Notes
-
[1]
NEL, 1988, p. 52.
-
[2]
GOETSCHEL, LOYER, 1995, p. 165.
-
[3]
Atteignant parfois plus de 4,4 millions de téléspectateurs. Voir NEL, 1988.
-
[4]
DONNAT, 1998, p. 311.
-
[5]
Ibid., p. 312.
-
[6]
Les Inrockuptibles, n° 346,10-16 juillet 2002, p. 26.
-
[7]
Idem.
-
[8]
Antoine de Caunes a quitté NPA en 1995. L’émission a disparu à la rentrée 2001. Pour une histoire de la chaîne, voir MUSSO, 2002, p. 115-121.
-
[9]
NEL, p. 174.
-
[10]
HENNION, 1989, p. 41-53.
-
[11]
Des enquêtes en ce sens pourraient être menées sur la Fnac. Il y a quelques années, cette entreprise disposait à la fois d’un directeur de l’action culturelle, Jean Carabalona (ex-chef de bureau jazz et variétés de la direction de la musique et de la danse du ministère de la Culture) et de politiques revendiquées en ce domaine (comme la lutte contre l’illettrisme, voir Contact, octobre 1996, p. 3).
-
[12]
DONNAT, 1994, p. 368 ; voir également DONNAT, 1999, p. 111-119.
-
[13]
Idem.
-
[14]
Ibid.
-
[15]
Ibid., p. 141.
-
[16]
Ibid., p. 143.
-
[17]
DONNAT, 1994, p. 148.
-
[18]
BOURDIEU, 1992, p. 202.
-
[19]
Idem, p. 203.
-
[20]
BOURDIEU, 2001, p. 82.
-
[21]
A ce sujet, interrogé pour savoir si « l’image très avant-gardiste qu’a encore POL » l’irrite, Paul Otchakovsky-Laurens répond : « Non, puisque je publie des textes qui font preuve de vraie novation et que c’est l’étiquette qu’on accole à ce genre de démarche. Mais je trouve que la maison dépasse infiniment cette image : sa ligne est plus diverse. Et puis avec les gros succès de Marie Darrieussecq, Camille Laurens, Martin Winckler ou Emmanuel Carrère, cette image s’est un peu tempérée. » Nelly Kaprièlian, Les Inrockuptibles, 10-16 juillet 2002, p. 27.
-
[22]
Comme nous le verrons ensuite, ces données identitaires, qui nous permettent de classer a priori Marie Darrieussecq parmi les auteurs du champ de production restreinte, ne rendent pas compte de toute son identité littéraire. Elle comprend aussi des éléments qui lui ont permis d’être invitée dans cette émission, d’y réussir et de vendre un nombre important d’exemplaires de son livre. Autrement dit, symbole d’une certaine avant-garde, elle n’en rassemble pas tous les traits et son invitation à NPA n’est pas assimilable à l’improbable présence de Samuel Becket au Palmarès de la chanson de Guy Lux…
-
[23]
Entretien avec Philippe Gildas, France-Soir, 7 janvier 1992, p. 28.
-
[24]
La première gorgée de bière, L’Arpenteur, 1997.
-
[25]
La construction a priori ou a posteriori de la doxa biographique comme élément de visibilisation et de promotion de l’auteur constitue un point important des recherches à mener sur les principes de consécration culturelle. Par exemple, il est significatif que Virginie Despentes mette en avant son activité d’ex-prostituée dont on voit bien comment elle peut servir à conférer à sa littérature la qualité de « témoignage vécu », omettant par ailleurs de préciser que cette activité se limitait au Minitel rose.
-
[26]
Interrogée sur les différentes émissions de promotion littéraire et culturelle à la télévision, la directrice éditoriale des Editions de Minuit nous confie regretter – entre autres motifs – que la plupart de ces programmes mette en valeur la personnalité de l’auteur plutôt que l’œuvre (entretien avec Madame Lindon, septembre 1997). Ce propos ne peut évidemment se comprendre que si on a à l’esprit l’espace des positions occupées par les différents éditeurs dans le champ de la production littéraire et la représentation qu’eux-mêmes s’en donnent, objectivement repérable par un ensemble de définitions ou de jugements normatifs. Par exemple, selon Madame Lindon, la biographie de l’auteur est toujours en partie incluse dans son œuvre en sorte que la biographie des écrivains édités chez Minuit ne comporte à la limite « qu’une date et un lieu de naissance ». Ainsi, les émissions comme NPA ne semblent guère se prêter aux attentes d’un éditeur comme Minuit, tant l’écrivain qui ne dispose pas des capacités à se livrer au jeu risque de paraître ridicule, sans pour autant que soit totalement évacuée l’idée d’un passage à NPA (« De toute façon, nous sommes peu sollicités par la télévision »).
-
[27]
Voir sur ce dernier point DONNAT, 1994. Lors de sa prestation à NPA, Philippe Delerm multiplie également les signes de cette appartenance à la culture « hybride » en revendiquant son goût « populaire » pour le football et pour les tendances les plus actuelles du rock : il commente la prestation du groupe invité ce soir là – Radiohead – en faisant savamment référence à leur usage de la pédale Fuzz.
-
[28]
On s’étonnera d’autant moins, à cette époque, de la collaboration du critique de Libération, Gérard Lefort, à NPA que l’émission semblait mettre en exergue le « talent » particulièrement identifiable du journaliste à produire une critique aussi caustique que savamment référencée. En l’occurrence, le ton caractéristique de Lefort procéderait de sa capacité à juxtaposer dans un même ensemble des éléments empruntés tour à tour à la culture de grande consommation et à la culture savante. « Bref, entre Balladur et Bondartchouk, Germinal, c’est le Château des oliviers à la fête de l’Huma. » G. Lefort, « Le dernier Berri », Libération, 29 septembre 1993, p. 33.
-
[29]
COLLOVALD, NEVEU, 1996, p. 90.
-
[30]
Il faudrait sur ce point montrer par des enquêtes complémentaires tout le travail d’échanges, de collusions, d’observations et de concurrences entre Canal Plus, Les Inrockuptibles, La Fnac, Libération et Télérama qui constituent (ou ont la réputation de constituer) aujourd’hui un système particulièrement efficace de consécration culturelle.
-
[31]
« On avait trouvé un équilibre : il arrondissait les angles et moi j’étais le perturbateur », Interview de A. de Caunes, Libération, 3-4 juin 1995, p. 34.
-
[32]
« Jack Lang, à l’époque, ne concevait une nouvelle quatrième chaîne que culturelle et éducative. Une sorte de Cinquième matinée d’Arte avant l’heure. D’autres ne supportaient pas l’idée de lancer une télévision payante. » NATAF, 1997, p. 9. Dans l’émission du 1er septembre 1997, Gérard Lefort balise la structure chiasmatique de l’espace télévisuel, entre « Pour être libre » (TF1) et « La Callas » (Arte).
-
[33]
DONNAT, 1994, p. 114-125. 34. Soit : intéressés à toutes les expressions de la vie culturelle, disposant de références qui vont des artistes les plus consacrés aux genres mineurs ou infraculturels, cherchant à étendre leur capital informationnel grâce à des circuits courts et multiples, volontiers contestataires.
-
[34]
Soit : intéressés à toutes les expressions de la vie culturelle, disposant de références qui vont des artistes les plus consacrés aux genres mineurs ou infraculturels, cherchant à étendre leur capital informationnel grâce à des circuits courts et multiples, volontiers contestataires.
-
[35]
Si on prend le cas des Guignols, on voit que le public était en majorité composé de jeunes (62 % ont moins de 35 ans), urbains (31 %), cadres (37 %) et décideurs (30 % ont atteint un niveau d’études supérieures). Chiffres cités par L’Evénement du Jeudi, semaine du 25 novembre au 1er décembre 1993.
-
[36]
BOURDIEU, 1984, p. 278.
-
[37]
A cet égard, il pouvait être intéressant de comparer la position de Ph. Gildas avec celle de son successeur, Guillaume Durand, en termes d’identité professionnelle : censé rompre avec l’humour potache qui signe l’ère Gildas, ce dernier avait pour mission de redresser une audience déclinante en proposant un ton nouveau. Si les deux animateurs pouvaient être opposés dans la forme, cette opposition reste très relative dès l’instant où on compare la position de ces agents intermédiaires placés en position mitoyenne entre le champ de production restreinte et le champ de grande production et qui tendent, du fait même de cette position, à brouiller les classements. Sur la construction des identités professionnelles dans le champ du journalistique et de l’animation, voir LEROUX, 1996.
-
[38]
« Editeur connu pour défendre une littérature exigeante », P. Kéchichian, « De l’effet des ‘Truismes’ en littérature », Le Monde, 24 septembre 1996.
