Notes
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[1]
Le point de vue exprimé est celui de son auteur et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant une position officielle de la Commission européenne.
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[2]
Cf. la contribution de Jean-Paul Simon dans ce numéro pour l’économie globale du secteur.
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[3]
Cf. la contribution de Claudio Feijóo et José Luis Gómez-Barroso dans ce numéro sur l’autre secteur de fort développement des jeux vidéo, les jeux sur mobiles.
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[4]
L’auteur remercie son collègue Jean-Paul Simon d’avoir accepté de traduire cette contribution.
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[5]
Ultima Online est le premier jeu en ligne dit multi-joueurs, rendu disponible en septembre 1997, mais c’est Everquest qui a véritablement suscité l’engouement dès 1999 (Lafrance, 2012).
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[6]
Ces aspects sont présentés dans le rapport qui a servi de base à cet article (De Prato et al., 2010). Dans cet article, ils ont été omis dans la mesure où ils font l’objet d’un article spécifique de cette livraison.
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[7]
Trois catégories principales : PC, consoles et mobiles. La perspective est proche de celle adoptée par les principales sociétés de conseil et d’analyse de marchés qui offrent des données sur le secteur et sur lesquelles cette recherche s’est largement appuyée ; cf. les références dans la bibliographie.
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[8]
“An interactive kind of mediated entertainment”.
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[9]
Souvent appelés “casual games” en raison de leur facilité d’usage (apprentissage, accès et jeu) quel que soit le genre.
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[10]
Ce site chinois a dépassé Facebook atteignant 637 millions de visiteurs mensuels actifs en 2010.
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[11]
« Zynga et Facebook : une relation complexe », Lemonde.fr du 19 juillet 2011. Cf. aussi www.appdata.com.
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[12]
« Development Leader Board », www.appdata.com, consulté le 20 août 2011.
-
[13]
« Social Gaming Roundup: Game Awards, Acquisitions, Lawsuits & More », 2011, http://www.insidesocialgames.com/, consulté le 20 août 2011.
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[14]
Néologisme anglais fondé sur le « user generated content » (UGC) qui a fait florès suite au développement de ce type de contenus sur YouTube.
-
[15]
Document fourni à l’agence américaine de contrôle des opérations boursières, la SEC, pour la mise en bourse, http://sec.gov/Archives/edgar/data/1439404/000119312511180285/ds1.htm.
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[16]
Alexa mesure la popularité des sites web et calcule leur classement à partir d’une combinaison de la moyenne des visiteurs quotidiens et des pages consultées en fonction du trafic des trois derniers mois (www.alexa.com).
- [17]
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[18]
Pour une présentation plus détaillée du software mais aussi d’un élément informatique très important pour la production de ces jeux, le middleware (intergiciel), cf. de Prato (2012).
-
[19]
La société allemande de « browser games » a été classée par le cabinet Deloitte, avec une autre société allemande de jeux identique comme l’une des plus fortes croissances du secteur des technologies de l’information. Source : http://www.deloitte.com/view/de_DE/de/branchen/article/5bcc6816ec574210VgnVCM100000ba42f00aRCRD.htm.
-
[20]
Source : Bigpoint.
-
[21]
Ce sont des moteurs de jeux (simulation dynamique) qui créent des interactions entre les objets ou les autres personnages en temps réel. Ils permettent d’offrir la gestion d’effets tels que la masse, la vélocité et la résistance au vent.
-
[22]
Accessible à travers le portail Microsoft Xbox Live Arcade.
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[23]
Cet article s’appuie sur le rapport de recherche de l’IPTS (De Prato et al., 2010). Les rapports de l’institut qui a pour mission de fournir des données pour la Commission européenne sont des monographies industrielles qui présentent le poids du secteur et de ses acteurs, résumés à des fins didactiques sous la forme simplifiée d’une chaîne de la valeur, la valeur ajoutée et la place de l’industrie européenne sur le marché mondial. Sur les évolutions de la chaîne de la valeur dans les industries créatives des contenus, cf. Mateos-Garcia (2008) dans un autre rapport de l’IPTS.
-
[24]
Dans le cas des jeux sur mobile, il recevra 10 euros, le distributeur en conservant 15.
-
[25]
En anglais SNOW : social networking site or online world.
-
[26]
Document remis à l’autorité boursière américaine.
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[27]
Passant de 61 % à 50 % en 2014, In-Stat (2011).
-
[28]
Depuis 2006, la PlayStation 3 de Sony peut utiliser des DVD et des disques Blu-Ray. Microsoft a adopté le format HD-DVD en l’intégrant dans sa Xbox 360. L’attitude des principaux acteurs du jeu devient un paramètre important pour l’évolution de l’industrie cinématographique (De Vrinck, 2011).
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[29]
Une évolution rendue également possible par la rapidité de l’équipement en numérique des salles de cinéma et l’adoption des écrans 3D : dans l’Union européenne, 80 % des écrans numériques sont des écrans 3D. Soit 30 % du total des écrans en Europe, contre 40 % pour les États-Unis. Source : MEDIA Salles, European Audiovisual Observatory, 2011.
1À l’intérieur du secteur de l’industrie des jeux vidéo qui porte et continuera sans doute à porter une grande partie de la croissance du secteur des médias et des loisirs [2] ; le segment des jeux en ligne et sur mobiles [3] a vu son importance se renforcer, il doit atteindre 18 % de l’ensemble à l’horizon 2013, sa croissance étant particulièrement rapide ces dernières années. A. T. Kearney (2010, 2011) prévoit une croissance annuelle cumulée de 16 % entre 2008 et 2013, contre seulement 3 % dans les consoles [4].
