayé d’entendre de façon nouvelle ce que Jésus dit dans sa Parole et d’en recueillir les fruits destinés aux uns comme aux autres. En gardant cette perspective en mémoire, cherchons à voir, à partir du commentaire de la parabole, l’éclairage que l’Écriture peut donner à la question de la violence engendrée par l’inégalité. Qu’est-ce que Jésus dénonce, mais aussi donne à voir et à entendre au sujet de nos relations avec les « plus petits » ? À quelle conversion invite-t-il les croyants ? D’autre part, la perception des injustices que nous produisons, alors même que nous cherchons à les combattre, ne risque-t-elle pas de conduire à la désespérance ? Alors, en quoi la confession de foi en Christ nous permet-elle d’affirmer que Jésus sauve l’humanité du malheur et ouvre à tous un chemin d’espérance ? Enfin, nous tenterons de montrer comment l’écoute de la Parole de Dieu en Église fortifie la vie éthique des chrétiens et des communautés.

Une lecture de la parabole

65Luc rapporte la parabole au sein d’un ensemble de paroles que Jésus adresse aux disciples et aux Pharisiens. Luc voit en eux les représentants authentiques de la pensée du judaïsme [55]. À travers les Pharisiens, c’est à toute la communauté d’Israël que Luc veut parler de la Loi. L’évangéliste construit le récit en deux parties. Chacune a son thème, sa conclusion et sa fine pointe formulée par Abraham. Essayons d’en dégager les traits essentiels.

Renversement et paradoxe : v. 19-26

66La première scène présente deux personnages dans leur condition terrestre. Le riche vit dans le luxe et festoie. Le pauvre souffre dans la misère et les chiens lèchent ses ulcères. Jésus dit du premier qu’il est un homme et qu’il est riche. Du second, il ne dit pas qu’il est homme [56], mais qu’il est pauvre, à la porte du riche. Il lui donne aussi un nom : « El ’azar » qui signifie « Dieu a secouru ». Le seul point commun entre le riche et Lazare est leur condition mortelle et c’est précisément la mort qui transforme leur situation. Au séjour des morts, le riche souffre dans les tortures, tandis que Lazare est à la place d’honneur.

67Abraham en tire un premier enseignement. Il proclame le privilège des pauvres [57], que « Dieu secourt ». Il fait voir qu’un grand abîme sépare ceux qui se réjouissent avec lui et ceux qui sont torturés. Cet abîme « ne fait que prolonger celui qui séparait le portail où se tenait Lazare et la table du festin [58] ». Or, le riche n’avait rien fait durant sa vie pour le combler. Le paradoxe est renforcé par le jugement qui rend la situation irrémédiable.

68Luc insiste sur l’abîme qui sépare les puissants et les nantis de « la multitude négligée de l’humanité [59] ». À travers cette image, on peut faire le lien avec l’accroissement des écarts au sein de nos sociétés, et entre le Nord et le Sud. L’aveuglement et la surdité du riche peuvent être mis en parallèle avec l’indifférence à l’égard d’autrui ou l’anesthésie politique qui, selon Didier Fassin, rend la réciprocité et la communauté impossibles.

Ils ont Moïse et les prophètes : v. 27-31

69Dans la seconde scène, le riche demande un signe destiné à convertir ses cinq frères. Abraham semble rétorquer que même une résurrection n’aurait pas changé la conception qu’a le mauvais riche de sa relation à autrui, lui qui ne se préoccupe pas davantage de Lazare qu’il ne l’avait fait de son vivant [60]. Les juifs demanderont aussi un signe à Jésus et il ne leur sera donné que celui de Jonas (Lc 11, 29).

