Réseaux 2002/1 no 111

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Dix ans après...

Pages 9 à 17

Notes

  • [1]
    Les textes publiés ici sont issus de deux journées d?étude et de discussion organisées à Paris (juin 2001) et Rennes (septembre 2001) à l'initiative du Centre de recherches administratives et politiques de l'Université de Rennes I et de l'Institut français de presse de l'Université Paris II. Ces deux équipes, qui jouent un rôle central dans le développement de recherches sociologiques sur le journalisme, entendaient ainsi contribuer à instituer un lieu d?échange pour la communauté en plein essor des chercheurs de sciences sociales centrés sur l'étude du journalisme.
  • [2]
    Sociologie du travail, 1976 (3), p. 256-282.
  • [3]
    Même si deux des maîtres d??uvre de ce numéro appartiennent aux sciences de l'information et de la communication, les contributions les plus nombreuses des sciences sociales au chantier du journalisme proviennent de politistes et de sociologues.
  • [4]
    Le détail de ces références bibliographiques est disponible dans le texte de Dominique Marchetti.
  • [5]
    Jean-Marie Charon, La presse magazine, La Découverte, Paris, 1999.
  • [6]
    Valérie Devillard, Marie-Françoise Lafosse, Christine Leteinturier, Rémy Rieffel, Les journalistes à l'aube de l'an 2000. Profils et parcours, Editions Panthéon Assas, Paris, 2001.
  • [7]
    Dominique Marchetti, Denis Ruellan, Devenir journalistes. Sociologie de l'entrée sur le marché du travail, La Documentation française, Paris, 2001.
  • [8]
    Béatrice Damian, Roselyne Ringoot, Denis Ruellan, Daniel Thierry (sous la direction de), iinform@ tion. local,Mutations du paysage médiatique régional à l'ère d?internet, L?Harmattan, Paris, 2002. Eric Klinenberg, « Information et production numérique », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 134,2000, p. 66-75.
English version

1Sans qu?aucune intention commémorative n?ait présidé à sa naissance, ce numéro de Réseaux intervient dix ans exactement après une première livraison (n° 51) consacrée à la « Sociologie des journalistes ». Dans ce désormais « vieux » numéro de 1992, Rémy Rieffel s?interrogeait sur la « nouvelle configuration » des rapports entre journalistes et intellectuels, Denis Ruellan et Belkacem Mostefaoui exploraient chacun les modalités du professionnalisme des journalistes, Yves Lavoinne mettait en perspective les rapports journalistes-historiens, Philip Schlesinger la relation sources-journalistes. On le voit, les questions posées étaient larges et fondamentales : sur la nature singulière de l'activité journalistique, de son professionnalisme, de ses relations au champ intellectuel et à ses protagonistes, son rapport au monde des sources d?information.

2Soixante numéros de Réseaux plus tard, le choix d?un titre sur « Journalistes spécialisés » signifie plus que le souci de varier les éclairages. Il reflète la dynamique de la recherche sur le journalisme en France [1]. Au risque de sacrifier au mythe des commencements absolus, on peut sans doute identifier la contribution de 1976 de Jean Padioleau sur « Systèmes d?interaction et rhétoriques journalistiques [2] » comme le premier texte rigoureux de sociologie du journalisme produit en France. Son livre sur « Le Monde et le Washington Post », ceux de Rémy Rieffel, Denis Ruellan, Michel Mathien, Jean-Marie Charon, les contributions de Louis Pinto et Patrick Champagne, celles des historiens des médias, allaient contribuer dans les années 1980 à l'équivalent scientifique d?une accumulation primitive de savoirs et de questionnements sur l'objet journalisme. C?est dire qu?un numéro de revue publié au seuil des années 1990 se trouvait en face de la tâche de poser les questions fondatrices d?une sociologie du journalisme qui n?avait alors à son actif que peu de travaux et d?études empiriques, au regard de l'immense et souvent fécond déploiement des travaux anglophones symbolisés par les contributions de Blumler, Gans, Gitlin, Hallin, Lester et Molotch, Schlesinger, Schudson, Tuchman, Tunstall, pour ne citer que quelques-uns des auteurs les plus stimulants.

