Réseaux 2009/4 n° 156

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Article de revue

De loft story à loft raider. L'histoire d'un scandale

Pages 205 à 240

Notes

  • [1]
    Le public a, quant à lui, adhéré largement à l’émission. Loin de s’en offusquer ou de s’en scandaliser, il a suivi avec intérêt et parfois passion le quotidien des lofteurs. Des entretiens conduits auprès de téléspectateurs révèlent des motivations très variées, des modes de réception multiples, mais très rarement les formes de rejets scandalisés qu’ont manifestés les intellectuels contempteurs de Loft Story. Mehl (2003, p. 132) notera le profond décalage entre l’audience « massive, multiculturelle, plurigénérationnelle et socialement composite » et la « critique radicalement hostile conduite par [les] journalistes et intellectuels ».
  • [2]
    Dans son étude du rejet de l’ « art contemporain », Nathalie Heinich a pu prendre par exemple comme terrain et objet d’étude les messages scandalisés laissés sur les barrières protégeant le chantier des « colonnes de Buren », ou encore ceux laissés sur les pages des livres d’or d’exposition. Nous avons pris quant à nous les messages livrés dans les pages des grands quotidiens nationaux, lieux même où le scandale s’est construit (beaucoup plus que sur les plateaux de télévision par exemple) et où il s’est donné à voir, lire et entendre. Notre corpus a été constitué des articles parus entre avril et septembre 2001, dans Le Monde, Libération, Le Figaro, La Croix, L’Humanité. Nous avons aussi intégré dans ce corpus les articles publiés dans Le Nouvel Observateur, Marianne, L’Express et Le Point.
  • [3]
    Sébastien Homer, « La télé trou de serrure », L’Humanité, mardi 27 mars 2001, p. 20.
  • [4]
    Voir notamment les articles d’Alexis Lacroix (Le Figaro, 26 avril 2001, 22 mai 2001), de Jean-Jacques Wunenburger (Le Figaro, 26 avril 2001), de Philippe Lançon (Libération, 7 mai 2001), Florence Montraynaud (La Croix, 25 mai 2001), etc.
  • [5]
    Nous le nommons ainsi car il va rassembler l’ensemble des discours portant sur des aspects de civilisation : l’évolution de la frontière privé/public, le passage de la culture à la nature, le retour à la barbarie, l’abandon des normes et règles de civilisation, le rejet des acquis de la « civilisation », le déclin des repères, des « valeurs » et des interdits structurants…
  • [6]
    Voir l’article par exemple de Claude Baudry (L’Humanité, 26 avril 2001), le premier abordant ce thème, et surtout celui de Daniel Psenny, Le Monde, 14 mai 2001, p. 5, qui dénonce les procédés de censure, montage, et diffusion en différée, et écrit : « quant aux scènes de sexe, tout est censuré […] ».
  • [7]
    C’est ainsi que nous appellerons l’ensemble de ces écrits consacrés à Loft Story qui constituent notre corpus.
  • [8]
    Association de lutte contre le sida.
  • [9]
    Sylvie Kerviel, « Alexia Laroche-Joubert : “Les candidats doivent avoir le sens des responsabilités” », Le Monde, 2 avril 2001, p. 3.
  • [10]
    « M6 capote », L’Humanité, mardi 10 avril 2001, p. 24.
  • [11]
    Terme employé par Dany Stive (L’Humanité, 21 avril 2001, p. 21), dès le 21 avril.
  • [12]
    Dany Stive, « N’entrez pas dans le loft », L’Humanité, 21 avril 2001, p. 21.
  • [13]
    Pour reprendre la formule de Serge Tisseron, qui donne son titre à l’ouvrage L’intimité surexposée, Paris, Ramsay, « Pluriel », 2001.
  • [14]
    Alexis Lacroix, « Wolton : “Le public mérite mieux que cela” », Le Figaro, n° 17639, 26 avril 2001, p. 13.
  • [15]
    Ivan Rioufol, « Montrez vos fesses », Le Figaro, n° 17639, 26 avril 2001, p. 12.
  • [16]
    François Terré (Libération, 15 mai 2001), par exemple, fera très directement le lien entre l’émission et «le culte du malsain », l’argent, le sexe, l’exhibitionnisme, le sadomasochisme régnant dans notre « société décadente ».
  • [17]
    Ivan Rioufol, Le Figaro, 26 avril 2001.
  • [18]
    Colette Boillon, « Quand M6 se transforme en Big Brother », La Croix, 21 avril 2001, p. 18.
  • [19]
    Nicole Vulser, « Pour Jérôme Clément, Loft Story annonce l’avènement d’un “fascisme rampant” », mardi 15 mai, p. 22.
  • [20]
    Jean-Jacques Delfour, Le Monde, 19 mai 2001, p. 16.
  • [21]
    Brunot Frappat, « Des détenus modèles », la Croix, l’humour du jour, 12 mai 2001.
  • [22]
    Luc Rosenzweig, « Fahrenheit 451 », Le Monde, 2 mai 2001, p. 36.
  • [23]
    Jean-Jacques Delfour, 19 mai 2001, p. 16.
  • [24]
    David Dufresne, « À tous les habitants du loft », Libération, 24 mai 2001, ou encore « L’esclave qui défia l’empire », Libération, 5 juin 2001, p. 38, article dans lequel il écrit « Le contrôle est total, pas un signe de rébellion ».
  • [25]
    Christian Laborde, Le Figaro, 23 mai 2001, p. 15.
  • [26]
    Le Monde, 19 mai 2001, p. 16.
  • [27]
    William Abitbol, « Aziz : expulsé des jeux du cirque », Marianne, 21-27 mai 2001, n° 213, p. 35.
  • [28]
    Voire à ce sujet l’analyse par Nathalie Heinich (1991) du traitement hagiographique et célébratif de la vie de Vincent Van Gogh.
  • [29]
    Philippe Campet, Le Monde, 14 mai 2001, p. 37.
  • [30]
    Alexis Lacroix (Le Figaro, 22 mai 2001, p. 31) évoquera « toute proportion gardée » Primo-Lévi et les camps, et dénoncera le risque de suicide dans le loft ou à sa sortie.
  • [31]
    Raphaëlle Bacque, « Les politiques critiquent la télévision, pas l’émission », Le Monde, 12 mai 2001, p. 19.
  • [32]
    Voir notamment les articles de Jean-Jacques Delfour (Le Monde, 19 mai 2001), ou de Bruno Frappat (La Croix, 12 mai 2001).
  • [33]
    Jacques Amalric, « Chair à audimat », Libération, 12 mai 2001, p. 3.
  • [34]
    William Abitbol décrira l’émission comme une « colossale tournante par laquelle M6 excite notre jeunesse », Marianne, 21-27 mai 2001, p. 35.
  • [35]
    Voir le communiqué de Phil Marso, fondateur du site Boycottyes.com.
  • [36]
    Isabelle Roberts, « “Loft Story” divise la chaîne », Libération, jeudi 26 avril 2001, p. 29.
  • [37]
    Sylvain Courage, Olivier Toscer « Cash story sur M6 », Le Nouvel Observateur, n° 1906, 17-23 mai 2001, p. 90-94.
  • [38]
    Claude Baudry (L’Humanité, 24 mai 2001, p. 7) analysera le pouvoir du groupe néerlandais Endemol Entertainment sur l’audiovisuel européen, le présentant comme une multinationale prospère et toute puissante.
  • [39]
    Sébastien Homer, L’Humanité, 28 mai 2001, p. 23.
  • [40]
    Claude Baudry, L’Humanité, 24 mai 2001, p. 7.
  • [41]
    Michel Delberghe, « Les syndicats pointent des entorses nombreuses au code du travail », Le Monde du 12 mai 2001, p. 19.
  • [42]
    David Dufresne, Libération, 10 mai 2001, p. 42.
  • [43]
    Voir notamment les articles de Thiébault Dromard et Audrey Trotereau (Le Figaro, 8 mai 2001, p. 8), ou d’Emmanuel Schwartzenberg (Le Figaro, 31 mai 2001, p. 12), ou l’entretien d’Olivier de Tissot, donné à Yves-Marie Labé (Le Monde, 7 mai 2001, p. 6).
  • [44]
    Claude Baudry, « La télé-braguette est arrivée », L’Humanité, 26 avril 2001, p. 20.
  • [45]
    Bruno Frappat, La Croix, 27 avril, p. 1.
  • [46]
    « David annonce son départ. Débandade à “Loft Story” », Libération, mercredi 2 mai 2001, p. 26.
  • [47]
    Christophe Deroubaix, L’Humanité, vendredi 11 mai 2001, p. 12.
  • [48]
    Luc Rozenzweig, Le Monde, 2 mai 2001, p. 36.
  • [49]
    Voir par exemple, Daniel Psenny, « Derrière les miroirs sans tain de “Loft Story” », Le Monde, 14 mai 2001, p. 5.
  • [50]
    Sylvie Kerviel, Daniel Psenny, « Enquête sur les coulisses de la première émission de la télé-réalité », Le Monde, 4 mai 2001, p. 10.
  • [51]
    Daniel Psenny, « Derrière les miroirs sans tain de “Loft Story” », Le Monde, 14 mai 2001, p. 5.
  • [52]
    Isabelle Nataf, Marie Estelle Pech, Charles Viansson-Ponte, « Les huit vérités de “Loft Story” », Le Figaro, n° 17650, jeudi 10 mai 2001, p. 29-30.
  • [53]
    Pierre de Boishue, Marie-Estelle Pech, « “Loft Story”, une histoire en trompe-l’œil », Le Figaro, n° 17650, jeudi 10 mai 2001, p. 29-30.
  • [54]
    Claude Baudry, « Ce qui se cache derrière Loft Story », L’Humanité, 24 mai 2001, p. 7.
  • [55]
    Brunot Frappat, « Fausses vies », La Croix, vendredi 27 avril 2001, p. 1.
  • [56]
    Natacha Tatu, Stéphane Arteta, « Les secrets de la “manip” », Le Nouvel Observateur, n° 1906 du 17 au 23 mai 2001, p. 98-99.
  • [57]
    Claude Baudry, L’Humanité, 26 avril 2001, p. 20.
  • [58]
    Vianney Aubert, « Onze “cobayes” pour gonfler l’audience », Le Figaro, n° 17639, 26 avril 2001, p. 29.
  • [59]
    Eric Favereau, « Ils sont en danger », entretien avec Serge Hefez, Libération, 3 mai 2001, p. 4.
  • [60]
    Pierre George, « La vie au Lamparo », Le Monde, 3 mai 2001, p. 38.
  • [61]
    Pierre George, Le Monde, 3 mai 2001, p. 38.
  • [62]
    Pierre George, Le Monde, 3 mai 2001, p. 38.
  • [63]
    Voir notamment l’article de Geneviève Jurgensen, « M6 et les scorpions », La Croix, 5 mai 2001, p. 2.
  • [64]
    Claude Huriet, Le Monde, 12 mai 2001, p. 13.
  • [65]
    Voir par exemple l’accusation portée par Christine Lamothe, rapportée par Paul Benkimoun, « Des psychiatres dénoncent “la faute éthique” de leur confrère, “caution scientifique d’une émission perverse” », Le Monde, 4 mai 2001, p. 10.
  • [66]
    En référence bien sûr à l’ouvrage d’Alain Finkielkraut, La défaite de la pensée.
  • [67]
    Vianney Aubert, « Le loft de l’ennui », Le Figaro, n° 17641, 28 avril 2001, p. 31
  • [68]
    David Dufresne, « Qui c’est qu’à pété ? », Libération, 30 avril 2001, p. 41.
  • [69]
    Luc Rosenzweig, « Complètement loft », Le Monde, 28 avril 2001, p. 32.
  • [70]
    Jean Baudrillard, « L’élevage de poussière », Libération, 28 mai 2001.
  • [71]
    Ivan Rioufol, Le Figaro, 26 avril 2001, p. 12.
  • [72]
    David Dufresne, Libération, 1 juin 2001, p. 34.
  • [73]
    Ivan Rioufol, Le Figaro, 22 mai 2001, p. 32.
  • [74]
    Voir les articles de Guy Sorman, Le Figaro, 23 mai 2001, p. 15, et Christian Laborde, Le Figaro, 23 mai 2001, p. 15.
  • [75]
    Vincent Cespedes, « Loft Story. Pour une révolte de la jeunesse », Marianne, 28 mai – 3 juin 2001, n° 214, p. 66.
  • [76]
    Act Up exige des responsables de M6 : « Qu’ils cessent toute pratique discriminatoire dans la sélection des candidats ; Qu’ils garantissent aux candidats l’accès au matériel de prévention : préservatifs, masculins ou féminins, gel, digues dentaires ou encore gants en latex et à une information claire sur les MST et le VIH/sida. Qu’ils communiquent régulièrement auprès du grand public sur les risques de transmission du VIH/sida et les moyens de se protéger ». Le communiqué précise que « dans le cas où M6 exigerait un test de dépistage et n’apporterait aucune garantie quant à la confidentialité de ces données, nous (Act Up) exigeons des autorités compétentes (CSA, Ministre de la Santé, Ministre de la Justice) qu’elles prennent les mesures nécessaires pour faire cesser ces pratiques ».
  • [77]
    Collectif qui lutte alors notamment contre les caméras de surveillance installées à Levallois-Perret par Patrick Balkany, alors maire de la ville.
  • [78]
    Sébastien Homer, « Solidarloft », L’Humanité, 11 mai 2001, p. 13.
  • [79]
    Le collectif « SVEF » lutte en effet contre les caméras de surveillance installées à Levallois-Perret par Patrick Balkany, alors maire de la ville.
  • [80]
    « “Loft Story” dénonce “Loft Raider” », Libération, mercredi 9 mai 2001, p. 25.
  • [81]
    Au sens de « lieux » ou « places », où se déroulent les débats, et où ils sont médiatisés et publicisés. Chaque arène (politique, médiatique, judiciaire, etc.) possède son armature propre, ses registres de discours, ses lois et fonctionnements institutionnels, ses règles, savoir-faire et tactiques, ses rythmes, son agenda, ses figures dominantes, groupes de pressions et personnages clés, ses réseaux de sociabilité, ses agences d’information, ses ressources aussi bien financières qu’organisationnelles, ses frontières. L’ « arène publique » dont on trouvera un très complet tableau dans l’article de Cefaï (1996), est à comprendre comme un contexte de description, interprétation, explication et jugement d’un problème public et permet de saisir notamment la « carrière » ou « trajectoire » de celui-ci.
  • [82]
    Phénomène analysé par Bosk et Hiltgartner (1988) qui ont montré que le recours en justice des hémophiles victimes des transfusions de « sang contaminé » a contribué au développement du traitement médiatique du scandale du sang contaminé et à sa prise en charge politique (Champagne, Marchetti, 1994).
  • [83]
    Cédric Mathiot, « Les anti-loft programment l’opération invasion », Libération, 12 mai 2001, p. 3.
  • [84]
    Olivier Costemalle, Raphaël Garrigos, Isabelle Roberts, « “Loft Story” en odeur de saleté », Libération, 14 mai 2001, p. 24.
  • [85]
    Offerle, 1998, cité par Lemieux, De-Blic, 2005.
  • [86]
    Offerle, 1998, cité par Lemieux, De-Blic, 2005.
  • [87]
    Catherine Maussion : « M6 : “À vos poubelles” », Libération, vendredi 27 avril 2001, p. 28. (Le titre de l’article lui-même apparaît comme un appel, indice supplémentaire d’une réelle position de soutien).
  • [88]
    Isabelle Roberts, « Du temps sans vous pour les lofteurs », Libération, 15 mai 2001, p. 27.
  • [89]
    1. Le renoncement illimité par le candidat de son droit à l’image. 2. L’impossibilité d’un recours du candidat contre la production en cas de préjudice. 3. L’interdit concernant les informations en provenance de l’extérieur.
  • [90]
    Olivier Costemalle, Raphaël Garrigos, Isabelle Roberts, « “Loft Story” en odeur de saleté », Libération, 14 mai 2001, p. 24.
  • [91]
    En référence à l’analyse de Danièle Hervieu-Léger, à propos du phénomène religieux, qui évoque les pratiques religieuses comme mise en pratique des croyances, comme « croyance en acte ». Le discours de dénonciation devient ici contestation active. (La frontière reste mince, car le discours, on l’a vu, est rapidement acte, appel à la mobilisation ou au boycott, menace de plainte ou mise en demeure, etc.)

