Notes
-
[1]
Michael Flynn Sr., nommé par la suite conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, devra finalement démissionner de ce poste éminemment stratégique le 13 février 2017 pour avoir dissimulé des relations avec l’ambassadeur de Russie durant la période de transition.
-
[2]
« Until #PizzaGate proven to be false, it’ll remain a story. The left seems to forget #PodestaEmails and the many “coincidences” tied to it » (compte Twitter @mflynnJR, 4 décembre 2016).
-
[3]
Les termes conspirationniste et complotiste seront employés sans distinction majeure dans la suite de ce texte.
-
[4]
L’ajout du suffixe Gate fait ici bien entendu référence aux enquêtes journalistiques puis judiciaires du WaterGate et conduit d’une certaine façon à revendiquer une filiation.
-
[5]
« The internet is a great multiplier that not only offers easy access to everyone who wants to vent her or his truth, but also enables quicker connections between these truths. »
-
[6]
« construct a conspiratorial rule of the people by established politicians and intellectuals and call for anti-intellectual politics that are driven by emotions and right-wing ideology. »
-
[7]
C’est aussi le cas sur le site web français Égalité et Réconciliation, où la reprise d’un déluge d’images du PizzaGate se conclut par une vidéo d’Alain Soral sur « la pédocriminalité de réseau ».
-
[8]
« to be transparent in our journalism and to share what we have with our readers » (compte Twitter @BuzzFeedBen, 10 janvier 2017).
1Le dimanche 4 décembre 2016 en début d’après-midi, un homme armé d’un fusil d’assaut fait feu, sans faire de victimes, dans un restaurant de Washington. Le propriétaire de ce restaurant, la pizzeria Comet Ping Pong, est connu pour être proche du Parti démocrate et en particulier de Tony Podesta, frère du directeur de campagne d’Hillary Clinton. Quelques minutes plus tard, le forcené sort du restaurant et se rend finalement sans résistance aux policiers arrivés sur place. Il leur expliquera être venu jusqu’ici, après plusieurs heures de route depuis sa Caroline du Nord, pour vérifier par lui-même que cette pizzeria n’abritait pas un trafic sexuel d’enfants.
2Le soir même, Michael Flynn Jr., membre de l’équipe de transition du président nouvellement élu Donald Trump, fils du lieutenant-général à la retraite Michael Flynn Sr. un temps pressenti comme vice-président des États-Unis [1], poste sur Twitter le message suivant : « Tant qu’il n’est pas prouvé que le #PizzaGate est faux, cela reste une information. La gauche a l’air d’oublier les #PodestaEmails et les nombreuses “coïncidences” qui leur sont liées [2]. » Michael Flynn Jr. devra, à la suite du tollé suscité par ses propos, quitter l’équipe de transition de Trump le 7 décembre 2016.
3Ce même jour, un journaliste du New York Times réussit à interviewer l’auteur des coups de feu. Celui-ci est interrogé depuis sa prison grâce à un dispositif de visioconférence, qui laisse apparaître des passages de la bible tatoués sur son corps. Il indique avoir pris les armes pour sauver des enfants à la suite de différents récits découverts par simple bouche-à-oreille, corroborés à la radio par l’animateur Alex Jones sur Infowars.com et complétés de site web en site web (Goldman, 2016).
4Le cheminement décrit ici pour prendre connaissance du PizzaGate donne une première idée de la contribution de l’Internet au mode de propagation des rumeurs conspirationnistes [3]. Les rumeurs continuent certes à être transmises de proche en proche, au prix d’inévitables transformations, et leur évocation dans les médias confère une forme de consécration, bien souvent involontaire (Froissart, 2008). Mais des nouveautés liées au déploiement de l’Internet marquent toutefois la dynamique conspirationniste en ligne.
5D’une part, l’Internet accueille des espaces de publication d’information multiples, débordant bien souvent du monde social reconnu par les professionnels du journalisme (Rebillard, 2006). Parmi ceux-ci se sont notamment développés des sites autoproclamés de « réinformation » prétendant aborder des sujets évités par les médias mainstream ou alors proposant une interprétation des faits d’actualité distincte de celle supposément guidée par une « pensée unique » et « politiquement correcte » (Jammet et Guidi, 2017). Certains de ces sites n’hésitent pas à colporter des rumeurs conspirationnistes tout en présentant les atours de la professionnalité journalistique, reprenant notamment leurs « formes-modèles » d’énonciation éditoriale (Jeanneret et Souchier, 2005). Le site Infowars précédemment mentionné affiche ainsi une interface web imitant le rubricage des sites de presse en ligne. Et il propose en vidéo les chroniques de son auteur féru de complots, Alex Jones, filmé dans une pièce assimilable aux studios de radio faisant désormais couramment l’objet de captations audiovisuelles.
6D’autre part, l’Internet, et le numérique de façon plus générale, sont susceptibles de rendre les rumeurs conspirationnistes plus crédibles, en les étayant davantage (Bronner, 2013). Elles sont accompagnées et soutenues par de nombreux semblants de preuve matériels. Certes, les rumeurs ne se sont pas toujours uniquement diffusées par oral via le bouche-à-oreille. À la parole ou même à sa transcription écrite se sont parfois jointes des « images rumorales » (Froissart, 2002), et ce même avant l’arrivée de l’Internet. Celui-ci, néanmoins, démultiplie là encore les espaces où dénicher ces images procurant une forme de vraisemblance à la rumeur conspirationniste. Leur circulation, que ce soit par le biais des réseaux sociaux numériques ou à l’issue d’une démarche sérendipitaire comme semble l’avoir été celle de l’investigateur armé du Comet Ping Pong, se fait plus rapide. Le numérique permet en outre à une kyrielle d’individus de remixer ces images, et plus largement de confectionner des documents venant soutenir le récit collectif formé par les rumeurs conspirationnistes.
7Cet appui documentaire aux rumeurs conspirationnistes procuré par le numérique, sous des formes variées (correspondances numérisées, images retouchées, montages audiovisuels, etc.), et disséminé par les internautes en de multiples lieux (serveurs d’archives, sites de partage de photographies ou de vidéos, etc.), constitue précisément l’objet du présent article.
8Il s’agit d’une dimension peu abordée dans les travaux sur la politique en ligne. Ceux-ci mettent plus volontiers l’accent sur la polarisation de l’espace public numérique ou sur les nouvelles voies de diffusion des opinions, en s’inscrivant finalement souvent en contrepoint des théories issues de la sociologie des médias de masse (Maigret, 2015 ; Rieffel, 2015). L’objectif est ici de s’attacher aux modalités de présentation de ces opinions, et de voir quelles ressources nouvelles à l’argumentation sont rendues disponibles par le numérique et l’Internet. La thèse défendue est que les schèmes conspirationnistes, dont la rumeur en ligne constitue l’un des véhicules privilégiés, trouvent avec le numérique et l’Internet des éléments documentaires de nature à renforcer l’illusion d’une démonstration de leurs constructions intellectuelles.
9Le cas du PizzaGate sera analysé en ce sens. Rumeur se targuant de dévoiler un monde officieux – des pratiques sexuelles occultes – derrière la réalité officielle donnée à voir par les institutions établies – celles de la capitale fédérale –, le PizzaGate emprunte à la démarche de l’enquête [4], minutieusement documentée, pour mieux insinuer le complot (Boltanski, 2012). S’affichant comme dénonciatrice d’une situation injuste – des violences faites à des victimes innocentes et incapables de se défendre –, cette rumeur conspirationniste s’inscrit toutefois dans le registre de l’agitation politique d’extrême droite (Voirol, 2017) : elle n’est pas un discours visant à remédier de façon structurelle aux injustices dans la société mais s’attache simplement à jeter à la vindicte populaire des coupables – les élites politiques, et en l’occurrence « l’establishment démocrate » dépravé – en jouant sur une émotion constamment entretenue – « choc » des sévices sexuels infligés à des enfants, suggérés en l’espèce par nombre de documents iconiques (photographies, dessins, vidéos) glanés sur l’Internet.
10À cet égard, la congruence entre l’émergence puis l’amplification de la rumeur du PizzaGate et l’accession à la présidence des États-Unis d’un homme qui possède bien des traits de « l’agitateur américain » (Löwenthal et Guterman, 2017 [1948]), ne peut qu’interpeller. Pour autant, la concomitance de ces deux phénomènes ne signifie évidemment pas lien de causalité. En particulier, comme la littérature scientifique en communication politique l’enseigne depuis plusieurs décennies, les médias ne font pas à eux seuls l’élection, et l’Internet ne devrait pas déroger à cette règle (Derville, 2017).
11Le rôle joué par les moyens de communication est en effet à relativiser au regard de tout un tas d’autres facteurs qui, combinés, contribuent aux conditions de félicité électorale d’une candidature. Donald Trump, par ses prises de position nationalistes, anti-immigration et « antisystème », a proposé une réponse simpliste en même temps qu’il a participé à un état d’anxiété collective de la société états-unienne. Une anxiété due à plusieurs phénomènes : la crise financière de 2008, symptôme aigu d’une déconnexion tendancielle entre les revenus du travail et ceux du capital ; la délocalisation des activités de production industrielle des firmes transnationales états-uniennes, sous l’accentuation de l’internationalisation de l’économie ; le sentiment de perte de pouvoir d’achat et la crainte de déclassement social, non contenu par un État-providence aux prises avec des injonctions libérales ; l’éloignement de la vie politique, concrétisé par une abstention croissante lors des consultations électorales, et la perception des gouvernants comme non représentatifs, indignes de confiance voire corrompus (Fuchs, 2017).
