Couverture de RESG_115

Article de revue

Valorisation de la création et propriété industrielle dans le modèle culturel japonais : le cas de Sumitomo Electric

Pages 47 à 71

Notes

  • [1]
    La contribution de l’employeur s’apprécie au regard de l’ensemble des éléments (salaire, locaux, outils, marketing…) mis à la disposition directe ou indirecte de l’inventeur au moment de son invention (Ota, 2004).
  • [2]
    Qui sera appelée Sumitomo pour simplifier le propos dans la suite de ce texte.
  • [3]
    The Integer Top 100 Global Wire and Cable Producers Database 2014
  • [4]
    Automotive News, “Top suppliers Supplement”, 2014
  • [5]
    1998 : Development of a two-year Reform Package as mid-term management plan to "qualitatively improve the Integrated Business Enterprise and realize global management" (www.sumitomo.gr.jp, 04/02/2015)
  • [6]
    Patent Cooperation Treaty.
  • [7]
    Cf. présentation de ces mesures ci-après.
  • [8]
    Avec Tokyo Denki University (TDU) : Université privée, école d’ingénieurs qui collabore avec les principaux instituts de recherche nationaux dont l’ISTEC.
  • [9]
    www.istec.org.jp.
  • [10]
    SRL-ISTEC : centre de R&D de l’ISTEC, lieu où sont menées les activités de R&D.
  • [11]
    Source : Tanaka S., 2011, « The history of ISTEC », IEEE/CSC & ESAS EUROPEAN SUPERCONDUCTIVITY NEWS FORUM (ESNF), p.17.

1 – Introduction

1L’innovation est un facteur de croissance stratégique incontesté et incontestable. Pour Schumpeter, c’est un processus discontinu et incertain qu’il différencie dès 1911 de l’invention ; cette dernière n’étant qu’une idée, une ébauche ou un modèle pour un schéma, pour un produit ou pour un processus. Aussi, toutes les inventions ne mènent pas à une innovation technique. Ainsi Schumpeter est-il l’auteur clé à l’origine du modèle technology push dominant pendant une grande partie du 20ème siècle. S’y rattachent l’approche évolutionniste de Nelson et Winter (1977), les notions de paradigme technologique de Dosi (1982), techno-économique de Freeman, Clark et Soete (1982) et la proposition d’une typologie des innovations de Freeman et Perez (1988). Mais dès les années 1960, une approche non mécanique de l’innovation est avancée avec notamment le modèle demand pull de Schmookler (1966) ouvrant la voie au modèle interactif de l’innovation de Rothwell et Zegveld (1982). Ces propositions ont été à leur tour l’amorce des modèles plus récents que sont ceux de l’innovation en réseaux (Aoki, 1986 ; Nonaka, 1991 ; Nonaka et Takeuchi, 1995 ; Shapiro et Varian, 1999 ; Callon, 1992 ; Castells, 1996) et de l’innovation ouverte de Chesbrough (2003, 2006).

2Dans les domaines de hautes technologies comme les supraconducteurs, la recherche hors de maîtrise d’un seul acteur impose un travail collectif s’inscrivant dans le cadre de tels réseaux. Dans ce contexte, un grand nombre d’entreprises ont mis en place de nouveaux business model avec la fonction propriété industrielle (PI) dorénavant rattachée à la fonction stratégie et non pas recherche et développement (R&D) et technique. D’instrument juridique, le brevet s’est révélé au fil du temps un outil managérial. Avec la place déterminante de la PI dans les nouveaux modèles d’affaires, il est devenu indispensable de redéfinir les mécanismes de valorisation de la création. Comme l’inventeur détient désormais une place spécifique dans la chaîne de valeur, les groupes japonais comme Sumitomo ont perçu la nécessité d’attirer et de garder en leur sein de telles ressources humaines afin que cet actif immatériel ne leur échappe pas. L’inventeur devient un capital à préserver, à enrichir et à sécuriser.

3Cette nouvelle perception constitue l’axe principal de la problématique de cette recherche. Des questions se sont imposées et constituent l’ossature de cette étude : un tel contexte implique-t-il l’abandon de la pleine titularité des titres déposés ? Au-delà de la reconnaissance de la contribution des chercheurs (obligation légale), cette reconnaissance va-t-elle jusqu’à l’attribution de la qualité de co-déposants ? Ces mécanismes de valorisation permettent-ils de les fidéliser ? Les réponses obtenues permettent de comprendre les nouvelles pratiques managériales du groupe face aux évolutions culturelles nippones, aux modifications légales nationales ainsi qu’aux mutations économiques mondiales.

2 – Le contexte

4Avant d’étudier plus particulièrement ces pratiques managériales, il est indispensable de présenter certaines évolutions notoires du droit de la PI, le cadre technologique et économique dans lequel évolue Sumitomo ainsi que la méthodologie suivie.

