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Article de revue

Les drones « MALE » en France : intermédiaires ou médiateurs ?

Pages 185 à 215

Notes

  • [1]
    Cet article étudie les systèmes de drones de type MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance), utilisés par l’Armée de l’air (AA) française, tels que le Harfang et le Reaper. Ces systèmes distinguent trois segments dans leur architecture physique : d’un côté, le vecteur aérien disposant de la charge utile qu’il embarque, de l’autre, le segment de contrôle, et enfin, un ensemble de liaisons satellitaires permettant le pilotage du vecteur ainsi que l’enregistrement et la diffusion des informations captées par celui-ci, et ce, au-delà de l’horizon radioélectrique.
  • [2]
    On note de nombreux articles qui recensent les frappes de drones perpétrées par les États-Unis au Pakistan, au Yémen ou encore en Somalie. Voir par exemple « Nouvelle frappe de drones américains au Pakistan », Le Monde, 3 juillet 2013, en ligne ; « Yémen : les attaques de drone se poursuivent », Le Monde, 8 août 2013, en ligne ; « Le chef des talibans pakistanais tué par une frappe de drone américain », Le Monde, 1er novembre 2013, en ligne.
  • [3]
    Notons ici par exemple la sortie de l’ouvrage Théorie du drone (Chamayou, 2013), ainsi que le débat que cette parution a suscité, notamment avec Jeangène Vilmer J.-B. et son article en réponse à l’ouvrage précité « Idéologie du drone », publié dans laviedesidees.fr, le 4 décembre 2013.
  • [4]
    Le Drian J.-Y., « Pourquoi l’armée française a un besoin urgent de drones », Les Échos, 3 mai 2013.
  • [5]
    Allocution de Le Drian J.-Y., « Discours pour le débat en séance publique sur la Loi de Programmation Militaire », au Sénat, lundi 21 octobre 2013.
  • [6]
    La LPM 2014-2019 prévoit l’acquisition, sur étagère, de douze drones MALE.
  • [7]
    Notons que certains de ces « entrepreneurs de cause » ‒ les membres de l’état-major de l’armée notamment ‒ peuvent être des « propriétaires de problèmes publics » (Gusfield, 2009, p. 2) dans le sens où ils sont reconnus dans l’arène politique comme des gestionnaires du problème en question lors des auditions des LPM.
  • [8]
    « J’appellerai traduction l’interprétation donnée, par ceux qui construisent les faits, de leurs intérêts et de ceux des gens qu’ils recrutent » (Latour, 2005, pp. 260-261).
  • [9]
    Cette étude se base principalement sur l’analyse de ces deux revues. La revue PAF est un quadrimestriel édité par le Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA) de l’Armée de l’air. Celui-ci se décrit comme un pôle de réflexion conceptuel et doctrinal. La revue RDN a été créée en 1939. Aujourd’hui, c’est un mensuel édité par le Comité d’études de défense nationale, association loi 1901 installée au sein de l’École militaire.
  • [10]
    Date de commande des premiers drones aériens Hunter par le ministère de la Défense et époque des premières réflexions sur leur emploi.
  • [11]
    Revue de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), un « think tank » sur les questions de sécurité et de défense qui se décrit comme « de référence » et « indépendant ». Mais aussi de nombreux articles universitaires, journalistiques traitant des drones français.
  • [12]
    « On appelle rhétorique la discipline qui, depuis des millénaires, étudie la façon dont on amène les gens à croire et à infléchir leur comportement, et qui enseigne l’art de la persuasion » (Latour, 2005, pp. 80-81).
  • [13]
    Les cadres sont « des “schèmes d’interprétation” qui permettent aux individus de “localiser, percevoir, identifier et étiqueter” des situations au cours de leur vie et dans le monde en général. Les cadres permettent de donner du sens à des événements et à des situations, organisant ainsi l’expérience et orientant l’action » (in Benford, 2012, p. 224).
  • [14]
    Les militaires font référence aux règles établies dans le « Droit international humanitaire » (DIH), principalement régies par les conventions de Genève.
  • [15]
    « Le référentiel renvoie à la construction d’une représentation, d’une image de la réalité sur laquelle on veut intervenir. Et c’est en référence à cette image cognitive que les acteurs vont organiser leur perception du système, confronter leurs solutions et définir leurs propositions d’action » (in Muller, 1990, pp. 42-43).
  • [16]
    Pour Dirty, Dull and Dangerous traduisible par sale, monotone/ennuyeux et dangereux.
  • [17]
    Pour erreur (ou écart) circulaire probable, c’est-à-dire à la marge d’erreur entre le ciblage et l’explosion.
  • [18]
    Le principe de distinction interdit toute attaque contre les non-combattants. Celui de précaution insiste sur le fait que les moyens et les méthodes doivent être adaptés pour minimiser au maximum les pertes, les blessures et les dommages. Enfin, le principe de proportionnalité définit l’acceptabilité des dégâts collatéraux en fonction de la valeur de l’objectif dans le cas où rien ne peut être fait pour l’éviter.
  • [19]
    Notion conceptualisée par le colonel J. Boyd, de l’US Air-Force dans les années 1960.
  • [20]
    Cette embuscade menée par des insurgés talibans à l’encontre de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) a fait dix morts et une vingtaine de blessés du côté des soldats français. Concernant l’ampleur de cet événement et ses répercussions en France, voir le documentaire de Fritel J., François E., André D. (2013), L’embuscade, Paris, Brother films, 58’.
  • [21]
    « L’embuscade des 18 et 19 août 2008 en vallée d’Ouzbine a eu sans conteste un fort impact sur l’opinion publique. Elle a également mis en lumière le besoin en couverture drones de nos troupes en Afghanistan, entraînant le déploiement du système SDTI en novembre 2008 sur la base avancée de Tora en vallée de Surobi », Députés Vandewalle Y., Viollet J.-C., « Rapport d’information sur les drones », Commission de la défense nationale et des forces armées, 1er décembre 2009, p. 47.
  • [22]
    Colonel Lespinois J., « Les drones : considérations tactiques, industrielles, légales (droit international) et éthiques », conférence à l’Université Lille 3, 8 avril 2014.
  • [23]
    La controverse porte autant sur les datations que sur l’épistémologie du mot « révolution » ainsi que sa récupération par différentes doctrines militaires (cf. Henninger, 2003).
  • [24]
    Traduction du terme anglo-saxon Revolution in Military Affairs.
  • [25]
    Même si les méthodes d’acquisition n’étaient pas les mêmes, lorsqu’on pensait la contre-insurrection dans les années 1960, le renseignement était déjà au cœur de la théorie.
  • [26]
    Alors qu’en 1971, le premier Livre blanc ne mentionnait pas le renseignement, il apparaît dans l’édition du second en 1994.
  • [27]
    Source : Centre français de recherche sur le renseignement, http://www.cf2r.org/fr/notes-de-reflexion/la-direction-du-renseignement-militaire-a-quinze-ans-les-moyens-dune-ambitionrphp#Hnote39.
  • [28]
    Les quatre autres fonctions étant la dissuasion, la protection, la prévention et l’intervention.
  • [29]
    Les six services sont la DCRI, la DNRED, le TRACFIN, la DGSE, la DRM et enfin la DPSD. Voir annexe acronymes.
  • [30]
    Au niveau de la Défense intérieure, la sécurité nationale est définie comme dépendante des menaces internationales qui doivent être connues et suivies.
  • [31]
    En 1991, à l’occasion de l’opération Tempête du Désert en Irak, on estimait qu’entre l’observation d’une cible, la prise de décision et l’action, il fallait environ 48 heures contre quelques minutes actuellement.
  • [32]
    Les militaires français rappellent sans cesse qu’en Afghanistan, « 100 % des missions du Harfang ont été réalisées en appui des forces terrestres ou des forces spéciales de la coalition » (Pascallon et Damaisin, 2013, p. 65).
  • [33]
    Traduction de Network-centric warfare.
  • [34]
    Le show of force, ou le survol « bas et vite », « consiste à descendre à grande vitesse (900 km/h) depuis un point invisible avant de dégager face au soleil » (Moricot et Dubey, 2009, p. 40).
  • [35]
    Nous empruntons cette citation à Ceyhan (2006, p. 15).
  • [36]
    Comme le panoptique selon J. Bentham.
  • [37]
    « La licence est constituée de l’ensemble des tâches pour lesquelles un métier est parvenu à faire reconnaître sa compétence » (Champy, 2000, p. 54).
  • [38]
    En France, cette révolution professionnelle peut être datée du 28 octobre 1997, lorsque J. Chirac promulgua la loi dite de professionnalisation des armées. Cette loi avait pour but de réduire les effectifs, de supprimer le service national et par conséquent de passer d’une armée de conscription à une armée de métier.
  • [39]
    Comme l’illustre le propos de ce commandant qui met en place les drones tactiques : « L’armée de terre française les utilise avec succès depuis quarante-cinq ans et possède donc une expertise incomparable » (Jaouen, 2010, p. 103).
  • [40]
    UCAV signifie Unmanned Combat Air Vehicle et désigne les systèmes de drones dont le vecteur aérien embarque une charge utile qui dispose d’armes létales.
  • [41]
    Nous empruntons cette citation à Bryon-Portet (2007, p. 159).
  • [42]
    Issus de la filière renseignement de l’Armée de l’air.
  • [43]
    Interview de C. Fontaine in Louis J.-P., « Drones militaires : branle-bas de combat chez les futurs pilotes », Le Parisien magazine, 20 février 2014, en ligne.
  • [44]
    « Jusqu’alors, le pilote […] était le principal garant de la réussite de sa mission, responsable de la survivabilité et de la sécurité de sa machine et de sa propre survie, ultime arbitre des décisions à prendre » (Penet et al., 2013, pp. 96-97).
  • [45]
    « Au principe “une équipe, une mission” de supplanter celui d’“un homme, une mission” » (Penet et al., 2013, p. 97).
  • [46]
    « En effet, son activité peut paraître contre nature, dans la mesure où l’aviateur repousse les limites imposées à la condition humaine. Évoluant dans les airs, élément jusqu’alors interdit aux créatures terrestres, il peut donner l’impression de vouloir égaler Dieu » (Bryon-Portet, 2007, p. 149).
  • [47]
    Le pilote de l’air est soumis à des contraintes physiques importantes à travers l’encaissement des facteurs de charges.
  • [48]
    On pense ici notamment à sa capacité à dissiper considérablement le brouillard de guerre, à distancer les opérateurs du vecteur aérien, mais aussi à permettre une surveillance de tout temps à haute altitude.

