Notes
-
[1]
VEBLEN, 1899.
-
[2]
BOURDIEU, 1979.
-
[3]
GOBLOT, 1925.
-
[4]
LYNES, 1982 ; MURPHY, 1988 ; LEVINE, 1988 ; BEISEL, 1990.
-
[5]
Point de vue que j’ai mis en œuvre dans LAHIRE, 2004.
-
[6]
CHARTIER, 1989, p. 1511.
-
[7]
FISH, 1980.
-
[8]
CEFAÏ, PASQUIER, 2003, p. 38.
-
[9]
La démarche méthodologique complexe mise en œuvre à partir de l’enquête « Pratiques culturelles des Français. Enquête 1997 » (DEP/ministère de la Culture) et qui permet d’énoncer de tels résultats est longuement explicitée dans LAHIRE, 2004, p. 117-207. Les profils culturels ont été construits à partir d’indicateurs sur les genres musicaux écoutés le plus souvent, les genres de livres lus le plus souvent, les genres de films préférés, les émissions de télévision préférées, les genres de sorties ou de visites culturelles et les loisirs-divertissements pratiqués. Cette démarche statistique a été complétée par 111 entretiens réalisés auprès de personnes aux propriétés sociales diversifiées (selon l’âge, le sexe, le niveau de diplôme, la nature de la formation scolaire, l’origine sociale et la position socioprofessionnelle).
-
[10]
Bien analysées par GRIGNON, PASSERON, 1989.
-
[11]
CASTEL, 1965, p. 329.
-
[12]
PASSERON, 1991, p. 109.
-
[13]
Et l’on ne comprendrait pas les évolutions individuelles en matière de pratiques et de goûts culturels si l’on ne reconstruisait pas les dynamiques qui font que ce qui est simple habitude peut devenir passion ou, au contraire, tomber en désuétude ; que ce qui était obligatoire peut, au bout d’un long processus d’intériorisation ou en d’autres circonstances, se métamorphoser en goût personnel ; que ce qui n’était que pratique pour faire plaisir à d’autres est susceptible de se transformer en pratique pour son propre plaisir ou que ce qui était goût ou passion redevienne simple habitude, etc.
-
[14]
Nos analyses rejoignent sur ce point celles d’ERICKSON, 1996.
-
[15]
Voir LAHIRE, 1998.
-
[16]
DUMONTIER, SINGLY, THELOT, 1990.
-
[17]
Sur la distinction « culture chaude » vs « culture froide », voir DUPONT, 1994.
-
[18]
Le philosophe Ludwig Wittgenstein disait à propos des films américains qu’il aimait voir après un effort intellectuel intense que ceux-ci lui faisaient « l’effet d’une bonne douche ». Voir MALCOLM, 1988, p. 336-337.
-
[19]
ELIAS, DUNNING, 1994, p. 56.
-
[20]
Voir sur ce point l’analyse du karaoké (« Karaoké et libération publique des tensions », LAHIRE, 2004, p. 616-624) qui, tout en étant à l’opposé de la culture de la froide retenue, de la maîtrise des sentiments ou des émotions caractérisant les amateurs éclairés de musées ou les spectateurs des concerts de musique classique ou d’opéra, peut faire partie de la palette de sorties de personnes à fort capital culturel.
-
[21]
Voir notamment sur la culture ouvrière VERRET, 1988.
-
[22]
Il faut rappeler que le pourcentage des foyers français propriétaires d’un téléviseur n’était, en 1960, que de 13 % et a atteint depuis 1989 les 96 %. Côté radio, on est passé de 5 % en 1930 à 96 % en 1973.
-
[23]
Cela n’a rien d’étonnant pour les lecteurs des travaux du sociolinguiste nord-américain William Labov qui montrent que l’effort des locuteurs pour parler dans un registre standard est d’autant plus grand que la situation est officielle. Voir LABOV, 1976.
-
[24]
On mesure par exemple l’effet du passage des films des salles de cinéma à la télévision (avec les diffusions multiples et la possibilité de visionnage des cassettes vidéo) sur les caractéristiques de leurs publics (GUY, 2000). Plus les films sont anciens et plus ils ont une chance d’avoir été vus, et même appréciés, par un public autre que celui qui s’était déplacé pour les voir au moment de leur sortie en salle. D’une part, les films d’auteurs « réservés » initialement au public très diplômé et cinéphile trouvent ainsi des publics plus larges qui ne se seraient pas déplacés et n’auraient pas payé pour aller les voir par peur de s’ennuyer ou de ne rien comprendre, mais qui ont néanmoins la curiosité de les voir à la télévision. D’autre part, les films les plus « grand public » et les moins légitimes (films d’action ou d’aventure, films policiers ou films comiques) peuvent être vus par des publics aux exigences culturelles ordinairement plus hautes, qui ne seraient pas non plus allés les voir en salles (noblesse culturelle oblige), mais qui peuvent apprécier de les regarder gratuitement, en privé, sans ressentir de honte culturelle et sans être gênés ou rebutés par la présence de publics aux propriétés sociales et culturelles très éloignées des leurs.
-
[25]
On trouve pour la première fois en mai 1963 dans la revue L’Education nationale et sous la plume du sociologue Georges Friedmann, non seulement une interrogation sur la concurrence entre école et industrie culturelle, mais l’évocation des possibles ambivalences culturelles des lycéens dans ce nouveau contexte. Comme l’écrivent Anne-Marie Chartier et Jean Hébrard : « Voici donc, pour la première fois dans notre corpus, l’affirmation qu’il pourrait y avoir des strates culturelles aux valeurs antagonistes au sein d’une même société, du même groupe social et peut-être même au sein du même individu (“Telle fille vantera dans sa dissertation les mérites éminents de La Princesse de Clèves qui, dans son for intérieur, préférera le récit des malheurs de Soraya dans France-Dimanche”). » (CHARTIER, HEBRARD, 2000, p. 462).
-
[26]
BOURDIEU, 1979, p. 60. Par exemple, Marc Fumaroli dit sa détestation de la confusion entre « le Forum et le Cirque, Carême et Carnaval » (FUMAROLI, 1992, p. 300-301), de même qu’Alain Finkielkraut critique le « métissage » de ses contemporains dans La Défaite de la pensée, 1987.
-
[27]
CASSAVETTI, 2002.
-
[28]
Idem.
-
[29]
LE GUERN, TEILLET, 2003.
-
[30]
LEVINE, 1988.
-
[31]
Voir le paragraphe intitulé « Variations inter-individuelles et singularités individuelles » in LAHIRE, 2004, p. 193-195.
-
[32]
Thème que l’on retrouve aussi bien chez FINKIELKRAUT, 1987 que chez BOURDIEU, 2001.
-
[33]
LABOV, 1976. J’ai consacré dans L’Homme pluriel un paragraphe intitulé « Code switching et code mixing au sein d’un même contexte » qui soulignait l’importance d’une partie de la sociolinguistique pour une sociologie des variations contextuelles des comportements intra-individuels (LAHIRE, 1998, p. 74-76).
-
[34]
Voir LAHIRE, 1998 et LAHIRE, 2004, p. 695-736.
-
[35]
GIBSON, 1979.
