Notes
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[1]
Notre choix d’interroger les foyers ayant changé de département a été conditionné par la problématique de la transformation de tissu relationnel consécutif à un mouvement de grande ampleur qui est la nôtre. Cela favorise des situations de mobilité liée à la vie professionnelle où la distance de migration est en moyenne plus élevée que dans le cas de mobilité pour des raisons familiales ou résidentielles (voir BACCAINI, 1992). La période de déménagement choisie, i.e. les vacances d’été, augmente aussi la probabilité de déménagement des familles avec les enfants (43 % dans notre échantillon contre 21 % des couples sans enfant et 36 % personnes seules).
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[2]
Cette méthodologie particulière est décrite et discutée dans LICOPPE, SMOREDA, 2000.
-
[3]
DESJEUX, MONJARET et TAPONIER, 1998, soulignent eux aussi la longue durée de processus d’installation sociale après le déménagement.
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[4]
HERAN, 1987.
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[5]
Il s’agit essentiellement de catégories assujetties à l’obligation de mobilité pour l’évolution de leur carrière, notamment des fonctionnaires (gendarmes, enseignants…) et, dans une moindre proportion, de jeunes informaticiens. Pour le reste, le milieu professionnel fournit peu de ressources de sociabilité à l’usage des ménages constitués (peut-être davantage pour les individus seuls), ni en guise de reliquat d’attaches passées ni comme recours d’intégration dans la région d’accueil, en tout cas moins que le voisinage ou l’école qui constituent le principal vecteur de socialisation pour les femmes dans un contexte de « pénurie » ambiante. Dans notre cas de la mobilité majoritairement professionnelle de l’homme, les femmes qui sont souvent dans le rôle de suiveur, connaissent quelques problèmes pour retrouver l’emploi dans le nouveau lieu de résidence (voir aussi COURGEAU, MERON, 1995).
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[6]
Les enquêtes statistiques nationales donnent à ce sujet un chiffre plus élevé, d’environ 6 à 7 amis par personne (PAN KE SHON, 1998), la réponse à cette question posée dans notre questionnaire aboutit à une moyenne légèrement plus basse (5,75), mais toujours plus élevée que celle évoquée pendant l’entretien quand les personnes sont amenées de parler des relations amicales après un récent déménagement. Il semble qu’un centrage sur des relations ayant survécu la mobilité opère une sélection encore plus radicale dans la situation d’entretien.
-
[7]
Voir BIDART, 1997.
-
[8]
Voir GRIBAUDI, 1995, sur les coupures relationnelles qu’on observe parfois chez les ingénieurs en forte mobilité sociale par rapport aux amis d’enfance qui les lient au passé, vécu comme peu valorisant.
-
[9]
Nous avons pu dans cette recherche reconstituer le trafic téléphonique des ménages avant (i.e. celui émis de l’ancienne résidence) et le suivre après le déménagement dans le nouveau lieu. Comme le déménagement analysé concerne les déplacements de plus de 100 km, en comparant les appels locaux et nationaux (plus de 50 km de distance), nous pouvons mesurer les transformations dans la structure des appels en relation avec la mobilité géographique.
-
[10]
Voir LICOPPE, SMOREDA, 2000.
-
[11]
Comme le remarquent CRENNER, DECHAUX et HERPIN, 2000, les liens avec la fratrie à l’âge adulte deviennent secondaires par rapport au lien direct et fortement normé avec les parents, cela contribue en partie à ce rôle central des parents dans le système de communication familiale.
-
[12]
Voir aussi LICOPPE, 2002, pour une analyse des différents modes de communication interpersonnelle et leur fonction dans le maintien de lien à distance.
-
[13]
TARRIUS, 1992, l’a également observé auprès d’expatriés – à Londres, Bruxelles et Paris – qui rejoignent leur ménage lors des congés, sur des lieux autres que le domicile conjugal.
1Changer de domicile, de ville et de région, quelle qu’en soit la raison, est d’abord une séparation. Car la mobilité résidentielle a pour conséquence directe d’éloigner l’individu ou le ménage qui se déplace de ceux auxquels le liait jusqu’alors une proximité à la fois affective et concrète. Cet éloignement peut se traduire :
- par un isolement social dans le nouveau lieu de résidence (souvent accompagné, pour les familles, par un recentrement autour du noyau familial) ;
- par la reconstitution d’une sociabilité locale à partir des ressources du nouveau milieu ; par une transformation des pratiques constitutives de la sociabilité préexistante, en l’occurrence, par la modification de leur distribution entre rencontres concrètes et télécommunications.
2La recherche que nous avons menée de 1998 à 2000 avait pour principal objet d’analyser le rôle spécifique des moyens techniques d’échanges à distance dans la sociabilité de ménages venant de connaître une mobilité géographique importante. Il nous fallait pour cela prendre en compte à la fois la mobilité – son importance, sa nature, ses raisons, ses conditions concrètes – la sociabilité actuelle et passée, en termes à la fois de comportements et de représentations, et les pratiques de télécommunication dans leurs fonctions, leurs routines et leur récente évolution, l’ambition de la recherche étant de saisir l’articulation entre ces trois éléments.
L’échantillon de la recherche était composé des 368 ménages ayant migré en changeant de département [1] vers les régions de Paris (34 %), Rennes (14 %)
ou Toulouse (52 %) entre juin et septembre 1998. Les ménages interrogés ont répondu à un questionnaire foyer et chaque personne adulte du ménage à un questionnaire individu. Les questionnaires contenaient des questions sur la composition et les caractéristiques sociodémographiques du ménage, les équipements du foyer, la composition et localisation de leurs réseaux familiaux, sur les contacts dans le lieu d’ancienne résidence et dans le lieu d’arrivée. La facture détaillée du téléphone filaire aux deux domiciles a été récupérée et analysée avec les participants pendant une visite particulière où les correspondants téléphoniques étaient qualifiés par le lien avec l’interlocuteur et par leur type [2].
Un sous-échantillon diversifié de 38 foyers a été choisi pour une série d’entretiens réalisés 6 mois après le déménagement (15 à Rennes, 13 à Toulouse et 10 à Paris). 20 de ces foyers ont été revisités 6 mois plus tard pour une deuxième vague d’entretiens. Mais les résultats de cette seconde vague n’ont pas été utilisés pour le présent article.
4Le présent article n’a pas pour objet de résumer ce travail mais d’en reprendre et développer certaines pistes et conclusions. La mobilité n’y est pas considérée en soi, mais plutôt appréhendée comme une variable externe, voire, quand il s’agit de la première mobilité importante du ménage, comme une sorte de dispositif expérimental permettant d’observer ce que devient le lien social quand on l’extrait de la chair du local. Comment cela se passe-t-il lorsqu’on est brusquement éloigné d’une grande partie de ceux – famille, amis ou du moins relations amicales – qui nourrissaient les pratiques sociales ordinaires, faites d’un entrelacs de rencontres concrètes et de « télésociabilité » ? Quant à l’usage des divers modes de télécommunication, il sera ici resitué parmi les autres moyens de garder le contact (courrier, retours périodiques sur les lieux de la résidence précédente...) et surtout étudié dans ses changements induits par l’éloignement. En d’autres termes, il s’agit moins ici d’une réflexion sur la mobilité résidentielle, ses déterminants, ses conditions, les populations et tranches d’âge les plus spécifiquement concernées, que de l’analyse, à l’occasion de cette situation particulière où, brusquement, on est sinon coupé, du moins éloigné de ses « proches », de la transformation de la sociabilité et du rôle spécifique qu’y jouent les télécommunications.
