Notes
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[1]
http://media.figaro.fr/publisher_mass_premium/ Media.figaro, communiqué de presse du 21 septembre 2016, source Médiamétrie Netratings juin 2016. 2016 est l’année de référence, car elle consolide les chiffres d’audience de CCM Benchmark racheté en 2015. Consulté le 26 juillet 2017.
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[2]
Entretiens réalisés en mars 2017 auprès de Jean-Clément Texier, Président de Ringier France, Président de la Compagnie financière de communication, ainsi que Laurent Benzoni, Professeur de sciences économiques à Sorbonne Universités, Président de Tera Consultants.
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[3]
Fin 2015, les Français disposaient en moyenne de 28 applications sur leur smartphone et n’en utilisaient que 5 de manière régulière, principalement des jeux et des réseaux sociaux (Médiamétrie, Web Observatoire T4 2015). Les Français consultent en moyenne une quarantaine de sites web depuis leur smartphone chaque mois.
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[4]
« La marque est plus fondamentale sur le Net que sur le papier », interview de Francis Morel, Dg du Groupe Figaro, par Frédéric Roy et Didier Si Ammour, CBNews, 16 juillet 2007.
-
[5]
Cité in Pascale Santi, « La nouvelle formule du Figaro en trois cahiers veut tenter d’enrayer la baisse des ventes », Le Monde, 27 septembre 2005.
-
[6]
Cité in Sandrine Bajos, « Le Figaro met le turbo sur le Net », La Tribune, 5 avril 2007.
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[7]
« La marque est plus fondamentale sur le Net que sur le papier », interview de Francis Morel, Dg du Groupe Figaro, par Frédéric Roy et Didier Si Ammour, CBNews, 16 juillet 2007.
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[8]
Selon Francis Morel, cité in « Le directeur du Figaro optimiste pour l’avenir de la presse grâce au net », AFP, 25 octobre 2007, « seuls 20 à 25 % des internautes sont des lecteurs fidèles du quotidien ».
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[9]
Cité in Xavier Ternisien, « Le Figaro lance une nouvelle formule et veut faire payer plus d’articles sur Internet », Le Monde, 29 mars 2013.
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[10]
Marc Feuillé a remplacé Francis Morel en janvier 2011.
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[11]
Cité in Enguérand Renault, « Avec CCM Benchmark, le groupe Figaro affirme sa puissance », Le Figaro, 6 décembre 2016.
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[12]
Cité in Chloé Woitier, Lucie Ronfaut et Enguérand Renault, « Avec CCM Benchmark, le Groupe Figaro devient le leader français des médias numériques », Le Figaro, 2 octobre 2015.
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[13]
Cité in Enguérand Renault, « Avec le Figaro, nous créons enfin un acteur de taille européenne », interview de Benoît Sillard et Jean-François Pillou, PDG et DG de CCM Benchmark, Le Figaro, 12 octobre 2015.
-
[14]
Ibid.
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[15]
Chloé Woitier, Lucie Ronfaut et Enguérand Renault, « Avec CCM Benchmark, le Groupe Figaro devient le leader français des médias numériques », Le Figaro, 2 octobre 2015.
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[16]
Cité in Enguérand Renault, « Figaro : nous sommes devenus une véritable régie plurimédias », Le Figaro, 18 septembre 2014.
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[17]
Cité in Enguérand Renault, « Le Figaro et CCM Benchmark regroupent leurs forces pour créer une régie puissante », Le Figaro, 19 janvier 2016.
1La recherche sur les stratégies des groupes de presse sur Internet se concentre en grande partie sur les logiques défensives des acteurs historiques face aux nouveaux entrants, sur la question de la profitabilité des offres en ligne, sur la nécessité d’expérimenter de nouveaux modèles d’affaires, enfin sur la fixation des prix de l’information dans un contexte où l’agrégation de l’information et la participation du public à son élaboration peuvent modifier en profondeur les équilibres économiques (Mitchelstein et Boczkowski, 2009 ; Dagiral et Parasie, 2010). Cette recherche est donc centrée sur les entreprises de presse et les contraintes qu’elles affrontent. Elle ne porte que marginalement sur l’apprivoisement de logiques extérieures à la presse et issues en grande partie des stratégies des pure players qui structurent par leurs offres les modalités de navigation, donc aussi l’accès à l’information (Rebillard et Smyrnaios, 2010). Or cet apprivoisement des logiques structurantes de l’Internet s’inscrit au cœur de la stratégie du seul groupe de presse véritablement profitable d’année en année, et issu d’un quotidien d’information générale et politique, le Groupe Figaro (nous excluons ici Les Échos (LVMH), dont la vocation première est l’information économique, mais également le groupe Le Monde libre qui sort de dix années difficiles, ou encore Bayard Presse, la gamme de titres du groupe l’inscrivant principalement dans la presse d’opinion et la presse pour enfants).
2Dès 2004 et son rachat par Dassault, le Groupe Figaro a mis en place une politique ambitieuse sur Internet qui lui permet de s’imposer en 2016 parmi les cinq plus grands de l’Internet français en termes d’audience [1], derrière Google, Facebook et Microsoft, mais devant Solocal Group. Dans ce classement, le Groupe Figaro est le seul groupe issu de la presse, un argument mis en avant par sa régie qui qualifie l’ensemble des supports du groupe de « 1er publisher mass premium sur le digital ». Audience conséquente et qualifiée, dimension éditoriale des contenus, donc puissance également des marques associées sont ici mises en relation afin d’offrir aux annonceurs une alternative aux grandes plateformes de services que sont Google, Facebook ou Microsoft, présentées de facto comme les concurrents directs du Groupe Figaro sur le marché de la publicité en ligne. S’ajoute à cette offre une expertise en gestion de données qui permet d’optimiser au mieux la communication des annonceurs. À l’évidence, ce positionnement est atypique pour la presse française et s’explique par la stratégie de l’actionnaire. Dassault est un groupe technologique qui investit dans l’innovation, qu’il s’agisse d’aéronautique ou de réalité virtuelle. Cet impératif d’innovation, appliqué au Groupe Figaro, s’est traduit d’abord dans l’émergence d’un modèle d’affaires original.
3Afin de mieux cerner le positionnement du Groupe Figaro et les enjeux concernant les modèles d’affaires susceptibles de financer demain la production d’information d’actualité générale et politique, nous nous proposons d’établir ici une monographie de la stratégie du groupe ces dix dernières années. Après un bref rappel des évolutions du marché de la presse quotidienne nationale d’information générale et politique depuis le début des années 2000, l’article analysera en regard les choix opérés par le Groupe Figaro sur Internet. Le modèle d’affaires en ligne sera questionné notamment au regard de sa contribution au pluralisme de l’information. Enfin, nous interrogerons les conséquences du rachat de CCM Benchmark, qui constitue une rupture stratégique, parce qu’il réoriente le modèle d’affaires et reformule autrement les enjeux éditoriaux auxquels est confronté le groupe sur Internet.
Méthodologie
4L’analyse d’une stratégie d’entreprise peut reposer sur l’étude des documents institutionnels produits par le groupe à l’attention de ses actionnaires. Le Groupe Figaro étant une filiale non cotée du groupe Dassault, ce type de document n’est pas disponible. En revanche, la stratégie du groupe fait l’objet de nombreuses prises de parole publiques où les dirigeants expliquent les choix retenus. Ces prises de parole sont en grande partie accueillies dans les pages dites Médias du quotidien Le Figaro, et parfois dans d’autres journaux spécialisés, à l’occasion d’interviews des dirigeants. Ces interviews sont complétées d’articles de presse détaillant les choix stratégiques retenus, lesquels reprennent le plus souvent la communication du groupe (les communiqués de presse). Nous nous proposons d’exploiter ces trois sources afin d’analyser la stratégie du Groupe Figaro : les interviews des dirigeants, les articles de presse sur la stratégie du groupe, les communiqués de presse, en sachant évidemment qu’il s’agit de dispositifs d’information et de communication. Il faut ajouter à ces trois sources l’analyse des offres commerciales proposées par la régie du groupe Media.figaro. Ces sources primaires d’information ont été complétées par des entretiens auprès d’experts des médias, notamment en ce qui concerne le modèle d’affaires du Groupe Figaro et la question de la valorisation des espaces publicitaires en ligne [2].
