Notes
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[1]
En effet, l’auteur nous apprend que « les rédactions marquaient une certaine réserve à l’égard de ces réactions dont il est impossible de situer la représentativité. « Ceux qui écrivent sont une minorité sans doute atypique, radicale, peu conforme à l’état de l’opinion ou des lecteurs », remarque la grande majorité des journalistes. Il n’empêche qu’un mouvement s’observe partout en Europe qui voit se renforcer et s’élargir les formes d’expression et de relations directes entre les journaux et les lecteurs » (Charon, 1996, p. 51).
- [2]
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[3]
Cette enquête bénéficie du soutien de l’ANR (ANR-08-COMM-039).
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[4]
À tel point que Mediapart est l’objet d’une édition participative compilant une série d’articles et de liens éclairant le site, son fonctionnement et sa communauté : http://www.mediapart.fr/club/edition/meta-mediapart
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[5]
Nous remercions les personnes qui ont réagi aux versions antérieures de ce texte, notamment les participants du séminaire SRM (LISST).
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[8]
Précisons au passage que le dispositif permet d’autres formes de régulation « clandestines », comme les messages privés directement adressés à l’abonné concerné par le journaliste ou la suppression de message (celle-ci n’étant quasiment jamais utilisée). La discrétion de ces formes de régulation est d’ailleurs relativement précaire puisqu’elles peuvent être reprises voire dénoncées dans l’espace public, comme en témoigne cet extrait d’entretien avec un journaliste : « […] alors parfois si on va parler d’un internaute enfin d’un abonné qui va nous faire chier, qu’est-ce qu’on fait, comment est-ce qu’on l’arrête, il pollue tel ou tel, alors voilà il y a des trucs bon ben Vincent nous dit vous inquiétez pas ce genre de type dans trois mois il sera lassé et puis voilà, on laisse comme ça on régule régulièrement ce qu’il dit mais si on commence par supprimer son billet cela partira sur internet “censure sur Mediapart” donc il faut faire attention aussi au viral par rapport à ça. »
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[9]
Cette sélection se fait depuis quelques mois sur la base des contributions les plus recommandées.
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[10]
Une dizaine d’entretiens ont été menés, à titre exploratoire, avec des lecteurs-abonnés de ce site dans le cadre d’une enquête menée avec Karolina Sweederek que nous remercions ici.
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[11]
Dans un premier temps seulement : dans la suite du fil, cette abonnée entreprend en effet de répondre aux autres commentaires, preuve qu’elle les a lus.
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[12]
« Developed in the seminal American studies of the 1950s (White, 1950 ; Carter, 1958), a gatekeeper is an individual who filters out and disregards unwanted, unintersting and/or unimportant information or stories and attends to information of more import » (Franklin & Co, p. 92).
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[13]
Cf. le point de vue de cette même journaliste : « […] À part des gens qui vont faire des synthèses de leurs études, des gens qui sont des chercheurs et qui vont faire des synthèses de leurs recherches, réaction à une actualité un peu immédiate, on n’est plus sur le mode du subjectif, même si on ne dit pas “je”, mais en tout cas c’est “j’ai vu”, “je ne supporte pas” alors que quand on passe dans le journal ben là on est plus sur l’enquête, sur les liens, sur les prolongements, sur les chiffres. »
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[14]
Échanges réparateurs et ripostes qui se traduisent le plus souvent par la défense du travail réalisé par le journaliste lui-même. Celui-ci le réhabilite en quelque sorte à ses yeux et aux yeux du public susceptible de lire son expertise. Il réimpose aux abonnés – et à ses collègues/sa hiérarchie – une image du journalisme pratiqué qui le satisfait, en reprécisant la qualité d’un travail que l’abonné a mis en cause par ses remarques. Cette posture, classique, engage le journaliste, nous l’avons dit, à rapprocher les pratiques décriées des règles du métier, et à les dissocier à l’inverse d’un journalisme amateur pratiqué par les non-professionnels. Il s’agit, pour le journaliste, de montrer qu’il ne s’écarte pas d’un modèle référent.
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[15]
Si cette volonté de justification et d’entretien du dialogue avec les lecteurs-abonnés se manifeste clairement durant la phase de lancement du site, il semble qu’une certaine redondance critique – à la fois dans les arguments convoqués et les abonnés qui les portent –, ainsi que la nécessité de se protéger de l’exposition permanente dont ils font l’objet dans les fils de discussion (Datchary, 2010), entraîne une moindre implication dans la justification et une lassitude des journalistes dans l’effort de requalification constante de leur pratique ou dans la mise en œuvre de stratégie discursive ad hoc pour valider leur mode de fonctionnement professionnel.
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[16]
Une stratégie possible pour le journaliste consiste de manière symétrique à identifier ce qui est extérieur au cadre fixé : il procède alors à une délimitation par défaut – ce que le journalisme n’est pas. Par exemple, même si le journalisme se construit sur l’apport de preuves factuelles, une distinction est ici opérée entre le travail du professionnel et une « recherche scientifique ».
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[17]
Le premier est spécialisé dans un domaine de compétence identifié par une institution ou une communauté savante dont la plus prestigieuse reste l’université. Cette parcellisation des connaissances requiert l’intervention d’experts attitrés (le journaliste y a constamment recours). Le second est une vieille connaissance du journaliste. Il ne se définit ni par une profession, ni par un savoir, mais par une cause à défendre dans laquelle il veut enrôler la presse (il n’existe qu’à travers les médias) (Spitéri, 2004, pp. 245-269).
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[18]
Sur ce point qui traduit la flexibilité fonctionnelle et la capacité à gérer les situations de dispersion dont doivent faire preuve les journalistes, nous renvoyons à Datchary (2010).
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[19]
Ces derniers nous expliquent que le travail numérique occasionne des tâches supplémentaires, « network » (tout ce qui touche à l’entretien du réseau), « technology work » (maîtrise des différentes technologies) et « boundary work » (gérer l’entrelacement du travail et du hors-travail et sa disponibilité envers ses différents collègues et projets, puisque la distance physique ne suffit plus à marquer la frontière)
1Les difficultés qu’éprouvent les journalistes à revendiquer un savoir-faire professionnel unifié et unifiant sont bien connues. Dans la littérature, ce flou identitaire, caractéristique de la figure du journaliste, semble autant présenté comme une contrainte que comme une chance, puisqu’il permet aux professionnels de plier les cadres de leur fonction sans jamais les rompre (Ruellan, 1992).
2Le développement du web 2.0 rend possible la participation des internautes à la production de l’information. Cette participation accompagne, semble-t-il, une « démocratisation du journalisme » et son corollaire : la contestation d’une expertise (sélection et traduction de l’information) propre à cette profession. Le public aurait en effet acquis les moyens, via ce média, de s’autonomiser et même de contourner les journalistes professionnels. On parle alors de « journalisme ordinaire », de « journalisme citoyen » ou encore de « journalisme participatif » pour qualifier ce phénomène. L’avènement d’une audience active contraint les journalistes à composer avec un lecteur plus consistant, loin d’une simple représentation projetée. Certes, les journaux n’ont pas attendu internet pour se préoccuper de la relation au lecteur et d’une possible participation ascendante du public à ces sélection, hiérarchisation et diffusion de l’information : le « courrier des lecteurs », comme manifestation de cette – prudente [1] – préoccupation, en témoigne (Charon, 1996, p. 51). L’avènement d’un journalisme participatif semble néanmoins s’inscrire au croisement d’une double transformation concomitante plus récente : celle, technique, induite par internet (avec l’avènement du web 2.0) et celle, plus idéologique, qui promeut et tire parti d’une plus grande autonomie et créativité, qu’elle soit le fait de salariés (Boltanski, Chiapello, 1999) ou de clients (Dujarier, 2008).