5Enfin, l’évolution de la sociabilité liée à la mobilité sera ici davantage abordée sous l’angle du maintien et de l’éventuelle transformation de la sociabilité préexistante que sous celui de l’inscription sociale dans un nouveau contexte local. Cette dernière option s’explique par trois raisons. D’une part, l’enquête ayant été faite au cours des premiers mois de l’emménagement, cela ne laissait que peu de temps aux ménages migrants, par ailleurs souvent préoccupés par des considérations concrètes d’installation et d’adaptation à un nouvel environnement de travail, pour se constituer un nouveau réseau de sociabilité local – si tant est qu’ils en aient eu le désir [3]. Ensuite, le cadre de l’enquête nous ayant conduits à privilégier les pratiques de sociabilité repérables, au moins partiellement, sous forme de télécommunication, l’enquête nous a confirmé que rares sont les relations sociales qui soient initiées par des contacts médiatisés. Dans la grande majorité des cas, les télécommunications ne viennent qu’ensuite, consolidant, coordonnant, redoublant, voire maintenant une relation née dans la coprésence. Enfin et surtout – ce que nous a très globalement confirmé l’enquête – les acquis de la sociabilité tendent à la permanence dès qu’on a dépassé l’âge des études supérieures, faisant ainsi passer au second plan la dynamique du renouvellement des relations : au moment de leur mobilité, les personnes de notre échantillon, constitué d’individus ou de ménages « adultes » ayant déjà vécu la décohabitation d’avec les parents et, au moins, le début d’un parcours professionnel, le système de relations profondes et durables formant le « noyau dur » de la sociabilité est déjà largement constitué. Ce dernier point apparaît même de façon suffisamment patente pour nourrir une première partie en forme de préambule – peut-être même une conclusion.
REPERES ET LIENS A PRESERVER : LE NOYAU DUR DE LA SOCIABILITE
6L’objet même de la recherche nous a conduits à privilégier, dans l’analyse de la sociabilité des individus et des ménages, celle des liens forts : famille proche, amis ou, pour le moins « relations amicales ». Ce sont en effet ceux dont on est en droit de s’attendre à ce qu’ils survivent à une mobilité conséquente – et viennent ainsi nourrir des échanges à distance.
7Bien sûr, les relations fonctionnelles ou de voisinage que certains vont nouer en arrivant dans leur nouveau lieu de résidence auront un rôle à jouer pour permettre leur inscription dans la sociabilité locale [4]. Mais ces relations, au développement desquelles la durée de la recherche n’a laissé que peu de temps, ne sont de toute façon pas celles auxquelles nous avons choisi de nous intéresser ici. Bien que nous les ayons effectivement repérées grâce au protocole d’enquête consistant à revisiter les ménages à six mois d’intervalle, afin d’identifier les changements survenus depuis la nouvelle installation, ces relations de proximité naissantes ne semblent pas nécessairement vouées à se transformer en des liens plus consistants ni à se traduire sous forme de télécommunications.
8Les liens forts – ici dans le sens de profonds et/ou durables – concernent essentiellement la famille et les amis de longue date. Accessoirement, peuvent s’y adjoindre les collègues et relations de travail – du moins pour ceux dont la mobilité géographique s’est effectuée dans le cadre d’une même entreprise ou administration, le milieu professionnel leur offrant un certain nombre de repères, précieux au moment du déplacement [5].
La famille comme valeur refuge
9C’est le premier repère des individus et des ménages mobiles. Certes, lorsqu’il s’agit d’un ménage avec enfants, constituant en lui-même une famille dans l’acception étroite, le besoin se fait moins sentir d’un repère familial extérieur que dans le cas d’un simple couple, a fortiori d’un individu isolé. Il ressort par ailleurs des interviews que la période de l’emménagement – généralement étendue aux six mois consécutifs au déménagement – est dominée par des préoccupations très concrètes d’adaptation et d’organisation, ce qui ne laisse guère le loisir de se préoccuper de la vie sociale. Les questions d’installation dans le nouveau logement et son environnement font de cette période un moment de « recentrage » des familles autour du foyer. Les contacts pris localement le sont essentiellement à travers les enfants et leurs problèmes de scolarisation et d’activités diverses. Mais, même dans le cas d’un ménage avec enfants, les membres de la famille de chacun des parents, ascendants directs, frères et sœurs, etc. sont généralement la première référence – à la fois lien constitutif d’identité et repère par rapport auquel on mesure le changement dû à la mobilité.
10Cette position privilégiée des liens familiaux au sein de ceux qu’il convient de préserver en cas de mobilité, tel un ancrage « historique » qui permet de mieux vivre la dérive spatiale, est d’autant moins surprenante que la mobilité des ménages que nous avons rencontrés relève très majoritairement d’un parcours socioprofessionnel classique et non d’un goût de l’aventure ou de la marge. Elle prend diverses formes selon qu’il s’agit de personnes jeunes, autonomes depuis peu d’années – la référence est alors avant tout la cellule familiale d’origine – ou de ménages depuis plus longtemps établis dans leur vie adulte – la référence est plus large et cumule alors le plus souvent les familles des deux membres du couple dans une relation qui tend à s’indifférencier.
11Le problème posé par le maintien des liens avec la – ou les – famille(s) d’origine n’apparaît pas pour autant particulièrement ardu. Les solutions en ont été rodées depuis la décohabitation initiale – lorsqu’à des rapports quotidiens, naturels, informels qui caractérisaient le partage d’un même logement s’est substitué un système plus volontaire où la routine d’appels téléphoniques réguliers prenait déjà une grande place avant même toute migration conséquente. Et, autant que le changement de mode de communication (de la coprésence à la relation à distance, médiatisée), c’est ce changement de régime – de la naturalité d’une relation lorsqu’elle est portée par un lieu ou un milieu de proximité, au volontarisme qu’implique son maintien quand ce n’est plus le cas – qui marque une rupture. Et l’on sait, par ailleurs, que, par leur nature même, les relations avec la famille sont marquées de cette contradiction : le mouvement même de la vie conduit à s’en éloigner tout en sachant qu’en dehors même de toute volonté, on lui restera lié.
L’amitié à l’épreuve de la mobilité
12Pour la très grande majorité des personnes interviewées, l’amitié n’est pas un terme galvaudé – ce que confirment d’ailleurs les données chiffrées. Les amis sont rares et chers. Cette définition exigeante de l’amitié est vraisemblablement rendue plus restrictive encore par la mobilité, qui donne l’occasion de faire le tri (ce tri n’est d’ailleurs pas unilatéral – l’amitié doit être choisie et entretenue des deux côtés) :
Je pense que c’est en déménageant que là on voit également quels sont vos vrais amis, c’est en déménageant, c’est pas en restant dans la même ville...
parce que c’est là où on se rend compte que entre les gens qui éventuellement vont vous appeler, même si vous avez oublié vous de les appeler, qui vont vous appeler, donc s’ils vous appellent c’est que quelque part bon... ils ont envie de garder le contact quoi ! (Christine, assistante administrative, Région Parisienne, 30 ans)
14Rares ? Dans la majorité des cas, on compte ses (vrais) amis sur les doigts d’une main. La moyenne semble s’établir entre 3 et 5 par personne [6]. La valorisation de la relation d’amitié est encore plus patente chez les femmes que chez les hommes qui, dans leur discours, séparent parfois moins nettement les amis des « copains ».
Mon mari a beaucoup d’amis, mais moi les amis c’est très... c’est quelqu’un à qui on peut tout dire, on peut... alors y’en a, mais bon pas beaucoup ...//...
Donc c’est pour ça des amis on n’en a pas beaucoup. (Annick, institutrice, environs Rennes, 43 ans)
16Le discours spontané (la définition de l’amitié n’était pas l’objet direct de l’enquête) des interviewés fait assez nettement ressortir deux pôles – non contradictoires mais cependant non systématiquement liés – qui renvoient à deux types d’attentes différenciés : la confiance [« des gens sur qui on peut compter »] et la confidence [« des gens à qui on peut tout dire »]. Cependant, le registre de la confidence le dispute à la confiance chez les femmes tandis que les hommes mentionnent surtout celui de la confiance [7]. Mais, que soit mis en avant un pôle ou l’autre, le critère dominant et plutôt paradoxal – dans la mesure où il peut apparaître davantage comme une résultante – de l’amitié est souvent sa durée.