2.1 – Le droit au service de l’esprit inventeur

5C’est en 1474 que le « Pacte Veneziana » énonce pour la première fois les quatre principes de base justifiant la création de toute loi sur les brevets : encouragement à l’activité inventive, compensation des frais encourus par l’inventeur, droit de l’inventeur sur sa création, utilité sociale de l’invention (Lapointe, 2000). Ensuite, apparaissent au 18ème siècle les premières législations modernes, aux États-Unis en 1790 et en France en 1791 ; Louis XVI signe une loi qui précise que le brevet est un contrat entre l’inventeur et la société : l’inventeur dispose d’un monopole d’exploitation, en contrepartie la publication de l’invention la porte à la connaissance de tous. Le détail d’organisation du système du brevet contenu dans ce texte sera ensuite repris dans le monde entier (Cité des Sciences). Aussi tout au long du siècle suivant, ces objectifs de protection et de récompense de l’inventeur, d’encouragement du processus intellectuel, de création ont-ils été assignés aux brevets pour promouvoir les progrès technique, économique et social (Machlup, 1958).

6Au Japon, il fut un temps où les inventions étaient découragées voire interdites (en 1721 par exemple) ; si le premier brevet remonte à 1871, il est généralement admis que le 18 avril 1885 est la date fondatrice de la législation sur la propriété industrielle de ce pays. La loi en vigueur depuis 1921 reconnaît elle aussi que le droit au brevet appartient à l’inventeur (article 29 §1) qui peut de ce fait déposer le brevet en son nom. Dans le cas particulier d’inventions de mission de salariés (loi de 1959 amendée en 2004 et 2008 en vigueur jusqu’au 10 juillet 2016), l’article 35 de ce cadre légal octroie de droit une licence non exclusive à l’employeur ; cependant le plus souvent dans une telle situation, le droit au brevet est transféré par contrat à ce dernier qui dépose une demande de brevet au nom de l’entreprise. Il est prévu dans une telle hypothèse que les employés reçoivent une rémunération raisonnable (article 35 §3) ; le montant de cette dernière doit être fixé en fonction des profits tirés de l’invention par l’employeur et de l’importance de la contribution [1] de ce dernier à l’invention (article 35 §4). La difficulté réside dans le fait qu’il n’existe pas dans la loi de définition claire des notions de profit et de contribution. Aussi les entreprises nippones ont-elles pris l’habitude de rémunérer très faiblement la contribution de leurs inventeurs employés ; de plus, beaucoup d’entre eux en dépit de ce cadre législatif relativement favorable à leur égard ont accepté pendant longtemps de renoncer par loyauté envers leurs entreprises à toute idée de récompense financière. Mais au début du 21ème siècle, des recours en justice ont été entrepris par certains chercheurs afin d’obtenir une rémunération plus conforme à l’ampleur de leurs découvertes. La démarche a été initiée par S. Nakamura (Nobel de physique pour son invention de la diode électroluminescente (LED) bleue) dont l’employeur Nichia a été condamné en 2004 à payer 188,7 millions de dollars au lieu des 190 dollars préalablement versés. Nombre d’entreprises se sont alors alarmées et ont engagé un vaste lobbying auprès du gouvernement japonais afin qu’il modifie les dispositions légales en la matière. Le premier ministre S. Abe a reçu favorablement cette requête puisqu’une réforme du régime des inventions a abouti au texte promulgué le 10 juillet 2015.

2.2 – L’environnement technologique et économique

7Confrontée à la nécessité de relier de plus en plus de producteurs d’énergie aux réseaux électriques vieillissants susceptibles de connaître des pannes, l’industrie de la production et du transport de l’électricité s’est fortement impliquée dans le développement de la technologie des supraconducteurs. De la découverte de la supraconductivité du mercure par Kammerling-Onnes en 1911 aux découvertes du XXIème siècle, la course aux matériaux supraconducteurs à une température aussi élevée que possible n’a jamais cessé. L’intérêt majeur de ces matériaux de résistance nulle est de repousser les champs magnétiques extérieurs ; mais le principal frein au développement de cette technologie provient du coût et de la complexité de la technologie complémentaire requise : la cryogénie. Un grand nombre d’applications sont déjà en phase de commercialisation dans des secteurs comme les transports (trains à lévitation magnétique), les applications médicales (I.R.M), les applications scientifiques (les accélérateurs à particules).

8Dès l’origine, Sumitomo a érigé cette technologie en priorité managériale livrant une bataille acharnée avec en particulier IBM et Siemens (Leboulanger et Maudière, 1997). Issue de ce groupe multiséculaire, l’entreprise japonaise Sumitomo Electric Industries (SEI) [2] compte en 2015 plus de 200 000 employés répartis sur trois continents (Asie, Amérique et Europe). Producteur de câbles (3ème en chiffre d’affaires en 2013 [3]), de fibres optiques, d’équipements pour les industries de l’optoélectronique et des semi-conducteurs, il évolue sur les marchés mondiaux des télécommunications, de l’électricité, des technologies de l’information et de l’automobile (15ème en chiffre d’affaires en 2013 [4]).