1Depuis le début des années 2010 en France, le drone, qui plus est militaire [1], a fait irruption dans la sphère publique, et ce, que ce soit au niveau des discours médiatiques [2], universitaires [3] ou même chez le personnel politique. Le 31 mai 2013, le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian signait une tribune dans le journal Les Échos, intitulée : « Pourquoi l’armée française a un besoin urgent de drones », dont voici un extrait :

2

« Depuis un an, sur tous les théâtres d’opération majeurs, les situations concrètes ont confirmé le sentiment que nous avions : la France doit disposer de drones de surveillance pour conduire ses opérations, protéger ses militaires, les aider à contrôler de vastes espaces et parer d’éventuelles attaques ennemies […]. Le temps presse. Notre besoin en drones nous impose d’être pragmatiques, et c’est bien ma démarche. […] Enfin il y a le plus long terme, avec le champ des drones de combat qui, à l’horizon 2030, viendront compléter, voire remplacer nos flottes d’avions de chasse […]. Il y a un an, les drones étaient pour nos armées une question sans réponse. Aujourd’hui, nous avons une stratégie d’ensemble, une première réponse forte, et j’entends m’y tenir [4]. »

3On peut penser que le choix du ministre de s’exprimer à cette date précise au sujet des drones militaires et d’aborder le retard qu’aurait pris la France de façon quasi « alarmiste » n’est pas un hasard. En effet, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale signé par le Président de la République François Hollande était paru un mois auparavant, le 29 avril 2013. Ce livre devait avoir un double effet : fixer les orientations et les propositions en matière de stratégie de défense et de sécurité nationale pour les années à venir et servir de base au ministre de la Défense pour la constitution de la loi relative à la programmation militaire (LPM) concernant les années 2014 à 2019. On comprend donc l’enjeu de la prise de parole précédemment citée : faire comprendre à un public, le plus large possible, la « nécessité » et l’« urgence » de légiférer, autrement dit, rendre légitime la mise sur agenda politique (Boussaguet, Jacquot et Ravinet, 2006) du drone. À partir du 2 août 2013, le ministre de la Défense présentait son projet au Conseil des ministres. Le texte était adopté par le Sénat en première lecture le 21 octobre. La prise de parole du ministre de la Défense ce jour-là reflétait son enthousiasme au sujet des drones :

4

« Malgré la contrainte qui pèse sur le budget, tous les grands programmes déjà lancés sont maintenus et une vingtaine de nouveaux sont lancés. […] Pour m’en tenir à l’année 2014, seront ainsi commandés ou lancés, […], les drones tactiques et MALE – enfin ! […] J’ajoute un troisième choix, qui me tient à cœur et concourt très directement à la préparation de l’avenir : la poursuite et même le renforcement d’un effort substantiel en Recherche & Technologie. […] Pour ne citer qu’un exemple, le projet de drone de combat futur (l’UCAV) se voit doter de crédits de plus de 700 Mn€ [5]. »

5La loi est finalement votée le 18 décembre 2013 [6]. Cet état des lieux nous invite à nous poser certaines questions : pourquoi un tel engouement pour les drones militaires ? Comment expliquer, malgré la baisse des effectifs militaires ‒ la LPM prévoit la suppression de 24 000 postes ‒ et des budgets alloués à la défense ces dernières années, un tel investissement ? Qu’est-ce qui rend le drone si attractif et « indispensable » ?

6En sociologie de l’action publique, il est d’usage de dire qu’un problème n’est pas naturellement ou intrinsèquement amené à être pris en charge par les autorités publiques légitimes, mais qu’au contraire, sa mise à l’agenda résulte d’un travail de construction, de définition et de cadrage effectué par des acteurs en vue d’agir sur le réel (Muller, 2000). De leur côté, les sociologues de l’innovation ont mis en évidence le fait qu’une innovation technique n’a pas de qualité en soi qui lui permettrait de s’imposer. Au contraire, ce seraient les processus d’intéressement, de consolidation et d’élargissement du réseau qui portent cette innovation qui affecteraient son développement (Latour, Callon et Akrich, 2006). Lorsqu’on s’intéresse à la construction d’un problème public, comme à un processus d’innovation, il est donc pertinent d’étudier le rôle des « entrepreneurs de cause » [7] (Becker, 1985 ; Lascoumes et Le Galès, 2007) dans la constitution, la définition et la représentation des intérêts qu’ils défendent. À cet égard et s’agissant des drones, l’analyse des prises de parole des militaires dans la sphère publique et plus particulièrement dans la presse spécialisée s’avère nécessaire pour plusieurs raisons. Si elle nous permet d’abord de voir comment émerge cet objet technique dans les réflexions militaires, l’analyse de ces discours nous offre aussi la possibilité d’étudier l’élaboration, les évolutions et les diffusions des traductions [8] (Latour, 2005) qu’ils effectuent vis-à-vis du drone. Ainsi, suite au dépouillement analytique des deux revues spécialisées que sont la Revue de défense nationale (RDN) et Penser les ailes françaises (PAF) [9], se dégage une définition relativement hégémonique du drone. Elle est d’abord pensée à partir des retours d’expériences militaires (RETEX dans leur jargon). Si les conflits ont changé, selon ces derniers, les politiques auraient de bonnes raisons d’adapter leurs moyens militaires et, qui plus est, leur puissance aérospatiale. Les drones et leur capacité de recueil d’informations apporteraient une plus-value : d’une part, aux militaires dans leur profession, en tant qu’instrument pour faire face à cette mutation des conflits et, d’autre part, aux dirigeants politiques en leur apportant de l’autonomie dans le recueil d’information et par extension dans la prise de décision. On retrouve cette idée dans de nombreux articles spécialisés qui relient capacité militaire aérienne, souveraineté décisionnelle et constitution d’une nation cadre militaire et politique. La réflexion en termes de moyens ne s’arrête pas là. Conscients de l’image négative qu’ont acquis les drones aériens dans la sphère publique ‒ notamment à cause des targeted killings extrajudiciaires perpétrées par la CIA sous l’administration Obama (Scahill, 2014) –, les entrepreneurs tentent de se mettre à distance des fins politiques auxquelles ont servi les drones aériens états-uniens. Ainsi, ils cherchent à montrer en quoi les drones seraient des moyens neutres car légaux, légitimes et maîtrisés. L’idée généralement avancée lors des réflexions sur les aspects éthiques du drone consiste à dire qu’un objet technique ne peut être moral. Les entrepreneurs insistent sur l’homme qui reste aux commandes de la machine ainsi que sur les aspects juridiques qui encadrent son utilisation.

7Selon nous, le cadrage effectué par les militaires se base sur des bonnes raisons (Boudon, 2003), tant objectives que subjectives sur lesquelles il s’agira de revenir dans cet article pour les analyser. Cependant, nous avons fait le choix de ne pas nous arrêter à ce stade d’analyse et de questionner le rapport du drone à la société en train de se faire. Dans ce sens, les apports de la sociologie de la traduction (Latour, Callon et Akrich, 2006) vont nous aider à repenser l’imbrication entre technique et société. La particularité de ce courant constructiviste réside dans l’affirmation de l’idée selon laquelle les faits ne seraient pas uniquement socialement construits, mais construits dans l’interaction et les associations entre des actants humains et non humains (Latour et Woolgar, 1979). En qualifiant les objets non humains d’actants, le modèle de l’Actor-Network Theory se distingue des autres approches constructivistes par le rôle actif qu’il fait jouer aux entités produites par les sciences et les techniques. Alors que les prises de parole du réseau militaro-politique tendent à insister sur la neutralité de l’instrument technique, qui serait à la fois maîtrisé par les professionnels militaires et au service des dirigeants politiques, nous voudrions questionner ce constat sous le prisme du concept de médiation technique (Akrich, 1993). Pour ce faire, nous mettrons successivement le drone à l’épreuve des concepts d’intermédiaire et de médiateur. Selon Bruno Latour, un intermédiaire désigne un moyen neutre au service de fins : « [Il] véhicule du sens ou de la force sans transformation : définir ses entrées, ses inputs suffit à définir ses sorties, ses outputs. À toutes fins utiles, on peut considérer un intermédiaire comme une boîte noire » (Latour, 2006, p. 58). Au contraire, les médiateurs, « outre le fait de “déterminer” et de servir d’“arrière-fond” de l’action humaine, […] peuvent autoriser, rendre possible, encourager, mettre à portée, permettre, suggérer, influencer, faire obstacle, interdire et ainsi de suite » (ibid., pp. 103-104). Cette distinction conceptuelle nous aidera à nous mettre à distance de l’idée de la prétendue neutralité « des “techniques-qui-ne-sont-ni-bonnes-ni-mauvaises-mais-ne-seront-que-ce-que-1’homme-en-fera” » (Latour, 2000, p. 51). Dès lors, nous montrerons que la technique, en tant que catégorie ontologique, façonne l’être, ce qui l’entoure et transforme ses façons d’agir en faisant déborder les possibles qui s’offrent à lui.