-
[39]
Voir BOURDIEU, 1992, p. 205.
-
[40]
KECHICHIAN, art. précité.
-
[41]
Selon l’expression de Pierre Bourdieu, BOURDIEU, 1977, p. 6.
-
[42]
Elle figure notamment dans l’article de P. Kéchichian du 24 septembre (le livre étant sorti le 27 août) ainsi que dans la chronique de Truismes du supplément « Rentrée littéraire » publié par la Fnac pour les mois d’octobre et novembre 1996.
-
[43]
Il semble que, à partir de septembre 1997, c’est le duo Vecchi-Devoize qui se voyait attribuer les invités ou les produits culturels les plus « jeunes » et en voie de consécration (par exemple, Philippe Delerm ou Amélie Nothomb), les invités plus « installés » et déjà consacrés étant réservés à la seconde partie de l’émission et donc à Guillaume Durand.
-
[44]
Il est à noter que ce succès commercial fera lui-même l’objet de l’intérêt des médias comme le montrent entre autres les deux entretiens de NPA, les articles du Monde de P. Kéchichian (art. précité) et J. Savigneau (« Une truie, des intellectuels qui s’interrogent et quelques polémiques », Le Monde, 11 janvier 1997) et l’émission de France Culture « Les feux de la rampe ». Il faut en effet lui reconnaître toutes les qualités d’une « success story » à laquelle le monde médiatique ne résiste que difficilement.
-
[45]
A laquelle a contribué l’intention déclarée de Jean-Luc Godard d’adapter Truismes au cinéma. Projet auquel il a par la suite renoncé.
-
[46]
A la différence de personnalités comme Umberto Eco, David Lodge, Franco Ferrucci ou Milorad Pavic, auteurs de ce que Pascale Casanova désigne comme des « romans internationaux », réalisant « le mélange impossible du succès commercial et de la légitimité culturelle et qui tous professeurs de littérature, poursuivent des carrières internationales en Europe et aux Etats-Unis ; sont connus, dans leur milieu professionnel, pour leurs travaux critiques et surtout ont participé à la diffusion et l’application à la littérature des théories structuralistes en vogue dans les années 1960 et 1970 ». CASANOVA, 1993,12.
-
[47]
Le Nouvel Observateur, septembre 1996.
-
[48]
La carrière de ce livre faisant l’objet d’une étude spécifique par P. Bourdieu, voir BOURDIEU, 1992.
-
[49]
Pour reprendre l’exemple d’un autre invité de NPA, Philippe Delerm, si l’accessibilité de son ouvrage est garantie par le sujet même du roman – universaliser sur un mode proustien les affects de l’auteur –, son caractère novateur est produit par l’affirmation d’une famille littéraire émergente, celle « des nouveaux intimistes ».
-
[50]
SIMONOT, 1991, p. 21.
-
[51]
CASANOVA, 1993, p. 12.
-
[52]
P. Kéchichian note toutefois que si M. Darrieussecq s’inscrit dans une tradition « (les écrivains furent nombreux à faire parler, penser et agir les animaux à la place des humains), c’est d’une manière toute personnelle, résolument extrémiste » : « La bête humaine », Le Monde, 6 septembre 1996.
-
[53]
Evoquant un entretien avec Jérôme Lindon, antérieur à l’écriture de Truismes, Marie Darrieussecq a déclaré : « Il m’a dit aussi quelque chose qui m’a beaucoup marquée : ‘On écrit Finnegans Wake à la fin de sa vie.’ Parce qu’évidemment, au début, je voulais faire de grandes expériences littéraires ! Ce qu’il m’a dit m’a donné beaucoup d’humilité, je suis revenue à des histoires, avec des personnages, un début, un milieu et une fin... ça changera sans doute, mais pour l’instant j’en suis là, j’apprends le métier. » Entretien avec Sylvain Bourmeau et Marc Weitzmann, Les Inrockuptibles, n° 69,4-10 septembre 1996, p. 23.
-
[54]
Livres Hebdo, n° 217,20 septembre 1990, p. 45-47. Sur un total de 489 nouveaux romans, Truismes figure en tête d’un classement établi à partir d’un échantillon de 30 libraires entre le 12 et le 17 septembre 1996. Il est significatif que les libraires – dans un marché particulièrement soumis à la distribution bipolaire des best-sellers et des produits à cycle long – justifient la consécration quasi unanime qu’ils apportent à Truismes en le décrivant comme un ouvrage capable de concilier succès populaire et exigence littéraire.
-
[55]
Un effet identique est avancé par Philippe Delerm sur le plateau de NPA pour expliquer le succès commercial de La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, qui a été publié « chez Gallimard dans une collection assez confidentielle, L’Arpenteur, tiré à 2 000 exemplaires au départ, puis assez vite, y’a eu un bouche à oreille, enfin j’crois que ça fonctionne pas mal comme ça dans le milieu. Le bouche à oreille évidemment il a été relayé par des choses importantes, il y a eu un article dans Télérama de Martine Laval de deux pages qui a beaucoup aidé et puis il y a eu l’émission de Bernard Pivot bien sûr qui a été très importante et puis le bouche à oreille a pris de l’ampleur et notamment au moment de l’été où tout d’un coup il est apparu en tête des listes des ventes ». L’étude des discours produits par les auteurs et des tentatives d’explication apportées à leur propre succès permettrait d’étudier l’intériorisation des règles et des contraintes liées aux conditions même de l’exercice médiatique, en l’occurrence des différentes formes d’ajustement aux émissions télévisées.
-
[56]
Marc Weitzmann, « Sup Normal », Les Inrockuptibles, 18-24 février 1998, p. 16.
-
[57]
Idem.
1La création et plus encore l’exceptionnelle longévité d’Apostrophe, ont marqué, en France (même si la notoriété de Bernard Pivot a dépassé, du moins dans les milieux littéraires, les limites du territoire national), l’histoire des rapports du livre et de la télévision. Ni la première ni la dernière des émissions consacrées aux livres, Apostrophe a incarné plus que d’autres une forme à la fois nouvelle et particulière de consécration. Nouvelle, dans la mesure où il s’agissait de « traiter l’actualité littéraire sur le mode du rituel spectaculaire », de « descendre la littérature de son piédestal, la sortir de sa tour d’ivoire pour la mettre à la portée de tous [1] ». Particulière, en ce qu’elle invitait à s’intéresser au moins autant à l’auteur qu’à son livre et participait ainsi, par son propre dispositif télévisuel, au retour en grâce de « la subjectivité dans l’aventure créatrice [2] ».
2Contesté pour son hégémonie et sa dimension monopolistique, « l’effet Pivot » a été le plus souvent loué, tant pour le nombre de spectateurs qu’Apostrophe pouvait rassembler que pour les ventes des livres ainsi promus [3]. L’émission de B. Pivot venait en effet rassurer sur les aptitudes de la télévision à ne pas seulement contribuer à la réduction de certaines sorties culturelles (le cinéma, notamment). Elle a en effet longtemps laissé penser que la télévision pouvait aussi enrayer le déclin progressif de la plus traditionnelle des pratiques culturelles domestiques.
3Il apparaît surtout que le succès d’Apostrophe a favorisé ou du moins accompagné un bouleversement des positions dans la hiérarchie des valeurs culturelles. La mise en spectacle de la critique littéraire a rendu plus poreuses « les frontières entre culture et loisirs, entre le monde de l’art et celui du divertisement [4] ». Parallèlement, le livre « a perdu sa force de fascination pour ceux qui, de par leur origine, n’en étaient pas des familiers ainsi qu’une partie de son pouvoir distinctif chez les jeunes. De plus, l’essor des médias électroniques lui a fait perdre son hégémonie comme moyen d’accès au savoir et comme vecteur d’enrichissement personnel [5] ».
4De ce point de vue, le talk show Nulle Part Ailleurs – NPA – diffusé en clair sur la chaîne cryptée « Canal Plus » pouvait exacerber ces tendances. Emission vitrine de la chaîne, destinée à attirer de futurs abonnés, elle fonctionnait par opposition aux programmes fédérateurs conçus sur les chaînes hertziennes, avant et au moment de ces grands moments d’audience télévisuelle que constituent les journaux de 20 heures. Véritable reflet de l’hybridation de la culture cultivée, NPA était le lieu où se croisaient des invités très divers : artistes, hommes ou femmes politiques (J. Chaban Delmas, M. Gorbatchev), intellectuels, animateurs de télévision, explorateurs, scientifiques, sportifs. Une telle hétérogénéité parmi ses invités n’était pas spécifique à NPA, pas plus que son ambiguïté, l’émission hésitant constamment entre une fonction critique et promotionnelle. Surtout, elle semble plus que d’autres avoir été marquée par une forte tension entre un impératif spectaculaire, fonction notamment dévolue au partenaire de Philippe Gildas (longtemps animateur principal de l’émission), Antoine de Caunes, puis Laurent Baffie, et la volonté de se démarquer de sa principale concurrente, la chaine privée TF1 (opposition sur le terrain de la satire politique entre les Guignols de l’info et le Bébète Show), par des choix artistiques qui devaient attirer un public jeune, urbain et cultivé. Si de ce fait les musiciens de rock, les acteurs, et metteurs en scène de cinéma, ont été des invités privilégiés, certains auteurs littéraires ont obtenu lors de leur passage à NPA une promotion déterminante.