Des amis ? je sais pas. C’est pas facile, faut avoir un passé avec un ami…/…
J’aimerais bien, hein, me faire des amis, mais je sais pas si c’est possible, parce qu’il faut quand même des années derrière soi, pour avoir des choses en commun, des... je sais pas. (Corinne, aide à domicile, Région Parisienne, 47 ans)
C’est des amis à vie enfin... c’est pas... des amis de passage, enfin ça fait très longtemps qu’on se connaît... (Odile, ancienne institutrice, sans emploi, mari pilote de l’Armée de l’Air, Toulouse, 41 ans)
18Ainsi l’historicité des relations amicales tient à une durée qui joue le rôle de validation du lien, qui en constitue en quelque sorte la qualité majeure plutôt que les dispositions intrinsèques des personnalités impliquées dans la relation. Que ce soit sur le mode de la confiance
des gens « qui donneront leur chemise », « sur qui on peut compter en cas de coup dur », « n’importe quand »
20ou celui de la confidence
« quelqu’un à qui on peut tout dire », « on se cache rien », « des choses assez intimes... qu’on a pas envie de dire à tout le monde », « quelqu’un qui ait une écoute »,
22il est rarement sinon jamais question des « qualités » et de l’identité de la personne élue pour ami, à l’instar de ces vieux couples dont chaque conjoint ne sait plus ce qui a pu lui plaire chez l’autre au moment de la rencontre.
23La rupture, du fait de la mobilité, avec l’ancien lieu de vie et la sociabilité qui lui était attachée amène à distinguer de façon relativement nette les amis – avec lesquels il importe de préserver le lien – des copains (« des gens si on perd contact, on perd contact. Mais bon ! »). Aux critères subjectifs de cette distinction, qui implique pour les « copains » une relation moins profonde, et, de ce fait, moins durable, s’ajoutent deux éléments plus objectifs : d’une part, les copains semblent, plus que les amis, indissociables du contexte de leur fréquentation, lieu ou activité, plus largement « l’occasion (qui) fait le larron » ; d’autre part, de façon liée, la relation aux copains est très souvent une relation à un groupe, alors que l’amitié se décline sur un mode plus individuel (à l’extrême, un ami sera « extrait » d’une bande de copains).
24D’autant moins dissociables du contexte s’ils sont un groupe – moins mobile par définition qu’un individu – les copains, à la différence des amis, seront donc souvent sacrifiés à la mobilité.
Y a quelques personnes qu’on avait l’occasion de voir... peut-être je dirais, le cercle, le premier noyau d’amis oui, il reste identique on continue toujours à se voir, bon y a des gens... par exemple moi je faisais pas mal de sport, je faisais un sport collectif, donc y a des gens qu’on côtoyait mais qui… bon c’est par manque de temps aussi et puis bon ben l’occasion fait le larron, quand on se voyait, bon ben on prenait plaisir à se voir et puis bon on a chacun notre vie respective et puis bon on s’adapte quoi. (Bernard, cadre du privé, Région Parisienne, 32 ans)
26Qu’il s’agisse d’amis ou de copains, une des caractéristiques les plus remarquables de ceux avec lesquels on voudrait maintenir la relation, réside dans le fait que, dans la très grande majorité des cas, on les a connus tôt, entre l’enfance et l’entrée dans la vie adulte. En dehors de la famille, rares semblent donc les liens forts qui passent la frontière entre générations ; et rares les amitiés récentes, une fois qu’on est entré dans le sérieux de la vie. Amis d’enfance, d’école, de lycée, d’études ou au plus rencontrés au tout début de la vie professionnelle, forment une sorte de noyau historique de la sociabilité. Cette dimension historique est la garante de sa survie aux différentes mobilités des uns et des autres – et paraît très vite limiter la possibilité de transformer des rencontres ultérieures en relations aussi durables et profondes.
27Cet ancrage historique de l’amitié tend à constituer l’ensemble des amis en une sorte de seconde famille – à la différence quelquefois soulignée qu’il s’agit là d’une famille choisie. Elle présente le même ancrage et la même durabilité. Cette « familiarisation » de l’amitié, garante de sa survie à la mobilité, se lit explicitement dans la façon dont les uns et les autres parlent de leurs amis les plus proches (« c’est ma vraie famille », « c’est presque un frère », « c’est vraiment comme des parents », « avec cette amie, j’ai vraiment des relations de sœur »). Elle confine à une quasi-domestication ou naturalisation des relations sociales électives et construites, au vu des discours et des représentations qui opèrent l’amalgame, voire la (con)fusion des genres en assimilant les amis à la fratrie le plus souvent, et même parfois aux parents.
28Dans certains cas, le lien amis/famille sera même concrétisé par un parrainage, voire par des parrainages croisés :
Déjà mon mari est parrain d’un enfant, ça permet de maintenir un lien plus longtemps ...//... ça fait un peu des certificats de lien (Odile, ancienne institutrice, sans emploi, mari pilote militaire, Toulouse, 41 ans)
30A l’exception des cas de parrainage, ces caractères s’appliquent essentiellement aux amitiés individuelles, c’est-à-dire à celles de ceux qui vivent seuls et aux amitiés personnelles de chacun des membres d’un couple. Les « amitiés de couples », qui ont d’ailleurs très souvent pour objets d’autres couples, sont nécessairement d’une nature différente de celles qui lient deux individus – elles peuvent même sembler problématiques lorsque les épouses des amis hommes sont fermement invitées à devenir proches. Mais elles n’échappent pas pour autant à la contrainte de génération ni à la nécessité d’un ancrage historique. Mais il s’agit, en quelque sorte, d’une seconde historicité qui vient s’ajouter à l’historicité individuelle première, voire la masquer – dans le cas où les amitiés personnelles sont plus ou moins sacrifiées au profit des amitiés du couple. Cette deuxième historicité est celle des origines du couple.
Au niveau des amis, on a beaucoup d’amis là dont la femme est enceinte.
Donc ça se joue à quelques mois. Donc je pense qu’on aura des activités communes... // ... en fait les amis que l’on a, ils ont à peu près le même âge que nous, donc ils sont mariés depuis un certain temps, ils commencent à avoir tous des enfants, c’est à peu près la même tranche d’âge. Donc autour de nous, ben effectivement ça fleurit. (Marc, officier de l’Armée de l’Air, Environs Toulouse, 35 ans)
32Certes, l’historicité de la relation n’est pas à elle seule totalement garante de sa durabilité. Pour qu’une relation « historique » survive à la mobilité – et, plus largement, au temps, il faut aussi que les trajectoires personnelles – en termes de choix de vie, de valeurs et d’aspirations, n’aient pas trop éloigné ceux qu’un passé commun liait. Cette prise en considération de variables actuelles de proximité – modes de vie, intérêts... – semble parfois traduire, chez certains, le glissement d’une sociabilité « historique », à forte dimension affective, vers une sociabilité plus « adulte » et plus rationnelle [8]. Cette sociabilité se caractérise par l’idée de « construction » qui apparaît souvent dans le discours – comme on construit une relation de couple ou une famille – sans pour autant signifier l’agrément d’être ensemble qui est au fondement de la convivialité communautaire, mais plutôt des expériences parallèles, des cycles biographiques simultanés : « on a eu nos enfants ensemble » , « on aura peut être nos gosses qui seront dans la même école », « avec qui on construit quelque chose de solide »… De ce fait, la mise en ménage et l’arrivée d’enfants semble mettre à distance les « anciens » qui n’ont pas suivi ce chemin de reproduction.