8Ainsi, l’objectif de cet article sera de comprendre dans quels cas le drone aérien militaire peut être défini comme un intermédiaire ou un médiateur ? Pour y répondre, nous avons basé notre enquête sur l’analyse de plusieurs types de données. S’agissant de la littérature militaire spécialisée, nous avons analysé les deux revues précédemment citées et plus précisément les articles ayant trait au drone et à la puissance aérienne de 1995 [10] à nos jours. Cette ressource nous a permis de dégager un premier réseau d’acteurs hétérogènes que l’on qualifiera d’entrepreneurs du drone, comprenant des professionnels : militaires, politiques, universitaires ainsi que des experts en sécurité. Nous avons également trouvé utile d’élargir ce réseau à d’autres sources [11], mais aussi aux ouvrages rédigés par des militaires auxquels ces articles renvoyaient. Enfin, l’étude des dossiers parlementaires de la LPM 2009 et 2014 et des textes doctrinaux a constitué notre dernier matériau. Dans cet article, nous analyserons successivement les « bonnes raisons » qui poussent les militaires à définir ce système technique comme un intermédiaire et celles qui nous invitent plutôt à le penser comme un médiateur.

La rhétorique des militaires pour se doter de drones : la traduction du drone en intermédiaire

9Pour comprendre comment les entrepreneurs du drone ont réussi à intéresser les politiques au sujet de la nécessité d’acquérir des drones, il faut commencer par dresser une typologie des traductions que ceux-ci ont développée. Dans notre cas, les « bonnes raisons » défendues dans la rhétorique [12] (Latour, 2005) militaire prennent sens suite à la construction d’un processus de cadrage [13] (Goffman, 1991 ; Benford, 2012) particulier ; comme une solution proposée en réaction à l’apparition de nouveaux risques.

Le cadrage du nouveau paradigme de guerre

10Pour cadrer l’expérience, les entrepreneurs dans la presse militaire spécialisée font souvent référence aux RETEX. Les conflits d’après guerre froide tels que les guerres du Golfe, du Kosovo, d’Afghanistan et plus récemment de Libye et du Mali, constituent des expériences qu’il s’agit d’organiser et auxquelles il faut donner sens. Même s’ils s’accordent à dire que chaque conflit a ses particularités, ils les regroupent sous les termes de « guerres irrégulières » ou de « conflits asymétriques ». Dans ce processus de cadrage, ils tendent à définir un nouveau paradigme de guerre dans lequel trois éléments majeurs auraient changé. D’abord, Christophe Fontaine – commandant de l’escadron de drone « 1.33 belfort » – redéfinit les ennemis ainsi :

11

« Aujourd’hui, [ils sont] motivés par des fanatismes religieux de toute sorte. Leur mode d’action ultime est de se donner la mort en martyr en faisant le plus grand nombre de morts, et si possible également chez les civils désarmés […] l’adversaire ne respecte aucune des normes de notre grammaire de la guerre […] la sienne est basée sur la vengeance ou sur le terrorisme […] ses modes d’action font qu’il n’a jamais d’uniforme, qu’il se fond en permanence au sein de la population civile et qu’il ne respecte pas les conventions de Genève […] selon [ses référentiels de guerre] il est dans son droit, culturellement et religieusement ».
(Fontaine, 2013, p. 24)

12Si on peut questionner l’objectivité et la véracité de la « nouveauté » de ce constat – au vu, par exemple des multiples similarités (Davis, 2012) entre les conflits contre-insurrectionnels coloniaux et ces « guerres irrégulières » –, ce premier élément de cadrage prend sens lorsqu’il est complété par l’imbrication croissante des deux autres que représentent la médiatisation et la juridicisation du fait guerrier. En effet, ce qui semble avoir changé, et ce sur quoi s’accorde le discours des militaires étudiés, se retrouve, dans les propos de ce capitaine, derrière l’idée que :

13

« La préservation de la population et la limitation des dommages collatéraux sont devenues pour la puissance aérospatiale un enjeu central et ce pour plusieurs raisons : les grands principes du droit des conflits armés (distinction, nécessité, proportionnalité, humanité), la judiciarisation de la guerre, l’importance devant être accordée aussi bien à la légitimité de l’action qu’à la perception de celle-ci par les opinions publiques, à la guerre de la communication et donc dans une certaine mesure à l’instrumentalisation pouvant être faite par les adversaires de toutes frappes non discriminantes ».
(Boutherin et Pajon, 2013, p. 91)

14Ce changement de conception du risque peut être mis en parallèle avec le passage de la « première modernité » à la « modernité réflexive » (Beck, 2001). Selon Ulrich Beck, les sociétés dans leurs phases modernes véhiculent des valeurs de progrès technique et de rationalité, avec l’idée que l’on peut « construire des objets et des mondes techniques sans conséquences inattendues » (Beck, 2003, p. 207). Au contraire, la particularité des sociétés de la « seconde modernité » réside dans la réflexivité que portent les individus à l’égard des risques. Le développement de cette réflexivité laisse alors dans son sillage une impression de perte de maîtrise de la technique et une incertitude toujours croissante quant à ses effets en retour. On peut donc dire que le cadrage des RETEX met en exergue la problématisation des risques de « surprise stratégique », de médiatisation et de juridicisation des « dommages collatéraux » sous la forme d’incertitude qu’il faudrait minimiser. En outre, si les belligérants ne s’« adaptent » pas aux règles et aux conventions de la guerre « occidentale » [14], créant ainsi une « asymétrie », il semblerait, aux yeux des militaires, qu’il soit impératif de « resymétriser cette asymétrie ». À ce référentiel [15] (Muller, 1990), les entrepreneurs du drone vont donc proposer une solution technique définie comme rationnelle et efficace, le système MALE.

La traduction du drone en intermédiaire : un moyen technique au service de fins militaires

Sortir de l’incertitude de la vulnérabilité des « surprises stratégiques »

15Les entrepreneurs militaires s’évertuent à montrer que les caractéristiques techniques du drone MALE permettent de s’adapter à ces « nouveaux » types de conflits. Selon eux, son premier avantage réside dans la distanciation entre le pilote et son segment de vol. Cette distanciation géographique induit intrinsèquement une mise à l’écart du danger qui est nécessaire pour mener les missions aériennes qualifiées de « 3D » [16]. Le système, en plus de protéger son pilote, permet d’effectuer des missions de reconnaissance normalement attribuées à l’Armée de terre (AT). Dans ce sens, on peut dire qu’il « remplace » des professionnels sur le terrain. De plus, là où les pilotes d’avions classiques devaient retourner à la base pour se reposer et/ou se ravitailler, l’alternance des opérateurs de drone dans la télécabine et des vecteurs aériens dans le ciel rendent possible la surveillance d’une cible 24h/24 en amoindrissant le risque pour la santé du pilote. On comprend alors que ces alternances, couplées aux caractéristiques techniques du système permettent la permanence. « Aptitude capitale dans un conflit asymétrique » (Pascallon et Damaisin, 2013, p. 65), cette dernière, alliée à la furtivité du drone et à sa gamme de capteurs donne la possibilité de « voir tout » sans être vu, et donc, de (re)connaître, de surveiller, de dresser et d’analyser des formes de vies habituelles (patterns of life) dans le but d’anticiper les « surprises stratégiques ». Les risques du premier élément de cadrage sont contrés par les solutions qu’apportent les caractéristiques techniques du système. Ainsi, aux modes d’action irréguliers ‒ imbrication des combattants dans la population, surprise stratégique, attentats suicides, embuscades ‒ la traduction du drone qu’offrent les entrepreneurs propose la solution de la distanciation de l’ennemi, de l’acquisition d’information, pensée dans la permanence et au service de l’anticipation.

Sortir des risques de l’usage de la force et de ses incertitudes morales et juridiques

16La deuxième plus-value du système de drone se situe dans sa faculté à être un moyen de s’adapter aux conflits en réduisant les risques de dommages collatéraux ainsi que les incertitudes morales et juridiques qui planent sur l’usage de la force. Ces deux éléments sont soulignés dans de nombreux textes. D’une part, le drone, dans ce contexte d’indistinction civil-belligérant, est présenté comme le meilleur moyen pour discriminer et donc pour éviter les dommages collatéraux. L’argument avancé est bien résumé dans les propos suivants :

« Leur persistance, la précision de leurs capteurs, la connaissance étendue qu’ils permettent et la possibilité de prendre la décision du tir à froid, dans un environnement calme et en consultation avec des juristes en font même des appareils potentiellement plus discriminants, plus susceptibles de respecter les principes de proportionnalité, de précaution ».
(Vilmer, 2013, p. 120)
D’autre part, comme le laisse entrevoir cet extrait, les entrepreneurs insistent sur l’idée que la permanence, le croisement des informations sur la cible, la visée laser à l’ECP nul [17] ‒ permettant quasiment de « planter des missiles au milieu du front » (Chamayou, 2013, p. 199) ‒ font du drone une arme en adéquation avec les principes juridiques du droit international humanitaire [18]. Enfin, dans le contexte où des « accusations […] ne manqueront pas d’être proférées contre les forces d’intervention » (Rannou, 2009, p. 88), l’enregistrement des images du théâtre en question avant, pendant et après l’opération est rendu indispensable afin de se prémunir des incertitudes tant juridiques que médiatiques. À l’asymétrisation des « fanatiques religieux dont l’avenir s’inscrit dans un au-delà paradisiaque, et pour qui aucune convention de Genève ne s’applique » (Fontaine, 2013, p. 23) s’oppose donc ici un système « rationnel en valeur » (Boudon, 2003), plus discriminant, techniquement et moralement « neutre » car maîtrisable et légal, et enfin, qui permet de justifier de la légitimité et de la légalité des actes guerriers.