3Le nombre et la variété des travaux récents sur les journalismes spécialisés ? dont Dominique Marchetti propose ici un recensement ? suggèrent assez le dynamisme acquis par la recherche française sur le sujet. Ce décollage récent d?une sociologie française du journalisme se confirme encore à de multiples indices. Mentionnons le rôle de quelques équipes (CRAP-Rennes, CSE-EHESS, IFP-Paris II) dans la production d?un flux désormais régulier de thèses de qualité, la multiplication des livres et numéros de revues, la création de cours et séminaires autour de la sociologie du journalisme, les débats sociaux que peuvent susciter certaines contributions de chercheurs comme Patrick Champagne naguère, Cyril Lemieux voici peu. Impressionnante si on considère qu?elle se joue sur un peu plus d?une décennie, cette montée en puissance d?une sociologie du journalisme [3] explique fort logiquement que la majorité des membres des bataillons grossissants de chercheurs sur le journalisme ait adopté pour stratégie privilegiée de se fixer sur une spécialisation. Qu?il s?agisse du journalisme médical pour D. Marchetti ou du journalisme social pour Sandrine Levêque [4], la démarche consiste à explorer un microcosme pour en faire le point d?appui de questionnements plus globaux sur la profession, l'espace public, le fonctionnement des médias, la définition de la « bonne info » (newsworthyness).

Objet ou pléonasme ?

4La dynamique de la recherche expliquerait donc la floraison particulière des travaux sur les journalismes spécialisés. Cette floraison peut aussi engendrer un désagréable doute. Et si la notion de journalisme spécialisé était un bête pléonasme ? Et s?il n?était de journaliste que spécialisé ?

5Cette spécialisation peut être fonctionnelle, par exemple chez les secrétaires de rédaction ou les sub-editors britanniques dont le gros du travail est de reprendre, réécrire, normaliser les textes de leurs collègues. Elle peut aussi, et plus visiblement, être thématique (religion, sports, bourse, etc.). Mais elle ne peut pas ne pas être. Sur le mode d?une démonstration par l'absurde, on peut le suggérer par deux figures. Si l'éditorialiste peut a priori parler de tout, et de quelques autres choses encore, de la Palestine aux stock-options, via le dopage dans le cyclisme, on ne saurait contester que cette capacité à surfer sur toutes les vagues de l'actualité requiert une compétence rhétorique spécialisée, la mobilisation de savoirs, parfois l'art de la fausse profondeur. A l'autre extrémité des hiérarchies journalistiques, le localier d?une petite rédaction de sous-préfecture, le journaliste d?un hebdomadaire local peuvent écrire dans la même journée sur du sport, de la politique, de la vie économique, prendre les photos illustrant leurs reportages et même travailler à la mise en page finale du titre. Est-ce cultiver le paradoxe que de soutenir que cette apparente non-spécialisation requiert une palette singulière de savoir-faire, correspond à un profil original de spécialisation liée au média ?

6Une raison supplémentaire de penser la spécialisation comme participant à la définition même du journaliste tient aussi, et avec une force particulière dans le cas français, à la montée en puissance de la presse spécialisée [5]. La force des prénotions et des hiérarchies symboliques fait que le terme de journaliste évoque d?abord ? et le réflexe conditionné n?épargne pas les sociologues ? le présentateur du JT de vingt heures, l'éditorialiste ou la grande plume dans un quotidien parisien, le chroniqueur sur une radio? bref les postes les plus en vue. Or, la réalité de la démographie du groupe et de ses évolutions est autre. Le premier employeur des journalistes français ? avec près de 33 % des titulaires de la carte [6] et 42 % des entrants dans le métier [7] ? est aujourd?hui le pôle de la presse spécialisée, avec ses titres « grand public » (la palette étendue de magazines en kiosque sur la santé, l'informatique, la mode, l'aménagement de la maison, la gestion de patrimoine, le sport, etc.) et « technico-professionnels » (une variété plus grande encore de titres très spécifiques, distribués par abonnement et destinés à des public restreints).