70Le deuxième enseignement donné par Abraham est le plus important. Vous avez tout depuis « Moïse et les prophètes ». L’expression de Luc désigne les Écritures et donc l’ensemble du message révélé. Le riche ne pouvait ignorer l’exigence divine formulée dans la Loi sans cesse rappelée par nombre de prophètes. Mais il est resté sourd aux appels pressants et réitérés de Dieu :

71

S’il y a chez toi un pauvre, l’un de tes frères, […] tu n’endurciras pas ton cœur et tu ne fermeras la main à ton frère pauvre […] je te donne ce commandement : tu ouvriras ta main toute grande à ton frère, au malheureux et au pauvre que tu as dans ton pays.
(Dt 15, 7-11)

72Dans ce récit, Jésus n’apporte pas un commandement nouveau puisqu’il rappelle la Loi qui garde toute sa force et sa valeur, elle qui fait du pauvre un frère. Mais il débusque l’inégalité que produit son comportement. Il fait voir que l’indifférence et la cécité vis-à-vis du pauvre sont des obstacles majeurs à l’observance de la Loi. En racontant la parabole, Jésus montre que la Parole de Dieu n’a pas pu faire son chemin chez le riche. Il interroge les auditeurs sur la manière dont ils pratiquent l’injonction faite au peuple hébreu et qui scande toute l’Écriture : « Écoute Israël ». Jésus les renvoie à cette attitude si fondamentale de mise en pratique de la Parole qu’est l’écoute.

Une Parole de salut qui exhorte à croire et à aimer

73La pratique du compagnonnage avec les « plus petits » a mis en lumière la violence générée par l’inégalité. Elle apprend à mieux percevoir la force et la puissance de la Parole qui, à la fois, condamne et déplace l’auditeur en l’invitant à centrer son regard sur la personne même de Jésus. Mais, avant de suivre cette voie, arrêtons-nous sur le jugement de Dieu, car la violence qu’il semble contenir ne peut pas ne pas nous frapper. En effet, si Jésus répond à la violence de l’injustice par la violence d’un jugement irrévocable, notre humanité semble condamnée au désastre. Qu’est-ce qui permet alors d’affirmer que l’Évangile du Christ annonce la bonne nouvelle d’une humanité réellement sauvée du malheur ? La signification du jugement eschatologique apporte ici des éléments précieux de compréhension. « L’image de l’abîme est du domaine de la vision et non d’une réalité objectivable. La nature mythique des représentations du jugement eschatologique dans le Nouveau Testament donne à entendre, derrière les images employées, une interprétation du monde, de l’histoire et de l’existence humaine [61]. » Et la communauté lucanienne, transformée par l’expérience du mystère pascal, transmet une Parole de Jésus sous-tendue par une vision de l’histoire de l’humanité et de son salut en Jésus-Christ.

74Le jugement eschatologique, proclamé en « temps de crise », dit une chose fondamentale : « à savoir que l’histoire a un sens et que ce sens appartient à Dieu et à Dieu seul. L’humanité n’est pas livrée au pouvoir du néant ou à la folie des hommes ». Mais, dans le même mouvement, le jugement convoque les consciences dans un climat d’urgence et réclame un changement radical de regard et de comportement car il en va de la vie des hommes et de l’humanité. Quand la parole biblique redit à l’homme qu’il est « privé du pouvoir ultime de détruire l’humanité », elle lui rappelle sa responsabilité, en remettant celle-ci à sa juste place.

75En délivrant l’homme de ses prétentions, le jugement de Dieu permet de mieux voir, par-delà les inégalités, le possible à mettre en œuvre. Les chrétiens peuvent dire que l’humanité n’est pas vouée à sa destruction et que son histoire a un sens. Bien plus, en Christ elle est sauvée du drame de l’inégalité. Mais cette confession de foi ne peut être dite que si elle s’articule et donne à voir un agir solidaire qui privilégie le « plus petit » auquel Jésus s’est identifié. L’immense espérance ouverte par cette affirmation n’acquiert son sens plénier que si la foi en Jésus-Christ et l’amour d’autrui se vérifient dans une pratique.

À l’écoute de la Parole et à l’école de Jésus

76Puisque, en Jésus, la Parole de Dieu désarme la violence destructrice et sauve l’humanité, les chrétiens peuvent se laisser déplacer par Jésus lui-même qui les invite de façon pressante à se convertir. C’est encore la pratique de l’hospitalité qui aide à mieux percevoir le double retournement qu’exige cette conversion. Le premier consiste en une écoute de la Parole en Église. Le second se fonde sur Jésus lui-même qui appelle les croyants à se mettre à son école. Voyons comment vivre cette conversion et quels en sont les fruits pour la vie éthique.