1L’émission de téléréalité Loft Story est diffusée sur M6, du jeudi 26 avril au jeudi 5 juillet 2001. Cinq filles et six garçons doivent cohabiter dans un loft, filmés 24 heures sur 24. Les images sont diffusées en permanence sur le satellite, mais c’est une sélection et un montage qui sont proposés aux téléspectateurs de M6 en fin de journée. L’émission fonctionne comme un jeu, au cours duquel sont éliminés, semaine après semaine, par désignation des lofteurs puis par vote du public, les moins « populaires » d’entre eux. Ils quittent alors le Loft, l’un(e) après l’autre, lors de la diffusion du grand “prime” hebdomadaire du jeudi soir, jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul garçon et une seule fille, qui forment alors le couple gagnant.

2L’émission (version francisée du programme Big Brother qui connaît un grand succès dans plusieurs pays d’Europe) est la première du genre en France. Elle apparaît tandis que dominent la « télé-témoin » (Missika, 2003) ou encore la « télé compassionnelle » ou « télé actrice » (Mehl, 1996), c’est-à-dire une télévision qui résout les conflits, prend en charge les problèmes des individus, agit sur le réel, transforme les destins, mais qui aussi, de plus en plus, montre et promeut des individus « normaux », « ordinaires », mue par la « passion égalitaire » (Ehrenberg, 1993, 1995) qui caractérise notre société. C’est le règne aussi d’une (néo) télévision (Eco, 1985) qui tend à supprimer les frontières autrefois (paleo-télévision) bien définies entre les programmes culturels, d’informations, de divertissements, et promeut ainsi un mélange des genres. C’est enfin l’apogée d’une télévision qui, avec les reality-shows, met en spectacle l’intimité, la confession, et offre une tribune à tous les désirs exhibitionnistes ou besoins d’épanchements (Jost, 2002). De sorte que la téléréalité apparaît dans le paysage audiovisuel comme une suite logique à toute une série d’évolutions, et comme une nouvelle étape, somme toute prévisible, d’une déjà longue histoire télévisuelle qui a vu se transformer le langage télévisuel, la fonction de la télévision, le rôle et la place du téléspectateur, le type de relation entre la télévision et lui.

3Pourtant, l’émission Loft Story a déclenché une véritable tempête sociale. Elle a suscité de très nombreux commentaires, avant même – mais surtout pendant – sa diffusion. Les grands quotidiens et hebdomadaires nationaux lui ont consacré plusieurs de leurs unes, et une quantité impressionnante d’articles. Au point que des appels ont été lancés pour que l’on ne parle plus de l’émission et que l’on cesse d’en faire un problème majeur. Certaines voies se sont élevées pour affirmer que le véritable scandale résidait non dans la diffusion du programme mais dans l’ampleur du traitement médiatique. Jusqu’à la presse étrangère qui s’est émue de la violence du rejet qui a accompagné l’émission? [1].

4Il reste que l’émission, très tôt, a fait l’objet de très nombreux commentaires et qu’elle a été rapidement constituée en scandale et problème public. Nous nous proposons ici d’analyser cet ensemble de commentaires, c’est-à-dire d’observer chronologiquement la sortie – immédiate – hors du silence de cet objet télévisuel particulier et d’étudier l’ouverture et la constitution d’un espace herméneutique, d’une multiplicité de champs d’interprétation. Nous entendons relever, chronologiquement, l’apparition des thèmes, des motifs et dimensions dans le traitement intellectuel de l’analyse de l’émission, et leur organisation. Il s’agit pour nous d’observer la mise en accusation de l’émission, sa constitution en objet indigne, méprisable, scandaleux, dangereux. Et de rendre compte des différents registres de valeurs dans lesquels les opposants à Loft Story ont puisé pour construire et justifier leur condamnation, travail déjà initié par Nathalie Heinich (Heinich, 2002).

5À partir de l’exemple de l’émission Loft Story ? et des discours qu’elle a suscités – nous nous proposons d’observer et analyser la production d’une malédiction, la construction d’un scandale. Celui-ci, comme objet construit, s’est élaboré et développé dans les médias essentiellement, et dans la presse quotidienne pour une très grande part. Ce sont donc cette presse et les articles consacrés à l’émission, qui ont constitué notre terrain? [2].

6Au-delà des seuls registres de dénonciation de l’émission, il nous semble pouvoir observer, à travers l’ensemble de ces discours (que nous nommerons tout au long des pages suivantes le « discours critique »), à la fois la description, par un groupe d’intellectuels, d’un monde en déclin, et l’expression de l’ensemble des peurs que suscitent la société contemporaine et ses profondes mutations. L’analyse de ce discours, objet construit du sociologue, nous paraît ainsi un moyen efficace d’observation et de compréhension d’une certaine vision du monde ou de la société diffusée par la presse quotidienne nationale, et portée par les « intellectuels » du pays.

7Cette dénonciation de Loft Story comme scandale s’est très tôt accompagnée d’une contestation en actes (manifestations, opérations parodiques et spectaculaires) dont nous nous efforçons de rendre compte également, car ce passage du discours à l’action illustre la « carrière » ou « trajectoire » d’un scandale devenu problème public, depuis sa naissance jusqu’à sa résolution. Ce qui se donne à voir avec la dénonciation de Loft Story, c’est le passage d’une réception intime et privée d’un programme de télévision, jusqu’à la création d’un collectif de lutte et l’organisation d’une action publique.

La « télé trou de serrure ». Le 27 mars

8Très peu d’articles sont consacrés à l’émission avant sa diffusion, le jeudi 26 avril 2001, mais ils vont dessiner très rapidement les contours d’un très vaste champ d’interprétation. Très tôt, près d’un mois avant la diffusion de l’émission, Sébastien Homer? [3], dans l’Humanité du 27 mars, dénonce une « émission voyeuriste » et la possibilité pour les téléspectateurs de satisfaire des « instincts de voyeurs ».

9S’ouvrent ainsi d’emblée à la fois un champ lexical (le vocabulaire de la psychanalyse : voyeurisme, qui sera bientôt suivi des termes exhibitionnisme, interdit, fantasme, sadisme, masochisme…)? [4], et un champ d’interprétation (le champ psychanalytique ou civilisationnel? [5]), qui relèvent du domaine de la sexualité, de la psychologie et des « bonnes mœurs ». De nombreux discours en termes de perversion (sexuelle) mais aussi d’intimité (brouillage des frontières entre espace public et espace privé, nudité, indécence, impudeur, bienséance), ou plus globalement de civilisation (tabou, règles, interdits, décadence) vont investir ce champ d’interprétation. Au-delà de la seule dénonciation du voyeurisme exalté par l’émission, beaucoup de contempteurs déploreront un retour au sauvage, à la barbarie, un véritable déclin de la civilisation (à la fois traduit et encouragé par la remise en cause du contrôle des pulsions et de la privatisation des instincts sexuels), avec la diffusion télévisée de jeunes gens laissant libre court à leurs instincts et pulsions, et exhibant ce qui doit rester caché et privé.

10Ce champ d’interprétation apparaît très tôt comme légitime et allant de soi. La fameuse séance érotico-aquatique entre Loana et Jean-Édouard viendra justifier ce type de lecture du programme. (C’est le caractère « réel » de la scène, bien davantage que son contenu – assez chaste en définitive, au regard des scènes érotiques que l’on peut voir d’ordinaire à la télévision – qui va choquer et justifier la dénonciation en termes d’exhibition et de voyeurisme.

11Soulignons dès à présent que cette dénonciation se heurtera bientôt à une autre, cette fois en termes de « manipulation »? [6] ; celle-ci annulant celle-là, ou pour le moins limitant sa portée : en effet, aux dénonciations de l’impudeur des lofteurs, de l’exhibitionnisme des corps et des sentiments, répondront les accusations contradictoires de censure, de manipulation des images (par la production), et de calcul, de contrôle et de maîtrise de soi (exercés par les lofteurs). « Il n’y a rien à voir ! » s’offusqueront ceux-là, en réponse à ceux qui déplorent que l’« on montre tout ! ».

