Réseaux 2003/6 no 122

Couverture de RES_122

Article de revue

Du silence au scandale

Des difficultés des médias d'information à se saisir de la question de l'amiante

Pages 237 à 272

Notes

  • [1]
    Sur les magazines traitant des questions de santé, voir MATHIEN, 1999 ; dans l’audiovisuel, voir par exemple la réussite assez récente du « Magazine de la santé » diffusé par La Cinquième. Plus généralement sur les évolutions du groupe des journalistes spécialisés en santé, voir MARCHETTI, 1997, CHAMPAGNE, MARCHETTI, 1994.
  • [2]
    Nous entendons sens commun au sens de GEERTZ, 1986.
  • [3]
    La notion de problématisation sera souvent préférée à celle plus objectivante de définition parce qu’elle insiste sur la dimension de processus du travail de définition et permet de lier les dimensions discursives et sociales de ces mécanismes. Sur cette notion, voir en particulier FOUCAULT, 1984 et CALLON, 1986.
  • [4]
    CASTERET, 1992, p. 240.
  • [5]
    C’est l’objectif d’une tradition de recherche surtout développée dans la littérature anglo-saxonne, celle de l’analyse des problèmes publics. Pour un exemple particulièrement abouti, voir GUSFIELD, 1981. D’autres peuvent être trouvés dans la revue consacrée à ces questions, Social Problems. En langue française, voir NEVEU, QUERE, 1996 et pour des discussions synthétiques, CEFAÏ, 1996 ou NEVEU, 1999.
  • [6]
    Pour une analyse plus générale du développement public de la crise de l’amiante, voir les deuxième et troisième parties de ma thèse, HENRY, 2000.
  • [7]
    Sur les stratégies judiciaires déployées par les associations en lutte contre l’amiante, voir HENRY, 2004.
  • [8]
    Même si les mobilisations associatives ne sont pas l’objet de cet article, l’attention portée à l’amiante par les médias d’information n’a été rendue possible que grâce à la reprise de mobilisations multiples de la part d’acteurs s’opposant à l’utilisation de l’amiante. L’accent mis ici sur le rôle des journalistes correspond à la volonté d’analyser certains des mécanismes propres à ce champ d’activité, et non à l’affirmation d’un rôle autonome joué par ces acteurs dans les processus de publicisation.
  • [9]
    C’est un des reproches qui peut être fait aux travaux par ailleurs très stimulants de Murray Edelman, voir EDELMAN, 1991.
  • [10]
    Les propriétés fibrosantes de l’amiante (c’est-à-dire la capacité à produire l’asbestose, maladie comparable à la silicose) ont, elles, été mises en évidence dès le début du siècle.
  • [11]
    Sur la chronologie des développements de la connaissance scientifique de la nocivité de l’amiante, nous renvoyons à INSERM, 1997.
  • [12]
    Le format de cet article ne permet pas d’expliquer les raisons sociales et sociologiques pour lesquelles les maladies professionnelles apparaissent socialement acceptées et n’accèdent que de façon exceptionnelle à l’espace public. Sur ces points, voir HENRY, 2000, p. 72 et suivantes.
  • [13]
    Sur les journalistes spécialisés, voir MARCHETTI, 2002 ; plus largement, voir NEVEU, RIEFFEL, RUELLAN, 2002.
  • [14]
    Cet article repose sur le travail empirique effectué au cours de ma thèse de doctorat, en particulier les entretiens auprès de journalistes et le recueil des discours d’information médiatique écrits et audiovisuels. Pour ce qui est de la télévision, ce travail a été rendu possible grâce aux archives de l’Ina et aux services de consultation de l’Inathèque que je tiens à remercier. Je remercie aussi Renaud Crespin pour son soutien lors de la rédaction de cet article ainsi que Jacques Lagroye, Dominique Marchetti et Erik Neveu pour leurs lectures de versions antérieures de ce texte.
  • [15]
    « I view news as a peculiar form of information, peculiar in that it is, at least in formal terms, specifically about nothing in particular. […] Both the news customer and the news producer have no specific expectation of content. […] The question “What’s new” can, in formal terms, elicit anything. », MOLOTCH, 1979, p. 74, souligné par l’auteur.
  • [16]
    Entretien journaliste, quotidien national, 15 septembre 1998.
  • [17]
    Entretien journaliste, télévision, 13 novembre 1998.
  • [18]
    LENGLET, 1996.
  • [19]
    MALYE, 1996.
  • [20]
    MALYE, 1996, p. 10-11.
  • [21]
    Entretien rédacteur en chef de Sciences et Avenir, 20 avril 1998.
  • [22]
    Voir « Le Centre international de recherche sur le cancer devra être évacué et “désamianté” », Le Monde, 16 février 1990 ou « A Nantes, les plafonds d’amiante vident la tour », Libération, 2 octobre 1992. Le bâtiment du Berlaymont à Bruxelles fait lui aussi l’objet d’une certaine attention médiatique.
  • [23]
    Le sujet est introduit ainsi par la présentatrice du journal : « Une école du Val d’Oise polluée par l’amiante. Un groupe scolaire de Pontoise a dû être fermé car la teneur en amiante de l’une de ses salles était deux fois supérieure à la norme admise. L’école qui abrite 300 élèves a été construite en 1974, avant donc la réglementation sur l’usage de l’amiante. », « Journal de 20 heures », TF1, 30 novembre 1991.
  • [24]
    Voir pour un compte rendu de leurs activités et un aperçu de leur positionnement politique, COLLECTIF INTERSYNDICAL SECURITE DES UNIVERSITES JUSSIEU CFDT CGT FEN, 1977.
  • [25]
    Voir par exemple les articles suscités par la douzième victime en quelques mois de l’usine Amisol de Clermont-Ferrand, « Amisol : depuis 74 l’amiante a fait 12 morts », Libération, 27 mai 1977 ou « La mort a encore frappé chez Amisol », L’Humanité, 28 mai 1977. Sur la forte polarisation politique de l’espace médiatique avant 1980, voir JUHEM, 1998, p. 413 et suivantes ainsi que JUHEM, 2001.
  • [26]
    « A la bonne heure », TF1, 29 novembre 1976.
  • [27]
    INSERM, 1997.
  • [28]
    Une des critiques qui peut être adressée au travail de Francis Chateauraynaud et Didier Torny, sur la crise de l’amiante (CHATEAURAYNAUD, TORNY, 1999, p. 99 et suivantes) est justement de se limiter aux aspects du problème ayant reçu une certaine publicité (comme la dimension professionnelle du risque lors de l’épisode de 1975 ou les problèmes de désamiantage au cours de la période 1980-1994) ou susceptibles d’en recevoir une (comme certaines mobilisations autour de sites amiantés recevant du public). En revanche, ils excluent de leur analyse les dimensions professionnelles du risque amiante, invalidant ainsi gravement leur démonstration qui ne prend pas en compte cette dimension non publicisée du problème pourtant essentielle pour comprendre à la fois le confinement de cette question et son émergence publique et médiatique sous forme de crise.
  • [29]
    Entre autre parce que le sida est une des très rares maladies à toucher relativement plus les catégories supérieures de l’espace social, voir HAUT COMITE DE LA SANTE PUBLIQUE, 1994, p. 193.
  • [30]
    En 1990, presque 90 % des journalistes professionnels ont un niveau d’études secondaires (20,5 %) ou supérieures (68,8 %), seul indicateur quantitatif d’origine sociale utilisable (bien qu’imparfait) dans les statistiques de la commission de la carte d’identité des journalistes professionnels, voir IFP, 1991, p. 27. L’enquête auprès d’un échantillon plus étroit effectuée dans le cadre de ce même ouvrage confirme que « les journalistes sont majoritairement issus d’un milieu social favorisé », ibid., p. 26. Autre indicateur de position sociale, le salaire mensuel médian des journalistes (salariés et pigistes) s’établit à 21 300 francs en 1999 dans la presse quotidienne nationale et à 22 300 francs dans les télévisions nationales, voir DEVILLARD, LAFOSSE, LETEINTURIER, RIEFFEL, 2001, p. 73.
  • [31]
    Sur le rôle des journalistes reporters d’image dans la construction des journaux télévisés, voir BALBASTRE, 1995, SIRACUSA, 2001
  • [32]
    Au moins pour les quotidiens régionaux des régions de Clermont-Ferrand et de Condé-sur-Noireau sur lesquels une étude a été menée, HENRY, 2000, p. 409 et suivantes.
  • [33]
    Sur l’utilisation du registre technique pour maintenir un problème dans un certain confinement social, voir COBB, ROSS, 1997.
  • [34]
    Voir LEMIEUX, 1997, p. 548 et suivantes, voir aussi LEMIEUX, 2000.
  • [35]
    Sur les définitions de ce qu’est une information pertinente pour les journalistes médicaux et leurs évolutions récentes, voir MARCHETTI, 1997.
  • [36]
    Dans la même tonalité que cette article, voir « Les ouvriers travaillant l’amiante doivent être surveillés », France-Soir, 10 novembre 1982.
  • [37]
    Sur l’évolution du groupe des journalistes sociaux et des rubriques sociales dans les quotidiens nationaux, voir LEVEQUE, 2000.
  • [38]
    Voir DE LA HAYE, 1985 ; MIEGE, 1989 ; ALBERT, 1991
  • [39]
    Critiquant l’utilisation du terme « source », Erik Neveu note que « si une métaphore aquatique peut avoir du sens, elle est celle de journalistes submergés d’un déluge d’informations par leurs sources », NEVEU, 2001, p. 55.
  • [40]
    Les travaux anglo-saxons de sociologie des journalistes sont nombreux à souligner l’importance des sources dans le travail journalistique, voir GANS, 1979 ; TUNSTALL, 1971. Une synthèse de cette question est effectuée dans SCHLESINGER, 1992.
  • [41]
    Voir MOLOTCH, LESTER, 1996.
  • [42]
    SCHLESINGER, 1992, p. 84, souligné par l’auteur. Sur ce point, voir aussi SCHUDSON, 1995.
  • [43]
    Sur les deux seuls sujets télévisés diffusés en 1994 faisant intervenir des « experts », des membres du CPA sont toujours sollicités pour contrebalancer les opinions émises au nom du Comité anti-amiante Jussieu, voir les reportages diffusés par TF1 à 20 heures, le 21 septembre 1994 et à 13 heures, le 8 novembre 1994.
  • [44]
    C’est le cas dans un article de France-Soir du 8 novembre 1994 qui donne dans son chapeau le téléphone du CPA, ou dans un article du Monde du 7 décembre 1994 qui donne en note l’adresse et le téléphone – identiques – du CPA et de l’Association française de l’amiante (Afa, association regroupant les industries utilisatrices d’amiante).
  • [45]
    « Ce matériau naturel, employé surtout dans le bâtiment, est responsable en France de plusieurs centaines de cancers par an. Le Comité permanent Amiante vient de faire le point de la situation », chapeau de l’article « Les dangers de l’amiante », Le Monde, 7 décembre 1994. Les citations de ce paragraphe sont tirées de cet article.
  • [46]
    Plus précisément, Marie-Claude Ravault était la représentante de la confédération générale des cadres (CFE-CGC) au Comité permanent amiante.
  • [47]
    Comme le montre dans le cas des journalistes spécialisés en éducation du Monde, PADIOLEAU, 1976.
  • [48]
    Selon la définition du Robert.
  • [49]
    Sur ces points, voir PADIOLEAU, 1976, LEMIEUX, 1997.
  • [50]
    TUCHMAN, 1972. Dans cet article, il distingue cinq principaux moyens à la disposition du journaliste pour faire la preuve de son objectivité : la présentation sur un pied d’égalité d’opinions opposées, la couverture de faits dont l’existence relève du sens commun, l’utilisation judicieuse de la citation, la structuration de l’article insistant en premier lieu sur les faits les moins contestables et la séparation des faits et du commentaire.
  • [51]
    Il serait d’ailleurs intéressant de montrer comment ce statut d’engagé ou de non-engagé est perçu de façon différente selon qu’un individu se situe aux côtés d’acteurs majoritaires ou minoritaires dans une opposition.
  • [52]
    Voir Le Parisien, 5-6 novembre 1994 ou France-Soir, 8 novembre 1994.
  • [53]
    Entretien rédacteur en chef de Sciences et Avenir, 20 avril 1998.
  • [54]
    Voir la distinction entre logique commerciale et logique de pureté effectuée dans BOURDIEU, 1994. Voir aussi CHAMPAGNE, 1994.
  • [55]
    TF1 traite le sujet au cours de son journal de 20 heures le 15 juin 1994. France 2, au cours de sa dernière édition de la nuit le même jour, puis de son 13 heures du lendemain. Enfin, France-Soir y consacre un article le 16 juin 1994, intitulé : « Cancer : 4 veuves portent plainte. L’amiante des plafonds du lycée dans lequel leurs époux enseignaient pourrait avoir déclenché la terrible maladie. »
  • [56]
    Cette généralisation est confirmée pour Le Monde par un article publié le lendemain sur la présence d’amiante à la prison de Fleury-Mérogis.
  • [57]
    Voir sur l’évolution similaire du journalisme médical qui tend à faire de l’information médicale une « information comme une autre » : MARCHETTI, 1997.
  • [58]
    Dans la veine de son dossier sur l’amiante, Sciences et Avenir est par exemple à l’origine des enquêtes classant les établissements hospitaliers, voir Sciences et Avenir, octobre 1997.
  • [59]
    Entretien rédacteur en chef de Sciences et Avenir, 20 avril 1998.
  • [60]
    « C’est un article qui était de la veine de... presque militant dans le bon sens du terme d’un consumérisme actif comme je l’avais pratiqué quand j’étais à 50 [Millions de consommateurs] », entretien rédacteur en chef de Sciences et Avenir, 20 avril 1998. Les autres journalistes qui travaillent sur cette enquête ont auparavant travaillé dans la couverture de faits divers ou sont de jeunes journalistes en stage.
  • [61]
    Ces journalistes travaillent donc de façon sensiblement différente de ceux qui sont aujourd’hui communément désignés comme « journalistes d’investigation », voir MARCHETTI, 2000.
  • [62]
    Entretien rédacteur en chef de Sciences et Avenir, 20 avril 1998.
  • [63]
    Sciences et Avenir, juin 1995, titre du dossier et p. 28.
  • [64]
    Voir « Le nombre de cancers dus à l’amiante menace de se multiplier », Le Monde, 31 mai 1995.
  • [65]
    On peut aussi citer l’article de Hélène Crié dans Libération, « Amiante : le grand retard », 26 octobre 1995.
  • [66]
    Entretien journaliste spécialisée environnement, quotidien national, 30 octobre 1998.
  • [67]
    Principalement le Comité anti-amiante Jussieu, l’Association pour l’étude des risques au travail (Alert) et la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath). Ces trois associations se regroupent début 1996 pour former l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva).
  • [68]
    Entretien journaliste spécialisée environnement, quotidien national, 6 novembre 1998.
  • [69]
    Entretien journaliste, Le Monde, 3 décembre 1998.
  • [70]
    Présenté comme « expert-citoyen » en une du Monde du 31 mai 1995, tranchant avec l’image véhiculée quelques mois plus tôt.
  • [71]
    Entretien journaliste spécialisée environnement, télévision, 4 novembre 1998.
  • [72]
    Voir HENRY, 2004, à paraître.
  • [73]
    Entretien journaliste spécialisée environnement, quotidien national, 30 octobre 1998.
  • [74]
    LENGLET, 1996 paraît en avril et MALYE, 1996 en août.
  • [75]
    Entretien journaliste spécialisée environnement, quotidien national, 30 octobre 1998.
  • [76]
    Entretien journaliste spécialisée environnement, télévision, 4 novembre 1998.
  • [77]
    Roger Lenglet est l’invité du journal de 13 heures de France 2 les 25 juin et 3 juillet 1996 ; François Malye, le 26 septembre 1996.
  • [78]
    Le 26 juin 1996, Le Monde indique en fin d’article, en note : « L’Affaire de l’amiante, de Roger Lenglet, fait un point complet de la question, éditions La Découverte, 256 pages, 135 F. ». Dans son numéro daté des 8 et 9 septembre 1996, ce journal indique les références des deux ouvrages parus.