5C’est le cas notamment de Marie Darrieussecq. Editée par une « maison connotée d’avant-garde [6] », POL, cet auteur a bénéficiée d’une forme de « starisation [7] » avec la publication en 1996 de son roman Truismes (240 000 exemplaires vendus). Depuis lors, l’émission a disparu des programmes de Canal Plus et la chaîne elle-même a connu et connaîtra sans doute encore de nombreuses difficultés.
6La contribution de NPA à la renommée de Marie Darrieussecq correspond donc à une époque particulière de cette chaîne et peut-être de la télévision en France [8]. Les formes de consécration culturelle auxquelles nous nous attacherons dans cet article ont pour ce motif une autre spécificité, leur fragilité. Loin des institutions littéraires et de leur immortalité symbolique, les pouvoirs de la télévision à l’égard de la littérature semblent, avec cet exemple, tributaires du caractère éphémère des stratégies et de l’occupation des positions au sein du champ télévisuel.
Instances et performances de la consécration culturelle
7Faisant l’hypothèse de la valorisation croisée du livre et de la télévision, notre travail s’inscrit dans le prolongement des réflexions de Noël Nel concernant l’exigence historique (l’émergence du livre comme marchandise culturelle) de visibilisation de la production littéraire, en particulier de la figure de l’écrivain ; celle-ci accompagne simultanément les mutations du champ journalistique qui se traduisent par la mise en œuvre de stratégies identitaires directement associées aux contraintes de visibilité pour les acteurs inscrits dans cet espace, qui aboutissent à un effet de double médiation tel que « la télévision se fait médiatrice du livre, et de nouvelles stratégies commerciales d’édition se font, à leur tour, médiatrices de la télévision [9] », ce que traduit très explicitement le titre d’un article d’Antoine Hennion : « A médiateur, médiateur et demi [10] ».
8Notre étude répond également à une interrogation plus large relative aux politiques culturelles menées en France et plus particulièrement depuis le ministère Malraux. Leur échec relatif et la domination des médias et des industries culturelles comme modes d’accès à la culture obligent en effet à soumettre à l’analyse tant les interventions culturelles publiques que celles émanant d’entreprises privées qui, comme certains médias ou des chaînes de distributions de livres, disques ou vidéos, semblent jouer un rôle majeur dans la mise en relation d’un grand nombre de Français avec des productions culturelles diverses [11].
9Les services du ministère de la culture ont en effet montré, d’une part, que : « Il ne suffit pas de baisser les prix ni de créer un théâtre pour que les inégalités culturelles cessent, ni même se réduisent [12]. » Les efforts accomplis depuis les années 1980 en faveur de l’offre culturelle « n’ont pas entraîné une augmentation rapide et massive de la demande [13] ». D’autre part, au terme de plus de trente ans de démocratisation de l’enseignement, on constate que : « La fréquentation de l’institution scolaire garantit de moins en moins une réelle intimité avec le patrimoine littéraire et artistique que les élites se transmettaient, de génération en génération [14]. »
10A ces constats cruels d’échec ou de succès marginaux – microsociologiques – des politiques de démocratisation culturelle, viennent s’ajouter diverses observations quant aux modalités de consécration artistique. Les voies traditionnelles qui menaient des positions les plus avant-gardistes ou provocatrices vers les plus légitimes (qui « passaient par la reconnaissance des pairs, par celle des critiques et des professionnels du domaine, puis par celle des institutions, et enfin par la consécration scolaire qui, en quelque sorte, parachevait le travail de sélection réalisé par tous les autres intervenants [15] ») sont désormais concurrencées par un système issu « des connexions entre le monde de la publicité, celui des médias et celui des industries culturelles ». Cette « économie médiatico-publicitaire [16] » constitue désormais un nouveau « pôle de référence et de distinction » capable à la fois d’orienter des productions culturelles et d’offrir aux consommateurs – contrairement à leur réputation « massifiantes » ou homogénéisantes – des profits symboliques, des capacités à se distinguer les uns des autres sans avoir à s’acquitter des coûts d’accès à la culture légitimée selon des modalités traditionnelles de consécration.
11De plus, si les politiques culturelles, à partir de l’école et des équipements culturels, n’ont pas réussi à convertir les jeunes générations à l’amour des arts de la parole (théâtre, littérature), l’économie médiatico-publicitaire semble en revanche être parvenue à y faire triompher l’audiovisuel. Par ailleurs, alors que les premières ont échoué à enrôler la télévision pour atteindre les objectifs qui leur avait été désignés, la seconde en a fait son centre, son principal outil. Enfin, l’économie médiatico-publicitaire peut revendiquer avec succès, vis-à-vis des politiques culturelles, une aptitude au moins comparable à réconcilier l’avant-garde et le grand public [17].
12On est alors tenté d’estimer, à partir de leurs impacts sociaux respectifs, que les entreprises de l’économie médiatico-publicitaire ont mené des politiques culturelles plus performantes que celles des institutions publiques ou parapubliques. Il faut toutefois rappeler que le patrimoine culturel de référence, les œuvres consacrées et proposées à l’admiration du public, différent sensiblement entre ces deux secteurs (celles de l’économie médiatico-publicitaire étant fréquemment d’une plus grande accessibilité).
L’économie médiatico-publicitaire et l’hybridation des champs
13Ce sont donc ces « politiques culturelles privées » que nous avons aussi souhaité étudier à partir d’un cas précis, celui de Nulle Part Ailleurs sur Canal Plus, à l’occasion de l’invitation de l’écrivain Marie Darrieussecq.
14En effet, tant l’émission elle-même (son contenu et bon nombre de ses invités) que le livre et l’auteur en question semblent illustrer cette zone grisée du champ artistique et perturber l’organisation dualiste repérée par Pierre Bourdieu : en résumé, la structure générale du champ serait réglée par la division entre une production spécialement destinée aux marchés et, d’autre part, c’est-à-dire a contrario, une production d’œuvres « pures » destinées à l’appropriation symbolique, « selon un principe de différenciation qui n’est autre que la distance objective et subjective des entreprises de production culturelle (...) entre deux limites qui ne sont en fait jamais atteintes, la subordination totale et cynique à la demande et l’indépendance absolue à l’égard du marché et de ses exigences [18] ». Ce champ a en effet comme logique originelle l’antagonisme entre le sous-champ de la production restreinte à cycle long (car ne correspondant pas à « une demande préexistante et dans des formes préétablies [19] ») et celui de la grande production à cycle court (répondant à ces demandes et à ces formes). Le premier en fonctionnant selon le principe de l’art pour l’art tend à l’autonomisation du champ, le second, au contraire, par l’influence qu’y exercent tant le champ du pouvoir (à travers différentes formes de consécration officielle) que le champ économique (par l’art commercial) contribue à en accentuer l’hétéronomie. Or, les transformations opérées par la montée de l’économie médiatico-publicitaire et en particulier la télévision ont conduit à amender le schéma très clivé de la sociologie du champ littéraire de Bourdieu, opposant un sous-champ de la production restreinte à cycle long à celui de la grande production à cycle court. Pierre Bourdieu lui-même a repéré les effets de l’économie médiatico-publicitaire sur le processus d’autonomisation du champ artistique, frappé selon ses termes « d’involution [20] ». Néanmoins, ce clivage semble se maintenir dans les représentations, en dépit des évolutions de certaines entreprises culturelles du champ littéraire, dont celle de POL [21].
15C’est donc en fonction de cette image encore fortement répandue du champ littéraire et de la place qu’est censé y occuper son éditeur que l’invitation de Marie Darrieussecq à NPA pouvait sembler inhabituelle (même si elle n’était pas totalement surprenante, compte tenu des précédentes invitations d’écrivains dans la même émission). Mais, l’image persistante d’un monde littéraire clivé a surtout un impact sur NPA. L’invitation d’un écrivain publié par une maison d’édition considérée comme appartenant toujours au sous-champ de production restreinte prend en effet toute sa valeur dans le jeu de distinction auquel NPA se livre concuremment à d’autres émissions.