2La vitesse de croissance du secteur est attribuable, pour l’essentiel, à la combinaison de plusieurs paramètres dont le déploiement des réseaux large bande, l’innovation dans les jeux et la transition vers les nouveaux jeux portatifs, enfin vers la nouvelle génération de consoles intimement liée à la distribution en ligne. Cette tendance s’est fait jour depuis déjà quelques années. Les jeux multi-joueurs en ligne sont apparus vers la fin des années 1990 [5]. Les trois principaux fournisseurs de consoles (PS2 Network gaming, Xbox live et Wii) ont utilisé les réseaux pour permettre le jeu en ligne et le téléchargement de contenus additionnels au début des années 2000 (Kerr, 2006). Les principaux fournisseurs de jeux ont également commencé à inclure des éléments de services en ligne en permettant aux joueurs d’indiquer leurs scores, d’acheter des compléments, de télécharger des mises à jour et de jouer avec d’autres joueurs (Miles, Green, 2008).
3La première partie de cet article analyse brièvement la littérature afin de cerner la définition de ces jeux. La seconde partie s’attache à ce que l’on convient d’appeler l’écosystème des jeux en ligne (Fransman, 2010). La troisième partie introduit les modèles techno-économiques qui résultent des nouvelles interactions entre acteurs anciens ou nouveaux ; elle présente l’apparition de nouveaux modèles d’affaires et les formes d’intermédiation qui y ont vu le jour. Cet article entend avant tout décrire ce secteur et n’a pas pour objet de présenter une analyse plus théorique, notamment de quelques-unes de ses caractéristiques en tant que marché biface [6].
4L’absence de données officielles représente une contrainte forte pour l’évaluation du potentiel effectif et de la dynamique propre au secteur dans son ensemble (Simon, 2011a, b). A fortiori, la mesure des évolutions des sous-segments des jeux en ligne et sur mobiles est encore plus problématique en raison des caractéristiques même du produit, et ce en l’absence d’indicateurs de base qui permettraient d’offrir une image pertinente de la complexité des différentes sous-catégories et des typologies imbriquées requise par ce type de jeux.
Définitions et mesure
5Afin de quantifier la valeur économique du sous-secteur, les principales tentatives de catégorisation des jeux ont été analysées par l’étude de l’OCDE (OCDE, 2005 ; Janzs et al., 2005) qui sépare les jeux hors ligne et en ligne en considérant la plate-forme physique [7], ce qui permet de prévoir des évolutions différenciées mais plus fortes pour les jeux en ligne quelle que soit la nature de la plate-forme.
6La plupart des auteurs insistent, d’une façon un peu tautologique, sur l’aspect « jeu en ligne sur l’internet », omettant la référence à la plate-forme physique et en mettant en avant une « forme interactive de loisirs médiés » [8] (Janzs et al., 2005). En revanche, la signification accordée à cette interactivité évolue rapidement et, dans le cas des jeux en ligne, renvoie à la capacité du joueur d’intervenir sur le cours du jeu par des actions réalisées à partir d’une interface (Grodal, 2003 ; Vorderer, 2000). Cette interactivité atteint son maximum dans les cas des jeux en ligne où le joueur interagit non seulement avec le jeu lui-même mais aussi avec d’autres joueurs directement (jeux massivement multi-joueurs) ou de façon différée. Ainsi, le jeu bascule dans la sphère de la communication interpersonnelle, cette dimension sociale étant très importante pour que les joueurs passent aux jeux à plusieurs. Cette évolution a tiré la demande vers ce type de jeux. Elle conduit à définir deux grandes catégories de jeux en réseaux, ceux où le joueur joue seul et ceux où il interagit avec d’autres.
7On distingue ainsi deux sous-catégories de jeux vidéo en ligne : les jeux à joueur individuel (jeux « autonomes ») et les jeux multi-joueurs. Les premiers sont la plupart du temps des browser games (jeux de navigateur) [9] accessibles grâce à un navigateur web, sans avoir à installer des logiciels additionnels. Cette autonomisation vis-à-vis du logiciel libère le joueur de sa dépendance à l’égard d’un terminal spécifique, ce qui permet aux joueurs de jouer à différentes occasions et en différents lieux, comme par exemple… sur leur lieu de travail pendant la pause ! Cette « liberté » pour l’utilisateur se double d’une sécurité sur le plan légal et technique, les nouveautés, améliorations et maintenance étant assurés à partir du serveur. Ces jeux sont souvent distribués gratuitement, ce qui permet de tirer le meilleur parti notamment de la distribution en ligne sur les réseaux sociaux.
8Les seconds, dits aussi « client-based games » sont (encore) installés sur l’équipement du consommateur à partir d’un logiciel client-serveur. Ils impliquent, la plupart du temps, des programmes spécifiques achetés par le consommateur. Leur mode de distribution est plus complexe et passe par d’importants portails dédiés. Par contre, l’installation de ces programmes permet une meilleure qualité graphique et des fonctions plus avancées que les jeux précédents, aux graphismes plus limités et aux contenus plus simples. Un grand nombre d’utilisateurs jouent simultanément et contribuent à faire évoluer l’univers et l’intrigue du jeu, ce qui implique des serveurs dédiés et connectés en permanence pour permettre aux joueurs d’accéder à ces univers virtuels.
9Enfin, il convient d’ajouter une catégorie intermédiaire, en plein développement, dont l’importance pour la diffusion des jeux n’a fait que croître, les jeux sur les réseaux sociaux (notamment Facebook, MySpace, Bebo, les sites chinois Tencent [10] et Baidu en expansion très rapide (In-Stat, 2010, b)). Intermédiaires, dans la mesure où il est difficile de rattacher ces jeux à l’une ou l’autre des deux catégories précédentes, ils se rattacheraient techniquement plutôt à la première, car fondés sur une interaction simple avec le navigateur et n’impliquant pas d’installer un software avancé. Par contre, la continuité des mondes virtuels qui en est le principe conduit à associer ces jeux aux jeux multi-joueurs.