12De façon assez claire, la rumeur du PizzaGate, en accusant des responsables du Parti démocrate de s’adonner à des activités pédophiles, est à replacer dans ce contexte de rejet des élites au pouvoir que Trump a exploité. Pour autant, il ne s’agit pas dès lors de raisonner en termes d’effets de cette rumeur sur les opinions des internautes car – c’est là un deuxième enseignement majeur de la littérature sur la communication politique – la réception des médias n’est jamais univoque et sa transformation en vote par conséquent toujours incertaine. Les citoyens des États-Unis ont ainsi pu appréhender cette rumeur conspirationniste de façon très diverse, y compris la critiquer voire s’en moquer, comme le laisse penser une étude à propos des fake news circulant en ligne durant la campagne présidentielle : 84 % des adultes interrogés se sentaient confiants (39 % très confiants et 45 % plutôt confiants) dans leur capacité à reconnaître de fausses informations (Pew, 2016a). Une même prise de distance vis-à-vis de l’Internet et en particulier des informations reçues via les réseaux sociaux numériques a été relevée récemment en France : 73 % des Français ne les jugent pas fiables (Kantar, 2017), taux retrouvé de façon strictement identique dans un échantillon de jeunes internautes s’informant majoritairement via Facebook (Mercier, Ouakrat et Pignard-Cheynel, 2017). On remarquera toutefois que ces études, fondées sur des questionnaires, rendent la plupart du temps compte d’auto-évaluations par les répondants de leur capacité à identifier des fausses informations. Lorsque l’on teste cette capacité en soumettant aux enquêtés des exemples d’informations, certaines vraies, d’autres fausses, ayant circulé sur l’Internet, une certaine perplexité peut s’installer : alors que 83 % d’enquêtés peuvent déclarer « avoir déjà repéré des fausses nouvelles ou rumeurs sur les réseaux sociaux », la rumeur selon laquelle « des maires de villes de province font venir des personnes étrangères de Seine-Saint-Denis dans leur ville en échange de subventions » est jugée comme une affirmation fausse par seulement 31 % des répondants (certainement fausse à 9 % et probablement fausse à 22 %) (Kantar, 2017).
13La réception des rumeurs, au-delà de son caractère variable et peu prévisible, est donc en outre difficile à saisir sur le plan méthodologique. La présente recherche, en l’absence de tout protocole élaboré à cette fin, se gardera donc de statuer sur l’interprétation donnée à la rumeur conspirationniste du PizzaGate par les différents internautes qui y ont été exposés, et encore moins à en inférer des comportements électoraux. Elle n’en retracera pas non plus en détail le circuit de propagation, de personnes en personnes, de groupes en groupes, faute là encore d’un appareillage méthodologique adéquat. Il aurait pour cela fallu procéder à une investigation sociologique et ethnographique poussée tant les relais de la rumeur sont divers, en sachant par ailleurs que les tentatives passées de telles « rumorographies » se sont souvent révélées vaines (Froissart, 2010).
14Limité à une analyse de discours, tout au plus le présent travail se bornera-t-il à présenter quelques acteurs (exemple : un animateur de Fox News donnant une certaine audience à la rumeur) ou « communautés » en ligne (exemple : les utilisateurs des forums de l’alt-right états-unienne) à l’origine de rebondissements dans l’énonciation de la rumeur du PizzaGate. Celle-ci sera ainsi scrutée à des moments clés qui permettront de saisir chaque fois une combinaison entre les traits narratifs caractéristiques de la rumeur conspirationniste (Taïeb, 2010) et les affordances technosémiotiques du numérique et de l’Internet : dévoilement de documents politico-administratifs confidentiels par l’intermédiaire de Wikileaks ; élucubrations à partir d’images mises en ligne par les protagonistes sur Instagram, images supposées témoigner de leurs pratiques cruelles ; emploi des derniers ressorts technologiques comme la reconstitution faciale automatique pour apporter de nouveaux éléments à charge. En définitive, la visée de cette étude de cas du PizzaGate est donc d’ajouter une contribution à la recherche sur la médiatisation du politique en ligne par la mise en avant d’un aspect minoré jusqu’ici : sa composante documentaire.
Les appuis documentaires à la propagation des rumeurs conspirationnistes en ligne
15La rumeur du PizzaGate a débuté lors de la semaine précédant l’élection de Donald Trump, le 8 novembre 2016. Un mois seulement se sera donc écoulé avant la fusillade à Washington, début décembre. Pourtant, dans ce finalement court laps de temps, la rumeur aura connu une dizaine de variations, pour autant de réagencements numériques, au gré de sa pérégrination en ligne (Aisch, Huang et Kang, 2016). À ce titre, le PizzaGate constitue sans doute un cas paroxystique d’un phénomène plus large dans lequel il convient d’être replacé.
La médiatisation du politique en ligne et sa composante documentaire
16La médiatisation du politique, entendue comme la mise en visibilité de schèmes d’organisation de la vie en société, a connu au moins deux évolutions majeures avec le développement de l’Internet.
17Premièrement, la mise en concurrence de ces différentes visions du monde, la présentation argumentée des différentes opinions telle qu’idéalisée dans la théorie habermassienne de l’espace public, si tant est qu’elle ait pu un jour être pleinement assurée par les médias de masse, voit sa fragmentation accentuée avec l’Internet (Beuscart, Dagiral et Parasie, 2016). L’espace public numérique se dédouble en une multitude d’« espaces publics sociétaux » centrés sur des questions de société spécifiques (Miège, 2010), en raison notamment d’une décentralisation des possibilités de publication qui amènent à parler de « networked public sphere » (Benkler, 2006). L’espace public tend aussi à se polariser idéologiquement sous la forme d’archipels numériques d’opinions opposées, juxtaposées davantage que confrontées (Flichy, 2008). L’Internet peut même abriter un « espace public illégitime », sans jonction avec les médias de masse, et au sein duquel les mouvements d’extrême droite tentent précisément d’acquérir une visibilité : « Même si l’Internet et le trafic communicationnel de ces groupuscules sur le réseau ne relaient pas une protestation vraiment significative, faute d’organisation et de consensus idéologique, ils semblent bien devenir la chambre d’écho d’un militantisme virtuel, de plus en plus apte à investir concrètement l’espace du légitime » (Benrahhal-Serghini et Matuszak, 2009).
18Ainsi, l’Internet offre une visibilité à un spectre élargi d’idées et d’opinions, pour certaines peu accessibles jusqu’ici, quitte à ce qu’elles n’entrent pas en dialogue. Un deuxième changement dans la médiatisation du politique réside dans les modalités de diffusion. S’il est un acquis parmi les plus fondamentaux de la sociologie des médias et de la communication politique, c’est bien que le rôle de la télévision, de la radio ou de la presse dans la propagation des différents points de vue sur le monde est limité, en comparaison des relations interpersonnelles (discussions familiales, amicales, professionnelles). Cette théorie classique de l’influence personnelle n’est pas invalidée avec l’Internet, elle retrouve au contraire une nouvelle actualité (Maigret, 2008) : la messagerie électronique dans un premier temps, les réseaux sociaux numériques encore davantage depuis, ont pris en charge et donné une nouvelle ampleur à la circulation des idées et des opinions au sein de la société.
19Un tel phénomène, qu’on pourrait qualifier d’extension du domaine de la médiatisation du politique, a engendré des réflexions d’importance et de nombreux travaux. En résonance avec l’évolution de l’espace public précédemment abordée, la question de l’exposition à des opinions contraires par le biais de liens de sociabilité « faibles » en plus grand nombre sur les plateformes de réseaux sociaux numériques, ou au contraire d’un renforcement des opinions préexistantes lié au paramétrage algorithmique de ces services, a ainsi été posée (Cardon, 2015). Par ailleurs, les modèles analytiques visant à retracer les circuits de ce bouche-à-oreille numérique, ainsi que les études empiriques destinées à identifier les nouveaux leaders d’opinion désormais qualifiés d’« influenceurs en ligne », se sont multipliés (Mellet, 2009).
20À coup sûr, ces travaux sur le caractère « viral » de la médiatisation du politique sont utiles et concernent au premier chef les rumeurs en ligne, objets du présent article. Ils permettent notamment de prendre conscience de l’accélération et de l’élargissement géographique de leur dissémination avec l’Internet. Ils doivent cependant être complétés d’une analyse du mode de présentation des opinions, autrement dit des formes prises par la propagation des idées sur l’Internet.
21Sur ce plan, il est désormais admis que la médiatisation des relations interpersonnelles, ou plus exactement la « textualisation des pratiques » (Després-Lonnet et Cotte, 2005), peut transférer l’expression de convictions personnelles dans des zones de visibilité élargie. Ceci vient bousculer, sous une forme beaucoup plus relâchée et subjective, le principe de publicité hérité des médias de masse (Cardon, 2010) et dans bien des cas « exacerber la charge conflictuelle des propos » (Greffet et Wojcik, 2008). Ces dernières années, les échanges sur la plateforme Twitter, en raison principalement des facilités pour y capter des données empiriques, ont été particulièrement observés. Cela a permis de voir comment se constituaient des communautés discursives lors de controverses politiques, par exemple autour du Pacte budgétaire européen pour des mouvements d’extrême gauche (Smyrnaios et Ratinaud, 2013) ou autour du « mariage pour tous » pour des mouvements d’extrême droite (Cervulle et Pailler, 2014).
22Appuyés sur des méthodologies de nature lexicométrique, ces travaux renseignent sur les arguments mis en avant par les défenseurs de causes, mais en se fondant sur les seules formes verbales du discours. Or la médiatisation du politique en ligne ne se limite pas à l’écrit, loin de là, et une autre recherche touchant elle aussi au « mariage pour tous » suggère par exemple de compléter l’analyse en prenant non seulement en compte la matière écrite des tweets mais aussi les images, fixes comme animées, qui leur sont jointes (Julliard, 2015).
23De façon plus générale, une tendance dans la littérature la plus récente semble être de s’attacher davantage au cadre technosémiotique d’ensemble de la médiatisation du politique sur l’Internet, à « prendre au sérieux la matérialité des dispositifs d’écriture numérique pour analyser leur rôle dans la construction et la circulation des discours » (Mabi, 2016, p. 127). Le travail d’où est extraite cette citation porte sur les registres originaux de mise en visibilité, sur l’Internet, des arguments défendus par les zadistes opposés au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Fiches thématiques montrant l’ineptie du projet sur le site web du collectif des opposants, promotion sur Twitter d’une vidéo dénonçant l’incohérence de la décision gouvernementale vis-à-vis des engagements environnementaux de la Cop 21, chronique dessinée sur un blog symbolisant l’intégration profonde des zadistes au territoire investi, tous ces éléments forment un régime discursif et argumentatif composite, propre à l’Internet et alternatif à celui des médias de masse.
24Un semblable « récit polyphonique », constitué « dans une logique d’agrégation de fragments » numériques disséminés sur l’Internet (ibid.) se retrouve également dans une autre analyse récente de controverse en ligne. Celle-ci, consacrée aux opinions dissonantes émises sur l’Internet à la suite des attentats perpétrés contre la rédaction de Charlie Hebdo en 2015 (Badouard, 2016), ne se contente pas de suivre le hashtag #jenesuispascharlie mais tente plutôt de rassembler les productions numériques de diverses natures associées à ce mot d’ordre. Billets de blogs, vidéos sur YouTube ou encore groupes de membres de Facebook, sont simultanément pris en considération pour montrer que ces « prises de parole à rebours de “l’unité nationale” » (ibid.) peuvent se distribuer en trois positions assez distinctes : critique assez détachée de l’unanimité, considérée de simple façade, du mouvement des « Je suis Charlie » ; rejet par les milieux conservateurs d’extrême droite de la ligne éditoriale libertaire et anticléricale de Charlie Hebdo ; revendication, par des musulmans s’affichant comme tels et condamnant les attentats, d’un mode de traitement de l’Islam plus équilibré et plus respectueux.