7Si la qualité de spécialiste peut être associée d?une manière ou d?une autre à tout titulaire de la carte de journaliste, faut-il alors abandonner la notion comme ni sélective, ni éclairante ? Faut-il la suspecter de faire partie ? avec « professionnel » ? de cette panoplie d?adjectifs par laquelle les journalistes ?uvrent à leur propre grandissement symbolique ? Si l'enjeu d?une attention aux « spécialistes » et spécialisations était de saisir une composante singulière et cohérente de la profession, d?y trouver immédiatement un principe d?opposition qui polarise le monde social du journalisme en isolant soit l'équivalent d?un tiers état, soit, à l'instar du monde médical, une noblesse, l'entreprise serait décevante. Bien plus qu?à dichotomiser spécialistes et généralistes, elle révèle ce qu?on pourrait appeler en pastichant Nathalie Heinich, des « manières d?être spécialistes »?

L?outil d?une pensée relationnelle

8La notion de « journaliste spécialisé » retrouve toute sa fécondité au prix d?une réflexion sur ses usages. S?il faut renoncer à y trouver la summa divisio du métier, opposant la troupe des spécialistes à celle des généralistes, elle peut constituer un instrument très précieux de cartographie des titres et entreprises de presse, subsidiairement de la profession, aider à la penser comme un système de relations. De multiples indices (prestige, salaires, surface rédactionnelle, accès à la « une » ou aux fonctions dirigeantes, écriture de livres) viennent suggérer que toutes les spécialités ne sont pas égales mais composent une structure de concurrence et de hiérarchie. Une place au service politique donne plus de chances d?accéder à une forte légitimité, tant au regard des pairs que des publics « intellectuels », davantage assurément que d?être titulaire de la chronique jardinage, internet ou automobile. Esquisser, comme y invite le texte de cadrage de Dominique Marchetti, la cartographie de ces rapports de force entre spécialités est aussi indispensable que difficile.

9Comme le signalait voici trente ans Jeremy Tunstall, les principes de légitimation des services et spécialités au sein d?un titre sont pluriels. La ressource des uns est d?apporter beaucoup de lecteurs (sports, vie pratique, faits divers), celle d?autres est d?attirer des annonceurs (comme les suppléments de voyages, les rubriques livres), d?autres encore contribuent au prestige du titre. Ces principes de légitimation fonctionnent, bien entendu, par combinatoire et non par exclusion. Des rubriques austères et légitimes peuvent attirer un lectorat numériquement marginal, mais assez typé socialement pour convaincre les joailliers de la place Vendôme ou les industriels du luxe à acheter des placards publicitaires. La nature des hiérarchies entre services repose aussi sur des mécanismes d?homologie avec les univers sociaux couverts. Les grandes spécialités sont en effet souvent celles qui parlent des grands, les roturières celles qui traitent des gens ordinaires. Construire l'espace des spécialisations, c?est encore s?interroger sur les fondements (objectifs ou symboliques) de la compétence des journalistes concernés : diplômes, passage antérieur dans le monde social couvert, place respective des savoir-faire liés à des connaissances techniques ou théoriques, aux savoirs de l'enquête, à l'art de l'écriture, au positionnement normatif.