Un moyen technique au service des militaires

17Pour terminer, les promoteurs du drone insistent sur l’idée que son introduction permettrait aux militaires d’améliorer leur autonomie professionnelle et leur réactivité tactique. Pour eux, le degré d’autonomie stratégique ‒ dans la décision et dans l’action militaire ‒ dépend de l’autonomie du recueil d’information. Dès lors, le système drone, de par sa permanence, sa discrétion, sa précision, ainsi que sa faculté à capter et à croiser de l’information, est présenté comme un instrument idéal et nécessaire. Dans ce type de réflexion, les RETEX sont une nouvelle fois mobilisés pour donner du sens à l’expérience. Cette fois-ci, le référentiel est défini à partir des conflits du Kosovo et d’Afghanistan durant lesquels, en coalition avec les armées étasuniennes dotées de drones, la rupture capacitaire en matière de renseignement s’est fait ressentir. La suprématie des acteurs étasuniens dans le recueil d’informations à cette époque avait généré une dépendance du premier au dernier maillon de ce qu’ils nomment la boucle « OODA » – pour « orientation-observation-décision-action » [19]. En plus de pallier les carences en termes d’observations ainsi que ses conséquences sur l’autonomie des militaires, le système MALE procure l’avantage de pouvoir raccourcir considérablement cette boucle. En effet, le fait que le vecteur aérien puisse transmettre les données enregistrées directement aux troupes au contact de l’ennemi, aux officiers des renseignements, aux centres de commandements, ainsi qu’aux décideurs politiques munit les militaires d’une réactivité tactique sans précédent.

La traduction du drone en intermédiaire : un moyen technique au service de fins politiques

18Jusqu’ici nous avons vu que les entrepreneurs militaires avaient pris soin de définir les drones MALE comme une solution à la problématisation du cadrage d’un « nouveau paradigme de guerre ». Cette définition traduit leurs intérêts professionnels, à savoir acquérir un moyen permettant d’être moins vulnérables aux risques de surprises stratégiques et aux incertitudes de juridicisation. On ne doute pas non plus du fait que la volonté d’acquérir des drones renvoie au désir de mener à terme les missions qui leur sont assignées avec ce qui se fait de « mieux » en matière de technologie. Dans ce sens, les plus-values qu’offre le drone sur la maîtrise de la boucle « OODA » et en termes d’autonomie professionnelle semblent légitimer la volonté de s’en munir. Cependant, selon nous, les militaires ont aussi d’autres « bonnes raisons » de définir les drones et de traduire leurs intérêts de cette façon. Ayant conscience que les budgets alloués aux dépenses militaires dépendent de la perception que les dirigeants politiques portent sur l’ustensilité et l’efficacité des systèmes d’armes, les entrepreneurs de cause ont mis en avant le drone comme un intermédiaire vis-à-vis de ces derniers. Par traduction, B. Latour entend aussi interprétation des intérêts des acteurs dont ils cherchent l’adhésion (Latour, 2012). Or les processus de traduction des intérêts des militaires au sujet des MALE peuvent aussi s’analyser comme des processus d’intéressement (Callon, 1986) du personnel politique. Ainsi, à chaque traduction des intérêts des militaires se met en place un dispositif discursif d’enrôlement du politique. Le drone dans sa capacité à distancer les pilotes du combat et à anticiper les « surprises stratégiques » devient la solution à l’aversion de l’opinion publique pour les pertes militaires. Dans un contexte où : « Le respect du droit conditionne la légitimité d’une opération militaire : à l’heure de l’hypermédiatisation tout manquement au droit peut compromettre une intervention militaire » (De Luca, 2009a, p. 14), le drone ‒ comme moyen plus discriminant et précis, en adéquation avec les principes du DIH ‒ s’inscrit dans un régime d’expertise technique qui montre la rationalité et l’efficacité de l’outil militaire (Wasinski, 2013). En d’autres termes, les entrepreneurs du drone prouvent aux dirigeants politiques, la « faisabilité de la guerre » (Wasinski, 2010), sur laquelle ils auront dorénavant un certain contrôle :

19

« La technologie des drones […] assure au décideur [l]a conformité [de l’emploi de la force] avec le droit des conflits armés. […] Dans nos sociétés hypermédiatisées et fortement judiciarisées, cela donne l’assurance et la garantie au dirigeant qu’il gardera, en permanence, un certain degré de contrôle sur l’événement ».
(Fontaine, 2012, p. 112)

20Enfin, le drone devient le moyen d’acquérir une autonomie informationnelle et une meilleure réactivité décisionnelle, deux facteurs décrits comme nécessaires au maintien du rang de nation-cadre dans les réflexions doctrinales :

21

« La prise de décision doit reposer sur une autonomie d’appréciation. Disposer de ses propres moyens de connaissance et d’anticipation garantit une prise de décision en toute souveraineté. Cette appréciation autonome de la situation est d’autant plus cruciale dans le cadre d’une coalition où la qualité de notre information et de nos analyses peut nous conduire à influer sur la stratégie collective ».
(De Luca, 2009b, p. 13)

22Pour terminer, la typologie des discours nous permet également de penser les « fenêtres d’opportunités » (Kingdon, 1984). Selon ce concept, la mise à l’agenda politique, même si elle résulte du travail des acteurs, peut aussi dépendre d’événements conjoncturels, tels que l’évolution du calendrier politique, les feed-back d’une étude, ou encore le hasard d’un événement ayant des répercussions sur l’opinion publique. En 2008, par exemple, après l’événement « dramatique » de l’embuscade d’Ouzbine [20], le type de discours qui tendait à présenter le drone comme un moyen pour s’adapter aux « surprises stratégiques » a été mobilisé comme processus d’intéressement envers les dirigeants politiques pour justifier de la nécessité de l’introduction du Harfang en Afghanistan [21]. Les LPMs marquent quant à elles des périodes propres au calendrier politique durant lesquelles les entrepreneurs politiques insistent sur les atouts juridiques, stratégiques, symboliques et professionnels que les dirigeants politiques pourraient tirer de l’acquisition d’une telle innovation technique. Ils le présentent ainsi comme un moyen technique efficace, rationnel et légal au service de fins politiques. Enfin, les discours qui présentent les drones comme des instruments amoraux, « neutres » car maîtrisés et légaux sont principalement activés en réaction aux controverses sur l’aspect éthique de l’utilisation de ces systèmes. On voit donc clairement que le système drone ne se développe pas naturellement comme le laisserait transparaître le propos de ce militaire :

23

« Le drone […] c’est l’aboutissement d’un processus qui est celui de la distanciation entre les combattants et qui est celui de la technologisation des armes qui est un caractère propre aux armées occidentales, à l’art de la guerre occidentale [22]. »

24Le drone dépend d’associations, de réseaux et d’entrepreneurs qui le portent. Son introduction en France est le résultat d’un travail de cadrage et de problématisation qui laisse la trace d’une définition de la technique comme distincte de la société car maîtrisée par ses membres.

Le système drone : un médiateur ?

25Déjà, dans la définition que nous donnent à voir les entrepreneurs du drone, le système MALE laisse transparaître des effets de médiation. Mise à distance du « combattant », changement du tempo d’action militaire, amoindrissement du « brouillard de guerre », les militaires sont conscients que les drones, « outils technologiques par excellence, […] ont redéfini la manière de faire la guerre » (Palomeros et Joly, 2009, p. 65). La littérature historique et politique du « fait militaire » étudie depuis longtemps ce type de mutation. Qu’ils soient technologiques, économiques, idéologiques, opérationnels ou encore organisationnels, ces processus sont souvent multimodaux et analysés sous le prisme du concept ‒ controversé [23] ‒ de révolution dans les affaires militaires (RAM) [24]. Pour se distancier de l’idée d’un « déterminisme technique », il nous faut définir l’acception que l’on se fait de ce concept. Ici, nous avons décidé de nous référer à la définition d’Étienne De Durand, qui parle de RAM lorsqu’il :

« intervient dans la manière de conduire les conflits un changement brutal et rapide, et donc perceptible par les acteurs […] ces ruptures comportent à des degrés divers quatre types de changement : changement technologique ; intégration d’éléments à l’origine disparates dans de nouveaux systèmes d’armes ; innovation dans l’art opératif ou la tactique ; enfin adaptation des organisations militaires […]. La proportion entre ces quatre types de changement vari[ant]d’une “révolution militaire” à l’autre ».
(De Durand, 2003, p. 58)
Dans cette dernière partie, il s’agira de voir si l’intégration du système drone dans l’arsenal militaire français induit une nouvelle façon de mener un conflit. Auquel cas, nous tenterons de rendre compte de la perception des acteurs vis-à-vis des évolutions et des effets de médiation sur l’organisation militaire.