Vous rencontrez des gens à un moment de votre vie et après avec le temps, parce que... lui il est célibataire et vous vous installez…//… C’est une vie qu’on ne partage plus quoi ! Alors que quand vous êtes proche, vous voyez plusieurs fois, on partage plus de choses, on est au courant de ce qui se passe dans la région. On prend des nouvelles par téléphone. (Robert, VRP, environs Rennes, 37 ans)
« La vie fait que avec trois enfants des petits enfants, etc., les relations s’étaient un petit peu distendues. (Bernadette, sans emploi, mari ingénieur, Toulouse, 60 ans)
Y’a des gens que je connais depuis très longtemps puis on a évolué différemment, c’est pas resté des amis parce que... enfin, c’est plus des anciens que des amis. (Sylvie, étudiante, Rennes, 21 ans)
La survie de la sociabilité professionnelle liée à l’ancien lieu de résidence
34La sociabilité professionnelle, a priori considérée comme contrainte, superficielle et excluant, presque par définition, confiance et confidence, est généralement tenue à distance. Indissociable de ses lieux et milieux, elle ne survit le plus souvent que peu de temps à la mobilité.
Des gens que j’ai rencontrés dans le boulot...//… je continue à avoir peu de nouvelles donc c’est pas gênant. (Brigitte, conseil en organisation, Paris, 27 ans)
Je travaille, moi ce qui m’intéresse c’est d’avoir une paye à la fin du mois c’est pas euh... le côté... social du travail, je m’en tape. (Jean, informaticien, Région Parisienne, 29 ans)
De travail ? pfff... Méfiance ! Je crois pas. Pas dans mon genre de travail je crois pas. Non, on pense trop à se marcher dessus, c’est pas possible. Trop de coups bas, je trouve…/… Après le boulot, terminé ! On se dit rien d’autre.
(Jeanne, professeur de sport, Rennes, 30 ans)
C’est pas avec ceux-là (relations pro) qu’on gardera le plus de liens, c’est plus des gens qu’on va rencontrer... enfin, on est pratiquants alors on va les rencontrer à la paroisse, c’est plus ceux-là qu’on... qui ont justement des choses à partager avec nous. (Odile, ancienne institutrice, sans emploi, mari pilote militaire, Toulouse, 41 ans)
36Néanmoins, dans un certain nombre de cas, cette sociabilité professionnelle se révèle, au contraire, précieuse au moment du déménagement : lorsqu’il s’agit d’une mobilité professionnelle dans le cadre d’une même entreprise ou administration, les collègues et relations de travail, certains étant eux-mêmes mobiles, constituent alors de nécessaires repères dans ce moment de déstabilisation. Repères par rapport au lieu que l’on a quitté – mais avec lequel on continue d’entretenir des échanges professionnels, et ainsi d’avoir des nouvelles qui atténuent la rupture avec l’ancien lieu ; repères à l’emménagement lorsque l’on connaît déjà certains de ses collègues ou partenaires professionnels (soit parce qu’ils ont connu la même mobilité, soit parce que l’activité professionnelle s’est déjà traduite par des contacts – télécommunications ou même échanges en face à face – avec eux. En d’autres termes, quand le milieu (de travail) déborde les frontières locales, il relativise les effets du changement de lieu.
37Un des cas les plus patents du rôle de cette sociabilité « amicale et professionnelle » est celui des anciens étudiants de grandes écoles retrouvant au cours de leurs mobilités des camarades de promotion : ces derniers, qu’on a connus à une période de formation et qui appartiennent à la même génération (deux caractéristiques que l’on retrouve dans le « noyau historique » des relations amicales), maintiennent les liens avec un milieu qui transcende les lieux, et peuvent aussi servir d’ambassadeurs locaux lors de l’emménagement dans un nouveau contexte.
C’est surtout par le milieu professionnel que je rencontre des gens avec qui je garde des contacts, pour le moment ça se résume à ça. C’est un cercle limité c’est pas suffisant. (Arnaud, cadre dans les assurances, Région Parisienne, 26 ans)
[avec les relations professionnelles] Les liens ne restent pas, ceux avec lesquels on est lié c’est des gens qu’étaient de la promotion de mon mari et donc ils ont étudié, ils ont été longtemps ensemble grâce à ça. (Odile, ancienne institutrice, sans emploi, mari pilote militaire, Toulouse, 41 ans)
COMMENT GARDER LES LIENS ? LES PRATIQUES DE TELECOMMUNICATION DES MENAGES MOBILES
39Cette formulation schématique du problème qui se pose aux ménages mobiles répond avant tout à un désir de clarté d’exposition. C’est dire que nous ne prêtons pas ici aux ménages la rationalité que pourrait paraître postuler la succession de ces deux questions : qui garder ? et comment ? La distinction ne peut être aussi nette entre fin (le maintien de la relation) et moyens (les divers modes de télécommunication). Car, bien évidemment, la pratique nourrit la relation, et un lien faible mais redoublé par une connexion à un même réseau technique a sans doute plus de chance de survivre à sa délocalisation qu’un lien plus consistant avec quelqu’un d’autre auquel ne relie plus aucun moyen de communication.
Le trafic téléphonique comme indicateur de l’ancrage local
40Tout d’abord en guise de cadrage quantifié à partir des données de trafic téléphonique, penchons-nous un moment sur les effets massifs du déménagement sur le trafic résidentiel. En effet, dans notre analyse nous avons très rapidement été confrontés à une différenciation de l’échantillon en deux sous-groupes, dont les représentations associées à la mobilité et, comme nous l’avons découvert par la suite, les comportements des appels téléphoniques sont distincts. L’opposition la plus visible entre ces deux catégories semble tenir à l’enracinement dans la précédente résidence qu’on mesure par la durée de séjour.
41Très schématiquement, pour des personnes qui ont séjourné moins de trois ans dans la ville de départ, on observe une forte moyenne de nombre des déménagements précédant l’épisode actuel. En revanche, le groupe qui est resté dans l’ancienne résidence plus longtemps semble être dans une mobilité différente qu’on peut décrire comme de l’installation à l’installation, tandis que les mobilités du premier groupe ressemblent davantage à une accumulation de passages. Il y a ici aussi une sociologie de professions spécifique, tant il est vrai que l’écrasante majorité des mobilités résidentielles observées dans notre étude se fait pour des raisons professionnelles. Certaines professions ou, pour la fonction publique française, les corps d’état sont soumis à une forte régularité des mutations. D’autres personnes sont assujetties aux pressions du marché du travail qui les forcent parfois à changer de région. Nous ne rentrerons pas ici dans le détail mais remarquerons simplement que les deux formes de mobilité avec des cadences différentes, ainsi que des conséquences pour les relations sociales spécifiques, sont facilement perceptibles dans nos données.
42La figure 1 présente la distribution du temps des appels téléphoniques entre les correspondants selon la distance d’appel [9]. On y observe une différence dans la distribution des appels selon leur destination avant le déménagement suivant le type d’ancrage dans l’ancien lieu de séjour. Cette différence ne porte pas tant sur le volume du temps consacré au téléphone que sur la structure du trafic : les foyers avec un plus long séjour ont une part plus forte des appels locaux par rapport à la seconde catégorie (séjour de moins de trois ans). Cette distinction se confirme dans la période qui suit le déménagement, si l’on ne voit pas de grandes transformations dans la structure des appels des foyers à mobilité fréquente, la proportion des appels locaux versus nationaux change fortement parmi les ménages ancrés dans l’ancienne résidence.
43A titre d’hypothèse, nous pouvons avancer que la longue durée de résidence semble influencer les appels toujours vers les correspondants logés dans ce lieu pendant une période suivant le départ. En revanche, les foyers en mobilité plus fréquente (moins de trois ans de séjour avant le déménagement analysé) ont dès le début d’observation une proportion des appels longue distance plus grande et ils ne modifient pas leur comportement après. Tout se passe comme s’ils étaient déjà adaptés aux mouvements à répétition et investissaient relativement moins les relations locales par rapport à l’autre groupe, comme s’ils étaient déjà les migrants avant l’épisode présent.