16De cette façon, NPA contribue à mettre en cause la dualité du champ littéraire tout en l’entretenant symboliquement. Le double jeu de consécration (de l’invitée – « sérieuse » – sur le terrain du divertissement et d’animateurs « divertissants » sur le terrain du « sérieux ») travaille à la fois à l’entretien et à la disparition de l’organisation du champ. De la même manière, POL a tout intérêt à entretenir sa réputation de maison d’avant-garde tout en assurant l’édition de succès commerciaux. Toutefois, l’invitation de Marie Darrieussecq et la réussite de son passage à NPA ne sont pas nécessairement généralisables. Elles supposaient la réunion d’un certain nombre de caractéristiques et de conditions qui laissent penser que pour d’autres auteurs la consécration par l’économie médiatico-publicitaire est peu envisageable ou se passerait différemment. On peut même considérer que pour certains, la consécration ne peut venir que selon les modalités les plus traditionnelles, tant ni eux-mêmes ni leurs œuvres ne sont adaptés aux exigences auxquelles Marie Darrieussecq a pu répondre.
17A priori donc, Nulle Part Ailleurs interviendrait dans cette zone hybride d’importance croissante à l’intersection du sous-champ de production restreinte et de celui de la grande production en permettant le passage de productions apparemment vouées à une consécration de cycle long, sans véritable marché dans le présent, à des succès commerciaux sur le court terme. Cet a priori s’appuie sur les caractéristiques externes de l’œuvre : un premier roman d’un auteur à profil intellectuel, normalienne et auteur d’un essai sur l’autofiction dans la revue Poétique [22], chez un éditeur réputé d’avant-garde. Néanmoins, des œuvres dotées des mêmes caractéristiques ne connaîtront pas nécessairement le même parcours, ce qui suggère un ajustement particulier de ce roman et de cet auteur à l’émission qui en a assuré la consécration.
18Une des façons de mesurer cet ajustement serait de mener une enquête sur le travail des attachés de presse. En véritable « profileurs », ils doivent s’efforcer de proposer aux producteurs d’émissions culturelles ou de talk show, en fonction de leurs attentes plus ou moins explicites, les invités (artistes, auteurs) susceptibles d’y répondre. Ils doivent donc pour ce faire travailler la présentation de leurs « poulains » (confectionner un dossier de presse, une notice biographique) afin de fournir toutes les assurances sur les capacités de ces derniers à correspondre au profil souhaité par les producteurs. Ce travail peu connu, mais décisisif puisqu’il y est au cœur du plan marketing et médiatique, se module en fonction des réputations mobilisables (celle des artistes ou auteurs comme celle des attachés de presse). Son observation apprendrait sans doute beaucoup sur les évolutions des modes de consécration.
Les conditions de la réussite de Marie Darrieussecq à Nulle Part Ailleurs
19C’est à deux reprises, d’abord comme invitée principale, le 11 septembre 1996, puis comme invitée secondaire en avril 1997, que Marie Darrieussecq a participé à cette émission. La première a été ensuite rediffusée durant l’hiver 1996-1997. Des écrivains figuraient donc parmi les invités de NPA Sur l’espace d’une année (juin 1996 à 1997 pour la période de référence), nous avons regroupé ces auteurs en quatre catégories :
- les personnalités, dont la notoriété ne provient pas d’une activité littéraire
- journalistes – C. Ockrent –, scientifiques – H. Reeves –, politiques) ;
- les auteurs de romans noirs, fréquemment américains, symboliquement rattachés à une culture « underground », contre-culturelle en voie de consécration (J. Ellroy) ;
- les auteurs réputés qui, comme F. Sagan, Ph. Sollers, D. Tilliniac, bénéficient déjà d’un capital littéraire ;
- de jeunes auteurs comme M. Darrieussecq ou V. Despentes.
Un auteur qui répond aux exigences de l’émission
20Entièrement construite selon un enchaînement de nombreuses séquences :
En soixante-dix minutes, les téléspectateurs ont un invité, des infos, des rubriques, de l’humour, du pratique et les éditoriaux des Guignols et de Karl Zéro. Tout ça a un rythme volontairement soutenu [23].
22– l’émission obligeait ses invités à suivre ce parcours et à faire la preuve de leur aptitude à répondre aux interrogations des divers animateurs, aux interpellations de Laurent Baffie, à commenter la prestation du groupe de rock invité (Gallon Drunk considéré ce soir-là de « noisy » par Marie Darrieussecq) et à dialoguer avec un invité complémentaire (pour Marie Darrieussecq, l’unique spécialiste français des requins !). On peut penser que le bagage intellectuel d’une normalienne agrégée de Lettres, enseignante à l’université de Lille, sa formation aux oraux (comme celle du grand oral de l’ENA pour les invités des émissions politiques télévisées) associés à une relative maîtrise de la culture rock ont permis à Marie Darrieussecq de satisfaire sans trop de difficultés à ces obligations.
23De plus, si son identité intellectuelle plusieurs fois rappelée lors de cette première émission comme lors de la seconde (références à la rue d’Ulm et à Hypokhâgne) offrait aux responsables de NPA la garantie d’un livre sérieux et donc d’un produit littéraire capable de faire la différence avec des émissions de chaînes concurrentes plus commerciales, Marie Darrieussecq a su aussi faire preuve de la simplicité « naturelle » et de l’humour dans la présentation de soi (acceptant par exemple que les animateurs s’affublent d’oreilles de cochon et d’un groin) qu’exige un programme qui ne saurait tomber dans l’intellectualité et le sérieux d’une émission classiquement littéraire ou culturelle. En outre, on voit bien en quoi le contenu de l’œuvre présentée ou plus exactement l’idée qui en était donnée (une femme se transformant en truie) s’ajustait parfaitement aux exigences d’une émission qui préférait les notations biographiques ou autobiographiques (Marie Darrieussecq et les cochons) aux analyses proprement littéraires (on peut par exemple s’étonner qu’aucune question n’ait été posée, au cours de l’émission, sur un lien entre Truismes à La métamorphose de Kafka).
24De même qu’un rapprochement entre une jeune femme qui se métamorphose en truie et l’auteur Darrieussecq apparaissait aussi convenu que potentiellement riche en ressorts humoristiques, les ouvrages que présenteront Philippe Delerm (« Tout le monde a éprouvé ça » déclare-t-il à propos de son roman [24] ), Virginie Despentes (auteur de Baise-moi dont la doxa biographique met en avant son ancienne qualité de prostituée ayant œuvré sur les lieux même où elle situe ses héroïnes [25] ) ou encore Amélie Nothomb, seront autant de prétextes à mettre en avant les traits saillants de leur personnalité que leur prête volontiers l’émission [26].
25Marie Darrieussecq a également su montrer son appartenance à la culture « jeune » en manifestant son intérêt pour le rock (à l’issue du concert lors de son premier passage et, lors du second, en s’exprimant comme l’un des auteurs du recueil publié par l’hebdomadaire Les Inrockuptibles et les Editions Grasset, partageant avec la revue une culture commune). Elle rendait compte ainsi de cette hybridation de la culture cultivée qui permet aux jeunes détenteurs des plus forts capitaux culturels d’intégrer parmi l’ensemble de leurs goût tant la culture la plus légitime que les produits (y compris les plus diffusés) des industries culturelles [27].
26On peut ajouter enfin que sa jeunesse (27 ans au moment de l’émission), sa féminité, ses origines provinciales et rurales autorisaient tant de sa part que de celle des animateurs de NPA des variations diverses sur le thème du jeune talent en voie de reconnaissance, renvoyant à l’émission sensée surtout servir l’artiste, et qui ainsi le sert et s’en sert, l’image valorisante d’un lieu de découverte : comme le dit Ph. Gildas : « On avait décidé de vous inviter dès la fin du mois d’août. Ça a fait l’unanimité ici. »
Nulle Part Ailleurs, une émission branchée ?
27Lancée en 1987, plus long programme quotidien en direct de toutes les chaînes françaises, l’émission emblématique de la chaîne câblée pouvait être considérée comme culturelle dans la mesure où elle s’organisait à travers l’invitation de personnalités issues principalement du champ artistique, mais aussi scientifique, médiatique et politique. La quotidienneté de l’émission et les rencontres sur le plateaux entre différents invités conduisaient logiquement les responsables de NPA à ouvrir très largement leurs invitations.
28Toutefois cette ouverture qui pouvait conduire à hésiter sur l’identité culturelle de l’émission et dérouter son public était compensée, d’une part, par des complicités manifestes avec certaines personnalités (repérées à travers tout un ensemble d’actes de connivences de la part des animateurs de l’émission et par le jeu de réinvitations plus ou moins régulières), d’autre part, par une préférence accordée aux personnalités représentatives d’une culture « jeune », « rock », etc., et enfin, par des mentions fréquentes à l’actualité culturelle et médiatique ainsi qu’à « l’esprit Canal [28] » : comme le rappellent à juste titre Erik Neveu et Annie Collovald à propos des Guignols, ce type de programme « fonctionne par la sollicitation systématique de références à la fois associée aux produits de l’audiovisuel et aux consommations culturelles des classes d’âge jeune [29] ».