3Cette double transformation invite également à considérer comment la prolifération des échanges entre journalistes et lecteurs, rendue possible par cette participation ascendante engage les acteurs à réfléchir à la pratique du journalisme et à en redessiner les contours. En d’autres termes, ces transformations invitent les acteurs, notamment les journalistes, à tracer les contours de la pratique, à la redimensionner, à affirmer et raffermir les frontières d’une profession, alors même que les mutations actuelles pourraient la mettre en danger.
4Nous proposons, dans ce travail, de prendre appui sur le site journalistique Mediapart pour observer comment s’opèrent à la fois ce contournement du journalisme professionnel et ce réajustement des contours par les journalistes et les lecteurs-contributeurs abonnés à ce site. Mediapart [2] est un site d’informations généralistes en ligne lancé en mars 2008. Il combine les fonctionnalités des journaux en ligne classique avec des outils communautaires collaboratifs et invite le lecteur-adhérent à commenter, échanger, rédiger – ce dernier devenant ainsi co-auteur et co-producteur de l’information. Conformément à l’image que renvoie la notion de « journalisme participatif », le journal fonde ainsi sa démarche sur la figure d’un lecteur/contributeur qui participe activement au travail de rédaction du journal, loin d’une image de récepteur passif des contenus médiatiques associée à la théorie des effets forts. Mais si les soubassements politique et économique du projet Mediapart s’inscrivent dans le cadre de ce journalisme participatif, ils viennent également en repenser les pourtours. Là où un site comme AgoraVox inclut la production de citoyens tout en acceptant une posture journalistique plus modeste (Singer, 2003), Mediapart repose sur des figures du journaliste et du lecteur revalorisées. L’adoption d’un modèle économique singulier, basé sur un abonnement payant sans publicité, durcit la question de savoir comment concilier « journalisme participatif » d’un côté et affirmation identitaire d’un journalisme professionnel (savoirs/savoir-faire) de l’autre. Par son attachement historique à un journalisme académique, la volonté manifestée par les fondateurs de construire le projet du site sur une critique des dérives de ce journalisme, l’identité des membres de la communauté, la réflexivité dont ils font preuve, ou encore l’engagement des lecteurs-contributeurs au nom de leur abonnement, Mediapart apparaît comme un espace de débat sur les frontières de la profession idéal pour traiter ces contournement et redimensionnement des frontières du journalisme.
5Nous suivons Mediapart depuis un an et demi en empruntant à diverses méthodes : analyse de contenu du site, tracking de l’activité des journalistes, observation in situ de cette même activité et entretiens auprès des lecteurs-abonnés. Les données récoltées sont issues de la première phase d’une enquête en cours [3]. Dans le cadre de cet article, nous avons fait le choix de centrer notre réflexion sur l’analyse de contenu et plus précisément sur deux fils de discussion choisis pour les raisons suivantes : d’une part, ils regroupent, à eux deux, les thèmes récurrents que nous avons pu relever dans les différents fils de discussion analysés. D’autre part, ils nous permettent d’aborder la question des différents formats de contribution sur Mediapart puisqu’il s’agit, pour le premier, d’un fil de discussion suite à un article politique et, pour le second, de commentaires suivant un billet de blog publié par une journaliste. Le choix d’une démarche s’apparentant à de l’ethnographie en ligne, tient à la réflexivité dont font preuve les acteurs engagés dans ces discussions. Cette réflexivité sur la nature des contributions de chacun, mais aussi sur la spécificité ou la porosité des frontières entre savoir-faire experts et profanes est telle qu’elle nous invite à passer d’une sociologie critique à une sociologie de la critique (Boltanski, 1990). En d’autres termes, les abonnés se révèlent être suffisamment réflexifs pour que l’enquêteur n’ait pas à s’attribuer les mérites de la réflexion et de la critique [4]. En outre, recourir à deux fils de discussion clairement identifiés présente l’avantage de permettre au lecteur de s’y reporter et donc d’accéder à la totalité du matériau utilisé via les url infra.
L’article qui précède le premier fil de discussion aborde un sujet polémique [Extrait du fil de discussion 1], l’un de ceux qui génèrent en règle générale le plus grand nombre de réactions et commentaires : la politique intérieure nationale et, notamment, le positionnement du parti socialiste et de ses représentants. Les premières réactions, suite à ce papier, abordent ainsi le sujet même de l’article et non pas la manière dont il est traité par le journaliste. Puis, la question des figures du journaliste et du lecteur émerge et occupe une place non négligeable dans ce fil sous la forme d’une digression qui n’en est pas une. Elle n’en est pas une puisqu’elle intervient régulièrement dans les fils de discussion ; à tel point qu’on en vient à penser que le principal sujet traité par Mediapart est le journalisme et l’animation d’un espace public habité par des professionnels de la publicisation et des citoyens.
Article du journal – Le PS cherche comment limiter la casse aux élections européennes.
31 commentaires
Article publié le 17 décembre 2009
Commentaires :
17 décembre : 25 commentaires
18 : 5
24 : 1
Journaliste(s) (l’auteur de l’article). Intervient 5 fois.
Lecteurs-clients intervenants : 19 qui interviennent de 1 à 6 fois.
6Le second fil de discussion suit le billet paru sur le blog de Sophie Dufau [Extrait du fil de discussion 2], membre du comité de rédaction et ancienne du quotidien Libération, qui aborde le conflit opposant ce journal à une de ses salariées : Florence Cousin, en grève de la faim depuis plusieurs jours dans le hall du journal. Cette information n’avait été relayée dans Mediapart jusque-là que par le biais de billets de lecteurs. Dans le fil de discussion, les lecteurs réagissent à la fois à l’affaire elle-même (certains d’entre eux étant personnellement impliqués dans le comité de soutien de Florence Cousin) et au billet de blog, son contenu (argumentation de l’auteur), mais aussi son genre (différences avec le format article).
Fil de discussion 2
Billet de blog – Un malaise, pas seulement dans le hall de Libération.
153 commentaires :
Billet publié le 5 mars 2009
5 mars: 64 commentaires
6 : 32
7 : 17
8 : 25
9 : 6
12 : 2
20 : 1
28 : 1
42 intervenants différents (participations de 1 à 16)
Journaliste(s) (l’auteur de l’article). Intervient 1 fois.
Lecteurs-clients : 41 qui interviennent de 1 à 6 fois.
7Nous proposons ici d’appréhender ces contournements du journalisme professionnel en opérant une double focale sur la concrétisation technique du projet politique qui sous-tend Mediapart et les échanges entre journalistes et abonnés. L’examen de la plate-forme du site nous permettra, dans un premier temps, de voir comment cette dernière performe les pratiques et les identités, tout en restant attentifs aux signes de résistance manifestés par les usagers à ces injonctions techniques (partie 1). À travers les seconds, nous verrons dans un deuxième temps à la fois comment la formulation d’une critique de l’expertise des journalistes procède de la convocation de figures plurielles (clients, citoyens, identités pertinentes selon la thématique traitée) et comment, de son côté, le journaliste compose avec ces critiques pour repenser ses pratiques et rétablir une distance entre professionnel et amateur (partie 2) [5].
La construction technique d’une double figure
Renouveler le pacte entre lecteurs et journalistes
8Nous l’avons dit, la création de Mediapart repose sur l’engagement d’une équipe dirigeante soucieuse de s’extraire d’une dynamique et de pratiques propres au journalisme contemporain. Il est possible de préciser ce positionnement politique en se référant à la « déclaration d’intention » mise en ligne le 2 décembre 2007 lors du lancement du pré-site.