Quelques évolutions récentes du marché de la PQN d’information au prisme d’internet
5Proposer une synthèse des principales évolutions du marché de la presse quotidienne nationale d’information générale et politique depuis le début des années 2000 relève de la gageure, seuls quelques éléments significatifs étant ici retenus pour identifier les principaux enjeux auxquels est confronté le Groupe Figaro.
6Le premier d’entre eux consiste en l’émergence d’une double concurrence au début des années 2000 avec d’une part l’apparition de la presse gratuite d’information (PGI), d’autre part l’augmentation du taux de pénétration d’Internet dans les foyers, qui va favoriser une hausse des consultations des sites de presse en ligne, qu’ils soient issus des quotidiens historiques ou qu’il s’agisse de pure players. Ces derniers, souvent en accès libre, vont, avec la presse gratuite d’information, tout à la fois banaliser l’accès à l’information auprès du plus grand nombre, et favoriser simultanément une demande de gratuité de la part d’un public désormais élargi. De nouveaux modèles économiques reposant sur le financement exclusivement publicitaire vont alors s’imposer afin de toucher cette nouvelle population de lecteurs (Sonnac, 2009). La PQN conservera en revanche son modèle économique à deux versants pour l’imprimé, ce qui l’obligera à des clarifications éditoriales entre presse papier et site en ligne, qui se traduiront par l’émergence de stratégies dites « bi-média ». À cet égard, la baisse des ventes de la PQN d’information générale et politique, qui préexiste à Internet, s’explique d’abord par le vieillissement du lectorat, plus marqué en France qu’ailleurs (Le Floch, 2006). La conversion aux offres en ligne des lecteurs historiquement fidèles au papier n’est en effet pas mécanique, la substituabilité entre version papier et Internet étant faible (Gentzkow, 2007). De ce point de vue, l’information en ligne renforce la lecture de presse, mais conduit-elle à favoriser aussi le pluralisme des titres et de l’information ? Autrement dit, le marché publicitaire en ligne peut-il seul garantir la profitabilité des sites d’information et favoriser le renouvellement éditorial qu’ils portent, grâce à l’augmentation significative du nombre des lecteurs sur Internet ?
7Pour répondre à cette question, la plupart des groupes de presse ont dû expérimenter de nouveaux modèles d’affaires, notamment quand ils contrôlent de grands quotidiens, ces groupes pouvant être qualifiés de « leaders explorateurs » parce qu’ils dominent sur le papier et doivent innover pour s’adapter aussi à Internet (Benghozi et Lyubareva, 2013 ; Lyubareva et Rochelandet, 2016). Avec la mise en ligne de l’information, les économies générées par la suppression des coûts d’impression et d’une très grande part des coûts de distribution s’avéreront être en grande partie annulées par la faible valorisation des encarts publicitaires sur Internet, comparé à la publicité dite « print ». La raison principale de cet écart est liée aux différences comportementales du lectorat sur papier et sur Internet, quand bien même s’agirait-il des mêmes individus, ce qui est perceptible quand un titre renonce à sa version papier pour basculer totalement en ligne, à l’instar du quotidien finlandais Taloussanomat (Thurman et Myllylahti, 2009). En payant leur quotidien, les lecteurs papier privilégient un seul titre, qu’ils vont lire sur un laps de temps certain. À l’inverse, le butinage sur Internet, favorisé par la gratuité d’accès aux titres, fait chuter l’attention des lecteurs et le temps passé sur les sites des quotidiens, deux facteurs qui conduisent les annonceurs à faiblement rémunérer les contacts en ligne. C’est seulement quand le temps de consultation en ligne dépasse le temps de lecture sur papier qu’une meilleure valorisation des audiences sur Internet peut être envisagée, et donc aussi la suppression de la version papier, une stratégie initiée par le quotidien québécois La Presse en 2016.
8L’exemple est intéressant parce qu’il repose d’abord sur le succès de l’application La Presse+, lancée en 2013 pour les tablettes. Les performances de la presse en ligne sont ici associées à un changement de l’environnement de lecture, les smartphones à la fin des années 2000, puis les tablettes au début des années 2010. Alors que sur le Personal Computer (PC) le recours aux moteurs de recherche a favorisé une navigation diversifiée, le développement des terminaux mobiles a rapatrié les usages des internautes sur quelques applications, tout en diminuant le nombre de sites web consultés par ailleurs [3]. La réduction de la diversité des sources d’information consultées a alors permis d’envisager la profitabilité d’une offre éditoriale plus limitée en nombre de titres, mais bénéficiant d’audiences conséquentes et fidèles. Dès qu’une application satisfait un internaute, ses concurrentes ont en effet peu de chances d’être téléchargées, ce qui favorise clairement les applications bénéficiant d’une forte valeur d’usage, et les marques de presse disposant déjà d’une notoriété, parce qu’elle peut rassurer a priori le lecteur, ou simplement parce qu’elle permet d’apparaître en bonne place dans les classements proposés au sein des magasins d’applications. Une fois l’application téléchargée, l’éditeur de presse dispose de moyens élargis pour mieux fidéliser son lectorat et augmenter le temps de lecture. L’application permet notamment l’envoi de notifications, ce qui force l’attention des lecteurs et offre aussi à la presse une réactivité nouvelle. L’organisation des entreprises de presse traduit cette évolution en privilégiant de plus en plus le « web first », le titre papier venant approfondir l’information dans un second temps. Avec les applications, la presse a ainsi pu espérer reproduire en ligne, en partie, les équilibres historiques qui permettaient le financement de l’information. Avant Internet, les médias étaient rares, les audiences captives et les annonceurs dépendants, cette dépendance des annonceurs et des lecteurs étant à l’inverse la garantie d’indépendance économique et éditoriale des rédactions (Starr, 2012).
9L’effet de verrouillage des lecteurs et des annonceurs par les applications de presse est toutefois à nuancer, car, avec Internet, les annonceurs n’ont plus la nécessité de passer par les médias pour toucher leurs consommateurs potentiels. Enfin, les applications de presse ne comptent pas parmi les plus installées sur smartphone, ce qui conduit les éditeurs à passer par des intermédiaires afin d’entrer en contact avec leur lectorat. Les éditeurs pourront opter pour des stratégies de référencement naturel ou payant, ou développer leur présence sur les réseaux sociaux. Certains éditeurs renoncent même désormais à leur offre en ligne contrôlée en propre pour ne distribuer leurs contenus que sur les réseaux sociaux, ainsi d’AJ+ aux États-Unis ou, en France, de MinuteBuzz (depuis octobre 2016). Sur les réseaux sociaux, l’offre d’information est de nouveau pléthorique et les éditeurs ne peuvent plus prétendre enfermer leurs lecteurs dans un univers qu’ils contrôlent, comme ils le font avec leurs applications. Les modèles d’affaires de la presse en ligne reposent ainsi, et de plus en plus, sur des processus de création de valeur dans un environnement élargi, avec des partenaires qui sont aussi des compétiteurs, à l’instar des infomédiaires. Cette approche holistique du modèle d’affaires est plus généralement constatée sur les différents marchés de l’économie numérique. Formulée notamment par Amit et Zott, elle constitue une grille de lecture des stratégies d’innovation (Amit et Zott, 2001) qui sera mobilisée pour l’analyse du modèle d’affaires en ligne du Groupe Figaro.