1De Thorstein Veblen [1] à Pierre Bourdieu [2] en passant par Edmond Goblot [3], une longue tradition intellectuelle a mis en lumière les fonctions sociales de l’art et de la culture dans les sociétés différenciées et hiérarchisées, et notamment les profits sociaux de distinction liés à la maîtrise des formes culturelles les plus rares et les plus légitimes. Les sociologues de la culture sont ainsi depuis longtemps habitués à penser « la Culture » (la « haute » ou la « grande » culture) dans ses rapports avec les classes sociales ou les fractions de classes et à dresser le constat des inégalités sociales d’accès à « la Culture ». Des classes sociales et de leur distance plus ou moins grande à la culture dominante, des hiérarchies culturelles qui ordonnent les groupes, les institutions, les œuvres et les pratiques du plus légitime au moins légitime, voilà les éléments-clés de l’interprétation sociologique des pratiques et préférences culturelles depuis quarante ans en France comme aux Etats-Unis [4]. La situation sociale globale dépeinte depuis le milieu des années 1960 peut être résumée de la manière suivante : des classes dominantes « cultivées », avec un rapport détendu à la culture chez ceux qui ont bénéficié d’une éducation culturelle précoce, des classes moyennes caractérisées par une « bonne volonté culturelle » et une tension hypercorrective, mais oscillant entre le « noble » et le « populaire », et des classes dominées tenues à distance de la Culture et éprouvant une honte ou une indignité culturelle permanente.
2C’est ce tableau que l’on peut très sérieusement et rigoureusement remettre en question en adoptant un autre point de vue de connaissance que celui qui scrute les seuls écarts interclasses ; un point de vue qui envisage de manière systématique les pratiques et les préférences culturelles sous l’angle de la variation intra-individuelle des comportements [5].
3En procédant de cette manière, on porte de la même façon un autre regard sur la question très débattue et complexe des publics de la culture. L’histoire culturelle a été amenée, il y a près de vingt ans déjà, à remettre en question l’usage peu réflexif et trop automatique de catégories de classement des « publics » ou des « populations » tenues longtemps pour évidentes au sein de l’histoire statistique. Par exemple, au lieu d’utiliser des découpages sociaux ininterrogés (élite/peuple, dominants/dominés, hiérarchies socioprofessionnelles ou socioculturelles) pour saisir les différences culturelles, l’historien Roger Chartier proposait la démarche inverse consistant à partir des objets, des œuvres, des codes, des formes, des dispositifs symboliques pour reconstruire les communautés qui se les approprient. On découvre alors des principes – pleinement sociaux – de différenciation relativement inédits, qu’une « conception mutilée du social [6] » avait fini par faire oublier : le sexe, la génération, la situation familiale (célibat, veuvage, mariage, etc.), l’appartenance religieuse, la tradition éducative ou corporative, le cursus scolaire, la position intellectuelle, etc. Mais plutôt que d’aller des objets, institutions ou pratiques vers les publics qu’ils attirent et qui se les approprient, on peut tout aussi bien, sans risquer de dissoudre tout principe de structuration des objets de la recherche, se demander comment les mêmes individus peuvent faire partie de publics très divers (publics de la télévision, de la radio, du théâtre, du cinéma, des musées, des salles de concert, de la littérature, etc.), et parfois franchement hétérogènes. À trop se concentrer sur la logique des interpretive communities, au sens de Stanley Fish [7], on peut finir par oublier que les individus passent le plus souvent d’une « communauté » à l’autre et qu’ils se caractérisent, de ce point de vue, par une pluralité d’appartenances sociales et symboliques, inscrivant leurs pratiques (et notamment leurs pratiques culturelles) dans de multiples lieux et temps. Comme le soulignent Daniel Cefaï et Dominique Pasquier, les publics médiatiques « ne sont jamais uniquement des consommateurs de produits des médias, mais toujours les récepteurs d’une multiplicité de formes culturelles [8] ».
Que révèle le changement de point de vue de connaissance ?
4Il ne s’agit en aucun cas de nier l’existence d’inégalités sociales devant les formes culturelles les plus légitimes. Mais le changement d’échelle d’observation permet d’esquisser une autre image du monde social. En commençant par considérer les différences internes à chaque individu (variations intra-individuelles : le même individu fait ceci et cela, aime ceci mais aime aussi cela, aime ceci mais déteste en revanche cela, etc.) avant de revenir aux différences entre classes sociales (les variations interclasses), on aboutit à une image du monde social qui ne néglige pas les singularités individuelles et évite la caricature culturelle des groupes sociaux. Le fait central qui apparaît alors est que la frontière entre la légitimité culturelle (la « haute culture ») et l’illégitimité culturelle (la « sous-culture », le « simple divertissement ») ne sépare pas seulement globalement (statistiquement) les différentes classes, mais partage les différentes pratiques et préférences culturelles des mêmes individus, dans toutes les classes de la société. Quelles que soient ses propriétés sociales (appartenance sociale, niveau de diplôme, âge ou sexe), une même personne aura de très fortes chances statistiques d’avoir des pratiques et des goûts variables sous l’angle de leur légitimité culturelle, selon les domaines (cinéma, musique, littérature, télévision, etc.) ou les circonstances de la pratique.
5À l’échelle individuelle, deux grands faits s’imposent donc à l’analyste. Le premier est la forte fréquence statistique des profils culturels individuels composés d’éléments hétérogènes ou dissonants (au sens où ils appartiennent à des registres culturels très légitimes et très peu légitimes) : ces types de profils sont absolument ou relativement majoritaires dans tous les grands groupes sociaux (bien que plus probables dans les classes moyennes et supérieures que dans les classes populaires), à tous les niveaux de diplôme (même si beaucoup plus probables chez ceux qui ont obtenu au minimum un baccalauréat que chez les non-diplômés) et dans toutes les classes d’âge (quoique de moins en moins probables au fur et à mesure qu’on avance en âge). Le second fait qui retient l’attention, c’est la plus grande probabilité pour les individus composant la population enquêtée d’avoir un profil culturel consonant « par le bas » (à faible légitimité) que « par le haut » (à forte légitimité) : suivant ainsi la pyramide des conditions sociales, il est sociologiquement bien plus difficile de maintenir un haut niveau de légitimité culturelle dans une série de domaines que de se tenir à l’écart de toute forme de légitimité culturelle [9].
Pluralité des ordres de légitimité culturelle et profils individuels
6Contrairement à ce que les dérives légitimistes [10] de la théorie de la légitimité culturelle ont pu nous laisser penser, sortie de la zone institutionnellement balisée et contrôlée par l’Ecole, la légitimité culturelle n’a pas les moyens de s’imposer en permanence comme une évidence. De nombreux cas de « résistance » (faible ou forte, circonstancielle ou permanente) à l’ordre culturel dominant sont observables et l’on constate que la pluralité des groupes ou des institutions (des plus larges aux plus restreints ; des plus durables aux plus éphémères) composant la formation sociale engendre des ordres de légitimité spécifiques plus ou moins puissants et plus ou moins durables. La possibilité de résister à la légitimité culturelle dominante (aujourd’hui encore d’ordre essentiellement littéraire et artistique) est toujours fondée sur des groupes ou des institutions porteurs de logiques concurrentes : groupes de pairs, milieu familial, milieu professionnel, communauté religieuse, fan club, réseau de sociabilité, institution médiatique, etc. On notera d’ailleurs que dans les années 1960, un auteur comme Robert Castel n’associait pas systématiquement l’idée de « légitimité culturelle » à celle de « culture dominante » et faisait déjà un usage pluraliste de cette notion en distinguant les normes de la légitimité artistique-esthétique en matière de photographie de celles dont étaient alors porteurs les groupes populaires [11] (paysans notamment).