1Le suivi de l’actualité de ces dernières années révèle que les questions de santé publique et, plus largement, de santé occupent une place croissante dans les discours médiatiques, que ce soit sous forme d’informations régulières portant sur ces thèmes ou par le nombre croissant de magazines (de la presse écrite ou audiovisuelle) abordant ces questions [1]. Au sein de cette actualité, s’est progressivement constituée et imposée une catégorie spécifique de définition des problèmes : celle de crise, d’affaire ou de scandale de santé publique. Le rapprochement au sein de cette catégorie, de problèmes différents comme ceux du sang contaminé, de la vache folle ou de l’amiante – comme cela était couramment effectué durant leur période de forte publicité – relève aujourd’hui du sens commun [2]. Il doit cependant être interrogé, puisque certains problèmes aussi graves sur le plan de la santé publique ne sont jamais constitués en crises ou en affaires comme les problèmes du tabagisme, de l’insécurité routière ou des cancers professionnels, alors qu’à l’inverse les questions rassemblées sous ce vocable n’ont souvent d’autre point commun que d’avoir des conséquences néfastes sur la santé d’êtres humains. En fait, on doit chercher les caractéristiques qui font entrer un problème au sein de cette catégorie dans ses dimensions publiques, plus précisément dans les formes données à sa définition par les acteurs capables de développer des discours à vaste surface sociale de diffusion, dont les journalistes. Ainsi, pour reprendre les exemples cités ci-dessus, peu de points communs existent entre les problèmes mis en évidence par l’affaire du sang contaminé, la crise de la vache folle ou le scandale de l’amiante. En revanche, ces trois questions ont fait l’objet d’un traitement prioritaire de la part des médias d’information et ont été problématisées dans des termes similaires [3]. Pour résumer les similitudes de ces définitions publiques, on peut dire que dans ces trois cas, des victimes innocentes ont été aléatoirement touchées par les actes répréhensibles d’acteurs qui devront être mis en accusation pour des agissements coupables au cours desquels ils ont fait prévaloir des intérêts économiques sur des préoccupations de santé publique. Le résumé le plus net en est donné par la journaliste Anne-Marie Casteret dans l’ouvrage qui présente son enquête sur l’affaire du sang contaminé :

2

Il ne faudra plus jamais laisser dire que cette affaire est compliquée. Pour la dizaine de hauts responsables médicaux et ministériels spécialement chargés de la politique transfusionnelle, elle se résume en une phrase : en privilégiant les enjeux économiques au détriment des impératifs de santé publique qu’ils étaient censés défendre, ils ont laissé des personnes qu’ils étaient censés protéger, contracter une maladie mortelle [4].

3La similitude des définitions publiques de ces problèmes indique que le processus de leur publicisation ne va de soi et ne se déroule pas selon le modèle du dévoilement d’une réalité sous-jacente. Ce processus est au contraire le résultat d’un ensemble d’activités sociales qui ont pour but de manière directe ou indirecte de rendre public un problème. Sans postuler une autonomie complète de ces processus vis-à-vis des problèmes qui en sont à l’origine, il faut tout de même insister sur leurs spécificités et les interroger [5]. Dans cet article, le rôle des acteurs médiatiques sera plus particulièrement analysé puisqu’ils occupent une position centrale dans ces processus, de façon active en produisant – ou non – de l’information, et de façon passive parce qu’ils se situent au point de convergence de nombreuses mobilisations. Nous nous centrerons pour cela sur l’exemple de l’amiante dans la mesure où ce problème a des spécificités qui mettent en évidence certains aspects de ces mécanismes de publicisation.

LES FORMES DU SCANDALE

4En 1994-1995, dans le contexte de l’affaire du sang contaminé encore récente et dont tous les développements judiciaire n’ont pas abouti, éclate dans les médias d’informations ce qui deviendra l’« affaire de l’amiante ». Sans pouvoir revenir ici sur l’ensemble des raisons qui expliquent cette émergence publique ni les formes de sa problématisation [6], cette affaire est très vite abordée par les journalistes à travers les grilles d’analyse développées au cours de l’affaire du sang contaminé qui tendent alors à devenir celles utilisées sur toute crise de santé publique. Le risque lié à l’amiante est tout d’abord présenté comme menaçant l’ensemble de la population et particulièrement ses catégories les plus vulnérables, les enfants. Les discours médiatiques, en particulier télévisuels, insistent sur le problème de la présence d’amiante dans les locaux recevant du public, dont les établissements scolaires : plus des deux tiers des reportages diffusés de septembre 1995 à juin 1996 par l’ensemble des chaînes hertziennes traitent de la présence d’amiante dans des locaux scolaires. Pour symboliser ce risque, TF1 utilise une incrustation en forme de tête de mort pour introduire ses premiers reportages sur ce thème. Progressivement, les journalistes dénoncent un nouveau scandale de santé publique : plus ou moins explicitement, les pouvoirs publics et des industriels sont mis en cause, les premiers pour avoir laissé faire et les seconds pour avoir positivement multiplié les usages de l’amiante dans de nombreuses applications. La problématisation en termes de scandale est facilitée par les premières affaires judiciaires en lien avec l’amiante. Dès 1994, une plainte déposée par les veuves d’enseignants décédés après avoir enseigné dans un lycée professionnel contenant de l’amiante permet qu’émergent les premiers discours médiatiques sur l’amiante. Par la suite, de nombreuses plaintes et procédures civiles sont engagées [7] renforçant cette représentation de l’amiante sous forme d’affaire aux prolongements judiciaires. Cette problématisation qui s’impose de façon assez unanime dans les médias d’information n’émerge pas de façon spontanée ou à la suite de la découverte subite par des journalistes d’un scandale particulièrement révoltant. Elle trouve plutôt son origine dans la mobilisation simultanée d’associations en lutte contre l’amiante et de journalistes occupant une position relativement périphérique, soit au sein des médias dans lesquels ils se trouvent, soit parce qu’ils travaillent dans des supports médiatiques hors d’un secteur dominant constitué par la presse écrite quotidienne et hebdomadaire nationale et les médias audiovisuels [8].

5Cependant si l’on cherche à déterminer certaines des principales caractéristiques du risque représenté par l’utilisation de l’amiante on constate qu’elles sont assez éloignées de la problématisation publique qui en a été faite. Sans vouloir opposer une définition vraie du problème à ses déformations publiques [9], mettre en évidence des aspects du problème qui ont reçu une faible publicité peut nous aider à comprendre les contours du processus de publicisation qui le touche.

6Tout d’abord, contrairement à ce que pourrait laisser croire l’explosion brutale des discours publics, la nocivité de l’amiante est un problème ancien et connu de longue date dans certains secteurs sociaux d’activité. L’utilisation industrielle croissante de ce minéral de la fin de la deuxième guerre mondiale à la fin des années 1970 s’accompagne immédiatement d’une meilleure connaissance de sa nocivité [10]. En 1977, le Centre International de Recherche sur le Cancer classe cette substance comme cancérogène certain pour l’homme [11]. Ses études constituent une référence pour la communauté scientifique internationale : à partir de cette période, le caractère cancérogène de l’amiante est donc scientifiquement prouvé de manière définitive, même si certains débats sur les effets des expositions à faible dose ou à certains types d’amiante restent l’objet de controverses scientifiques. Ainsi, pour l’ensemble des scientifiques et des acteurs en contact avec les processus industriels transformant ou utilisant l’amiante, la cancérogénicité de l’amiante est une donnée connue et non discutée.