10Le succès spectaculaire de jeux tels que Citiville (80 millions d’utilisateurs mensuels), Farmville (37 millions), tous provenant de la firme Zynga (267 millions d’utilisateurs mensuels au total en juillet 2011) [11] et distribués en exclusivité par Facebook, a conduit des analystes à déceler une autre rupture majeure marquant l’entrée des jeux dans l’ère du jeu 2.0. Ces jeux non seulement élargissent la base de clients des réseaux sociaux, mais ils contribuent également à la conversion de nouveaux joueurs. Outre ces exemples célèbres, d’autres se trouvent au sein de l’industrie européenne du jeu, comme la société allemande Wooga qui annonçait 9 millions de joueurs par mois en 2010 et près de 34 millions en 2011, avec des titres tels que Bubble Island, Brain Buddies ou Monster World [12]. La société a d’ailleurs reçu, en août 2011, un European Game Award [13].
11Enfin, aux confins de cette catégorie, les réseaux sociaux facilitent le développement des jeux générés par les utilisateurs (User-Generated Games, UGG [14]). Le recours à la créativité des utilisateurs est perçu comme ouvrant de nouvelles perspectives, radicales selon certains (Benkler, 2006 ; Cooper, 2008) ou jouant sur des frontières rendues plus perméables (Flichy, 2010). En tout état de cause, l’existence d’un environnement multi-joueurs tel qu’il vient d’être présenté (à univers persistant) implique déjà une rétroaction des joueurs en termes de contributions, c’est une question de niveau d’implication.
Encadré 1. Zynga et FarmVille
Zynga (www.zynga.com), qui a annoncé, l’été 2011, son entrée en bourse, a été fondée par Mark Pincus en janvier 2007. Il s’agit d’une jeune pousse de jeu de réseau social qui, malgré son jeune âge, détient quelques-uns des titres phares dans ce domaine dont outre Farmville, Citiville, Empires & Allies déjà cités, Mafia Wars, Café World, Treasure Isle. La société se donne pour mission de connecter le monde à travers les jeux et insiste sur leur accessibilité permanente, leur caractère social et surtout, pierre de touche, leur gratuité : “Games should be free. Free games are more social because they’re more accessible to everyone. We’ve also found them to be more profitable. We have created a new kind of customer relationship with new economics – free first, high satisfaction, pay optional [15].”
Les sites de suivi des réseaux sociaux indiquent 267 millions d’utilisateurs mensuels au total en juillet 2011 pour l’ensemble des jeux. La compagnie annonce 60 millions de joueurs chaque jour qui interagissent entre eux 416 millions de fois par jour. Les joueurs ont constitué un réseau social de 4 milliards de connexions de voisinage. La société revendique également une implication sociale active à travers sa fondation Zynga.org, lancée en 2009, qui a réuni des fonds, collectés à partir de la vente de biens qualifiés de « biens sociaux » (social goods) à hauteur de plus de US$ 10 millions pour aider Haïti ou l’Alabama.
12Nous venons de souligner la difficulté de mesurer ce segment. Toutefois, des outils ont fait leur apparition et autorisent de premières approximations. Par exemple, le cabinet spécialisé in-Stat (in-Stat, 2010a) suivant la seule pénétration des consoles, sur le seul territoire américain, estimait les équipements pour le jeu en ligne à 24 millions et en prévoyait 73 millions pour 2013. Un autre cabinet spécialisé évaluait le nombre d’usagers s’étant enregistrés en ligne auprès des trois principaux services en ligne dédiés (PSN, Xbox live et WII Wi-Fi) (iSupply, 2009), au premier trimestre 2009, à 40 millions. Autre prévision : le cabinet DFC Intelligence envisage un marché mondial de jeux en ligne s’élevant à 26,4 milliards de dollars contre 11,9 en 2009 (DFC Intelligence, 2010-a).
13Repérer le nombre d’accès aux sites web permet aussi une approximation quantitative. La société Alexa [16], l’une des compagnies qui fournit des informations sur le trafic web, donne, pour 2010, 1538 portails de jeux en ligne sur un total de 39 258 pour les jeux vidéo en général (cf. le tableau 1). AppData [17], une société indépendante de suivi du trafic web, analyse les trafics de plus de 75 000 applications sur Facebook, parmi lesquelles un nombre considérable d’applications jeux se retrouve parmi les 15 premiers. Les deux jeux phare de Zynga déjà cités, auxquels on peut ajouter Empires & Allies (avec 45 millions d’utilisateurs mensuels) donnent une idée de l’ampleur du phénomène et laisse augurer des conséquences économiques, notamment en termes de nouveaux modèles d’affaires que nous étudierons dans une partie suivante.
Classement des 10 premiers websites de jeux en ligne
Classement des 10 premiers websites de jeux en ligne
L’écosystème des jeux en ligne
14Le noyau technique de base est fourni par un élément de logiciel [18]. L’innovation qu’a permise le jeu en ligne est liée à une coévolution de ce cœur technique, du contenu et du modèle de distribution. L’innovation tant dans la qualité des contenus que dans l’architecture a été rendue possible par cette transformation du cœur technique amenant à la fois à une innovation de procès et une innovation de produit.
15Le seul segment des jeux en ligne offre de nombreux modèles d’affaires, mode de monétisation et des variations dans la chaîne de la valeur directement influencés par différents aspects comme le nombre de joueurs, la permanence des mondes virtuels, le mode d’implication du joueur et les mécanismes de distribution « viraux ». Cette partie identifie les similarités et les différences entre les écosystèmes des deux principaux types que nous venons de distinguer : les jeux simples « browser based » joués la plupart du temps en mode isolé et les jeux complexes à univers permanent (avant tout les Massively Multiplayer On line Games, MMOGs).