7Pour des raisons à la fois théoriques (la critique dans l’ordre théorique de l’usage domino-centriste de la théorie de la légitimité culturelle) et historiques (les transformations historiques de l’offre culturelle au cours des quarante dernières années), il est désormais impossible de faire comme si on avait affaire à un espace culturel homogène sous l’angle de la légitimité, c’est-à-dire structuré de part en part par une opposition légitime/illégitime univoque ; opposition que tout le monde connaîtrait et mettrait en œuvre, à laquelle tout le monde accorderait la même signification et à laquelle tout le monde croirait avec la même intensité. On ne peut faire comme s’il existait une identité de croyances culturelles au même moment dans toutes les régions du monde social, comme si l’ensemble des groupes sociaux tendait à s’aligner sur les consommations légitimes des plus « cultivés » des membres des fractions intellectuelles de la classe dominante.
8Or, changeant la focale de l’objectif et regardant le monde social à l’échelle des individus, on se rend compte que chaque individu est susceptible de participer successivement ou simultanément à plusieurs groupes ou institutions et l’on se donne les moyens de comprendre sociologiquement les raisons des plus ou moins grandes variations intra-individuelles des comportements culturels. La variation intra-individuelle des pratiques et des préférences culturelles n’est autre que la trace et le symptôme, à l’échelle du social incorporé, d’une part, de la pluralité de l’offre culturelle et, d’autre part, de la pluralité des groupes sociaux (des plus micro aux plus macro), susceptibles de soutenir ces différentes offres culturelles et de diffuser des hiérarchies culturelles spécifiques, qui composent nos formations sociales fortement différenciées. Elle est le produit de la forte différenciation sociale, et plus précisément de la pluralité des influences socialisatrices, des contextes et des temps de la pratique. Par conséquent, la saisie des réalités les plus individuelles ne renvoie ni à la singularité irréductible des destinées individuelles, ni à la « liberté de choix » d’individus « autonomes » (et délestés de tous les déterminants sociaux), mais renvoie bien au contraire à la structure d’ensemble des sociétés qui les ont engendrées.
9La pluralité des groupes (ou des institutions) et la multiplicité des cadres de vie sociale que chaque individu est susceptible de fréquenter simultanément (en fait, alternativement) ou successivement (au cours de sa vie) sont liées à la forte différenciation sociale des fonctions caractéristique de nos sociétés. La réalité sociale est donc plus composite que ce que pouvait nous laisser penser la théorie de la légitimité culturelle. Et l’étude systématique des variations intra-individuelles des comportements culturels, qui force à voir les déplacements qu’effectue un même individu d’un registre culturel à l’autre, met l’accent sur la pluralité des « sous-systèmes [12] » avec lesquels les acteurs ont à composer.
Révocation d’un modèle : le consommateur défini par ses « goûts » culturels
10L’étude précise et circonstanciée des variations intra-individuelles des pratiques culturelles remet radicalement en question le modèle implicite d’un « consommateur culturel » défini essentiellement par ses goûts personnels (ses pratiques « choisies », intenses et positives). Plus on entre dans le détail des pratiques culturelles et plus le doute s’installe en matière de saisie des « goûts », qui sont pourtant souvent considérés comme un marqueur fondamental d’identité sociale des individus. En effet, quand l’analyse parvient à mettre en évidence le fait que nombre de pratiques culturelles individuelles, et parfois leur grande majorité, ne sont pas liées à des goûts mais à des circonstances incitatrices, des obligations ou des contraintes légères ou fortes de toutes sortes, on est conduit à se demander si les individus en question se définissent plus par ce qu’ils considèrent relever de la sphère de leurs goûts propres, personnels, ou par la multitude de leurs pratiques effectives. Les goûts n’apparaissent alors plus que comme la partie visible – et affichée – d’un énorme iceberg.
11Le modèle d’une consommation culturelle fondée sur le goût individuel repose sur l’image simplifiée d’individus réduits à n’être que les représentants officieux (le temps de l’enquête sociologique) de classes, de fractions de classe ou de groupes sociaux ; individus caractérisables par des goûts personnels qui sont essentiellement les goûts de leur classe. Or, il faut replacer ces individus trop abstraits dans le réseau concret de leurs liens d’interdépendance pour se donner une image un peu plus juste de ce que sont les consommations et activités culturelles.
12Les variations intra-individuelles des pratiques culturelles sous l’angle de leur degré de légitimité conduisent à réintroduire d’autres « raisons », dans l’explication des pratiques culturelles, que le goût ou la passion personnels : la pratique par obligation scolaire, par contrainte professionnelle ou par contrainte situationnelle exceptionnelle, la pratique habituelle sans goût particulier, l’accompagnement plus ou moins heureux d’autrui (enfants, conjoint, amis), la pratique par courtoisie ou par politesse (pour faire plaisir ou ne pas froisser des personnes qu’on apprécie), le désir de délassement ou de défoulement personnel par la consommation de biens culturels ou la pratique d’activités culturelles qu’on n’apprécie pas particulièrement, la stricte délimitation temporelle (temps des vacances, temps d’une fête, etc.) d’une licence qu’on s’accorde, la « simple » curiosité ou la bonne volonté sans engouement, la consommation ironique, « second degré » ou encore la consommation en contexte de gratuité de l’accès à l’offre qui engage moins personnellement, bref toutes les modalités moins intenses (parfois minimales) et moins franchement positives et enthousiastes (parfois même ambivalentes) de la consommation culturelle [13].
Conditions de production de profils culturels hétérogènes
13L’établissement d’une série de nouveaux faits statistiques concernant les profils culturels individuels dissonants (les plus fréquents) et consonants (les plus rares) conduit à mettre en lumière les conditions sociales de production de ces variations intra-individuelles des comportements culturels. L’analyse détaillée des portraits culturels individuels permet alors de faire apparaître que toutes ces variations peuvent être ramenées à la figure centrale de l’exposition de l’individu à des influences socialisatrices hétérogènes : effet d’une trajectoire de mobilité sociale ou professionnelle ascendante ou déclinante, effet d’un réseau de relations culturellement diversifié, effet d’une hétérogamie relative du couple sous l’angle culturel, effet de l’intériorisation de préférences scolaires en décalage avec celles du milieu d’origine, effet des contraintes conjuguées que vit la jeunesse scolarisée (entre groupe des pairs, école et famille), effet d’influences socialisatrices contradictoires d’instances culturelles concurrentes (famille, école, télévision, presse, etc.), effet d’influences culturelles au sein même de sa famille d’origine, etc.