7Ensuite, les maladies liées à l’amiante touchent dans leur écrasante majorité des professionnels, c’est-à-dire des personnes amenées à travailler à son contact dans le cadre de l’exercice d’un métier. Cette spécificité de l’épidémie de pathologies liées à l’amiante est importante à souligner, car elle entraîne plusieurs conséquences sur le plan de sa gestion et de sa carrière publique. Pour plusieurs raisons qui tiennent à la mise en place d’une gestion assurantielle du risque professionnel, aux catégories sociales dont sont issues les victimes et à des raisons socio-historiques, les maladies professionnelles sont l’objet d’une relative acceptation sociale [12]. Celle-ci est fortement corrélée à un désintérêt et une méconnaissance de ces pathologies en dehors des cercles restreints formés par ceux qui sont soit physiquement touchés, soit amenés à travailler directement sur ces questions (comme les médecins du travail, certains syndicalistes ou des épidémiologistes). Un indice de ce désintérêt et de cette méconnaissance est la faible publicité donnée à ces problèmes de santé publique : de la même manière que les cancers induits par les radiations ionisantes ou le benzène ne provoquent pas de mobilisation médiatique particulière, les expositions à l’amiante ne font durant de nombreuses années l’objet que d’un faible investissement de la part des médias nationaux d’information.

8Ces deux spécificités de l’épidémie liée aux expositions à l’amiante ne sont pas sans conséquences sur le processus de publicisation et de médiatisation du problème sous forme d’affaire ou de scandale à partir de 1994-1995, ainsi que sur son absence de traitement durant les vingt années qui précèdent. Elles permettent d’observer plusieurs mécanismes de fonctionnement des médias nationaux d’information (analysés ici essentiellement à partir de la presse quotidienne nationale et de la télévision) qui sont souvent peu étudiés au travers d’autres crises de santé publique. Dans cet article, nous nous centrerons sur deux d’entre eux : 1/ la forte prégnance dans le groupe des journalistes de routines professionnelles de sélection (quelle information est jugée pertinente ?) et de construction (comment intéresser le public ?) de l’information ; 2/ la profonde dépendance du champ de production de l’information vis-à-vis de groupes sociaux extérieurs à leur secteur d’activité qui contribuent à définir le problème tel qu’il apparaît publiquement. Ainsi, après avoir montré dans une première partie comment les routines professionnelles du groupe des journalistes expliquent la faible visibilité de l’amiante avant 1994 en réservant ce thème d’information au journalisme spécialisé [13], nous analyserons ensuite comment ces logiques sont contournées en particulier avec une modification des rapports des journalistes à leurs sources d’information. Enfin, une troisième partie s’attachera à retracer le parcours tortueux de cette problématisation de l’amiante depuis des acteurs ou des médias relativement périphériques de l’espace médiatique pour s’imposer ensuite de façon plus centrale [14].

ROUTINES PROFESSIONNELLES ET CONSTRUCTION DES DISCOURS D’INFORMATION

9Le travail journalistique peut se définir, pour reprendre les termes de Harvey Molotch, comme la production d’un discours sur aucun sujet en particulier, ou encore comme la réponse à la question : « Qu’y a-t-il de nouveau [15] ? » Selon les circonstances dans lesquelles cette question est posée, la personne qui la pose ou celle à laquelle on s’adresse, les réponses ne seront pas du tout les mêmes. De façon identique, les processus de sélection des informations à traiter – ou de mise de côté de celles qui semblent inintéressantes – montrent que le travail du journaliste est le résultat d’une activité sociale qui engage implicitement des représentations liées à l’image de son métier, du média dans lequel il travaille, de la position qu’il y occupe et/ou du public auquel il s’adresse. Pourtant cette activité de sélection se fait sur le mode de l’évidence et du « naturel », pour ceux qui développent ces pratiques.

10

C’est pas vous qui commandez l’actualité, c’est l’actualité qui vous commande [16].
Q : Quand est-ce que vous êtes convaincu que, sur une question, il y a un sujet à faire ?
R : Ben, le problème est réel, à partir du moment où vous voyez que le problème est réel [17].

11L’impression d’évidence, de « ça va de soi », qui accompagne ces routines de sélection rend extrêmement difficile leur interrogation, alors même qu’elles ont des effets considérables sur les productions de ces acteurs sociaux, c’est-à-dire les discours médiatiques d’information. Dans le cas de l’amiante, ces routines, si elles sont intéressantes à analyser au moment de l’émergence médiatique du scandale de l’amiante, le sont encore plus durant la quinzaine d’années de quasi-silence qui précède le fort investissement médiatique sur cette question.

UN PROBLÈME DIFFICILE À SAISIR

12Une fois le problème de l’amiante défini de façon unanime et évidente en crise ou en scandale de santé publique comme il l’est à partir de 1995, la période de silence antérieure devient difficilement compréhensible et apparaît forcément « coupable » : l’interrogation à son sujet devient : « comment a-t-on pu cacher des faits aussi scandaleux ? ». La principale explication longtemps donnée à ce silence se fonde alors sur une théorie du complot qui en impute la responsabilité à l’action de groupes industriels du secteur. En 1996, deux livres paraissent à quelques mois d’intervalle : écrits par des journalistes, L’affaire de l’amiante[18] et Le dossier de l’air contaminé[19] proposent des lectures assez proches du problème. Ils dénoncent en particulier comme artisan principal de l’étouffement du scandale le Comité permanent amiante. Cette structure rassemblait jusqu’à sa dissolution en 1995 des représentants des industries utilisatrices ou transformatrices d’amiante, des organisations syndicales, des organismes chargés de la prévention du risque professionnel et de certains ministères. Elle était pilotée par une société de communication financée directement par les industriels.

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Tous les acteurs de cette tragédie sont tombés d’accord pour nous mentir et cacher ces milliers de victimes. Responsables politiques, scientifiques, industriels, tous sont coupables d’une conspiration autour des ravages de ce minéral. Un mensonge organisé par un puissant lobby, le Comité permanent amiante, dirigé et financé par les industriels, mais fonctionnant avec l’aval des pouvoirs publics et la caution de certains scientifiques [20].

14Le principal obstacle à l’analyse de cette période tient au fait que le problème de l’amiante tel qu’il est redéfini à partir de 1994-1995 n’existe effectivement pas avant cette période. En d’autres termes, on ne trouve pas trace de problèmes définis comme particulièrement révoltants ou simplement problématiques, ni de mobilisations ayant acquis une certaine visibilité publique. C’est ce que montre l’extrait d’entretien suivant, réalisé avec le rédacteur en chef de Sciences et Avenir, auparavant à la tête de la rédaction d’un magazine consumériste qui, au début des années 1990, avait tenté à plusieurs reprises de faire une enquête sur les méfaits de ce matériau en France.

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J’ai demandé à deux journalistes, je leur ai donné deux mois chacun, c’est-à-dire il y a eu quatre mois d’enquête, je leur ai dit démerdez-vous comme vous voulez, fouillez, vous avez les moyens, démerdez-vous, il doit y avoir quelque chose, c’est pas possible, il doit y avoir quelque chose, on ne peut pas... donc on était après les Tchernobyl et tout ce que vous voulez, donc on ne peut pas... c’est encore un truc qui s’est arrêté aux frontières, donc il doit y avoir quelque chose. Et donc, ils ont été voir. […] Et ils ont merdé, bon et au bout d’un mois et demi chacun, donc, j’ai arrêté les frais parce que en fait, ils disaient on n’avance pas, on ne trouve pas, il n’y a rien, il n’y a rien, et il n’y a rien [21]

16Si l’on recherche avant 1994 des alertes ou des signaux précurseurs de ce que sera la crise de l’amiante après sa redéfinition publique, très peu d’éléments apparaissent. Quelques lieux publics dans lesquels l’amiante a été utilisé à titre d’isolant ont bien donné lieu à des mobilisations de leurs occupants à partir de 1990, mais le problème apparaît alors très technique et reste localisé à certains lieux, comme le Centre international de recherche sur le cancer de Lyon, le centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis ou la tour Beaulieu à Nantes [22]. Dans les journaux télévisés où la disparition de la question de l’amiante est la plus nette sur la période 1980-1993, le seul traitement de cette question se fait à travers le cas de l’évacuation d’un établissement scolaire de Pontoise où la présence d’amiante a été mise en évidence [23]. En aucun cas, on n’assiste alors à une remise en cause radicale de l’utilisation de l’amiante : ce sont surtout les difficultés techniques liées aux travaux de désamiantage qui sont mises en relief.

17Il faut en fait remonter au milieu des années 1970 pour voir une place importante accordée publiquement à ce problème. La mobilisation sur cette question est initiée par des salariés du campus de Jussieu réunis dans un collectif intersyndical qui conçoit son action contre l’amiante comme un projet politique à portée quasiment révolutionnaire dans la lignée de mai 1968 [24]. Dans cette perspective, ils cherchent à mobiliser avec eux des ouvriers travaillant dans des usines de transformation d’amiante (dont les plus importantes sont Amisol à Clermont-Ferrand et Ferodo à Condé-sur-Noireau). L’amiante, par les maladies professionnelles qu’il génère, est donc présenté comme un exemple particulièrement significatif du caractère oppressif des sociétés capitalistes. A cette forte politisation du mouvement répond une forte polarisation politique du champ de production de l’information médiatique qui permet de donner une place importante à des discours politiques critiques dénonçant l’importance des ravages provoquées par l’amiante parmi les ouvriers. Les dégâts provoqués par ce matériau dans certains sites industriels de production sont ainsi régulièrement relayés par certains journaux classés « à gauche » comme Libération, L’Humanité ou Le Matin. Cette dénonciation s’accompagne d’une critique de la société capitaliste qui est alors dicible publiquement dans des quotidiens nationaux et participe à des logiques de démarcation au sein de l’espace médiatique [25]. La dimension professionnelle du problème de l’amiante est ainsi loin d’être évacuée, comme elle tendra à l’être vingt ans plus tard : si le risque lié à la présence d’amiante dans le métro ou certains locaux publics est amplement couvert, il ne l’est que comme une conséquence de la connaissance de la dangerosité de l’amiante en milieu professionnel. C’est ce qu’on peut observer à travers la présentation des trois volets de l’émission « A la bonne heure », émission consacrée quotidiennement par TF1 aux problèmes de consommation, dont le premier traite sur une demi-heure des conséquences professionnelles des expositions à l’amiante.