Le renforcement de la rumeur conspirationniste par l’Internet
25La dernière recherche évoquée met donc en relief ce véritable fatras documentaire amoncelé sur l’Internet et qui, mis bout à bout, donne corps à l’expression d’une position politique. Ce type d’enchaînement de fragments numériques peut ainsi étayer une prise de position par rapport à un événement. Il peut aussi – point plus subrepticement abordé dans cette même recherche – appuyer une mise en question de l’événement lui-même par l’instillation d’un soupçon conspirationniste. Dans le cas présent, l’intrusion de tueurs lourdement armés dans les locaux de Charlie Hebdo est ainsi interrogée à partir de détails des images prises sur les lieux et de nature « à exprimer des doutes sur les “versions officielles” des attentats relayées par les médias » : « Des rétroviseurs qui changent de couleur, des journalistes avec des gilets pare-balles, des ruelles vides au moment des attaques sont autant de signes d’un complot impliquant les plus hautes instances de l’État selon les partisans de ces théories. Un tweet posté par le compte “Les illuminati” le 8 janvier, réunissant sur une même image différentes théories du complot, a ainsi été relayé près de 3 000 fois sur le réseau social » (ibid.). Il se confirme dès lors que Twitter, loin de se réduire à un seul registre d’expression politique, « est approprié » dans différentes directions : « comme un moyen d’attaquer personnellement ses adversaires politiques, ou de crier ses indignations ou encore de dénoncer de supposés complots » (Mercier, 2015, p. 147).
26L’Internet, de façon plus générale, s’avère constituer un dispositif de communication spécialement accueillant pour les discours conspirationnistes. Deux raisons au moins peuvent l’expliquer, liées aux traits fondamentaux des discours conspirationnistes.
27Les « théories du complot » constituent une notion aussi floue que l’ensemble disparate qu’elles désignent. À compter de la fin du XIXe siècle toutefois, avec l’émergence de récits comme celui du roman d’espionnage notamment, un socle commun se dessine autour de la « référence à des solidarités, à des connivences et à des liens personnels tramés, en sous-main, en vue de s’emparer du pouvoir ou de l’exercer secrètement » (Boltanski, 2012, p. 63). Ces discours visent à débusquer le monde brut (« Par monde, il faut entendre “tout ce qui arrive” – pour reprendre une formule de Wittgenstein ») derrière la réalité ordonnée (« La réalité se présente par là comme un réseau de relations causales qui font tenir les uns aux autres les événements auxquels l’expérience est confrontée ») : l’émergence de tels discours est contemporaine de l’affirmation de l’État-nation et de ses institutions, notamment juridiques, précisément chargées d’organiser l’ordre social (lois et règlements, attributions de propriété, etc.) et par conséquent de « dire ce qu’il en est de ce qui est » (ibid., p. 22). Dans leur forme plus proprement politique, les discours conspirationnistes reposent sur l’idée que certains individus ou groupes sociaux se concertent pour organiser la marche du monde alors que leurs agissements sont gardés secrets. Les médias de masse, considérés à la fois comme vecteurs et complices de ces dissimulations au même titre que d’autres institutions, offriraient dès lors une représentation tronquée de la réalité. Dans un tel système de pensée, l’Internet, en tant qu’alternative aux médias de masse, constitue une sorte d’échappatoire pour les conspirationnistes et leur assure une forme de contrôle sur la diffusion de leurs thèses.
28L’Internet ne constitue toutefois pas un simple refuge pour les discours conspirationnistes. Simultanément – et il convient d’insister à nouveau sur cet aspect mis en exergue dans le présent article –, l’Internet offre aussi des arènes d’expression adaptées à leur régime argumentatif : « […] en fonction des arènes d’expression, les discours et les arguments exprimés diffèrent et […] cette circulation reconfigure, avec plus ou moins de force, les relations de pouvoir et de domination entre acteurs. Chaque arène a ses “prédilections argumentatives” (Rennes, 2007), c’est-à-dire qu’elle est favorable à la mise en avant de certains arguments dans le discours plutôt que d’autres en fonction de sa configuration technosémiotique » (Mabi, 2016, p. 114).
29La mise à disposition de documents numériques, et en particulier la profusion d’images sur l’Internet, rencontre précisément les besoins du régime argumentatif des discours conspirationnistes. Parmi les différentes composantes de la rhétorique conspirationniste figurent en bonne place la surinterprétation de signes présentés comme autant d’indices d’un monde caché derrière une réalité construite, ainsi que l’établissement de corrélations factices (Taïeb, 2010). Dans la première étape, les complotistes vont par exemple chercher à « faire parler » des images au-delà de ce qu’elles donnent à voir, plus exactement à y déceler une « irruption du monde au sein de la réalité » (Boltanski, 2012, p. 22). L’exemple le plus connu en la matière réside sans doute dans l’exploitation des photographies du Pentagone le 11 septembre 2001, photographies qui ont fait le tour de l’Internet, et de leur supposée absence de traces d’un crash d’avion de grande taille. Le fondement du discours conspirationniste dans ce cas-là est la pensée de sens commun selon laquelle les images, à la différence des comploteurs, ne mentent pas (Gunthert, 2009). Une fois ces « vérités révélées », la seconde étape va consister à les mettre en relation, « à relier entre eux une série de faits dont la convergence jusque-là inaperçue dévoile le complot » (Taïeb, 2010, p. 270). La rhétorique conspirationniste trouve alors sa syntaxe : les différentes pièces du puzzle se voient assemblées, les multiples documents dispersés en ligne sont réordonnés jusqu’à créer une « impression d’interdépendance des preuves » (Bronner, 2013, p. 104) et trouver un semblant de signification globale. Le discours conspirationniste affiche en effet ce paradoxe de se présenter comme une démonstration de facture rationnelle tout en épousant une dimension surnaturelle. Il fait apparaître un retournement complet de ce que l’on pensait être la réalité, à la manière des tours de magie, mixant de façon quasi simultanée désenchantement – par la mise en évidence de tricheries des conjurés – et réenchantement – par l’effet fantastique du renversement ainsi opéré – du monde (Aupers, 2012).
30Le discours conspirationniste trouve donc avec l’Internet non seulement un « contre-espace public subalterne » (Fraser, 1992) à investir, mais aussi un environnement technosémiotique qui sied aux caractéristiques de sa « mécanique narrative complotiste » (Taïeb, 2010) : disponibilité d’une multitude de documents à disséquer, en particulier d’images, documents aisément reliables pour faire éclater au grand jour des vérités cachées. Au regard de telles caractéristiques, on comprend mieux pourquoi les discours conspirationnistes vont se déployer sur l’Internet en empruntant bien souvent la voie de la rumeur en ligne.
31Une rumeur, pour se mettre en branle et se propager, doit activer des ressorts particuliers : « donner à dire, faire prétexte au lien social », « c’est là le moteur de la circulation des rumeurs » (Froissart, 2009). Ces facteurs déclenchants des rumeurs correspondent en grande partie aux caractéristiques identifiées plus haut pour les discours conspirationnistes, et vont se trouver amplifiés avec l’Internet.
32Tout d’abord, l’Internet favorise la propagation des rumeurs en les accompagnant d’une multitude de documents qui vont justement « donner à dire ». En la matière, on aurait néanmoins tort de croire à une complète nouveauté dans la mesure où les rumeurs n’ont jamais vraiment circulé de façon éthérée. Même avant l’avènement des médias de masse, qui débuta avec la presse à grand tirage du XIXe siècle, à la parole ont la plupart du temps été joints des écrits : ainsi de la « cacophonie séditieuse » du XVIIIe siècle, diffusée dans les rues parisiennes par vers rimés et chantés mais aussi par poèmes copiés et transmis sous le manteau (Darnton, 2014). Au XXe siècle, avec le développement de l’audiovisuel, les rumeurs ont encore moins circulé « à l’état pur […] de bouche à oreille, en dehors de la presse, de l’affiche, même du tract ou du graffiti » contrairement à ce qu’avançait la pourtant célèbre étude sur « la rumeur d’Orléans » (Morin, 1970) : ce récit d’enlèvement de femmes dans des cabines d’essayage a en fait essaimé dans d’autres villes au gré de sa médiatisation (Froissart, 2010). L’Internet s’insère de ce point de vue dans une forme de continuité, tout en accentuant sa capacité de support pour les rumeurs, en particulier grâce à un recours démultiplié aux matériaux iconiques. Les « images rumorales » ont ainsi figuré dès le départ en bonne place parmi les images qui ont circulé de courriers électroniques en courriers électroniques, parce qu’elles remplissaient parfaitement le critère premier de « narrativité exacerbée » (Froissart, 2002, p. 33). Avec le développement des sites de partage de vidéo et des réseaux sociaux numériques, la circulation des images a connu une nouvelle ampleur, propice à une expansion de la grammaire de la vraisemblance et en particulier des modalités fabulatrices dont peut se nourrir l’imaginaire complotiste : « Chacun est incité à broder à partir des éléments qui viennent de lui être donnés, en les enrichissant de nouveaux détails, certes imaginaires, mais cohérents sur le plan symbolique avec l’orientation esthétique et/ou morale que tend à revêtir la matière sémantique manipulée au cours de l’interaction » (Boltanski, 2012, p. 308).
33Les rumeurs se diffusent également à la condition seconde de « faire prétexte au lien social », ce qui rejoint là encore une propriété des discours conspirationnistes. Ceux-ci d’une part suscitent des réactions, des commentaires et des discussions parmi les personnes qui les reçoivent, et ces échanges sont progressivement facilités en ligne, depuis les « chaînes de mails » précédemment évoquées jusqu’aux espaces conversationnels des réseaux sociaux numériques. Et la construction « syntaxique » des discours conspirationnistes féconde d’autre part du lien social entre les complotistes, au fur et à mesure que chacun d’entre eux concourt à apporter sa contribution à la démonstration d’ensemble. Sur ce plan aussi, l’Internet accompagne une telle dynamique parce qu’il permet d’assembler plus efficacement des individus aux discours dissonants qui resteraient sinon beaucoup plus isolés : « L’Internet est un grand multiplicateur qui non seulement offre un accès facilité à quiconque veut promouvoir sa vérité, mais qui permet aussi des connexions plus rapides entre ces vérités [5] » (Van Zoonen, 2012, p. 64).