14Et pour comprendre l’importance prise par ces influences socialisatrices hétérogènes en matière culturelle, il faut explorer différentes dimensions de nos formations sociales : les mobilités sociales, scolaires ou professionnelles, les contraintes et influences relationnelles, la baisse d’intensité de la croyance en la culture littéraire et artistique, la nécessité éprouvée d’un « relâchement » (public ou privé) des tensions dans une société où les engagements professionnels et scolaires sont intenses, les effets de l’accès de plus en plus privé aux biens culturels (télévision, radio, magnétoscope, etc.) et la nature de l’offre qui incite parfois au mélange de genres auparavant tenus séparés.
Petites et grandes mobilités individuelles
15Une partie des profils culturels dissonants s’explique par des situations de mobilité sociale (l’individu n’a pas la même position sociale que ses parents), scolaire (l’individu n’a pas le même niveau scolaire que ses parents ou a augmenté son propre capital scolaire à la suite d’une reprise d’étude) ou professionnelle (l’individu a changé de position dans la hiérarchie professionnelle). Si de telles mobilités, petites ou grandes, se traduisent souvent par une hétérogénéité des pratiques et préférences culturelles du point de vue de leur degré de légitimité, c’est parce que les individus qui en ont fait l’expérience ont occupé des positions différentes dans les hiérarchies sociale, culturelle ou professionnelle et ont, de ce fait, fréquenté des cadres socialisateurs ou des agents socialisateurs variés. Ils se sont frottés ou confrontés à des registres culturels différents de ceux auxquels ils avaient eu affaire antérieurement et, pour cette raison, gardent en eux, sous la forme de dispositions plus ou moins fortement constituées, les traces de l’ensemble de ces expériences socialisatrices hétérogènes, et parfois assez nettement contradictoires.
16À ces déplacements individuels peuvent tout d’abord s’ajouter les écarts culturels possibles entre les conjoints, les couples n’étant jamais parfaitement homogames (ils ont rarement les mêmes positions sociales et les mêmes origines sociales, les mêmes niveaux de diplôme et des diplômes de même nature, etc.) et n’ayant, par conséquent, pas nécessairement contracté les mêmes habitudes et les mêmes préférences culturelles. On peut, de même, évoquer les écarts culturels entre les membres d’un même réseau de sociabilité amicale ; ou encore les multiples changements significatifs de contexte relationnel et culturel (déménagement suivi d’une recomposition du réseau de sociabilité, changement de contexte professionnel, remariage, etc [14].).
17Considérant l’ensemble de ces données du point de vue des effets qu’elles produisent sur les socialisations enfantines, on peut dire que l’une des grandes résultantes est le fait que les enfants sont amenés à vivre des situations sociales (familiales notamment) dans lesquelles les confrontations de normes sociales, de manières de voir, de sentir et d’agir, de goûts ou de préférences relativement hétérogènes, et parfois contradictoires, sont historiquement de plus en plus fréquentes et précoces [15].
La crise de foi en la culture littéraire et artistique
18Baisse importante de la proportion des forts lecteurs chez les diplômés du supérieur et les cadres supérieurs, quelle que soit leur origine sociale, moindre fréquentation des salles de théâtres et de concerts [16] : si les données d’enquêtes n’autorisent pas les discours catastrophistes de déploration du déclin culturel ou de la « défaite de la pensée », elles signalent des transformations significatives du rapport des Français (y compris du côté des élites) à la culture depuis les années 1960.
19La culture légitime classique a été en quelque sorte victime au cours des quarante dernières années à la fois de la montée de la culture scientifique (au sein du système scolaire) et de l’extension de la culture de divertissement (promue par l’industrie la plus rentable des loisirs et de la culture). Les nouveaux rapports de force entre culture littéraire et culture scientifique, d’une part, culture littéraire et artistique et cultures du divertissement, d’autre part, explique ainsi la baisse significative d’intensité de la foi en la culture littéraire et artistique. Et cet affaiblissement a contribué à rendre moins improbables les sorties de registres culturels pour tous ceux qui se faisaient jusque-là un point d’honneur d’éviter les régions les plus commerciales, divertissantes et populaires ou stigmatisées comme infra-culturelles, abêtissantes ou vulgaires.
Délassements et défoulements
20Si les personnes aux profils culturels légitimes très consonants sont assez rares, c’est que même les plus dotés scolairement sont contraints par la vie sociale (professionnelle notamment) à réviser à la baisse leurs exigences culturelles et à adopter une politique plus souple d’alternance de moments spécifiquement culturels (et qu’ils perçoivent comme tels) et de moments de divertissement. Des propriétaires de grands capitaux culturels disposant de peu de temps hors travail, des vies professionnelles ou scolaires stressantes et fatigantes, des doubles vies professionnelles et familiales (particulièrement prégnantes chez les femmes), tout cela contribue aussi à expliquer la production sociale d’un « besoin » de participation sans complication à des choses ordinaires, informelles, détendues, à des émotions collectives, à des moments festifs, bref à des cultures « chaudes [17] » qui n’ont aucun « contenu culturel » à proprement parler, si l’on entend par « culturel » cette plus-value spécifique que la connaissance ou la réflexion peuvent apporter à toute situation vécue. On est très loin de la figure de l’Homme cultivé qui profite de son temps hors travail pour se cultiver et apprendre. Désormais, les plus diplômés peuvent, comme les autres, chercher à atteindre le relâchement de soi divertissant après des journées de travail harassantes.
21Les enquêtés opposent très fréquemment – quelles que soient leur condition sociale – travail (scolaire aussi bien que professionnel), contraintes, efforts, fatigue, tensions, complications, difficultés, contrariétés, « prises de tête », soucis ou stress, d’une part, et détente, relâchement, délassement, décontraction, décompression, laisser-aller, facilité et défoulement, d’autre part. Regarder (à la télévision ou au cinéma), aller voir des spectacles ou lire des « choses faciles » (même si on sait qu’elles sont « nulles », « débiles », « bêtes », « stupides », « niaises » ou « nazes »), qui ne demandent pas « d’efforts », permet de « ne pas penser ou réfléchir », « ne pas se prendre la tête », « ne pas se casser la tête », de « se laver le cerveau [18] », « se lobotomiser », « se libérer ou se reposer l’esprit », « se vider la tête », « se laisser aller », « se distraire », « se détendre », « se divertir », « se défouler », « se lâcher », « décompresser », « évacuer les problèmes », « sortir de ses soucis », et même de « s’endormir ».
22Norbert Elias faisait l’hypothèse que les activités de loisirs ont pour fonction sociale de « contrebalancer les tensions et le stress désagréables des sociétés, et (d’)apporter une forme de délassement ». Elles sont une « antidote aux tensions [19] ». On pourrait dire, pour prolonger son propos, que plus les sociétés ou les groupes sociaux au sein des formations sociales exigent un haut degré de tension et de stress de la part de leurs membres, plus certains loisirs deviennent nécessaires pour relâcher publiquement ou en privé les tensions. De tels relâchements des contraintes peuvent ainsi se répéter, mais ne survenir que dans des temps strictement délimités. Pour cette raison, la culture savante la plus sérieuse peut parfaitement coexister chez les mêmes individus avec une culture du défoulement ou du divertissement [20].