12Toujours est-il que la publication des premières pages du « discours critique »? [7] indique clairement que celui-ci va s’orienter dans le registre médical (relation pathologique et perverse entre téléspectateurs et candidats), éthique (morale sexuelle, éthique corporelle transgressées) et civique (droit à l’intimité bafoué). Logiquement, le monde de la médecine, de la psychanalyse, de la philosophie, et le monde religieux se mobiliseront contre l’émission et puiseront largement dans ces registres de condamnation.

13Dans l’article de S. Homer, la dénonciation du voyeurisme est également déjà dénonciation de la surveillance. « Les faits et gestes seront épiés », explique l’auteur qui rend compte du dispositif (26 caméras filmant 24 heures sur 24, cinquante micros, etc.). Il n’est encore question que de « télésurveillance » telle que celle pratiquée dans les supermarchés. Mais une brèche est ouverte dans laquelle s’introduiront tous ceux qui évoqueront Big Brother, la surveillance de tous les instants, le rôle de « maton » du public, et qui verront dans le Loft une prison de haute sécurité, un lieu de réclusion sous contrôle.

Act Up et la question de la discrimination. Le 2 avril

14Très tôt mise en accusation, Loft Story fait l’objet d’une première « sommation » avant même sa diffusion. Act Up Paris? [8] demande en effet à M6 de « cesser toute pratique discriminatoire dans la sélection des candidats », et dénonce l’imposition illégale de tests (hépatite, virus HIV) lors de la campagne de sélection. Alexia Laroche-Joubert, alors responsable du « projet Loft Story », répondra de ces accusations dans le Monde du 2 avril, interrogée par Sylvie Kerviel? [9].

15Le discours critique de l’émission investit dès lors un nouveau champ d’interprétation pour le moins inattendu : le champ juridique (l’illégalité des tests de sélection), et professionnel (la discrimination dans le monde du travail). L’émission n’est pas diffusée encore qu’elle suscite la polémique, non comme objet télévisuel, mais comme programme de la chaîne M6 et de la production Endemol. M6 et Endemol sont dénoncées comme (indignes) acteurs économiques et sociaux (l’employeur effectuant un recrutement), dans le champ professionnel, aux prises avec d’autres acteurs socio-économiques (les candidats à l’entrée dans le loft, futurs employés d’Endemol). La première attaque prend ainsi pour cible non pas le contenu culturel de l’émission, mais les modalités de sélection ou recrutement. Elle émane d’une association, un acteur de la vie politique, médicale et sociale, peu prédisposé a priori à prendre part au débat sur l’émission. Le statut d’association de lutte contre le Sida d’Act Up conduit aussi, logiquement en raison de ce statut mais de façon bien surprenante au regard de l’émission elle-même, à situer le discours critique sur le terrain de la lutte contre la discrimination des séropositifs ou malades du sida ou de l’hépatite. L’émission apparaît ainsi très tôt comme susceptible de réveiller un discours social et militant, de défense des oppressions et des inégalités. Les contempteurs se recruteront alors logiquement dans les rangs des militants associatifs, inspecteurs du travail, syndicalistes, mais aussi juristes et politiques. Ceux-ci s’inquiéteront bientôt, dès les premières images de diffusion et après publication des contrats des lofteurs, des conditions de travail, droits contractuels, et des modes de rémunération des lofteurs.

Trash TV : un terme équivoque pour un programme hybride. Le 10 avril

16Le 10 avril, soit deux semaines avant la première diffusion de l’émission, la notion – prévisible – de “trash TV ” apparaît dans un court article de l’Humanité? [10], ainsi que celle – plus inattendue – de « rat de laboratoire ». Ce terme de “trash TV” ouvre la voie aux discours à venir sur l’émission comme objet télévisuel et création artistique (même si la formule – générique et générale – renvoie également à la thématique civilisationnelle et aux notions d’indécence, de perversité, etc.). L’emploi – précoce – de cet anglicisme explicite dessine ainsi comme futur champ d’interprétation le champ culturel et esthétique. Il sera (logiquement) investi par toute une catégorie de discours qui se construiront autour des notions de médiocrité culturelle, de pauvreté artistique, d’indigence créative, après les premières diffusions de Loft Story.

17La formule – moins évidente dans un discours sur une émission télévisuelle de divertissement – de « rat de laboratoire » ouvre également un nouveau champ d’interprétation : le champ expérimental et scientifique (ou encore médical). Ce mode de lecture et de compréhension de l’émission sera adopté notamment par des scientifiques. Juristes, psychiatres, mais aussi députés, développeront un discours à la fois juridique (sur le non-respect des lois sur l’expérimentation humaine), médical (sur les dangers liés à l’expérimentation) et bioéthique (sur le non-respect de la personne humaine lors de ce type d’expérimentation). Toutes ces accusations apparaissent déjà de façon sous-jacente dans cette désignation du lofteur comme « rat de laboratoire ».

18Les notions de trash TV ou de TV poubelle? [11] (sa version francisée qui apparaîtra quelques jours tard) connaîtront beaucoup de succès et seront couramment mobilisées par les divers contempteurs successifs. Elles sont d’une grande efficacité, de par leur caractère immédiatement accusateur (elles « parlent » d’elles-mêmes) et leur caractère particulièrement équivoque. Elles permettront en effet de désigner à la fois le « scandale » de la médiocrité culturelle et de l’indigence artistique de l’émission, le « scandale » de la pornographie du programme et de sa vulgarité, le « scandale » de l’exploitation des lofteurs et des conditions du jeu, le « scandale » de la surveillance de tous les instants et de la privation des libertés, le « scandale » de l’expérimentation et des abus éthiques du programme. On va retrouver dans cette « poubelle », aussi bien l’esthétique, l’éthique, la justice, la morale, que le civisme. Dans cette TV poubelle, selon le discours critique, pourriront aussi bien Savoir et Connaissance, dignité et pudeur, règles et principes, vérité et honnêteté, respect et liberté.

19Le succès de ces notions tient de ce qu’elles contiennent en germe toutes ces dénonciations et accusations, de ce qu’elles peuvent résumer toutes les lectures et interprétations possibles de l’émission. L’équivocité des termes « poubelle » ou “trash” associés à « TV » renvoie ainsi à la pluralité des registres de valeurs mobilisés par le discours critique. Cette diversité renvoie elle-même au caractère éminemment hybride de l’émission, à la fois jeu, concours, sitcom, fiction, reportage, documentaire, expérimentation, etc.

Lutter contre la perversion. Le 21 avril

20Six jours avant le lancement de Loft Story, le samedi 21 avril, le journaliste Dany Stive? [12] lance un appel dans l’Humanité : « N’entrez pas dans Loft Story » (qui donnera son titre à l’article et sera le premier d’une longue série d’appels au boycott).

21Dénonçant la « télé poubelle », il s’indigne surtout (comme S. Homer avant lui) de la position de « voyeur » d’« éventuelles scènes chaudes » du téléspectateur, qui, pour « se rincer l’œil » glisse « un œil dans la serrure » du Loft. Il explique que la chaîne transforme les uns en exhibitionnistes, les autres en voyeurs, et souligne à son tour l’absence d’espace d’intimité. Comme son collègue de l’Humanité, il construit et articule son propos autour du thème du « voyeurisme/exhibitionnisme », révélateur d’une civilisation dépravée. Ce thème (et ses corollaires : la fin des limites, le franchissement de tous les tabous, la publicisation ou « surexposition »? [13] de l’intimité) sera à nouveau développé quelques jours plus tard par Dominique Wolton? [14] dans un entretien accordé au Figaro, ou par Ivan Rioufol? [15] dans un article au titre explicite (« Montrez vos fesses ») paru dans un dossier intitulé de façon tout aussi explicite « Le filon de l’exhibitionnisme et du voyeurisme séduit l’audiovisuel ». Dès lors, quantité d’articles du même ordre seront publiés les uns après les autres. Mais dès le 21 avril, ce court texte de D. Stive (après celui de S. Homer le 27 mars) constitue le champ psychanalytique comme champ d’interprétation majeur. Il dessine les grandes lignes d’une thématique : la perversion, qui appellera une analyse critique de la civilisation décadente, de l’idéologie de la transparence, du rejet de l’interdit, d’un retour à la barbarie et à l’animalité caractérisé par la transgression de tous les tabous, la victoire du ça? [16]. La tonalité du discours sera le plus souvent militante, accusatrice, impérative et vindicative ; elle peut se résumer dans la formule suivante : M6 est coupable, ne soyez pas complices !

22Une fois cette voie bien tracée, les nombreux contempteurs qui s’y engageront vont dresser le profil pathologique des candidats (exhibitionnistes/masochistes), des téléspectateurs (voyeurs/sadiques) et des producteurs de l’émission (marchands de luxure et de pornographie). Ils vont présenter le loft comme le lieu du vice et de la dépravation, et appeler à la censure ou au moins à des formes de résistance et boycott. Ivan Rioufol? [17] militera ainsi le 26 avril pour un renforcement de la « réglementation » en matière télévisuelle afin d’éviter de tels excès, et fera sienne la proposition de Karl Popper d’instaurer un « permis de téléviser » délivré qu’à la condition du respect de certains principes.

Jeu du cirque et camp de concentration. Le 21 avril

23Dany Stive dénonce aussi, à son tour (après l’accusation tout juste esquissée par Sébastien Homer) le rôle d’« espion » que le téléspectateur est appelé à jouer, et la surveillance « jour et nuit » dont les lofteurs font l’objet. Il condamne l’« enfermement » des lofteurs, « onze prisonniers volontaires » de ce « nouveau jeu du cirque ». Il s’indigne déjà de la position de « bourreau » du téléspectateur votant pour la désignation des gagnants et perdants.

24Ce même 21 avril, paraît un article dans le quotidien La Croix, signé par Colette Boillon? [18]. Expliquant l’objet de l’émission, la journaliste observe que son principe « frise la dénonciation des uns par les autres », et « imagine (le téléspectateur) baissant le pouce devant (son) écran » pour éliminer un candidat. Elle aussi condamne le jeu, son principe d’exclusion, le « droit de “vie ou de mort” » sur les candidats donné aux téléspectateurs. Elle enrichit la thématique de l’incarcération sous surveillance, en soulignant, comme Stive, la dimension spectaculaire de la lutte entre lofteurs (gladiateurs modernes) et de leur élimination (tels les vaincus condamnés à mort des antiques « jeux du cirque »).

25Le 21 avril, les deux journalistes de L’Humanité et de La Croix abordent donc les premiers le thème de la « privation de liberté » et de la « mise à mort symbolique », ouvrant avec ces quelques lignes sur la répression et la surveillance et ce vocabulaire emprunté au domaine carcéral, un nouveau champ d’interprétation : le champ politique.

26Le Loft apparaît comme un lieu d’enfermement, où végètent des prisonniers, une arène télévisée, où combattent des gladiateurs. En tant que tel il implique une relation de domination entre téléspectateurs – au mieux surveillants, au pire bourreaux – et candidats – prisonniers ou esclaves. Cette relation et les rapports de pouvoir, d’asservissement, le « fascisme rampant » qu’elle implique (pour reprendre la formule de Jérôme Clément? [19]), vont faire l’objet de quantité de développements. On trouvera alors de multiples références au totalitarisme, au fascisme, au nazisme, aux camps de concentration, mais aussi le recours à des concepts philosophiques tels que la « banalisation du mal » emprunté à Hannah Arendt, et détourné pour devenir « banalisation du sadisme »? [20] dans un texte de Jean-Jacques Delfour, ou celui d’« industrialisation de la mort » qui deviendra sous la plume de Bruno Frappat « industrialisation de la soumission »? [21]. Quelques jours plus tard, le 2 mai, Luc Rosenzweig dénoncera la « claustration volontaire » et fera référence à l’état totalitaire imaginé par le romancier Ray Bradbury? [22].

27La référence au système totalitaire intervient ainsi très tôt dans le débat. Elle va contribuer à faire du champ politique un champ d’interprétation prospère, et de la thématique de la liberté entravée une thématique féconde. Le mois de mai va voir la publication d’une multitude d’articles sur le dispositif du Loft comme « machine scopique et scrutatrice », ou « machine totalitaire »? [23]. Leurs auteurs mettront en avant le processus de « soumission volontaire »? [24], le système de « délation et confession », « les deux mamelles de “Loft Story” », caractéristique des « pays totalitaires »? [25]. Les plus radicaux, à l’image de Jean-Jacques Delfour? [26] verront dans Loft Story le prolongement des « sociétés totalitaires nazies et staliniennes », une « machine à dénudation psychique », ou encore un « écho à la pornographie des camps de concentration ».