9Le point de départ de ce projet traduit ainsi le rejet d’un modèle économique basé sur la ressource publicitaire, modèle jugé pernicieux du point de vue de la profession, pour adopter celui de l’adhésion payante, « seul moyen de garantir au lecteur qualité éditoriale et indépendance véritable ». Aux antipodes d’un journalisme web souvent dévalorisé, le travail effectué ici s’affirme en référence à la figure idéale du journalisme détaché des enjeux économico-politiques. Libéré de la publicité, bras armé du pouvoir économique, le journalisme revendique son entière autonomie (Mercier, 2003) – soit l’une des dimensions les plus importantes d’un « journalisme professionnel » (Rieffel, 1992). Pour permettre cette autonomie, les fondateurs du site valorisent une nouvelle forme d’attachement, celle qui les lie à une clientèle captive. La justification du coût d’un tel abonnement, amène les fondateurs du site à valoriser la qualité des futurs contenus en précisant encore davantage leur manière de concevoir la profession : « Nous revendiquons un “journalisme debout” qui, se déplaçant, enquêtant, interrogeant, vérifiant, cherche dans le monde réel les informations qui font sens et preuve ». La clientèle montre, par son engagement financier, son attachement à une information libre, d’investigation, se distinguant positivement de l’offre journalistique que l’on trouve ailleurs, et notamment gratuitement sur le web. Dès lors, ce n’est plus tant la recherche du scoop et de l’immédiateté qui prévaut, que celle d’enquête et d’investigation assurant une information fiable de qualité. Ainsi, parce qu’il cultive un élitisme symétrique, d’aucuns qualifient ce projet de « nostalgique ». La formule suivante tirée de la charte de participation Mediapart, alimente ce discours : « Le club de Mediapart entend s’inscrire dans la tradition des clubs où fut énoncé et discuté l’idéal démocratique »… une formule qui semble redonner de la consistance au principe de publicité des débats, tel qu’il fut pensé et pratiqué au dix-huitième siècle pour s’opposer à la tyrannie du prince (Habermas, 1993).
Parmi les différents engagements affichés dans cette déclaration, le quatrième porte spécifiquement sur le lien entre journalistes et lecteurs ainsi que sur la co-construction relationnelle rendue possible par les innovations techniques du site, ses « outils et [ses] services coopératifs en ligne ».
10Le vœu formulé de « refonder dans la clarté les relations entre lecteurs et journalistes » figure au cœur du projet Mediapart. Il se traduit par des échanges discursifs réguliers, notamment dans le cadre des fils de discussion, mais aussi par l’aménagement technique d’une plate-forme qui doit tout à la fois rendre possible ce lien, et stabiliser une « place », un « rôle », une « fonction » à chacun. Cette plate-forme Mediapart, contrairement à la présentation choisie par les concurrents web, se découpe dès la page d’accueil en deux principales parties : le journal proprement dit et le Club dans lequel cohabitent journalistes professionnels et abonnés. Dans le cadre du journal, la participation des lecteurs-abonnés prend la forme de commentaires : parce qu’elle engage les lecteurs-contributeurs à commenter les articles publiés, la plate-forme technique Mediapart assure la distribution d’une expertise qui n’est plus la seule propriété du professionnel. Bien sûr, l’article reste dissocié des commentaires qu’il impulse, mais la synchronie ou proximité temporelle de sa publication avec les réactions qu’il suscite forme un tout auquel accède le public.
11Alors même que la possibilité de rédiger des commentaires suite à la publication d’articles est partagée par un grand nombre de sites, Mediapart singularise son « participatif » en proposant également aux lecteurs-contributeurs, via son Club, une tribune pour afficher et rendre publiques leurs propres productions. L’édition participative est le premier de ces espaces. « Les éditions participatives sont des journaux thématiques collectifs. Tous les adhérents peuvent demander la création d’une édition participative sur une thématique, une région, une ville ou un pays [7]. » Le coordinateur d’une édition (qui peut être également son créateur) s’octroie un double rôle : accepter des contributeurs potentiels et réguler, a posteriori, les contributions. « A posteriori » seulement puisqu’il ne peut intervenir avant que le papier n’ait été mis en ligne.
12Sur les blogs, la démarche est plus personnelle encore : chacun a la parole et peut introduire un papier sérieux ou non, expert ou non. Dans cet espace, on peut dire une chose et son contraire, sans chercher théoriquement à justifier d’une quelconque expertise ou véracité des propos tenus ou des sources mobilisées. Ce journalisme « citoyen » ou « amateur » qualifie généralement la production de ces blogs. L’ambition est communautaire : elle vise à créer un collectif dans lequel chacun a droit à la parole et peut s’accorder le droit de procéder à sa propre sélection et hiérarchisation de l’information.
13Pour être complets, précisons que le lecteur dispose d’autres fonctionnalités, comme les messages privés, l’ajout de personnes à sa liste de contacts ou d’articles à ses favoris, la possibilité de recommander une contribution, etc.
L’architecture du site, parce qu’elle est fondée sur la césure entre « journal » et « Club », assure une ségrégation spatiale qui joue un premier rôle indéniable dans la distribution de l’expertise et de la légitimité : les lecteurs ne peuvent se mettre « à la place du journaliste » – et inversement – que dans des espaces singuliers, balisés comme tels (éditions participatives et blogs).
Une plate-forme clivante
14La technique assure le clivage à un autre niveau : si la plate-forme permet aux abonnés de faire entendre leur voix, celle-ci n’a pas la même tonalité, ou plutôt pas la même couleur. Aussi anecdotique que cela puisse paraître, le nom des journalistes de Mediapart est inscrit en marron alors que celui des abonnés l’est en bleu. D’un simple coup d’œil, le journaliste de Mediapart est donc clairement identifié. Évidemment, les usagers peuvent déborder les limites inscrites dans le dispositif. Du moins, cette hypothèse est la plus probable du côté des journalistes puisque l’on ne peut exclure la possibilité que l’un d’entre eux, pour les besoins de la régulation, emprunte un autre pseudonyme et se transforme en abonné lambda, doté d’une couleur moins stigmatisante. Un tel basculement lui permettrait en effet non seulement de ne pas engager sa « face » et de moins s’exposer professionnellement, mais aussi d’intervenir de manière plus légitime dans certains dialogues [8].
15Le changement de couleur peut aussi jouer à l’inverse et témoigner d’une forme de promotion interne : certains abonnés sont ainsi propulsés « journalistes officiels » à la faveur d’un article publié dans la partie « journal » et changent de couleur (ou du moins possèdent un double de leur compte « recolorisé »). Le journal officiel reste interdit aux « bleus » : pour y écrire il faut montrer une signature marron, être identifié comme un journaliste statutaire de Mediapart. Ce changement de couleur reste rare et, pour la quasi-totalité des lecteurs, participer à la rédaction du journal demeure impossible.
16Plus clivant encore, seul l’accès au « journal » est payant, la consultation des écrits du Club étant gratuite. Ce qui ne laisse plus de doute sur l’espace réservé à l’expertise, seule lecture réputée à l’origine d’une véritable valeur ajoutée (pour écrire, il faut être abonné). D’ailleurs, c’est dans l’espace du journal qu’est le plus affirmée et recherchée l’expertise journalistique. C’est ici que se formulent les critiques à l’encontre d’un écart à la pratique idéale du journalisme (détachée d’impératifs économiques, prendre le temps de l’investigation…) revendiquée sur Mediapart. Le journal reste donc ici une affaire de journalistes, et cet espace n’est pas « contaminé » par une production profane ou amateur, autre bien sûr que les seuls commentaires post-articles. Ces derniers, d’ailleurs, ne sont pas directement lisibles à la suite de l’article : non seulement il faut cliquer sur un autre onglet pour les faire apparaître, mais lorsque l’on imprime ou que l’on fait suivre un article, ils n’apparaissent pas non plus.