Répartition du temps des appels émis du domicile selon la distance d’appel et la semaine par rapport au déménagement
Répartition du temps des appels émis du domicile selon la distance d’appel et la semaine par rapport au déménagement
La téléphonie, moyen privilégié de garder le contact
44Le téléphone apparaît très nettement comme le moyen privilégié pour garder le contact avec ceux dont on s’est éloigné. Bien sûr, on évoque parfois d’entrée le retour sur le lieu de la résidence précédente, et l’occasion qu’il offrirait d’un face à face. Mais, outre que le retour n’est pas nécessairement à l’ordre du jour dans les premiers mois de l’installation, ce vœu ne paraît que traduire symboliquement la conscience de l’éloignement, dans la mesure où, auparavant, la relation était souvent très largement tissée d’appels téléphoniques, la rencontre concrète n’étant déjà que l’exception.
45Le téléphone, outil privilégié du maintien de la relation, c’est d’abord celui du domicile. Même pour la minorité conséquente de ceux qui sont équipés de téléphones mobiles, le premier équipement du nouveau foyer – avant même l’électroménager –, est le téléphone domiciliaire, qui joue un double rôle de repère : il symbolise en effet l’installation dans le nouveau lieu en même temps qu’il marque la continuité des relations avec ceux qu’on vient de quitter. Cette dimension de continuité apparaît d’ailleurs dans les choix d’équipement et d’abonnement de la plupart de nos interviewés.
Ce qui était sympa c’est qu’il était branché, enfin que la ligne existait. C’est vrai au milieu des meubles, j’ai entendu le téléphone sonner...//... c’est sympa quand on arrive…/… tout juste si le lit est prêt. C’est le foutoir partout. Et y’a qu’une chose qui est à peu près correcte, c’est le téléphone qui est branché. Donc ça c’est sympa. Ça sonne, je suis pas toute seule…/… Et le transfert de la ligne s’est fait par hasard parce qu’au début je voulais aller voir la concurrence donc... Bouygues ou CEGETEL. Mais l’agent de Télécom m’a dit que le transfert pouvait se faire automatiquement, ce qui facilite un petit peu la démarche et en fait, ça s’est fait comme ça, donc d’extrême justesse. (Jeanne, professeur de sport, Rennes, 30 ans)
(…) pas question pour moi de ne pas avoir le téléphone, même pendant... // ... j’ai fait la démarche. Enfin, avant d’emménager, afin qu’il y ait l’internet le téléphone le jour de l’emménagement (Simone, retraitée, environs Rennes, 64 ans)
Première chose appartement, deuxième chose, téléphone. Bon puis EDF, électricité. (René, étudiant Ecole de commerce, Toulouse, 22 ans)
On a toujours veillé à ce que ce soit quelque chose qui soit... au même titre que l’eau, l’électricité, puisque vous pouvez l’imaginer, pour nous le téléphone a toujours été, enfin y’a toujours eu une continuité. (Agnès, employée de banque, environs Rennes, 27 ans)
47Principal moyen de la relation affective à distance (la pratique, majoritairement féminine, du courrier tend à se marginaliser, et ne reste notable qu’aux « grandes occasions » – fêtes, anniversaires, etc.) la pratique du téléphone ne paraît pas pour autant connaître de bouleversements majeurs à l’occasion de la mobilité. Bien sûr, le moment même du déménagement – emménagement se traduit par une pointe d’appels, autant liée aux préoccupations pratiques suscitées par l’installation qu’à la réaffirmation du lien avec ceux qu’on vient de quitter (on donne des nouvelles du déménagement, on communique son nouveau numéro, etc.).
Quand tu déménages, y a un nouveau contexte, une nouvelle vie…, il va y avoir plus de communications, pour expliquer... oui, ça se passe comme ci, ça se passe comme ça, on a plus de choses à raconter, donc je pense que quand on déménage, en tout cas pour nous, on voit... au moins dans la phase de transition, augmenter ses coups de fils, sa communication. (Christian, ingénieur, Toulouse, 40 ans)
Oui, pour chercher un logement, évidemment. Pour effectuer les quelques démarches que l’on peut effectuer par téléphone. Dans la recherche du logement, c’est un atout. Là c’est vrai que là-dessus on n’hésite pas. Si faut passer cinquante coups de téléphone, aucun problème ! Franchement ça me viendrait même pas à l’idée de me restreindre sur ce type d’appel. (Agnès, employée de banque, environs Rennes, 27 ans)
49Au-delà de cette pointe momentanée d’appels, le volume global de communications avec les proches dont on s’est éloigné ne paraît pas – du moins dans la représentation des interviewés – avoir notablement changé. Sauf dans de rares cas où l’éloignement aboutit à créer une relation téléphonique qui n’avait pas lieu d’être auparavant, la pratique des appels est déjà largement rodée. Tout au plus, la considération du coût de la communication est-elle un peu plus présente.
50Toutefois, à l’intérieur de cette enveloppe globale d’appels peu changée, on constate le plus souvent des modifications de fréquence et de durée. On appelle moins souvent, mais plus longtemps ceux dont on s’est éloigné.
(avec son fils) celui qui habitait en région parisienne, bon on se téléphonait beaucoup plus fréquemment mais pour des broutilles, donc c’était pas des heures de téléphone alors que là bon peut-être qu’on passe un peu plus de temps qu’avant au téléphone. (Bernadette, sans emploi, mari ingénieur, Toulouse, 60 ans)
On dure plus longtemps forcément...//... on se téléphonait beaucoup plus souvent… on téléphonait quand on avait envie de téléphoner quoi, tandis que là, on attend vraiment d’être réunis pour, on s’attend l’un l’autre pour pouvoir le faire...//... on se téléphonait (avec la mère de sa femme), quelquefois pour des riens, « qu’est-ce tu regardes ce soir à la télé ? »
(François, gardien d’immeuble, Région Parisienne, 39 ans)
Le passage d’une téléphonie d’accompagnement à une téléphonie de substitution
52On sait que la fréquence des appels téléphoniques et celle des rencontres en face à face sont largement corrélées, de l’autre côté la durée des conversations téléphoniques avec les proches est inversement corrélée avec leur fréquence, i.e. les appels vers les gens rarement entrevus sont aussi plus longues. Cet effet semble conjugué avec la possibilité difficile des rencontres physiques, c’est-à-dire, les proches appelés plus rarement mais plus longuement, sont aussi ceux qui habitent loin du foyer observé [10]. A partir de ces observations, on peut construire une hypothèse sur les différences de contenu des appels courts et fréquents versus longs et rares : les premiers étant plus fréquemment associés à la coordination et, dans un sens, subordonnés aux interactions face à face qu’ils préparent ou suivent ; les seconds plus souvent remplacent les rencontres et englobent des échanges de nouvelles. Les deux seraient donc au service du maintien de la relation, mais les échanges de courte durée et à courte distance plus dans le sens des relations « réelles », physiques, face à face, les appels longue distance et longue durée davantage au service de relations « virtuelles », de substitution au contact en face.
53Les données en notre possession permettent de vérifier ces hypothèses de manière quasi expérimentale. En effet, nos interviewés ayant déménagé, la distance, la fréquence et la facilites des rencontres avec leurs proches se trouvent modifiées pendant l’enquête – voir figure 2.