10Penser de façon relationnelle les spécialités journalistiques et, par là, la carte du journalisme, c?est encore s?interroger sur la manière dont émergent et s?institutionnalisent des spécialisations. Comment et pourquoi une rubrique internet trouve-t-elle sa place dans les quotidiens ? Qui en sont les producteurs ? Comment s?est consolidée depuis vingt ans une rubrique « médias », ou depuis peu un mensuel spécialisé du même titre ? Quelles trajectoires mènent à être journaliste traitant du journalisme et des groupes de presse ? L?article fondateur de Padioleau sur les spécialistes d?éducation et d?enseignement s?affrontait à une partie de ces questions. C?est à certaines d?entre elles que se confronte dans ce numéro Olivier Baisnée en évoquant les journalistes chargés de l'Union européenne. Et les chantiers à développer sont ici nombreux tant sont abondantes les spécialités récentes ou anciennes qui demeurent des jachères scientifiques (journalismes de tourisme, de vie pratique, d?environnement, de radio, d?informatique).

11On ajoutera enfin que penser cartographiquement les spécialisations, et à travers elles le journalisme comme activité sociale, suppose aussi de réfléchir aux changements et mouvements des hiérarchies et des articulations entre services. Au rang des « perdants » depuis un quart de siècle, les journalistes parlementaires ; du côté des gagnants, les journalistes économiques, sportifs, les spécialistes de l'investigation, mais aussi des soft news. Etudier dans leur diversité les sous-champs du journalisme spécialisé et les fluctuations de leur importance revient donc à les utiliser comme autant de prismes pour comprendre l'inégale force avec laquelle de grandes tendances de fond (course aux audiences et formatage corrélatif des textes et sujets, recherche de la rentabilité économique, injection d?une composante émotionnelle dans l'information) pénètrent ou non la pratique journalistique.

Tensions

12La fécondité des études des journalismes spécialisés vient enfin de ce qu?elles aident à percevoir, dans leurs contrastes et la variété de leurs modalités, les tensions de l'activité journalistique aujourd?hui. Quatre d?entre elles peuvent être mentionnées comme significatives.

13La première s?exprime dans le binôme spécialisation/polyvalence. D?un côté, le spectre même de l'offre de presse(s), la structuration des rédactions en services et rubriques valorisent la spécialisation ; de l'autre l'exigence de polyvalence et de mobilité devient de plus en plus explicitement un critère d?embauche et de jugement des journalistes par les hiérarchies. Cette tension n?est, à beaucoup d?égards, qu?apparente. En dehors des titres de presse régionale aux rédactions les moins étoffées, la polyvalence thématique est rare. L?attente des employeurs porte davantage sur une polyvalence fonctionnelle : rédiger, prendre des clichés, savoir utiliser l'infographie, pouvoir intervenir au niveau du secrétariat de rédaction, voire dans la mise en page. Comme l'ont montré tant des études françaises qu?américaines [8], la montée des supports multimédias liés à l'internet constitue un renforcement puissant de ces tendances.

14L?offre de formation illustre aussi cette tension. Hormis quelques DESS dédiés à une spécialisation étroite, le principe de base de l'offre de formation par les écoles consiste à jouer la carte généraliste et polyvalente. Il s?agit de produire avant tout des professionnels vite opérationnels dans les entreprises, bien davantage que des spécialistes pointus du journalisme international, économique ou scientifique. Comme le montrent aussi bien des rapports officiels (Rapport Sales) que des travaux académiques, le paradoxe de cette option est de valoriser dans la formation des écoles (via le choix des terrains de stage par exemple), l'orientation vers des médias généralistes? alors même que le mouvement dominant des métiers du journalisme réside dans les créations d?emplois en presse spécialisée.