Rumeurs conspirationnistes et agitation politique en ligne
34Les éléments décrits dans la section précédente concourent à expliquer pourquoi la rumeur en ligne constitue un vecteur privilégié pour les discours conspirationnistes. À ce stade, il convient désormais d’identifier les liens entre rumeurs conspirationnistes et agitation politique, pour mieux voir ensuite comment le PizzaGate a pu s’intégrer à l’environnement numérique de la présidentielle de 2016 aux États-Unis.
35Les discours conspirationnistes, parce qu’ils proposent in fine de renverser la situation existante de façon radicale, se rattachent à des idéologies extrémistes. Au cours de l’histoire, ils ont pu être mobilisés du côté de l’extrême droite comme de l’extrême gauche, et se « rejoignent dans la dénonciation du “système” ou des “élites” politiques et de leurs mensonges » (Taïeb, 2010, p. 282).
36Ces derniers temps, l’exploitation politique d’une telle rhétorique se retrouve toutefois très majoritairement à l’extrême droite. Les discours tenus par Norbert Hofer lors de la campagne présidentielle en Autriche, par Michael Gove au moment du référendum britannique sur le Brexit, et par Donald Trump aux États-Unis « insinuent une emprise conspirationniste du pouvoir en place et des intellectuels sur le peuple, et appellent de leurs vœux des politiques anti-intellectualistes mues par l’émotion et une idéologie de droite [6] » (Fuchs, 2017, p. 54).
37En ce sens, les discours conspirationnistes participent de l’agitation politique d’extrême droite. Celle-ci, dans sa définition classique (Löwenthal, Guterman, 2017 [1948]), consiste bien à renverser la situation existante, tout en se distinguant de la visée révolutionnaire d’extrême gauche par le fait de ne pas rechercher de causes structurelles (inégalités socio-économiques) susceptibles d’être transformées mais de simplement désigner des responsables à mettre hors d’état de nuire (Voirol, 2017).
38Pour cela, l’agitation politique consiste concrètement à s’arrêter sur des « actualités sensationnalistes » procurant « autant d’occasions de pointer les coupables qu’[elle] tient pour responsables de tous les maux sociaux » (Löwenthal et Guterman, 2017 [1948]). La dénonciation de ces turpitudes, en pointant des « ennemis particulièrement laxistes du point de vue de la morale », contribue à générer dans le même temps un malaise que l’agitation politique « savoure, déforme, aggrave et exagère » (ibid.). Cet appel aux émotions passe notamment par la méfiance (« l’agitateur joue sur les soupçons de son auditoire ») et le désillusionnement (« les valeurs et idéaux sont des armes de l’ennemi, couvrant les machinations de puissances sinistres », ibid.) selon un procédé rejoignant la rhétorique conspirationniste. De façon plus générale, l’excitation des esprits visée par l’agitation politique partage avec les énigmes de type complotiste de « faire travailler des inquiétudes et des tensions » (Boltanski, 2012, p. 44).
39Conspirationnisme et agitation politique, sans se réduire complètement l’un à l’autre, partagent ainsi plusieurs points communs. En se diffusant par l’intermédiaire de l’Internet et notamment des rumeurs en ligne, les discours conspirationnistes sont susceptibles de servir encore un peu plus les desseins de l’agitation politique. Les rumeurs conspirationnistes peuvent toucher, par le biais de l’Internet, des personnes peu exposées aux discours proprement militants des agitateurs. Le traitement d’une telle hypothèse, comme signalé en introduction, nécessiterait une enquête sociologique, non menée dans le cadre de ce travail. Celui-ci mobilise l’analyse de discours pour appréhender une autre dimension de la relation entre rumeurs conspirationnistes en ligne et agitation politique : leur aspiration commune à semer le trouble autour de la réalité, renforcée par l’appui sur l’Internet et le numérique.
40Pour étudier cette dimension, l’analyse porte sur la rumeur conspirationniste du PizzaGate, dont la propagation en ligne, en novembre et décembre 2016, a entouré un moment d’intense agitation politique. Elle coïncide en effet avec la fin de la campagne puis la prise du pouvoir de Donald Trump, dont la ressemblance est frappante avec le portrait de « l’agitateur américain » brossé en parallèle à la montée des fascismes européens des années 1930 (Löwenthal et Guterman, 2017 [1948]). Dans sa version contemporaine, l’agitation politique a bien entendu pour spécificité de se déployer sur les réseaux numériques : elle y conserve des caractéristiques anciennes communes avec les discours conspirationnistes (imputation de responsabilités individuelles par un jeu sur l’émotion) tout en voyant croître une composante, l’affranchissement vis-à-vis de la factualité (Voirol, 2017). Et précisément, la présidentielle de 2016 aux États-Unis a été marquée par une inflation de fausses informations (fake news), au point de voir surgir le terme de post-vérité (post-truth) pour la qualifier.
41Ces fausses informations ont visé les deux candidats. Néanmoins, une comptabilisation effectuée durant les trois mois précédant l’élection du 8 novembre 2016 montre que la balance penche lourdement en faveur de l’agitateur politique : sur Facebook, les fausses informations favorisant Hillary Clinton ont été partagées 7,6 millions de fois tandis que celles favorisant Donald Trump l’ont été 30 millions de fois (Alcott et Gentzkow, 2017). Et une fois au pouvoir, l’équipe du président nouvellement élu est même allée plus loin. Lors de sa première conférence le 21 janvier 2017, le nouveau secrétaire à la presse de la Maison-Blanche, Sean Spicer, affirme que la cérémonie d’investiture présidentielle de la veille a rassemblé une foule immense, la plus importante de tous les temps, contrairement à ce qu’ont décrit les médias à partir de photographies aériennes montrant un public clairsemé. Selon Spicer, les « zones blanches » apparaissant sur ces photographies correspondraient à un nouveau revêtement du National Mall rendant toute comparaison impossible avec les photographies aériennes des investitures passées. Par ailleurs, toujours selon lui, les chiffres de fréquentation du métro de Washington auraient été les plus élevés jamais enregistrés pour un jour d’investiture présidentielle. Ces arguments ont vite été dénoncés par de nombreux journalistes comme faux, tout simplement à partir d’un retour sur la dernière investiture d’Obama en 2013 où un même revêtement de protection des pelouses du Mall était déjà présent, et où les chiffres de fréquentation du métro étaient supérieurs. À cela, une des plus proches conseillères de Trump, Kellyanne Conway, a réagi dès le lendemain en indiquant que les allégations de Spicer ne constituaient pas des mensonges mais des « faits alternatifs » (« alternative facts »).
42La substitution à la représentation de la réalité par les médias établis d’une forme concurrente de vraisemblable, caractéristique majeure des discours conspirationnistes, est donc également au cœur du discours des proches de Donald Trump. Lui-même ne semble pas considérer les complotistes comme indéfendables, loin de là. Immédiatement à la suite de son élection, il a pris son téléphone pour remercier le complotiste Alex Jones, l’un des relais du PizzaGate (Haberman, 2016). De façon encore plus forte et emblématique, il avait choisi Steve Bannon comme directeur de campagne et en a ensuite fait son bras droit en le nommant Senior Counselor and Chief Strategist. Steve Bannon était auparavant le responsable du site de « réinformation » Breitbart News, véritable plaque tournante de l’alt-right états-unienne, mouvance idéologique informelle se retrouvant dans le rejet du multiculturalisme, du féminisme et des élites. Si l’alt-right peut fédérer des réactionnaires déjà embrigadés idéologiquement dans le racisme et l’antisémitisme, elle attire aussi à elle des individus au rapport plus distant au politique, à l’image des jeunes amateurs de jeu vidéo que la controverse du GamerGate a rallié à la dénonciation du politiquement correct, sous l’influence notamment de Milo Yiannopoulos, journaliste en charge de la rubrique high tech de Breitbart News.
43Ces derniers éléments montrent que l’agitation politique en ligne, si elle a pu servir les desseins de Trump, ne se restreint pas aux seules actions et discours de cet homme politique. C’est une galaxie plus large qu’il convient d’explorer sur l’Internet, depuis les sites de « réinformation » jusqu’aux forums a priori non politiques comme ceux des gamers, en passant par les rumeurs conspirationnistes. Ceci invite à se pencher sur le cas du PizzaGate.
44Cette agitation politique par les marges de l’Internet est pourtant loin d’être centrale dans les travaux touchant à la présidentielle de 2016 aux États-Unis. Ces travaux, bien entendu encore peu nombreux à cette date, ont tendance à prendre pour objet les stratégies de communication et la médiatisation de Trump. Certains d’entre eux rappellent de façon salutaire que les médias audiovisuels, qui demeurent le principal moyen d’information aux États-Unis – 57 % des adultes déclarent s’informer souvent par la télévision contre 38 % via l’Internet (Pew, 2016b) –, ont accordé une exposition bien supérieure à l’ex-animateur du programme de télé-réalité The Apprentice et à ses passages télévisés générateurs de grosses audiences, qu’à ses concurrents moins rompus aux logiques commerciales de la télévision (Pickard, 2016). Mais ces travaux restent toutefois dédiés pour la plupart d’entre eux à l’utilisation par Trump de l’Internet et principalement des réseaux sociaux numériques. Une comparaison quantitative des deux comptes Twitter officiels de Trump et Clinton, entre mars et juillet 2016, apprend que les messages du futur Président sont pour plus de la moitié d’entre eux (54,5 %) rédigés dans un style non conventionnel, jouant sur l’authenticité de la parole exprimée, alors que seule une minorité (12,9 %) des messages de la candidate démocrate contrevient au style plus « froid » de la communication politique professionnelle (Enli, 2017). Dans une optique plus qualitative, une autre étude du compte @realDonaldTrump, cette fois d’octobre 2015 à mai 2016 (Ott, 2017), démontre une parfaite adaptation de son lexique aux logiques discursives de Twitter présentées comme relevant respectivement de la simplicité (emploi répété de termes monosyllabiques tels que good, bad, ou sad), de l’impulsivité (points d’exclamation récurrents et écriture en lettres capitales de certains qualificatifs et adverbes, par exemple « TOTALLY dishonest ! » pour ponctuer un tweet du 15 mai 2016 consacré à la couverture des Clinton par le New York Times), et de l’incivilité (injures quasi quotidiennes).