9Face à l’exacerbation de la concurrence sur des marchés de plus en plus globalisés et, pour certains, proches de la saturation, il a opéré à la fin des années 1990 une réorganisation de ses activités [5]. La quête de nouveaux leviers de croissance explique la redéfinition de sa stratégie d’innovation et notamment son ouverture : recherche accrue, recentrage sur des créneaux porteurs et renforcement des implantations sur les principaux marchés mondiaux (Leboulanger et Maudière, 2014).

2.3 – La méthodologie de recherche

10Elle repose sur l’interrogation de la base de données brevets « esp@cenet » à partir du terme « supraconducteur » pour les champs « titre » et « résumé » et du terme « Sumitomo Electric » pour le champ « déposant ». Les brevets déposés via les procédures nationales, européenne (OEB) et internationale (PCT [6]), et publiés depuis 1978, ont été téléchargés. Les 178 brevets déposés par le groupe depuis 2001 ont fait l’objet d’un traitement statistique et d’une analyse approfondie. Afin de déterminer l’origine des savoirs à la base de l’invention, un travail de recherche à partir des noms des inventeurs et des déposants, de vérification de leur affiliation structurelle a été nécessaire ; il n’a pu se faire que visuellement et au cas par cas. Aussi des investigations qualitatives complémentaires via une netnographie ont-elles été entreprises (communiqués, rapports, articles de presse, discours de différentes parties prenantes) ainsi que par contact direct à chaque fois que subsistait un doute. Ce travail se nourrit également des apports de nos nombreux échanges avec les acteurs majeurs du domaine pour nos recherches antérieures. Une approche holistique et longitudinale a été ensuite suivie. Enfin, les données réunies dans une base locale ont été mises en forme sous MS Excel pour une visualisation graphique des résultats statistiques.

3 – Résultats de la recherche

11Dans cette partie, l’activité brevet du groupe Sumitomo est dans un premier temps présentée. Ensuite, nous avons recherché l’origine des inventeurs, leur productivité respective afin de mettre en évidence le rapport entre la contribution domestique et externe à l’entreprise.

12Quelle activité brevet dans les supraconducteurs pour Sumitomo ?

Figure 1

Dépôts de brevets de Sumitomo

Figure 1

Dépôts de brevets de Sumitomo

13De 2001 à 2013, 178 brevets déposés par Sumitomo sont recensés. Le pic de 2005 correspond à l’aboutissement des recherches engagées depuis les années 1990, notamment dans le cadre des réseaux électriques intelligents ; par ailleurs en 2004, Sumitomo a été le premier à lancer sur le marché un câble SHTC commercial grâce à une stratégie de développement basée sur sa politique de propriété industrielle et la disponibilité du bismuth (Ambassade de France, 2004). De même en 2007, Sumitomo présente un véhicule électrique de 365 kW qui réalise 20 à 30% d’économie par rapport aux véhicules électriques classiques. Dès 2010, une reprise de l’activité brevet se manifeste, elle résulte des progrès réalisés pour la mise au point de moteurs supraconducteurs notamment et de l’arrivée sur le marché de cryoréfrigérateurs à des prix « abordables ».

3.1 – La valorisation de la création

14Comment s’opère la valorisation de la création qu’elle soit interne ou issue d’une démarche collaborative ?

15Le domaine des supraconducteurs requiert des connaissances à la croisée de disciplines diverses ; il a impulsé des collaborations entre des chercheurs nombreux, mobiles et hétérogènes. Les brevets déposés reconnaissent leur contribution en tant qu’inventeur par le biais de la citation ; cette obligation juridique ne peut désigner qu’une personne physique. Si l’invention est le fruit d’une équipe, sa paternité revient à la pluralité des personnes physiques qui la compose et chacune d’entre elles doit être désignée comme inventeur dans le brevet. En règle générale, le droit à la propriété du brevet appartient à l’inventeur ou à l’équipe inventrice mais ces personnes peuvent céder ce droit. Au Japon comme dans la plupart des pays, la demande des brevets peut être déposée directement au nom du cessionnaire des droits.

16Qui sont les inventeurs ?

Figure 2

Origine des inventeurs

Figure 2

Origine des inventeurs

1794 inventeurs sont à l’origine des 178 brevets dénombrés, dont 53 sont employés par Sumitomo. Les contributions internes et externes en termes de résultats protégés sont donc relativement équilibrées et reflètent bien le degré d’ouverture du processus d’innovation du groupe motivé par des raisons technologiques et managériales.