10Enfin, le développement de la consommation d’information sur mobile depuis la fin des années 2000 a renforcé les possibilités de ciblage publicitaire, le smartphone étant un terminal éminemment personnel. Les régies des titres de PQN d’information générale et politique ont à cet égard un avantage historique grâce à leur lectorat de catégories socioprofessionnelles supérieures. Les sites d’information spécialisés permettent quant à eux d’identifier des profils par centres d’intérêt. Ces différents publics sont notamment exploités par la régie du Groupe Figaro qui, par l’analyse des données issues de la fréquentation du portail du groupe, permet de qualifier les audiences à la fois par catégorie socioprofessionnelle, mais également par centre d’intérêt, voire même jusqu’au profil individuel. À cet égard, aux pratiques exploratoires des régies dans les années 2000 (Ouakrat et al., 2010) doit de plus en plus se substituer une expertise en gestion de données afin de garantir aux annonceurs l’efficacité de leur communication. Les éditeurs d’information en ligne se retrouvent donc sur Internet en concurrence avec les spécialistes de la performance publicitaire par la qualification des audiences, Google et Facebook en tête. Si ces derniers ont pour avantage de connaître intimement leurs utilisateurs, les médias avancent en revanche la force de leurs marques et l’attention de leurs publics, donc un argument de notoriété. La notion de notoriété est directement héritée des régies des médias historiques, qui garantissent une audience, mais ne s’engagent pas sur la performance de la campagne, laquelle dépend de l’agence médias.
11Reste que le marché publicitaire en ligne ne suffit pas, seul, à pérenniser l’existence des rédactions, à de rares exceptions près, ainsi des sites issus de pure players disposant d’audiences massives comme BuzzFeed. Les revenus publicitaires doivent donc souvent être complétés, ce qui conduit les groupes à diversifier leur offre d’information et de services, et à développer des offres payantes en ligne. En la matière, les stratégies dites freemium s’imposent, qui cherchent toutes à discriminer entre lecteurs occasionnels et lecteurs fidèles, les premiers faisant l’objet d’une valorisation publicitaire quand les seconds doivent être convertis progressivement au payant, la stratégie du New York Times étant sur ce point un cas d’école (Bassoni et Joux, 2014). Ces deux options du développement des ressources publicitaires et du payant ont été explorées par le Groupe Figaro, avec un intérêt renouvelé pour le marché publicitaire depuis le rachat de CCM Benchmark en 2015. L’histoire récente du groupe témoigne ainsi des expérimentations que les groupes historiques de presse ont dû initier pour adapter leur modèle d’affaires au numérique. Elle témoigne en même temps de la tendance à la concentration des audiences et des titres, qui ne correspond pas directement à une réduction de la diversité éditoriale, parce qu’elle s’accompagne d’une plus grande pluralité des thématiques traitées. Cette pluralité est même au cœur du modèle d’affaires que le Groupe Figaro a choisi d’adopter pour repenser son offre sur Internet et sur papier.
La Galaxie Figaro : portail, marques et audiences en ligne
12« Nous avons voulu développer un discours de marque, car Le Figaro est une marque très forte à laquelle un public est très attaché. Nos prédécesseurs ont développé des magazines autour du quotidien. J’ai pensé qu’il fallait reprendre et amplifier cette réflexion : comment se servir de la marque pour faire plus ? » [4]. Tels étaient les propos tenus par Francis Morel, directeur général du Groupe Figaro, à l’occasion d’une interview donnée à CBNews en juillet 2007. Arrivé à la tête du groupe suite à la prise de contrôle de la Socpresse par Dassault, en mars 2004, Francis Morel a initié une politique d’investissement pour que les difficultés du quotidien, chroniquement déficitaire, soient compensées par les performances des nouveaux supports et services. La politique d’investissement du Groupe Figaro concernera le papier comme Internet, et passera également par le contrôle d’un panel de marques et services associés, complémentaires des thématiques éditoriales fédérées sous la marque Figaro. À cet égard, le choix en 2011 du nom Groupe Figaro, pour remplacer celui, historique, de la Socpresse, est symbolique de l’investissement stratégique du groupe dans sa marque phare. La logique d’innovation et de relance des activités repose donc ici moins sur le développement de solutions techniques nouvelles et disruptives que dans la capacité à repenser la mise en relation de l’offre et de la demande à travers la marque, la diversification éditoriale, les formats et les supports, ou encore les modalités de valorisation de l’information. Il s’agit d’une innovation associée au modèle d’affaires (Amit et Zott, 2010) qui repose sur la capacité à réorganiser autrement les actifs de l’entreprise, à repenser en profondeur la manière de se positionner sur le marché de l’information en ligne pour le reconfigurer à son avantage.
13L’exploitation de la marque Figaro se traduira par des investissements récurrents dans les éditions papier. À titre d’exemple, le groupe a lancé le 30 septembre 2006 Mademoiselle Figaro, une déclinaison de Figaro Madame, afin de toucher les lectrices de 18 à 24 ans. Il ne s’agissait pas seulement de toucher une cible nouvelle, mais de faire en sorte, selon Francis Morel, « que des jeunes puissent avoir envie de lire un produit qui s’appelle Le Figaro » (ibid.). Les investissements les plus importants dans les éditions papier ont toutefois concerné le quotidien, notamment les imprimeries, ce qui a permis le passage au format berlinois et à l’impression couleur.
14C’est sur Internet que les initiatives se sont multipliées, transformant le site lefigaro.fr en véritable portail multimédia d’information. Le site du Figaro va être réorganisé en profondeur en octobre 2005, parallèlement à la nouvelle maquette du quotidien papier, dans une stratégie d’ensemble de relance de la marque Figaro. Concernant la maquette papier, Le Figaro est restructuré en trois cahiers quotidiens. Le premier traite de l’actualité internationale et française ; il correspond au quotidien identifié par les lecteurs avec la Une en première page. Le deuxième, saumon, regroupe les pages Économie, qui sont un élément distinctif du quotidien. Un troisième cahier intitulé Et Vous traite de mode, de culture et de voyages. Ces trois cahiers quotidiens sont ensuite complétés de cahiers hebdomadaires, ainsi du Figaro Entreprises et Emploi le lundi, du Figaro Littéraire le jeudi, et du Figaro Magazine pour l’édition du samedi. Cette logique de segmentation éditoriale est stratégique parce qu’elle permet d’intéresser de nouveaux annonceurs en proposant une publicité associée aux thèmes des différents cahiers. À l’inverse, le premier cahier, le quotidien à proprement parler, est certes celui qui fonde l’identité du groupe, mais l’actualité générale et politique qu’il traite, souvent difficile, ne favorise pas l’association avec les messages des annonceurs. La publicité peut d’ailleurs y être perçue comme intrusive, quand elle peut s’apparenter à de la publicité informative dans les autres cahiers si la communication de l’annonceur vient se superposer à la thématique éditoriale. Ces cahiers ou suppléments sont d’ailleurs qualifiés dans le milieu professionnel de « pièges à pub », une expression qui résume autrement ce que Pierre Conte, alors président de Publiprint, la régie du groupe, déclarait dans Le Monde à l’occasion du lancement de la nouvelle formule : « Cette structure de plusieurs cahiers est un formidable terrain de jeu pour la publicité [5]. » La création de valeurs pour le lecteur, à travers la segmentation éditoriale, s’articule ici à une offre commerciale renouvelée en direction des annonceurs. Elle trahit la volonté du groupe de repenser son modèle d’affaires dans un contexte de crise de la presse en élargissant le périmètre de la marque d’information au-delà de la seule actualité générale où sa notoriété a été construite.