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Trois émissions... Si on veut essayer de poser toutes les questions qui concernent l’amiante, si on veut essayer de savoir ce que c’est que l’amiante, où on extrait l’amiante, à quoi sert l’amiante, si on peut éventuellement s’en passer, quelles sont les conditions de travail dans les entreprises, et l’amiante aussi dans la... dans notre vie quotidienne. […] Il y a deux problèmes fondamentaux qui sont... qu’on peut poser à travers ce dossier de l’amiante qui sont d’abord les conditions de travail dans l’entreprise et la protection, donc, des travailleurs et finalement ce qui se passe dans certaines sociétés peuvent se poser également pour le bâtiment, par exemple, ou n’importe quelle autre société ou entreprise, donc c’est une question fondamentale, et puis aussi, on l’a déjà dit dans cette émission, trop souvent, les industriels mettent sur le marché des produits à grands coups de publicité, sans contrôler souvent les effets de ces produits [26]. (Présentation du cycle de trois émissions consacrées à l’amiante)

UN PROBLÈME LOINTAIN

19L’intérêt porté par les médias d’information à l’amiante est de courte durée puisque la fin des mobilisations ouvre une période, de 1980 à 1994, durant laquelle ce problème n’est plus l’objet que d’une attention épisodique de la part de l’espace médiatique. Cette perte de dimension publique n’implique pas pour autant une disparition du problème social : durant cette période, des individus de plus en plus nombreux continuent à être exposés au risque et à contracter des maladies liées à l’amiante puisque la mortalité imputable à ce matériau est en augmentation constante sur la période et estimée à un minimum de 2 000 décès annuels en 1996 [27]. La question à se poser est donc : pourquoi un problème social aussi massif que celui des conséquences sanitaires d’expositions à l’amiante a-t-il pu rester si longtemps recouvert d’un voile de méconnaissance et/ou de désintérêt ? Cette question est la seule qui permet d’éviter, d’une part, une explication en termes de complot ou de conspiration et, d’autre part, le piège de se limiter aux seules dimensions publiques prises par le problème. En effet, pour comprendre la période antérieure à 1994 et éclairer le processus qui lui succède, il est nécessaire de se dégager de la définition publique du problème pour repartir de la façon dont les acteurs sociaux qui y sont directement ou indirectement confrontés le définissent et le formulent. On se trouve alors devant un problème social aux contours particulièrement vastes, celui des maladies professionnelles induites par l’amiante, problème dont certaines de ses caractéristiques concourent à le rendre très peu visible publiquement [28].

20La première de celles-ci est que les conséquences négatives des arbitrages politiques et sociaux ayant mené à encourager l’utilisation de l’amiante restent localisées dans des espaces sociaux éloignés de ceux des journalistes travaillant dans les médias nationaux d’information, rendant peu probable leur sensibilisation directe à ce problème. Contrairement à ce qui se passe dans le cas de l’épidémie de sida qui touche de nombreux journalistes ou proches de journalistes [29], les victimes de l’amiante sont socialement et géographiquement éloignées des rédactions parisiennes. Socialement, puisque les victimes d’expositions à l’amiante se recrutent presque exclusivement dans des catégories sociales dominées (principalement ouvrières), alors que les journalistes des médias nationaux sont principalement issus de catégories moyennes et supérieures [30] ; géographiquement ensuite, puisque les victimes sont massivement présentes autour des sites où l’amiante a été utilisé industriellement (dans les chantiers navals ou certaines industries utilisatrices, par exemple), principalement situés en province et donc éloignés de la région parisienne. Au contraire, la présence d’amiante à Jussieu permet de rendre cette question plus proche des journalistes des rédactions nationales : il est par exemple très facile d’y envoyer une équipe dans l’après-midi afin d’avoir des images pour le journal télévisé du soir [31]. Il est également socialement plus probable qu’un journaliste de la presse nationale connaisse des personnes ayant fréquenté de près ou de loin des étudiants ou enseignants de cette université, que des ouvriers ayant travaillé dans le secteur de l’amiante. Cet éloignement et cette méconnaissance de la dimension professionnelle du risque amiante, s’ils sont par définition peu analysés par les journalistes eux-mêmes, font toutefois l’objet d’un éditorial de Libération qui s’inscrit dans une tonalité assez différente des autres discours journalistiques ancrés dans une définition en termes de « découverte d’un scandale ».

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Qu’est-ce que la maladie de l’amiante à l’origine ? Une maladie professionnelle, contractée avant tout par ceux qui travaillent l’amiante, dans les usines ou sur les chantiers. Autrement dit, n’ayons pas peur des mots incongrus, la maladie de l’amiante est une maladie ouvrière, comme la silicose l’était en son temps. […] Les ouvriers dans l’imagerie collective étaient en voie de disparition. Modernes branchées, technologiques, les années 1980 n’avaient que faire de ce mythe encombrant et désuet : les ouvriers. A fortiori, les ouvriers malades. Dire « adieu à la classe ouvrière », c’était aussi, sans le savoir, dire adieu à ces victimes obscures parce que membres d’un groupe social ringardisé. […] Il a fallu attendre que l’amiante, isolant proliférant malgré tous les avertissements, sorte des usines et répande son mal dans les écoles, les facs ou les ministères, et que ces victimes-là se manifestent, pour que la prise de conscience ait lieu. (Editorial de Laurent Joffrin, Libération, 2 juillet 1996)

22Si cet éloignement social du groupe des journalistes nationaux au problème de l’amiante n’explique pas à lui seul sa faible couverture médiatique, il constitue toutefois un des facteurs pouvant expliquer qu’en l’absence d’autres relais, ces acteurs n’aient pas été amenés à le prendre en considération. La presse quotidienne régionale [32] qui aurait pu jouer ce rôle de relais reste quant à elle cantonnée à un traitement assez en phase avec les discours officiels (des services de communication des entreprises concernées ou des représentants politiques locaux) en ne prenant pas la mesure d’un problème qui reste formulé de façon assez diffuse par les groupes concernés. Au-delà de ce confinement social du problème, certains mécanismes propres au fonctionnement du champ de production de l’information transforment l’amiante en thème peu intéressant, voire marginal au sein du flux d’actualité reçu quotidiennement. Il convient alors de s’interroger sur les circuits qu’empruntent les informations pour devenir importantes, voire prioritaires, ou plus simplement pour passer les différents stades de sélection qui rendent certaines d’entre elles dignes de figurer dans les articles d’un quotidien ou les reportages d’un journal télévisé.

UNE INFORMATION POUR SPÉCIALISTES

23Une seconde caractéristique du problème des expositions à l’amiante est que les différents acteurs sociaux porteurs de discours à son sujet le définissent tous, bien que pour des raisons différentes, dans des termes peu susceptibles de bénéficier d’une large diffusion sociale. Les victimes d’exposition professionnelle parlent de leur souffrance dans des discours qui font toujours référence à leur expérience directe, personnelle ou collective. Ils sont ainsi peu audibles pour des acteurs qui cherchent à avoir une vue d’ensemble ou une quantification du problème. Les médecins ou les scientifiques l’abordent en des termes médicaux et dans le cadre de discours scientifiques qui rendent nécessaire un important travail d’apprentissage à qui veut les comprendre. Enfin, les acteurs engagés dans les négociations sur l’établissement de la réglementation encadrant l’utilisation de l’amiante usent eux aussi d’un langage extrêmement technique qui demande également un fort investissement pour en saisir les enjeux [33].

24Au sein des médias d’information, seuls des journalistes spécialisés ont des chances de pouvoir rendre compte de ces discours techniques. A contrario, un journaliste généraliste a peu de chance de susciter l’enthousiasme de sa rédaction ou de son public s’il évoque des négociations autour de l’abaissement de valeurs maximales d’exposition en milieu professionnel de 2 à 1 ou 0,5 fibres par centimètre cube. Or, pour des raisons d’habitude, un journaliste spécialisé qui connaît depuis très longtemps les problématiques liées à l’amiante a tendance à ne pas voir l’intérêt d’informations qui ne rompent pas avec le cours habituel des colloques ou réunions officielles de négociations [34]. Ainsi, sans être complètement absent des discours médiatiques avant 1994, l’amiante est surtout suivi de façon routinière par quelques journalistes spécialisés sur les questions médicales ou de santé. C’est donc dans la logique d’un journalisme spécialisé que s’élabore la couverture des quelques événements supposés susciter un intérêt. Les journalistes médicaux peuvent ainsi rendre compte des avancées dans la connaissance scientifique des pathologies induites par l’amiante à l’occasion d’un colloque [35] :

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La longue gestation des cancers de l’amiante Les fibres métalliques, très utilisées, ont longtemps été manipulées et inhalées inconsidérément. Elles sont à l’origine de tumeurs de la plèvre qui doivent être détectées au plus tôt.
Longtemps considérée comme une tumeur rare, le mésothéliome, un cancer primitif de la plèvre, est en nette augmentation depuis plusieurs années.
[…] Le cancer primitif de la plèvre (la double membrane qui entoure le poumon) touche de 400 à 600 personnes chaque année en France. Ce cancer redoutable pose encore de difficiles problèmes de diagnostic et de traitement, comme l’a souligné mardi à l’Académie de médecine le professeur Christian Boutin, chef du service pneumologie à l’hôpital de la Conception à Marseille [36]. (Le Figaro, 30 janvier 1992)

26Le constat clinique de l’augmentation des cancers était aussi le ton d’un article du Monde paru dix ans plus tôt. Il révèle lui aussi la définition médicale du problème qui prévaut durant la période :

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Controverse mondiale sur les dangers de l’amiante [Fin du chapeau] Matériau utilisé de manière intensive à l’échelle planétaire depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’amiante est une substance potentiellement dangereuse, pouvant favoriser l’apparition de cancers du poumon et de la plèvre, ainsi qu’une affection pulmonaire spécifique :
l’asbestose. […] (Le Monde, 16 juin 1982)
Les inquiétudes actuelles liées à l’utilisation de l’amiante témoignent aussi de l’évolution collective dans la perception et l’acceptation des pathologies professionnelles dans les pays industrialisés. Elles posent de manière magistrale la délicate question du risque « socialement acceptable ».
[Extrait de l’article] Compte tenu de la latence clinique déjà observée, tous les spécialistes s’accordent pour dire que des manifestations pathologiques surviendront encore de manière constante jusqu’à la fin du siècle.

28Jusqu’en 1994, la question des conséquences sanitaires d’expositions à l’amiante est incluse dans des catégories d’information relevant de journalistes spécialisés dans le domaine de la médecine ou dans celui du social [37]. Dans cette perspective, aucun événement ne vient justifier un suivi différent de celui opéré à travers les comptes rendus de colloques scientifiques ou de réunions officielles. La faible couverture de ce thème est donc avant tout le résultat d’une activité quotidienne de sélection des informations pertinentes.

DÉPENDANCE DES JOURNALISTES ET RAPPORTS AUX SOURCES

29Contrairement à un imaginaire largement répandu, un journaliste effectue surtout un travail de réception et de tri d’informations provenant soit d’autres médias d’information ou d’agences de presse, soit de sources d’information de plus en plus professionnalisées qui lui envoient régulièrement « dossiers de presse » ou « communiqués [38] ». Loin de se trouver dans une situation de surplomb vis-à-vis des secteurs qu’il couvre, le journaliste apparaît le plus souvent autant pris dans ses sources qu’ayant prise sur elles [39]. Cette question des sources d’informations et des relations qui s’établissent avec les journalistes est donc essentielle pour comprendre les processus d’élaboration des discours médiatiques d’information [40]. Dans une optique sociologique, il est plus heuristique de considérer les journalistes comme des acteurs parmi d’autres dans un processus engageant promoteurs, assembleurs et consommateurs d’informations, plutôt que de les placer au centre de l’analyse [41]. Le traitement de l’amiante nous permet ainsi de confirmer et de discuter l’affirmation de Philip Schlesinger selon laquelle « la découverte essentielle d’une grande partie de la sociologie du journalisme » est « que la pratique journalistique favorise généralement les intérêts des sources faisant autorité, notamment celles qui se situent à l’intérieur de l’appareil gouvernemental et étatique [42] ». Cet acquis essentiel de la sociologie du journalisme tend souvent à être sous-estimé dans ses effets, alors qu’il permet de comprendre de nombreux mécanismes de construction des discours d’information médiatiques. Il ne doit toutefois pas conduire à perdre de vue que l’autorité et la légitimité des sources d’information peuvent aussi évoluer dans le temps, en particulier avec l’existence de mécanismes de légitimation internes au champ journalistique.