29Par ailleurs, l’identité rock de NPA conduisait logiquement les responsables de l’émission à porter attention aux artistes auxquels Les Inrockuptibles ouvrent leurs pages [30] et à tenter de partager le capital symbolique de découvreurs dont dispose également cette revue spécialisée.
30La présence de Pierre Lescure (ex-producteur des Enfants du rock sur Antenne 2) à la direction de cette chaîne, les années de participation d’Antoine de Caunes [31] (collaborateur des Enfants du rock, producteur et présentateur de Rapido), la collaboration de Laurent Chalumeau (ex-journaliste de Rock et Folk) et d’anciens journalistes des Inrockuptibles, la présence d’un orchestre sur le plateau et l’invitation régulière de groupes de rock (rap, techno, etc.) pour une prestation en public, permettait d’assurer la complicité avec une partie importante de son public. Nulle part Ailleurs, ni TF1 ni Arte [32], émission emblématique de la chaîne, était sans doute un des programmes qui ont le mieux répondu aux aspirations des publics qu’Olivier Donnat qualifie de « branché [33] » (même si elle rassemblait des audiences plus étendues que les seuls membres de ce groupe, jeunes, diplômés et urbains). L’homologie entre les dispositions des « branchés [34] » et le contenu ainsi que le ton de NPA est en tout cas suffisamment forte pour laisser supposer qu’ils ont constitué le cœur de cible de l’émission [35].
Journalistes animateurs et animateurs journalistes : l’inclination à la confusion des ordres [36]
31On peut en outre penser que Philippe Gildas, importateur en France du Top 50, était prédisposé à considérer sous l’angle de la réussite commerciale la qualité d’une production artistique. Son habitus professionnel de journaliste le rendait également particulièrement sensible au travail de ses confrères et disposé à apporter sa contribution à des phénomènes médiatiques (comme le dit Marie Darrieussecq, « personne ne voulait être en reste »).
32On peut voir ici comment NPA était particulièrement liée à la personnalité de celui qui fut son animateur jusqu’à l’été 1997, Ph. Gildas, et à la complicité qu’il a su établir avec ses collaborateurs. Si les positions de l’émission et de l’animateur dans le champ médiatique ne coïncidaient pas tout à fait (Ph. Gildas ne proposant pas cette identité « rock » et jeune de NPA), l’animateur se situait dans une position intermédiaire, médiane, correspondant au projet des concepteurs de l’émission. Il était en quelque sorte, du moins symboliquement, la médiation culturelle faite homme [37]. Sa compétence, ou son incompétence relatives, son discours de semi-naïf permettaient d’offrir des produits culturels aux jeunes générations sans simultanément leur faire éprouver la culpabilité de leur ignorance.
L’ajustement du « produit littéraire »
33La relation entre la maison d’édition et l’émission de télévision est une relation d’échange qui exige du « produit » au cœur de la transaction qu’il réponde à un certain nombre de propriétés.
34En premier lieu, NPA avait besoin pour s’opposer aux émissions et aux chaînes concurrentes de proposer parmi ses invités un nombre significatif de « découvertes » c’est-à-dire à la fois des jeunes artistes et des productions qui ne semblaient pas de façon trop évidente répondre à des demandes préexistantes ni à des formes préétablies.
35L’éditeur POL était particulièrement ajusté à cette attente. Petite (ou moyenne) maison d’éditions, dont le nom est associé à des écrivains qui ont été découverts ou accueillis par Paul Ostchakowski-Laurens (George Pérec, Charles Juliet, Renaud Camus [38] ), elle est située par Pierre Bourdieu sur une position du champ littéraire, « les petites maisons d’avant-garde », proche de celle des Editions de Minuit [39]. De son côté, NPA offrait à POL une vitrine enviée, puisque le travail réalisé par les producteurs de l’émission depuis plusieurs années lui permettait d’être considéré comme un lieu de promotion relativement efficace pour des « produits artistiques » relativement difficiles. Alors que cet éditeur ne pouvait pas envisager sérieusement de proposer ce livre à Michel Drucker (qui animait une émission assez proche au même moment sur France 2), il trouvait avec NPA une émission de télévision accessible pour ce « produit » et qui lui permettait espérer le sortir du champ de production restreinte.
36De plus, les producteurs de NPA disposaient avec ce livre de garanties substantielles quant à son accessibilité. Présenter Truismes comme une « découverte » permettait à l’émission d’accroître sa réputation de « tête chercheuse ».
37En effet, avant même sa présentation en librairie, certains critiques et libraires avaient pu lire Truismes et « apprendre que plusieurs éditeurs de renom s’étaient disputés le manuscrit [40] ». La légende de Truismes – qui n’est pas sans rappeler celle de Louis-Ferdinand Céline (le premier livre d’une inconnue envoyé par la poste et que se disputent des éditeurs de renom) – sera vite connue et offrira à Marie Darrieussecq une part du capital accumulé par ces « banquiers symboliques [41] » que sont certains patrons de maison d’édition considérés comme des découvreurs. Elle permettra aux producteurs de NPA en occultant cette information à laquelle ils ne pouvaient qu’avoir également eu accès, de croire et de faire croire aussi à leurs aptitudes de « découvreurs ». Plus encore, une autre information relative aux rachats des droits d’édition par plusieurs éditeurs étrangers sera largement et rapidement diffusée [42]. Ajoutée à la précédente, elle permet aux journalistes de réunir toutes les garanties sur le succès commercial de ce livre et ce, suffisamment tôt pour lui porter un intérêt particulier. L’annonce du succès permettant ainsi, selon la logique des prophéties autocréatrices, d’offrir à Truismes les conditions de son succès.
38L’aptitude de NPA à repérer les talents littéraires de demain avant tout le monde est un argument récurrent : à propos de l’écrivain Philippe Delerm (qui cumulait un certain nombre de traits communs avec Darrieussecq, en particulier sa jeunesse relative, son statut d’auteur en voie de consécration et sa capacité à répondre aux prérequis de l’émission en se mettant au diapason de l’humour que sollicitent les animateurs [43] ), Philippe Vecchi explique que c’est le cinéaste Jean-Michel Rey qui a « trouvé le livre sublime et l’a offert à au moins une dizaine de personnes » à Canal Plus.
39C’est pourquoi, le livre de Marie Darrieussecq pouvait répondre parfaitement aux attentes de NPA à travers sa double réputation d’œuvre issue de l’avant-garde et vouée à une proche reconnaissance par un vaste public [44].
Nulle Part Ailleurs : du nouveau dans la consécration littéraire ?
40Ce qui s’est produit avec NPA semble à première vue échapper aux deux modalités identifiées de consécration artistique.
41D’un côté, Truismes ne semble pas relever des modalités propres au sous-champ de la grande production (en raison de la position dans le champ littéraire de son éditeur, de la dimension intellectuelle de l’auteur [45] dont on peut attendre une plus grande attention aux exigences de la littérature « pure [46] »). Comme le remarquait Jérôme Garcin, Marie Darrieussecq « semblait plus menacée du pilon que de la gloire [47] ». De l’autre côté, la rapidité de son succès, la contribution des médias et la dimension commerciale de sa consécration, ne correspondent pas non plus aux logiques des œuvres du sous-champ de production restreinte.
42En quelque sorte, l’interaction entre les responsables de NPA, Marie Darrieussecq et son éditeur semble avoir particulièrement favorisé le passage de cet auteur d’un domaine de productions artistiques à cycle long vers un domaine à cycle court. Peut-on alors en conclure que trente ans plus tôt NPA aurait pu permettre à La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet de devenir un « best-seller [48] » ?
43A cette question deux réponses peuvent être apportées. La première consiste à montrer que Marie Darrieussecq n’est pas Alain Robbe-Grillet, qu’elle n’occupe pas la même position dans le champ littéraire. La seconde consiste plus fondamentalement à s’interroger sur les conditions de possibilité d’une position qui serait occupée par NPA, position intermédiaire, de passage, entre les deux sous-champs du champ littéraire.
Marie Darrieussecq n’est pas Alain Robbe-Grillet
44On ne saurait en effet faire ici l’économie de l’analyse du rapport qui s’est établi entre Truismes (le contenu de l’œuvre) et les commentaires qui l’ont entouré. Comme l’ont montré les animateurs de NPA, pour leur part sous un mode plus potache que littéraire, le thème du livre pouvait autoriser un nombre infini de variations autour du cochon et favoriser la rédaction de chroniques brillantes et généralement favorables.