L’écoute de la Parole en Église

77« Vous avez tout depuis Moïse et les prophètes. » Cette parole affirme que les croyants n’ont pas à chercher une réponse ailleurs que dans l’Écriture. C’est donc l’Écriture, Parole faite chair en Jésus, que les chrétiens sont appelés à scruter, à entendre, à écouter pour se laisser transformer par elle. Le concile Vatican II souligne la part jouée par la Parole de Dieu dans la mise en œuvre concrète du respect d’autrui.

78

Que chacun considère son prochain, sans aucune exception, comme « un autre lui-même », tienne compte avant tout de son existence et des moyens qui lui sont nécessaires pour vivre dignement, et se garde d’imiter ce riche qui ne prit nul souci du pauvre Lazare. De nos jours surtout, nous avons l’impérieux devoir de nous faire le prochain de n’importe quel homme […] [qui] interpelle notre conscience en nous rappelant la parole du Seigneur : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ».

79Philippe Bordeyne, dans ce commentaire de Gaudium et Spes, relève l’importance de la communauté et de l’écoute collective de la Parole de Dieu pour la vie éthique. « La vue des pauvres et des opprimés ne débouche pas à elle toute seule sur l’action éthique, pas davantage que le souvenir des paroles de l’évangile. Il faut le travail coordonné de la conscience morale et de la mémoire que chacun conserve en soi de la Sainte Écriture pour que naisse une véritable réponse. D’où l’importance de l’écoute en Église de la Parole de Dieu : l’écoute personnelle s’amplifie dans le corps ecclésial et chacun s’en trouve davantage immergé dans le corps social [63]. » Quand les chrétiens se rassemblent pour célébrer l’eucharistie, et partager la Parole de Dieu, les sujets acquièrent une plus grande compétence pour la vie éthique, « parce que leur intériorité se construit dans un contexte social, qui exclut la fermeture sur soi ».

80C’est sur ce chemin-là que se cherche une éthique chrétienne. Pour vivre réellement et avec et pour les autres, pour apprendre à discerner ce qui maintient l’injustice ou, au contraire, ce qui la réduit, pour tenir dans la durée malgré les échecs, « l’éthique a besoin de l’Évangile [64] ».

À l’école de Jésus

81L’Évangile nous révèle que « Jésus a pris sur lui la part “Lazare”. Elle n’est plus uniquement cachée dans les Écritures. Elle est là et elle parle [65]. » En contemplant Jésus qui s’identifie à ceux qu’il appelle lui-même « les plus petits d’entre mes frères », les chrétiens perçoivent davantage la manière dont il en a pris soin et jusqu’où ce choix l’a conduit. Et Jésus donne à voir le retournement que lui seul peut opérer chez celles et ceux qui se mettent à son école et au service du prochain.

82L’écoute de la Parole nous introduit dans une familiarité plus grande avec Jésus. Il en résulte une interprétation neuve et parfois surprenante de notre propre histoire quand nous faisons mémoire de lui. Ainsi, la parabole conduit à porter un jugement sur le comportement du jury de la Commission des Recours, lorsque celui-ci attendait un signe et cherchait à voir les marques sur le dos de l’homme zaïrois. À la lumière de la Parole, je peux confesser qu’en se faisant le « plus petit », Jésus m’a « obligée » à me détourner de son dos pour que j’écoute sa détresse. C’est encore Jésus qui nous apprend à nous tourner vers un tiers quand le constat d’impuissance se fait trop prégnant ou quand le découragement nous guette.