28Le discours va ainsi, après les premières diffusions, se politiser, et investir le champ idéologique. Les contempteurs de l’émission vont prendre la défense de la démocratie, de la République, et s’indigner de la mise à mal des droits des individus. Le Loft, comme territoire politique, va devenir, dans le discours critique, le lieu de la suppression des libertés, le lieu du retour du monstre totalitaire. « Nous sommes tous des lofteurs ! », sembleront crier de concert ceux qui refusent de fermer les yeux devant « l’immonde totalitarisme que véhicule sans vergogne ce Drancy télévisé, satellisé et internetisé », imaginé par un « Goebbels cathodique »? [27].

Redondances : le devoir de dire haut et fort

29Les premières récurrences de ce discours critique apparaissent déjà au lecteur attentif avant même que soit diffusée l’émission. L’analyse originale, l’information inédite, cèdent la place au discours purement accusateur, qui n’a d’autre fonction que de dénoncer la faute, de proclamer l’indignité, de rendre public le scandale. Il s’agit de manifester publiquement la haine et le mépris bien plus que d’informer ou éclairer (ce qui a déjà été tant de fois mis en lumière et commenté), tout comme les multiples discours sur les grandes gloires (De Van Gogh à Elvis Presley ou Lady Di), répétitifs et redondants, célèbrent le personnage et sa gloire plus qu’ils n’informent, ne révèlent ou n’expliquent? [28].

30Le discours sur le Loft témoigne des dangers que constitue le programme, comme les biographies hagiographisantes témoignent des bienfaits de Van Gogh ou d’Elvis ; les premiers construisent le scandale et révèlent l’ignominie, comme les secondes révèlent la grandeur. Discours critique et discours célébratif n’ont de cesse de proclamer la singularité, ignoble et honteuse de l’émission, noble et magnifique de l’artiste. Ils admettent toujours plus de voix, chantant les multiples louanges ou maudissant les multiples fautes.

31Dans la dénonciation comme la célébration, l’important est de prendre part, de rajouter sa voix à celles des autres pour faire toujours davantage de bruit. Il faut dire et redire, au risque de la répétition et de la redondance, pour faire entendre la réalité de la grandeur comme celle de la honte, pour rallier le plus grand nombre à cette vérité, et pour que tous communient dans la célébration et l’admiration ou dans le rejet et le mépris.

32C’est ainsi qu’on trouvera, au fil des pages du discours critique, les mêmes formules et les mêmes termes déclinés indéfiniment. « TV poubelle », « voyeurisme », “Big Brother”, « cobayes », « rats de laboratoire », « jeu du cirque », « prison », « surveillance », « néant » etc. sont autant de termes que l’on pourra lire, avec une grande régularité, dans les textes de plusieurs contempteurs.

33En quelques jours tout sera dit sur Loft Story, mais la litanie des accusations durera tout l’été, tout le temps de la diffusion. Il ne se passera plus une semaine sans qu’un article ne paraisse dans l’un ou l’autre des grands quotidiens nationaux. À mesure qu’il se développera, se diversifiera, se spécialisera, le discours critique se durcira, dans une surenchère de condamnations et d’accusations. Plus les textes paraîtront, de jour en jour plus nombreux, et plus il semble qu’il devienne nécessaire à chacun des contempteurs, pour se faire entendre, d’élever la voix, de radicaliser le propos, de forcer le trait, de recourir à des termes chocs, des images violentes. C’est ainsi qu’apparaîtront les analogies les plus spectaculaires, ainsi qu’on a pu le voir, avec le fascisme, le nazisme (un lecteur du Monde dénoncera un « jeu nazi »? [29]), ou les camps de concentration? [30], ou encore avec le néo-féodalisme? [31], ou que seront évoqués par exemple l’esclavage, le crime contre l’humanité? [32], l’atteinte à la dignité humaine, et la chair à audimat? [33], les tournantes? [34], ou l’odeur de pourriture? [35] de Loft Story.

Le scandale économique. Le 26 avril

34Le matin du premier jour de diffusion apparaît un nouveau thème? [36], qui sera bien vite abandonné – et pour cause ! Celui du coût élevé de l’émission. Dans une période de restriction, l’émission de M6 apparaît comme exagérément onéreuse, largement au dessus des moyens d’une chaîne qui « supprime des emplois dans les filiales du groupe » et demande « au personnel de se serrer la ceinture ». Dès lors, « il n’en faut pas plus pour que Loft Story devienne le bouc émissaire idéal ». En effet, « L’émission coûte très cher, du coup, tout le monde en pâtit, explique-t-on ». La réalité de ce coût est tenue secrète, malgré les insistances des journalistes, mais « la direction a refusé de révéler le prix de l’émission, tout en admettant qu’elle était très onéreuse ».

35Dès les premiers scores (ou plutôt records) d’audience, le très faible coût en réalité du programme sera révélé, puis analysé au regard des bénéfices considérables pour la chaîne. Le scandale économique résidera, non plus dans le risque pris par la chaîne et dans sa mauvaise gestion économique, mais bien au contraire dans sa politique ultra réaliste et son efficacité inique. Le scandale des profits considérables (l’équation « monstrueuse » coûts minimums/gains maximums) remplacera celui du risque et de l’investissement démesuré « en période de restrictions ». Ce « scandale économique » fera l’objet d’un reportage dans Le Nouvel Observateur? [37]. Il constituera l’un des axes forts de la dénonciation de Loft Story comme entreprise, lieu d’exploitation de travail forcé, symbole d’un ultralibéralisme? [38] qui dépossède les salariés de leurs droits, foule au pied les acquis sociaux en matière de conditions de travail, et favorise un patronat qui, seul, recueille les dividendes du travail, en confisquant les bénéfices. Journalistes, inspecteurs du travail, syndicalistes prendront leur plume pour dénoncer les salaires misérables des lofteurs, des « salaires d’ouvriers du Tiers Monde »? [39], qui véritablement « frisent l’indécence »? [40] et restent « très éloignés des obligations légales du salaire minimum »? [41].

36La révélation des sommes en jeu (des coûts du programme, des bénéfices en termes de recettes liées aux appels téléphoniques ou de ventes d’espaces publicitaires et de produits dérivés) et leur comparaison avec les maigres gains des candidats conduiront rapidement le discours critique à développer la thématique de l’« exploitation ». L’inégalité de la relation entre ces acteurs économiques que sont les lofteurs, et les producteurs va être soulignée et faire l’objet d’une analyse méticuleuse depuis son origine (le recrutement ou l’embauche déjà dénoncés, on l’a vu, par Act Up) jusqu’à son terme (l’élimination dénoncée maintenant non plus comme mort symbolique ou exécution mais comme « licenciement »). La surveillance par les caméras renvoie à l’open space des entreprises modernes, le processus d’élimination est comparé aux licenciements et dégraissages des multinationales Danone et Marc & Spencer? [42], les relations entre lofteurs eux-mêmes sont relues comme des rapports d’hypercompétitivité dans un « univers économique sans pitié ». Les contrats sont publiés et plusieurs avocats et juristes les examinent et en dénoncent les multiples irrégularités et vides juridiques, ainsi que les nombreux manquements au droit des personnes, au droit du travail, au droit d’auteur, jusqu’à la ministre de l’Emploi et de la Solidarité de l’époque, Elisabeth Guigou, qui saisit ses services pour vérifier la nature desdits contrats? [43]. Le discours critique devient un discours d’expertise en matière de droit du travail, de défense d’un salariat écrasé par la logique néolibérale et un discours de militance pour un monde plus juste et plus humain.

L’odieuse manipulation. Le 26 avril

37Ce même jour du jeudi 26 avril, alors que Loft Story va être diffusée pour la première fois dans la soirée, Claude Baudry? [44] dénonce l’espace trouble de l’émission « entre fiction et réalité », citant François Jost à propos de cette « idée de vérité, de proximité, de tangibilité » vendue par ce type de programme, qui n’est autre qu’une « supercherie », « un jeu de rôle orchestré de main de maître par les concepteurs ». Apparaît ainsi la thématique de la « manipulation » (et ses corollaires : le « faux » et le « mensonge »), qui sera largement développée par la suite (notamment dès le 27 avril par Bruno Frappat dans un éditorial à L’Humanité intitulé « fausses vies »? [45]). Le mercredi 2 mai, l’annonce de son départ par David aux autres candidats du Loft donnera lieu à une véritable remise en cause de l’authenticité du programme par le discours critique. Le thème de la manipulation (« Coup de théâtre ou manipulation ? ») sera si bien développé que la chaîne se verra contrainte d’apporter un démenti : « M6 jure ne pas avoir embauché un comédien et avoir appris la nouvelle un quart d’heure avant l’annonce »? [46].

38S’ouvre dès lors un nouveau champ d’interprétation, inédit encore : le champ médiatique et télévisuel. La critique porte sur les mensonges des professionnels des médias et de la télévision, et sur l’émission comme objet télévisuel factice et trompeur. Les contempteurs mettent en doute la sincérité des lofteurs, se demandant s’ils ne sont pas en réalité des « acteurs »? [47], ainsi que celle des producteurs, présentés comme des manipulateurs machiavéliques qui « tirent les ficelles »? [48]. Le téléspectateur est lui dénoncé comme misérable dupe. Toutes les étapes de l’émission se trouvent décortiquées, commentées, analysées, et dénoncées comme fausses et mensongères. Le casting, le choix des candidats, la réalisation, le choix des scènes à montrer ou non, le direct, les événements et situations font l’objet de révélations quant à leur caractère trompeur? [49]. Tout est faux, dans cet univers de simulations et de dissimulations, du discours promotionnel de l’émission jusqu’à la « gloire de pacotille » acquise par les lofteurs.

39Censure, montage, scénarios préfabriqués, rôles joués par des acteurs sont révélés par les accusateurs qui entreprennent une véritable enquête policière, voire pour les plus investis, rien moins qu’une quête : la quête de la vérité derrière le mensonge. Ils endossent les habits d’inspecteurs, de journalistes d’investigation, et volent au secours de leurs lecteurs, abusés et dupés par le programme mensonger. Durant le mois de mai se succéderont quantité d’articles aux titres particulièrement éloquents : « Enquête sur les coulisses de la première émission de la télé-réalité »? [50], « Derrière les miroirs sans tain de “Loft Story” »? [51], « Les huit vérités de “Loft Story” »? [52], « “Loft Story”, une histoire en trompe-l’œil »? [53], « Ce qui se cache derrière Loft Story »? [54], « Fausses vies »? [55], « Les secrets de la “manip” »? [56], etc.

40La dénonciation du mensonge conduira les contempteurs à investir le registre purificatoire et à dénoncer l’absurdité du terme « fiction réelle », à s’émouvoir de cet odieux mélange des genres, à condamner cet objet télévisuel flou, obscur, indéfinissable. Ils prendront la défense d’une pureté mise à mal : la pureté d’un genre télévisuel (devenu indéfini), d’un statut (acteurs ou personnages réels), d’un univers (réel, fictif, virtuel, etc.). Et, puisant dans le registre éthique, ils prendront la défense de l’intégrité, de la vérité, si ignoblement bafouées. Le champ lexical dans lequel va puiser le discours critique témoigne bien de cette défense quasi obsessionnelle de la « vérité » et de la chasse implacable de la « manipulation » : « gober », « trompé », « marionnettes », « ficèles », « pantin du loft », « arnaque », « mascarade », « charlatanerie », « escroquerie », « farce intégrale », « piège », « truqué », « faux-semblant », « préfabriqué », « simulacre », « artifice », « virtuel », « censure », etc.

Le scandale de l’expérimentation humaine

41Claude Baudry écrit (dans ce même article du 26 avril), à propos de l’émission et de son objet : « Objet – on devrait écrire objet avec un s – de ce jeu révolutionnaire : six garçons et cinq filles enfermés dans un loft »? [57]. Il esquisse ainsi l’un des principaux arguments qui vont alimenter la thématique de l’« expérimentation » : la réification des individus, leur relégation au rang d’objets. Il pointe aussi, avant beaucoup d’autres, les dangers potentiels pour les candidats, le risque de l’humiliation, du désespoir et du suicide.