Transformation de la durée des appels selon la modification de la distance qui sépare les interlocuteurs par type de correspondant
Transformation de la durée des appels selon la modification de la distance qui sépare les interlocuteurs par type de correspondant
54L’examen de la durée moyenne de conversations téléphoniques émises du domicile de nos enquêtés (avant et après la mobilité résidentielle) vers les mêmes numéros de téléphone identifiés comme appartenant à leurs proches (famille ou amis), montre clairement que la distance entre les interlocuteurs joue sur la durée de leurs échanges. Ici, il s’agit pourtant des échanges entre les mêmes personnes saisis sur une période substantielle mais relativement courte du point de vue de leur histoire relationnelle (16 mois environ). La seule différence entre les deux temps analysés est la modification de la distance physique qui sépare les interlocuteurs (le groupe des correspondants téléphoniques qui n’a pas connu de modification de distance fait figure de groupe de contrôle). L’allongement de la durée moyenne des conversations dans le cas d’éloignement et, symétriquement, le raccourcissement des appels quand on se rapproche semblent montrer que le rôle du téléphone dans la gestion des relations sociales se modifie. La transformation de la fréquence de contacts téléphoniques renforce aussi cet argument (voir figure 3).
Changement de la fréquence des appels après le déménagement selon la modification de la distance entre les interlocuteurs et leur type
Changement de la fréquence des appels après le déménagement selon la modification de la distance entre les interlocuteurs et leur type
55Cette transformation du contenu et de la fonction des appels, nettement lisible dans les données chiffrées – l’effet de la mobilité sur ce point y paraît presque mécanique –, peut être interprétée comme le passage d’une téléphonie de coordination (ou « d’accompagnement » : la pratique téléphonique ne se bornant pas à faciliter les rencontres en face à face, mais les redoublant quelquefois par une continuation des échanges au sein d’une sorte de conversation multimodale – on se parle alors au téléphone exactement comme on le ferait en face à face) à une téléphonie de substitution : l’appel a pour objet de compenser autant que possible l’impossibilité pratique de se rencontrer. Sa valeur est plus grande, l’échange se veut moins désinvolte, plus profond. Cette téléphonie de remplacement, paradoxalement, tend à différencier plus nettement l’échange de ce qu’il pourrait être en face à face – à la limite, le modèle semble en être davantage le courrier. Elle est, majoritairement, le fait des femmes auxquelles est traditionnellement délégué le rôle d’ambassadrice du ménage, ici chargées du maintien à distance de son réseau de sociabilité (ce sont d’ailleurs elles qui écrivent encore dans les rares ménages où subsiste une pratique épistolaire).
On va peut-être plus à l’essentiel. On a peut-être des discussions un petit peu plus profondes, encore que... On partage sans doute moins les petites choses du quotidien. Une connerie qui arrive au boulot, on le dit pas quand on se parle au téléphone une fois par semaine. On n’en a pas envie. On parle de choses plus importantes. (Brigitte, conseil en organisation, Paris, 27 ans)
Je téléphone moins souvent maintenant, C’était plus souvent avant…//…
assez longtemps parce que j’aime pas appeler pour rien raconter quoi, il faut qu’il y ait quelque chose à dire, sinon c’est pas la peine. (Corinne, aide à domicile, Région Parisienne, 47 ans)
57A côté de cette téléphonie de substitution, moins « phatique », plus profonde que celle que l’on avait avant la mobilité, on pourrait peut-être déceler une téléphonie que l’on pourrait appeler, faute d’un meilleur terme de « reconfirmation ». L’appel n’a alors pas besoin d’être long, ni « profond », il a pour seule fonction de s’assurer, entre deux appels plus longs, ou en l’attente d’une occasion de se rencontrer lors d’un retour, de la continuité du lien. C’est une sorte de pointillé communicationnel ayant pour objet de ne pas trop laisser le temps distendre la relation et pour lequel, comme nous le verrons, les hommes savent davantage prendre leur part.
Le rôle des relais de communication dans le maintien des liens de sociabilité
58Entre ceux qui viennent de s’installer et les proches physiquement éloignés qui leur servent de repères, l’information circule en partie à travers des relais : des personnes, mais aussi, parfois, les lieux qui leur sont associés. Ce modèle est fréquent pour ce qui est du maintien des liens avec la famille d’origine, perçue en elle-même comme un réseau. Les parents – parfois, plus spécifiquement la mère – et leur maison reçoivent et redistribuent l’ensemble de l’information vers la famille dispersée (en particulier la fratrie). Le relais c’est alors, à la fois, les personnes, la maison, l’adresse, le numéro de téléphone. Le rôle central des parents comme relais, presque réémetteurs de communication entre toute la famille, fait que leur numéro de téléphone ne leur est pas seulement propre, il est le numéro commun autour duquel se maintiennent les échanges entre frères et sœurs, et avec la famille plus éloignée [11]. Et la maison des parents redevient, le temps d’un retour, la maison de famille.
59Pour ce qui est des échanges amicaux, les relais jouent surtout en direction des copains et anciens collègues – un seul appel suffisant alors à transmettre vers plusieurs personnes une information qui circule ensuite par « téléphone arabe » sans qu’on puisse bien départager ce qui passe vraiment par le téléphone (appels locaux) de ce qui se transmet de bouche à oreille ou bien, dans l’autre sens, à se tenir au courant de ce que deviennent les membres de la bande. L’utilisation de relais est moins adaptée aux amis les plus proches, cette autre « famille », noyau de sociabilité, avec lesquels la relation, plus individuelle, ne relève que rarement du modèle de la bande ou du réseau.
Dès que j’en ai une au téléphone, oh tiens donne-moi les nouvelles du lotissement comment ça se passe ? En fait, on a des nouvelles de tout le monde souvent par une personne, et puis de temps en temps je change, j’en appelle une autre. (Anne, sans emploi, mari cadre dans le privé, environs Toulouse, 39 ans)
Donc on est souvent, les uns avec les autres. On a des nouvelles. Si on téléphone pas à un, on a des nouvelles par l’autre enfin ! Notre réseau... le téléphone arabe cette fois-ci marche très bien... Oui. (Annick, institutrice, environs Rennes, 43 ans)
On a des amis communs quelquefois on téléphone à des amis, qui se téléphonent entre eux pour dire ben on les a vus... ça se passe comme ça. // Y a certains qu’on n’a même pas encore rappelé puisque c’est les copains qui les appellent pour leur donner des nouvelles... (Antoine, ingénieur, Région Parisienne, 42 ans)
Souvent, on appelle les mêmes personnes qui transmettent ensuite les messages... //... on prend l’habitude d’appeler seulement certaines personnes.
Et puis après on n’appelle que ces personnes-là. (Eric, technicien, Rennes, 26 ans)
61Cette importance des relais de communication et ses limites, dans la mesure où elle joue à la fois sur un lieu et sur un milieu – dont sont a priori abstraits les amis les plus proches, à la différence des copains, voisins, etc. –se révèle en particulier lorsque, à l’occasion d’un retour, le lieu recolle au lien.
Dans ce groupe, j’en appelle deux. Les autres je les appelle pas car de toute façon je les vois. D’ici, je les appelle pas, peut-être que je les appellerai plus quand je serai chez mes parents pour se voir. (Brigitte, conseil en organisation, Paris, 27 ans)
De temps en temps, quand je vais rendre visite à mes parents je passe systématiquement par le village et puis on se retrouve toutes chez l’une ou chez l’autre on se fait un gros goûter, et puis alors vas-y, je raconte, elles racontent aussi, alors là ce sont les retrouvailles chaque fois. (Anne, sans emploi, mari cadre dans le privé, environs Toulouse, 39 ans)
L’élargissement des moyens de maintenir le contact et ses implications
63En dehors des retours sur le lieu de la résidence précédente (et, plus rarement, des venues de parents ou d’amis) et du courrier, les télécommunications tiennent donc un rôle central dans le maintien de la sociabilité par delà la mobilité. Mais au seul téléphone domiciliaire, d’autres moyens s’ajoutent.
64Ce sont ceux dont ils disposent à titre professionnel ; et ceux – souvent les mêmes – qui enrichissent aujourd’hui la panoplie des télécommunicants : en particulier, téléphone cellulaire et courrier électronique.