15Cette même logique s’appliquera à Internet avec la possibilité de multiplier les thématiques abordées afin de constituer des communautés de lecteurs autour de centres d’intérêt. Début 2017, la barre de navigation supérieure du site lefigaro.fr affichait ainsi 38 onglets thématiques. Ces onglets sont souvent le fruit de rachats ciblés d’entreprises ayant permis au pôle Internet du groupe de diversifier son offre éditoriale. Ainsi, l’onglet Bourse, lancé en 2007, est-il le fruit de l’intégration d’AG Presse, une agence spécialisée dans l’information boursière rachetée en 2006. L’onglet Metéo Consult est issu du rachat de la société éponyme en 2008. La fusion des rédactions Web et papier en août 2011 constituera par ailleurs une étape clé dans le renforcement du groupe sur Internet par l’approfondissement des complémentarités entre les deux rédactions auparavant séparées. La réorganisation des rédactions accompagnera le lancement de nouvelles thématiques éditoriales, qui seront qualifiées de « verticales », à savoir des espaces spécialisés au sein du site web, sortes de mini-portails arrimés à un portail général sous la marque Figaro. Ces thématiques doivent gonfler l’audience du portail lefigaro.fr et les revenus publicitaires associés. Six nouvelles thématiques vont ainsi être lancées en 2011, chacune visant une cible précise, et ce de manière explicite : Santé, Golf, Vin, Enchères, Nautisme, Patrimoine.
16En créant de la valeur tout à la fois pour le lecteur, qui bénéficie d’un surcroît d’information, et pour l’annonceur, qui bénéficie d’un meilleur ciblage, ces nouvelles thématiques participent de la constitution d’un écosystème sous la marque Figaro qui doit permettre également une diversification des revenus. Pour Pierre Conte, « il y a quatre flux possibles pour dégager des revenus sur Internet, la publicité et les annonces classées, la vente de contenus à des tiers, l’accès au site payant et le commerce en ligne » [6]. L’audience ciblée, monnayée auprès des annonceurs, peut donc également être traitée comme une communauté auprès de laquelle des services payants pourront être facturés. En 2007, le groupe avait ainsi pris une participation au sein du site Bazarchic.com, un site de ventes privées dédié au luxe et à la mode, afin de fidéliser son lectorat plutôt aisé grâce à des exclusivités commerciales avantageuses, tout en dégageant de nouvelles recettes grâce au e-commerce. Plus récemment, la chaîne thématique Santé, lancée en octobre 2011, illustrait encore cette stratégie du Groupe Figaro. Outre un portail d’information dédié à la santé, la chaîne thématique ambitionnait de développer des services de coaching santé en ligne. Enfin, l’onglet Immobilier permet la mise en valeur d’Explorimmo, détenu par FigaroClassifieds, la filiale de petites annonces du groupe. La prise en compte des différentes sources de création de valeurs listées par Amit et Zott permet ici de cerner dans sa globalité le modèle d’affaires en ligne du groupe et les conditions de l’innovation, qui articulent efficacité (efficiency), complémentarités (complementarities), verrouillage (lock-in) et innovation (novelty) (Amit et Zott, 2001). L’efficacité augmente avec la fusion des rédactions et la constitution d’une offre en portail qui permet d’agréger la demande et de réduire les coûts de transaction, quand les moteurs de recherche ont favorisé sur Internet le morcellement de la consommation d’information ; des complémentarités sont développées entre le papier et le web, entre l’information générale et politique d’une part, l’information thématique de l’autre, qui renforcent l’offre d’information du portail sans la disperser grâce à l’utilisation du nom Figaro comme marque ombrelle ; le verrouillage est facilité, car le lecteur peut passer facilement d’un onglet à l’autre du portail, sans chercher ailleurs d’autres sources expertes d’information, tout en bénéficiant d’informations labélisées sous la marque Figaro ; enfin l’innovation s’illustre dans les différentes manières de valoriser les audiences, puisque les « quatre flux possibles pour dégager des revenus sur Internet » sont mobilisés par le Groupe Figaro.
17La transformation du site lefigaro.fr en portail aura porté ses fruits, au moins en termes d’audience. Alors que le site web du Figaro attirait en mai 2005 un peu plus d’un demi-million de visiteurs uniques par mois, les refontes successives à partir d’octobre 2005 lui ont permis de s’imposer comme le premier site français d’information en trois ans. En octobre 2008, lefigaro.fr cumulait 5,38 millions de visiteurs uniques, devant le site du Monde, de 20 Minutes, et devant aussi les portails des agrégateurs d’information comme Yahoo News! ou Google Actualités. Ce statut de leader a été depuis confirmé et l’audience du portail dépasse désormais les dix millions de visiteurs uniques mensuels, auxquels il faut ajouter les contacts sur mobile. La logique de portail retenue par lefigaro.fr aura donc convaincu les internautes qui ont accepté d’explorer des thématiques nouvelles auxquelles pourtant des sites spécialisés auraient dû répondre, notamment les sites issus de la presse magazine. Le lancement des nouvelles thématiques en 2011 s’est en effet immédiatement traduit dans les chiffres d’audience : en novembre 2011, la thématique Santé avait attiré 597 000 visiteurs uniques un mois après son lancement.
18Cette performance, au-delà de la nature éditoriale des contenus proposés, s’explique aussi par la notoriété de la marque, considérée par Francis Morel comme « plus fondamentale sur Internet que sur le papier » [7]. En effet, la multiplicité des contenus en ligne complique la captation de l’attention des internautes. Disposer d’une marque forte permet dans ce cas de bénéficier d’une signalisation de son offre (Bomsel, 2007) qui va favoriser une hausse de la consommation de l’information proposée, tout en conférant un avantage face aux concurrents. Cette signalisation a des effets annexes également positifs parce qu’elle va favoriser le classement des pages du portail du Figaro dans les résultats des moteurs de recherche, les contenus les plus consommés étant aussi ceux les mieux référencés. D’ailleurs, quand une marque est déjà forte sur une thématique et l’emporte en puissance de signalisation sur celle du Figaro, elle est maintenue au sein du portail. C’est le cas de Météo Consult, conservée dans les onglets de navigation du figaro.fr, la capacité de la marque à retenir l’attention dans une page de résultats sur l’information météorologique étant ici plus évidente.
19En revanche, la nature des contenus signalés, qu’il s’agisse de l’actualité générale ou de l’information thématique et de service, interdit d’espérer facturer l’information directement en ligne, parce que des équivalents se retrouvent facilement en accès libre sur Internet. De ce point de vue, la gratuité d’accès à l’information et le financement publicitaire s’imposent, en même temps que l’entretien de la marque devient stratégique sur un marché où les référenceurs (moteurs de recherche, agrégateurs d’information) sont tout à la fois des concurrents et des apporteurs d’audience. Le payant se reporte alors mécaniquement sur des contenus et services tiers, sauf pour les sites « dont le contenu rédactionnel est suffisamment dense et différencié pour que le lecteur consente à soutenir la richesse éditoriale » (Bomsel, 2007, p. 249). La question du payant est donc paradoxalement centrale pour le Groupe Figaro, alors même que la logique de constitution de son site en portail repose sur le déploiement d’une offre d’information en accès libre. Ainsi, le groupe a-t-il été amené à tester une offre diversifiée de dispositifs de valorisation, articulant recettes publicitaires et abonnements, facturation de services aux lecteurs et vente de contenus de marque aux annonceurs, dans une logique d’innovation dont on ne peut pas dire encore qu’elle a abouti à l’identification d’un modèle de revenus pérenne, même si le groupe affiche des bénéfices. Au moins a-t-il opté sans conteste pour un modèle d’affaires de type freemium, s’inscrivant ainsi dans la catégorie des « leaders explorateurs » déjà évoquée (Lyuabareva et Rochelandet, 2016).