L’écosystème des jeux de navigateur
16Les jeux de navigateur représentent la solution la plus simple pour jouer en ligne : accessible à tous, la plupart du temps gratuitement, offrant un loisir bon marché et décontracté à la plus large base de joueurs de tous âges. La narration n’est pas très élaborée et donc, l’investissement requis du joueur n’est pas non plus important. En général, lorsqu’il existe un monde virtuel, il est simplifié au même titre que les graphismes et ne requiert pas d’équipement de dernière génération. Les utilisateurs préfèrent jouer de façon autonome, éventuellement en profitant d’une pause, plutôt que d’y consacrer une partie importante de leur temps de loisir. Le niveau d’intercommunication entre joueurs et d’interaction est inexistant ou très faible.
17Ces jeux peuvent néanmoins être joués par différents joueurs, mais ce qui les distingue des MMOGs est leur simplicité, repérable à leur graphisme élémentaire, une intrigue simple et une interaction réduite. Le jeu à plusieurs autorise néanmoins l’implication de ces joueurs dans le développement de contenus, ce qui, d’un point de vue de marché, peut représenter une force cachée de ces jeux dans la mesure où elle est liée à plusieurs nouveaux modèles d’affaires, notamment à base de biens virtuels.
18La livraison/distribution de ces jeux s’effectue par l’accès en ligne. Dans la plupart des cas, celui-ci est gratuit. Le distributeur s’assure des recettes par la publicité, mais également grâce à des abonnements de durée variable et enfin plus récemment, et nous y reviendrons plus loin, par la vente de biens numériques et de contenus complémentaires. Cette forme de distribution tire le meilleur parti des capacités de diffusion virale des réseaux sociaux. Les nouveaux joueurs partagent des ressources et adoptent les jeux qui plaisent à leurs « amis ». En conséquence, ces jeux se diffusent rapidement et sans recours majeur à la publicité.
19Ces jeux se sont développés assez rapidement et impliquent un faible investissement. L’édition s’effectue sur des sites dédiés en ligne qui font fonction de portails de jeux en ligne offrant un très grand nombre de jeux. Les utilisateurs savent où trouver leurs jeux favoris et comment repérer de nouvelles expériences ludiques. Sans la visibilité que confèrent ces portails, il serait très difficile à un nouveau jeu d’en concurrencer d’autres compte tenu du grand nombre de jeux offerts. De fait, le faible niveau d’investissement initial requis, la modicité des ressources à consacrer au développement et à la distribution abaissent les barrières à l’entrée et permettent à de nombreuses sociétés, y compris de petite taille, d’entrer sur ce marché et de développer des jeux. En dépit de la gratuité qui prévaut, ce type de jeu a réussi à s’assurer d’importants revenus réduisant ainsi les risques. De fait, nombre de ces jeux simples prévoient des chiffres impressionnants en termes de nombre d’utilisateurs. Les micro-transactions s’y développent à vive allure. En raison de ces économies d’échelle, même si le revenu par unité d’un bien virtuel est minime voire minimal, la taille du marché (millions d’utilisateurs) le rend attractif. La société européenne Bigpoint [19], par exemple, a construit son modèle d’affaires sur ce type de vente d’articles et la diffusion gratuite de ces jeux. Elle touche désormais 110 millions d’utilisateurs inscrits dont près de 10 % sont désireux de payer de petits montants [20].
20Nombre d’analystes prévoient une croissance continue en part de marché et nombre de titres pour ces jeux. En particulier, l’institut Lightspeed Venture Partners annonce que l’évolution vers les « jeux 2.0 » sera d’abord due à ces jeux plutôt qu’aux jeux de serveurs plus complexes. Les réseaux sociaux seront à la tête de ce processus, tirant le maximum des économies d’échelle d’une base de clientèle en croissance exponentielle.
L’écosystème des jeux client-serveur
21Les MMOGs sont les plus typiques des jeux client-serveur, multi-joueurs, très complexes, qui immergent le joueur dans un monde persistant, offrant des graphismes élaborés, réalistes et développant des personnages sophistiqués. Côté utilisateurs, la communication est intense et s’appuie sur différents outils. Les ressources informatiques impliquées sont considérables comme l’est le temps consacré par le joueur. Ce monde virtuel auquel accède le joueur est impressionnant.
22La distribution prend des formes plus complexes, d’importants portails dédiés sont en charge de la livraison des logiciels appropriés et gèrent l’accès des joueurs en fonction des plates-formes. Les jeux se différencient en fonction de ces plates-formes, tous les jeux les plus connus ne sont pas pour autant disponibles sur toutes les plates-formes principales. À l’inverse, la stratégie des fabricants de consoles a été jusqu’à maintenant de jouer sur cette différenciation. Néanmoins, des efforts ont été faits pour offrir des alternatives aux développeurs de jeux indépendants grâce à des technologies spécifiques de réduction de ces barrières à la distribution, permettant à ces jeux d’être présents partout en ligne.
23Le développement de tels jeux requiert d’importants efforts, sur une longue durée (plusieurs années) et des équipes de forte taille qui vont appliquer des techniques de pointe afin d’améliorer les effets de réalisme, l’intégration des paysages réels, la texture et les graphismes avancés. En particulier dans les couches de « software » (logiciels) et de « middleware » (intergiciels), les moteurs de jeux physiques [21] sont exploités au maximum pour améliorer le rendu et les résultats (de Prato, 2010, 2012).