Lorsque l’on accède à la page d’accueil de Mediapart, la plus grande partie est consacrée au journal. Sur une colonne de droite apparaît une sélection des billets de blogs ou d’éditions participatives faite par la rédaction du journal. En bas de cette colonne, un espace est réservé aux billets du Club les plus commentés [9]. Certains abonnés ne se risquent jamais dans la partie « édition » et les rares fois où ils le font, ce ne sont que de brèves incursions à partir de cette sélection. Parfois, les journalistes renvoient à ce type de contribution dans leurs commentaires suite à un article ou encore dans la rubrique « prolonger ». Il n’est pas rare de retrouver, parmi la sélection du Club, des contributions faites par d’autres journalistes, des universitaires ou des personnalités politiques notamment. En dehors de ces moyens de promotion spatiale, largement contrôlés par la rédaction, il est très difficile pour un abonné de rendre visible sa contribution au-delà du cercle de ses propres contacts ; à tel point que la question de la visibilité et de la saillance des contributions se pose régulièrement et soulève des critiques de la part des abonnés :
17Comme nous l’enseigne la sociologie des usages, le dispositif n’est pas neutre et porte en lui le projet politique qui sous-tend sa conception. Il est ainsi tout autant structuré par ce projet qu’il structure ensuite les pratiques de ceux qui utilisent le site. Parmi les enseignements de la sociologie des usages, un second mérite d’être repris ici : si les innovations techniques performent les pratiques, les intentions inscrites dans le dispositif se heurtent néanmoins parfois à la résistance d’usagers qui, dans notre cas, restent aveugles à une césure journal/club ne faisant pas sens pour eux. Nous essaierons de montrer dans les développements infra que cet exemple n’est pas un cas isolé.
18S’il est compliqué pour un profane de devenir expert par ses propres moyens, l’inverse l’est également. Nous avons vu que le découpage spatial du site formate les participations. Tout comme les abonnés, les journalistes possèdent leur blog personnel d’où, logiquement, ils peuvent tenir des propos qui n’engagent qu’eux-mêmes, non pas comme journalistes-experts mais comme individus-citoyens. Logiquement seulement. Car comme nous l’avons vu avec les commentaires suite au billet de blog de Sophie Dufau, certains lui reprochent sa dimension subjective.
19La logique du découpage spatial se heurte ici à celle de l’identité symbolisée par la couleur. Il montre qu’il est paradoxalement difficile de défaire le journaliste de son expertise, dans la mesure où celle-ci est attachée à la personne bien plus qu’à l’espace. L’individu est affublé de sa couleur qui, quel que soit l’espace, le qualifie et permet son identification publique. Parfois, lorsque les frontières techniques ne suffisent pas, il faut les doubler de frontières discursives pour rappeler l’existence d’un continuum de formats, chacun de ceux-ci ayant ses spécificités propres :
En m’excusant d’avoir pris 24h pour répondre à ceux qui, en termes cordiaux, m’interpellaient.
20Le soin avec lequel cette journaliste précise, en préliminaire à son billet, puis dans le fil de la discussion, que ce texte est un billet de blog et non pas un article Mediapart, semble attester de la récurrence de cette confusion du côté des lecteurs. Parmi ces derniers, certains ne manquent pas néanmoins de soutenir les journalistes en validant ce marquage discursif des frontières.
21Plus généralement, des entretiens avec des lecteurs abonnés [10] nous ont permis de comprendre que certains ne percevaient pas toujours les différences entre les formats ou méconnaissaient certains d’entre eux (les éditions participatives). Aussi, les méthodologies ethnographiques plus classiques apparaissent-elles comme un corollaire indispensable à l’analyse du contenu. En effet, certains des abonnés interrogés ne consultaient que la partie journal sans s’encombrer de la lecture des commentaires. Si ceux-ci adhèrent à la critique du journalisme inscrite dans le projet de Mediapart, la façon dont les journalistes du site font leur travail semble leur convenir tout à fait. Pour eux, l’expertise de ces journalistes est évidente, supérieure à celle de bien d’autres journalistes et il ne leur viendrait pas à l’idée de la contester. Leur façon d’ignorer totalement les autres contributions le confirme d’ailleurs.
22L’extrait ci-dessous est, de ce point de vue, éloquent. Il traduit, chez l’abonné, l’existence d’œillères à la fois du côté des formats puisque la journaliste voit qualifier son propos d’objectif alors même qu’elle revendique sur son blog un droit à la subjectivité et du côté de l’intérêt porté aux différentes contributions puisque, cette fois, les commentaires sont dans un premier temps ignorés au profit du seul contenu de « l’article » qui n’en est pas un [11].
23Le découpage des espaces et l’assignation des identités témoignent des soubassements politiques du dispositif technique et confèrent au membre de la communauté un statut immédiat, à partir duquel chacun peut se positionner dans le déroulement des débats. Ce positionnement immédiat ne doit pas nous induire en erreur : les rôles ne sont malgré tout pas clairement stabilisés mais plutôt perpétuellement négociés. Nous allons voir dans la partie suivante comment des frontières discursives viennent en effet retravailler celles érigées par la plate-forme. Mediapart est un terrain d’autant plus pertinent pour saisir cet enjeu que, finalement, le principal objet de discussion et de réflexion sur Mediapart paraît être Mediapart lui-même et la pratique du journalisme proposé, tant un grand nombre de débats cherchent à établir les frontières entre l’intérieur de la profession et son extérieur.
La distribution discursive de l’expertise
24Il s’agit dès lors, dans cette partie, d’investir les espaces d’interaction disponibles et d’entreprendre l’examen des discours qui y sont tenus pour comprendre comment sont renégociées les positions du journaliste et du lecteur-contributeur et comment sont formulées des critiques interrogeant la distinction entre ces deux figures, notamment telle que la technique l’établit.
Une expertise ouverte à la participation
25Nous l’avons mentionné, journalistes et abonnés partagent une vision critique du journalisme tel qu’il se pratique actuellement. Cette vision justifie non seulement le projet politique de Mediapart du côté des journalistes mais aussi l’engagement financier des abonnés, qui est loin d’être la norme en matière d’information sur le web. Bon nombre d’abonnés engagent une critique des médias classiques et se déclarent à la recherche de supports informatifs alternatifs, moins soumis aux pressions et logiques économiques, aux temporalités imposées par l’AFP et la pression du scoop. La contestation de l’expertise du journaliste est ainsi engagée au nom d’une expertise journalistique idéalisée adossée à une critique de la profession que revendiquent les différents membres de la communauté Mediapart.
Bref, je ne viens pas sur Mediapart pour lire les états d’âme, le spleen et les conseils bien intentionnés adressés à une personne en lutte par une ancienne de Libération : je viens sur Mediapart pour y trouver les informations que l’on ne trouve plus que rarement dans des quotidiens largement corrompus tels précisément que Libération, d’où je vous félicite d’avoir su partir avant les heures sordides de la direction Joffrin.
26La critique du journalisme pratiquée à Mediapart, si elle se construit en référence à une figure traditionnelle de la profession, se traduit par la dénonciation de la part des lecteurs d’un écart entre les pratiques observables et un modèle de professionnalisme référent pour lequel ils sont prêts à payer – modèle qui, l’exemple précédent l’atteste, s’écarte lui-même du journalisme tel qu’il est pratiqué dans les grands médias. L’affichage de cet écart, chez le lecteur, établit son attachement à une figure du journalisme en laquelle il croit (puisque cette figure, sublimée, justifie l’abonnement). Cette surveillance des pratiques journalistiques s’accompagne, c’est la véritable différence avec d’autres médias, d’une formulation publique synchrone de la déception : certains lecteurs contestent ainsi les dérives potentielles qu’ils refusent, au nom de leur abonnement et des promesses initiales (soit « au nom du client »). Qu’ils se présentent comme des lanceurs d’alertes ou de simples garde-fous, certains abonnés se montrent ainsi attentifs aux dérives possibles.
27La menace de défection de la part du public, bien que marginale, renvoie à un contrôle direct de l’activité du journaliste et contribue à sa régulation. Ce discours est d’autant plus présent sur le site, que le modèle économique institué place les lecteurs-contributeurs dans la peau de clients, pouvant ainsi réclamer des journalistes une offre conforme à leur attente.