42Ce même 26 avril, Vianney Aubert? [58], dans Le Figaro, intitule son court article « Onze “cobayes” pour gonfler l’audience » ; il installe comme champ thématique du discours critique de l’émission, l’« expérimentation humaine », laissant à d’autres le soin de développer le propos et d’exposer l’argumentation. Le jeudi 3 mai, soit une semaine après le lancement de l’émission, Serge Favereau? [59], journaliste de Libération, donnera la parole au psychiatre Serge Hefez qui précisera les dangers de cette expérimentation humaine, et dénoncera la transformation de ces personnes en « rats dans une cage ». Pierre George? [60], dans Le Monde, fera sienne cette thématique avec une grande conviction.

43Les observateurs de l’émission vont ainsi allègrement puiser dans le champ lexical de la science expérimentale, pour dénoncer le rabaissement ultime des candidats, leur chute hors de l’humanité : la production les transforme en « rats de laboratoire », « cobayes », « insectes humains enfermés dans un bocal » ou « objets-sujets d’expérimentations humaines », « humanoïdes entomologiquement filmés »? [61]. Le Loft devient un « laboratoire » où est menée une « expérience douteuse et passionnante »? [62]. Il évoque, pour d’autres, ces bocaux dans lesquels on place des insectes pour les observer et pratiquer toutes sortes d’expériences plus ou moins sadiques? [63].

44À son tour, le champ d’interprétation scientifique et éthique s’impose comme champ particulièrement fertile. Il donnera naissance à de très nombreuses démonstrations, argumentations et critiques. La thématique de la marchandisation des corps et de l’observation expérimentale des comportements « loftiens » connaîtra un certain succès auprès des contempteurs de l’émission, auxquels se joindront « naturellement » savants et experts, parmi lesquels les plus illustres. Claude Huriet, notamment, interviendra dans le débat, en tant que professeur de médecine, président de l’Institut Curie, et sénateur, mais aussi et surtout rédacteur d’un rapport sur la protection des personnes dans la recherche biomédicale. Il s’indignera de ce que les règles relatives à « la protection des personnes dans le cadre d’une expérimentation humaine » ne sont pas respectées par la production de Loft Story, alors même qu’il s’agit bien d’une « expérimentation humaine »? [64]. Le discours critique se déplacera également du registre éthique et de la protection de la dignité humaine et de l’intégrité des lofteurs comme sujets d’expérience, au registre déontologique, avec la très sérieuse mise en accusation du psychiatre (Didier Destal), caution de l’émission? [65]. Ce dernier sera contraint de s’expliquer devant le Conseil national de l’Ordre des médecins.

La défaite de la culture? [66]

45Le samedi 28 avril, Vianney Aubert? [67] stigmatise la « niaiserie du programme ». « Une sitcom sans scénariste », dont le décor renvoie à « l’imaginaire d’“Hélène et les garçons” », des « acteurs fades », un spectacle dépeint de façon ironique comme d’« une rare intensité ». Le discours critique se déplace ainsi enfin sur le terrain où on l’attendait prioritairement : celui de l’offre culturelle dénoncée comme indigente. La thématique de la « médiocrité culturelle » connaît ses premiers véritables développements. (Le lundi 30 avril, David Dufresne, journaliste de Libération, titrera sa première chronique consacrée à l’émission « Qui c’est qu’a pété ? »? [68], et choisira de traiter par l’ironie le programme, prenant ses lecteurs à témoins de la bêtise de celui-ci).

46Ce même 28 avril, Luc Rosenzweig? [69] dans Le Monde s’excuse de consacrer ses lignes à une telle émission, et demande « un minimum d’indulgence » à ses lecteurs. Il dit son indignation face à l’ineptie du programme en révélant son dégoût d’être dans l’obligation de le voir puis d’en parler. La sentence de la médiocrité culturelle est bien prononcée, sans que les deux termes ne figurent dans l’article.

47Ils vont bientôt apparaître, le discours critique ne procédant que rarement par allusion. Les contempteurs dans leur ensemble ne se distinguent pas par leur caractère évasif ou tempéré. Ils témoignent rapidement de leur préférence pour une argumentation qui assène et martèle, qui affirme, grossit, exagère. Point de nuance quand l’heure est si grave, et l’objet si ignoble. Sur le terrain de la culture, comme sur les autres, le discours critique n’y va pas de main morte. L’ignorance crasse et la « nullité, l’insignifiance, la platitude »? [70], aussi bien des lofteurs que des téléspectateurs, sont soulignées. L’émission est dénoncée, elle, comme le « degré zéro de la création »? [71], le « règne du vide »? [72], une « série spectaculairement nulle »? [73], et le lieu de la plus grande misère intellectuelle et culturelle ; un lieu où l’on ne parle, ni ne pense plus, d’où sont bannies réflexion, méditation, lecture, création…? [74]

48Philosophes, éditorialistes, intellectuels, académiciens vont prendre la plume et partir au secours de l’intelligence sacrifiée, de la connaissance bafouée, du savoir martyrisé, de la culture foulée au pied, de l’esthétique massacrée. Des noms illustres, de Jean Baudrillard à Bertrand Poirot-Delpech, d’Odon Vallet à Jean D’Ormesson, vont fustiger cette « sous culture », dire leur dégoût et répulsion face à tant de laideur, et leurs craintes face à un monde qui s’abîme dans la bêtise crasse, bêtise où sombre toute une population de dégénérés, une jeunesse minable dont lofteurs et téléspectateurs sont les sinistres représentants, communiant dans une même médiocrité, séparés seulement par l’écran de la télévision. Certains, convaincus de leur noble mission, affirmeront l’urgence de donner à notre jeunesse si démunie les armes de la raison, du savoir et de l’intelligence pour lutter contre cette émission, qui les maintient dans la bêtise et la médiocrité? [75].

Un discours à six dimensions

49En quelques jours, quelques mots, quelques encore rares interventions, s’est construit un discours critique qui ne fait aucun cas des frontières disciplinaires, et semble aspirer à investir tous les domaines. Avant même la première diffusion du programme, un champ d’interprétations multiples et un espace herméneutique particulièrement complexe et vaste se sont ouverts. Quelques voix accusatrices se sont faites entendre, mais déjà le propos, pour bref et peu développé qu’il soit encore, s’est déplacé dans le champ de la culture, de la psychanalyse, du politique, du travail ; libre et nomade, il navigue dans le champ scientifique, médical ou encore juridique. Contempteurs et procureurs proviennent déjà de tous horizons et témoignent du fait de leurs statut et titre bien autant que de leurs propos, du caractère profondément divers de l’accusation qui n’en est pourtant encore qu’à ses prémices.

50Le matin du jeudi 26 avril, aucune image n’a été diffusée, mais la plupart des thèmes majeurs de la dénonciation ont été au moins esquissés, sinon déjà explorés et développés, dans la presse quotidienne. Les thématiques de la perversion (exhibition/voyeurisme) et du totalitarisme (enfermement/surveillance) dominent le discours critique, et vont donner lieu par la suite à une multitude d’articles, ou de parties d’articles. (Rares seront les interventions – quels que soient le champ privilégié ou la thématique choisie par l’auteur – qui ne comprendront pas sinon un développement sur le voyeurisme ou l’enfermement, au moins une petite allusion à ceux-ci). La thématique de l’expérimentation ou celle de la médiocrité culturelle vont aussi structurer nombre d’articles. Celle de la manipulation connaîtra également un réel succès ; elle conduira le discours critique sur le terrain de la technique télévisuelle (le montage, le procédé de diffusion en direct ou léger différé, le story-board, etc.). Elle va aussi conférer à ce discours une dimension philosophique (avec le développement d’une réflexion sur les méfaits de la virtualisation du monde moderne). La thématique, enfin, de l’exploitation (sociale et économique) sera également au centre de très nombreux articles sur l’émission.

51Le jeudi 3 mai, soit une semaine après la diffusion des premières images du Loft, la trame du discours critique de l’émission est bien construite. Chaque nouveau contempteur n’aura plus qu’à opter pour une de ces six grandes thématiques ou à prendre le parti de les traiter toutes ou partie. Aucune des nouvelles collaborations à l’accusation, ne s’écartera plus véritablement de ces six registres, de ces six grands axes d’articulation de la dénonciation.

52Dorénavant, chaque nouveau fait, chaque nouvel épisode, chaque nouvelle information, chaque nouvel incident sera l’objet de commentaires, de dénonciations, d’indignations, qui viendront s’inscrire dans l’une ou l’autre de ces thématiques, et lui donner plus d’ampleur et de consistance.

53Modes de sélection ou d’élimination des candidats, dispositif, règles et principes du jeu, mode de diffusion, discours promotionnel, décors… Il n’est pas un aspect de Loft Story qui ne soit passé au crible de la critique, dénoncé comme « scandaleux », et désigné comme énième illustration de l’atteinte scandaleuse de ce programme de divertissement à la culture, à la civilisation, à la vérité, au droit, à la liberté, à l’humanité.

54Toutes ces voix qui composent le discours critique de Loft Story, unanimes dans une même détestation et dénonciation, se défendent d’exprimer un vulgaire jugement personnel ou de donner échos à « une simple revendication indifférente à toute prise en compte d’un bien commun, d’un vivre ensemble » (François, Neveu, 1999, p. 27). Chaque contempteur confère légitimité et crédibilité à son propos en procédant à une « montée en généralité », et en affirmant parler au nom de valeurs ultimes, de principes communs. Il s’efface en tant que téléspectateur subjectif d’une émission de variété, pour revêtir les habits de l’observateur objectif d’un scandale culturel, éthique, social, politique, scientifique etc. Il relègue à l’arrière-plan son dégoût personnel pour placer au premier plan la défense des valeurs de tous (menacées par Loft Story), et il promeut son « opinion négative » en devoir de résistance face au trouble de l’ordre public, en combat nécessaire contre l’atteinte aux valeurs collectives.

55« Depuis les travaux de Boltanski, on sait qu’il existe une grammaire de la prise de parole publique – que certains désignent comme le “régime de la critique” (Cardon, Heurtin, Lemieux, 1995) – qui repose sur une démodalisation du discours, c’est-à-dire sur l’effacement de la singularité de l’énonciateur par la mobilisation de principes supérieurs communs diversement définis […] » (François, Neveu, 1999, p. 33). Le discours critique de Loft Story offre une parfaite illustration de cette « démodalisation », et constitue l’exemple éloquent d’une prodigieuse « montée en généralité ».

L’acte d’accusation de la société contemporaine

56C’est bien au nom de l’ensemble du corps social, et même de l’humanité, que sont tenus tous ces discours. La dénonciation de Loft Story est aussi et surtout défense de l’homme comme être de culture, de savoir et de civilisation, comme être libre et digne. Elle est véritablement défense, par les sages de notre temps, d’une société menacée : une société cultivée, civilisée, libre, démocratique, juste et humaine. « La montée en généralité, nul ne s’en étonnera, est un discours de la hauteur – de la hauteur de vue ?, discours réservé aux “grands” qui seuls peuvent faire le sacrifice de leur singularité pour définir le bien commun à l’intention du commun » (François, Neveu, 1999, p. 34). Le scandale de Loft Story et sa dénonciation permettent indéniablement à une élite (les penseurs, académiciens, intellectuels, journalistes, etc.) de s’affirmer comme telle, de réaffirmer sa conscience et sa vigilance, son rôle de garant du bon ordre du monde, de dessiner ses contours, de redéfinir ses frontières, de réaffirmer ses valeurs, ses normes, ses principes de vision et de division du monde social.

57Le discours critique de Loft Story, bien davantage qu’un simple cri scandalisé devant une émission de télévision, se présente comme le constat lucide et autorisé d’un monde en mutation ou plus exactement en perdition : dans le Loft, nos élites ont vu la fin de la culture, la fin de la civilisation, la fin de la vérité, la fin de l’égalité et de la justice, la fin de la démocratie et de la République, la fin de l’humanité. Avec le Loft, on entre de plain-pied dans une nouvelle ère culturelle (règne de la sottise), une nouvelle ère civilisationnelle (règne du ça et du tout permissif). On entre dans l’ère virtuelle (règne de l’illusion et de l’apparence trompeuse), dans une nouvelle ère socio-économique (règle de l’exploitation et de l’ultralibéralisme), dans une nouvelle ère politique (dominée par le totalitarisme). On entre enfin dans une nouvelle ère scientifique (l’ère expérimentale où l’homme est réduit à n’être qu’un objet, un sujet d’expérience, propriété du savant).