24Le développement de tels projets d’envergure implique le traitement des problèmes qui résultent de la persistance des mondes virtuels : les résultats de l’interaction en temps réel des joueurs, dans un environnement massivement multi-joueurs, sont difficiles à prévoir rendant nécessaire la création continue de différents cadres de jeu. Une équipe de développeurs doit être mobilisée de façon permanente sur le projet bien après sa sortie officielle, à la différence du développement de logiciels courants où seule est conservée une équipe de maintenance pour « débugger ». De plus, le jeu ne s’« arrête jamais » pour basculer hors-ligne, la gestion des serveurs dédiés intervient pour suivre l’intrigue et la narration telles qu’elles résultent de l’interaction entre joueurs. Les technologies liées au serveur deviennent de plus en plus importantes.
25Comme on peut s’y attendre, le coût de production d’un titre est un multiple élevé de celui d’un jeu de navigateur. Lightspeed Venture Partners évalue le coût de production d’un jeu tel que Halo 3 [22], l’un des succès les plus célèbres des titres conçus pour la Microsoft Xbox, à environ US$ 30 millions (Liew et al., 2008). À l’opposé, la même source donnait un coût de moins d’un million de dollars US pour la production du jeu de navigateur de Zynga, Texas Hold’em. Bien sûr, cette disparité prend en compte les différences de qualité de graphisme, d’intrigue, de complexité, indiquées. Toutefois, on peut souligner que si lors de sa sortie, en 2008, Halo 3 visait 10 millions de joueurs, le titre de Zynga en touchait près de 8 millions. Même si ce dernier titre ne récoltait que de faibles montants par utilisateur, la cible était suffisamment large pour procurer des recettes solides.
26Le premier type n’est en fait que la transposition dans un environnement des jeux de base qui se trouvaient sur les PC et consoles hors ligne. Les jeux coûteux, financés à partir de budgets importants et donnant lieu pour la plupart à des éditions successives, sont appelés jeux AAA. Ce type de jeu réunit un très grand nombre de joueurs lors de la première phase qui suit sa sortie, ce nombre se réduisant progressivement quand l’effort de promotion se ralentit par la suite.
L’évolution rapide du modèle techno-économique
27Une première phase, précédant le développement des jeux en ligne, avait vu des améliorations très rapides de la qualité des jeux (graphismes, réalisme, bande-son, complexité…) rendues possible par l’augmentation parallèle de la puissance des consoles et des PC. Afin d’exploiter les dernières technologies et les capacités de calcul, les grands projets de développements se sont concentrés sur les jeux AAA. Dans la plupart des cas ce sont les éditeurs qui financèrent ces développements. Lorsqu’ils n’étaient pas les agents du produit prédéveloppé, ils intervenaient comme entités financières rendant ainsi possible aux équipes de développeurs et aux studios indépendants de se lancer dans ce type de production. En revanche, ceci restreignait l’espace laissé aux produits autofinancés ou indépendants qui n’impliquaient les éditeurs qu’à des fins de distribution.
Changements dans la distribution des rôles entre acteurs
28La phase précédant le passage aux jeux en ligne a vu l’éditeur devenir l’acteur clé du financement du développement compte tenu de la complexité, et donc du coût des projets (taille des équipes, qualification, durée du processus…). Cette position clé des éditeurs tient à leur rôle d’intermédiaire dans la chaîne de la valeur. Les éditeurs ont la taille et l’expertise pour susciter les recettes, gérer de gros budgets, développer des marques, assurer la commercialisation et le suivi des droits. Le développement rapide des jeux en ligne a permis d’introduire de nouvelles méthodes de distribution et a conduit à réaménager les rôles respectifs des différents acteurs de la chaîne de la valeur, ainsi qu’à modifier la dynamique de l’interaction.
29La partie logistique perd de sa pertinence pour ce segment car les produits informatiques sont reproduits et distribués par le réseau à moindre coût. Ce mode de distribution en ligne affecte donc la chaîne de la valeur organisée antérieurement autour de l’éditeur pour la distribution et le commerce de détail. Une partie significative de l’activité de base liée à ces fonctions s’évanouit, la distribution par le réseau se substituant à la fabrication physique des produits. Une partie de ces activités (la fabrication des boîtes, l’impression des supports électroniques de soutien pour l’utilisateur), une part de l’organisation et de l’infrastructure de distribution, le commerce de détail ainsi que l’inventaire et la gestion des retours a disparu. L’éditeur peut, dans la plupart des cas, diffuser directement sans passer par l’intermédiaire du distributeur ; en conséquence, un processus de désintermédiation se développe qui court-circuite le distributeur.
30Les éditeurs peuvent aussi s’en remettre à un fournisseur de services Internet. Ces acteurs interviennent alors comme agrégateurs de contenus et offrent des portails pour la distribution des jeux, ce qui facilite la promotion et le repérage de nouveaux jeux. Ils collectent des revenus de la publicité et cela ajoute une nouvelle source de revenus aux modèles antérieurs mixtes. Ce rôle des fournisseurs de services relève de la ré-intermédiation. L’ensemble de ces modifications de ce qu’il est convenu d’appeler, de façon sans doute sommaire mais simple, la chaîne de la valeur [23] affecte non seulement les interactions entre acteurs mais aussi le type et le nombre d’acteurs. L’ampleur des changements varie avec le type de jeux. Les caractéristiques des jeux « browser » ont réduit le besoin du support logistique des distributeurs et des détaillants ; des portails et des sites spécialisés qui ont une bonne visibilité y pourvoient. Dans certains cas, les développeurs peuvent s’autoriser à publier directement leurs jeux à base de navigateur directement, court-circuitant les autres étapes. Ce n’est pas forcément le cas des jeux « client-based » dont la complexité et le coût conduit, dans la plupart des cas, à passer par une chaîne plus traditionnelle.