83Celles et ceux qui prennent soin des « plus petits » ne sont pas bénis parce qu’ils l’ont fait au nom de Jésus, mais parce que leur attitude les marque à la ressemblance de leur Sauveur. Et Jésus leur donne encore aujourd’hui d’entendre sa propre Parole : « c’est à moi que tu l’as fait… heureux es-tu… » Tout geste d’hospitalité, aussi modeste soit-il, est transformé par le Christ en acte de salut, tant pour le « petit » lui-même, pour celui qui l’accueille que pour l’humanité. Quand la Parole de Dieu ravive la mémoire, elle donne non seulement une autre vision de l’histoire singulière et collective, mais elle met aussi en lumière un agir qui met ou non l’Évangile en actes. En nous apprenant comment il nous donne part à sa vie même, le Christ nous convie à la joie de l’humble service et consolide la vie éthique.

Conclusion

84Les travaux de recherche menés par Didier Fassin m’ont fait prendre conscience de la violence qu’engendre « l’inégalité des vies biologique et politique, locale et globale [66] ». Ils m’ont fait découvrir la force du modèle d’inégalité qui provoque l’éthique théologique dans sa réflexion et sa tâche.

85À travers l’histoire de l’épidémie du sida en Afrique du Sud, l’auteur fait part des ressources de vie des personnes ou des groupes qui ont choisi l’autre « comme un autre soi-même » et il souligne leur capacité à inventer de nouvelles formes de solidarité. Il met ainsi en évidence l’impérative conversion du regard et du comportement qu’exige cette éthique. Ces éléments rejoignent l’éthique de l’apprentissage auprès des « plus petits » et celle de l’hospitalité que j’ai essayé de vivre avec d’autres. La démarche de l’un comme de l’autre, pratiquée dans des réalités diverses, dit une éthique bien fragile et pourtant féconde. Cette éthique ne peut s’apprendre que dans un compagnonnage avec les « plus petits » eux-mêmes. Elle vient aussi soutenir les personnes en quête d’une plus grande justice et d’une réelle solidarité, et les aider à relire leur pratique.

86La Parole de Dieu faite chair en Jésus à la fois conteste et condamne l’indifférence vis-à-vis d’autrui. Elle sauve l’humanité du malheur de l’inégalité. Elle appelle les croyants à aimer les « plus petits » en se mettant à leur écoute et à leur école. Parce que Jésus s’est fait l’un d’eux, sa Parole donne une espérance que rien ne peut briser. Parce que la Parole est capable de transformer notre regard et notre agir, elle vient confirmer et conforter la vie éthique. Mais elle fait bien plus encore : quand elle « fait ce qu’elle dit », quand elle fait prendre le « plus petit » « comme référence et préférence [67] », la Parole de Dieu engendre un corps singulier et communautaire à une vie nouvelle.