20En ce qui concerne le modèle de revenus, la propension des lecteurs à payer pour accéder à des informations sous la marque Figaro repose historiquement sur le quotidien papier. La stratégie du groupe est constante sur ce point, comme le rappelle Francis Morel : « Notre travail, c’est de renforcer notre activité de base, le print, en développant ce que l’on peut créer autour de la marque » (ibid.). De ce point de vue, les éditions papier ne sont pas maintenues seulement le temps de trouver un modèle d’affaires pérenne sur le numérique. Elles peuvent aussi en conditionner la possibilité parce que le financement du quotidien et de sa rédaction correspond à un investissement dans la marque. Les ventes en kiosque sont d’ailleurs généralement considérées comme un indicateur de l’attractivité d’un quotidien, parce qu’elles témoignent de l’engagement de lecteurs occasionnels, qu’il sera possible ensuite de fidéliser (Charon, 1996). La même logique se retrouve en ligne, d’autant que le public des lecteurs papier et Internet est majoritairement complémentaire [8]. Sur Internet, le recrutement de nouveaux lecteurs passe par la mise en accès libre de l’information, afin de les fidéliser dans un premier temps, puis d’espérer ensuite les transformer en abonnés. Mais la propension à payer va relever ici d’autres motifs. En effet, dès lors que l’information est disponible en ligne en accès libre, les motifs qui président à l’abonnement ou au téléchargement payant du PDF d’une édition sont nécessairement différents.
21Lancées le 15 février 2010, les premières offres d’abonnement en ligne reposent sur l’accès à du contenu enrichi, dans les faits essentiellement les archives et des lettres d’information dédiées aux abonnés, ainsi que des services, qu’il s’agisse d’offres promotionnelles ou de moyens nouveaux et optimisés d’accéder à l’information. Nous retrouvons ici les intuitions d’Éric Scherer sur le journalisme augmenté, qui vient conférer sa valeur à un contenu désormais considéré comme une commodité essentielle (Scherer, 2011). Ce dernier point est essentiel puisque l’abonnement alors le plus onéreux, à quinze euros par mois, visait les hommes d’affaires en leur proposant chaque matin et chaque soir un résumé de l’information du jour passé.
22Le développement d’offres payantes en ligne impose ainsi une stratégie dite bi-média, à savoir des offres complémentaires et non concurrentes entre le papier et le numérique, mais également une différenciation forte des offres en ligne, tant dans les formats mis à disposition que du point de vue des sujets traités. Cette approche contribue de ce point de vue à renforcer le pluralisme de l’information, au moins dans les formats et les thématiques abordées, même si elle ne conduit pas nécessairement à un traitement éditorial différencié de l’actualité générale et politique.
23À l’occasion de la sortie de la nouvelle formule du Figaro le 28 mars 2013, en même temps que le groupe annonçait un nouveau site et la relance de ses offres payantes, Alexis Brézet, directeur des rédactions du Figaro, expliquait ainsi la fonction des différents supports : « Le site raconte l’actualité, le journal papier décrypte. » Ce dernier ne vise donc plus l’exhaustivité, mais garantit « la valeur ajoutée, le reportage, l’approfondissement, le commentaire » [9]. À l’inverse, le site bénéficie de la forte réactivité d’Internet, qui accueille donc l’information chaude en priorité, une approche qualifiée de « web first ». Pour exploiter au maximum cette réactivité d’Internet, le site lefigaro.fr est adapté depuis 2013 à un affichage sur tous les écrans, notamment les smartphones. S’ajoute bien sûr l’application du Figaro, lancée depuis 2009. En termes de formats, Internet va privilégier les articles courts et les vidéos. Un nouvel onglet baptisé FigaroTV va ainsi apparaître sur le portail lefigaro.fr à l’occasion de la refonte globale des offres éditoriales en 2013. La part des articles réservés à l’édition payante augmente également à cette occasion, le groupe souhaitant réserver 50 % de ses articles à ses seuls abonnés. Les rubriques visées sont essentiellement les rubriques spécialisées, ainsi des pages Finances Perso ou Médias, quand l’actualité générale et politique reste en accès libre à l’exception de quelques articles. La partie qualifiée de premium sur le site du quotidien suppose en effet de réserver aux seuls abonnés les informations plus rares, donc par défaut celles qui comptent parmi les plus approfondies et les plus spécialisées, et répondent à une consommation utilitariste de l’information chez le lecteur.
24À la pluralité des formats et des thématiques ne répond donc pas un pluralisme de l’information en ligne, si l’on entend par pluralisme l’existence d’une offre ouverte à la diversité sociale et politique. La rédaction revendique en effet une ligne éditoriale proche de la droite française, notamment dans le traitement de l’actualité générale et politique, que la marque Figaro se doit d’incarner. La diversité des thèmes abordés répond quant à elle à la nécessité de cibler des publics dont la démarche est utilitariste (Patrimoine, Golf, Immobilier par exemple). Enfin, la diversité des modes de valorisation favorise une information d’une part en accès libre, sommaire dans son contenu, mais innovante dans ses formats, ainsi de la vidéo, quand d’autre part les articles réservés aux abonnés favorisent une information plus approfondie. Au moins le modèle d’affaires du Groupe Figaro permet-il de financer par des activités complémentaires l’existence d’une rédaction dédiée au traitement de l’information générale et politique, qui incarne une partie de l’opinion à travers sa ligne éditoriale. En revanche, la captation d’une audience importante grâce au portail et à ses thématiques, en s’accompagnant d’un effet de taille qui favorise le groupe auprès des annonceurs, peut fragiliser les autres sites dédiés à l’information générale et politique en proposant une ligne éditoriale différente. Ce constat n’est toutefois valable que si les sites de presse sont en concurrence directe auprès des annonceurs. Or la stratégie du Groupe Figaro sur le marché publicitaire indique à l’inverse que les principaux concurrents des sites de presse sur le marché publicitaire en ligne sont de plus en plus les grandes plateformes d’intermédiation.
25À cet égard, l’offre en ligne en accès libre, si elle a servi historiquement à canaliser des audiences vers des offres payantes ou des services tiers, est désormais envisagée par la nouvelle direction du Groupe Figaro comme une source nouvelle de revenus. Mais il a fallu pour cela que le groupe adopte des méthodes de commercialisation de la publicité comparables à celles proposées par les leaders du marché, notamment Google ou Facebook, qui commercialisent des profils qualifiés. Fin 2016, Marc Feuillée, le nouveau directeur général du Groupe Figaro [10], a ainsi pu communiquer pour la première fois non pas seulement sur le numérique comme facteur de croissance des activités du groupe, mais bien sur la seule partie publicitaire des activités numériques : « Les synergies dans la data réalisées au sein de la régie publicitaire du Figaro sont une source de croissance du chiffre d’affaires », parce que « nous avons atteint une taille suffisante, tant en termes d’audience que de traitement de données et nous disposons de beaucoup de talents technologiques [11]. » Cette rupture stratégique est liée au rachat par le Groupe Figaro de CCM Benchmark en novembre 2015.