Journalisme de routine et rapports aux sources

30Avant d’être unanimement défini comme un scandale de santé publique et de connaître une forte publicisation à partir de 1995, l’amiante a donc été un sujet d’information méconnu ou jugé peu susceptible d’attirer l’attention du public. Comprendre comment cette nouvelle vision s’impose nécessite d’examiner auprès de quels types de discours les journalistes élaborent leur propre définition du problème et d’observer si une modification des principales sources d’information peut s’analyser comme un élément important du processus de redéfinition.

31Parmi les sources des journalistes antérieures à 1995, une place particulière doit être réservée aux membres du Comité permanent amiante. En effet, même s’il apparaît comme le principal accusé à partir de 1995, cet organisme a été, par sa composition, une source essentielle sinon unique d’information pendant des années. Regroupant des représentants de l’ensemble des administrations concernées, le comité a été perçu par les journalistes comme une source légitime et crédible sur les questions liées à l’amiante, voire comme le groupe qui pouvait prendre et développer une position « officielle ». Cela est vrai jusqu’en 1994, alors que plusieurs autres acteurs (principalement associatifs) commencent à avoir une certaine existence publique. Durant cette année, le CPA reste un point de repère essentiel pour les journalistes : non seulement l’avis d’un de ses membres est sollicité dès qu’un discours trop critique passe à l’antenne [43], mais surtout il reste le seul organisme auquel est renvoyé le lecteur pour obtenir d’éventuels renseignements complémentaires [44]. Davantage qu’un exercice de lobbying réussi de la part des industriels du secteur, cette situation révèle une situation de dépendance des journalistes vis-à-vis de certaines sources d’information.

32Un article du Monde paru le 7 décembre 1994 (alors que déjà plusieurs journaux comme Le Parisien ou France-Soir s’orientent dans une problématisation de l’amiante en termes de scandale) est révélateur de cette dépendance. Comme l’indique son chapeau [45], cet article se place nettement dans la ligne des arguments développés par le CPA. Tout d’abord, il reprend les chiffres communiqués par les membres de cet organisme alors que d’autres chiffres, de l’ordre de 2 000 à 3 000 morts annuels, commencent à circuler à partir des associations mobilisées : « L’amiante aurait tué en France quelque huit cents personnes, toutes maladies confondues. » Ensuite, tous les interviewés – dans l’ordre, « le professeur Patrick Brochard », « un membre éminent du comité, le professeur Jean Bignon », « le docteur Marie-Claude Ravault, représentant les salariés au comité permanent [46] » et « M. Laforest » – sont membres du CPA. La seule personne extérieure au CPA citée dans cet article est Henri Pézerat, l’un des opposants à l’utilisation de l’amiante le plus actif, mais son rôle est plus celui d’un repoussoir, permettant d’asseoir le crédit du CPA. Son titre de directeur de recherche a été omis et son intervention est discréditée dans la phrase qui suit lorsqu’elle est mise en perspective avec celle des « experts » : « Que faire lorsque […] les locaux ont été floqués aux amphiboles ? “Fermer les bâtiments tout de suite”, affirme un toxicologue du CNRS (travaillant à Jussieu), Henri Pézerat. Les experts du comité permanent ne préconisent pas cette solution radicale. »

33La tonalité de cet article est symptomatique de la période antérieure à 1994. Elle ne doit toutefois pas amener à conclure que le CPA aurait réussi à conquérir le monopole de la définition du problème par sa seule capacité de pression en tant que lobby ou parce qu’il aurait réussi à court-circuiter toutes les voix divergentes. Ce qui se déroule est à la fois plus simple et redoutablement plus efficace. L’omniprésence du CPA dans les discours médiatiques d’information jusqu’en 1994 n’est en fait qu’un indicateur de la place centrale accordée par les journalistes aux sources d’information proches des lieux de pouvoir, au moins dans des circonstances routinières [47]. La principale réussite des organisateurs du CPA est alors simplement d’avoir réussi à rassembler la majeure partie des acteurs pertinents sur la question de l’amiante, canalisant ainsi les différentes oppositions à l’utilisation de l’amiante en son sein et limitant les conflits potentiels à des luttes internes, donc peu publicisées.

34Pour un journaliste spécialisé dans le domaine des sciences et de la santé, il est beaucoup plus facile et « dans l’ordre des choses » de s’accorder aux thèses défendues par les personnels politiques et administratifs, les industriels de l’amiante, certains syndicalistes et de nombreux scientifiques que de tenter de s’y opposer. Dans le premier cas, il rend compte d’une réalité qui lui paraît relever de l’évidence, tant elle est partagée par l’ensemble de ses interlocuteurs habituels et pour une part par lui-même. Il produit des articles qui trouvent naturellement leur place dans le flux d’informations quotidiennes sans soulever d’opposition au sein de sa rédaction, parmi ses sources habituelles ni auprès de ses lecteurs. Au pire, des voix s’élèveront, mais elles garderont un statut marginal dans le débat et pourront être facilement cantonnées. Au contraire, s’opposer à ces discours dominants ne peut se faire qu’à un prix extrêmement élevé pour le journaliste. Il lui faut être en contact avec des sources alternatives capable de lui fournir une approche différente du problème et des éléments susceptibles de lui donner une certaine crédibilité. Surtout, il doit prendre le risque de s’opposer non seulement à une rédaction inquiète des conséquences d’un changement de ligne éditoriale, mais aussi à l’ensemble de ses interlocuteurs habituels, ce qui lui rendra beaucoup plus difficile l’exercice de son métier, défini comme consistant à couvrir de façon régulière un secteur spécifique d’activités. On comprend mieux ainsi comment se maintient un cadre de définition du problème imposé par des sources dont certaines catégories de journalistes ne peuvent s’extraire, cadre que ces derniers s’approprient et dont ils contribuent de fait à faciliter la diffusion.

Objectivité journalistique et sources concurrentes d’information

35Cette situation de dépendance des journalistes est paradoxalement renforcée par la vision qu’ils ont de leur métier et par les définitions de l’excellence professionnelle en vigueur dans leur champ d’activité, en particulier celles liées aux exigences d’« objectivité ». Cette notion ne renvoie pas tant ici au sens littéral du terme qui pourrait être défini comme la « qualité de ce qui donne une représentation fidèle d’un objet [48] », mais plutôt à une modalité d’exercice du métier de journaliste. Elle doit être analysée comme un ensemble de pratiques qui vont de la mise en œuvre de règles d’écriture ou de mise en image, aux modalités de recherche de l’information en fonction du crédit accordé aux sources [49]. Gaye Tuchman voit dans ces pratiques des rituels de protection des journalistes vis-à-vis de critiques extérieures [50]. Ces rituels s’appuient évidemment sur un ensemble de croyances liées à la définition du métier et à l’impératif d’objectivité qui lui est lié : le journaliste doit apparaître à ses yeux et à ceux de ses pairs comme « objectif » et « non engagé », étant entendu que non engagé signifie ici non engagé aux côtés des voix entrant en dissonance avec les discours dominants [51].

36Pourtant, durant la période 1980-1994, et particulièrement en 1994, au moment où plusieurs associations se mobilisent sur cette question, on peut difficilement dire que le CPA ou les membres qu’il regroupe soient les seuls acteurs revendiquant un droit à intervenir sur ce thème. Cependant les critères implicites de sélection des sources pertinentes mis en œuvre par les journalistes semblent les avoir de fait exclus des discours médiatiques. On trouve une trace de leur existence dans un article paru dans Que Choisir en novembre 1994. Titré : « Enquête amiante. La France en état d’urgence », il se situe clairement en rupture avec le reste de la presse nationale en décrivant le CPA comme un « lobby pro-amiante ». De même, plusieurs articles du Parisien ou de France-Soir citent dès 1994 Henri Pézerat ou des représentants du Comité anti-amiante Jussieu comme sources légitimes d’information [52]. Ainsi, des sources alternatives existent bel et bien, qu’elles soient des individus, des associations mobilisées ou des organisations syndicales (comme celles citées dans l’article de Que Choisir), mais elles n’ont pas aux yeux d’une majorité de journalistes un crédit suffisant pour entrer dans le flux d’informations à diffuser. Elles restent cantonnées à quelques médias d’information comme Le Parisien ou France-Soir, ou apparaissent dans certains journaux télévisés où leurs opinions sont toujours mises en perspective avec celles de membres du CPA. L’entretien suivant avec le rédacteur en chef de Sciences et Avenir décrit bien la situation du journaliste vis-à-vis de sources qui ne lui apparaissent pas avoir une crédibilité suffisante pour constituer un point d’appui suffisant pour un article.

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Pézerat, par définition, Pézerat est quelqu’un, était quelqu’un de grillé, donc ça n’était pas une référence et à la limite, ça n’était même pas une source d’information puisqu’elle pouvait être suspecte de militantisme [53].

LE PARCOURS TORTUEUX D’UNE REDÉFINITION DE LA QUESTION DE L’AMIANTE

38Le moment où se redéfinit publiquement le problème de l’épidémie de maladies liées à l’amiante comme une affaire ou un scandale est particulièrement intéressant à analyser, puisqu’il constitue un moment où les définitions antérieurement valides et les relations habituelles entre les journalistes et leurs sources sont remises en cause. Il permet d’observer comment se structurent les rapports de forces entre différents acteurs, ainsi qu’entre définitions concurrentes du problème. L’évolution de la définition publique de la question de l’amiante est un mouvement assez progressif dans le champ de production de l’information. Elle s’opère avec pour point de départ des médias d’information qui n’occupent pas une position centrale dans l’espace médiatique et des journalistes occupant des positions relativement périphériques dans leur entreprise. Nous analyserons successivement ces deux voies d’accès à l’espace public.

Le passage par des médias relativement périphériques

39Les médias d’information qui investissent le plus rapidement une définition de l’amiante en termes de scandale sont situés vers le pôle « populaire » de l’espace médiatique, à l’opposé de journaux occupant une position les rendant plus attentifs aux jugements de leurs pairs [54]. Comme nous l’avons indiqué, c’est dans les rédactions du Parisien, de France-Soir et dans celles des journaux télévisés qu’apparaissent les premières redéfinitions du problème. Ce parcours des médias plus « populaires » vers l’ensemble de l’espace médiatique est visible à deux reprises au début du processus de publicisation de l’amiante. La première fois correspond à la couverture de la plainte déposée par les veuves d’enseignants du lycée professionnel de Gérardmer. Dans un premier temps, son dépôt en juin 1994 est couvert comme un fait divers par TF1, France 2 et France-Soir[55]. Ce n’est qu’avec l’ouverture d’une information judiciaire en août 1994 que l’ensemble des médias d’information traite ce sujet. Si France-Soir et Le Parisien restent dans le registre du fait divers en titrant respectivement le 23 août 1994 : « Le plafond qui tue : ET DE SIX ! » et « Les mystérieux décès du lycée de Gérardmer », d’autres journaux opèrent une généralisation aux dangers de l’amiante entendus dans un sens plus large ; cette affaire « relance le débat sur l’amiante » pour La Croix (25 août 1994), elle « relance la polémique sur les dangers de l’amiante » pour Le Monde[56] (24 août 1994). Dans les mois qui suivent, le parcours d’une problématisation plus généralisante sur les dangers de l’amiante suit une route assez similaire. Il débute avec la reprise des mobilisations sur le campus de Jussieu. Dans un premier temps, dans la presse écrite, seuls France-Soir et Le Parisien relaient l’information.