31La figure 1 rend compte de la dynamique de ces modifications dans les interactions entre acteurs, pour les jeux de navigateur (partie de gauche) et les jeux à base de serveurs (partie de droite). Les flèches matérialisent les flux dans cette chaîne et les rectangles indiquent les acteurs et les étapes de la création de valeur. Les dimensions des rectangles varient pour signaler les modifications qualitatives des changements en cours (les plus grands marquent la place croissance de l’acteur dans le processus).
32À gauche, les développeurs ont l’opportunité désormais d’atteindre les consommateurs directement sans passer par l’entremise de l’éditeur. Ainsi, un développeur commercialisant directement auprès du consommateur recevra 5 euros en retour au lieu des 4 euros qui lui reviennent à travers la chaîne de la valeur traditionnelle (éditeurs 26 euros, distributeurs 10 euros et détaillants 10 euros également) [24](EGDF, 2011). Pour autant, le rôle joué par les éditeurs et maintenant par les nouveaux entrants comme les portails et fournisseurs d’accès ne diminue pas forcément, il peut même croître afin de faciliter l’identification des nouveaux jeux et d’offrir l’accès à des catégories spécifiques. Nous avons vu que les réseaux sociaux s’inséraient dans cet espace, ils peuvent même être les distributeurs exclusifs, comme c’est le cas pour les jeux de Zynga sur Facebook. Dans le cas des jeux en ligne sur consoles, ce sont les équipementiers qui peuvent continuer à assurer ce rôle d’intermédiation pour les jeux. Sur la droite, il reste un espace disponible pour distributeurs et détaillants, la nature de ces jeux rendant plus difficile la commercialisation directe.
Des interactions en (re)construction : une comparaison des jeux de navigateur et client-serveur
Des interactions en (re)construction : une comparaison des jeux de navigateur et client-serveur
Les modèles d’affaires
33Dans le cadre que nous venons de présenter, les recettes et les modèles d’affaires doivent changer et ne cesser d’évoluer pour suivre le rythme des produits et services qu’ils accompagnent. De plus, le développement de ces jeux en ligne ouvre très largement la gamme des possibles et les diverses façons d’attirer les consommateurs, ce qui a déjà été noté vis-à-vis des contenus en ligne de façon générale (Leadbeater, 2008). Les modèles alternatifs auxquels font face les utilisateurs en entrant dans l’univers des jeux en ligne sont en fait plutôt différents de ceux auxquels ils étaient habitués. Dans un premier temps, au moins, de l’ère des jeux en ligne, les éditeurs ont tenté d’adapter les « anciens » modèles du monde hors ligne. Dans cet univers, les éditeurs détiennent les droits pour les jeux, et les licences obtenues des développeurs de logiciels ont permis aux éditeurs et fabricants de consoles (souvent les mêmes comme indiqué dans le cas de Sony, Nintendo, Microsoft) de prospérer. Les derniers pouvaient même envisager des ventes à perte à l’unité de leurs consoles pendant que les nouveaux titres étaient pré-vendus aux éditeurs. Un nouveau titre devait en général atteindre l’équilibre financier lors des premiers mois de sa sortie après la commercialisation de quelques centaines de milliers d’exemplaires.
34Les jeux en ligne autorisent l’éclosion de nouvelles sources de revenus. L’Idate prévoit qu’en 2011 près de 40 % du chiffre d’affaires de l’industrie proviendra de la distribution en ligne ou sera généré par des pratiques en ligne (vente d’articles) (Idate, 2011). La vente de biens virtuels a vu le jour d’abord en Asie, en particulier en Corée du Sud, dans ce domaine des jeux vidéo notamment, mais pas seulement, pour tenter de résoudre des problèmes de piraterie chronique (Wi, 2009), en développant de nouvelles formes de recettes non susceptibles d’être affectées par ces détournements. La société chinoise Tencent a collecté 1,4 milliard de US $ de recettes de la vente de tels biens virtuels (In-Stat, 2010c) en 2009. Les biens virtuels sont des actifs numériques qui peuvent être achetés, gagnés ou reçus par l’intermédiaire d’un réseau social ou d’un univers en ligne [25] (In-Stat, 2010b). Le même institut prévoit que le total des recettes des biens virtuels dépassera les 14 milliards de dollars en 2014 : Zynga est en tête avec déjà 364 millions US $ de chiffre d’affaires en 2010. La première société européenne de ce classement, Bigpoint, est en cinquième position avec près de 55 millions de ce type de recettes.
35Ces articles virtuels permettent aux joueurs d’acquérir des composants numériques individuels tels que de la monnaie virtuelle, des articles, des personnages (avatars) et toute forme de biens dans le jeu qui ne font pas partie à proprement parler du jeu. Cet achat d’articles virtuels est en général associé à des jeux qui fournissent des univers permanents et la possibilité de construire/renforcer des personnages. Les jeux offerts par Zynga permettent d’acheter des tracteurs (pour Farmville), des chevaux (pour FrontierVille), des jetons de poker (Zynga poker), voire des avions virtuels (Empire & Allies) soit à partir d’argent virtuel (les « zcoins » ou les crédits de Facebook) en tout ou partie (nominal lié à des campagnes de publicité). Zynga annonce qu’en juin 2011 ses utilisateurs créaient plus de 3 milliards de biens virtuels… par jour [26].
36Ce sont les MMOGs qui sont toutefois les plus propices pour ce type de monétarisation. En revanche, ils ne sont pas adaptés à ceux des MMOGs qui requièrent encore que leurs utilisateurs règlent des abonnements mensuels, mais plutôt à ceux qui autorisent l’accès gratuit, lesdits Lite MMOGs.
37Ce modèle confère une souplesse laissant le champ libre aux producteurs et éditeurs créatifs. En fait, presque chaque article est susceptible d’être vendu de la sorte. Ainsi, non seulement, de la monnaie virtuelle est vendue mais aussi les « pouvoirs » ou d’autres attributs d’un personnage ainsi que les produits résultant de l’enrichissement de l’expérience de jeu du consommateur : son, scénario, texture, tout ce qui peut être dès lors transformé en un article virtuel.