Des consommations gratuites et en privé : l’affaiblissement des effets de légitimité
23La télévision et la radio ont été les porteuses d’une culture « grand public » qui, sur certains points, rejoint une partie des goûts populaires hédonistes de divertissement et d’informalité [21]. En défendant publiquement, quotidiennement et auprès d’un large public, le primat de la distraction ou du délassement sur la culture littéraire et artistique ou scientifique, elle a contribué activement à la baisse générale du degré de croyance en la culture légitime dominante, à une déculpabilisation des consommateurs par rapport aux « fautes culturelles » commises ainsi qu’au renforcement de toutes les formes populaires ou dominantes d’anti-intellectualisme (des ouvriers aux patrons en passant par tous les cadres de formation scientifique et technique). Ces médias ne pouvaient donc que contribuer à diminuer la puissance des effets de légitimité et à faire tomber le degré de honte culturelle ressentie par les populations les plus éloignées des cadres légitimes de la culture comme par celles qui en sont a priori les plus proches [22].
24Mais l’une des transformations majeures de l’ordre culturel des choses, dont on a rarement souligné l’importance jusque-là, concerne les conditions privées de « consommation » de ces nouveaux produits culturels, qui ne sont pas sans effet sur le rapport que les consommateurs entretiennent vis-à-vis des normes culturelles légitimes dominantes. En effet, télévision, radio, magnétoscope, chaîne hi-fi et, plus récemment ordinateur et l’internet, ont fait entrer nombre de produits culturels dans la sphère privée. Or, que deviennent les normes culturelles lorsqu’on entre dans l’intimité des foyers et qu’elles se réfractent dans cet espace domestique « privé » ? Résistent-elles aux situations d’entre-soi, voire de consommation solitaire, dans lesquelles on ne craint plus le regard (désapprobateur) et le jugement culturel (négatif) extérieur ?
25En fait, on se rend compte que la sphère privée est propice aux relâchements contrôlés des émotions, à l’expression des dispositions les moins formalistes et les plus hédonistes (moindre contrôle du regard d’autrui, moindre officialité et moindre formalité de la situation) et, du même coup, propice aux consommations culturelles les plus divertissantes [23]. Au lieu de surévaluer l’intensité de la foi en matière de culture légitime chez les plus dotés culturellement, la saisie des nuanciers culturels individuels permet de saisir la variété des moments dans lesquels des goûts et inclinations très différents s’expriment. Par exemple, en pensant assez spontanément que le grand lecteur de romans ou d’essais légitimes dédaignera forcément – sens de la dignité culturelle oblige – la télévision (en la regardant peu) ou n’en fera qu’une consommation extrêmement sélective (en ne regardant que le plus culturel de l’offre télévisuelle), la théorie de la légitimité culturelle s’adosse implicitement sur une théorie de l’acteur qui présuppose sa monocohérence, son univocité dispositionnelle et néglige la variation des contextes. Or, l’enquête empirique vient détruire de telles évidences savantes en faisant apparaître la possible (et même fréquente) variation des dispositions, des attitudes, des goûts ou des intérêts culturels, en fonction notamment du domaine de pratique considéré, de son statut et des circonstances de la pratique.
26Les dispositifs télévisuel et radiophonique placés au cœur même de l’intimité familiale et faisant de la consommation des spectacles télévisés (films, téléfilms, séries, émissions de divertissement et de jeu, etc.) ou des produits de l’offre radiophonique (musique commerciale, jeux et divertissements, etc.) une consommation en privé (seul, en couple ou en famille) a donc fait historiquement considérablement chuter le degré de honte culturelle ressentie et a ouvert à des publics a priori plus rétifs (de par leur haute formation scolaire) les voies de la consommation de produits commerciaux et « grand public ».
27La seconde grande caractéristique de la consommation télévisuelle et radiophonique, qui accompagne la privatisation, mais qui ajoute sa contribution spécifique à la facilitation des consommations hétérogènes par rapport au registre culturel le plus attendu, est la gratuité de la consommation. Certes, la redevance est là pour rappeler le coût des choses, mais elle n’est pas achat de produits spécifiques, sélectionnés, choisis parmi d’autres possibles. La simple « liberté » de regarder des émissions télévisées ou d’écouter des programmes radiophoniques « par curiosité », parce qu’on sait que l’on peut arrêter quand on veut, sans avoir perdu son argent, modifie fondamentalement le rapport à l’offre culturelle si on la compare avec la situation du spectateur de films en salle qui engage une somme non négligeable et ne peut se permettre de ne pas faire de choix. Car l’acte de payer n’a pas seulement une signification économique : payer volontairement pour accéder à un bien culturel, c’est engager quelque chose de soi. Payer (donner de l’argent) pour accéder à un bien précis, c’est aussi, d’une certaine manière, « payer de sa personne », s’engager en indiquant ses priorités, ses préférences, ses choix. Et l’on voit bien, inversement, que l’évocation de la gratuité peut être une manière de dire sa distance à l’égard de l’objet consommé (nombreux sont les enquêtés à tenir un raisonnement du type : « Tant que c’est gratuit, je ne suis pas très regardant. Mais dès lors qu’il faut payer, je deviens exigeant, je sélectionne et choisis »).
28La radio et la télévision sont ainsi des pourvoyeurs permanents, à la fois privés et gratuits, d’images et/ou de sons qui permettent un rapport plus lâche et plus souple aux produits culturels que l’accès payant aux spectacles et aux œuvres culturels (cinéma, théâtre, musique, danse, opéra, etc.) ou l’accès gratuit à certaines œuvres culturelles mais qui supposent un déplacement et, dans certains cas, une consommation publique (musées, expositions, bibliothèques, etc.). Ils rendent possible l’accès immédiat à des produits culturels qu’on n’aurait jamais eu l’idée de consommer en payant. Et le raisonnement est vrai autant pour des publics à faible capital scolaire qui hésitent à payer pour aller voir un spectacle (film, pièce de théâtre, etc.) qu’ils pourraient ne pas comprendre ou qui pourrait les ennuyer, que pour des publics à fort capital scolaire qui, ayant à faire un choix, sont davantage poussés par des logiques de recherche de la « qualité » et de la « dignité » culturelles [24].
Les symboles télévisuels d’une époque de mélanges des genres
29Le « mélange » des genres n’est pas visible seulement dans la palette des pratiques et des préférences culturelles des « consommateurs ». Il l’est aussi dans la nature même d’une partie de la production culturelle. À moins que celle-ci ne s’adapte désormais aux nuanciers culturels individuels, en l’interprétant comme un éclectisme des goûts caractérisant les individus qui composent leur audience. Si on a parfois établi un lien entre éclectisme de l’offre et diversité des publics (l’éclectisme audiovisuel tentant, par exemple, à la manière d’une catch-all strategy, de toucher des publics différents avec une seule et même émission aux invités ou aux sujets très divers), on n’a jamais prospecté de manière systématique l’hypothèse d’une diversité culturelle interne à chaque individu [25]. En invoquant l’éclectisme des publics les plus divers, non seulement on présuppose le caractère homogène des goûts de ces différents publics, mais on élude la question de la possible mixité culturelle des préférences de chaque individu le composant.