45Ces enseignements sont utiles mais semblent s’arrêter à l’arbre, de l’utilisation de Twitter par Trump, et cacher la forêt, de l’agitation politique en ligne globale lors de la présidentielle de 2016. Des réflexions ont toutefois été émises en ce sens, dont certaines intègrent notamment le volet conspirationniste de l’agitation en ligne, mais hélas sans développements empiriques pour l’instant. L’hypothèse a ainsi été formulée d’une évolution générale des sociétés dites modernes, derrière l’avatar politique représenté par Trump, vers un rapport mouvant au réel fait de « distance cynique », qu’illustrerait la domestication de la télé-réalité, et de « fantastique paranoïaque », se concrétisant dans les rumeurs conspirationnistes en ligne (Andrejevic, 2016). Plus directement en lien avec la question du rôle des médias en démocratie, le succès grandissant de Trump a aussi pu être vu comme une perversion de la structure décentralisée de l’Internet au profit de l’agitation politique (Turner, 2016a). Alors que les promoteurs d’un « encerclement démocratique » (« democratic surround », Turner, 2016b [2013]), choqués de l’emploi unilatéral des médias de masse « one-to-many » par la propagande fasciste dans les années 1930 en Europe, espéraient que des dispositifs de communication « many-to-one » permettraient aux individus de disposer d’une information libre et plurielle après la guerre, force est de constater que sa concrétisation sous les traits de l’Internet a aussi permis en ce début de XXIe siècle à des agitateurs de toutes sortes, du candidat du Grand Old Party aux complotistes plus underground, de multiplier les moyens de venir parler aux oreilles du peuple états-unien.
46L’agitation politique en ligne durant la présidentielle de 2016 aux États-Unis ne s’est donc pas arrêtée aux seules gesticulations de Donald Trump ou de ses affidés. Elle repose sur un réseau d’actions communicationnelles beaucoup plus large, dont sont parties prenantes plusieurs rumeurs conspirationnistes, pourtant peu étudiées en détail. Ceci achève de plaider en faveur de l’analyse de rumeurs conspirationnistes en ligne durant la Présidentielle de 2016 aux États-Unis. Parmi celles-ci, la rumeur du PizzaGate, en raison de la variété de ses transformations numériques, illustre plusieurs ressorts argumentatifs fournis par l’Internet aux discours conspirationnistes et, par extension, à l’agitation politique dans sa version la plus récente.
Le cas paroxystique du PizzaGate
47Les rumeurs conspirationnistes ont donc constitué un des éléments participant du mouvement plus général d’intense agitation politique en ligne qu’a été la Présidentielle de 2016 aux États-Unis.
48Parmi ces rumeurs, celle du PizzaGate s’est distinguée. D’une part, elle aurait pu connaître une issue particulièrement tragique si des clients ou employés avaient été atteints par les balles tirées dans la pizzeria Comet Ping Pong début décembre. D’autre part, sa constitution narrative, réalimentée à plusieurs reprises par l’ajout de nouveaux matériaux numériques présentés comme autant de preuves à charge, semble avoir poussé à son paroxysme l’appui sur l’Internet pour en faire un véritable « millefeuille argumentatif » (Bronner, 2013, p. 93).
49L’Internet – cela a été problématisé dans les pages précédentes – est susceptible de renforcer la rhétorique conspirationniste (Taïeb, 2010), et par là même l’agitation politique, en fournissant une multitude de documents en proie à des surinterprétations et en les reliant par le biais de la rumeur en ligne. Partant du principe qu’un « genre de discours » connaît des variations de ses « prédilections et dominantes argumentatives » selon « les sites où [il] se déploie » (Rennes, 2007, pp. 97-98), il s’agira de montrer ici que le discours conspirationniste en se déployant dans l’arène numérique trouve avec l’Internet une « configuration technosémiotique » (Mabi, 2016) particulièrement favorable.
50L’analyse de la rumeur du PizzaGate montre qu’elle aura joué à plein sur l’amplification de l’intersémioticité (mixage de plusieurs formes, écrite, iconique, sonore, pouvant « suggérer des niveaux de lecture différents, renforcer ou atténuer une interprétation possible ») et de l’interdiscursivité (mise en circulation de documents qui « intensifie la polyphonie ») permise par l’Internet (Julliard, 2015, pp. 195 et 197). Parmi les multiples exemples générés par cette rumeur en ligne et qui cadrent avec les visées plus larges de l’agitation politique en ligne, seront ici examinées de façon plus approfondie la surinterprétation et l’imbrication de courriels « révélés » sur Wikileaks, d’images extirpées de leur contexte semi-privé sur Instagram, et de documents policiers remixés à l’aide d’outils numériques dernier cri.
Wikileaks comme source de « révélations »
51Le document-pivot sur lequel va s’appuyer la rumeur du PizzaGate est un courrier électronique de John Podesta (figure 1). Celui-ci a été rendu public le 7 octobre 2016 sur Wikileaks, dont une rubrique entière, intitulée « The Podesta Emails », est consacrée à la correspondance du directeur de campagne de Hillary Clinton. Les courriels de ce dernier ont été captés à partir de sa boîte G-mail, à l’issue d’une simple opération de « hameçonnage » (« phishing »).
Capture d’écran de WikiLeaks/ Rubrique « The Podesta Emails »
Capture d’écran de WikiLeaks/ Rubrique « The Podesta Emails »
52Le message incriminé fait référence à l’oubli par John Podesta d’un mouchoir contenant un plan (map) relatif à une pizza, lors d’une banale visite immobilière. Cette conversation en apparence anodine, et datant de 2014, va toutefois être l’objet de plusieurs surinterprétations.
53Les termes pizza et map sont présentés comme ayant une autre signification dans les milieux pédophiles, masquant l’allusion, respectivement à une fille (pizza = girl) et à du sperme (map = semen). Une incitation à chercher la présence de ces termes dans les documents débusqués par WikiLeaks est lancée dans la liste de discussion alt-right de 4chan (figure 2). « L’enquête » va se poursuivre sur d’autres forums, notamment au sein de la section the_donald de Reddit consacrée à Trump, et amener les internautes à considérer comme anormalement fréquent l’emploi des termes liés aux pizzas dans d’autres courriels de John Podesta. Ils en tirent la conclusion que les messages de Podesta sont codés à des fins pédophiles.
Capture d’écran de 4chan/ ‘alt-right’ discussion board
Capture d’écran de 4chan/ ‘alt-right’ discussion board
54En parallèle, une autre polémique a été relayée cette fois par des journalistes et médias conservateurs. Sean Hannity, en plus de sa lucarne sur Fox News, fait partie de ces animateurs états-uniens de talk-show radiophoniques qui, dans le sillage de celui de Rush Limbaugh et de ses fréquentes positions racistes et sexistes, développent un cadrage plus que droitier de l’actualité (Mort, 2012a). Hannity poste, en ce même début du mois de novembre 2016, un tweet insinuant dans sa partie écrite que John Podesta est lié à « un étrange rituel occulte », et plaçant dans sa partie iconique des inscriptions terrifiantes, comme peintes avec du sang (figure 3).
Capture d’écran de Twitter/ Compte @seanhannity
Capture d’écran de Twitter/ Compte @seanhannity
55Le lien placé en fin de ce tweet mène à un article publié sur le site web de Sean Hannity (www.hannity.com) où celui-ci commente un autre courriel tiré des PodestaEmails de WikiLeaks. Ce message, daté de juin 2015, est une invitation faite à John Podesta par son frère Tony, de se joindre à un « Spirit Cooking Dinner » organisé par l’artiste Marina Abramovic. Cette créatrice contemporaine dont les œuvres reconnues, principalement des performances, interrogent la douleur et mobilisent souvent la matière sanguine, expliquera par la suite avoir employé le second degré en accolant le nom d’une de ses performances « Spirit Cooking » à cette proposition de dîner (Lee, 2016). Dans son article, Sean Hannity en restera lui au tout premier degré, ne retenant des sessions « Spirit Cooking » de « l’infâme performeuse serbe » que des expériences sacrificielles et des mixtures de lait et de sperme, et en concluant que les PodestaEmails n’en finissent décidément pas d’interroger.
56Les procédés à l’œuvre au cours de ces différentes opérations sont typiques des rumeurs conspirationnistes. Des ressorts fondamentaux de la démarche conspirationniste, on retrouve la propension à rechercher un monde secret derrière une réalité de surface, à la façon d’une énigme à résoudre (Boltanski, 2012), ici par le biais de messages supposément codés, et l’établissement de corrélations, d’un courriel à l’autre. Cet enchaînement argumentatif construit une narration dont se nourrit intrinsèquement la rumeur, qui elle-même trouve son « relais de croissance » habituel avec sa reprise dans les médias (Froissart, 2010). Il s’agit en l’occurrence de médias prompts eux aussi à faire le jeu de l’agitation politique, jetant l’opprobre sur les élites politiques et intellectuelles présentées sous les habits d’une artiste sataniste et d’apparatchiks pervers.
57Avec l’Internet, l’ensemble de ce processus est amplifié, dans plusieurs directions. La circulation tout comme l’élaboration de la rumeur sont accélérées et décentralisées, engageant la dynamique collaborative des forums et « l’intelligence collective » des internautes vers un sombre dessein. Il en résulte des trouvailles rassemblées de façon polyphonique par l’entremise de tweets illustrés, d’articles de sites web et de chroniques radio, ou encore de posts sur des imageboards. Et le tout converge vers un type de document en particulier : des courriers électroniques.
58Ces courriers électroniques, mobilisés tous azimuts, constituent la pépite du tissu interdiscursif de cette rumeur conspirationniste. Restituant des propos normalement voués à rester confidentiels, émanant de surcroît d’une personnalité politique de premier plan, ils ne peuvent qu’exciter l’imagination des complotistes. À leurs yeux, ces documents d’un nouveau genre doivent probablement permettre de franchir un palier supplémentaire dans l’accès à des vérités dissimulées. La vigueur des « révélations » ainsi permises par WikiLeaks sera d’autant plus grande qu’elles s’appuient sur ce qui est tenu à l’écart, dans les coulisses du pouvoir.
La preuve par l’image 2.0
59La rumeur du PizzaGate offre d’autres exemples de mise au grand jour numérique de documents voués initialement à rester privés. Néanmoins, ces documents, à la différence des précédents, ne concernent pas un responsable politique mais un individu plus ordinaire de son entourage, le propriétaire du restaurant Comet Ping Pong. Ils s’en distinguent également par leur sémioticité plus équivoque, puisqu’il ne s’agit plus principalement d’écrits à décrypter comme dans le cas de messages électroniques mais d’images extirpées d’Instagram et laissant immédiatement plus ouvertes les interprétations.