38Du côté de la demande, les utilisateurs sont rassurés par la gratuité (free-to-play) du produit principal. Moins préoccupés par le coût de la surconsommation, ils sont plus enclins à payer de petits montants pour ces articles numériques destinés à améliorer leur expérience de jeu, la partager avec d’autres, une fois qu’ils sont familiarisés avec le jeu et qu’ils l’apprécient suffisamment pour songer à l’améliorer en payant.
39Du côté de l’offre, les éditeurs sont d’autant plus enclins à adopter ces articles virtuels qu’il existe un énorme écart en termes de durée de vie des ventes entre la commercialisation continue de ces biens et la vente du jeu lui-même. En effet, les premiers ont une durée de vie nettement supérieure pour les ventes, soit un avantage important pour le vendeur. Tel article virtuel pourra être commercialisé quelques années alors que la durée de vie effective d’un jeu standard se réduit à quelques mois.
40Les éditeurs occidentaux ont rejoint leurs collègues orientaux en adoptant ce modèle de micro-transaction, plaçant la vente de ces articles virtuels au centre de leur modèle de monétarisation. Les utilisateurs américains et européens sont maintenant à l’aise pour l’acquisition de ces contenus numériques selon le rapport du cabinet DFC Intelligence (2010a), le modèle de l’article numérique virtuel a été adopté notamment en raison de la popularité des réseaux sociaux et de leur mode de diffusion viral (DFC Intelligence, 2010b). Les jeux sur les réseaux sociaux tels que Farmville de Zynga, Free Realms de Sony Online Entertainment et Combat Arms de Nexon ont su attirer des millions d’utilisateurs tout en se monétisant à partir de bien virtuels. En Europe, outre BigPoint déjà cité, Gameforge a déployé avec Metin2 le plus important jeu multi-joueurs en ligne d’Europe.
41DFC prévoit un marché en 2015 pour les Lite MMOGs atteignant 3 milliards de dollars US pour l’Amérique du Nord et l’Europe. L’Asie, principal moteur de cette croissance, continuera à dominer ce marché des biens virtuels dans le futur proche, même si sa part relative peut être amenée à décroître [27].
42Deux processus simultanés interviennent pour suivre les effets de ces évolutions de modèles d’affaires sur la répartition des recettes entre les acteurs. D’un côté, ils s’intègrent dans la transformation des produits numériques en service, de l’autre les processus de désintermédiation/ré-intermédiation présentés les affectent. La place des distributeurs et détaillants va décroître, offrant une opportunité pour les développeurs et éditeurs d’accroître la leur, celle des premiers étant faible surtout en Europe. De plus, on constate l’arrivée de nouveaux acteurs comme les fournisseurs d’accès, les portails et les réseaux sociaux, ainsi que des fournisseurs d’équipements (Apple, Nokia…).
43Ces changements sont représentés par la figure 2 selon l’axe vertical des segments de la valeur. Ils doivent être combinés avec les modifications qui doivent intervenir également le long de l’axe horizontal du schéma qui décline les différentes sources de recettes (source principale, source secondaire et recettes additionnelles). Les recettes de détail se réduisent en raison du rôle de la distribution gratuite. Cette réduction s’accompagne d’une forte croissance des recettes provenant des applications à valeur ajoutée. Celles-ci comportent la facturation en temps réel pour les abonnements, la facturation d’événements (abonnement à un concert, un show, une représentation vidéo à travers le jeu) ou la facturation par article (par exemple pour l’acquisition d’une pièce d’armement supplémentaire). La dynamique est à percevoir comme un effet d’accordéon sur ce schéma. Les ventes de biens et les extensions des jeux sont amenées à représenter l’essentiel du chiffre d’affaires sur un marché défini par les micro-transactions, laissant toutefois un espace aux revenus publicitaires. Le succès des jeux en ligne, mais tout aussi bien des jeux sur mobile, est corrélé à l’apparition de ces modèles d’affaires ajustables et consolidés. Cependant, il reste difficile de prédire quel sera le modèle qui aura le plus de succès et quand il se mettra en place. On notera enfin que ces nouveaux modèles technico-économiques traitent le consommateur à la fois comme un usager, un créateur de contenus et une source d’inspiration.
Des modèles d’affaires en (re)construction
Des modèles d’affaires en (re)construction
Conclusion
44Les sections précédentes ont montré les changements drastiques qui ont lieu dans l’univers des jeux vidéo. Des pans entiers disparaissent (logistique de distribution physique) ou adoptent des formes nouvelles. L’univers des jeux vidéo était dominé par deux modèles intégrés, l’un autour de l’éditeur (développement, propriété intellectuelle, édition stricto sensu et distribution) pour les produits en boîtes, l’autre centré autour de la console avec un recoupement et une intégration autour des trois principaux acteurs. Les tendances présentées dans ces lignes esquissent un univers bien plus complexe non seulement en raison des processus de désintermédiation et de réintermédiation, mais aussi en raison des modèles autres apportés par les acteurs internes ou externes.
45Malgré les spécificités que nous venons de décrire, les jeux en ligne partagent le même destin que nombre d’autres segments des industries créatives. De fait, tous les contenus multimédia sont en train de passer de produits physiques à une forme ou une autre de services (Stenros et al., 2010). Quitter le produit physique ouvre clairement des opportunités d’offrir des services additionnels. Cette évolution affecte logiquement l’organisation de la production, la répartition des recettes et les modèles d’affaires.