La valorisation des audiences par le data management et ses enjeux
26Le rachat de CCM Benchmark sera présenté par Marc Feuillée comme « un tournant dans l’histoire du groupe Figaro » [12], parce qu’il donne naissance au premier groupe de médias numériques en France. L’expression sera reprise par les dirigeants de CCM Benchmark, Benoît Sillard et Jean-François Pillou, qui bénéficieront dix jours plus tard d’une longue interview dans le cadre du Buzz Média-TDF Le Figaro. Pour Benoît Sillard, CCM Benchmark a accepté d’être racheté par le Groupe Figaro, car l’opération offre « enfin la possibilité de créer le premier opérateur de médias numériques en France, qui soit d’une taille européenne comparable à celle de Bertelsmann ou Springer, et enfin qui puisse aller se battre contre Facebook et Google » [13]. Les modèles cités en référence ne sont pas neutres. Le groupe allemand Springer a parmi les premiers misé sur le numérique pour prendre le relais de ses activités de presse. Springer et Bertelsmann sont les deux groupes qui, en Allemagne, se sont mobilisés pour obtenir des autorités la reconnaissance d’un droit voisin sur leurs articles afin d’être en mesure de pouvoir facturer leur référencement. Le nouvel ensemble s’est donc posé d’emblée en concurrence avec les grands intermédiaires sur Internet. Enfin, l’insistance sur la dimension médiatique du groupe est justifiée par le fait que l’ensemble Figaro-CCM Benchmark peut « apporter ce que les groupes américains n’apportent pas, c’est-à-dire une audience reposant sur du contenu et du partage de la connaissance » [14]. L’offre éditoriale est mise en avant comme un élément essentiel de valorisation des audiences, un phénomène renforcé par son inscription sous des marques fortes tant du côté du Figaro que de CCM Benchmark. Ce dernier contrôle des sites de services positionnés sur le segment connaissance et tutoriels, ainsi de Comment ça marche ou Droit-finances.net, et des offres d’information en ligne comme l’Internaute ou le Journal des femmes.
27L’effet de taille ainsi obtenu, par l’addition des audiences et l’addition des marques, pose toutefois la question de la cohérence éditoriale du nouvel ensemble. En effet, les sites du groupe CCM Benchmark ne s’apparentent pas à des sites de presse stricto sensu. Ils sont réalisés principalement par des rédacteurs, un statut de salarié distinct de celui des journalistes. Ils proposent une information d’actualité sommaire et des contenus de nature encyclopédique (Comment ça marche, Droit-Finances) ou des contenus tendance (Le journal des femmes). Si d’emblée la direction générale du Groupe Figaro précisera que des synergies éditoriales ne sont pas prévues, elle rappellera en revanche la constance de sa stratégie qui consiste à associer marques fortes dans le papier et le numérique, pour les valoriser sur le marché publicitaire, mais également grâce à des services et au développement des offres payantes. À l’évidence, si des synergies éditoriales sont improbables entre l’offre d’actualité du quotidien Figaro et les sites de CCM Benchmark, des passerelles sont en revanche possibles sur les thématiques explorées par CCM Benchmark et proposées également au sein du portail lefigaro.fr. Lors de l’annonce du rachat, les journalistes du Figaro listeront ainsi l’émergence annoncée de pôles thématiques au sein du nouvel ensemble : « l’actualité (avec lefigaro.fr et l’Internaute), le féminin (Madame Figaro et le Journal des femmes), l’économie et la finance (Le Figaro Économie, le Journal du Net, Droit-Finances.net, Le Particulier), la santé (Santé-médecine.net et Figaro Santé) et enfin le high-tech (CCM) » [15].
28Le rachat semble donc justifié aussi par la capacité à faire circuler l’internaute entre les marques et les services pour lui mettre à disposition une proposition d’information la plus complète possible. Cette circulation optimisée suppose en outre de mieux connaître ses lecteurs, pour répondre tout à la fois à leurs besoins et à ceux des annonceurs. De ce point de vue, le rachat de CCM Benchmark par le Groupe Figaro correspond également à l’acquisition d’une expertise technologique nouvelle devant permettre au Groupe Figaro de mieux s’adapter aux réalités de l’Internet, ce que dit autrement Marc Feuillée : « C’est l’association du meilleur des contenus, de marques fortes présentes à la fois sur le print et le digital, et d’une présence renforcée dans la technologie et le traitement des données » (ibid.). L’absence de synergies éditoriales fortes et l’existence d’une expertise technologique permettant d’exploiter les informations tirées de l’analyse des comportements des internautes sur l’ensemble des sites du groupe nous conduisent ainsi à parler d’un écosystème intégré par le data management, le « tournant » lié au rachat relevant donc davantage d’une évolution du modèle d’affaires que d’une évolution de l’offre éditoriale.
29Ce tournant avait été anticipé. Suite à la refonte du quotidien et de son offre en ligne en 2013, la transformation du Groupe Figaro en groupe de médias numériques avait été mise en avant, afin de répondre aux attentes des annonceurs et des agences médias. C’est ce qu’indiquera dès 2014 Aurore Domont, présidente de la régie, alors dénommée FigaroMédias : « Définitivement, nous ne sommes plus simplement une régie presse qui fait bien du digital, nous sommes un groupe média de contenus de qualité, qui engage ses audiences dans l’objectif de créer du trafic et de la valeur chez nos clients [16]. » Ce tournant repose sur la mise en œuvre au sein de la régie d’une plateforme de data management, qui permet de changer les modalités de commercialisation des espaces publicitaires. La demande, ici celle des annonceurs, est privilégiée, allant à l’encontre des pratiques historiques de la presse. En effet, la publicité a été d’abord vendue sur les sites de presse en fonction de critères d’audience liés au nombre de visiteurs uniques et de pages vues (le CPM ou coût pour mille), des critères proches de ceux utilisés pour la diffusion papier. Ce type de mesure portant sur l’exposition à l’offre traduit en effet le mieux les performances de la presse, qu’elle soit papier ou en ligne, et la positionne en situation favorable vis-à-vis des annonceurs (Thurman, 2014). Aussi l’engagement d’une régie issue de la presse sur « la création de trafic », donc une logique reposant sur la performance publicitaire mesurée par la réaction de la demande, constitue-t-elle une rupture pour le Groupe Figaro, qui accepte ici les logiques popularisées par les grands intermédiaires de l’Internet, au premier chef desquels Google. Ce dernier a en effet imposé le coût au clic avec AdWords, sa plateforme d’enchères pour l’achat de liens sponsorisés.
30Cette recherche de performance mesurable se traduit sur le marché publicitaire français. Selon les chiffres communiqués par le Syndicat des régies Internet (SRI) pour l’année 2016 (PWC – SRI, 2017), la publicité dite programmatique est devenue pour la première fois le mode principal de commercialisation des bannières, le segment de marché sur lequel se financent les titres de presse en ligne. Elle repose sur un système automatisé de commercialisation des espaces publicitaires en temps réel, qui permet notamment d’afficher des publicités en fonction du profil des internautes. Elle permet également de valoriser les espaces sur des pages peu vues ou plus anciennes, favorisant une exploitation de l’information de temps long ou de « stock », de type magazine et conseil, qui foisonne dans les « verticales » des portails d’information comme celui du figaro.fr. En définitive, elle garantit à l’annonceur une meilleure adéquation du message à la cible, donc un surplus d’attention de la part des internautes, quand bien même reste-t-elle facturée au coût pour mille. Mais ceci n’est possible que grâce à la connaissance fine des internautes, ce dont se chargent les plateformes de data management, qui captent de plus en plus l’essentiel de la valeur sur le marché des bannières. Le coût de l’intermédiation par les plateformes compte en effet, selon les estimations, pour plus de la moitié de la facturation de l’affichage (Lallement et al., 2014). En développant sa plateforme de gestion de données, le Groupe Figaro s’est ainsi assuré de récupérer la plus grosse part de la dépense publicitaire, quand les médias en ligne qui dépendent de plateformes tierces récupèrent finalement moins de la moitié de la dépense des annonceurs.