58Avec ce discours critique sur Loft Story s’est élaboré et diffusé le procès non plus de la seule émission télévisée mais de la société contemporaine. C’est l’acte d’accusation par l’intelligentsia, des dérives du monde actuel qui a été dressé en cette fin de printemps 2001. Les ennemis véritables de notre temps sont désignés et dénoncés. Les menaces et les dangers qui pèsent sur notre monde sont éclairés et exposés. Les grandes angoisses que génère un monde qui change, sont enfin exprimées, et les appels à la prise de conscience, à la résistance, à la lutte sont lancés.

Des discours aux actes : appel, préparation et contre-attaque

59La dénonciation va très rapidement déborder des pages des quotidiens et investir la cité, sous une forme complexe : à la fois ludique et ironique comme en attesteront les slogans « Libérez au moins les poules », mais aussi sérieuse et grave (en témoigneront les mises en demeure, et l’argumentaire en termes de « déontologie », de « dignité » et de « droits fondamentaux de la personne humaine »).

60En effet, une dénonciation en actes, et non plus en parole dans les quotidiens, des transgressions scandaleuses (opérées par la télévision française, M6 et Loft Story) va se développer. Des actions vont être entreprises (communiqués de presse, sommations, appels à manifestations et manifestations) afin de rendre publiques ces transgressions, de les présenter et définir comme menaces publiques concernant la société dans son ensemble et non quelques individus (le développement du voyeurisme dans notre société, sa « bigbrotherisation », le déclin de la télévision et de culture en général) ; afin également de sensibiliser chacun et de l’appeler à agir.

61Dès le 30 mars 2001, nous l’avons vu plus haut, Act Up Paris publie un communiqué de presse dans Action n° 73 et le met en ligne sur le site de l’association. Il dénonce les tests de dépistage du virus du sida et des hépatites B et C lors de la sélection des candidats? [76]. Le 11 avril est fondé le site Internet « Boycottyes.com » par l’écrivain Phil Marso, en opposition à Loft Story et plus généralement à la téléréalité. Le jeudi 26 avril, c’est au tour du collectif de lutte contre la vidéosurveillance « Souriez vous êtes filmés »? [77] de prendre part au combat.

62Des associations et collectifs de citoyens hostiles à Loft Story se mobilisent. Les « Apprentis agitateurs pour un réseau de résistance globale » (« AARRG »), les « Humains Associés » et leur site Cyberhumanisme.org, les membres des jeunesses communistes, de Chiche (les jeunes Verts), de la CNT (syndicat anarchiste) se joignent à la lutte. Une multitude de sites « anti-Loft » se créent sur le web et organisent à leur tour la résistance : Lostory (www. lostory. org) et son slogan « nous ne sommes pas des farines animales », ou encore Klofstory (www. klofstory. fr) qui a été suspendu à la demande de M6. Mais aussi Poulagastory (version parodique avec des poules en lieu et place des candidats, et dont le slogan est : « 5 poules, 6 coqs, 118 caméras et des millions de blaireaux »)? [78]. L’émission devient un véritable problème public pris en charge par des groupes ainsi déjà constitués (Act Up, Zalea TV, SVEF, etc.) ou se constituant pour faire face à ce « problème ». Aux côtés de la parole singulière de chaque contempteur va se développer l’acte collectif d’un groupe.

63Les acteurs de la contestation, en particulier le collectif SVEF, appellent, aux côtés de Phil Marso, les téléspectateurs à faire un acte « télé-hygiénique », en allant déposer leurs poubelles le samedi 12 mai à 14 heures devant le siège social de la chaîne au 89 avenue Charles de Gaulle à Neuilly. C’est l’« opération sacs poubelles ». La riposte se construit autour de la dénonciation du voyeurisme, de la trash TV, et surtout autour de la télésurveillance, de la « big brotherisation » de la société? [79].

64La télévision associative Zalea TV appelle à l’action à son tour, sous une même forme ludique et ironique ; elle lance un jeu baptisé Loft Raider dont l’objectif est de porter « l’ultime assaut » contre Loft Story et de « libérer les otages de M6 ». Les responsables donnent rendez-vous le 12 mai à 17 h 00 aux Studios de France à la Plaine Saint-Denis par la voix de Michel Fiszbin de Zalea TV dans un communiqué adressé à l’AFP le 7 mai. L’action doit suivre l’« opération sacs poubelles » prévue le même jour à 14 h 00. Zalea TV invite les participants, afin de conduire l’assaut, à se munir de cordes à nœuds, de boules puantes, de feux d’artifice, de mégaphones, et à préparer des slogans. Sur un mode ironique, les organisateurs de la manifestation s’adressent ainsi à des publics qu’ils veulent mobiliser et qu’ils invitent à entrer en scène, et définissent des rôles (de « victime » à défendre et libérer, de « bourreau » à punir, de « bouc émissaire » à livrer à la vindicte publique), conformément au modèle décrit par Robert Benford et Scott Hunt (Cefaï, 2001). La mobilisation passe par l’écriture d’un scénario (scripting) : le Loft comme prison et son assaut, la mise en scène de cet assaut (staging), le jeu de la pièce (performing), et par l’interprétation (interpreting) des rôles (ou dramatis personae) pré-écrits par ces scénaristes du monde social.

65Avant même la date fatidique, la contre-attaque s’organise, et la dénonciation publique est en passe de se transformer en « affaire », (selon la distinction qu’opère Elisabeth Claverie entre « scandale » et « affaire » (Lemieux, De-Blic, 2005)), à travers « le retournement de l’accusation scandaleuse en direction de l’accusateur ». Les rôles s’inversent avec la transformation du juge accusateur en accusé, et de l’accusé en juge accusateur et victime. M6 et Endemol France (ex ASP Production) adressent en effet une « mise en demeure » à Zalea TV, dénonçant leur « appel » comme incitant « le public à pénétrer par effraction dans le Loft dans lequel séjournent les candidats » [80]. La chaîne menace de saisir la justice aux motifs d’une provocation aux crimes et délits réprimée par la loi du 29 juillet 1881, si Zalea TV ne renonce pas à son action, ni n’insère « un rectificatif annulant » cette action. La télévision associative fait savoir le 8 mai qu’elle ne renonce pas et qu’elle a mis « en demeure M6 de mettre fin au plus vite à Loft Story pour non-respect des principes élémentaires de la déontologie des métiers de la télévision ». Chaque nouvel acte de parole vient ainsi modifier les positions de victime et de fautif, et déplace l’offense et l’accusation d’un camp à l’autre. Chaque parti (M6 et Zalea) investit (directement ou indirectement par le biais de la menace) une arène? [81] (médiatique et judiciaire) pour donner sa (ses) version(s) de la situation et imposer sa (ses) définition(s) du problème. Après les dénonciations, les mises en demeure et les appels au boycott, les manifestations et rassemblements devant le siège de M6 ont ouvert l’accès à plusieurs « arènes » : judiciaire, médiatique, ou « politique », jouant ainsi à plein de l’interconnection et du fonctionnement en réseau de ces arènes? [82].

Des discours aux actes : « Opération sacs poubelles » et « Loft Raider »

66Le samedi 12 mai, les opérations « sacs poubelles » et « Loft Raider » ont lieu comme prévu. La préparation de l’événement avait fait l’objet d’articles avant la date fatidique? [83] ; son déroulement lui-même donne lieu à plusieurs comptes rendus dans la presse. On apprend qu’une bonne centaine de manifestants ont déposé leurs poubelles devant le siège de M6 à Neuilly-sur-Seine. « Libérez (au moins) les poules », lit-on sur une banderole. L’atmosphère est bon enfant avant que la tension monte (on déplorera quelques altercations avec les vigiles). Des tomates, des yoghourts, des œufs sont jetés sur la façade de l’immeuble de M6 par les participants. L’enseigne M6 est détruite. Un opposant rajoute à la peinture les lettres ERDE à la suite du M de M6. Les antennes régionales de la chaîne font l’objet d’un même traitement (Nantes, Rennes, Toulouse, Marseille)? [84]. Le mouvement devient ainsi national. À 17 h 00 a lieu la deuxième manifestation à l’appel de Zalea TV. Elle réunit 400 personnes venues affirmer que « l’homme n’est pas une marchandise ». Certaines scandent « Arthur ordure, Taversnost salaud ! ». Des gaz lacrymogènes sont lancés. En dépit du cordon de sécurité des vigiles, un groupe de manifestants parvient à gagner l’arrière du loft, fait céder un mur d’enceinte, avant que les CRS n’interviennent et s’interposent entre le Loft et les manifestants.

67Le dépôt d’ordures comme l’assaut parodique font partie de ces « stratégies de dévoilement, de subversion ou de provocation, c’est-à-dire de mobilisation du public et d’enrôlement de forces extérieures aux institutions mises en cause » (Lemieux, De-Blic, 2005). « Stratégies scandaleuses » ou « stratégies de scandalisation », telles que les définit Michel Offerlé? [85], ces deux actions font exister publiquement la cause défendue (le rejet de la bigbrotherisation et de la médiocrité télévisuelle), et remplissent plusieurs objectifs : elles parviennent à « énoncer qu’il y a scandale », « à faire scandale », et « à faire dire et faire croire que le fait, la situation sont bien scandaleux »? [86].

68L’opération « sacs poubelles » et le Loft Raider sont caractéristiques de ces « manifestations de papier », ou manifestations de « second degré » selon l’expression de Patrick Champagne (1984). Ils rendent visible le groupe mobilisé et sa force, favorisent la réunion des membres du groupe et la consolidation des liens qu’ils entretiennent, et permettent l’expression des revendications. Mais – c’est là que réside le second degré – ces opérations mettent aussi et surtout en scène médiatiquement la protestation (il s’agit d’obtenir les unes des quotidiens ou au moins des articles ou comptes rendus, des images dans les journaux télévisés). Le journaliste devient alors tout à la fois une sorte d’associé (qui médiatise, et ainsi soutient l’événement et la revendication) et de rival (qui peut imposer sa lecture de l’événement et de la revendication et les disqualifier). En l’occurrence, la presse – acquise à la cause des dénonciateurs du Loft – a parfaitement rempli son office, faisant écho avec bienveillance à toutes les revendications des acteurs. Les quotidiens nationaux ont rapporté avec un grand soin chacun des épisodes, depuis l’appel jusqu’à l’opération elle-même. Libération a même semblé non seulement relayer l’information, mais soutenir l’action, diffusant très précisément lieu et date du rendez-vous, et précisant même la station de métro (Sablons)? [87].

69Le samedi 19 mai, une nouvelle manifestation a lieu, à l’initiative encore de Zalea TV, qui lance un « appel à la société civile » et dénonce « l’indulgence et la lâcheté des pouvoirs publics, de la classe politique et du CSA face aux atteintes à la dignité et aux droits fondamentaux de la personne humaine perpétrées par le programme Loft Story de M6 ». « Halte à la dictature de la médiocratie », « les 35 heures pour les lofteurs », « libérons au moins les poules », « TV poubelle, TV criminelle » scanderont une petite centaine de personnes rassemblées vers 17 h 30 au 43-45 avenue Victor-Hugo à Aubervilliers devant le mur protégeant les studios de M6. Certains tenteront en vain d’assaillir le Loft, pour se contenter finalement de briser quelques parpaings à coups de pieds.

70Zalea TV appellera à mener un ultime assaut contre le Loft le jeudi 5 juillet 2001 à 19 h 00 (aux Studios de France, entrepôt 103), à l’occasion de la dernière retransmission de l’émission. Il s’agira, selon le communiqué de presse, de « fêter comme il se doit la libération des poules », de « se réjouir de la débandade de la télé-réalité-boursière et de ses bouffonneries affligeantes et liberticides », et de « rappeler qu’il existe une alternative à la télé d’asservissement : la télé libre ».

La fin d’un scandale

71Malgré la virulence de la dénonciation et l’ensemble des actions entreprises contre elle, l’émission ira jusqu’à son terme et connaîtra un succès d’audience remarquable. Cette contestation n’aura cependant pas été sans effet sur le programme.