30Tout se passe comme si la nouvelle structure de l’offre, caractérisée par le mélange des genres, des plus nobles aux plus communs, était à la fois le reflet de nouvelles structures de perception (qui s’accommodent davantage de mélanges, voire les recherchent) et ce qui contribue à les former, c’est-à-dire à forger les habitudes mentales et le goût pour le varié, le divers, le mélange (jusque-là) improbable des genres, etc. Le mélange ou l’indifférenciation des genres est donc plus qu’une stratégie. Il est potentiellement une véritable formule génératrice des pratiques et des représentations, c’est-à-dire une disposition ou une habitude culturelle qui remet en cause les séparations, les cloisonnements, les frontières anciennement plus fermement établies. Et ceux qui continuent à percevoir et apprécier les choses du point de vue de la « nécessaire » distinction des genres ne peuvent voir dans ces mélanges que des confusions (de genres et de valeurs), des mariages contre nature ou dégradants qui sont porteurs de relativisme culturel (et ce, malgré le fait que le mélange puisse continuer à respecter les différences de légitimité entre les éléments qui le composent). Comme l’écrivait Pierre Bourdieu : « Le plus intolérable, pour ceux qui s’estiment détenteurs du goût légitime, c’est par-dessus tout la réunion sacrilège des goûts que le goût commande de séparer [26]. »
31Le symbole télévisuel d’une époque travaillée par les mélanges de genres culturels est l’émission Tout le monde en parle de Thierry Ardisson (France 2). « Il mélange tous les genres pour le plus grand plaisir des téléspectateurs », peut-on lire sur un site internet (Actustar) qui consacre une partie de ses pages à ce dernier. Le « plus grand plaisir des téléspectateurs » est évidemment largement présupposé par les auteurs du texte et l’on pourrait tout aussi bien évoquer les agacements d’une partie des téléspectateurs face à ce genre de spectacle. « Ce qu’on continue à reprocher à Thierry Ardisson, écrit Hugo Cassavetti, c’est sa manie de tout mélanger, la politique et le sexe, le grave et le trivial, la pertinence et l’insolence, au milieu d’un show bigarré et bruyant où défilent des pin-up girondes et un DJ pas forcément fréquentable [27]. »
32Ce que l’on peut dire en revanche c’est que ce « mélange des genres » est bien la stratégie consciente qui préside autant à la composition des plateaux qu’aux variations de styles de questions au cours d’une même interview. Pratiquant le mélange explosif des domaines (politique, sportif, musical, littéraire, philosophique, cinématographique, théâtral) et des légitimités (du président de l’Assemblée nationale à une actrice du porno, d’un prix Goncourt à un comique populaire jugé parfois « vulgaire »), Ardisson est souvent présenté comme « la seule bête de télé capable de réconcilier le culturel et le populaire [28] ».
33Le mélange, qu’il n’est pas le seul à pratiquer (ce que révèle l’étude des programmes d’émissions télévisées telles que On ne peut pas plaire à tout le monde, Vivement dimanche, Vol de nuit, Campus ou, à dans une époque légèrement antérieure, Nulle Part Ailleurs [29] ), était nettement plus improbable dans un état antérieur de l’offre télévisuelle (avec des émissions telles que Lectures pour tous de Pierre Desgraupes et Pierre Dumayet ou même Apostrophes de Bernard Pivot) où le respect des frontières culturelles était beaucoup plus grand qu’il ne l’est aujourd’hui. En effet, lorsque les hommes politiques, les écrivains, les acteurs, les sportifs, les comiques, etc., avaient tous leurs émissions spécifiques, on avait peu de chance de les voir côte à côte sur le même plateau de télévision. On n’est pas très loin des dispositifs spectaculaires décrits par l’historien nord-américain Laurence W. Levine qui, au cours de la première moitié du XIXe siècle en Amérique, mélangeaient allègrement des scènes tirés du théâtre de Shakespeare, des comiques et chanteurs populaires, des magiciens ou des jongleurs [30].
Le goût des autres et les distinctions de soi
34En prenant en considération les phénomènes de variations intra-individuelles des pratiques et préférences culturelles et en constatant, du même coup, l’importance des variations inter-individuelles [31], on ne remet en cause ni l’existence d’inégalités sociales devant la culture, ni les fonctions sociales de la culture légitime dominante dans une société hiérarchisée. Mais on fait toutefois apparaître un type particulier de fonction sociale liée aux processus de différenciations individuelles et de construction sociale des individus dans des sociétés différenciées.
35La conséquence majeure de la très fréquente mixité des profils culturels individuels, c’est que, contrairement à ce que laissent entendre nombre de discours publics, les individus ne vivent pas la distinction entre le légitime et l’illégitime seulement comme une frontière qui sépare des groupes ou des classes différents (« eux » et « nous »), mais comme une ligne de démarcation qui différencie les divers membres d’un même groupe (les jugements de « vulgarité » ou de « nullité » culturelle sont souvent portés sur les personnes socialement les plus proches : membres de la famille restreinte ou élargie, des groupes de pairs, collègues de travail, conjoint, etc.) et comme une ligne de partage entre soi et soi (les mêmes jugements culturels stigmatisants peuvent porter sur une partie de ses propres pratiques passées ou présentes), une ligne de clivage qui les traverse intimement de part en part. Ce qui, statistiquement, sépare les groupes ou les classes de la société, traverse aussi à un degré ou à un autre (le constat est tout aussi statistiquement fondé) une grande partie des individus composant l’ensemble des groupes ou des classes. La séparation du légitime et de l’illégitime peut ainsi être vécue comme une division interne, qui peut donner lieu dans certains cas à des luttes de soi contre soi.
36En tant que moyen de légitimation (collectif ou individuel), les formes dominantes de culture fournissent un cadre qui permet aux individus de donner un sens distinctif à leurs pratiques et à leurs goûts et de se sentir justifiés d’exister comme ils existent, d’avoir le sentiment de mener une vie digne d’être vécue, c’est-à-dire de mener une vie plus digne d’être vécue que d’autres. Fonction morale de soutien et de réassurance de la culture en tant que culture légitime. Mais si le monde social est un champ de luttes, les individus qui le composent sont souvent eux-mêmes les arènes d’une lutte des classements. Et la lutte de soi contre soi, la domination d’un soi légitime sur la part illégitime de soi, le contrôle et la maîtrise de ce qu’il y a d’illégitime en soi contribuent à renforcer le sentiment de supériorité distinctive par rapport à ceux dont on imagine qu’ils n’ont aucune maîtrise ni aucun contrôle de soi (soumis à leur pulsion [32], etc.). Domination de soi et domination d’autrui se révèlent ainsi indissociables et les distinctions et les luttes symboliques sont autant individuelles (intra-individuelles et inter-individuelles) que collectives (interclasses).
Socialisations multiples et individu comme mélange des genres
37Le sociolinguiste William Labov a bien mis en évidence tout au long de ses enquêtes le fait qu’il est plutôt rare de trouver des « locuteurs à style unique ». Le style linguistique varie chez un même locuteur d’une situation à l’autre, et notamment en fonction de son degré d’officialité. Plus la situation est tendue, formelle, et plus le locuteur tente de se conformer au style (registre lexical et syntaxique, prononciation) le plus légitime. Les locuteurs se différencient, bien sûr, selon qu’ils ont un éventail plus ou moins large de styles linguistiques à leur disposition, mais tous connaissent des variations plus ou moins fortes de leurs productions langagières [33].