65Les communications obtenues par ces moyens, qui n’ont pas pu être prises en compte dans la quantification, étaient sans doute encore minoritaires à l’époque où a été réalisée l’enquête (on sait la croissance en trois ans du taux d’équipement dans ce domaine). Leur importance n’en apparaît pas moins au cours de beaucoup d’entretiens. Courrier électronique et téléphonie mobile concourent à leur façon au maintien des relations avec le noyau historique de sociabilité.
66Le développement de ces nouveaux moyens de rester au contact tend à changer la forme des échanges et, de façon liée, les rôles en ce domaine au sein des ménages. Plusieurs facteurs vont dans ce sens. Emis ou reçus sur le lieu de travail, les échanges tendent à adopter un format « professionnel », concis et efficace, d’autant plus que la mobilité géographique des ménages étant majoritairement tirée par la mobilité professionnelle des hommes, ce sont eux – réputés faibles téléphoneurs, valorisant la communication utilitaire au détriment de la dimension phatique – qui sont d’abord concernés par ce type d’échanges. Par ailleurs, qu’il s’agisse du téléphone cellulaire ou du courrier électronique, les nouveaux outils se différencient de la téléphonie domiciliaire classique en ce qu’ils ne mettent plus en relation un foyer avec un autre foyer, mais un individu avec un autre individu. Cette individualisation de la relation aboutit à substituer aux échanges amicaux entre familles, ou, du moins, par leur truchement, des relations interindividuelles non socialement médiatisées, ici d’homme à homme.
Mon mari a son portable pour son boulot, donc ...//... c’est surtout moi qui téléphone alors lui effectivement si vous voulez quand il a besoin de téléphone...//... il appelle ses fils des trucs comme ça mais il téléphone peu depuis notre téléphone, c’est surtout moi le téléphone. (Bernadette, sans emploi, mari ingénieur, Toulouse, 60 ans)
Les couples, les hommes parlent plus aux hommes et les femmes... moi je peux appeler une amie un jour et puis lui le lendemain il appelle, l’ami au masculin quoi, le conjoint. (Christine, assistante administrative, Région Parisienne, 30 ans)
Les copains c’est... c’est... c’est surtout par le GSM et c’est souvent Christophe qui, ou est appelé à son bureau, parce que ce sont des copains qui travaillent aussi qui eux aussi ont leur GSM donc hop, ils savent que je suis bavarde donc ils préfèrent appeler directement Christophe. (Anne, sans emploi, mari cadre dans le privé, environs Toulouse, 39 ans)
68Bien sûr, cette emprise prioritaire des hommes – largement par le biais du travail – sur les nouveaux outils de la communication ordinaire n’est qu’un phénomène passager. Il n’en reste pas moins qu’elle a un peu accru leur rôle en matière d’entretien de la sociabilité globale du ménage. Mais cette contribution des hommes se fait selon leurs propres modes : rapide, majoritairement d’homme à homme, sur le modèle du « pointillé communicationnel », de l’appel de reconfirmation du lien à travers celle de sa connexion, sans excessifs débordements d’affects – ni demandes trop précises quant aux études des enfants. D’autant que, quand l’appel – ou le mail – est passé ou reçu dans un contexte de travail, il se mélange naturellement avec les échanges professionnels et tend à en adopter le ton et le format.
C’est des infos qui sont beaucoup plus heu... je dirais beaucoup plus ponctuelles, beaucoup plus... on va à l’essentiel quoi, on parle pas de bricoles comme on pourrait parler oralement. On peut très bien appeler sans avoir rien de spécial à raconter, ça c’est pas quelque chose qu’on fait par mail.
(Antoine, ingénieur, Région Parisienne, 42 ans)
70Même rapides, ces communications de « reconfirmation du lien » ne sont pas nécessairement aussi utilitaires que ne le prétendent certains. Avec le courrier électronique, en particulier, un petit « coucou » sans autre objet, comme l’envoi d’une blague pêchée sur l’internet, peut quelquefois suffire à cette fonction d’entretien [12].
CONCLUSION : LA VIRTUALISATION PROGRESSIVE DE LA SOCIABILITE
71De l’enquête que nous avons menée ressort nettement un modèle dominant de sociabilité dans lequel, à l’entrée dans la vie adulte – ou, plus précisément, à ce moment de palier que caractérisent à la fois la mise en ménage et un emploi stabilisé – le « noyau dur » de sociabilité est presque totalement constitué : parents et amis proches avec lesquels on va rester lié au fil du temps et à travers l’espace – une des principales fonctions de ce noyau étant précisément de servir de repères par rapport à ces deux types de mouvements.
72Le premier problème posé par la mobilité sera donc de maintenir ces liens, et non de les renouveler. Certes, la qualité de la vie quotidienne dans le nouveau lieu de résidence tiendra parfois largement à celle de l’inscription dans la sociabilité locale – mais ces nouveaux liens ont relativement peu de chances de survivre à une autre mobilité. On se maintient à distance affective de ceux que l’on va côtoyer, les proches restant ceux dont on s’est éloigné.
73Ce maintien des liens par delà l’éloignement géographique, qui nourrissait autrefois le courrier, est largement pris en charge par les réseaux de télécommunication – téléphonie domiciliaire ou professionnelle, téléphonie cellulaire, courrier électronique... Ces outils prennent déjà une part de plus en plus large dans les relations de proximité locale (la coprésence tend à y devenir l’exception, l’ordinaire étant la « télérelation »). Dans le cas d’une séparation géographique, où une fonction différente leur est alors attribuée, ils deviennent essentiels.
74Si l’on compare l’évolution de la relation et que l’on s’interroge sur le rôle qui y occupent à chaque phase les rencontres concrètes, les télérelations, et la survie du lien due à la volonté et à la mémoire de celui qui se sent attaché, il semble qu’avec le temps et l’éloignement, cette relation, presque nécessairement née dans le concret d’une rencontre – donc dans un lieu, voire un milieu – va progressivement se virtualiser – grosso modo selon le modèle suivant (voir tableau 1).
Evolution de la part respective des supports de la relation
Evolution de la part respective des supports de la relation
75Notons d’ailleurs qu’à un certain niveau d’abstraction, une relation peut exister dans l’esprit de l’un, s’il pense qu’elle peut encore être activée, mais pas dans celui de l’autre qui peut l’avoir tout à fait oubliée, ou même être mort – seule l’actualisation d’une relation permettant de savoir si elle n’est pas purement... rêvée.
76Le partage de l’espace est nécessaire à la naissance du lien. C’en est la dimension « horizontale », en quelque sorte. Son « historicité », garante de sa survie, en est la dimension verticale. La mobilité tend à disjoindre ces deux dimensions, l’intensité concrète des relations (leur actualisation) étant alors indépendante de leur intensité affective, et, partant, de leur durabilité (voir tableau 2).
77A l’instar des relations, les lieux tendent eux aussi à se dissoudre dans une virtualité sans rapport direct avec la fréquentation et l’usage qu’on en a eus dans la réalité vécue des implantations successives. Ainsi, le lieu de référence souvent énoncé dans les discours de migrants n’est qu’un lieu de mémoire qui ne coïncide pas forcément avec la résidence précédente, ni avec l’endroit où ils ont passé la plus grande partie de leur existence, au plus fort de leur activité et de leur vitalité sociale, mais désigne plutôt la région de l’enfance, celle de l’implantation passée et parfois encore actuelle des ascendants. Lieu virtuel s’il en est, dans la mesure où la connaissance pratique qu’on en a – ainsi que les lointains attachements affectifs entre-temps déplacés – sont rarement entretenus par des visites régulières. Il n’en demeure pas moins la destination que beaucoup de migrants désignent comme l’aboutissement de leurs mouvements répétés, où les mènera une mobilité dernière.
Typologie des relations en fonction de l’intensité de leur expression
Typologie des relations en fonction de l’intensité de leur expression
78Ce vécu des relations, qui tend généralement vers la virtualisation en cas d’éloignement géographique, doit être nuancé par l’observation suivante.