31Ce positionnement de la régie du Groupe Figaro est renforcé par le rachat de CCM Benchmark, qui aligne l’audience du nouvel ensemble sur celle des autres spécialistes du ciblage, la publicité sur les réseaux sociaux étant notamment considérée comme de la publicité programmatique. C’est ce que confirmera Aurore Domont dès janvier 2016, avec le lancement de la nouvelle régie Media.Figaro, issue du rapprochement des anciennes régies du Groupe Figaro et du groupe CCM Benchmark. Ensemble, les médias des deux groupes touchent plus de 40 millions de Français chaque mois, soit 80 % de la population en âge de lire, un score qui permet à la régie Media.Figaro de s’imposer comme une alternative à Facebook, dont le taux de pénétration est similaire. Mais toucher une population ne suffit pas à garantir la performance. Le nouveau slogan de la régie traduit ainsi le renversement opéré : « Connecte, influence, engage ». Si connecter renvoie à des mesures d’audience, ce que les médias garantissent depuis toujours, influencer et engager renvoie à des critères relevant de la performance du média, précisément sa capacité à cibler le bon internaute au bon moment avec le bon message. La régie Media.Figaro met sans surprise en avant la nature éditoriale de ses contenus pour l’associer aux cibles privilégiées des annonceurs, à savoir 12 millions de ménagères de moins de 50 ans et 12 millions d’individus relevant des classes socioprofessionnelles supérieures (CSP+). Quant au ciblage, celui-ci repose sur « une data management platform (DMP) unique », issue de la fusion des plateformes des deux groupes, laquelle « contient 40 millions de profils qualifiés et 20 millions de profils appairés » [17]. Les données qu’elle exploite sont récoltées auprès des utilisateurs exposés aux différents médias du groupe, ce que confirme Aurore Domont : « Toutes ces données collectées sont contextualisées, car les lecteurs vont sur les sites du groupe pour rechercher des informations sur les voyages, les finances personnelles, le golf, le vin, les loisirs… Les données récoltées par la régie sont donc mises en situation, qualifiées et personnalisées, ce qui pose le groupe Figaro comme un concurrent de Facebook » (ibid.). De ce point de vue, la publicité peut en effet s’imposer comme un relais de croissance du groupe, les publicités ciblées étant facturées nettement plus cher aux annonceurs.
32Afin de renforcer encore la performance de son offre publicitaire, le Groupe Figaro a annoncé, le 6 juillet 2017, s’être associé au Monde (it.) pour proposer un guichet unique, baptisé Skyline, qui commercialisera les espaces premium (it.) des deux groupes. Il s’agit de proposer aux annonceurs des contenus éditoriaux de qualité homogène, associés à des marques fortes, Le Monde et Le Figaro, et ciblés par thématique, l’offre étant une alternative aux régies de Facebook ou de Google dont elle talonne l’audience en France. Cette alliance doit permettre aux deux groupes d’augmenter leurs recettes publicitaires en ligne en croisant les données dont ils disposent, tout en se passant des intermédiaires sur le marché de la publicité en ligne. Elle favorise donc ici un véritable pluralisme de l’information en contribuant à un meilleur financement des deux groupes, dont les titres amiraux ont des lignes éditoriales différentes.
33Ces propos optimistes associés à l’alliance Skyline comme à la régie Media.Figaro et à ses promesses de chiffre d’affaires publicitaire méritent toutefois d’être nuancés, car un média, et plus encore un média d’information, semble confronté à des contraintes qui échappent en grande partie à Facebook. Certes, les médias d’information ont pour eux de proposer des contenus premium et des marques fortes associées, qui placent l’internaute dans une situation de confiance renforcée. Certes, l’effet de taille dont dispose la nouvelle régie du Groupe Figaro doit lui conférer, par rapport à ses concurrents sur le segment de l’information, un avantage qui lui permettra de bénéficier de la prime au leader, à savoir s’emparer d’une part de marché publicitaire plus que proportionnelle à sa part d’audience, cette tendance se constatant sur la plupart des supports de diffusion (Le Floch, 2004). En revanche, si l’on considère le marché publicitaire dans son ensemble, les régies des groupes d’information ou de médias ne sont plus nécessairement dans une position favorable, quelle que soit par ailleurs leur puissance sur leur segment de marché. En effet, le développement de la performance publicitaire en ligne renforce l’intérêt du marché publicitaire sur Internet comparé aux autres marchés, et favorisera de plus en plus des transferts d’investissements des annonceurs des marchés historiques vers le marché de la publicité en ligne (Benzoni et Clignet, 2016). Les recettes publicitaires issues du papier peuvent donc être paradoxalement affectées par le déploiement de l’offre publicitaire en ligne des quotidiens, même si les populations touchées ne se recouvrent pas en grande partie.
34Sur le seul marché des bannières, les groupes d’information et de médias sont également confrontés aux stratégies des intermédiaires de l’Internet, avec qui ils sont en concurrence directe. Ces derniers déploient des moyens nouveaux de captation des données des utilisateurs et de rétention des audiences. Ainsi, les réseaux sociaux numériques, comme les messageries associées aux systèmes d’exploitation des smartphones, permettent de récupérer des informations dans des conditions plus favorables que celles utilisées par les médias en ligne. Les premiers demandent à leurs utilisateurs de s’identifier quand la presse en ligne doit se contenter de cookies. Ces derniers sont en outre de plus en plus victimes des bloqueurs de publicité, même si la personnalisation du message publicitaire peut être présentée comme un moyen de limiter la publiphobie. Enfin, les réseaux sociaux numériques, ainsi que les éditeurs de magasins d’application, s’imposent souvent comme des intermédiaires essentiels entre les éditeurs d’information en ligne et leur public. Ils contrôlent alors les données récupérées et les informations qu’ils transmettront aux éditeurs, cette position avantageuse se renforçant à mesure que les connexions basculent de l’Internet fixe vers l’Internet mobile. Les chiffres du marché publicitaire français sur Internet en 2016 sont à cet égard sans appel. Selon le SRI, l’essentiel de la croissance est capté par la recherche en ligne et les réseaux sociaux, quand le marché des bannières hors réseaux sociaux s’affiche en fait en repli (PWC – SRI, 2017). Sur le marché de la publicité mobile, vers lequel migre la dépense des annonceurs, la domination des réseaux sociaux numériques et de la recherche en ligne est écrasante, puisqu’ensemble ils captent 92 % des investissements.
35Enfin, si le ciblage des publicités est possible pour les sites d’information en ligne, la personnalisation de l’offre éditoriale l’est moins, alors qu’elle est au cœur des stratégies des intermédiaires de l’Internet. Facebook va par exemple afficher des informations dans le mur de ses utilisateurs en fonction de leur profil. Certes, les « verticales » des portails exploitent des thématiques éditoriales, tout en permettant de mieux contextualiser la publicité. Mais l’engagement éditorial des groupes, la crédibilité de leurs marques, dépendent d’une approche qui repose sur l’offre, déterminée en fonction de l’actualité, plutôt que sur l’adaptation à la demande. C’est d’ailleurs ce qui explique le rôle essentiel du papier pour renforcer la notoriété des marques et de la confiance qu’elles véhiculent : le contrat de lecture d’un quotidien papier repose sur une offre unique et exhaustive de l’information qui mérite d’être publiée, pour plagier ici le slogan du New York Times. La personnalisation, pour les groupes d’information et de médias, se limite ainsi à la seule publicité.
36La pérennisation d’une information contribuant au pluralisme relève donc aussi d’aspects non strictement économiques, mais que le modèle d’affaires en ligne des groupes de presse doit intégrer, avec lesquels il est amené à composer. En effet, la revendication de l’exigence journalistique et le renforcement de la marque de presse permettent encore d’imposer une stricte séparation entre l’information et le marketing, au moins dans les représentations que la profession partage et défend.