38Mutatis mutandis, on peut dire qu’il est beaucoup plus rare de trouver des consommateurs culturels uni-style que des consommateurs culturels pluri-styles. Et, comme pour les productions langagières, les variations observables s’expliquent essentiellement par la pluralité des contextes culturels dans lesquels les acteurs ont été socialisés au cours de leur passé et qu’ils sont amenés à fréquenter au cours de leurs multiples interactions présentes : hétérogénéité des conditions de socialisation culturelles passées et pluralité des contextes de pratiques ou de consommations culturelles présents.
39De tels phénomènes poussent non seulement à donner toute sa place au sein des sciences sociales à l’interrogation sur les variations intra-individuelles des comportements (ce qui est encore loin d’aller de soi [34] ), mais aussi à élaborer une théorie de l’acteur indissociablement dispositionnaliste et contextualiste qui se différencie à la fois des théories qui négligent les contextes (leurs spécificités et leurs variations), en expliquant tout par la culture, la mentalité, le code de comportement ou le système de dispositions dont seraient porteurs les individus, et des théories qui, à l’inverse, placent toute l’explication du côté des contextes, de leurs structures ou de leurs affordances [35]. Seule une sociologie de la pluralité dispositionnelle (la socialisation passée est plus ou moins hétérogène et donne lieu à des dispositions hétérogènes et parfois même contradictoires) et contextuelle (les contextes d’actualisation des dispositions sont variés), permet de rendre raison le plus complètement possible de ces phénomènes (très réguliers et tout aussi objectivables statistiquement que ceux attachés aux groupes) de variations intra-individuelles des comportements culturels.
40Dans des sociétés socialement et culturellement différenciées, les mêmes individus fréquentent le plus souvent successivement ou alternativement plusieurs registres culturels (des plus légitimes aux moins légitimes, en passant par tous ceux qui sont en voie de légitimation partielle ou totale). Les réalités microscopiques (les variations intra-individuelles et inter-individuelles), le plus souvent ignorées pour des raisons théoriques par les sciences sociales, renvoient aux propriétés les plus fondamentales de la réalité macroscopique. L’espace d’investigation qui s’ouvre ici au chercheur est celui d’une sociologie à l’échelle individuelle qui analyse la réalité sociale en tenant compte de sa forme individualisée ; d’une sociologie qui tient compte du fait que les traces d’expériences socialisatrices différentes, et parfois contradictoires, puissent (co)habiter (dans) le même corps, que des dispositions mentales et comportementales plus ou moins durablement incorporées puissent se manifester ou être mises en veille aux différents moments de la vie sociale (selon les domaines de la pratique) ou d’un parcours biographique.
41La sociologie a ainsi les moyens théoriques et méthodologiques de donner corps à l’idée selon laquelle chaque individu pourrait être défini – étant donné la pluralité des influences socialisatrices qu’il est susceptible d’avoir vécues et la diversité des contextes dans lesquels il est le plus souvent amené à agir – comme un « mélange de genres » ou un « mélange de styles ».
RÉFÉRENCES
- BEISEL N. (1990), “Class, Culture, and Campaigns Against Vice in Three American Cities, 1872-1892”, American Sociological Review, 55, p. 44-62.
- BOURDIEU P. (1979), La Distinction. Critique sociale du jugement de goût, Paris, Editions de Minuit.
- BOURDIEU P. (2001), Contre-feux 2, Paris, Le Seuil, Raisons d’agir.
- CASSAVETTI H. (2002), « Un drôle de paroissien », Télérama, 9-15 mars.
- CASTEL R. (1965), « Images et phantasmes », in Bourdieu P. et al., Un Art moyen. Essai sur les usages de la photographie, Paris, Editions de Minuit, p. 289-331.
- CEFAÏ D., PASQUIER D. (sous la direction de) (2003), Les Sens du public. Publics politiques, publics médiatiques, Paris, PUF, p. 13-59.
- CHARTIER A.-M., HÉBRARD J. (2000), Discours sur la lecture (1880-2000), Paris, Fayard/BPI-Centre Pompidou.
- CHARTIER R. (1989), « Le monde comme représentation », Annales ESC, novembre-décembre, n° 6,44e année, p. 1505-1520.
- DIMAGGIO P. (1982), “Cultural Entrepreneurship in Nineteenth-Century Boston : The Creation of an Organisational Base for High Culture in America”, parts 1,2, Media, Culture, and Society, 4, p. 33-50 et p. 303-322.
- DUMONTIER F., SINGLY F. (de), THÉLOT C. (1990), « La lecture moins attractive qu’il y a vingt ans », Economie et statistique, n° 233, p. 63-80.
- DUPONT F. (1994), L’Invention de la littérature. De l’ivresse grecque au livre latin, Paris, La Découverte.
- ELIAS N., DUNNING E. (1994), Sport et civilisation, Paris, Fayard.
- ERICKSON B.H. (1996), “Culture, Class and Connections”, American Journal of Sociology, vol. 102, n° 1, p. 217-251.
- FISH S. (1980), Is There a Text in This Class ? The Authority of Interpretive Communities, Cambridge, Mass., et Londres, Harvard University Press.
- FINKIELKRAUT A. (1987), La Défaite de la pensée, Paris, Gallimard.
- FUMAROLI M. (1992), L’Etat culturel. Essai sur une religion moderne, Paris, Le Livre de Poche.
- GIBSON J.J. (1979), The Ecological Approach to Visual Perception, Boston, Houghton Mifflin.
- GOBLOT E. (1925), La Barrière et le niveau. Etude sociologique sur la bourgeoisie française moderne, Paris, Félix Alcan.
- GRIGNON C., PASSERON J.-C. (1989), Le Savant et le Populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Gallimard/Le Seuil, Hautes Etudes. GUY J.-M. (2000), La Culture cinématographique des Français, Paris, DEP, ministère de la Culture, La Documentation française.
- LABOV W. (1976), Sociolinguistique, Paris, Editions de Minuit.
- LAHIRE B. (1998), L’Homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, Essais & Recherches.
- LAHIRE B. (2004), La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, Editions de La Découverte, Laboratoire des sciences sociales. LE GUERN P., TEILLET P. (2003), « “Canal plus” de légitimité ? Les processus médiatico-publicitaires de consécration culturelle à l’émission Nulle Part Ailleurs », Réseaux, n° 117, p. 110-132.
- LEVINE L.W. (1988), Highbrow/Lowbrow : The Emergence of Cultural Hierarchy in America, Cambridge, Mass., Harvard University Press.
- LYNES R. (1954), The Tastemakers, New York, Harper.
- MALCOLM N. (1988), « Ludwig Wittgenstein », in Wittgenstein L., Le Cahier bleu et le Cahier brun, Paris, Gallimard, Tel, p. 331-424.
- MURPHY R. (1988), Social Closure : The Theory of Monopolization and Exclusion, Oxford, Clarendon.
- PASSERON J.-C. (1991), Le Raisonnement sociologique. L’espace non poppérien du raisonnement naturel, Paris, Nathan, Essais & Recherches.
- VEBLEN T. (1978) [1899], Théorie de la classe de loisir, Paris, Gallimard, Tel.