45Toutefois, l’activité critique ne recouvre pas l’ensemble des commentaires qui accompagnèrent la publication de ce livre. La présentation de Truismes et de son auteur pouvait servir des finalités diverses et, notamment, répondre aux intérêts propres des commentateurs. S’agissant précisément de NPA, il était indispensable à la stratégie de l’émission qu’elle puisse proposer à son public une offre culturelle à la fois novatrice et accessible [49].
46La présentation de Truismes à NPA n’est donc pas sans analogie avec l’usage par l’académie Goncourt des Champs d’honneur de Jean Rouaud ou du capital symbolique de la critique structuraliste dans la promotion du « roman international ». Dans le premier cas, l’attribution du prix Goncourt, de plus en plus contestée à mesure que se développe un soupçon sur l’indépendance des jurés vis-à-vis des grandes maisons d’édition, dut pour retrouver une forme de crédibilité choisir un auteur d’une maison située à l’avant-garde dont le livre était cependant d’une facture assez traditionnelle, « académiquement moderne [50] ». Dans le second, comme nous l’avons rappelé plus haut, des représentants « de la critique universitaire réputée d’avant-garde » ont, « en experts patentés de toutes les techniques littéraires répertoriées par l’histoire, (...) remis en service les vieilles recettes et ressorts littéraires, procédés concertés pour fabriquer un produit ‘noble’ à partir de récits qui n’innovent qu’en parodiant ou recopiant [51] ».
47De même, dans le cas de Marie Darrieussecq et sans retirer au roman des qualités reconnues par de nombreux critiques, il apparaît qu’il relève d’une catégorie de romans à thème (comme Le Parfum de Süskind ou La première gorgée de bière), qu’il reprend la problématique de la transformation déjà traitée par d’autres auteurs [52] et que son écriture, sa construction, ont été volontairement classiques [53].
48On peut penser sur ce point que les producteurs de l’émission n’ignoraient pas disposer d’un public plutôt jeune, à capital culturel relativement élevé et placé dans une situation culturelle marquée par des ruptures (plus sensibles encore chez les 25-35 que chez les 35-45 ans) vis-à-vis des générations antérieures se traduisant par des déficits de compétences sur la culture consacrée, la baisse de la lecture de livre, la place prépondérante de l’écoute musicale et surtout de la culture de l’écran. La promotion d’un livre à l’égard de ce public supposait donc à la fois qu’on lui assure la perspective de profits symboliques distinctifs (découvrir un jeune auteur et un livre surprenant), tout en le rassurant sur le faible coût d’appropriation de cette œuvre.
Les pouvoirs de consécration de Nulle Part Ailleurs
49Si, comme on vient de le voir, Truismes recèle en vérité plus d’adéquation aux formes littéraires préétablies que la réputation de son éditeur pouvait le laisser penser, le pouvoir de NPA consistant à transformer un produit artistique voué à une diffusion restreinte en produit de grande diffusion apparaît finalement moins important ou d’une autre nature.
50Pour vérifier ce point, il suffit de comparer les discours tenus par les animateurs de cette émission à propos de Marie Darrieussecq et de Stéphane Zagdanski. A première vue les positions de ces deux auteurs semblaient proches : dotés d’un fort capital culturel, jeunes, reconnus par la revue Les Inrockuptibles comme des talents de la jeune génération des écrivains français, édités par une maison ou une collection d’avant-garde, « parrainés » par des personnalités dotées d’un capital symbolique avant-gardiste (POL, Ph. Sollers).
51Pourtant, l’invitation de S. Zagdanski à NPA (comme invité secondaire) était loin de se dérouler sur le modèle de celle de Marie Darrieussecq. L’étrangeté du personnage, sa singularité étaient accentuées au cours de son passage, alors que l’auteur de Truismes était plutôt banalisée (en dehors de son capital culturel) par ses propriétés de jeune femme provinciale, simple, ayant de l’humour et aimant le rock. Au contraire Zagdanski apparaîssait de plus en plus singulier, relativement véhément (l’invitée principale, Christine Marneffe, parlera de sa colère), multipliant des références ésotériques ou du moins peu familières à une grande partie du public (Démocrite, les présocratiques, Nietzsche, Heidegger, Céline, Proust, Debord, Lolita). Ph. Gildas, dont la gentillesse et la complaisance à l’égard des personnes qu’il interrogeait est connue (et à ce titre faisait l’objet de l’ironie des Guignols), soulignera lui-même le caractère exceptionnel de son aveu de ne pas avoir aimé ce livre, de l’avoir trouvé « chiant ».
52Il apparaît donc que la personnalité et l’œuvre de Stéphane Zagdanski ne répondaient pas aux attentes de l’émission qui en conséquence le traitait avec une certaine violence. Façon de lui reprocher de ne pas jouer le jeu, moins d’ailleurs celui de l’émission (car finalement sa prestation avait un caractère relativement spectaculaire), que celui de la séduction du lectorat potentiel qu’était, entre autres, le public de NPA.
53On peut en outre se demander dans quelle mesure le personnage de S. Zagdanski, à propos duquel Gildas se plaît à rappeler avec insistance sans cependant véritablement en offrir la raison, que ses auteurs favoris sont Céline et Heidegger, n’était pas implicitement positionné comme le parangon du jeune auteur que son identité culturelle et son esprit de sérieux rendaient imperméable à la culture « jeune » et aux industries culturelles (à l’inverse de Darrieussecq et des jeunes auteurs invités à NPA).
54Dès lors, le pouvoir de NPA paraissait moins celui d’offrir un passage entre le sous-champ de production restreinte et celui de la grande production, que d’anticiper suffisamment tôt sur des réussites commerciales à venir et, ainsi, à être considérée comme un lieu de découverte pour le champ de la grande production. Il faut en effet rappeler que lors du passage de Marie Darrieussecq, le 11 septembre 1996, même si l’invitation des responsables de l’émission avait été faite antérieurement, la réputation de son livre (disputé par différentes maisons, racheté par plusieurs éditeurs étrangers) était déjà acquise. La compétence des responsables de NPA devait, de plus, leur permettre d’identifier les références avant-gardistes externes de Truismes et l’accessibilité interne (du contenu) de ce livre. Bénéficiant très tôt d’une consécration littéraire (critiques, éditeurs) et des signes d’une consécration commerciale, le livre de Marie Darrieussecq s’imposait aux différents médias culturels qu’ils soient proches de l’un ou de l’autre des pôles du champ littéraire : « C’est l’événement de la rentrée littéraire et aussi, une fois n’est pas coutume, le livre préféré des libraires. Truismes, de Marie Darrieussecq (POL), un premier roman devenu en quinze jours best-seller, a séduit un très grand nombre d’entre eux par son ton nouveau et décapant (...). Truismes réussit la double performance d’être à la fois un succès littéraire, unanimement salué par la critique, et un succès commercial [54]. » Face aux perspectives de réussite économique qui se dessinaient et à la position flatteuse que semblait devoir occuper Truismes dans le champ littéraire, les critiques ne pouvaient que difficilement adopter une attitude d’indifférence et les qualités formelles du livre, l’habileté de l’auteur à personnaliser un thème classique, les potentialités de glose et de jeux de mots sur le cochon ont fait le reste. Ce que M. Darrieussecq définit assez bien comme un effet « boule de neige [55] ».
Conclusion : « On lui en a fait vendre du papier, à la Marie ! » ou le retour à l’envoyeur
55NPA disposait d’un capital symbolique moins capable, à la différence de celui d’un critique éminent, d’assurer une consécration purement littéraire, qu’en mesure de faire croire au succès commercial imminent d’inconnus ou de quasi-inconnus. Il s’agissait donc d’une réputation de découvreur construite à partir d’une aptitude réelle à jouer sur les deux tableaux, c’est-à-dire à choisir des productions artistiques qui ont l’apparence de l’indifférence à la reconnaissance par le plus grand nombre tout en ayant la capacité de l’obtenir à court terme. Utilisant pour cela de nombreux réseaux dans les milieux artistiques et journalistiques ou jouant parfois sur les produits d’importation dont la réputation acquise ou grandissante à l’étranger permettait de s’assurer d’un succès futur en France, l’émission et la chaîne qui la diffusent parvinrent ainsi à s’opposer à leurs concurrents, tablant sur des produits répondant manifestement à une demande (TF1) ou au contraire exclusivement dotés d’une reconnaissance culturelle (Arte). L’existence de nombreux ratés dans cette stratégie (l’élargissement de l’audience pour un artiste invité ne se produisant pas) était compensée par quelques réussites qui, comme dans le cas de Marie Darrieussecq, suffisaient à établir la réputation de l’émission et expliquaient pour partie sa rediffusion.