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Alerte à l’amiante à Jussieu Le tout nouveau comité anti-amiante de Jussieu (Ve ) tire le signal d’alarme.
France-Soir, 8 novembre 1994 Utilisée dans les cloisons et les plafonds L’AMIANTE TUERAIT 3 000 FRANÇAIS PAR AN Des profs de Paris-VII partent en guerre contre la pollution de leurs locaux par « L’or blanc ». (Le Parisien, 5-6 novembre 1994)

41Ce thème d’information fait aussi l’objet d’une certaine attention de la part de la rédaction des journaux télévisés de TF1 qui y consacre deux reportages les 21 septembre (à 20 heures) et 8 novembre 1994 (à 13 heures). Cette première problématisation en termes d’alarme, d’alerte, voire de scandale reste toutefois localisée au Comité anti-amiante Jussieu et à des médias qui tendent à être perçus comme prompts à formaliser les problèmes sous cette forme. L’amiante reste majoritairement appréhendé comme un scandale de France-Soir ou du Parisien, voire comme la lubie de quelques agités. Si scandale il y a, il est à l’époque loin d’apparaître comme une évidence à tous les journalistes. Il faut en effet plusieurs mois pour qu’en mai 1995, l’amiante acquière le statut de nouvelle affaire de santé publique dans l’ensemble des médias d’information. Il faut alors nous arrêter sur un autre type de travail journalistique assez atypique par rapport à la norme du travail quotidien des journalistes nationaux.

Un journalisme atypique

42Une enquête publiée par Sciences et Avenir joue en effet un rôle important pour modifier les problématisations de cette question. Bien que n’appartenant au pôle « populaire » comme France-Soir et Le Parisien précédemment analysés, ce mensuel scientifique grand public se situe en marge de ce qui constitue l’essentiel des flux quotidiens d’information. Plusieurs de ses caractéristiques le situent dans une position qui facilite sa couverture originale de la question de l’amiante. Tout d’abord, lorsqu’ils lancent leur nouvelle formule en 1994, les responsables de Sciences et Avenir veulent le démarquer de son essentiel principal dans ce créneau, Sciences et Vie, plus ancien et bénéficiant d’une plus grande notoriété. L’arrivée de nouveaux journalistes et d’un rédacteur en chef issus de la presse consumériste oriente cette stratégie vers la recherche d’« affaires » rapprochant le journalisme scientifique du journalisme général [57]. L’un des objectifs est de susciter des reprises de certains des dossiers du mensuel dans d’autres médias d’information, dans le but de constituer et d’installer une nouvelle image du mensuel [58].

43

C’est vrai que Sciences et Avenir, on était un peu limite. Bon, bien sûr, c’est de la science dans la mesure où on le raccroche à un cancer, à une maladie, à des choses comme ça. Ça aurait pu être dans n’importe quel news, et d’ailleurs, c’est l’option en tous les cas de Sciences et Avenir nouvelle formule depuis que j’y suis, d’avoir dans chaque numéro un élément qui relève du news [59].

44Les journalistes qui se lancent dans l’enquête sur l’amiante sont assez atypiques au sein du groupe des journalistes. Ils vivent leur profession sur le mode de l’engagement pour une cause et conçoivent leurs articles ou leurs dossiers explicitement comme des actes militants [60]. Ils ont les moyens de dégager beaucoup de temps pour leurs enquêtes qui peuvent ainsi sortir des définitions antérieurement existantes du problème : l’enquête sur l’amiante peut ainsi mobiliser au moins deux journalistes sur une année [61]. Leur définition de l’objectivité journalistique se situe d’ailleurs en nette opposition avec celle qui domine dans le reste de la profession.

45

Ce qu’on me reproche parfois, c’est de faire des documents de procureur, […] c’est-à-dire je ne donne pas la parole à l’autre. Moi, je pense que c’est mortel comme système, c’est-à-dire que je trouve que c’est ce qui tue la presse. […] Ce n’est pas parce que vous allez interroger M. Blanc, qu’il faut se précipiter pour aller poser la question à M. Noir. Bon, et puis, vous allez faire un article à la con où vous allez mettre sur le même niveau le mec qui pense blanc et [celui] qui pense noir. Bon, pourquoi ? Votre boulot de journaliste, c’est d’enquêter sur des faits. Il y a un stylo rouge sur la table.
Mais pourquoi j’irais demander à un ministre ou à Tartampion de me dire si le stylo est bien rouge ? Je n’en ai rien à foutre, j’ai la photo, il est sur la table, et il est bien rouge. Bon, eh bien, je l’affirme, je n’ai pas à lui demander son avis, c’est clair. Donc, je me fais ma propre philosophie, ma propre conviction sur un article, enfin sur un dossier, et je pousse ma logique jusqu’au bout de ce dossier [62].

46Le dossier de 18 pages publié par Sciences et Avenir dans son numéro de juin 1995 rompt nettement avec les discours journalistiques antérieurs. L’amiante y est présenté comme une « épidémie qui nous concerne tous » et dénoncé comme « une affaire aussi grave que celle du sang contaminé [63] ». Ce dossier retient d’autant plus l’attention qu’il est suivi d’un reportage produit par les mêmes journalistes et diffusé par « Envoyé spécial » sur France 2, le 28 septembre 1995. Il constitue l’unique document facilement accessible aux journalistes qui synthétise une définition du problème en scandale et qu’ils peuvent facilement s’approprier. La diffusion de cette problématisation à l’ensemble de l’espace médiatique n’est toutefois véritablement assurée qu’à partir de la parution, le même jour que celle du mensuel, d’une pleine page du Monde élaborée en lien avec les associations mobilisées contre l’amiante [64].

Des journalistes néophytes sur la question

47Cette pleine page du Monde nous amène à analyser la seconde modalité d’irruption dans l’espace médiatique de discours auparavant marginalisés qui passe, cette fois par des journalistes qui occupent une position relativement périphérique dans leurs entreprises. En effet, au sein des médias d’information, la nouvelle problématisation est imposée non par des journalistes qui traitaient auparavant des questions de santé au travail mais par de nouveaux acteurs qui posent sur cette question un regard différent. Les premiers journalistes à se saisir de la question de l’amiante en l’abordant sous un angle renouvelé sont principalement spécialisés sur les questions d’environnement. C’est le cas en particulier à France-Soir et au Parisien, mais ce sera aussi vrai au Monde pour les premiers articles requalifiant le problème en scandale en mai 1995 [65]. La raison principale de cette différence d’approche tient à l’absence de relations antérieures avec les sources « autorisées », et, par conséquent, une plus grande liberté de ton vis-à-vis d’acteurs dont ils sont nettement moins dépendants. Leur moins grande proximité aux questions de santé au travail les amène aussi à porter un regard différent sur des questions qui peuvent à la longue relever de l’évidence pour un journaliste spécialisé, comme la connaissance de la nocivité de l’amiante pour le personnel exposé. A l’inverse, pour un journaliste spécialisé sur les questions d’environnement, la seule existence d’un risque constitue en soi un objet susceptible d’investigation. Enfin, ce sont des journalistes qui ont l’habitude de traiter avec des interlocuteurs dont la légitimité n’est pas toujours assurée et qui interviennent en opposition avec un discours plus officiel.

48

Moi, je fais confiance parce que de plus en plus, maintenant dans ces associations, et tant mieux pour elles, elles ont parmi... ou à leur tête, ou parmi leur staff des scientifiques, enfin des gens qui sont de la partie... […] Je fais confiance parce que je n’ai jamais vu jusqu’à présent, réellement d’informations données comme ça par des associations (pas n’importe lesquelles) remises en question [66].

49Les discours de ces associations mobilisées [67], qui tranchent radicalement avec ceux des experts du CPA, obligent dans un premier temps à faire intervenir les deux types d’interlocuteurs, amenant les journalistes à insister sur la présence d’approches et de définitions concurrentes des dangers liés à l’amiante. La coexistence de deux visions antagonistes du problème est possible parce qu’elle n’invalide pas un des éléments essentiels autour duquel se structurent les discours journalistiques, à savoir l’établissement du caractère dangereux et cancérogène de l’amiante.

50

Il faut faire parler les deux, quoi, il y en a un qui temporise un peu plus et puis l’autre qui dit attention, au secours, mais bon... il n’empêche que tout le monde reconnaissait qu’il y avait quand même un problème. Ça, c’était le point numéro un [68].

51L’objectivité, analysée ici en tant que pratique mise en œuvre par les journalistes, peut aussi servir à justifier et rendre acceptables des prises de parti plus ou moins explicites de ces acteurs. C’est ce que révèle l’entretien suivant qui montre clairement la stratégie du journaliste du Monde à l’origine d’un article publié le 31 mai 1995 qui marque le premier engagement de ce journal dans une définition du problème en scandale. Par le biais des citations et des interviews, il peut faire admettre la nouvelle position du journal vis-à-vis de la question de l’amiante en montrant qu’il ne fait que rendre compte « objectivement d’une réalité extérieure ».

52

Moi, je n’ai pas fait une tribune libre, hein, je n’ai pas fait un article en prenant position personnellement, j’ai donné la parole à des travaux dont il fallait qu’on... à des gens qui faisaient des travaux et il fallait qu’on en rende compte, en tant que journal qui veut faire son métier [69].

53Cette notion d’objectivité est donc perçue dans son ambivalence par certains journalistes eux-mêmes. Elle reste pourtant partie intégrante de la définition du professionnalisme et des savoir-faire mis en œuvre, et ce d’autant plus fermement que la recherche et la mise en forme des informations est vécue subjectivement comme un compte rendu de faits extérieurs. Que celui-ci soit teinté d’un plus ou moins fort engagement du journaliste ne modifie pas son statut de transmission d’une réalité extérieure résistante aux manipulations.

La constitution d’une hiérarchie interne de légitimation des sources

54L’habilitation de nouvelles sources résulte en premier lieu de la visibilité croissante acquise par les nouveaux promoteurs d’information que sont les membres des associations mobilisées pour dénoncer ce problème. Interviewés de plus en plus régulièrement dans l’actualité sur l’amiante, ils acquièrent une notoriété nouvelle fondée sur le crédit apporté par la reconnaissance de certains médias d’information, crédit obtenu d’autant plus facilement que ces associations mobilisent des experts incontournables sur ce problème, comme Henri Pézerat, l’un des porte-parole les plus visibles de cette cause. On assiste ainsi progressivement à la mise en place d’une nouvelle hiérarchie de légitimation des sources d’information interne au groupe des journalistes, en opposition avec la légitimité des membres du CPA, qui reste assise sur des critères externes, comme sa composition ou sa proximité aux lieux de décision et de pouvoir. La légitimité des nouveaux intervenants est pourtant dans un premier temps entièrement à construire, puisqu’elle ne tient qu’à leur présence régulière dans les médias d’information : elle reste donc très dépendante de la couverture médiatique du problème. Elle implique pour les journalistes un travail de réhabilitation d’acteurs jusqu’alors relativement discrédités comme Henri Pézerat [70] et des différentes associations mobilisées. Un nouveau réseau de sources d’information en adéquation avec la définition médiatique est donc produit par la couverture de plus en plus régulière du problème. Il fournit progressivement l’essentiel de la caution extérieure nécessaire à la nouvelle problématisation. Cette légitimité « médiatique » doit aussi évidemment à des transferts de légitimité issue de l’accumulation de ressources dans d’autres espaces sociaux. Le rappel régulier de la mobilisation des années 1970 auréole par exemple le Comité anti-amiante Jussieu d’un investissement « historique » sur le problème ; Henri Pézerat doit une part de sa légitimité à intervenir à son titre de directeur de recherche au CNRS, rappelé à chaque intervention, qui le place en situation d’occuper un rôle d’expert. La constitution de l’Association de défense des victimes de l’amiante (Andeva) contribue aussi à faciliter le travail des journalistes, puisque cette association produit des discours qui peuvent facilement être repris dans les discours d’information, mais sert aussi de plate-forme aux journalistes pour contacter les acteurs devenus pertinents dans le cadre de la nouvelle définition publique du problème.