Ce que le drone fait à la guerre

26Le système MALE offre aux militaires une double plus-value stratégique qu’ils ne possédaient pas avant sa saisie. Celle-ci se décline en deux temporalités : le temps court et long. Si la combinaison des deux temporalités redéfinit la manière de faire la guerre jusque dans la doctrine militaire, on verra qu’elle permet aussi de penser des nouvelles relations entre les combattants.

De la centralité du renseignement à la « guerre en réseau » : le drone, symptôme de la RAM à la française ?

27Le renseignement est une des bases de l’art de la guerre. Évaluer la menace, son organisation, connaître l’ennemi, ses forces et ses faiblesses, représentent des règles tactiques de l’action militaire. Dans la doctrine militaire française, l’intérêt pour le renseignement n’est pas apparu avec le drone [25]. Cependant, c’est seulement à partir des années 1990 [26] que cet instrument tactique va faire l’objet d’une réflexion à la fois stratégique et surtout politique, qui va se traduire par la mise en place d’un processus de changement autant structurel que doctrinal. Au sortir de la guerre du Golfe, le contexte d’instabilité post-guerre froide va constituer pour les dirigeants politiques un cadrage justifiant la nécessité d’adapter l’organisation militaire française et sa façon de faire la guerre. La première réforme a lieu en 1992, lorsque, dans le but d’accroître l’échange entre les différents services, les bureaux de renseignement des différentes armées ‒ Terre, Mer, Air ‒ fusionnent sous le nom de Direction du renseignement militaire (DRM). Preuve de l’intérêt grandissant pour le renseignement, de 1997 à 2008, les budgets alloués à la DRM augmentaient en tendance de 2,84 % [27]. En 2008, le troisième Livre blanc rédigé par Nicolas Sarkozy marque une nouvelle rupture en introduisant la fonction stratégique « connaissance et anticipation » au premier rang des quatre autres fonctions de la Défense [28]. Le renseignement y est décrit comme une composante majeure dont dépendent la connaissance et l’anticipation. Au niveau structurel, cette nouvelle fonction se traduit par l’agrégation de six services [29] ministériels en une même organisation, la communauté nationale du renseignement (CNR). Cette évolution nous laisse entrevoir la nouvelle façon de penser le renseignement. Sa particularité, comme le note ce général, est sa centralité : « En introduisant une nouvelle fonction stratégique “Connaissance et Anticipation”, les auteurs du Livre blanc 2008 ont surtout tenu à remettre l’église au milieu du village » (Molard, 2009, p. 119), centralité autour de laquelle il va dorénavant s’agir d’échanger et de se coordonner [30]. Concernant l’échelon militaire, les renseignements d’origine spatiale, terrestre et maritime doivent être mutualisés pour penser l’efficacité dans une approche globale. De manière pratique, c’est ici que le système drone prend de l’ampleur en matérialisant le passage du slogan doctrinal à la réalité militaire dans les opérations extérieures.

28Comme nous l’avons déjà vu, le système drone, de par ses caractéristiques, rend possibles l’acquisition d’informations ainsi que leur analyse et leur diffusion en temps réel. Outre l’avantage dans le recueil de renseignements que la permanence et la discrétion d’origine spatiale procurent, sa plus-value provient du fait que l’information peut être directement transmise aux différents échelons de commandement. Grâce au système drone, les capteurs sont finalement mis en réseau avec les décideurs et les « tireurs ». Les militaires disent alors obtenir un « complexe de reconnaissance-frappe » en temps réel [31]. En France, c’est donc en complémentarité de systèmes plus larges [32] ‒ armes, interarmés ou coalition ‒ que le système MALE rend compte de ses effets de médiations. Reliant en direct des entités hétérogènes ‒ informations, capteurs, soldats, décideurs, tireurs, armées, nations ‒, le dispositif rend possible une nouvelle façon de faire la guerre qui se distingue par la rapidité de sa réactivité, le rôle central qu’elle donne à l’information et à sa diffusion, ainsi que par son qualificatif, « en réseaux » [33]. Aux États-Unis, ces évolutions techniques en termes de détection, de précision, de communication et leurs influences sur l’organisation militaire sont labellisées, depuis 2001, sous l’étiquette de Transformation. Dernière RAM en vigueur, à son sujet, Christophe Wasinski se posait la question de l’émergence d’un discours transnational (Wasinski, 2006, p. 61). À la lecture des différentes sources de cet article, on observe que l’importation de l’innovation technique MALE s’accompagne d’une prise en compte des changements et d’un transfert des concepts provenant d’outre-Atlantique. Si contrairement aux États-Unis, la quantité et la complexité des drones ne permettent pas de penser l’Air Power, dans les textes doctrinaux français c’est dans la complémentarité interarmée que l’utilité de l’instrument technique s’incarne : « Il s’agit, pour les systèmes de drones, de rechercher les complémentarités et le partage de l’information, notamment avec les systèmes existants afin d’en accroître l’efficacité » (CICDE, 2012, p. 34). Ainsi conceptualisée, l’utilisation des drones a engendré une revue à la hausse de l’importance de la troisième dimension dans les textes stratégiques interarmées. De son côté, l’AA, après soixante-quinze ans de « silence doctrinal » (De Durand et Irondelle, 2004) publiait en 2009 son premier texte, intitulé « Concept de l’armée de l’Air » (SIRPA, 2009), dans lequel les systèmes drones revêtent une importance réelle. L’analyse de cet écrit va nous apprendre à quel point le drone redéfinit aussi la puissance aérienne.

Ce que le drone fait à l’ennemi : de la projection de puissance à l’exercice du pouvoir

29Traditionnellement, selon les militaires, la projection de puissance est intrinsèque au fait aérien, dans le sens où ‒ contrairement aux autres types de projection ‒ elle ne nécessite pas l’emploi de troupes au sol. On retrouve notamment ce type de propos dans un article du Cne M. About lorsqu’il avance :

30

« [qu’] à la différence de la projection de force qui suppose l’envoi et le déploiement de forces sur le théâtre, […] [elle] se caractérise par une absence d’empreinte au sol sur le théâtre des opérations. […] Elle intègre une large palette d’effets allant d’une démonstration […] aérienne à la destruction ciblée d’un objectif, en passant par la démonstration de force avec son survol “bas et vite” ».
(Aubout, 2013, p. 42)

31Au vu des propos de différents militaires, on peut dire de la puissance aérienne qu’elle se possède, se délivre et surtout qu’elle se montre ‒ notamment à travers les show of force[34]. De façon distincte, le drone permet de penser des nouveaux schèmes d’action, comme le suggère le texte doctrinal de l’AA :

32

« Le développement des drones de surveillance […] offre la possibilité d’imaginer de nouveaux modes d’action fondés sur la maîtrise du temps long. Il va désormais être possible d’occuper le ciel en permanence […] La mise en place d’un “Big Brother” depuis les cieux sera envisageable ».
(SIRPA, 2009, p. 21)

33Ainsi, le drone transforme la projection de puissance en projection de surveillance. Plus précisément, l’endurance, la discrétion et les capteurs du système MALE permettent la formation de pattern of life. Ayant pour objet focal des individus anonymes, il s’agit de coupler des données pour étudier des comportements, des mouvements, des connexions, et donc de créer des profils dans le but de transformer l’identité inconnue en données informatiques connues et probabilisées. Le temps long laisse donc entrevoir le passage : du paradigme du renseignement à celui de la surveillance, de la projection de puissance à l’exercice du pouvoir. En effet, ici on se rapproche de ce que Michel Foucault nomme « gouvernementalité ». Définie comme le pouvoir qui « a pour cible principale la population, pour forme majeure de savoir l’économie politique, pour instrument technique essentiel les dispositifs de sécurité » [35] (Foucault, 2004, p. 111), la gouvernementalité que procure le drone prend son sens lorsqu’on le pense en tant que dispositif de surveillance de type savoir-pouvoir. La gouvernementalité a été étendue par la suite « au sens large de techniques et procédures destinées à diriger la conduite des hommes » (Foucault, 1994, p. 124). Contrairement à la projection de puissance, le drone transforme la force aérienne qui se montre en pouvoir qui s’exerce. Avec les drones, les militaires espèrent pouvoir « influencer le comportement » de l’ennemi, en se basant à la fois sur son étude et sur des modes d’action « s’appuyant sur la maîtrise des effets psychologiques » (SIRPA, 2009, p. 22). On le voit de manière encore plus prégnante lorsque les show of force des avions de combat sont remplacés par les « effets dissuasifs » que permettent les drones : « Positionné à moyenne altitude, le moteur du drone devient audible. […] Se sentant observé, l’insurgé préfère le plus souvent éviter toute action délictueuse » (Pascallon et Damaisin, 2013, p. 65). Entendu ainsi, le drone peut être mis en parallèle avec le dispositif panoptique défini par M. Foucault, dont Gilles Deuleuze soulignait qu’il permettait non seulement de voir sans être vu mais aussi d’« imposer une conduite quelconque à une multiplicité humaine quelconque » (Deleuze, 2004, p. 41). Reste que, dans le cas du drone, l’exercice de ce pouvoir est dépendant de la possession ‒ ou de l’acquisition préalable ‒ de la suprématie aérienne. Dans ce sens, la multiplicité humaine sur laquelle il s’exerce n’est pas quelconque.