37Ces différences dans les dispositifs de publication des informations sont ainsi essentielles. Elles mettent en lumière le conflit potentiel entre les marques de presse d’une part, et les groupes qui les abritent d’autre part, quand ils cherchent à se développer en direction de nouveaux marchés où la demande l’emporte sur l’offre. La crédibilité d’une marque de presse se joue d’abord dans l’expertise journalistique de sa rédaction, qui peut ensuite favoriser un apport d’audience vers d’autres services ou informations, mais le risque est alors d’abîmer la crédibilité de la marque auprès des lecteurs. Ainsi, les éditeurs sont souvent réticents quand il s’agit de développer des plateformes de e-commerce sous leur marque, dans la mesure où ils y accueilleront des partenaires dont ils ne peuvent pas nécessairement contrôler le sérieux (Ihlström et Palmer, 2002). Le maintien de rédactions et de marques distinctes, comme la filialisation de certaines activités (Figaro Classifieds), est une réponse à ce risque.
Conclusion
38L’analyse de la stratégie du Groupe Figaro depuis sa reprise en 2004 par Dassault révèle les enjeux économiques auxquels est confrontée la presse quotidienne d’information générale et politique, et avec elle le pluralisme de l’information en ligne. Parce que les recettes issues du papier sont en baisse, et ce de manière irréversible, le numérique est mobilisé pour explorer de nouveaux marchés et générer de nouvelles ressources. Mais il ne s’agit pas d’une diversification stricto sensu, parce que la puissance de la marque héritée du papier conditionne la pertinence de l’offre en ligne. Autant dire que le papier est un foyer de pertes, ce qui est le cas pour le quotidien Figaro, tant qu’il est considéré comme une activité parmi d’autres au sein du groupe. Considéré dans ses relations avec le développement des activités numériques, le financement de la rédaction s’apparente de plus en plus à un investissement dans la marque, sans laquelle le développement de l’ensemble des activités, en ligne ou hors ligne, serait plus limité. C’est ce que rappelait Bertrand Gié, directeur Nouveaux Médias du Groupe Figaro, juste avant le rachat de CCM Benchmark : « Les conditions économiques de notre développement restent fragiles compte tenu de la difficulté à monétiser les nouvelles audiences. Notre croissance repose sur les mobiles et les tablettes, par le biais des applications. Le Groupe continue néanmoins de soutenir sa vieille industrie papier, car notre marque reste notre seule chance. Or elle est portée par le quotidien » (Benghozi et al., 2015, p. 33).
39Les analyses sur les stratégies de marque rappellent par ailleurs que ces dernières, si elles définissent l’image d’un groupe ou d’un produit, en révèlent d’abord l’identité (Kapferer, 2007). Dès lors, les marques de presse prendront moins de risques à s’aventurer loin de leur foyer identitaire, par exemple sur le e-commerce, qu’en essayant de transférer leur audience vers des sites d’information ou des contenus dont le niveau d’exigence est différent, mais la proximité identitaire plus forte. C’est probablement ce qui explique pourquoi les régies des groupes Figaro et CCM-Benchmark peuvent être fusionnées, mais pas leurs rédactions. À l’inverse, des croisières vendues par le Groupe Figaro ou une course à la voile sont des marchés où l’identité de marque risque peu d’être pénalisée. Ainsi, même si la publicité en ligne semble redevenir un moyen pertinent de financer la rédaction du groupe, les diversifications sur d’autres marchés, avec la possibilité de facturer le consommateur, conservent-elles toute leur importance.
40A contrario, la défense de l’identité journalistique des rédactions reste un garde-fou essentiel, parce qu’elle pérennise l’identité de la marque, tout en préservant la condition de possibilité du pluralisme de l’information en ligne. Mais ce garde-fou est fragile. Les « journalistes » de CCM-Benchmark n’en ont pas le statut ; le développement du native adverting brouille toujours plus la séparation entre information et publicité ; enfin, le modèle d’affaires du Groupe Figaro, s’il est suffisamment innovant pour pérenniser le financement de la rédaction, rappelle que les groupes de la presse historique deviennent progressivement des groupes d’information intégrés, dont la survie dépend de plus en plus de leur capacité à évoluer sur des marchés où les infomédiaires sont désormais les acteurs principaux.
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Mots-clés éditeurs : diversité de l’information, marque ombrelle, concentration horizontale, innovation numérique, stratégies éditoriales, portail, Le Figaro, publicité en ligne, presse en ligne
Date de mise en ligne : 10/10/2017
https://doi.org/10.3917/res.205.0117Notes
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[1]
http://media.figaro.fr/publisher_mass_premium/ Media.figaro, communiqué de presse du 21 septembre 2016, source Médiamétrie Netratings juin 2016. 2016 est l’année de référence, car elle consolide les chiffres d’audience de CCM Benchmark racheté en 2015. Consulté le 26 juillet 2017.
-
[2]
Entretiens réalisés en mars 2017 auprès de Jean-Clément Texier, Président de Ringier France, Président de la Compagnie financière de communication, ainsi que Laurent Benzoni, Professeur de sciences économiques à Sorbonne Universités, Président de Tera Consultants.
-
[3]
Fin 2015, les Français disposaient en moyenne de 28 applications sur leur smartphone et n’en utilisaient que 5 de manière régulière, principalement des jeux et des réseaux sociaux (Médiamétrie, Web Observatoire T4 2015). Les Français consultent en moyenne une quarantaine de sites web depuis leur smartphone chaque mois.
-
[4]
« La marque est plus fondamentale sur le Net que sur le papier », interview de Francis Morel, Dg du Groupe Figaro, par Frédéric Roy et Didier Si Ammour, CBNews, 16 juillet 2007.
-
[5]
Cité in Pascale Santi, « La nouvelle formule du Figaro en trois cahiers veut tenter d’enrayer la baisse des ventes », Le Monde, 27 septembre 2005.
-
[6]
Cité in Sandrine Bajos, « Le Figaro met le turbo sur le Net », La Tribune, 5 avril 2007.
-
[7]
« La marque est plus fondamentale sur le Net que sur le papier », interview de Francis Morel, Dg du Groupe Figaro, par Frédéric Roy et Didier Si Ammour, CBNews, 16 juillet 2007.
-
[8]
Selon Francis Morel, cité in « Le directeur du Figaro optimiste pour l’avenir de la presse grâce au net », AFP, 25 octobre 2007, « seuls 20 à 25 % des internautes sont des lecteurs fidèles du quotidien ».
-
[9]
Cité in Xavier Ternisien, « Le Figaro lance une nouvelle formule et veut faire payer plus d’articles sur Internet », Le Monde, 29 mars 2013.
-
[10]
Marc Feuillé a remplacé Francis Morel en janvier 2011.
-
[11]
Cité in Enguérand Renault, « Avec CCM Benchmark, le groupe Figaro affirme sa puissance », Le Figaro, 6 décembre 2016.
-
[12]
Cité in Chloé Woitier, Lucie Ronfaut et Enguérand Renault, « Avec CCM Benchmark, le Groupe Figaro devient le leader français des médias numériques », Le Figaro, 2 octobre 2015.
-
[13]
Cité in Enguérand Renault, « Avec le Figaro, nous créons enfin un acteur de taille européenne », interview de Benoît Sillard et Jean-François Pillou, PDG et DG de CCM Benchmark, Le Figaro, 12 octobre 2015.
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[14]
Ibid.
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[15]
Chloé Woitier, Lucie Ronfaut et Enguérand Renault, « Avec CCM Benchmark, le Groupe Figaro devient le leader français des médias numériques », Le Figaro, 2 octobre 2015.
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[16]
Cité in Enguérand Renault, « Figaro : nous sommes devenus une véritable régie plurimédias », Le Figaro, 18 septembre 2014.
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[17]
Cité in Enguérand Renault, « Le Figaro et CCM Benchmark regroupent leurs forces pour créer une régie puissante », Le Figaro, 19 janvier 2016.