60La rumeur passe des courriers électroniques aux images en ciblant la personne de James Alefantis. Son nom apparaît dans les PodestaEmails, et on apprend que sa pizzeria Comet Ping Pong a servi de lieu tour à tour pour des dîners de levée de fonds (fundraising) au profit de candidats du Parti démocrate, et pour des soirées artistiques d’avant-garde. Les complotistes tournent alors leurs regards vers Alefantis et dissèquent ses traces laissées sur l’Internet. À partir de son compte Instagram, ils exhibent des photographies présentées comme autant de preuves d’activités pédophiles exercées au sein de son restaurant.
61Il serait trop long en raison du format de cet article de revenir sur l’ensemble de ces photographies. Deux d’entre elles sont ici choisies car elles correspondent aux deux enchaînements argumentatifs de l’ensemble de cette séquence narrative par l’image.
62Une première photographie (figure 4), tirée du compte jimmycomet de James Alefantis, est censée témoigner des penchants pédophiles de ce dernier. On y voit trois hommes poser de façon joyeuse dans la rue, probablement à la terrasse d’un bar si l’on en juge par la présence de tables et de chaises à proximité. Deux des hommes torse nu, dont l’un arborant un nœud papillon, enlacent le troisième, revêtu d’un tee-shirt où est inscrit, en français dans le texte : « J’[icône de cœur rose] L’Enfant ». La simple traduction-décodage de cette inscription par les complotistes, à destination d’internautes anglophones, leur permettra d’assimiler le propriétaire de ce compte Instagram à un pédophile. Or il s’avérera que la personne au centre de l’image n’est pas James Alefantis mais une de ses connaissances, propriétaire d’un autre restaurant à la mode de Washington, un restaurant français dénommé L’Enfant Café.
Capture d’écran d’Instagram / Compte jimmycomet
Capture d’écran d’Instagram / Compte jimmycomet
63Une seconde photographie, tirée elle aussi du compte Instagram jimmycommet, a également beaucoup circulé sur l’Internet. On la retrouve notamment dans une vidéo dont le compteur YouTube affiche plus de deux millions de vues (figure 5), vidéo faisant passer la pizzeria Comet Ping Pong pour un lieu de torture d’enfants. La vidéo présente, avec pour fond sonore une musique digne des pires films d’épouvante, une petite fille les bras scotchés sur une table rouge, avec derrière elle la silhouette d’un adulte dans la pénombre. Cette mise en scène élude le fait que le restaurant possède différentes salles, dont certaines réservées à des activités ludiques avec jeux pour enfants et tables de ping-pong (la table figurant en arrière-plan de la photographie est siglée JOOLA, marque de matériel de tennis de table).
64L’emploi de l’image dans les rumeurs conspirationnistes n’est pas une nouveauté. C’est même une de ses marques de fabrique, comme cela a déjà été souligné dans les pages précédentes de ce texte. De la même façon que la mise en doute de l’alunissage de Buzz Aldrin repose sur l’interprétation de reflets équivoques sur la visière de son casque, amenant à guider le regard de l’internaute vers le « bruit » du cliché plutôt que vers l’intention globale du photographe (Gunthert, 2009), dans le cas présent la focalisation sur un détail du tee-shirt (figure 4) éloigne de la visée générale, sans doute célébrative, de cette photo souvenir. Corollairement, la vidéo et le commentaire en voix off des complotistes cherchent à attirer l’œil de l’internaute en priorité vers les mains supposément ligotées, et le détournent du visage de la fillette pourtant en plein cadre de la photographie (figure 5). Ce visage, comme souvent pour les enfants de cet âge, oscille peut-être entre rire et larmes, mais les complotistes ont tôt fait de privilégier la seconde option. C’est aussi à cette aune qu’ils interprètent les commentaires adjacents, et en particulier « This is pretty creepy bro » (« C’est vraiment flippant, mon pote »), perçu comme une délectation face à la cruauté [7]. Ils ne laissent à aucun moment la place à une lecture au second degré de ces commentaires et de cette image, documents pourtant initialement placés dans un espace, Instagram, propice à ce type d’échange (des blagues entre amis).
Capture d’écran YouTube / Vidéo #PizzaGate
Capture d’écran YouTube / Vidéo #PizzaGate
65Le jeu sur un tel « effondrement des contextes » (Marwick et Boyd, 2011) pourrait constituer une dimension supplémentaire apportée par l’Internet aux rumeurs conspirationnistes. Certes, tout procédé interdiscursif est enclin à atténuer voire annihiler ou modifier le contexte d’énonciation d’origine et donc la signification première du propos rapporté. Et à ce titre, les journalistes de presse, de radio, comme de télévision, sont régulièrement accusés de « sortir une phrase de son contexte ». Ce phénomène connaît toutefois avec l’Internet une facilité plus grande, en raison de la malléabilité numérique des documents. Surtout, il change de nature, dans la mesure où une grande partie des propos tenus sur l’Internet, et en particulier dans ses espaces « participatifs », le sont sur un mode conversationnel et dans un espace clair-obscur (Cardon, 2010), tout en pouvant être versés assez aisément dans un espace de plus grande visibilité et générer un horizon d’attente de publicité (au sens habermassien du terme). Ainsi les photographies du compte Instagram de James Alefantis donnent du grain à moudre au PizzaGate non seulement parce que leur matière iconique fait perdurer l’illusion d’une preuve par l’image comme nombre de rumeurs conspirationnistes, mais aussi parce que leur exhumation de la partie privée du réseau social numérique où elles étaient enfouies génère un surcroît d’interprétations dévoyées une fois mises sur la place publique.
Le remix numérique comme outil de démonstration
66Dans les deux étapes précédemment analysées, que ce soit par l’intermédiaire de courriers électroniques hackés ou d’images extirpées de comptes privés de réseaux sociaux numériques, les internautes ont pour l’essentiel eux-mêmes décrypté les documents ainsi collectés et établi des corrélations entre ces supposées « révélations ». Ces deux opérations de base de « l’administration conspirationniste de la preuve » passaient ainsi majoritairement par des interventions humaines. La dernière étape observée ici présente l’originalité de déléguer aux machines et logiciels de calculs, en un mot à l’informatique, une grande partie de ces opérations.
67En l’espèce, ce sont des programmes de reconstitution faciale qui vont être mis à contribution. Ils vont permettre de « boucler la boucle » de la rumeur du PizzaGate, en accusant directement John Podesta d’agissements criminels sur des enfants. Jusqu’ici, les affirmations avancées ne s’emboîtaient qu’imparfaitement. D’un côté, l’appui sur les Podesta Emails avait servi à soupçonner de pratiques occultes et potentiellement pédophiles le démocrate. Gravitant autour de lui, James Alefantis, sur la « foi » d’images trouvées sur son compte Instagram, était lui plus explicitement accusé de pédophilie et son restaurant d’être une « cache » dédiée au trafic d’enfants. Restait donc à relier ces deux éléments, à trouver le chaînon manquant pour confirmer que John Podesta est un pédophile avançant masqué.
68Pour faire tomber ce masque, ce sont justement les traits du visage du supposé criminel qui vont être « passés au scanner ». Les complotistes vont s’aider pour cela de la loupe numérique constituée par les logiciels de reconstitution faciale. Et la pêche va être miraculeuse pour les complotistes puisque, ce n’est pas un seul mais deux « gros poissons » de la politique qui vont être identifiés : John Podesta et son frère Tony. Les formes de leurs visages sont présentées comme matchant avec le « portrait-robot » de personnes visées par un avis de recherche en lien avec la disparition en 2007 au Portugal de Madeleine McCann, une Britannique âgée de presque 4 ans au moment des faits. Ces e-fits (diminutifs de ces portraits obtenus par Electronic Facial Identification Technique) diffusés par Scotland Yard en 2013 sont ainsi mis en correspondance avec la forme des visages des frères Podesta dans un certain nombre d’infographies amateures. Celles-ci, à l’instar d’autres images liées au PizzaGate, ont circulé sur l’Internet par le biais de vidéos séquençant les différents arguments de la rumeur. L’une de ces vidéos (figure 6) explique par écrit et répète oralement avec une voix d’outre-tombe que les Podesta étaient adeptes de voyages en Europe, tout en s’interrogeant sur l’absence de messages dans les PodestaEmails la veille et le jour de la disparition de Madeleine McCann. En fait, au-delà de la stricte ressemblance des visages, un élément au moins vient complètement contredire leur association puisque, les 2 et 3 mai 2007, John Podesta était âgé de 58 ans et son aîné Tony de 63 ans, tandis que la personne recherchée par la police était décrite comme une personne de 20 à 40 ans.
Capture d’écran YouTube / Vidéo #PizzaGate : What We Know So Far
Capture d’écran YouTube / Vidéo #PizzaGate : What We Know So Far
69Cet ultime soubresaut dans l’intrigue du PizzaGate reprend lui aussi plusieurs caractéristiques traditionnelles des rumeurs conspirationnistes en ligne, à commencer par la recherche d’élucidation de disparitions mystérieuses de jeunes filles, figures traditionnelles des « images rumorales » et dont l’Internet ravive la mémoire (Froissart, 2002). Il partage aussi avec les étapes précédentes de puiser, dans l’amoncellement documentaire en ligne, des ressources décuplées sur le plan intersémiotique (écrit, images et sons sont mêlés dans les montages « bricolés » par les internautes, cf. figure 6) comme interdiscursif (intégration de documents policiers et référence aux leaked emails, cf. figure 6 à nouveau).
70En comparaison de celles-ci toutefois, ce dernier procédé présente la spécificité d’assister par ordinateur les opérations de surinterprétation et de liaison des documents. Le complotiste ne s’affiche pas comme décodant seul les images, mais se fait plutôt le ventriloque de la découverte par la machine de détails troublants logés jusque dans les moindres pixels. De même, la mise en correspondance des documents n’est pas présentée comme étant de son fait mais celui d’opérations automatisées. Par ces modalités, le complotiste est en mesure d’effacer la subjectivité de ses affirmations proférées en ligne derrière la supposée objectivité du numérique.
Épilogue
71La première puissance mondiale aura donc vu arriver à sa tête, en 2016, un homme au programme nationaliste avivant l’angoisse de la perte d’une grandeur passée, comme le résume son slogan de campagne : « Make America Great Again ». À n’en pas douter, Donald Trump est un agitateur politique qui en outre sait user des médias, audiovisuels comme numériques, ainsi que plusieurs recherches l’ont déjà souligné.