34Le sociologue Zygmunt Bauman, dans sa réflexion sur le passage de la modernité « solide » à la modernité dite « liquide » (Bauman, 2000) laissait entendre que les technologies de surveillance seraient passées du statut de « panoptique » à « post-panoptique ». L’ancien type de dispositif ‒ lourd et fixe [36] ‒ aurait laissé place à des dispositifs « délocalisé[s], atemporel[s] et qui repose[nt] sur les nouvelles technologies d’information et de protection » (Ceyhan, 2006, p. 21). En prenant en compte les effets de médiation du drone, on se rend bien compte que ce nouveau dispositif rentre parfaitement dans les carcans « post-panoptiques ». Avec le médiateur en main, disait B. Latour, « les possibles se multiplient, offrant à celui qui le tient des schèmes d’action qui ne précédaient pas la saisie » (Latour, 2000, p. 44). Le drone délocalise et rend atemporelle la surveillance, ce qui permet une protection et un recueil d’informations croissant. Ce faisant, il transforme à la fois, le tempo de la guerre, la relation entre combattants ‒ distanciation, invulnérabilisation ‒, mais aussi les représentations de l’ennemi ‒ virtualisation ‒ et, pour finir, le rapport de force en exercice de pouvoir.

Ce que le drone fait à la profession militaire

« Licence » et « mandat » drone

35Il semble maintenant évident qu’en prenant en compte les effets de médiation, le drone bouscule à la fois la façon de penser la guerre et la manière de la réaliser. Cette mutation est alors perçue par les militaires et s’accompagne de nombreux conflits professionnels. Le sociologue Everett Hughes s’est intéressé à la façon dont se formaient et évoluaient les professions dans l’interaction, pour lui « tout changement de technologie […] soulève la question de savoir qui, […] assurera, dans les différentes circonstances qui peuvent se présenter, les nouvelles tâches » (Hughes, 1996, p. 70). Cette première idée traduit l’influence de la technologie sur ce qu’il nomme la reconnaissance d’une licence[37] professionnelle. Une fois cette licence attribuée, logiquement, avance l’auteur, la profession devrait réclamer un mandat dans le but de « définir les comportements que devraient adopter les autres personnes à l’égard de tout ce qui touche à leur travail » (Hughes, 1996, p. 99). Concernant les drones, la question de la licence se pose à deux niveaux. Dans un contexte de rationalisation, de professionnalisation [38] de l’organisation militaire et de concurrence intra-professionnelle ‒ Terre, Mer, Air ‒ (Gresle, 2005), quelle armée se verra dotée des budgets alloués aux drones ? Ensuite, qui, à l’intérieur de l’armée en question, assurera le déploiement de ces systèmes ? S’agissant de la première question, si aujourd’hui la complémentarité interarmées affichée dans la doctrine reste de mise, on trouve de nombreux articles qui laissent entrevoir des luttes traitant de l’efficacité des différents drones et pour la reconnaissance de la licence d’utilisation de cette technologie. Malgré le fait qu’une licence ait été attribuée à l’AT et à l’AA, il n’en reste pas moins, comme l’avance C. Wasinski, que « l’objectif des armes reste de tout faire pour être indispensable et maintenir, voire améliorer, leur statut, en particulier d’un point de vue budgétaire » (Wasinski, 2006, p. 160). Dès lors, on comprend pourquoi dans de nombreux articles les militaires cherchent à faire reconnaître leurs savoir-faire, leur expertise [39] ainsi que l’efficacité du drone qu’ils utilisent. S’agissant plus particulièrement de l’AA maintenant, nous n’avons pas trouvé de tels conflits suite à l’introduction des drones de surveillance. Cependant, la future apparition des UCAV [40] dans le paysage militaire français nous laisse entrevoir des formes de mobilisation. En témoigne l’article « Quels pilotes pour le drone de combat UCAV ? » corédigé par quatre pilotes de chasse (Penet, Lene, Perrone, Vialle et al., 2013). Devant la « révolution pour le pilote de combat » qui se profile, les auteurs insistent sur la proximité de leurs savoir-faire vis-à-vis des compétences nécessaires pour piloter ce type d’engin :

36

« Ces qualités [nécessaires pour piloter un UCAV] sont très proches de celles que possède un pilote de chasse : sens de l’air, sens du combat aéronautique, grandes capacités d’anticipation et de coordination avec des acteurs externes, rapidité de la prise de décision et de l’exécution qui en résulte dans un environnement complexe et hostile ».
(ibid., p. 98)

37Le deuxième type de conflit, comme le prévoyait E. Hughes dans sa théorie à travers le concept de mandat, prend place dans la définition des comportements que devraient adopter les dirigeants envers les professionnels qui mettent en œuvre le drone et s’articule autour de la notion d’autonomie dans la décision. Le drone, en mettant en réseaux les différents niveaux de commandement, permet de faire remonter les informations jusqu’au plus haut échelon de la hiérarchie militaire. Cependant, on retrouve dans plusieurs textes l’idée selon laquelle cet atout stratégique peut s’avérer néfaste au niveau opérationnel. C’est notamment ce qui apparaît dans le texte doctrinal interarmées « Emploi des systèmes de drones aériens » sous le terme du risque de « micro-management » :

38

« La relative facilité de connexion des stations de contrôle et leurs capacités de transmission vidéo en temps réel sont de nature à renforcer les risques d’ingérence des différents échelons dans la conduite tactique des opérations ».
(CICDE, 2012, p. 48)

39Le commandant C. Fontaine, dans un de ses articles, mettait aussi en lumière l’apparition de ce risque d’ingérence. Pour lui, le décideur politique, de par sa méconnaissance du fait militaire, pourrait « obérer la capacité du chef militaire d’adapter, de réguler le tempo opérationnel en fonction des modes d’action de l’adversaire ». Il finit ainsi par conclure que « le[s] principe[s] de subsidiarité dans la chaîne décisionnelle et de pertinence de la remontée de l’information au niveau supérieur doivent s’appliquer comme la règle et non comme l’exception » (Fontaine, 2012, p. 112). On le voit donc clairement, l’introduction du drone pousse les militaires à définir les compétences, les rôles, les comportements nécessaires et légitimes à l’utilisation de l’instrument technique. Cependant, comme nous allons le voir, le drone lui-même impose au militaire une nouvelle division technique et morale du travail.

De la division du travail

40Traditionnellement, la profession d’aviateur se divisait moralement et techniquement en deux entités. D’un côté, les pilotes de l’air, ce petit nombre de combattants qui bénéficiaient d’un prestige tant historique que symbolique à travers la figure mythique du « chevalier du ciel » (Bryon-Portet, 2007). De l’autre, les techniciens envers qui était redirigé le dirty work (Hughes, 1996) de préparation de mission ou de maintenance technique des appareils. Aujourd’hui, l’incorporation du système MALE dans l’arsenal de l’Armée de l’air engendre différents types de processus : valorisation de certaines tâches techniques, introduction de nouveaux spécialistes dans la mise en œuvre du système, segmentation des savoir-faire et des compétences ainsi qu’une remise en cause de l’identité traditionnelle d’aviateur. Pour comprendre ces évolutions, il faut commencer par revenir sur la composition d’un escadron de drone. La mise en service d’un système drone pour une mission militaire nécessite plusieurs types de spécialistes. En amont, plusieurs types de techniciens ‒ mécaniciens, électroniciens, spécialistes réseaux ‒ préparent le vecteur aérien, paramètrent les équipements et établissent les liaisons satellitaires. Si le travail de mécanicien pouvait autrefois être dévalorisé, la technicisation des outils sur lesquels ces derniers interviennent a entraîné une revue à la hausse de leur importance en même temps qu’une technicisation et une segmentation de leurs savoir-faire. Nous n’avons trouvé que très peu d’informations traitant des mécaniciens drones, cependant, les propos de cet ancien pilote de chasse illustrent notre idée générale : « Les mécanos faisaient un métier assez commun. La technique avion n’était guère différente de la technique bagnole. Ce n’est plus pareil aujourd’hui : les techniciens ont vu leur compétence et leur côte augmenter » [41] (Boniface, 1990, p. 45). Le deuxième changement réside dans l’introduction de professionnels des renseignements [42] dans la station sol du système MALE. Sont insérés dans cette station : des officiers du renseignement ‒ aussi appelés techniciens renseignements ou coordinateurs tactiques ‒ chargés de préparer la mission et de la coordonner en direct selon les objectifs ; des « interprétateurs d’images » qui analysent les données recueillies par les capteurs du vecteur et dont la mission est aussi leur diffusion ; enfin, un exploitant chargé de synthétiser les documents pour l’organisme client. Cette nouveauté peut être comprise comme résultante de l’importance accordée au renseignement dans la doctrine militaire. En effet, les militaires insistent sur l’idée qu’une information ne devient un renseignement qu’en étant analysée et interprétée par ces professionnels : « Devant la densité du flux d’informations à traiter, il faut des techniciens compétents pour sélectionner les plus utiles et les analyser. Le renseignement brut n’est rien sans une plus-value humaine » (De Luca, 2009b, p. 13). Plus généralement, l’introduction de ces professionnels est surtout la conséquence de la centralité qu’a acquis le système drone à l’intérieur de la guerre en « réseaux », dans laquelle l’analyse et la diffusion du renseignement en temps réel deviennent un impératif. La déportation du pilote dans la station sol marque le dernier changement professionnel procédant de la « dronisation ». On parle d’ailleurs de moins en moins de pilote mais d’« opérateur » ou de « pilote-opérateur ». Ces derniers sont chargés d’orienter le vecteur et les capteurs sous l’autorité du coordinateur tactique, chef de mission. On ne trouve que trop peu d’informations sur ces opérateurs. C. Fontaine dit d’eux que certains « sont attirés par les nouvelles technologies du drone MALE, d’autres veulent rester dans l’opérationnel après avoir abandonné le vol sur Rafale pour raisons de santé » [43].