72Il va en effet connaître plusieurs évolutions notamment du fait de l’action du Conseil supérieur de l’audiovisuel qui imposera, le mardi 15 mai? [88], que les candidats bénéficient de moments hors caméras. Ils devront disposer « de moments et de lieux où ils ne sont pas soumis à l’observation du public » et avoir droit à « des phases quotidiennes de répit d’une durée significative et raisonnable, ne donnant lieu à aucun enregistrement sonore ou visuel ni à aucune diffusion ». (Les candidats auront alors le droit de s’isoler deux fois par jour, de 11 à 12 heures et de 15 à 16 heures). Après étude des contrats, le CSA se contente d’inviter M6 à « éviter tout dérapage de nature à porter atteinte à la dignité de la personne humaine ». Il imposera également « de ne pas valoriser dans Loft Story le processus d’exclusion et d’élimination des participants ». De sorte qu’à présent, lofteurs et téléspectateurs voteront non plus pour le départ de l’un, mais pour garder les autres. La contestation, par le CSA encore, de trois clauses litigieuses après examen des contrats? [89] donnera lieu à la définition d’un véritable cadre de ces nouveaux programmes de téléréalité, et a l’établissement de nouvelles conventions que signeront TF1 et M6 en juillet et octobre 2001.

73C’est dans cette faculté d’adaptation, en cours de diffusion, et de transformation des règles du jeu, pour limiter les effets néfastes de la critique, que certains verront la raison du succès du programme et de sa résistance au scandale. On peut également, comme le précise Nathalie Heinich, mettre en avant les stratégies des acteurs : les intérêts financiers et professionnels des dirigeants de M6, « réputationnels » des candidats, relationnels des téléspectateurs (continuer à regarder pour « rester dans le coup » (Heinich, 2002, p. 236). On peut répondre par les besoins d’identification des adolescents, l’apprentissage de conduites (Pasquier, 1999) et verser dans une sociologie compréhensive. Mais, toujours avec Heinich, qui recourt à la notion de « cadre analyse » de Ervin Goffman, on peut trouver dans le caractère hybride du programme sa réelle faculté d’évitement de la critique (comment s’énerver sérieusement contre un divertissement sans conséquence, comment dénoncer le caractère fictif d’une fiction, etc. Qu’on critique le Loft comme jeu, et il se donne à lire comme reportage, ôtant, grâce à sa polysémie, l’argumentaire critique de tous sens). François Jost soulignera aussi ces changements de cadre et leur efficacité : Loft Story est d’abord présenté comme un document sur la jeunesse française (lors d’une promotion qui repose sur ce que Jost appelle la stratégie authentifiante). Mais quand apparaissent les premières critiques sur le sort réservé aux candidats (rats de labo ou prisonniers), la chaîne modifie son discours et met en avant le caractère ludique du programme : c’est un jeu, ce n’est pas de la réalité.

74En juillet 2001, le scandale a eu lieu, et s’est accompagné de quantité de conflits annexes avec parfois recours en justice et mobilisations. En dépit de son action, le CSA a été fortement remis en cause pour son silence et sa passivité. Il voit son image largement mise à mal par la diffusion de Loft Story, et en constituera indéniablement l’une des grandes victimes. Beaucoup d’observateurs durant l’été 2001 ont en effet pointé ses insuffisances, son absence de pouvoir, son incapacité, voire son inutilité. La station de radio Skyrock a été mise en demeure par le CSA pour des propos tenus sur Loft Story jugés « gravement attentatoire au respect de la dignité de la personne humaine ». Elle reçoit le soutien de l’UNEF-ID, de la FIDI (Fédération indépendante et démocratique lycéenne), de la Fédération nationale des potes (un regroupement d’associations de quartier), d’auditeurs, mais aussi et surtout de Jack Lang, alors ministre de l’Éducation, qui demande à Dominique Baudis, président du CSA, la suspension de cette mise en demeure. Un fonds d’investissement éthique français, Branics, a déclaré qu’il n’achèterait plus d’actions M6, pour cause d’« atteintes répétées à la dignité humaine », et qu’il a proscrit les actions de SUEZ, actionnaire de M6? [90]. Le MRAP, lui, a saisi le parquet de Paris, après audition de propos racistes entendus dans le Loft et dénoncés par Le Lay. M6 répliquera en diffusant une série de 12 petits films contre le racisme (à l’initiative de l’association Dire, faire contre le racisme) juste avant Loft Story.

75À la rentrée suivante, à partir de septembre 2001, les émissions de téléréalité fleuriront et envahiront le paysage audiovisuel français sans plus déchaîner de telles réactions, ni susciter de telles dénonciations. Star Academy, puis Kho Lanta, Pop Star, puis Nice People, La Ferme, À la recherche de la Nouvelle Star, The Bachelor, L’Île de la Tentation etc., puis Loft Story 2 imposeront en France le règne de la téléréalité dans un silence, un calme et une sérénité, qui contrasteront avec le bruit et la fureur qui ont accompagné la diffusion du premier Loft Story.

Conclusion

76Les réactions qu’a suscitées en France la diffusion du programme de téléréalité Loft Story, nous paraissent constituer un terrain d’observation particulièrement propice à la compréhension de la naissance et du développement d’un scandale contemporain. À la lecture des pages des quotidiens (à la fois tribunes d’expression de la contestation et rapports journalistiques des actions menées), on voit la construction en cours d’un problème public, sa carrière et trajectoire, depuis le malaise intime et privé – exprimé, rendu public, et redéfini comme problème concernant l’ensemble du corps social, l’ensemble de la sphère publique – jusqu’à l’action collective, menée au nom de tous et pour tous. On perçoit clairement une première phase de fixation, par les discours, des indignations et préjudices dans divers registres (éthique, droit, justice, etc.), de définition des problèmes, de désignation des protagonistes, de détermination des enjeux, etc., c’est-à-dire une phase d’identification, d’établissement, de reconnaissance et de stabilisation du problème public (Cefaï, 1996), avant que ne s’effectue le passage du discours au discours en acte? [91].

77Ce discours, (aussi bien le « discours critique » ainsi que nous l’avons appelé tout au long de ces pages, ou le « discours en acte »), dit bien autre chose que le rejet d’une émission de téléréalité. Il se veut et se donne à lire comme un discours sur un monde en mutation, et révèle ainsi à l’observateur attentif l’ensemble des angoisses que génère l’évolution de la société moderne, et qui se trouvent, au prétexte de la dénonciation de la téléréalité, énoncées de façon plus ou moins directe. Loft Story apparaît comme le symbole, le résultat et le symptôme d’une société en déclin (culturel, civilisationnel, politique, éthique, etc.) ; elle apparaît également comme l’un des agents principaux de ce déclin, d’où l’importance de cette contestation, et la revendication par tous ceux qui la portent, de son caractère vital pour la société, voire l’humanité.

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    • LABORDE, C., « No Story », Le Figaro, n° 17661, 23 mai 2001, p. 15
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    • LACROIX, A., « Un univers destiné à provoquer des drames », Le Figaro, n° 17660, mardi 22 mai 2001, p. 31.
    • Lançon, P., « Nous sommes tous dans le Loft », Libération, 7 mai 2001, p. 6.
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    • PSENNY, D., « Derrière les miroirs sans tain de “Loft Story” », Le Monde, 14 mai 2001, p. 5.
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    • ROSENZWEIG, L., « Fahrenheit 451 », Le Monde, 2 mai 2001, p. 36.
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    • SORMAN, G., « La France est un loft… », Le Figaro, n° 17661, 23 mai 2001, p. 15.
    • STIVE, D., « N’entrez pas dans le loft », L’Humanité, 21 avril 2001, p. 21.
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    • Terré, F., « L’indigne Loft Story », Libération (Rebonds), mardi 15 mai 2001, p. 7.
    • VULSER, N., « Pour Jérôme Clément, Loft Story annonce l’avènement d’un “fascisme rampant” », mardi 15 mai, p. 22.
    • WUNENBURGER, J.-J., « L’utopie de la transparence », Le Figaro, jeudi 26 avril 2001, p. 12-29.
    • « M6 capote », L’Humanité, mardi 10 avril 2001, p. 24.