56Apparemment attentive au sous-champ de production restreinte, la stratégie de NPA consistait plus exactement à considérer qu’il y a un continuum entre les artistes de ce sous-champ et celui de la grande production. En quelque sorte tout artiste aurait vocation à être reconnu par le grand public et l’émission revendiquait la capacité d’accélérer cette reconnaissance. L’épisode Zagdanski montre cependant que les responsables de NPA toléraient mal qu’un livre ne soit pas distrayant, qu’il puisse comprendre des passages ennuyeux et donc qu’il ne soit pas ajusté à ce que pouvait tolérer un lecteur « ordinaire ». Ainsi, l’implicite du discours culturel et littéraire de NPA niait purement et simplement la possibilité d’un projet artistique exclusivement orienté vers la reconnaissance par les pairs. Loin de soutenir le champ de production restreinte, elle en combattait en fait la logique, objectivement confortée sur ce point par la dimension économique de toute activité culturelle (édition, production cinématographique, musicale, chorégraphique ou dramatique).
57En définitive, il semble que et contrairement à ce qu’affirmait Laurent Baffie – « on lui en a fait vendre du papier, à la Marie ! » –, le profit escompté par la médiatisation de Truismes soit à porter autant au bénéfice de l’émission qu’au compte de l’auteur et de son éditeur. On assisterait donc ici à la consécration du consacreur par le consacré. Quant à Marie Darrieussecq, son passage à NPA fut un moment d’équilibre où elle conjuguait une consécration à la fois littéraire, médiatique et économique. Quelques années plus tard, au moment de la publication de son second roman, Les Inrockuptibles considéreront qu’il était « bien meilleur » que le premier, « moins potache [56] ». Son succès commercial et sa réputation médiatique ayant fait leurs œuvres, la représentation de Marie Darrieussecq s’en trouvait elle-même modifiée : d’écrivain destinée à la notoriété littéraire, elle devenait une figure hybride caractéristique de la montée de l’économie médiatico-publicitaire (« profonde mais populaire ; thésarde mais en délicatesse avec l’Université comme tout écrivain doit l’être [57] »). Plus tard encore, NPA disparaîtra et avec elle un pan essentiel de la stratégie de consécration de Canal Plus. Ainsi, si Marie Darrieussecq n’a pas totalement perdu depuis lors la réputation qui lui avait été conférée par son premier roman et les suivants, par son éditeur et par son bagage intellectuel, la consécration que lui accorda NPA était non seulement partielle (faut-il le rappeler, l’ensemble de la presse ne l’a pas soutenue ; les médias, pas plus que les « pairs », situés aux deux extrêmités du processus de consécration, n’ont jamais constitué des ensembles homogènes), mais aussi fragile.
RÉFÉRENCES
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- BOURDIEU P. (2001), Contre-feux 2, Liber/Raisons d’Agir.
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- DONNAT O. (1994), Les Français face à la culture, Paris, La Découverte.
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- DONNAT O. (1999), « La stratification sociale des pratiques culturelles et son évolution 1973-1997 », Revue française de sociologie, XL-1.
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- SIMONOT B. (1991), « Prix Goncourt : une liberté surveillée ».
Date de mise en ligne : 01/01/2007
Notes
-
[1]
NEL, 1988, p. 52.
-
[2]
GOETSCHEL, LOYER, 1995, p. 165.
-
[3]
Atteignant parfois plus de 4,4 millions de téléspectateurs. Voir NEL, 1988.
-
[4]
DONNAT, 1998, p. 311.
-
[5]
Ibid., p. 312.
-
[6]
Les Inrockuptibles, n° 346,10-16 juillet 2002, p. 26.
-
[7]
Idem.
-
[8]
Antoine de Caunes a quitté NPA en 1995. L’émission a disparu à la rentrée 2001. Pour une histoire de la chaîne, voir MUSSO, 2002, p. 115-121.
-
[9]
NEL, p. 174.
-
[10]
HENNION, 1989, p. 41-53.
-
[11]
Des enquêtes en ce sens pourraient être menées sur la Fnac. Il y a quelques années, cette entreprise disposait à la fois d’un directeur de l’action culturelle, Jean Carabalona (ex-chef de bureau jazz et variétés de la direction de la musique et de la danse du ministère de la Culture) et de politiques revendiquées en ce domaine (comme la lutte contre l’illettrisme, voir Contact, octobre 1996, p. 3).
-
[12]
DONNAT, 1994, p. 368 ; voir également DONNAT, 1999, p. 111-119.
-
[13]
Idem.
-
[14]
Ibid.
-
[15]
Ibid., p. 141.
-
[16]
Ibid., p. 143.
-
[17]
DONNAT, 1994, p. 148.
-
[18]
BOURDIEU, 1992, p. 202.
-
[19]
Idem, p. 203.
-
[20]
BOURDIEU, 2001, p. 82.
-
[21]
A ce sujet, interrogé pour savoir si « l’image très avant-gardiste qu’a encore POL » l’irrite, Paul Otchakovsky-Laurens répond : « Non, puisque je publie des textes qui font preuve de vraie novation et que c’est l’étiquette qu’on accole à ce genre de démarche. Mais je trouve que la maison dépasse infiniment cette image : sa ligne est plus diverse. Et puis avec les gros succès de Marie Darrieussecq, Camille Laurens, Martin Winckler ou Emmanuel Carrère, cette image s’est un peu tempérée. » Nelly Kaprièlian, Les Inrockuptibles, 10-16 juillet 2002, p. 27.
-
[22]
Comme nous le verrons ensuite, ces données identitaires, qui nous permettent de classer a priori Marie Darrieussecq parmi les auteurs du champ de production restreinte, ne rendent pas compte de toute son identité littéraire. Elle comprend aussi des éléments qui lui ont permis d’être invitée dans cette émission, d’y réussir et de vendre un nombre important d’exemplaires de son livre. Autrement dit, symbole d’une certaine avant-garde, elle n’en rassemble pas tous les traits et son invitation à NPA n’est pas assimilable à l’improbable présence de Samuel Becket au Palmarès de la chanson de Guy Lux…
-
[23]
Entretien avec Philippe Gildas, France-Soir, 7 janvier 1992, p. 28.
-
[24]
La première gorgée de bière, L’Arpenteur, 1997.
-
[25]
La construction a priori ou a posteriori de la doxa biographique comme élément de visibilisation et de promotion de l’auteur constitue un point important des recherches à mener sur les principes de consécration culturelle. Par exemple, il est significatif que Virginie Despentes mette en avant son activité d’ex-prostituée dont on voit bien comment elle peut servir à conférer à sa littérature la qualité de « témoignage vécu », omettant par ailleurs de préciser que cette activité se limitait au Minitel rose.
-
[26]
Interrogée sur les différentes émissions de promotion littéraire et culturelle à la télévision, la directrice éditoriale des Editions de Minuit nous confie regretter – entre autres motifs – que la plupart de ces programmes mette en valeur la personnalité de l’auteur plutôt que l’œuvre (entretien avec Madame Lindon, septembre 1997). Ce propos ne peut évidemment se comprendre que si on a à l’esprit l’espace des positions occupées par les différents éditeurs dans le champ de la production littéraire et la représentation qu’eux-mêmes s’en donnent, objectivement repérable par un ensemble de définitions ou de jugements normatifs. Par exemple, selon Madame Lindon, la biographie de l’auteur est toujours en partie incluse dans son œuvre en sorte que la biographie des écrivains édités chez Minuit ne comporte à la limite « qu’une date et un lieu de naissance ». Ainsi, les émissions comme NPA ne semblent guère se prêter aux attentes d’un éditeur comme Minuit, tant l’écrivain qui ne dispose pas des capacités à se livrer au jeu risque de paraître ridicule, sans pour autant que soit totalement évacuée l’idée d’un passage à NPA (« De toute façon, nous sommes peu sollicités par la télévision »).
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[27]
Voir sur ce dernier point DONNAT, 1994. Lors de sa prestation à NPA, Philippe Delerm multiplie également les signes de cette appartenance à la culture « hybride » en revendiquant son goût « populaire » pour le football et pour les tendances les plus actuelles du rock : il commente la prestation du groupe invité ce soir là – Radiohead – en faisant savamment référence à leur usage de la pédale Fuzz.
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[28]
On s’étonnera d’autant moins, à cette époque, de la collaboration du critique de Libération, Gérard Lefort, à NPA que l’émission semblait mettre en exergue le « talent » particulièrement identifiable du journaliste à produire une critique aussi caustique que savamment référencée. En l’occurrence, le ton caractéristique de Lefort procéderait de sa capacité à juxtaposer dans un même ensemble des éléments empruntés tour à tour à la culture de grande consommation et à la culture savante. « Bref, entre Balladur et Bondartchouk, Germinal, c’est le Château des oliviers à la fête de l’Huma. » G. Lefort, « Le dernier Berri », Libération, 29 septembre 1993, p. 33.