55

C’était assez facile de travailler parce qu’il y avait l’Andeva, par exemple, qui fédérait un peu toutes les plaintes, donc qui était souvent en mesure de donner effectivement assez rapidement des contacts de victimes, de plaignants, des avocats, comme ça, c’était assez facile de travailler [71].

56En effet, avec le changement des principales sources, s’impose une définition de l’amiante en termes d’affaire ou de scandale ; et ce d’autant plus facilement qu’elle correspond à une période où l’Andeva décide de déposer une plainte en justice et que se multiplient des démarches de victimes devant les juridictions civiles. L’existence de procédures devant des juridictions pénales et civiles contribue à donner au problème de l’amiante une dimension incontournable comme problème qui mérite attention et auquel l’existence de procédures judiciaires en cours donne une dimension plus évidente de scandale. Cette redéfinition de la question de l’amiante en termes d’affaire est un des éléments qui permet aux journalistes de s’en saisir et d’y voir autre chose qu’un problème relevant du traitement routinier de journalistes spécialisés. C’est en effet à partir du moment elle peut être appréhendée dans des termes moraux – avec des bons et des méchants – prenant appui sur les qualifications judiciaires, que les journalistes peuvent s’en saisir en première personne et produire des discours faisant appel à leur propre définition des faits [72]. Une moindre dépendance vis-à-vis des sources habituelles d’information devient alors possible et ils peuvent mettre en œuvre une plus grande latitude dans les récits qu’ils produisent.

L’accumulation de discours convergents : constitution de dossiers de presse sur l’amiante

57Si les sources extérieures au groupe des journalistes sont essentielles dans la redéfinition de la question de l’amiante, elles ne sont pas la seule modification dans la façon dont les journalistes abordent le problème. Au fur et à mesure du suivi médiatique de ce dossier – qu’il est impossible de retracer ici dans le détail –, s’accumulent en effet des discours concordants sur la façon de le définir et de le problématiser. Ils constituent progressivement un dossier de presse qui devient rapidement une référence pour les journalistes connaissant peu le sujet mais ayant à le couvrir. La stratégie de Sciences et Avenir d’envoyer largement des exemplaires de son journal et de faire relayer leurs principaux articles par des agences de presse, contribue à les imposer comme source d’information légitime sur l’amiante, d’autant plus facilement que la liste ne diffuse, dans un premier temps, que la seule synthèse accessible aux journalistes.

58

Sciences et Avenir envoie aux journalistes, dont le gars de l’AFP, et donc le gars de l’AFP va dire dans le numéro à venir de Sciences et Avenir, voilà...
[…] Quand le document est envoyé au journaliste, c’est un document comme un autre, il se trouve que ce sont des confrères, mais c’est un document comme un autre [73].

59Dans les services de documentation des médias d’information, les dossiers amiante prennent donc rapidement de l’épaisseur. Constitués à partir des coupures de presse de plus en plus nombreuses parues sur le sujet, ils contribuent à rendre évidente aux journalistes la définition qui s’est imposée, jusqu’à la rendre incontournable. Le durcissement de la problématisation est encore renforcé au cours de l’année 1996, par la parution des deux ouvrages déjà mentionnés qui formulent le problème dans des termes proches de sa définition la plus publique [74].

60

Et puis il y avait eu un bouquin qui était sorti à l’époque, de Roger Lenglet, qui avait fait un truc sur l’amiante mais qui était sans... un petit peu… une sorte de compilation un petit peu de tout ce qui avait été [75]...
Quand est-ce qu’il est sorti le bouquin de Malye. Je pense que c’était assez rapidement, assez rapidement, j’ai lu ce bouquin parce que... et donc voilà, quoi, et partir de là, il y avait tout dedans, c’était une synthèse... bon, peut-être qu’on peut discuter les détails et tout ça, mais enfin grosso modo pour quelqu’un qui connaît pas l’histoire, quand il a lu ça, c’est un bouquin quand même vachement bien [76].

61Les livres des deux journalistes, François Malye et Roger Lenglet, ont ainsi un double rôle. Ils nourrissent tout d’abord la problématisation qui s’impose progressivement, en apportant des éléments nouveaux allant dans le même sens, et en accentuant et clarifiant les discours d’imputation de responsabilité. Leur parution permet aussi aux journalistes de prendre appui sur ces livres pour justifier la justesse de leur présentation du problème en termes d’affaire ou de scandale. Le statut de ces deux journalistes dans les discours d’information devient rapidement celui de spécialistes médiatiquement reconnus du problème [77]. Leurs ouvrages sont, par exemple, cités comme référence à deux reprises dans Le Monde[78]. Les interviews des auteurs, ou les comptes rendus de leurs livres les constituent en référence pour les journalistes, en particulier pour ceux qui sont les moins familiarisés avec le problème. Ainsi, progressivement, l’espace journalistique reconstitue un monde connu dans lequel la définition du problème est stabilisée et où les interlocuteurs pertinents sont clairement repérés.

62Face à certains discours qui présentent la presse comme diffusant globalement une « pensée unique », l’analyse du cas de l’amiante amène à une conclusion assez paradoxale. On a ainsi pu montrer que l’espace médiatique n’étant pas totalement « verrouillé », puisque depuis certains secteurs périphériques (qu’ils soient constitués par certains médias d’information ou certaines catégories de journalistes), des problématisations marginales pouvaient s’imposer à l’ensemble des médias d’information. Toutefois, ces parcours relativement atypiques ne doivent pas masquer le poids des logiques mises par ailleurs en évidence et qui fonctionnent non seulement lorsque l’amiante est l’objet d’un désintérêt, mais aussi lorsque ce problème est constitué en scandale. Les logiques professionnelles en vigueur chez les journalistes (qu’elles tiennent à leur insertion dans une entreprise, à la définition de leur métier et de l’« objectivité » avec laquelle ils doivent traiter l’information, aux visions du public qu’ils se constituent, etc.) et les rapports réguliers avec certaines sources d’information ont joué un rôle important dans la constitution de l’amiante en non-problème aux yeux de nombre d’entre eux. Mais une fois l’amiante redéfini en scandale de santé publique de premier plan, on n’assiste pas pour autant à une libération des discours alternatifs qui obtiendraient tout à coup droit de cité. Au contraire, on constate que les mécanismes observés se remettent très rapidement en place : autour d’une nouvelle problématisation, avec de nouvelles sources d’information, l’espace médiatique reprend très vite prise sur la définition du problème en excluant avec force toutes les interprétations divergentes, comme celles qui octroient une place plus importante aux dimensions professionnelles de cette question. Ainsi sa couverture unanime de l’amiante se fait au prix d’une redéfinition qui rend périphériques certaines de ses dimensions centrales et privilégie au contraire les aspects environnementaux du problème alors que leurs conséquences sanitaires sont sans communes mesures.