- VERRET M. (1988), La Culture ouvrière, Saint-Sébastien, ACL.
Notes
-
[1]
VEBLEN, 1899.
-
[2]
BOURDIEU, 1979.
-
[3]
GOBLOT, 1925.
-
[4]
LYNES, 1982 ; MURPHY, 1988 ; LEVINE, 1988 ; BEISEL, 1990.
-
[5]
Point de vue que j’ai mis en œuvre dans LAHIRE, 2004.
-
[6]
CHARTIER, 1989, p. 1511.
-
[7]
FISH, 1980.
-
[8]
CEFAÏ, PASQUIER, 2003, p. 38.
-
[9]
La démarche méthodologique complexe mise en œuvre à partir de l’enquête « Pratiques culturelles des Français. Enquête 1997 » (DEP/ministère de la Culture) et qui permet d’énoncer de tels résultats est longuement explicitée dans LAHIRE, 2004, p. 117-207. Les profils culturels ont été construits à partir d’indicateurs sur les genres musicaux écoutés le plus souvent, les genres de livres lus le plus souvent, les genres de films préférés, les émissions de télévision préférées, les genres de sorties ou de visites culturelles et les loisirs-divertissements pratiqués. Cette démarche statistique a été complétée par 111 entretiens réalisés auprès de personnes aux propriétés sociales diversifiées (selon l’âge, le sexe, le niveau de diplôme, la nature de la formation scolaire, l’origine sociale et la position socioprofessionnelle).
-
[10]
Bien analysées par GRIGNON, PASSERON, 1989.
-
[11]
CASTEL, 1965, p. 329.
-
[12]
PASSERON, 1991, p. 109.
-
[13]
Et l’on ne comprendrait pas les évolutions individuelles en matière de pratiques et de goûts culturels si l’on ne reconstruisait pas les dynamiques qui font que ce qui est simple habitude peut devenir passion ou, au contraire, tomber en désuétude ; que ce qui était obligatoire peut, au bout d’un long processus d’intériorisation ou en d’autres circonstances, se métamorphoser en goût personnel ; que ce qui n’était que pratique pour faire plaisir à d’autres est susceptible de se transformer en pratique pour son propre plaisir ou que ce qui était goût ou passion redevienne simple habitude, etc.
-
[14]
Nos analyses rejoignent sur ce point celles d’ERICKSON, 1996.
-
[15]
Voir LAHIRE, 1998.
-
[16]
DUMONTIER, SINGLY, THELOT, 1990.
-
[17]
Sur la distinction « culture chaude » vs « culture froide », voir DUPONT, 1994.
-
[18]
Le philosophe Ludwig Wittgenstein disait à propos des films américains qu’il aimait voir après un effort intellectuel intense que ceux-ci lui faisaient « l’effet d’une bonne douche ». Voir MALCOLM, 1988, p. 336-337.
-
[19]
ELIAS, DUNNING, 1994, p. 56.
-
[20]
Voir sur ce point l’analyse du karaoké (« Karaoké et libération publique des tensions », LAHIRE, 2004, p. 616-624) qui, tout en étant à l’opposé de la culture de la froide retenue, de la maîtrise des sentiments ou des émotions caractérisant les amateurs éclairés de musées ou les spectateurs des concerts de musique classique ou d’opéra, peut faire partie de la palette de sorties de personnes à fort capital culturel.
-
[21]
Voir notamment sur la culture ouvrière VERRET, 1988.
-
[22]
Il faut rappeler que le pourcentage des foyers français propriétaires d’un téléviseur n’était, en 1960, que de 13 % et a atteint depuis 1989 les 96 %. Côté radio, on est passé de 5 % en 1930 à 96 % en 1973.
-
[23]
Cela n’a rien d’étonnant pour les lecteurs des travaux du sociolinguiste nord-américain William Labov qui montrent que l’effort des locuteurs pour parler dans un registre standard est d’autant plus grand que la situation est officielle. Voir LABOV, 1976.
-
[24]
On mesure par exemple l’effet du passage des films des salles de cinéma à la télévision (avec les diffusions multiples et la possibilité de visionnage des cassettes vidéo) sur les caractéristiques de leurs publics (GUY, 2000). Plus les films sont anciens et plus ils ont une chance d’avoir été vus, et même appréciés, par un public autre que celui qui s’était déplacé pour les voir au moment de leur sortie en salle. D’une part, les films d’auteurs « réservés » initialement au public très diplômé et cinéphile trouvent ainsi des publics plus larges qui ne se seraient pas déplacés et n’auraient pas payé pour aller les voir par peur de s’ennuyer ou de ne rien comprendre, mais qui ont néanmoins la curiosité de les voir à la télévision. D’autre part, les films les plus « grand public » et les moins légitimes (films d’action ou d’aventure, films policiers ou films comiques) peuvent être vus par des publics aux exigences culturelles ordinairement plus hautes, qui ne seraient pas non plus allés les voir en salles (noblesse culturelle oblige), mais qui peuvent apprécier de les regarder gratuitement, en privé, sans ressentir de honte culturelle et sans être gênés ou rebutés par la présence de publics aux propriétés sociales et culturelles très éloignées des leurs.
-
[25]
On trouve pour la première fois en mai 1963 dans la revue L’Education nationale et sous la plume du sociologue Georges Friedmann, non seulement une interrogation sur la concurrence entre école et industrie culturelle, mais l’évocation des possibles ambivalences culturelles des lycéens dans ce nouveau contexte. Comme l’écrivent Anne-Marie Chartier et Jean Hébrard : « Voici donc, pour la première fois dans notre corpus, l’affirmation qu’il pourrait y avoir des strates culturelles aux valeurs antagonistes au sein d’une même société, du même groupe social et peut-être même au sein du même individu (“Telle fille vantera dans sa dissertation les mérites éminents de La Princesse de Clèves qui, dans son for intérieur, préférera le récit des malheurs de Soraya dans France-Dimanche”). » (CHARTIER, HEBRARD, 2000, p. 462).
-
[26]
BOURDIEU, 1979, p. 60. Par exemple, Marc Fumaroli dit sa détestation de la confusion entre « le Forum et le Cirque, Carême et Carnaval » (FUMAROLI, 1992, p. 300-301), de même qu’Alain Finkielkraut critique le « métissage » de ses contemporains dans La Défaite de la pensée, 1987.
-
[27]
CASSAVETTI, 2002.
-
[28]
Idem.
-
[29]
LE GUERN, TEILLET, 2003.
-
[30]
LEVINE, 1988.
-
[31]
Voir le paragraphe intitulé « Variations inter-individuelles et singularités individuelles » in LAHIRE, 2004, p. 193-195.
-
[32]
Thème que l’on retrouve aussi bien chez FINKIELKRAUT, 1987 que chez BOURDIEU, 2001.
-
[33]
LABOV, 1976. J’ai consacré dans L’Homme pluriel un paragraphe intitulé « Code switching et code mixing au sein d’un même contexte » qui soulignait l’importance d’une partie de la sociolinguistique pour une sociologie des variations contextuelles des comportements intra-individuels (LAHIRE, 1998, p. 74-76).
-
[34]
Voir LAHIRE, 1998 et LAHIRE, 2004, p. 695-736.
-
[35]
GIBSON, 1979.