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[29]
COLLOVALD, NEVEU, 1996, p. 90.
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[30]
Il faudrait sur ce point montrer par des enquêtes complémentaires tout le travail d’échanges, de collusions, d’observations et de concurrences entre Canal Plus, Les Inrockuptibles, La Fnac, Libération et Télérama qui constituent (ou ont la réputation de constituer) aujourd’hui un système particulièrement efficace de consécration culturelle.
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[31]
« On avait trouvé un équilibre : il arrondissait les angles et moi j’étais le perturbateur », Interview de A. de Caunes, Libération, 3-4 juin 1995, p. 34.
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[32]
« Jack Lang, à l’époque, ne concevait une nouvelle quatrième chaîne que culturelle et éducative. Une sorte de Cinquième matinée d’Arte avant l’heure. D’autres ne supportaient pas l’idée de lancer une télévision payante. » NATAF, 1997, p. 9. Dans l’émission du 1er septembre 1997, Gérard Lefort balise la structure chiasmatique de l’espace télévisuel, entre « Pour être libre » (TF1) et « La Callas » (Arte).
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[33]
DONNAT, 1994, p. 114-125. 34. Soit : intéressés à toutes les expressions de la vie culturelle, disposant de références qui vont des artistes les plus consacrés aux genres mineurs ou infraculturels, cherchant à étendre leur capital informationnel grâce à des circuits courts et multiples, volontiers contestataires.
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[34]
Soit : intéressés à toutes les expressions de la vie culturelle, disposant de références qui vont des artistes les plus consacrés aux genres mineurs ou infraculturels, cherchant à étendre leur capital informationnel grâce à des circuits courts et multiples, volontiers contestataires.
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[35]
Si on prend le cas des Guignols, on voit que le public était en majorité composé de jeunes (62 % ont moins de 35 ans), urbains (31 %), cadres (37 %) et décideurs (30 % ont atteint un niveau d’études supérieures). Chiffres cités par L’Evénement du Jeudi, semaine du 25 novembre au 1er décembre 1993.
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[36]
BOURDIEU, 1984, p. 278.
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[37]
A cet égard, il pouvait être intéressant de comparer la position de Ph. Gildas avec celle de son successeur, Guillaume Durand, en termes d’identité professionnelle : censé rompre avec l’humour potache qui signe l’ère Gildas, ce dernier avait pour mission de redresser une audience déclinante en proposant un ton nouveau. Si les deux animateurs pouvaient être opposés dans la forme, cette opposition reste très relative dès l’instant où on compare la position de ces agents intermédiaires placés en position mitoyenne entre le champ de production restreinte et le champ de grande production et qui tendent, du fait même de cette position, à brouiller les classements. Sur la construction des identités professionnelles dans le champ du journalistique et de l’animation, voir LEROUX, 1996.
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[38]
« Editeur connu pour défendre une littérature exigeante », P. Kéchichian, « De l’effet des ‘Truismes’ en littérature », Le Monde, 24 septembre 1996.
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[39]
Voir BOURDIEU, 1992, p. 205.
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[40]
KECHICHIAN, art. précité.
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[41]
Selon l’expression de Pierre Bourdieu, BOURDIEU, 1977, p. 6.
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[42]
Elle figure notamment dans l’article de P. Kéchichian du 24 septembre (le livre étant sorti le 27 août) ainsi que dans la chronique de Truismes du supplément « Rentrée littéraire » publié par la Fnac pour les mois d’octobre et novembre 1996.
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[43]
Il semble que, à partir de septembre 1997, c’est le duo Vecchi-Devoize qui se voyait attribuer les invités ou les produits culturels les plus « jeunes » et en voie de consécration (par exemple, Philippe Delerm ou Amélie Nothomb), les invités plus « installés » et déjà consacrés étant réservés à la seconde partie de l’émission et donc à Guillaume Durand.
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[44]
Il est à noter que ce succès commercial fera lui-même l’objet de l’intérêt des médias comme le montrent entre autres les deux entretiens de NPA, les articles du Monde de P. Kéchichian (art. précité) et J. Savigneau (« Une truie, des intellectuels qui s’interrogent et quelques polémiques », Le Monde, 11 janvier 1997) et l’émission de France Culture « Les feux de la rampe ». Il faut en effet lui reconnaître toutes les qualités d’une « success story » à laquelle le monde médiatique ne résiste que difficilement.
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[45]
A laquelle a contribué l’intention déclarée de Jean-Luc Godard d’adapter Truismes au cinéma. Projet auquel il a par la suite renoncé.
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[46]
A la différence de personnalités comme Umberto Eco, David Lodge, Franco Ferrucci ou Milorad Pavic, auteurs de ce que Pascale Casanova désigne comme des « romans internationaux », réalisant « le mélange impossible du succès commercial et de la légitimité culturelle et qui tous professeurs de littérature, poursuivent des carrières internationales en Europe et aux Etats-Unis ; sont connus, dans leur milieu professionnel, pour leurs travaux critiques et surtout ont participé à la diffusion et l’application à la littérature des théories structuralistes en vogue dans les années 1960 et 1970 ». CASANOVA, 1993,12.
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[47]
Le Nouvel Observateur, septembre 1996.
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[48]
La carrière de ce livre faisant l’objet d’une étude spécifique par P. Bourdieu, voir BOURDIEU, 1992.
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[49]
Pour reprendre l’exemple d’un autre invité de NPA, Philippe Delerm, si l’accessibilité de son ouvrage est garantie par le sujet même du roman – universaliser sur un mode proustien les affects de l’auteur –, son caractère novateur est produit par l’affirmation d’une famille littéraire émergente, celle « des nouveaux intimistes ».
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[50]
SIMONOT, 1991, p. 21.
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[51]
CASANOVA, 1993, p. 12.
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[52]
P. Kéchichian note toutefois que si M. Darrieussecq s’inscrit dans une tradition « (les écrivains furent nombreux à faire parler, penser et agir les animaux à la place des humains), c’est d’une manière toute personnelle, résolument extrémiste » : « La bête humaine », Le Monde, 6 septembre 1996.
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[53]
Evoquant un entretien avec Jérôme Lindon, antérieur à l’écriture de Truismes, Marie Darrieussecq a déclaré : « Il m’a dit aussi quelque chose qui m’a beaucoup marquée : ‘On écrit Finnegans Wake à la fin de sa vie.’ Parce qu’évidemment, au début, je voulais faire de grandes expériences littéraires ! Ce qu’il m’a dit m’a donné beaucoup d’humilité, je suis revenue à des histoires, avec des personnages, un début, un milieu et une fin... ça changera sans doute, mais pour l’instant j’en suis là, j’apprends le métier. » Entretien avec Sylvain Bourmeau et Marc Weitzmann, Les Inrockuptibles, n° 69,4-10 septembre 1996, p. 23.
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[54]
Livres Hebdo, n° 217,20 septembre 1990, p. 45-47. Sur un total de 489 nouveaux romans, Truismes figure en tête d’un classement établi à partir d’un échantillon de 30 libraires entre le 12 et le 17 septembre 1996. Il est significatif que les libraires – dans un marché particulièrement soumis à la distribution bipolaire des best-sellers et des produits à cycle long – justifient la consécration quasi unanime qu’ils apportent à Truismes en le décrivant comme un ouvrage capable de concilier succès populaire et exigence littéraire.
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[55]
Un effet identique est avancé par Philippe Delerm sur le plateau de NPA pour expliquer le succès commercial de La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, qui a été publié « chez Gallimard dans une collection assez confidentielle, L’Arpenteur, tiré à 2 000 exemplaires au départ, puis assez vite, y’a eu un bouche à oreille, enfin j’crois que ça fonctionne pas mal comme ça dans le milieu. Le bouche à oreille évidemment il a été relayé par des choses importantes, il y a eu un article dans Télérama de Martine Laval de deux pages qui a beaucoup aidé et puis il y a eu l’émission de Bernard Pivot bien sûr qui a été très importante et puis le bouche à oreille a pris de l’ampleur et notamment au moment de l’été où tout d’un coup il est apparu en tête des listes des ventes ». L’étude des discours produits par les auteurs et des tentatives d’explication apportées à leur propre succès permettrait d’étudier l’intériorisation des règles et des contraintes liées aux conditions même de l’exercice médiatique, en l’occurrence des différentes formes d’ajustement aux émissions télévisées.
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[56]
Marc Weitzmann, « Sup Normal », Les Inrockuptibles, 18-24 février 1998, p. 16.
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[57]
Idem.