72Le travail présenté dans ce texte aura élargi la focale en s’arrêtant sur une forme située en périphérie de la communication politique en ligne mais qui n’en participe pas moins à une agitation rendue encore plus polymorphe et décentralisée avec l’Internet. Les rumeurs conspirationnistes trouvent avec ce dispositif de communication des voies particulièrement adéquates pour leur développement. Non seulement il leur permet de contourner les médias traditionnels, rétifs à accueillir leurs élucubrations. Il procure aussi une configuration technosémiotique particulièrement fertile en procédés de dévoilement. Et l’ensemble conduit à la désignation de responsables du mal-être de la population, point commun entre la rhétorique conspirationniste et l’agitation politique.
73Le cas du PizzaGate a permis de détailler par le menu comment l’Internet favorisait cette dynamique.
74Sur le fond, le PizzaGate ne présente pas de grande originalité au regard de la majorité des rumeurs conspirationnistes : mêlant arguments pseudo-rationnels (« preuves par l’image » mises en équation) sans pour autant disqualifier totalement l’univers du surnaturel (rites occultes sataniques en l’occurrence), son moteur reste celui d’une narration exacerbée et dénonciatrice des turpitudes cachées (sévices sexuels sur enfants, un « classique du genre ») des élites (ici John Podesta et l’intelligentsia de la côte est).
75Sur la forme en revanche, cette étude de cas, en insistant en particulier sur les nouveaux appuis documentaires fournis par le numérique, a mis en relief plusieurs nouveautés. Plus précisément, trois procédés argumentatifs spécifiquement liés aux potentialités technosémiotiques de l’Internet ont été identifiés : attribution d’un surcroît d’authenticité par le biais du hacking, jeu sur le contexte mouvant d’énonciation des réseaux sociaux numériques, délégation à l’informatique d’une pseudo-administration de la preuve.
76Ces potentialités de l’Internet sont exploitées par les rumeurs conspirationnistes. Elles ont en commun de conférer au document, sous toutes ses formes numériques (copie de courriel, montage vidéo, etc.), le statut privilégié de fondement du vraisemblable.
77Dans le cas du PizzaGate, les complotistes essaient de repérer dans des textes de courriers électroniques ou des images tirées de bases de données (commerciales, policières) un affleurement du monde à opposer à la réalité de surface. Ce faisant, ils s’emploient à résoudre une énigme en conduisant une enquête de dévoilement, qui ressemble à l’enquête policière, sociologique, ou journalistique. Elle s’en distingue toutefois par le fait de ne jamais s’arrêter puisque ne se satisfaisant pas de la réalité stabilisée – au moins provisoirement – par les institutions officielles, qu’elles soient judiciaires, scientifiques ou médiatiques (Boltanski, 2012). L’Internet accentue cette particularité de l’enquête complotiste, parce que les multiples sources et documents accessibles en ligne amènent en permanence « de l’eau au moulin » de la rumeur pour mieux la rafraîchir et la reverser sur les réseaux.
78Une autre particularité de l’enquête complotiste, d’autant plus prégnante lorsqu’intégrée à l’agitation politique comme dans le cas du PizzaGate, est de ne pas supporter la contradiction, de refuser de s’inscrire dans un espace public pluriel où des vues divergentes peuvent être débattues (Voirol, 2017). Sur ce plan aussi, l’Internet permet à la rumeur conspirationniste de prospérer, en lui ménageant des espaces autonomes à l’abri de l’espace public pluriel, comme ces sites de « réinformation » paradoxalement inaccessibles à la critique externe. Une fois au pouvoir, les agitateurs doivent affronter cette discussion mais « ne sa[vent] que faire avec l’altérité à soi, si ce n’est la traiter par le rejet » (ibid.), comme l’a montré la fuite en avant de l’équipe de Trump vers des « faits alternatifs » à l’issue d’une première confrontation avec l’ensemble de la presse.
79Ce rapport singulier aux faits témoigne d’une dernière particularité de l’enquête complotiste. Son mode d’élucidation d’une énigme ou de reconstitution d’une situation est toujours unilatéral : il consiste à accumuler des documents dont l’interprétation en faits est orientée vers une même conclusion, connue d’avance et irréversible. À l’inverse, la recherche de la vérité au sein des institutions démocratiques s’appuie sur des procédures permettant d’explorer différentes voies avant de les évaluer : confirmation ou infirmation de différentes hypothèses dans l’enquête scientifique, prise en compte d’éléments à charge et à décharge pouvant mener à un faisceau d’indices convergents dans l’enquête judiciaire, recueil de témoignages de plusieurs bords et recoupement des sources dans l’enquête journalistique.
80À ces différents types d’enquêtes correspondent donc deux logiques assez opposées qui se matérialisent dans leurs modalités respectives d’exploitation des documents. Dans l’enquête complotiste, la vérité est considérée comme accessible à partir de l’examen d’un document (une photographie qui montre un responsable de restaurant affichant ses penchants pédophiles sur son tee-shirt), et la répétition de cette opération permettra d’en apporter la confirmation (une seconde photographie montrera un enfant attaché dans la salle d’une pizzeria, et ainsi de suite), confirmation d’autant plus renforcée que l’Internet fourmille de documents. Dans les autres enquêtes, les pièces à conviction sont également rassemblées sauf qu’elles sont interprétées avec précaution, ramenées individuellement à leur contexte d’origine, et peuvent être contrebalancées collectivement. Et c’est seulement à l’issue de ces opérations exigeant technicité et expérience professionnelles que la vérité peut émerger.
81À partir de là, on s’interrogera pour finir sur une possible concurrence entre ces différents régimes de constitution de la vérité dans l’espace public. Depuis des décennies maintenant, on considère certaines informations comme vraies (et d’autres comme sujettes à caution) sur la base d’opérations de vérification de documents et de recoupement des sources, opérations maîtrisées par des professionnels du journalisme. Ce régime traditionnel de constitution de la vérité journalistique est peut-être en passe d’être déstabilisé par un autre, qui fait précisément écho à celui observé pour l’enquête conspirationniste et son attachement quasi fétichiste au document.
82L’arrivée au pouvoir d’un agitateur politique qui juge partiaux des médias ordinairement qualifiés de « référence », et ne s’encombre pas de conserver comme plus proche conseiller le responsable d’un site de « réinformation », ne peut qu’alerter sur ce point. Peut-être plus inquiétante encore est la propension de certains médias états-uniens à finalement utiliser les armes argumentatives de Donald Trump et des conspirationnistes en ligne. Dernier exemple au moment de l’écriture de cet article : la gestion journalistique en janvier 2017 d’un document supposément confidentiel, censé attribuer aux autorités russes la détention d’un enregistrement vidéo de frasques sexuelles de Trump dans un hôtel moscovite. CNN a semblé proche de franchir le pas en évoquant ce Memo de 35 pages aux sources douteuses, mais limitant malgré tout l’information au fait de sa circulation dans les plus hautes sphères de l’État fédéral. En revanche, le pure player BuzzFeed est allé bien plus loin : il a publié un article contenant un hyperlien « déviatif » (Saemmer, 2015) rendant disponible le document tout en indiquant que les allégations contenues dans ce même document, signalées explicitement comme « non vérifiées » et empreintes de « certaines erreurs », devaient permettre aux « Américains de pouvoir se faire leur propre opinion » (Bensinger, Elder et Schoofs, 2017). Le rédacteur en chef de BuzzFeed s’est lui justifié plus tard dans un tweet livrant sa vision de l’information au XXIe siècle : « être transparent dans notre journalisme et partager ce dont nous disposons avec nos lecteurs » [8].
83Ce type de positionnement pourrait témoigner d’un affaiblissement du paradigme du magistère journalistique au profit d’un paradigme concurrent, résidant dans la délégation aux internautes de l’évaluation de l’information, sur la base d’une pseudo-transparence documentaire. Il s’inscrirait en tout cas dans la continuité de certaines évolutions récentes du journalisme aux États-Unis, telles que la montée en puissance de Fox News et de son retrait de la norme d’objectivité pour lui préférer soit un journalisme partisan, soit de simples discours rapportés (Mort, 2012b), ou encore de la vogue de la « truthiness » emportant plusieurs médias au moment de la fourniture, par l’administration Bush, de fausses preuves d’armes de destruction massive en Irak (Schudson, 2009). Il rejoindrait aussi l’invocation de neutralité et de transparence par les dirigeants des plateformes majeures de l’Internet ayant investi le domaine du journalisme en ligne (Smyrnaios, 2017), changeant les termes de la responsabilité démocratique des médias. Il ferait enfin écho à une « épistémologie du Je » (« I-pistemology ») fondée sur une remise en cause des institutions de consécration de la connaissance et sur la préférence conjointe pour le jugement par soi-même, qui peut faire le lit à la fois d’une plus grande effervescence et liberté numériques mais aussi des conceptions conspirationnistes sur l’Internet (Van Zoonen, 2012). La question de savoir comment contrer l’agitation politique en ligne sans renter dans le jeu de Trump et consorts reste ainsi ouverte. Mais, dans tous les cas, la nécessité de « prendre soin de l’espace public » (Voirol, 2017) semble de fait avoir rarement été aussi urgente.
Bibliographie
Références
- AISCH G., HUANG J., KANG C. (2016), « Dissecting the #PizzaGate Conspiracy Theories », The New York Times, 10 décembre 2016.
- ALLCOTT H., GENTZKOW M. (2017), « Social Media and Fake News in the 2016 Election », Stanford Working Papers.
- ANDREJEVIC M. (2016), « The jouissance of Trump », Television and New Media, vol. 17, n° 7, pp. 651-655.
- AUPERS S. (2012), « ‘Trust no one’: Modernization, paranoia and conspiracy culture », European Journal of Communication, vol. 27, n° 1, pp. 22-34.
- BADOUARD R. (2016). « “Je ne suis pas Charlie”. Pluralité des prises de parole sur le web et les réseaux sociaux », in C. SÉCAIL, P. LEFÉBURE (dir.), Le défi Charlie. Les médias à l’épreuve des attentats de janvier 2015, Paris, Lemieux Éditions.
- BENKLER Y. (2006), The Wealth of Networks. How Social Production Transforms Markets and Freedom, New Heaven-London, Yale University Press.
- BENRAHHAL-SERGHINI Z., MATUSZAK C., (2009), « Lire ou relire Habermas : lectures croisées du modèle de l’espace public habermassien », Études de communication, n° 32, pp. 33-49.
- BENSINGER K., ELDER M., SCHOOFS M. (2017), « These Reports Allege Trump Has Deep Ties to Russia », BuzzFeedNews, 11 janvier 2017.