41En décrivant les rôles attribués à chacun, on voit clairement que la mise en service d’un drone nécessite une complémentarité des savoir-faire et des compétences. Les qualifications du personnel semblent avoir évolué, s’être spécialisées en fonction des contraintes qu’impose le système. Lorsque la division technique du travail d’une profession « est rendue nécessaire par l’impossibilité, pour un seul de ses membres de maîtriser l’ensemble des savoirs et des savoir-faire qui seraient nécessaires pour prendre en charge toutes les tâches dévolues au groupe » (Champy, 2009, p. 130), le courant interactionniste de la sociologie des professions parle de segmentation organique. Dans ce cadre, nous disent-ils, comme dans la division technique du travail décrite par E. Hughes, prennent place des nouvelles formes de hiérarchisation et de division morale du travail. Comme on le voit, le drone fait éclater l’ancienne distinction entre pilote combattant et technicien préparateur. Alors qu’auparavant le pilote, comme le dit l’adage, était « le seul maître à bord » [44], le système MALE, en même temps qu’il introduit des nouveaux spécialistes du renseignement dans le déroulement de la mission, subordonne l’opérateur à une tache d’exécutant, au service d’un système et sous l’autorité du coordinateur tactique. Ce faisant, l’opérateur perd la propriété de sa machine, de sa mission [45], et parfois même de certaines tâches – désormais effectuées par la technique – aux dépens du collectif dans la station. Le sociologue Bertrand Böene, dans sa relecture de l’ouvrage de Maurice Janowitz (1960) avance l’idée selon laquelle :

42

« Autrefois, le modèle de rôle dominant chez les officiers était celui du heroïc leader, meneur d’hommes animé de l’esprit martial traditionnel, à la recherche de la gloire. La technique lui a substitué le modèle du military manager, dont la valeur de référence est la recherche rationnelle de l’efficacité. Ni le premier ni le second ne se confondent avec le military technologist, l’ingénieur ou le technicien des armements ».
(Boëne, 2010, p. 13)

43Si, sous la figure du military manager, le coordinateur tactique déclasse hiérarchiquement et « moralement » l’opérateur, la distanciation de ce dernier envers son segment de vol ‒ et par extension de la sphère de combat ‒ entérine le passage de l’identité professionnelle de pilote heroïc à celle d’opérateur technologist. En effet, la place qu’occupaient les pilotes de l’air traditionnels dans la division morale du travail provenait à la fois du prestige que procuraient le fait d’évoluer dans la troisième dimension [46] et la mise à l’épreuve [47] de leur corps. Ils tiraient leur reconnaissance de l’ethos classique du combattant, à savoir virilité, courage et surtout sacrifice de leurs corps, parfois au péril de leurs vies. Or, à l’heure où l’opérateur n’est plus dans la sphère directe de combat et qu’il ne met plus sa santé en jeu, se pose la question de déterminer s’il peut être encore reconnu comme un combattant. À titre d’exemple, on retrouve ce type de propos dans la réflexion sur les drones du chef d’état-major de l’Armée de l’air :

44

« Nous devrons repenser plus précisément ce que signifie être pilote […] d’un point de vue culturel. Doit-on désigner par ce terme uniquement ceux qui combattent dans les cieux ou, au contraire, appeler ainsi tous ceux qui conduisent des opérations dans les airs ? »
(Abrial, 2009, p. 120)

45Il semble maintenant clair que l’organisation militaire s’adapte à l’introduction du drone. Sa quantité restreinte ne permet pas encore de décréter une véritable révolution dans l’organisation militaire. Néanmoins, on peut dire que la « dronisation » engendre des effets de médiation au niveau de l’organisation et de la division technique et morale de ceux qui travaillent au contact de cette nouvelle technologie. L’introduction du drone dans l’arsenal militaire va jusqu’à bousculer l’ethos traditionnel du combattant et remettre en cause la masculinité guerrière hégémonique sur laquelle il se basait.

46Analyser le drone, non plus comme un simple moyen technique rigide et maîtrisé au service de fins militaires et politiques prédéterminées laisse donc entrevoir des mobilisations, des transformations, des conflits. Même si les entrepreneurs ont de « bonnes raisons » ‒ cognitives et instrumentales ‒ (Boudon, 2003) de le définir comme un intermédiaire, la lecture des différents RETEX et textes doctrinaux montre que les militaires au contact des drones aussi bien que les cadres de l’armée sont conscients de ses effets de médiations. En montant en généralité ‒ et en laissant de côté un instant le caractère binaire de la comparaison « intermédiaire/médiateur » ‒, on peut donc dire que les discours étudiés qui présentent les systèmes MALE oscillent entre deux pôles : d’une part, la figure d’une technologie « politique » dont l’utilisation réorganise la manière de mener une guerre et, d’autre part, la figure d’une technologie « amorale » permettant de rationnaliser toujours plus les pratiques militaires. Si la première figure « politique » transparaît à la fois dans les différents processus d’intéressement analysés et lorsque les professionnels concernés pensent la guerre de demain, il n’en demeure pas moins que son aspect moral, éthique, politique reste cadré et policé par une forme de discursivité dans laquelle la technique est définie par son ustensilité. La seconde figure « amorale », quant à elle, tend à prendre place dans les discours justifiant la faisabilité de la guerre et surtout lorsqu’il s’agit pour les entrepreneurs de prendre position dans les diverses controverses éthiques concernant les drones. Ici encore, les systèmes technologiques sont présentés comme neutres car défendus tels des moyens efficaces et maîtrisés ‒ au service de fins qui, elles, sont morales et politiques. Cependant, utiliser de telles définitions, en plus de figer les débats, tend à dépolitiser la question technologique. L’ambition de cet article, en analysant les systèmes MALE sous le prisme du concept de médiateur est donc de décloisonner, de faire tomber les frontières : entre moyens et fins, entre cette technologie militaire et son caractère politique et moral. En prenant en compte la société en train de se faire et en s’intéressant aux médiations techniques, nous avons montré que l’introduction des systèmes MALE en France redéfinit ce qui l’entoure, de l’identité militaire à la guerre en général. En pliant et en dépliant le temps et l’espace [48], le système technique relie des entités hétérogènes et devient agent, actif. Entendu ainsi, il laisse entrevoir une nouvelle façon de mener un conflit en rendant possible la guerre en « réseaux ». En plus de redéfinir la doctrine, le drone transforme la relation entre les combattants. Derrière leur ordinateur, dans leur station sol, à distance de la sphère directe de combat, il permet aux militaires de penser des schèmes d’actions et des nouvelles relations de pouvoirs qui ne précédaient pas sa saisie. En effet, outre le fait d’être un dispositif post-panoptique qui crée du savoir, le drone gouverne l’ennemi, lui prescrit des comportements, des scripts (Akrich, 1987) à adopter ou à éviter. Or c’est justement cette imposition de conduite qui explique le caractère moral de la technique, comme l’avance B. Latour : « J’appellerai le comportement imposé à l’humain par des délégués non humains une prescription. La prescription explique la dimension morale et éthique des dispositifs mécaniques » (Latour, 2007, p. 62). En prenant en compte le drone comme médiateur et les prescriptions qu’il induit, on réintroduit donc la morale dans le dispositif. Dès lors, dire de lui, comme le fait C. Fontaine, qu’il n’est qu’un moyen amoral, neutre, « homosapiens-dépendant », ou le simple prolongement de l’organe humain : « si les hommes incarnent le cerveau du drone, les charges utiles en sont certainement le cœur. Elles représentent le prolongement de l’œil du combattant » (Fontaine, 2011, pp. 1-2), se révèle caduc. Avec le médiateur en main, les possibles se multiplient, débordent de toute part. C’est notamment le cas aujourd’hui lorsque, dans un cadre de restriction des budgets militaires, l’utilisation des drones MALE sur le territoire national commence à être pensée.