Notes

  • [1]
    Consulter le site : ursule-tours.cef.fr
  • [2]
    Comede, B.P. 31, 94272 Le Kremlin Bicêtre Cedex. Consulter le site : www.comede.org
  • [3]
    Élisabeth Didier, Quelle place pour le théologien moraliste dans le débat en éthique médicale ? À propos de l’évaluation théologique d’un outil pédagogique élaboré par le Centre de droit et éthique de la santé de Lyon, Mémoire de maîtrise en théologie morale, Institut catholique de Paris, juin 1995, p. 67.
  • [4]
    Je tiens à remercier particulièrement Philippe Bordeyne, doyen de la faculté de théologie de l’Institut catholique de Paris. Cet article est un des fruits du « compagnonnage » dont j’ai bénéficié tout au long de l’année. Tuteur pédagogue et exigeant, il a su transmettre et faire partager sa passion pour la réflexion théologique par ses propositions de lecture et d’écriture, ses encouragements et son profond intérêt pour le sujet.
  • [5]
    Le modèle est défini comme « tout système de relations entre des propriétés sélectionnées, abstraites et simplifiées, construites consciemment à des fins de description, d’explication ou de prévision et, par là, pleinement maîtrisable » : voir P. Bourdieu, J.-C. Passeron, J.-C. Chamboredon, Le Métier de sociologue, Paris, Mouton, 1980, p. 75.
  • [6]
    Voir Mt 25, 31-46.
  • [7]
    Consulter le site : http://iris.ehess.fr
  • [8]
    Didier Fassin, L’Espace politique de la santé, Paris, puf, coll. « Sociologie d’aujourd’hui », 1996, p. 59.
  • [9]
    Voir Laurent Vidal, Karine Delaunay, « Analyse et compte rendu », Cahiers d’études africaines, 1999, vol. 39, n° 153, p. 196-200, p. 196-197, et la recension de l’ouvrage sur le site : http://www.persee.fr
  • [10]
    Didier Fassin, L’Espace politique de la santé, p. 294.
  • [11]
    Ibid., p. 70-73.
  • [12]
    Ibid., p. 241.
  • [13]
    Ibid., p 105.
  • [14]
    Voir Didier Fassin, « L’altérité de l’épidémie. Les politiques du sida à l’épreuve de l’immigration », REMI, Revue européenne des migrations internationales, vol. 17, n° 2, p. 139-151.
  • [15]
    Didier Fassin, « Le corps de l’étranger », Maux d’exil, n° 12, Paris, septembre 2005, p. 1-3, p. 1.
  • [16]
    L’accès à la couverture maladie universelle donne à l’étranger malade la possibilité de la gratuité des soins, puis l’obtention d’une autorisation de travail lui permet de subvenir à ses besoins.
  • [17]
    Voir Didier Fassin, « Le corps de l’étranger », p. 3.
  • [18]
    Didier Fassin, L’Espace politique de la santé, p. 303.
  • [19]
    Ibid., p. 304.
  • [20]
    Didier Fassin, Quand les corps se souviennent. Expériences et politiques du sida en Afrique du Sud, Paris, La Découverte, 2006, p. 14.
  • [21]
    Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Seuil, 1995, p. 31, in Didier Fassin, Quand les corps se souviennent, op. cit., p. 12.
  • [22]
    Didier Fassin, Quand les corps se souviennent, p. 12.
  • [23]
    Ibid., p. 398.
  • [24]
    Ibid., p. 273 s.
  • [25]
    Ibid., p. 25.
  • [26]
    Ibid., p. 399.
  • [27]
    Voir Lisa Sowle-Cahill, « Génétique éthique et politique sociale. L’état de la question », Concilium, n° 275, 1998, p. 7-13.
  • [28]
    Voir Didier Fassin, Quand les corps se souviennent, p. 364 s.
  • [29]
    Consulter le site : www.comede.org
  • [30]
    Équivalant à dix-sept temps pleins.
  • [31]
    Exil provient du latin exilium, dérivé de exilirse qui signifie sauter dehors.
  • [32]
    Voir Élisabeth Didier, « L’espérance au cœur de la souffrance et de la solitude ou l’hôte retrouvé », colloque acat, Paris, 5 novembre 1994, Centre d’études du Saulchoir, n° 2, juin 1995, Paris, Cerf, p. 23-33.
  • [33]
    Gomez Mango, Psychiatre au Centre Minkowska, Paris.
  • [34]
    Jeanne Champion a rassemblé des récits d’exilés dans son livre : Mémoires en exil, Paris, Fayard, 1989.
  • [35]
    Maurice Bellet, L’Écoute, Paris, epi/ddb, 1989, p. 40.
  • [36]
    Ibid., p. 41.
  • [37]
    Sur la question de la légitimité et de la légitimation des compétences des personnes et des institutions, voir Didier Fassin, L’Espace politique de la santé, p. 153 s.