15Une troisième tension pourrait être associée au binôme spécialisation-tremplin/spécialisation-prison. De manière générale, un minimum de spécialisation thématique est la condition de base d?une carrière. Il permet d?échapper au statut de bouche-trou polyvalent de la rédaction. Lui seul permet d?accumuler les ressources d?un carnet d?adresses, d?une technicité, d?une maîtrise des dossiers qui peuvent à leur tour rendre possible le scoop, voire le gros lot qu?est la découverte d?une affaire. Simultanément, les dividendes de la spécialisation sont contradictoires. Certaines, parce que tenues pour plus nobles ou moins techniciennes, peuvent fonctionner comme des attestations de professionnalité, ouvrir la voie à des déplacements vers d?autres rubriques ou spécialisations fonctionnelles, dans une logique qui est celle de la progression hiérarchique. Essentiellement assurée au c?ur de l'été par des stagiaires ou débutants, la couverture du mouvement des « Sans papiers », leur occupation de l'église Saint-Bernard en 1996 aura permis à nombre de ces jeunes journalistes de transformer une démonstration de leur compétence à traiter d?immigration en ticket pour l'accès à d?autres rubriques. A l'inverse, d?autres spécialisations fonctionnent comme des assignations à résidence, tant il est plus aléatoire de transformer un press-book fait de papiers sur des sites web ou des chroniques gastronomiques en sésame pour le service politique ou la rubrique société?

16Les tensions constitutives de la spécialisation renvoient enfin à celle qui oppose l'autonomie individuelle et la logique d?institution, la distanciation critique et les fils de la dépendance. Tel est sans doute l'un des dénominateurs communs les plus forts des contributions réunies ici, qu?il s?agisse du rapport aux sources pour les journalistes religieux ou européens, de l'identification d?espaces de créativité et d?autonomie face à la pesanteur normalisatrice des syntaxes propres au journalisme agencier, ou de l'action homogénéisante d?un secrétariat de rédaction.

17Rendre intelligibles ces tensions, esquisser à partir des spécialités une cartographie des mondes journalistiques, suggérer des acquis et des jachères, tels sont les objectifs de ce numéro. Il s?ouvre sur la contribution de Dominique Marchetti qui propose simultanément un bilan des travaux et un mode d?emploi du « bon usage » possible de cette entrée par la spécialisation. Son texte éclaire le principe d?opposition entre pôles généraliste et spécialisé, les singularités des sous-univers spécialisés, l'importance d?une prise en compte de la diversité des relations entre ces sous-univers et les mondes sociaux dont ils assurent la « couverture ». Dans un article consacré à la spécialisation journalistique sans doute la moins explorée, celle des « agenciers », Eric Lagneau rend compte du jeu de tensions dans lesquelles sont pris les journalistes de l'AFP. Peu de journalismes sont plus prisonniers d?un réseau de contraintes que celui des agences de presse : il faut à la fois fournir une information en primeur, la vérifier avec une absolue rigueur, la condenser dans une syntaxe très rigide. Les agences sont aussi très exposées à la pression vers une information fortement institutionnelle. Et pourtant journalistes et services parviennent au sein de ce réseau de contraintes à préserver quelque chose d?une logique de l'écart, de tonalités propres dans la production de l'information.

18Centrée sur la petite armée des correspondants qui couvrent à Bruxelles l'actualité de l'Union européenne, l'étude d?Olivier Baisnée vient rendre intelligibles toutes les difficultés d?institutionnalisation d?une spécialité journalistique dont le bien-fondé semble pourtant aller de soi au vu de l'importance des enjeux européens. Comment faire exister une spécialisation dont l'autonomie en termes de rubricage menace de dépouiller nombre d?autres services du compte rendu et du commentaire d?informations stratégiques ? Comment incarner ou redéfinir un poste paradoxalement à la fois prestigieux? et réputé renvoyer à une information technique et soporifique, à une forme de connivence militante avec les acteurs de la construction européenne ? Si elle concerne une spécialisation en apparence incomparable, parce qu?ayant trait au religieux et concernant un groupe beaucoup plus restreint, plus ancien, l'étude de Philippe Riutort pose des questions très voisines. Comment gérer la nécessaire proximité et la distance critique ? Comment parler de choses sacrées ? Mais aussi comment formater et recadrer une information religieuse dont le principe même suscite un appétit assez modéré de la part des lecteurs-auditeurs-téléspectateurs des médias généralistes ? Ce dossier thématique se clôt par la contribution de Frédéric Blin sur le secrétariat de rédaction de Libération. Il s?agit d?une des premières études proposées en France sur une spécialisation fonctionnelle essentielle à la vie d?un journal. Elle fait pénétrer dans un dispositif-clé de la machinerie rédactionnelle. A travers une thématique de la « créativité négociée », elle permet aussi de saisir la dynamique des tensions et interactions entre journalistes « assis » qui régulent le flot éditorial et journalistes « debouts » qui rédigent les papiers, de percevoir au plus concret la tension entre la polyphonie des contributions et le travail de mise en forme nécessaire à la cohérence éditoriale d?un titre.