Annexe

Acronymes

47DCRI - Direction centrale du renseignement intérieur

48DGSE - Direction générale de la sécurité extérieure

49DNRED - Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières

50DPSD - Direction de la protection et de la sécurité de défense

51DRM - Direction du renseignement militaire

52TRACFIN - Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins

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Date de mise en ligne : 23/06/2015

https://doi.org/10.3917/res.190.0185

Notes

  • [1]
    Cet article étudie les systèmes de drones de type MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance), utilisés par l’Armée de l’air (AA) française, tels que le Harfang et le Reaper. Ces systèmes distinguent trois segments dans leur architecture physique : d’un côté, le vecteur aérien disposant de la charge utile qu’il embarque, de l’autre, le segment de contrôle, et enfin, un ensemble de liaisons satellitaires permettant le pilotage du vecteur ainsi que l’enregistrement et la diffusion des informations captées par celui-ci, et ce, au-delà de l’horizon radioélectrique.
  • [2]
    On note de nombreux articles qui recensent les frappes de drones perpétrées par les États-Unis au Pakistan, au Yémen ou encore en Somalie. Voir par exemple « Nouvelle frappe de drones américains au Pakistan », Le Monde, 3 juillet 2013, en ligne ; « Yémen : les attaques de drone se poursuivent », Le Monde, 8 août 2013, en ligne ; « Le chef des talibans pakistanais tué par une frappe de drone américain », Le Monde, 1er novembre 2013, en ligne.
  • [3]
    Notons ici par exemple la sortie de l’ouvrage Théorie du drone (Chamayou, 2013), ainsi que le débat que cette parution a suscité, notamment avec Jeangène Vilmer J.-B. et son article en réponse à l’ouvrage précité « Idéologie du drone », publié dans laviedesidees.fr, le 4 décembre 2013.
  • [4]
    Le Drian J.-Y., « Pourquoi l’armée française a un besoin urgent de drones », Les Échos, 3 mai 2013.
  • [5]
    Allocution de Le Drian J.-Y., « Discours pour le débat en séance publique sur la Loi de Programmation Militaire », au Sénat, lundi 21 octobre 2013.
  • [6]
    La LPM 2014-2019 prévoit l’acquisition, sur étagère, de douze drones MALE.
  • [7]
    Notons que certains de ces « entrepreneurs de cause » ‒ les membres de l’état-major de l’armée notamment ‒ peuvent être des « propriétaires de problèmes publics » (Gusfield, 2009, p. 2) dans le sens où ils sont reconnus dans l’arène politique comme des gestionnaires du problème en question lors des auditions des LPM.
  • [8]
    « J’appellerai traduction l’interprétation donnée, par ceux qui construisent les faits, de leurs intérêts et de ceux des gens qu’ils recrutent » (Latour, 2005, pp. 260-261).
  • [9]
    Cette étude se base principalement sur l’analyse de ces deux revues. La revue PAF est un quadrimestriel édité par le Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA) de l’Armée de l’air. Celui-ci se décrit comme un pôle de réflexion conceptuel et doctrinal. La revue RDN a été créée en 1939. Aujourd’hui, c’est un mensuel édité par le Comité d’études de défense nationale, association loi 1901 installée au sein de l’École militaire.
  • [10]
    Date de commande des premiers drones aériens Hunter par le ministère de la Défense et époque des premières réflexions sur leur emploi.
  • [11]
    Revue de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), un « think tank » sur les questions de sécurité et de défense qui se décrit comme « de référence » et « indépendant ». Mais aussi de nombreux articles universitaires, journalistiques traitant des drones français.
  • [12]
    « On appelle rhétorique la discipline qui, depuis des millénaires, étudie la façon dont on amène les gens à croire et à infléchir leur comportement, et qui enseigne l’art de la persuasion » (Latour, 2005, pp. 80-81).
  • [13]
    Les cadres sont « des “schèmes d’interprétation” qui permettent aux individus de “localiser, percevoir, identifier et étiqueter” des situations au cours de leur vie et dans le monde en général. Les cadres permettent de donner du sens à des événements et à des situations, organisant ainsi l’expérience et orientant l’action » (in Benford, 2012, p. 224).
  • [14]
    Les militaires font référence aux règles établies dans le « Droit international humanitaire » (DIH), principalement régies par les conventions de Genève.
  • [15]
    « Le référentiel renvoie à la construction d’une représentation, d’une image de la réalité sur laquelle on veut intervenir. Et c’est en référence à cette image cognitive que les acteurs vont organiser leur perception du système, confronter leurs solutions et définir leurs propositions d’action » (in Muller, 1990, pp. 42-43).
  • [16]
    Pour Dirty, Dull and Dangerous traduisible par sale, monotone/ennuyeux et dangereux.
  • [17]
    Pour erreur (ou écart) circulaire probable, c’est-à-dire à la marge d’erreur entre le ciblage et l’explosion.
  • [18]
    Le principe de distinction interdit toute attaque contre les non-combattants. Celui de précaution insiste sur le fait que les moyens et les méthodes doivent être adaptés pour minimiser au maximum les pertes, les blessures et les dommages. Enfin, le principe de proportionnalité définit l’acceptabilité des dégâts collatéraux en fonction de la valeur de l’objectif dans le cas où rien ne peut être fait pour l’éviter.
  • [19]
    Notion conceptualisée par le colonel J. Boyd, de l’US Air-Force dans les années 1960.
  • [20]
    Cette embuscade menée par des insurgés talibans à l’encontre de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) a fait dix morts et une vingtaine de blessés du côté des soldats français. Concernant l’ampleur de cet événement et ses répercussions en France, voir le documentaire de Fritel J., François E., André D. (2013), L’embuscade, Paris, Brother films, 58’.
  • [21]
    « L’embuscade des 18 et 19 août 2008 en vallée d’Ouzbine a eu sans conteste un fort impact sur l’opinion publique. Elle a également mis en lumière le besoin en couverture drones de nos troupes en Afghanistan, entraînant le déploiement du système SDTI en novembre 2008 sur la base avancée de Tora en vallée de Surobi », Députés Vandewalle Y., Viollet J.-C., « Rapport d’information sur les drones », Commission de la défense nationale et des forces armées, 1er décembre 2009, p. 47.
  • [22]
    Colonel Lespinois J., « Les drones : considérations tactiques, industrielles, légales (droit international) et éthiques », conférence à l’Université Lille 3, 8 avril 2014.
  • [23]
    La controverse porte autant sur les datations que sur l’épistémologie du mot « révolution » ainsi que sa récupération par différentes doctrines militaires (cf. Henninger, 2003).
  • [24]
    Traduction du terme anglo-saxon Revolution in Military Affairs.
  • [25]
    Même si les méthodes d’acquisition n’étaient pas les mêmes, lorsqu’on pensait la contre-insurrection dans les années 1960, le renseignement était déjà au cœur de la théorie.
  • [26]
    Alors qu’en 1971, le premier Livre blanc ne mentionnait pas le renseignement, il apparaît dans l’édition du second en 1994.
  • [27]
    Source : Centre français de recherche sur le renseignement, http://www.cf2r.org/fr/notes-de-reflexion/la-direction-du-renseignement-militaire-a-quinze-ans-les-moyens-dune-ambitionrphp#Hnote39.
  • [28]
    Les quatre autres fonctions étant la dissuasion, la protection, la prévention et l’intervention.
  • [29]
    Les six services sont la DCRI, la DNRED, le TRACFIN, la DGSE, la DRM et enfin la DPSD. Voir annexe acronymes.
  • [30]
    Au niveau de la Défense intérieure, la sécurité nationale est définie comme dépendante des menaces internationales qui doivent être connues et suivies.
  • [31]
    En 1991, à l’occasion de l’opération Tempête du Désert en Irak, on estimait qu’entre l’observation d’une cible, la prise de décision et l’action, il fallait environ 48 heures contre quelques minutes actuellement.
  • [32]
    Les militaires français rappellent sans cesse qu’en Afghanistan, « 100 % des missions du Harfang ont été réalisées en appui des forces terrestres ou des forces spéciales de la coalition » (Pascallon et Damaisin, 2013, p. 65).
  • [33]
    Traduction de Network-centric warfare.
  • [34]
    Le show of force, ou le survol « bas et vite », « consiste à descendre à grande vitesse (900 km/h) depuis un point invisible avant de dégager face au soleil » (Moricot et Dubey, 2009, p. 40).
  • [35]
    Nous empruntons cette citation à Ceyhan (2006, p. 15).
  • [36]
    Comme le panoptique selon J. Bentham.
  • [37]
    « La licence est constituée de l’ensemble des tâches pour lesquelles un métier est parvenu à faire reconnaître sa compétence » (Champy, 2000, p. 54).
  • [38]
    En France, cette révolution professionnelle peut être datée du 28 octobre 1997, lorsque J. Chirac promulgua la loi dite de professionnalisation des armées. Cette loi avait pour but de réduire les effectifs, de supprimer le service national et par conséquent de passer d’une armée de conscription à une armée de métier.
  • [39]
    Comme l’illustre le propos de ce commandant qui met en place les drones tactiques : « L’armée de terre française les utilise avec succès depuis quarante-cinq ans et possède donc une expertise incomparable » (Jaouen, 2010, p. 103).
  • [40]
    UCAV signifie Unmanned Combat Air Vehicle et désigne les systèmes de drones dont le vecteur aérien embarque une charge utile qui dispose d’armes létales.
  • [41]
    Nous empruntons cette citation à Bryon-Portet (2007, p. 159).
  • [42]
    Issus de la filière renseignement de l’Armée de l’air.
  • [43]
    Interview de C. Fontaine in Louis J.-P., « Drones militaires : branle-bas de combat chez les futurs pilotes », Le Parisien magazine, 20 février 2014, en ligne.
  • [44]
    « Jusqu’alors, le pilote […] était le principal garant de la réussite de sa mission, responsable de la survivabilité et de la sécurité de sa machine et de sa propre survie, ultime arbitre des décisions à prendre » (Penet et al., 2013, pp. 96-97).
  • [45]
    « Au principe “une équipe, une mission” de supplanter celui d’“un homme, une mission” » (Penet et al., 2013, p. 97).
  • [46]
    « En effet, son activité peut paraître contre nature, dans la mesure où l’aviateur repousse les limites imposées à la condition humaine. Évoluant dans les airs, élément jusqu’alors interdit aux créatures terrestres, il peut donner l’impression de vouloir égaler Dieu » (Bryon-Portet, 2007, p. 149).
  • [47]
    Le pilote de l’air est soumis à des contraintes physiques importantes à travers l’encaissement des facteurs de charges.
  • [48]
    On pense ici notamment à sa capacité à dissiper considérablement le brouillard de guerre, à distancer les opérateurs du vecteur aérien, mais aussi à permettre une surveillance de tout temps à haute altitude.

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