Notes

  • [1]
    Le public a, quant à lui, adhéré largement à l’émission. Loin de s’en offusquer ou de s’en scandaliser, il a suivi avec intérêt et parfois passion le quotidien des lofteurs. Des entretiens conduits auprès de téléspectateurs révèlent des motivations très variées, des modes de réception multiples, mais très rarement les formes de rejets scandalisés qu’ont manifestés les intellectuels contempteurs de Loft Story. Mehl (2003, p. 132) notera le profond décalage entre l’audience « massive, multiculturelle, plurigénérationnelle et socialement composite » et la « critique radicalement hostile conduite par [les] journalistes et intellectuels ».
  • [2]
    Dans son étude du rejet de l’ « art contemporain », Nathalie Heinich a pu prendre par exemple comme terrain et objet d’étude les messages scandalisés laissés sur les barrières protégeant le chantier des « colonnes de Buren », ou encore ceux laissés sur les pages des livres d’or d’exposition. Nous avons pris quant à nous les messages livrés dans les pages des grands quotidiens nationaux, lieux même où le scandale s’est construit (beaucoup plus que sur les plateaux de télévision par exemple) et où il s’est donné à voir, lire et entendre. Notre corpus a été constitué des articles parus entre avril et septembre 2001, dans Le Monde, Libération, Le Figaro, La Croix, L’Humanité. Nous avons aussi intégré dans ce corpus les articles publiés dans Le Nouvel Observateur, Marianne, L’Express et Le Point.
  • [3]
    Sébastien Homer, « La télé trou de serrure », L’Humanité, mardi 27 mars 2001, p. 20.
  • [4]
    Voir notamment les articles d’Alexis Lacroix (Le Figaro, 26 avril 2001, 22 mai 2001), de Jean-Jacques Wunenburger (Le Figaro, 26 avril 2001), de Philippe Lançon (Libération, 7 mai 2001), Florence Montraynaud (La Croix, 25 mai 2001), etc.
  • [5]
    Nous le nommons ainsi car il va rassembler l’ensemble des discours portant sur des aspects de civilisation : l’évolution de la frontière privé/public, le passage de la culture à la nature, le retour à la barbarie, l’abandon des normes et règles de civilisation, le rejet des acquis de la « civilisation », le déclin des repères, des « valeurs » et des interdits structurants…
  • [6]
    Voir l’article par exemple de Claude Baudry (L’Humanité, 26 avril 2001), le premier abordant ce thème, et surtout celui de Daniel Psenny, Le Monde, 14 mai 2001, p. 5, qui dénonce les procédés de censure, montage, et diffusion en différée, et écrit : « quant aux scènes de sexe, tout est censuré […] ».
  • [7]
    C’est ainsi que nous appellerons l’ensemble de ces écrits consacrés à Loft Story qui constituent notre corpus.
  • [8]
    Association de lutte contre le sida.
  • [9]
    Sylvie Kerviel, « Alexia Laroche-Joubert : “Les candidats doivent avoir le sens des responsabilités” », Le Monde, 2 avril 2001, p. 3.
  • [10]
    « M6 capote », L’Humanité, mardi 10 avril 2001, p. 24.
  • [11]
    Terme employé par Dany Stive (L’Humanité, 21 avril 2001, p. 21), dès le 21 avril.
  • [12]
    Dany Stive, « N’entrez pas dans le loft », L’Humanité, 21 avril 2001, p. 21.
  • [13]
    Pour reprendre la formule de Serge Tisseron, qui donne son titre à l’ouvrage L’intimité surexposée, Paris, Ramsay, « Pluriel », 2001.
  • [14]
    Alexis Lacroix, « Wolton : “Le public mérite mieux que cela” », Le Figaro, n° 17639, 26 avril 2001, p. 13.
  • [15]
    Ivan Rioufol, « Montrez vos fesses », Le Figaro, n° 17639, 26 avril 2001, p. 12.
  • [16]
    François Terré (Libération, 15 mai 2001), par exemple, fera très directement le lien entre l’émission et «le culte du malsain », l’argent, le sexe, l’exhibitionnisme, le sadomasochisme régnant dans notre « société décadente ».
  • [17]
    Ivan Rioufol, Le Figaro, 26 avril 2001.
  • [18]
    Colette Boillon, « Quand M6 se transforme en Big Brother », La Croix, 21 avril 2001, p. 18.
  • [19]
    Nicole Vulser, « Pour Jérôme Clément, Loft Story annonce l’avènement d’un “fascisme rampant” », mardi 15 mai, p. 22.
  • [20]
    Jean-Jacques Delfour, Le Monde, 19 mai 2001, p. 16.
  • [21]
    Brunot Frappat, « Des détenus modèles », la Croix, l’humour du jour, 12 mai 2001.
  • [22]
    Luc Rosenzweig, « Fahrenheit 451 », Le Monde, 2 mai 2001, p. 36.
  • [23]
    Jean-Jacques Delfour, 19 mai 2001, p. 16.
  • [24]
    David Dufresne, « À tous les habitants du loft », Libération, 24 mai 2001, ou encore « L’esclave qui défia l’empire », Libération, 5 juin 2001, p. 38, article dans lequel il écrit « Le contrôle est total, pas un signe de rébellion ».
  • [25]
    Christian Laborde, Le Figaro, 23 mai 2001, p. 15.
  • [26]
    Le Monde, 19 mai 2001, p. 16.
  • [27]
    William Abitbol, « Aziz : expulsé des jeux du cirque », Marianne, 21-27 mai 2001, n° 213, p. 35.
  • [28]
    Voire à ce sujet l’analyse par Nathalie Heinich (1991) du traitement hagiographique et célébratif de la vie de Vincent Van Gogh.
  • [29]
    Philippe Campet, Le Monde, 14 mai 2001, p. 37.
  • [30]
    Alexis Lacroix (Le Figaro, 22 mai 2001, p. 31) évoquera « toute proportion gardée » Primo-Lévi et les camps, et dénoncera le risque de suicide dans le loft ou à sa sortie.
  • [31]
    Raphaëlle Bacque, « Les politiques critiquent la télévision, pas l’émission », Le Monde, 12 mai 2001, p. 19.
  • [32]
    Voir notamment les articles de Jean-Jacques Delfour (Le Monde, 19 mai 2001), ou de Bruno Frappat (La Croix, 12 mai 2001).
  • [33]
    Jacques Amalric, « Chair à audimat », Libération, 12 mai 2001, p. 3.
  • [34]
    William Abitbol décrira l’émission comme une « colossale tournante par laquelle M6 excite notre jeunesse », Marianne, 21-27 mai 2001, p. 35.
  • [35]
    Voir le communiqué de Phil Marso, fondateur du site Boycottyes.com.
  • [36]
    Isabelle Roberts, « “Loft Story” divise la chaîne », Libération, jeudi 26 avril 2001, p. 29.
  • [37]
    Sylvain Courage, Olivier Toscer « Cash story sur M6 », Le Nouvel Observateur, n° 1906, 17-23 mai 2001, p. 90-94.
  • [38]
    Claude Baudry (L’Humanité, 24 mai 2001, p. 7) analysera le pouvoir du groupe néerlandais Endemol Entertainment sur l’audiovisuel européen, le présentant comme une multinationale prospère et toute puissante.
  • [39]
    Sébastien Homer, L’Humanité, 28 mai 2001, p. 23.
  • [40]
    Claude Baudry, L’Humanité, 24 mai 2001, p. 7.
  • [41]
    Michel Delberghe, « Les syndicats pointent des entorses nombreuses au code du travail », Le Monde du 12 mai 2001, p. 19.
  • [42]
    David Dufresne, Libération, 10 mai 2001, p. 42.
  • [43]
    Voir notamment les articles de Thiébault Dromard et Audrey Trotereau (Le Figaro, 8 mai 2001, p. 8), ou d’Emmanuel Schwartzenberg (Le Figaro, 31 mai 2001, p. 12), ou l’entretien d’Olivier de Tissot, donné à Yves-Marie Labé (Le Monde, 7 mai 2001, p. 6).
  • [44]
    Claude Baudry, « La télé-braguette est arrivée », L’Humanité, 26 avril 2001, p. 20.
  • [45]
    Bruno Frappat, La Croix, 27 avril, p. 1.
  • [46]
    « David annonce son départ. Débandade à “Loft Story” », Libération, mercredi 2 mai 2001, p. 26.
  • [47]
    Christophe Deroubaix, L’Humanité, vendredi 11 mai 2001, p. 12.
  • [48]
    Luc Rozenzweig, Le Monde, 2 mai 2001, p. 36.
  • [49]
    Voir par exemple, Daniel Psenny, « Derrière les miroirs sans tain de “Loft Story” », Le Monde, 14 mai 2001, p. 5.
  • [50]
    Sylvie Kerviel, Daniel Psenny, « Enquête sur les coulisses de la première émission de la télé-réalité », Le Monde, 4 mai 2001, p. 10.
  • [51]
    Daniel Psenny, « Derrière les miroirs sans tain de “Loft Story” », Le Monde, 14 mai 2001, p. 5.
  • [52]
    Isabelle Nataf, Marie Estelle Pech, Charles Viansson-Ponte, « Les huit vérités de “Loft Story” », Le Figaro, n° 17650, jeudi 10 mai 2001, p. 29-30.
  • [53]
    Pierre de Boishue, Marie-Estelle Pech, « “Loft Story”, une histoire en trompe-l’œil », Le Figaro, n° 17650, jeudi 10 mai 2001, p. 29-30.
  • [54]
    Claude Baudry, « Ce qui se cache derrière Loft Story », L’Humanité, 24 mai 2001, p. 7.
  • [55]
    Brunot Frappat, « Fausses vies », La Croix, vendredi 27 avril 2001, p. 1.
  • [56]
    Natacha Tatu, Stéphane Arteta, « Les secrets de la “manip” », Le Nouvel Observateur, n° 1906 du 17 au 23 mai 2001, p. 98-99.
  • [57]
    Claude Baudry, L’Humanité, 26 avril 2001, p. 20.
  • [58]
    Vianney Aubert, « Onze “cobayes” pour gonfler l’audience », Le Figaro, n° 17639, 26 avril 2001, p. 29.
  • [59]
    Eric Favereau, « Ils sont en danger », entretien avec Serge Hefez, Libération, 3 mai 2001, p. 4.
  • [60]
    Pierre George, « La vie au Lamparo », Le Monde, 3 mai 2001, p. 38.
  • [61]
    Pierre George, Le Monde, 3 mai 2001, p. 38.
  • [62]
    Pierre George, Le Monde, 3 mai 2001, p. 38.
  • [63]
    Voir notamment l’article de Geneviève Jurgensen, « M6 et les scorpions », La Croix, 5 mai 2001, p. 2.
  • [64]
    Claude Huriet, Le Monde, 12 mai 2001, p. 13.
  • [65]
    Voir par exemple l’accusation portée par Christine Lamothe, rapportée par Paul Benkimoun, « Des psychiatres dénoncent “la faute éthique” de leur confrère, “caution scientifique d’une émission perverse” », Le Monde, 4 mai 2001, p. 10.
  • [66]
    En référence bien sûr à l’ouvrage d’Alain Finkielkraut, La défaite de la pensée.
  • [67]
    Vianney Aubert, « Le loft de l’ennui », Le Figaro, n° 17641, 28 avril 2001, p. 31
  • [68]
    David Dufresne, « Qui c’est qu’à pété ? », Libération, 30 avril 2001, p. 41.
  • [69]
    Luc Rosenzweig, « Complètement loft », Le Monde, 28 avril 2001, p. 32.
  • [70]
    Jean Baudrillard, « L’élevage de poussière », Libération, 28 mai 2001.
  • [71]
    Ivan Rioufol, Le Figaro, 26 avril 2001, p. 12.
  • [72]
    David Dufresne, Libération, 1 juin 2001, p. 34.
  • [73]
    Ivan Rioufol, Le Figaro, 22 mai 2001, p. 32.
  • [74]
    Voir les articles de Guy Sorman, Le Figaro, 23 mai 2001, p. 15, et Christian Laborde, Le Figaro, 23 mai 2001, p. 15.
  • [75]
    Vincent Cespedes, « Loft Story. Pour une révolte de la jeunesse », Marianne, 28 mai – 3 juin 2001, n° 214, p. 66.
  • [76]
    Act Up exige des responsables de M6 : « Qu’ils cessent toute pratique discriminatoire dans la sélection des candidats ; Qu’ils garantissent aux candidats l’accès au matériel de prévention : préservatifs, masculins ou féminins, gel, digues dentaires ou encore gants en latex et à une information claire sur les MST et le VIH/sida. Qu’ils communiquent régulièrement auprès du grand public sur les risques de transmission du VIH/sida et les moyens de se protéger ». Le communiqué précise que « dans le cas où M6 exigerait un test de dépistage et n’apporterait aucune garantie quant à la confidentialité de ces données, nous (Act Up) exigeons des autorités compétentes (CSA, Ministre de la Santé, Ministre de la Justice) qu’elles prennent les mesures nécessaires pour faire cesser ces pratiques ».
  • [77]
    Collectif qui lutte alors notamment contre les caméras de surveillance installées à Levallois-Perret par Patrick Balkany, alors maire de la ville.
  • [78]
    Sébastien Homer, « Solidarloft », L’Humanité, 11 mai 2001, p. 13.
  • [79]
    Le collectif « SVEF » lutte en effet contre les caméras de surveillance installées à Levallois-Perret par Patrick Balkany, alors maire de la ville.
  • [80]
    « “Loft Story” dénonce “Loft Raider” », Libération, mercredi 9 mai 2001, p. 25.
  • [81]
    Au sens de « lieux » ou « places », où se déroulent les débats, et où ils sont médiatisés et publicisés. Chaque arène (politique, médiatique, judiciaire, etc.) possède son armature propre, ses registres de discours, ses lois et fonctionnements institutionnels, ses règles, savoir-faire et tactiques, ses rythmes, son agenda, ses figures dominantes, groupes de pressions et personnages clés, ses réseaux de sociabilité, ses agences d’information, ses ressources aussi bien financières qu’organisationnelles, ses frontières. L’ « arène publique » dont on trouvera un très complet tableau dans l’article de Cefaï (1996), est à comprendre comme un contexte de description, interprétation, explication et jugement d’un problème public et permet de saisir notamment la « carrière » ou « trajectoire » de celui-ci.
  • [82]
    Phénomène analysé par Bosk et Hiltgartner (1988) qui ont montré que le recours en justice des hémophiles victimes des transfusions de « sang contaminé » a contribué au développement du traitement médiatique du scandale du sang contaminé et à sa prise en charge politique (Champagne, Marchetti, 1994).
  • [83]
    Cédric Mathiot, « Les anti-loft programment l’opération invasion », Libération, 12 mai 2001, p. 3.
  • [84]
    Olivier Costemalle, Raphaël Garrigos, Isabelle Roberts, « “Loft Story” en odeur de saleté », Libération, 14 mai 2001, p. 24.
  • [85]
    Offerle, 1998, cité par Lemieux, De-Blic, 2005.
  • [86]
    Offerle, 1998, cité par Lemieux, De-Blic, 2005.
  • [87]
    Catherine Maussion : « M6 : “À vos poubelles” », Libération, vendredi 27 avril 2001, p. 28. (Le titre de l’article lui-même apparaît comme un appel, indice supplémentaire d’une réelle position de soutien).
  • [88]
    Isabelle Roberts, « Du temps sans vous pour les lofteurs », Libération, 15 mai 2001, p. 27.
  • [89]
    1. Le renoncement illimité par le candidat de son droit à l’image. 2. L’impossibilité d’un recours du candidat contre la production en cas de préjudice. 3. L’interdit concernant les informations en provenance de l’extérieur.
  • [90]
    Olivier Costemalle, Raphaël Garrigos, Isabelle Roberts, « “Loft Story” en odeur de saleté », Libération, 14 mai 2001, p. 24.
  • [91]
    En référence à l’analyse de Danièle Hervieu-Léger, à propos du phénomène religieux, qui évoque les pratiques religieuses comme mise en pratique des croyances, comme « croyance en acte ». Le discours de dénonciation devient ici contestation active. (La frontière reste mince, car le discours, on l’a vu, est rapidement acte, appel à la mobilisation ou au boycott, menace de plainte ou mise en demeure, etc.)
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