Ainsi, une des dernières saillies d’un abonné qui a expliqué tout au long de ses seize commentaires combien il n’était pas en phase avec la façon dont Mediapart traitait l’affaire « Cousin » :
28Ces différentes formes de réaction du lecteur-contributeur, soucieux de manifester son mécontentement, ne sont pas sans rappeler celle du « client », classique, identifiée par Hirschman (1970). Dans sa typologie, défection et prise de parole cohabitent au côté de la loyauté – souvent affichée sur le site. La prise de parole, telle qu’elle se pratique dans l’extrait précédent, semble régulièrement précéder la défection dès qu’une tension se fait trop importante entre les attentes qui justifient l’engagement du public et les pratiques telles qu’elles s’observent réellement. En effet, plutôt que de partir directement et de ne pas renouveler leur abonnement, certains abonnés exposent publiquement leur mécontentement sur leur blog ou à la suite des papiers incriminés. Ils trouvent là une arène pour justifier leur défection (ou sa menace), arène qui permet aussi aux journalistes d’expliquer et de défendre leurs pratiques.
29La prise en compte de ces critiques n’aboutit pas à une remise en question, voire à la négation d’une expertise propre à la profession. Bien au contraire, il s’agit d’en tirer parti pour asseoir cette expertise sur des bases plus solides. Un membre de l’équipe Mediapart nous soutient ainsi que « c’est plutôt très bien internet car cela va faire un peu le ménage entre un bon journaliste et un mauvais. Voilà, un mauvais cela ne tiendra pas la route, il y a toujours un lecteur plus spécialiste que soi qui dira “oh non là les gars, vous avez écrit franchement n’importe quoi” et donc le mec qui va simplement dire “cette enquête elle n’est ni faite ni à faire”, il va le dire et parfois, souvent cela tombe assez bien justement, on ne peut plus se contenter d’avoir fait une semaine de reportage et de prétendre connaître le sujet. »
30En quoi la participation des abonnés est-elle un vecteur d’amélioration ? Tout d’abord, ces abonnés ont la possibilité de participer à la production journalistique à différents moments du processus d’écriture. Ils peuvent ainsi intervenir en amont de l’écriture et de la publication d’un article, par exemple en proposant des sujets aux membres de l’équipe de journalistes, souvent couplés à du contenu ou encore en proposant eux-mêmes leurs sources.
31Leur profil (parfois journalistes eux-mêmes, universitaires, citoyens informés…) et les dynamiques intellectuelles qui portent le collectif Mediapart, ne sont pas étrangers à cette hybridation des savoirs. L’élitisme qui fonde ce collectif questionne à nouveaux frais les liens entre la figure de l’intellectuel et celle du journaliste (Rieffel, 1992 ; Spitéri, 2004) et favorise une mutualisation des compétences susceptible de renforcer cette coopération entre le professionnel et le public.
32Dans d’autres situations de collaboration, l’écriture devient polygraphie et, parfois, sur un sujet particulier, le lecteur expert va venir pallier les lacunes du journaliste. Un journaliste chargé du social nous a ainsi expliqué comment la rédaction et une blogueuse, sociologue, ont travaillé ensemble sur un travail dans la grande distribution. C’est elle, abonnée à Mediapart, qui a proposé un article sur le sujet et a ensuite proposé de chroniquer le livre d’Anna Sam sur les caissières.
33Néanmoins, c’est après la publication de l’article que ce brouillage des frontières et cette tension autour de la sélection et de la hiérarchisation de l’information se font les plus visibles. Par exemple, les abonnés peuvent se manifester en aval pour assurer le suivi d’une question, comme le montre le dernier commentaire du deuxième fil :
34Le journaliste peut également se trouver pris à parti, quelques minutes après la publication de son article, par les commentaires des lecteurs, et invité à apporter des précisions, voire à corriger certains éléments des plus anodins ; il se trouve ainsi quasi dépossédé d’une expertise immédiate, qui repose sur le choix des informations retenues et leur inscription publique dans l’espace légitime de publication.
Journaliste : Loin de moi l’idée de négliger Mélenchon, mais le baromètre Ifop-Paris Match de début décembre a testé le PCF (4 %) sans le front possible avec le PG. Mais vous avez raison. Je le rajoute. Bien à vous.
35Cet extrait, selon nous, est crucial puisqu’il montre à quel point le gatekeeping [12] se distribue entre les journalistes professionnels et la communauté des abonnés. Ici, c’est le lecteur qui redéfinit l’information pertinente et incite le journaliste à retravailler le contenu de sa publication en opérant un nouveau cadrage des éléments à intégrer. L’information qui compte, celle qui sera internalisée dans la production journalistique et affichée dans l’espace public est donc potentiellement le fruit d’une collaboration incarnant l’idée même de journalisme participatif. Elle peut également être reconsidérée à la suite d’échanges privés, notamment lorsque les abonnés, parfois personnellement impliqués dans les cas traités, préfèrent l’anonymat et s’adressent directement aux journalistes. Ainsi, des suggestions de compléments, de nouvelles références ou des rectifications de l’information diffusée, procèdent-elles de dialogues qui restent dans la coulisse. Qu’elle soit affichée ou non, cette mutualisation des connaissances et des regards autour de ce que doit être l’information retenue est une nouveauté recherchée par les créateurs de Mediapart. Un membre de l’équipe de rédaction nous le confirme : « Bon le courrier des lecteurs cela a toujours existé, alors là aujourd’hui c’est beaucoup plus valorisé, ce qui fait que là où c’est plus intéressant pour nous, c’est quand le lecteur intervient pour compléter une information, la corriger, la prolonger. Là, tout d’un coup, le lecteur participe de la fabrication de l’information. Autrefois, le lecteur était plus dans une réaction à l’information. »
36Ainsi, la participation est vue comme un moyen d’améliorer son expertise et non de la renier en se mettant au même niveau que les lecteurs. Mais elle repose sur un rapprochement dangereux entre ces derniers et des journalistes contraints de composer avec cette pluralité de critiques et soucieux, parfois, de maintenir ou de rétablir une distance entre les professionnels du site et les autres.
Rétablir la distance
37Ainsi commence le billet de blog de l’extrait du fil de discussion 2. Ces lignes introductives illustrent l’une des principales stratégies discursives utilisées par les journalistes pour rétablir la distance. L’auteur, une journaliste donc, y revendique une posture singulière qui s’écarte sans doute de sa profession mais qui répond en revanche fidèlement aux logiques d’écriture qui prévalent dans l’espace du blog : les propos qui y sont tenus, qu’ils soient formulés par des lecteurs-contributeurs ou par des journalistes, ne sont pas journalistiques. Ils n’en empruntent ni les codes d’écriture, ni les méthodes d’investigation, et ne reposent pas sur le même contrat de lecture (Véron, 1985) [13]. Elle préfère, dès lors, et malgré l’inscription dans cet espace, confirmer la nature non journalistique des propos qu’elle tient.
38Plus généralement, le redimensionnement du métier procède de deux logiques – ce que le journalisme est et ce qu’il n’est pas – qui visent à rétablir des frontières entre les professionnels et les autres membres de la communauté. Ces deux logiques transparaissent dans les fils de discussion en se drapant parfois d’une rhétorique relationnelle : quelques échanges réparateurs, régulièrement utilisés par les journalistes dans cette entreprise de légitimation et de requalification de la pratique journalistique [14]. Les journalistes glissent, dans la gestion de la critique, de la justification de leur travail (posture défensive) à la contestation des méthodes et des discours des abonnés (posture offensive). Ce dernier point, malgré son intérêt, ne sera pas ici au centre de l’analyse. Nous lui préférons l’examen des figures de l’abonné et du journaliste convoquées sur le devant de la scène pour alimenter une discussion. Voici une première illustration de découpages auxquels procèdent les membres de la communauté Mediapart :
39Dans cet extrait, le journaliste affiche clairement une distance avec le public et se livre à tout un travail discursif [15] pour réaffirmer les positions des uns et des autres, trouver un équilibre entre journalisme participatif et revendication d’une identité professionnelle, le tout en préservant les faces à la fois des lecteurs et des journalistes. Deux arguments sont ainsi introduits : la dissociation de « nous » (professionnels) et « vous » (clients) et, dans la lignée de ce découpage, l’association d’une forme de discours à chacune de ces figures. « Nous », les journalistes, qui affiche une objectivité qui ne peut se satisfaire de l’opinion personnelle du professionnel et « vous » comme subjectivité du citoyen soucieux de défendre son point de vue sur l’actualité traitée.