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Mise en ligne 01/01/2007

Notes

  • [1]
    Sur les magazines traitant des questions de santé, voir MATHIEN, 1999 ; dans l’audiovisuel, voir par exemple la réussite assez récente du « Magazine de la santé » diffusé par La Cinquième. Plus généralement sur les évolutions du groupe des journalistes spécialisés en santé, voir MARCHETTI, 1997, CHAMPAGNE, MARCHETTI, 1994.
  • [2]
    Nous entendons sens commun au sens de GEERTZ, 1986.
  • [3]
    La notion de problématisation sera souvent préférée à celle plus objectivante de définition parce qu’elle insiste sur la dimension de processus du travail de définition et permet de lier les dimensions discursives et sociales de ces mécanismes. Sur cette notion, voir en particulier FOUCAULT, 1984 et CALLON, 1986.
  • [4]
    CASTERET, 1992, p. 240.
  • [5]
    C’est l’objectif d’une tradition de recherche surtout développée dans la littérature anglo-saxonne, celle de l’analyse des problèmes publics. Pour un exemple particulièrement abouti, voir GUSFIELD, 1981. D’autres peuvent être trouvés dans la revue consacrée à ces questions, Social Problems. En langue française, voir NEVEU, QUERE, 1996 et pour des discussions synthétiques, CEFAÏ, 1996 ou NEVEU, 1999.
  • [6]
    Pour une analyse plus générale du développement public de la crise de l’amiante, voir les deuxième et troisième parties de ma thèse, HENRY, 2000.
  • [7]
    Sur les stratégies judiciaires déployées par les associations en lutte contre l’amiante, voir HENRY, 2004.
  • [8]
    Même si les mobilisations associatives ne sont pas l’objet de cet article, l’attention portée à l’amiante par les médias d’information n’a été rendue possible que grâce à la reprise de mobilisations multiples de la part d’acteurs s’opposant à l’utilisation de l’amiante. L’accent mis ici sur le rôle des journalistes correspond à la volonté d’analyser certains des mécanismes propres à ce champ d’activité, et non à l’affirmation d’un rôle autonome joué par ces acteurs dans les processus de publicisation.
  • [9]
    C’est un des reproches qui peut être fait aux travaux par ailleurs très stimulants de Murray Edelman, voir EDELMAN, 1991.
  • [10]
    Les propriétés fibrosantes de l’amiante (c’est-à-dire la capacité à produire l’asbestose, maladie comparable à la silicose) ont, elles, été mises en évidence dès le début du siècle.
  • [11]
    Sur la chronologie des développements de la connaissance scientifique de la nocivité de l’amiante, nous renvoyons à INSERM, 1997.
  • [12]
    Le format de cet article ne permet pas d’expliquer les raisons sociales et sociologiques pour lesquelles les maladies professionnelles apparaissent socialement acceptées et n’accèdent que de façon exceptionnelle à l’espace public. Sur ces points, voir HENRY, 2000, p. 72 et suivantes.
  • [13]
    Sur les journalistes spécialisés, voir MARCHETTI, 2002 ; plus largement, voir NEVEU, RIEFFEL, RUELLAN, 2002.
  • [14]
    Cet article repose sur le travail empirique effectué au cours de ma thèse de doctorat, en particulier les entretiens auprès de journalistes et le recueil des discours d’information médiatique écrits et audiovisuels. Pour ce qui est de la télévision, ce travail a été rendu possible grâce aux archives de l’Ina et aux services de consultation de l’Inathèque que je tiens à remercier. Je remercie aussi Renaud Crespin pour son soutien lors de la rédaction de cet article ainsi que Jacques Lagroye, Dominique Marchetti et Erik Neveu pour leurs lectures de versions antérieures de ce texte.
  • [15]
    « I view news as a peculiar form of information, peculiar in that it is, at least in formal terms, specifically about nothing in particular. […] Both the news customer and the news producer have no specific expectation of content. […] The question “What’s new” can, in formal terms, elicit anything. », MOLOTCH, 1979, p. 74, souligné par l’auteur.
  • [16]
    Entretien journaliste, quotidien national, 15 septembre 1998.
  • [17]
    Entretien journaliste, télévision, 13 novembre 1998.
  • [18]
    LENGLET, 1996.
  • [19]
    MALYE, 1996.
  • [20]
    MALYE, 1996, p. 10-11.
  • [21]
    Entretien rédacteur en chef de Sciences et Avenir, 20 avril 1998.
  • [22]
    Voir « Le Centre international de recherche sur le cancer devra être évacué et “désamianté” », Le Monde, 16 février 1990 ou « A Nantes, les plafonds d’amiante vident la tour », Libération, 2 octobre 1992. Le bâtiment du Berlaymont à Bruxelles fait lui aussi l’objet d’une certaine attention médiatique.
  • [23]
    Le sujet est introduit ainsi par la présentatrice du journal : « Une école du Val d’Oise polluée par l’amiante. Un groupe scolaire de Pontoise a dû être fermé car la teneur en amiante de l’une de ses salles était deux fois supérieure à la norme admise. L’école qui abrite 300 élèves a été construite en 1974, avant donc la réglementation sur l’usage de l’amiante. », « Journal de 20 heures », TF1, 30 novembre 1991.
  • [24]
    Voir pour un compte rendu de leurs activités et un aperçu de leur positionnement politique, COLLECTIF INTERSYNDICAL SECURITE DES UNIVERSITES JUSSIEU CFDT CGT FEN, 1977.
  • [25]
    Voir par exemple les articles suscités par la douzième victime en quelques mois de l’usine Amisol de Clermont-Ferrand, « Amisol : depuis 74 l’amiante a fait 12 morts », Libération, 27 mai 1977 ou « La mort a encore frappé chez Amisol », L’Humanité, 28 mai 1977. Sur la forte polarisation politique de l’espace médiatique avant 1980, voir JUHEM, 1998, p. 413 et suivantes ainsi que JUHEM, 2001.
  • [26]
    « A la bonne heure », TF1, 29 novembre 1976.
  • [27]
    INSERM, 1997.
  • [28]
    Une des critiques qui peut être adressée au travail de Francis Chateauraynaud et Didier Torny, sur la crise de l’amiante (CHATEAURAYNAUD, TORNY, 1999, p. 99 et suivantes) est justement de se limiter aux aspects du problème ayant reçu une certaine publicité (comme la dimension professionnelle du risque lors de l’épisode de 1975 ou les problèmes de désamiantage au cours de la période 1980-1994) ou susceptibles d’en recevoir une (comme certaines mobilisations autour de sites amiantés recevant du public). En revanche, ils excluent de leur analyse les dimensions professionnelles du risque amiante, invalidant ainsi gravement leur démonstration qui ne prend pas en compte cette dimension non publicisée du problème pourtant essentielle pour comprendre à la fois le confinement de cette question et son émergence publique et médiatique sous forme de crise.
  • [29]
    Entre autre parce que le sida est une des très rares maladies à toucher relativement plus les catégories supérieures de l’espace social, voir HAUT COMITE DE LA SANTE PUBLIQUE, 1994, p. 193.
  • [30]
    En 1990, presque 90 % des journalistes professionnels ont un niveau d’études secondaires (20,5 %) ou supérieures (68,8 %), seul indicateur quantitatif d’origine sociale utilisable (bien qu’imparfait) dans les statistiques de la commission de la carte d’identité des journalistes professionnels, voir IFP, 1991, p. 27. L’enquête auprès d’un échantillon plus étroit effectuée dans le cadre de ce même ouvrage confirme que « les journalistes sont majoritairement issus d’un milieu social favorisé », ibid., p. 26. Autre indicateur de position sociale, le salaire mensuel médian des journalistes (salariés et pigistes) s’établit à 21 300 francs en 1999 dans la presse quotidienne nationale et à 22 300 francs dans les télévisions nationales, voir DEVILLARD, LAFOSSE, LETEINTURIER, RIEFFEL, 2001, p. 73.
  • [31]
    Sur le rôle des journalistes reporters d’image dans la construction des journaux télévisés, voir BALBASTRE, 1995, SIRACUSA, 2001
  • [32]
    Au moins pour les quotidiens régionaux des régions de Clermont-Ferrand et de Condé-sur-Noireau sur lesquels une étude a été menée, HENRY, 2000, p. 409 et suivantes.
  • [33]
    Sur l’utilisation du registre technique pour maintenir un problème dans un certain confinement social, voir COBB, ROSS, 1997.
  • [34]
    Voir LEMIEUX, 1997, p. 548 et suivantes, voir aussi LEMIEUX, 2000.
  • [35]
    Sur les définitions de ce qu’est une information pertinente pour les journalistes médicaux et leurs évolutions récentes, voir MARCHETTI, 1997.
  • [36]
    Dans la même tonalité que cette article, voir « Les ouvriers travaillant l’amiante doivent être surveillés », France-Soir, 10 novembre 1982.
  • [37]
    Sur l’évolution du groupe des journalistes sociaux et des rubriques sociales dans les quotidiens nationaux, voir LEVEQUE, 2000.
  • [38]
    Voir DE LA HAYE, 1985 ; MIEGE, 1989 ; ALBERT, 1991
  • [39]
    Critiquant l’utilisation du terme « source », Erik Neveu note que « si une métaphore aquatique peut avoir du sens, elle est celle de journalistes submergés d’un déluge d’informations par leurs sources », NEVEU, 2001, p. 55.
  • [40]
    Les travaux anglo-saxons de sociologie des journalistes sont nombreux à souligner l’importance des sources dans le travail journalistique, voir GANS, 1979 ; TUNSTALL, 1971. Une synthèse de cette question est effectuée dans SCHLESINGER, 1992.
  • [41]
    Voir MOLOTCH, LESTER, 1996.
  • [42]
    SCHLESINGER, 1992, p. 84, souligné par l’auteur. Sur ce point, voir aussi SCHUDSON, 1995.
  • [43]
    Sur les deux seuls sujets télévisés diffusés en 1994 faisant intervenir des « experts », des membres du CPA sont toujours sollicités pour contrebalancer les opinions émises au nom du Comité anti-amiante Jussieu, voir les reportages diffusés par TF1 à 20 heures, le 21 septembre 1994 et à 13 heures, le 8 novembre 1994.
  • [44]
    C’est le cas dans un article de France-Soir du 8 novembre 1994 qui donne dans son chapeau le téléphone du CPA, ou dans un article du Monde du 7 décembre 1994 qui donne en note l’adresse et le téléphone – identiques – du CPA et de l’Association française de l’amiante (Afa, association regroupant les industries utilisatrices d’amiante).
  • [45]
    « Ce matériau naturel, employé surtout dans le bâtiment, est responsable en France de plusieurs centaines de cancers par an. Le Comité permanent Amiante vient de faire le point de la situation », chapeau de l’article « Les dangers de l’amiante », Le Monde, 7 décembre 1994. Les citations de ce paragraphe sont tirées de cet article.
  • [46]
    Plus précisément, Marie-Claude Ravault était la représentante de la confédération générale des cadres (CFE-CGC) au Comité permanent amiante.
  • [47]
    Comme le montre dans le cas des journalistes spécialisés en éducation du Monde, PADIOLEAU, 1976.
  • [48]
    Selon la définition du Robert.
  • [49]
    Sur ces points, voir PADIOLEAU, 1976, LEMIEUX, 1997.
  • [50]
    TUCHMAN, 1972. Dans cet article, il distingue cinq principaux moyens à la disposition du journaliste pour faire la preuve de son objectivité : la présentation sur un pied d’égalité d’opinions opposées, la couverture de faits dont l’existence relève du sens commun, l’utilisation judicieuse de la citation, la structuration de l’article insistant en premier lieu sur les faits les moins contestables et la séparation des faits et du commentaire.
  • [51]
    Il serait d’ailleurs intéressant de montrer comment ce statut d’engagé ou de non-engagé est perçu de façon différente selon qu’un individu se situe aux côtés d’acteurs majoritaires ou minoritaires dans une opposition.
  • [52]
    Voir Le Parisien, 5-6 novembre 1994 ou France-Soir, 8 novembre 1994.
  • [53]
    Entretien rédacteur en chef de Sciences et Avenir, 20 avril 1998.
  • [54]
    Voir la distinction entre logique commerciale et logique de pureté effectuée dans BOURDIEU, 1994. Voir aussi CHAMPAGNE, 1994.
  • [55]
    TF1 traite le sujet au cours de son journal de 20 heures le 15 juin 1994. France 2, au cours de sa dernière édition de la nuit le même jour, puis de son 13 heures du lendemain. Enfin, France-Soir y consacre un article le 16 juin 1994, intitulé : « Cancer : 4 veuves portent plainte. L’amiante des plafonds du lycée dans lequel leurs époux enseignaient pourrait avoir déclenché la terrible maladie. »
  • [56]
    Cette généralisation est confirmée pour Le Monde par un article publié le lendemain sur la présence d’amiante à la prison de Fleury-Mérogis.
  • [57]
    Voir sur l’évolution similaire du journalisme médical qui tend à faire de l’information médicale une « information comme une autre » : MARCHETTI, 1997.
  • [58]
    Dans la veine de son dossier sur l’amiante, Sciences et Avenir est par exemple à l’origine des enquêtes classant les établissements hospitaliers, voir Sciences et Avenir, octobre 1997.
  • [59]
    Entretien rédacteur en chef de Sciences et Avenir, 20 avril 1998.
  • [60]
    « C’est un article qui était de la veine de... presque militant dans le bon sens du terme d’un consumérisme actif comme je l’avais pratiqué quand j’étais à 50 [Millions de consommateurs] », entretien rédacteur en chef de Sciences et Avenir, 20 avril 1998. Les autres journalistes qui travaillent sur cette enquête ont auparavant travaillé dans la couverture de faits divers ou sont de jeunes journalistes en stage.
  • [61]
    Ces journalistes travaillent donc de façon sensiblement différente de ceux qui sont aujourd’hui communément désignés comme « journalistes d’investigation », voir MARCHETTI, 2000.
  • [62]
    Entretien rédacteur en chef de Sciences et Avenir, 20 avril 1998.
  • [63]
    Sciences et Avenir, juin 1995, titre du dossier et p. 28.
  • [64]
    Voir « Le nombre de cancers dus à l’amiante menace de se multiplier », Le Monde, 31 mai 1995.
  • [65]
    On peut aussi citer l’article de Hélène Crié dans Libération, « Amiante : le grand retard », 26 octobre 1995.
  • [66]
    Entretien journaliste spécialisée environnement, quotidien national, 30 octobre 1998.
  • [67]
    Principalement le Comité anti-amiante Jussieu, l’Association pour l’étude des risques au travail (Alert) et la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath). Ces trois associations se regroupent début 1996 pour former l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva).
  • [68]
    Entretien journaliste spécialisée environnement, quotidien national, 6 novembre 1998.
  • [69]
    Entretien journaliste, Le Monde, 3 décembre 1998.
  • [70]
    Présenté comme « expert-citoyen » en une du Monde du 31 mai 1995, tranchant avec l’image véhiculée quelques mois plus tôt.
  • [71]
    Entretien journaliste spécialisée environnement, télévision, 4 novembre 1998.
  • [72]
    Voir HENRY, 2004, à paraître.
  • [73]
    Entretien journaliste spécialisée environnement, quotidien national, 30 octobre 1998.
  • [74]
    LENGLET, 1996 paraît en avril et MALYE, 1996 en août.
  • [75]
    Entretien journaliste spécialisée environnement, quotidien national, 30 octobre 1998.
  • [76]
    Entretien journaliste spécialisée environnement, télévision, 4 novembre 1998.
  • [77]
    Roger Lenglet est l’invité du journal de 13 heures de France 2 les 25 juin et 3 juillet 1996 ; François Malye, le 26 septembre 1996.
  • [78]
    Le 26 juin 1996, Le Monde indique en fin d’article, en note : « L’Affaire de l’amiante, de Roger Lenglet, fait un point complet de la question, éditions La Découverte, 256 pages, 135 F. ». Dans son numéro daté des 8 et 9 septembre 1996, ce journal indique les références des deux ouvrages parus.
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