  • [38]
    Consulter le site : www.comede.org
  • [39]
    De la République démocratique du Congo.
  • [40]
    Au sujet des démarches administratives et juridiques concernant la demande d’asile, consulter les sites du Gisti et de la Cimade.
  • [41]
    Nicole Lery, « Le médecin légiste confronté à la torture », Pratique et répression judiciaire de la torture, l’actualité à la lumière de l’histoire, p. 318.
  • [42]
    Élisabeth Didier, « Torture et mythe de la preuve », Plein Droit, n° 18-19, oct. 92, p. 64-69. Voir aussi : François Bernard, « Évolutions récentes de la juridiction de l’asile », Maux d’exil, n° 12, Paris, juin 2008, p. 1-3.
  • [43]
    Voir Élisabeth Didier, « Restauration physique et morale des victimes de la torture », Document acat, n° 49/1994, p. 33-41.
  • [44]
    Voir Élisabeth Didier, « Les difficultés du consentement », Soins, n° 563/564, août-septembre 1992, p. 12-15.
  • [45]
    Didier Fassin, « Le corps de l’étranger », op. cit., p. 3.
  • [46]
    Cf. Didier Fassin, « Une double peine. La condition sociale des immigrés malades du sida », L’Homme, Revue française d’Anthropologie, n° 160, 2001, p. 137-162, p. 162.
  • [47]
    Didier Fassin, « Le corps de l’étranger », p. 3.
  • [48]
    Voir la pétition sur le site www.comede.org et le rapport de l’Observatoire du droit à la santé des étrangers sur le site : www.odse.eu.org
  • [49]
    Les Français abritant chez eux des étrangers sans titre de séjour en cours de validité sont condamnés par la loi.
  • [50]
    « Les étrangers en situation illégale en Europe », texte adopté à la rencontre à Munich, suscitée par la Conseil pontifical pour la pastorale des migrants, en 1994, édité par le Service national de la pastorale des migrants, Paris, p. 1-8.
  • [51]
    Dietmar Mieth, « Hommes en fuite. Réflexions socio-éthiques sur la répartition des droits et des devoirs », Concilium, n° 248, 1993, p. 91-108, p. 105-106.
  • [52]
    Ernst Tugendhat, cité par Dietmar Mieth, art. cit., p. 97.
  • [53]
    Voir André Jacques, « Pour une société de vérité, de justice et de pardon », Document acat, p. 44.
  • [54]
    Gn 4, 9-10.
  • [55]
    Augustin George, « La parabole du riche et de Lazare : Lc 16, 19-31 », Assemblées du Seigneur, n° 57, Paris, Cerf, 1971, p. 80-93, p. 84.
  • [56]
    Alain Dragon, « La parabole du riche et du pauvre Lazare », Sémiotique et Bible, n° 117, Lyon, mars 2005, p. 46-55, p. 48.
  • [57]
    Luc le fait dans le Magnificat (1, 52-53), les Béatitudes (6, 20-21) : voir Augustin George, p. 87.
  • [58]
    Hugues Cousin, L’Évangile de Luc, Paris/Ottawa, Centurion/Novalis, 1993, p. 222.
  • [59]
    Expression de Joseph A. Fitzmeyer, citée par Yves Boursier, p. 58.
  • [60]
    Yves Boursier, « Le mauvais riche et le pauvre Lazare : une lecture sociale », Scriptura, n° 23, Montréal, 1997, p. 53-69, p. 54.
  • [61]
    Elian Cuvillier, « Jugement eschatologique et éthique : une tension féconde », Colloque Eschatologie et morale, Institut catholique de Paris, mars 2008. Intervention non publiée à ce jour. Les citations entre guillemets qui suivent et qui n’ont pas de référence en bas de page, sont de l’auteur.
  • [62]
    Gaudium et Spes n° 27 § 3.
  • [63]
    Voir Philippe Bordeyne, « La dignité de la personne et la communauté humaine » (GS 12-32), in : Gérard Daucourt et alii, Dieu, chemin vers l’homme ; l’homme, chemin vers Dieu. Réflexions à partir de « Gaudium et Spes ». Conférences de Carême à Notre-Dame de Pentecôte à La Défense, Paris, Parole et Silence, 2006, p. 49-70.
  • [64]
    Ibid., p. 70.
  • [65]
    Alain Dragon, p. 55.
  • [66]
    Didier Fassin, Quand les corps se souviennent, p. 391.
  • [67]
    Expression retenue par la Congrégation générale de la Compagnie de Sainte-Ursule de Tours de 1984, en référence à l’option préférentielle pour les pauvres. Voir Décrets de la 32e Congrégation générale de la Compagnie de Jésus, Paris, 1976.
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