46Dans un univers caractérisé par de fortes économies d’échelle, en évoluant de la seule sphère du loisir vers les univers virtuels persistants, le segment des jeux vidéo en ligne contribue à créer un marché en ligne pour les activités économiques, à modifier pour partie les industries des médias apportant aussi des modèles d’affaires nouveaux. Les jeux en ligne n’interviennent pas seulement à travers l’innovation technologique qu’ils portent mais aussi en raison de l’interaction croissante avec les autres secteurs des médias [28]. Il est donc probable que cette jeune industrie joue un rôle important dans la mutation des industries culturelles vers des formes de loisirs dits immersifs [29].
Bibliographie
Références
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- WI, JONG H. (2009), Innovation and Strategy of Online Games, Imperial College Press.
Notes
-
[1]
Le point de vue exprimé est celui de son auteur et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant une position officielle de la Commission européenne.
-
[2]
Cf. la contribution de Jean-Paul Simon dans ce numéro pour l’économie globale du secteur.
-
[3]
Cf. la contribution de Claudio Feijóo et José Luis Gómez-Barroso dans ce numéro sur l’autre secteur de fort développement des jeux vidéo, les jeux sur mobiles.
-
[4]
L’auteur remercie son collègue Jean-Paul Simon d’avoir accepté de traduire cette contribution.
-
[5]
Ultima Online est le premier jeu en ligne dit multi-joueurs, rendu disponible en septembre 1997, mais c’est Everquest qui a véritablement suscité l’engouement dès 1999 (Lafrance, 2012).
-
[6]
Ces aspects sont présentés dans le rapport qui a servi de base à cet article (De Prato et al., 2010). Dans cet article, ils ont été omis dans la mesure où ils font l’objet d’un article spécifique de cette livraison.
-
[7]
Trois catégories principales : PC, consoles et mobiles. La perspective est proche de celle adoptée par les principales sociétés de conseil et d’analyse de marchés qui offrent des données sur le secteur et sur lesquelles cette recherche s’est largement appuyée ; cf. les références dans la bibliographie.
-
[8]
“An interactive kind of mediated entertainment”.
-
[9]
Souvent appelés “casual games” en raison de leur facilité d’usage (apprentissage, accès et jeu) quel que soit le genre.
-
[10]
Ce site chinois a dépassé Facebook atteignant 637 millions de visiteurs mensuels actifs en 2010.
-
[11]
« Zynga et Facebook : une relation complexe », Lemonde.fr du 19 juillet 2011. Cf. aussi www.appdata.com.
-
[12]
« Development Leader Board », www.appdata.com, consulté le 20 août 2011.
-
[13]
« Social Gaming Roundup: Game Awards, Acquisitions, Lawsuits & More », 2011, http://www.insidesocialgames.com/, consulté le 20 août 2011.
-
[14]
Néologisme anglais fondé sur le « user generated content » (UGC) qui a fait florès suite au développement de ce type de contenus sur YouTube.
-
[15]
Document fourni à l’agence américaine de contrôle des opérations boursières, la SEC, pour la mise en bourse, http://sec.gov/Archives/edgar/data/1439404/000119312511180285/ds1.htm.
-
[16]
Alexa mesure la popularité des sites web et calcule leur classement à partir d’une combinaison de la moyenne des visiteurs quotidiens et des pages consultées en fonction du trafic des trois derniers mois (www.alexa.com).
- [17]
-
[18]
Pour une présentation plus détaillée du software mais aussi d’un élément informatique très important pour la production de ces jeux, le middleware (intergiciel), cf. de Prato (2012).
-
[19]
La société allemande de « browser games » a été classée par le cabinet Deloitte, avec une autre société allemande de jeux identique comme l’une des plus fortes croissances du secteur des technologies de l’information. Source : http://www.deloitte.com/view/de_DE/de/branchen/article/5bcc6816ec574210VgnVCM100000ba42f00aRCRD.htm.
-
[20]
Source : Bigpoint.
-
[21]
Ce sont des moteurs de jeux (simulation dynamique) qui créent des interactions entre les objets ou les autres personnages en temps réel. Ils permettent d’offrir la gestion d’effets tels que la masse, la vélocité et la résistance au vent.
-
[22]
Accessible à travers le portail Microsoft Xbox Live Arcade.
-
[23]
Cet article s’appuie sur le rapport de recherche de l’IPTS (De Prato et al., 2010). Les rapports de l’institut qui a pour mission de fournir des données pour la Commission européenne sont des monographies industrielles qui présentent le poids du secteur et de ses acteurs, résumés à des fins didactiques sous la forme simplifiée d’une chaîne de la valeur, la valeur ajoutée et la place de l’industrie européenne sur le marché mondial. Sur les évolutions de la chaîne de la valeur dans les industries créatives des contenus, cf. Mateos-Garcia (2008) dans un autre rapport de l’IPTS.
-
[24]
Dans le cas des jeux sur mobile, il recevra 10 euros, le distributeur en conservant 15.
-
[25]
En anglais SNOW : social networking site or online world.
-
[26]
Document remis à l’autorité boursière américaine.
-
[27]
Passant de 61 % à 50 % en 2014, In-Stat (2011).
-
[28]
Depuis 2006, la PlayStation 3 de Sony peut utiliser des DVD et des disques Blu-Ray. Microsoft a adopté le format HD-DVD en l’intégrant dans sa Xbox 360. L’attitude des principaux acteurs du jeu devient un paramètre important pour l’évolution de l’industrie cinématographique (De Vrinck, 2011).
-
[29]
Une évolution rendue également possible par la rapidité de l’équipement en numérique des salles de cinéma et l’adoption des écrans 3D : dans l’Union européenne, 80 % des écrans numériques sont des écrans 3D. Soit 30 % du total des écrans en Europe, contre 40 % pour les États-Unis. Source : MEDIA Salles, European Audiovisual Observatory, 2011.