- BEUSCART J.-S., DAGIRAL E., PARASIE S. (2016), Sociologie d’Internet, Paris, Armand Colin.
- BOLTANSKI L. (2012), Énigmes et complots. Une enquête à propos d’enquêtes, Paris, Gallimard.
- BRONNER G. (2013), La démocratie des crédules, Paris, PUF.
- CARDON D. (2010), La démocratie Internet. Promesses et limites, Paris, Seuil.
- CARDON D. (2015), À quoi rêvent les algorithmes. Nos vies à l’heure des big data, Paris, Seuil.
- CERVULLE M., PAILLER F. (2014), « #mariagepourtous : Twitter et la politique affective des hashtags », Revue française des sciences de l’information et de la communication, n° 4.
- DARNTON R. (2014), L’affaire des Quatorze. Poésie, police et réseaux de communication à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard.
- DERVILLE G. (2017), Le pouvoir des médias, Grenoble, PUG.
- DESPRES-LONNET M., COTTE D., (2005), « Usages professionnels des TIC, vers une textualisation des pratiques », Actes du colloque Enjeux et usages des TIC : aspects sociaux et culturels.
- ENLI G. (2017), « Twitter as arena for the authentic outsider: exploring the social media campaigns of Trump and Clinton in the 2016 US presidential election », European Journal of Communication, vol. 32, n° 1, pp. 50-61.
- FLICHY P. (2008), « Internet et le débat démocratique », Réseaux, n° 150, pp. 159-185.
- FRASER N. (1992), « Rethinking the Public Sphere: A Contribution to the Critique of Actually Existing Democracy », in C. CALHOUN (ed.), Habermas and the Public Sphere, Cambridge, Mass.-London, MIT Press, pp. 109-142.
- FROISSART P. (2002), « Les images rumorales. Une nouvelle imagerie populaire sur Internet », Médiamorphoses, pp. 27-35.
- FROISSART P. (2008), « Rumor », in W. DONSBACH (ed.), The International Encyclopedia of Communication, Malden, Mass., Blackwell Publishing, pp. 4431-4433.
- FROISSART P. (2009), « Le corps dans les rumeurs visuelles sur l’internet », Esprit, mars-avril 2009, pp. 189-196.
- FROISSART P. (2010), La rumeur. Histoire et fantasmes, Paris, Belin.
- FUCHS C. (2017), « Donald Trump: A Critical Theory-Perspective on Authoritarian Capitalism », tripleC, vol. 15, n° 1, pp. 1-72.
- GOLDMAN A. (2016), « The Comet Ping Pong Gunman Answers Our Reporter’s Questions », The New York Times, 7 décembre 2016.
- GREFFET F., WOJCIK S. (2008), « Parler politique en ligne. Une revue des travaux français et anglo-saxons », Réseaux, n° 150, pp. 19-50.
- GUNTHERT A. (2009), « Du bruit dans l’image (l’homme a-t-il marché sur la Lune ?) », L’Atelier des icônes, http://histoirevisuelle.fr/cv/icones/124.
- HABERMAN M. (2016), « Alex Jones, Host and Conspiracy Theorist, Says Donald Trump Called to Thank Him », The New York Times, 16 novembre 2016.
- JAMMET T., GUIDI D. (2017), « Observer Les Observateurs. Du pluralisme médiatique au populisme anti-islam, analyse d’un site de réinformation suisse et de ses connexions », Réseaux, n° 202-203, pp. 239-269.
- JEANNERET Y., SOUCHIER E. (2005), « L’énonciation éditoriale dans les écrits d’écran », Communication et langages, n° 145, pp. 3-15.
- JULLIARD V. (2015). « Les apports de la techno-sémiotique à l’analyse des controverses sur Twitter », Hermès, n° 73, pp. 189-196.
- KANTAR (2017), Baromètre 2017 de la confiance des Français dans les media, http://fr.kantar.com/médias/digital/2017/barometre-2017-de-la-confiance-des-francais-dans-les-media/.
- LEE B. (2016), « Marina Abramovic mention in Podesta emails sparks accusation of satanism », The Guardian, 4 novembre 2016.
- LÖWENTHAL L., GUTERMAN N. (2017) [1948], « Portrait de l’agitateur américain », Réseaux, n° 202-203, pp. 167-183.
- MABI C. (2016), « Luttes sociales et environnementales à l’épreuve du numérique : radicalité politique et circulation des discours », Études de communication, n° 47, pp. 111-130.
- MAIGRET E. (2008) « Flux, filtres, pairs, blogs, buzz : dites à vos amis que Personal Influence est (plus que jamais) d’actualité », préface, in E. KATZ, P. LAZARSFELD, Influence personnelle. Ce que les gens font des médias, Paris, Armand Colin-INA, pp. 3-10.
- MAIGRET E. (2015), Sociologie de la communication et des médias, Paris, Armand Colin.
- MARWICK A. E., BOYD D. (2011), « I tweet honestly, I tweet passionately: Twitter users, context collapse, and the imagined audience », New Media and Society, vol. 13, n° 1, pp. 114-133.
- MELLET K. (2009), « Aux sources du marketing viral », Réseaux, n° 157, pp. 268-292.
- MERCIER A. (2015), « Twitter, espace politique, espace polémique. L’exemple des tweetcampagnes municipales en France (janvier-mars 2014) », Les Cahiers du numérique, vol. 11, n° 4, pp. 145-168.
- MERCIER A., OUAKRAT A., PIGNARD-CHEYNEL N. (2017), « Facebook pour s’informer ? Actualités et usages de la plateforme par les jeunes », in A. MERCIER, N. PIGNARD-CHEYNEL (dir.), Partager et commenter l’info sur les réseaux sociaux, Paris, Éditions Fondation MSH (à paraître).
- MIÈGE B. (2010), L’espace public contemporain. Approche info-communicationnelle, Grenoble, PUG.
- MORIN E. (1970), La Rumeur d’Orléans (édition complétée avec la rumeur d’Amiens), Paris, Seuil.
- MORT S. (2012a), La contestation conservatrice aux États-Unis : L’influence des talk-shows radiophoniques sur le conservatisme de l’après-Reagan (1988-2010), thèse de doctorat, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3.
- MORT S. (2012b), « Truth and Partisan Media in the USA: Conservative Talk Radio, Fox News and the Assault on Objectivity », Revue française d’études américaines, n° 133, pp. 97-112.
- OTT B. L. (2017), « The age of Twitter: Donald J. Trump and the politics of debasement », Critical Studies in Media Communication, vol. 34, n° 1, pp. 59-68.
- PEW RESEARCH CENTER (2016a), Many Americans Believe Fake News Is Sowing Confusion, http://www.journalism.org/2016/12/15/many-americans-believe-fake-news-is-sowing-confusion/.
- PEW RESEARCH CENTER (2016b), The Modern News Consumer. News attitudes and practices in the digital era, http://www.journalism.org/2016/07/07/the-modern-news-consumer/.
- PICKARD V. (2016), « Media Failures in the Age of Trump », The Political Economy of Communication, vol. 4, n° 2, pp. 118-122.
- REBILLARD F. (2006) « Du traitement de l’information à son retraitement. La publication de l’information journalistique sur l’internet », Réseaux, n° 137, pp. 29-68.
- RENNES J. (2007), « Analyser une controverse. Les apports de l’étude argumentative à la science politique », in S. BONNAFOUS, M. TEMMAR (dir.), Analyse du discours et sciences humaines et sociales, Paris, Ophrys, pp. 91-107.
- RIEFFEL R. (2015), Sociologie des médias, Paris, Ellipses.
- SAEMMER A. (2015), « Préfigurations du lecteur dans la presse en ligne. Une analyse sémio-rhétorique de la pratique des hyperliens par les webjournalistes », Communication, vol. 33, n° 2.
- SMYRNAIOS N., RATINAUD P. (2013), « Comment articuler analyse des réseaux et des discours sur Twitter : l’exemple du débat autour du pacte budgétaire européen », Tic & société, vol. 7, n° 2.
- SMYRNAIOS N. (2017), Les GAFAM contre l’Internet. Une économie politique du numérique, Paris, Ina Éditions.
- SCHUDSON M. (2009), « Factual Knowledge in the Age of Truthiness », in B. ZELIZER (dir.), The Changing Faces of Journalism : Tabloidization, Technology and Truthiness, New York, Routledge, pp. 104-113.
- TAIEB E. (2010), « Logiques politiques du conspirationnisme », Sociologie et sociétés, vol. 42, n° 2, p. 265-289.
- TURNER F. (2016a), « Multimedia, Global Democracy, and Authoritarian Individualism », Conférence Medialab Sciences Po, 8 novembre 2016.
- TURNER F. (2016b) [2013], Le cercle démocratique. Le design multimédia, de la Seconde Guerre mondiale aux années psychédéliques, Caen, C & F Éditions.
- VAN ZOONEN L. (2012), « I-Pistemology: Changing truth claims in popular and political culture », European Journal of Communication, vol. 27, n° 1, pp. 56-67.
- VOIROL O. (2017), « Pathologies de l’espace public et agitation fasciste : les “leçons” de la Théorie critique », Réseaux, n° 202-203, pp. 121-157.
Notes
-
[1]
Michael Flynn Sr., nommé par la suite conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, devra finalement démissionner de ce poste éminemment stratégique le 13 février 2017 pour avoir dissimulé des relations avec l’ambassadeur de Russie durant la période de transition.
-
[2]
« Until #PizzaGate proven to be false, it’ll remain a story. The left seems to forget #PodestaEmails and the many “coincidences” tied to it » (compte Twitter @mflynnJR, 4 décembre 2016).
-
[3]
Les termes conspirationniste et complotiste seront employés sans distinction majeure dans la suite de ce texte.
-
[4]
L’ajout du suffixe Gate fait ici bien entendu référence aux enquêtes journalistiques puis judiciaires du WaterGate et conduit d’une certaine façon à revendiquer une filiation.
-
[5]
« The internet is a great multiplier that not only offers easy access to everyone who wants to vent her or his truth, but also enables quicker connections between these truths. »
-
[6]
« construct a conspiratorial rule of the people by established politicians and intellectuals and call for anti-intellectual politics that are driven by emotions and right-wing ideology. »
-
[7]
C’est aussi le cas sur le site web français Égalité et Réconciliation, où la reprise d’un déluge d’images du PizzaGate se conclut par une vidéo d’Alain Soral sur « la pédocriminalité de réseau ».
-
[8]
« to be transparent in our journalism and to share what we have with our readers » (compte Twitter @BuzzFeedBen, 10 janvier 2017).