19Dans ce numéro où le journalisme de presse se taille la part du lion (soulignant du même coup le déficit d?études sur les journalismes à la télévision et plus encore à la radio), on trouvera dans les « varia » deux autres contributions liées à l'imprimé. Gilles Kraemer propose un panorama des journaux francophones dans le monde arabe. Contre les idées reçues, il montre en particulier que cette presse n?est pas une butte-témoin ou une relique des temps coloniaux, mais qu?elle connaît une réelle vitalité et un fort renouvellement. Poursuivant sa contribution à une histoire de la presse illustrée, Jean-Pierre Bacot développe une analyse des trois premières générations de cette presse illustrée qui ont vu le jour au XIXe siècle. Il souligne en particulier à quel point les patrons de presse britanniques ont joué un rôle-clé dans l'invention et la redéfinition de « patterns », de modèles éditoriaux dont allaient s?inspirer les magazines continentaux et en particulier français.

20En traitant des « formes de coopération dans le théâtre public », Serge Proust insiste dans l'article qui clôt ce numéro sur la grande dispersion d?un milieu où la constitution de réseaux et, pour une minorité très intégrée, de noyaux stables assurent une activité permanente et multiforme.


Notes

  • [1]
    Les textes publiés ici sont issus de deux journées d?étude et de discussion organisées à Paris (juin 2001) et Rennes (septembre 2001) à l'initiative du Centre de recherches administratives et politiques de l'Université de Rennes I et de l'Institut français de presse de l'Université Paris II. Ces deux équipes, qui jouent un rôle central dans le développement de recherches sociologiques sur le journalisme, entendaient ainsi contribuer à instituer un lieu d?échange pour la communauté en plein essor des chercheurs de sciences sociales centrés sur l'étude du journalisme.
  • [2]
    Sociologie du travail, 1976 (3), p. 256-282.
  • [3]
    Même si deux des maîtres d??uvre de ce numéro appartiennent aux sciences de l'information et de la communication, les contributions les plus nombreuses des sciences sociales au chantier du journalisme proviennent de politistes et de sociologues.
  • [4]
    Le détail de ces références bibliographiques est disponible dans le texte de Dominique Marchetti.
  • [5]
    Jean-Marie Charon, La presse magazine, La Découverte, Paris, 1999.
  • [6]
    Valérie Devillard, Marie-Françoise Lafosse, Christine Leteinturier, Rémy Rieffel, Les journalistes à l'aube de l'an 2000. Profils et parcours, Editions Panthéon Assas, Paris, 2001.
  • [7]
    Dominique Marchetti, Denis Ruellan, Devenir journalistes. Sociologie de l'entrée sur le marché du travail, La Documentation française, Paris, 2001.
  • [8]
    Béatrice Damian, Roselyne Ringoot, Denis Ruellan, Daniel Thierry (sous la direction de), iinform@ tion. local,Mutations du paysage médiatique régional à l'ère d?internet, L?Harmattan, Paris, 2002. Eric Klinenberg, « Information et production numérique », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 134,2000, p. 66-75.
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