La suite de l’échange nous informe néanmoins que les lecteurs n’acquiescent pas nécessairement et refusent de valider ce découpage en insistant sur l’illusion dogmatique qui le fonde.
Merci de votre réponse.
Perso enfin, je ne pense pas faire passer mon opinion quand j’écris sur Mediapart.
c’est bien français et – pardonnez-moi mon ton direct – assez hypocrite.
Les lecteurs préfèrent un journaliste qui écrit ce qu’il pense plutôt qu’un journaliste qui fait semblant d’être « objectif » – qu’est-ce que cela signifie ? – mais dont l’opinion transparaît au détour d’un adjectif, d’un adverbe qui lui échappe… Dans la presse allemande que je lis tous les jours, les choses sont claires. On sait à qui on a affaire… Et c’est plus sain. J’espère donc que vous écrirez selon vos convictions de journaliste, comme le font Edwy Plenel et Laurent Mauduit sur ce site, et je les en remercie.
En ce qui me concerne, je viens de passer pas mal de temps à rédiger un article qui me tenait à cœur, je vous en fais part : http://www.mediapart.fr/club/blog/etoile66/171208/la-france-…
40Plus encore que contester la subjectivité des abonnés-citoyens, l’abonné rabat la professionnalité du journaliste sur une subjectivité assumée et le refus d’une objectivité comme élément inhérent à la fonction. Pour cela, il confronte le modèle de journalisme défendu par le professionnel Mediapart au modèle allemand introduit ici comme contrepoint illustratif puis revalorise la conviction journalistique – pratiquée par les ténors mêmes de l’équipe Mediapart.
41Tout en répondant aux arguments du lecteur, le journaliste court-circuite le débat. Certes, des journalistes sur Mediapart se permettent d’afficher leur conviction, mais ils le font dans un cadre très particulier, celui du « parti pris » entendu ici comme style de journalisme engageant la conviction de journalistes chevronnés et légitimes. C’est justement parce qu’il ne se sent pas légitime et qu’il « n’éprouve aucune envie d’exprimer ces convictions », que ce journaliste refuse de s’engager dans ce style. Dès lors, il accepte l’argument du lecteur (oui, le journalisme de conviction existe…) tout en l’enfermant dans une catégorie journalistique qui n’est pas exclusive d’autres formats de traduction professionnelle (… mais ce n’est qu’une facette parmi d’autres de la profession). Lui, rebondit sur les frontières symboliques internes à la profession pour récuser une hiérarchie de pratiques journalistiques d’un côté, tout en affichant une hiérarchie de statut chez les journalistes de l’autre (légitimité/illégitimité). Le cheminement argumentatif choisi par ce journaliste valide ainsi son positionnement dans les méandres de la profession journalistique et justifie qu’il s’engage sur la voie d’une forme d’objectivité associée à « l’observation » et la restitution factuelle des événements étudiés [16].
Contre-expertise et identités argumentatives
42La contestation de l’expertise n’est pas toujours aussi frontale que dans l’exemple que nous venons d’introduire ; parfois, elle intervient en creux par l’exhibition d’une contre-expertise s’adossant à une identité particulière. Quelles sont les figures convoquées dans les fils de discussions pour susciter l’adhésion des lecteurs, emporter la conviction des opposants, ou plus génériquement légitimer ses propos ? En d’autres termes, quelles sont les instances rhétoriques qui servent à l’argumentation des abonnés au cours des joutes qui les mettent aux prises avec les journalistes ?
43Au niveau le plus général, certains lecteurs-abonnés se présentent comme citoyens/électeurs, dotés de fait d’un droit d’expression, on l’a vu dans la section précédente. Ce droit est parfois revendiqué encore plus fermement en raison du coût de l’abonnement :
En fait, si vous avez le pouvoir d’écrire et de faire passer votre opinion, c’est parce que des citoyens comme moi et d’autres ont décidé de payer pour faire vivre ce lieu d’expression qui se voulait représenter le pluralisme démocratique.
Adhérer à Mediapart et en être lecteur, en faire de la pub pour que d’autres y adhèrent, c’est un combat citoyen et c’est aussi ce combat qui vous permet d’exister.
Merci de ne pas l’oublier et de ne pas voir dans vos lecteurs des sujets mais des citoyens qui ont tout autant le droit à l’expression que vous.
44De cet extrait, nous pouvons tirer plusieurs enseignements du point de vue des stratégies de rapprochement utilisées par les abonnés. L’abonné veut s’éloigner de cette image de « lecteur passif » susceptible d’ingurgiter n’importe quelle information sans même en contester la pertinence pour réhabiliter la figure d’un lecteur actif et client qui a droit de formuler des critiques et de se considérer l’égal des journalistes. Il se replace au centre d’un dispositif de pluralisme démocratique qui adopte un regard symétrique et égalitaire sur les contributions des journalistes et celles des lecteurs. La réaffirmation de cette symétrie prend d’autant plus de poids ici, qu’elle emprunte au registre de la « menace » puisque le devenir marchand/économique du journaliste Mediapart repose sur l’acceptation du discours des citoyens. Ce sont ces citoyens qui « font vivre ce lieu d’expression », qui assurent « ce combat qui vous permet d’exister ».
45Mais, régulièrement, les revendications identitaires se font plus personnelles, supports à des techniques argumentatives plus élaborées (Marcoccia, 2003). Et on se déplace le long d’un continuum qui irait du droit et de la capacité à s’exprimer dans/sur des formats journalistiques à la revendication d’une expertise pour le faire. La revendication, la plus évidente, quasi imparable mais qui n’est pas à la portée de tout le monde est évidemment de revendiquer la même expertise professionnelle en affichant son statut de journaliste (parfois dès le début de son commentaire : « chère consœur »). Parmi les abonnés, bon nombre appartiennent au milieu journalistique ou ambitionnent de lui appartenir. Les apprentis journalistes trouvent ici un espace dans lequel démontrer leur compétence et, peut-être, se faire repérer par des réseaux professionnels. Mediapart occupe, de ce point de vue, le rôle classiquement dévolu à internet d’antichambre pour un monde journalistique plus académique (Estienne, 2007). Certains journalistes déjà en poste y trouvent eux l’occasion de s’adonner à des formats différents (Datchary, 2010).
46Parfois, c’est la proximité avec les faits qui est mise en avant, dans ce qui s’apparente à un statut de témoin privilégié (le salarié de Molex qui confirme que les primes de licenciement sont, dans son entreprise, bien moins conséquentes). Ce procédé étant d’ailleurs utilisé par les journalistes eux-mêmes (« certes, on pourra dire que j’en sais un peu plus que d’autres, ayant travaillé plus de 25 ans à Libération »). La contraposée peut être utilisée pour mettre en avant une sorte d’objectivité dans sa position (« Oui, pour moi aussi Florence Cousin est avant tout une personne (je n’ai aucun lien avec Libération, que j’ai très peu lu depuis vingt-cinq ans) »).
47Certains lecteurs vont puiser dans leur expérience personnelle des forces argumentatives pour affirmer leur accord ou désaccord avec ce qui a été énoncé (« rmiste, je tiens à faire savoir que la question de l’argent est secondaire » ou encore « la grève de la faim est une arme ultime, dangereuse. Je le sais d’expérience (pas la mienne, mais celle d’une personne proche »), ou désamorcer une critique (« que les antisémites ont tort ? Évidemment, chère Sophie, ils ont TOUJOURS tort… vous ne savez sans doute pas, chère Sophie, que je suis né en 1943 dans un camp de concentration du Sud de la France. Ce n’est donc pas moi qu’on, soupçonnera, je l’espère du moins (ni les cent personnes de ma famille qui ont grillé dans d’autres camps moins cléments que gürs) d’encourager le moindre soutien douteux ou “antisémite” à Florence Cousin »).