79Le besoin de localisation de la relation reste souvent irréductible. Le lieu médiateur de sociabilité, s’il intervient fortement dans la naissance des liens par la suite entretenus grâce à la médiation téléphonique, poursuit tout de même son rôle intermittent au-delà de la séparation géographique et en complément de la communication. Qu’il s’agisse de familles ou d’amis séparés par l’exil, il existe un seuil de « virtualité » tolérable qui prescrit un rythme périodique de coprésence nécessaire. Dans ce cas, le lieu des retrouvailles peut être lié à l’identité de l’un des partenaires (hébergement du visiteur distant) ou spécifique à la relation dans la mesure où il faut l’inventer de part et d’autre, par exemple à l’occasion des vacances. Résidence secondaire permanente ou location transitoire, c’est souvent un troisième lieu qui occulte la résidence respective des partenaires [13].
80Ce phénomène, certes marginal, suscite une interrogation quant au traitement des relations sociables dans un cadre de tension spatio-temporelle qui n’est pas forcément lié au déménagement, mais qui pourrait s’appliquer aux situations ordinaires de stress où l’on ne peut pas remplir l’engagement de présence requis par la nature du lien, faute de temps ou d’énergie pour effectuer ne serait-ce qu’un bref « visu ». Dans cette optique, une compensation s’impose sous la forme de rencontres plus espacées mais plus riches ou intenses, plus « extraordinaires » en somme : à ce que nous avons décrit pour la « téléphonie de substitution », qui instaure un espacement de la fréquence des appels au profit de la durée ainsi que du soin apporté au contenu de la conversation, se superpose alors une « topie de substitution » – symétrique à la logique locale de proximité – consistant à créer une catégorie « extraordinaire » de lieux de rencontre, en rupture avec le quotidien résidentiel de chacun, pour renchérir sur l’intensité et la qualité de présence : c’est le troisième lieu évoqué précédemment, par définition, éloigné.
81Ainsi la mobilité est-elle ambivalente, contrainte ou épreuve pour la relation mais aussi mode particulier de sa gestion, la pratique du voyage en commun devenant alors une marque attestant le lien privilégié, selon un rôle analogue à celui de la téléphonie de substitution.
Bibliographie
RÉFÉRENCES
- BACCAINI B. (1992), « Mobilité géographique, distances de migration et mobilité professionnelle en France », in E. Lelievre, C. Levy-Vroelant (sous la direction de) La ville en mouvement : habitat et habitants, Paris, L’Harmattan.
- BIDART C. (1997), L’amitié, un lien social, Paris, La Découverte.
- COURGEAU D., MERON M. (1995), « Mobilité résidentielle et vie familiale des couples », Economie et statistique, n° 290, p. 17-31.
- CRENNER E., DECHAUX J.-H., HERPIN N. (2000), « Le lien de germanité à l’âge adulte. Une approche par l’étude des fréquentations », Revue française de sociologie, 41(2), p. 211-239.
- DEGENNE A., LEBEAUX M.O. (1997), « Qui aide qui, et pour quoi ? », L’Année sociologique, 47, p. 117-142.
- DESJEUX D., MONJARET A., TAPONIER S. (1998), Quand les Français déménagent, Paris, PUF.
- GRIBAUDI M. (1995), « Formes de stratification sociale et évolution temporelle », in B. Lepetit (sous la direction de), Les Formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel.
- HERAN F. (1987), « Comment les Français voisinent », Economie et statistique, n° 195, p. 43-59.
- LICOPPE C. (2002), « Sociabilité et technologies de communication », Réseaux, vol. 20, n° 112-113, p. 171-210.
- LICOPPE C., SMOREDA Z. (2000), « Liens sociaux et régulations domestiques dans l’usage du téléphone », Réseaux, vol. 18, n° 103, p. 255-276. PAN KE SHON F. (1998), « D’où sont mes amis venus ?… », INSEE Première, n° 613.
- TARRIUS A. (1992), Les fourmis d’Europe : migrants riches, migrants pauvres et nouvelles villes internationales, Paris, L’Harmattan.
Notes
-
[1]
Notre choix d’interroger les foyers ayant changé de département a été conditionné par la problématique de la transformation de tissu relationnel consécutif à un mouvement de grande ampleur qui est la nôtre. Cela favorise des situations de mobilité liée à la vie professionnelle où la distance de migration est en moyenne plus élevée que dans le cas de mobilité pour des raisons familiales ou résidentielles (voir BACCAINI, 1992). La période de déménagement choisie, i.e. les vacances d’été, augmente aussi la probabilité de déménagement des familles avec les enfants (43 % dans notre échantillon contre 21 % des couples sans enfant et 36 % personnes seules).
-
[2]
Cette méthodologie particulière est décrite et discutée dans LICOPPE, SMOREDA, 2000.
-
[3]
DESJEUX, MONJARET et TAPONIER, 1998, soulignent eux aussi la longue durée de processus d’installation sociale après le déménagement.
-
[4]
HERAN, 1987.
-
[5]
Il s’agit essentiellement de catégories assujetties à l’obligation de mobilité pour l’évolution de leur carrière, notamment des fonctionnaires (gendarmes, enseignants…) et, dans une moindre proportion, de jeunes informaticiens. Pour le reste, le milieu professionnel fournit peu de ressources de sociabilité à l’usage des ménages constitués (peut-être davantage pour les individus seuls), ni en guise de reliquat d’attaches passées ni comme recours d’intégration dans la région d’accueil, en tout cas moins que le voisinage ou l’école qui constituent le principal vecteur de socialisation pour les femmes dans un contexte de « pénurie » ambiante. Dans notre cas de la mobilité majoritairement professionnelle de l’homme, les femmes qui sont souvent dans le rôle de suiveur, connaissent quelques problèmes pour retrouver l’emploi dans le nouveau lieu de résidence (voir aussi COURGEAU, MERON, 1995).
-
[6]
Les enquêtes statistiques nationales donnent à ce sujet un chiffre plus élevé, d’environ 6 à 7 amis par personne (PAN KE SHON, 1998), la réponse à cette question posée dans notre questionnaire aboutit à une moyenne légèrement plus basse (5,75), mais toujours plus élevée que celle évoquée pendant l’entretien quand les personnes sont amenées de parler des relations amicales après un récent déménagement. Il semble qu’un centrage sur des relations ayant survécu la mobilité opère une sélection encore plus radicale dans la situation d’entretien.
-
[7]
Voir BIDART, 1997.
-
[8]
Voir GRIBAUDI, 1995, sur les coupures relationnelles qu’on observe parfois chez les ingénieurs en forte mobilité sociale par rapport aux amis d’enfance qui les lient au passé, vécu comme peu valorisant.
-
[9]
Nous avons pu dans cette recherche reconstituer le trafic téléphonique des ménages avant (i.e. celui émis de l’ancienne résidence) et le suivre après le déménagement dans le nouveau lieu. Comme le déménagement analysé concerne les déplacements de plus de 100 km, en comparant les appels locaux et nationaux (plus de 50 km de distance), nous pouvons mesurer les transformations dans la structure des appels en relation avec la mobilité géographique.
-
[10]
Voir LICOPPE, SMOREDA, 2000.
-
[11]
Comme le remarquent CRENNER, DECHAUX et HERPIN, 2000, les liens avec la fratrie à l’âge adulte deviennent secondaires par rapport au lien direct et fortement normé avec les parents, cela contribue en partie à ce rôle central des parents dans le système de communication familiale.
-
[12]
Voir aussi LICOPPE, 2002, pour une analyse des différents modes de communication interpersonnelle et leur fonction dans le maintien de lien à distance.
-
[13]
TARRIUS, 1992, l’a également observé auprès d’expatriés – à Londres, Bruxelles et Paris – qui rejoignent leur ménage lors des congés, sur des lieux autres que le domicile conjugal.