48Parfois, les abonnés sont sollicités directement sur la base de leur identité, comme dans ce fil où un abonné demande des éclairages complémentaires en recherchant parmi les adhérents qui a le profil (« Un juriste mediapartien peut-il (ou elle) répondre à la question : “Peut-on sauver une gréviste de la faim en l’hospitalisant malgré elle ?” »). Ces expertises complémentaires sont ainsi mises en avant dans les éditions participatives qui tirent souvent parti des compétences professionnelles des abonnés (par exemple : pédiatre pour la grippe AH1N1), de leurs passions (« Comic Strip ») ou de leur localisation (comme autant de correspondants locaux édition « Toulouse », voire d’envoyés spéciaux « d’Égypte »). La rédaction a d’ailleurs été souvent soupçonnée de mettre en avant certains papiers sur la base de l’identité de leur auteur et non à partir du seul contenu (telle personne serait mise en avant sur la base de son pseudo sonnant très Afrique du Nord ; tel autre sur la base de son statut universitaire, etc.).
49Pour autant, il convient de ne pas généraliser puisque certains abonnés restent laconiques voire muets sur leur identité, à l’abri derrière leurs pseudonymes. L’absence totale de prise sur l’identité de l’interlocuteur suscite la méfiance : ainsi les arguments de JLMO sont d’autant plus mis à mal, que ce dernier est « pseudomisé ». Nous en avons également fait les frais lors de nos enquêtes en voulant ajouter des personnes à nos contacts en ligne pour mieux pouvoir en suivre l’activité. Les réponses ont parfois été cinglantes : « Vous n’écrivez rien, ni ne commentez depuis que vous avez rejoint Mediapart, du coup, je ne sais pas à qui j’ai affaire. (…) Je n’avais pas souvenir de vous, normal vous n’avez émis aucun commentaire, ne laissant comme trace que vos recommander anonymes, je suppose, une telle inexistence, un tel effacement, une telle soumission à la production des réflexions des autres peut-elle faire une relation ? Seriez-vous un trou noir ? L’être ou le néant il vous faut choisir, et être aux autres commence par se faire confiance et se dire. Prenez ce risque, répondez-moi, répondez-vous, qui êtes-vous? ». Certains abonnés ont évidemment mené leur petite enquête : « Vous allez me trouver sur-réactif mais ne vous effrayez pas. Je ne passe pas ma vie devant l’écran de mon ordinateur. Je suis assez curieux de nature et Google, j’en ai honte, remplace un peu le regard que nos grands-parents jetaient sous le rideau de la cuisine quand une inconnue passait dans la rue… Google est bougrement plus efficace et plus effrayant. J’ai donc tapé votre nom dans cette monstruosité pour vérifier que vous n’étiez pas une serial killer relâchée de prison. Et je suis tombé sur une sociologue intéressée par les réseaux… ».
Les abonnés ne sont pas dupes quant aux possibilités offertes par internet de reconfigurer leur identité ou d’en essayer de nouvelles (Turkle, 1995) et les identités proférées sont aussi questionnées à partir des prises laissées par les traces en ligne :
50Nous ne sommes pas tous égaux face aux pseudonymes, et certains lecteurs en ont bien conscience :
51L’affaire Florence Cousin qui agite alors le milieu de la presse parisienne en est un bon révélateur. De nombreux commentateurs se connaissent directement ou indirectement. Pour le lecteur lambda, les patronymes ne sont souvent guère plus éclairants que les pseudonymes. Et ce n’est qu’à la longue, au gré des commentaires rédigés par différents abonnés, qu’il peut par exemple découvrir le lien quasiment intime qu’un des commentateurs les plus zélés (Skorecki) entretient avec cette affaire, en tant qu’ancien de Libération, ami de Florence Cousin et membre de son comité de soutien notamment.
Ce dernier point alimente la question de la légitimité des propos tenus dans l’espace mediapartien. Au-delà des seules figures génériques de l’abonné et du journaliste, cette légitimité repose sur la compétence et les savoirs qu’un individu pourra manifester sur un objet particulier. Elle requiert la convocation de figures susceptibles de témoigner de ces savoirs et de rendre les propos convaincants, aux yeux des lecteurs, que ces derniers soient abonnés ou journalistes.
Conclusion
52Ni expert, ni essayiste « intellectuel » [17] – hormis, s’il le souhaite, sur son blog –, le journaliste Mediapart singularise sa professionnalité en valorisant une posture basée sur des savoir-faire, le sacrifice de l’immédiateté et de la recherche du scoop, un cadrage transparent de l’information – donnant accès à la boîte noire du travail journalistique –, une volonté d’élargir son domaine de compétences techniques en multipliant les formats de publicisation de l’information [18], d’élargir aussi le champ de ses prérogatives, ou encore de jouer sur la réflexivité favorisée par le dispositif technique pour valider et justifier le travail réalisé et le sérieux de la démarche.
53Ceci amène à reconfigurer le travail du journaliste à plusieurs niveaux. Au niveau le plus concret, ce sont autant de tâches supplémentaires qui conduisent le journaliste à devoir jongler avec des engagements de nature pour le moins différente (Datchary, 2010). Mais, loin d’être subi par les journalistes professionnels qui appartiennent à l’équipe Mediapart, cet élargissement du spectre couvert par le métier est davantage vécu comme une chance, voire justifie l’engagement initial de certains d’entre eux (ibid.). Comme nous l’a confié un membre de l’équipe de rédaction, lors d’un entretien, « l’écriture sur le blog n’était pas une condition sine qua non, moi même j’avais pas de blog, on n’est pas venu me chercher pour ça, mais en revanche la presse gratuite m’intéressait, toute l’évolution du métier m’intéressait (…) ».
54Au niveau de la profession de journaliste et de ce qui fonde sa légitimité, cette enquête nous enseigne également qu’il n’est pas question de liquider l’expertise journalistique, de la contourner (éviter), mais bien d’en repenser et d’en affiner davantage les contours. Ce travail sur les frontières va plus loin que celui décrit par Schwarz, Nardi et Whittaker (1999) [19]. Ici, il s’agit aussi de distinguer ce qui relève du journalisme et ce qui n’en relève pas. Nous avons vu que les frontières étaient marquées tant dans le dispositif technique que dans les discours tenus par les différents membres de la communauté.
Au final, on peut déceler dans Mediapart un possible lieu de convergence des deux grandes traditions de critique des médias (Cardon, Granjon, 2005). En effet, la critique « anti-hégémonique » qui appelle à la création d’un contre-pouvoir critique est inscrite dans le projet même de Mediapart ; quant à la critique expressiviste, qui refuse l’accaparement de la parole par les professionnels et invite tous les citoyens à devenir leur propre média, elle est en partie prise en charge avec les fonctionnalités participatives proposées (même si les tenants les plus virulents de cette critique n’y trouveraient sans doute pas leur compte). Et puisqu’il s’agit d’une critique interne, au sens où elle est aussi portée par des journalistes, elle a plus de chances d’être entendue (Lemieux, 2000).
Bibliographie
Références
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- BOLTANSKI, L., CHIAPELLO E. (1999). Le nouvel esprit du capitalisme. Paris, Gallimard.
- CARDON, D., GRANJON, F. (2005), « Médias alternatifs et média-activistes ». In AGRIKOLIANSKY, E., FILLIEULE, O., MAYER, N. (Eds.), L’altermondialisme en France. La longue histoire d’une nouvelle cause (pp. 175-198). Paris, Flammarion.
- CHARON, J.-M. (1996), La presse quotidienne, Paris, La Découverte.
- DATCHARY, C. (2010). « Ce que le web 2.0 fait à l’autonomie journalistique. À propos de l’expérience Mediapart », in LEMIEUX, C. (Dir.) La Subjectivité journalistique au travail. Onze leçons sur le rôle de l’individualité dans la production de l’information. Paris, éditions de l’EHESS, à paraître.
- DUJARIER, M. (2008). Le travail du consommateur, De McDo à eBay: comment nous coproduisons ce que nous achetons. Paris, La Découverte.
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- HABERMAS, J. (1993). L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise. Paris, Payot.
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- LEMIEUX, C. (2000). Mauvaise presse. Une sociologie compréhensive du travail journalistique et de ses critiques. Paris. Métailié.
- MARCOCCIA, M. (2003). « Parler politique dans un forum de discussion », Langage et société, n° 104, pp. 9-56.
- MERCIER, A. (2003). « Le rôle des journalistes en démocratie », in MAIGRET, E. (Ed.) Communication et médias, Les notices de la documentation Française, pp. 67-71.
- RIEFFEL, R. (1992), « Journalistes et intellectuels : Une nouvelle configuration culturelle ? », Réseaux, n°51, pp. 11-24.
- RUELLAN, D. (1992), « Le professionnalisme du flou », Réseaux, n°51, pp. 25-37.
- SCHWARZ, H., NARDI, B., WHITTAKER, S. (1999). «The Hidden Work in Virtual Work». Proceedings Critical Management Conference, Manchester, July.
- SINGER, J. B. (2003), « Who are these guys ? The online challenge to the notion of journalistic professionalism », Journalism, vol. 4, n°2, pp. 139-163.
- SPITERI, G. (2004), Le journalisme et ses pouvoirs, Paris, PUF.
- TURKLE, S. (1995). Life on the screen. Identity in the age of the internet. New York, Touchstone.
- VERON, E. (1985). « L’analyse du contrat de lecture: une nouvelle méthode pour les études de positionnement des supports presse », Medias : experiences, recherches actuelles, applications, Paris, IREP, pp. 33-56.
- WHITE, D.M. (1950), “The Gatekeeper: A case Study in the Selection of News’”, in BERKOWITZ, D. (ed.) Social Meaning of News: A Reader. Thousand Oaks, Sage, pp. 63-71.
Notes
-
[1]
En effet, l’auteur nous apprend que « les rédactions marquaient une certaine réserve à l’égard de ces réactions dont il est impossible de situer la représentativité. « Ceux qui écrivent sont une minorité sans doute atypique, radicale, peu conforme à l’état de l’opinion ou des lecteurs », remarque la grande majorité des journalistes. Il n’empêche qu’un mouvement s’observe partout en Europe qui voit se renforcer et s’élargir les formes d’expression et de relations directes entre les journaux et les lecteurs » (Charon, 1996, p. 51).
- [2]
-
[3]
Cette enquête bénéficie du soutien de l’ANR (ANR-08-COMM-039).
-
[4]
À tel point que Mediapart est l’objet d’une édition participative compilant une série d’articles et de liens éclairant le site, son fonctionnement et sa communauté : http://www.mediapart.fr/club/edition/meta-mediapart
-
[5]
Nous remercions les personnes qui ont réagi aux versions antérieures de ce texte, notamment les participants du séminaire SRM (LISST).
- [6]
- [7]
-
[8]
Précisons au passage que le dispositif permet d’autres formes de régulation « clandestines », comme les messages privés directement adressés à l’abonné concerné par le journaliste ou la suppression de message (celle-ci n’étant quasiment jamais utilisée). La discrétion de ces formes de régulation est d’ailleurs relativement précaire puisqu’elles peuvent être reprises voire dénoncées dans l’espace public, comme en témoigne cet extrait d’entretien avec un journaliste : « […] alors parfois si on va parler d’un internaute enfin d’un abonné qui va nous faire chier, qu’est-ce qu’on fait, comment est-ce qu’on l’arrête, il pollue tel ou tel, alors voilà il y a des trucs bon ben Vincent nous dit vous inquiétez pas ce genre de type dans trois mois il sera lassé et puis voilà, on laisse comme ça on régule régulièrement ce qu’il dit mais si on commence par supprimer son billet cela partira sur internet “censure sur Mediapart” donc il faut faire attention aussi au viral par rapport à ça. »
-
[9]
Cette sélection se fait depuis quelques mois sur la base des contributions les plus recommandées.
-
[10]
Une dizaine d’entretiens ont été menés, à titre exploratoire, avec des lecteurs-abonnés de ce site dans le cadre d’une enquête menée avec Karolina Sweederek que nous remercions ici.
-
[11]
Dans un premier temps seulement : dans la suite du fil, cette abonnée entreprend en effet de répondre aux autres commentaires, preuve qu’elle les a lus.
-
[12]
« Developed in the seminal American studies of the 1950s (White, 1950 ; Carter, 1958), a gatekeeper is an individual who filters out and disregards unwanted, unintersting and/or unimportant information or stories and attends to information of more import » (Franklin & Co, p. 92).
-
[13]
Cf. le point de vue de cette même journaliste : « […] À part des gens qui vont faire des synthèses de leurs études, des gens qui sont des chercheurs et qui vont faire des synthèses de leurs recherches, réaction à une actualité un peu immédiate, on n’est plus sur le mode du subjectif, même si on ne dit pas “je”, mais en tout cas c’est “j’ai vu”, “je ne supporte pas” alors que quand on passe dans le journal ben là on est plus sur l’enquête, sur les liens, sur les prolongements, sur les chiffres. »
-
[14]
Échanges réparateurs et ripostes qui se traduisent le plus souvent par la défense du travail réalisé par le journaliste lui-même. Celui-ci le réhabilite en quelque sorte à ses yeux et aux yeux du public susceptible de lire son expertise. Il réimpose aux abonnés – et à ses collègues/sa hiérarchie – une image du journalisme pratiqué qui le satisfait, en reprécisant la qualité d’un travail que l’abonné a mis en cause par ses remarques. Cette posture, classique, engage le journaliste, nous l’avons dit, à rapprocher les pratiques décriées des règles du métier, et à les dissocier à l’inverse d’un journalisme amateur pratiqué par les non-professionnels. Il s’agit, pour le journaliste, de montrer qu’il ne s’écarte pas d’un modèle référent.
-
[15]
Si cette volonté de justification et d’entretien du dialogue avec les lecteurs-abonnés se manifeste clairement durant la phase de lancement du site, il semble qu’une certaine redondance critique – à la fois dans les arguments convoqués et les abonnés qui les portent –, ainsi que la nécessité de se protéger de l’exposition permanente dont ils font l’objet dans les fils de discussion (Datchary, 2010), entraîne une moindre implication dans la justification et une lassitude des journalistes dans l’effort de requalification constante de leur pratique ou dans la mise en œuvre de stratégie discursive ad hoc pour valider leur mode de fonctionnement professionnel.
-
[16]
Une stratégie possible pour le journaliste consiste de manière symétrique à identifier ce qui est extérieur au cadre fixé : il procède alors à une délimitation par défaut – ce que le journalisme n’est pas. Par exemple, même si le journalisme se construit sur l’apport de preuves factuelles, une distinction est ici opérée entre le travail du professionnel et une « recherche scientifique ».
-
[17]
Le premier est spécialisé dans un domaine de compétence identifié par une institution ou une communauté savante dont la plus prestigieuse reste l’université. Cette parcellisation des connaissances requiert l’intervention d’experts attitrés (le journaliste y a constamment recours). Le second est une vieille connaissance du journaliste. Il ne se définit ni par une profession, ni par un savoir, mais par une cause à défendre dans laquelle il veut enrôler la presse (il n’existe qu’à travers les médias) (Spitéri, 2004, pp. 245-269).
-
[18]
Sur ce point qui traduit la flexibilité fonctionnelle et la capacité à gérer les situations de dispersion dont doivent faire preuve les journalistes, nous renvoyons à Datchary (2010).
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[19]
Ces derniers nous expliquent que le travail numérique occasionne des tâches supplémentaires, « network » (tout ce qui touche à l’entretien du réseau), « technology work » (maîtrise des différentes technologies) et « boundary work » (gérer l’entrelacement du travail et du hors-travail et sa disponibilité envers ses différents collègues et projets, puisque la distance physique ne suffit plus à marquer la frontière)