18Quelle est la productivité des inventeurs ?

3.1.1 – La contribution domestique

Figure 3

Distribution des inventeurs Sumitomo par nombre de brevets

Figure 3

Distribution des inventeurs Sumitomo par nombre de brevets

19Les inventeurs prolifiques se distinguent par un nombre élevé de dépôts de brevets (>10). Un large spectre est observé allant d’inventeurs ayant participé à un seul brevet à des inventeurs ayant contribué à plus d’une vingtaine de brevets.

20Quelle est la « carrière » brevet des inventeurs de Sumitomo ?

Figure 4

« Carrière » brevet des inventeurs de Sumitomo

Figure 4

« Carrière » brevet des inventeurs de Sumitomo

21Les inventeurs peuvent être répertoriés en fonction de la durée de leur activité brevet qualifiée ici de « carrière » ; celle-ci est mesurée par la durée écoulée entre le premier et le dernier dépôt. Cet indicateur permet de mettre en évidence que peu d’inventeurs peuvent justifier d’une carrière longue. Seuls cinq d’entre eux ont une activité décennale. En revanche, 38 ont une carrière courte (4 ans). Si l’on affine ces résultats en considérant le nombre d’années maximum d’interruption entre deux dépôts de brevets consécutifs, il apparaît qu’à un petit nombre d’inventeurs publiant très régulièrement s’oppose un grand nombre d’inventeurs dont l’activité brevet est plus concentrée dans le temps. Il a semblé intéressant d’étudier également l’activité brevet des 25 inventeurs dont le premier dépôt est antérieur à 2007. Cette période correspond en effet à une nouvelle phase d’engagement du groupe dans l’industrie des supraconducteurs (lancement du 1er programme de démonstrateur dans le cadre des smart-grids, par exemple). Aussi avons-nous constaté une très grande hétérogénéité des « carrières ». Seuls douze inventeurs domestiques ont eu une activité longue, avec pour cinq d’entre eux une activité en continu. Des phases d’interruption pouvant aller de trois à sept ans ont été à l’opposé observées pour les autres.

22Une corrélation entre durée de carrière et nombre de brevets déposés est-elle maintenant envisageable ?

23Si l’on se réfère au nuage de points et à la courbe de tendance, on met en évidence une relation entre la durée de la carrière et le nombre de dépôts de brevets. En général, les deux caractères varient dans le même sens. Mais deux cas « atypiques » apparaissent : l’un relatif à quatre titres déposés en douze ans et l’autre correspondant à 26 brevets en quatre ans (de 2004 à 2007). Après investigation, il apparaît que le plus prolifique inventeur est un chercheur nommé assistant manager à la Superconductivity Technology Division. Ses découvertes couvrent le domaine des câbles pour lesquels un verrou technologique en sciences des matériaux a été levé en 2004. Aussi cette concentration de dépôts de brevets peut être une démonstration de la discontinuité du progrès scientifique observée le plus souvent. L’autre inventeur est un ingénieur de la System & Electronic Equipment Division qui sans être spécialisé dans les supraconducteurs contribue aux avancées de ce domaine. Ceci illustre la nécessité dans un tel domaine de haute technologie de favoriser la transversalité des disciplines.

Figure 5

Durée de carrière et nombre de brevets

Figure 5

Durée de carrière et nombre de brevets

24Comme nous pouvions le supposer, globalement il existe bien une relation positive forte (r = 0,71) entre la longueur de la carrière inventive et le nombre de brevets déposés. Certains inventeurs jouent bien un rôle central dans la performance en innovation du groupe. Ils constituent de ce fait une fraction essentielle de son capital intellectuel humain. Ceci corrobore les observations de Lacetera, Cockburn et Henderson (2004) et nous mène à la conclusion de Pilkington et al (2009) que le savoir serait localisé dans les individus plutôt que dans les entreprises. Aussi l’avantage concurrentiel de celles-ci dépend de cette ressource humaine qui demande à être sécurisée. L’enjeu pour Sumitomo est bien de savoir attirer les talents mais aussi d’être capable de les retenir.

25D’où sont issus les inventeurs hors Sumitomo ?

3.1.2 – La contribution externe

Figure 6

Inventeurs hors Sumitomo par catégorie de structures

Figure 6

Inventeurs hors Sumitomo par catégorie de structures

26La contribution la plus importante recensée via les citations concerne des inventeurs issus d’entreprises. Ceux des organismes privés dont le système de recherche est fortement orienté vers la recherche appliquée et le développement expérimental (OCDE, 2012) participent dans une moindre mesure à la création des connaissances justifiant pour le groupe le dépôt d’un titre de PI. Il en est de même pour les universités malgré les mesures prises pour promouvoir des collaborations avec l’industrie [7] ; ceci s’explique peut-être par le fait que peu d’universités japonaises ont une stature mondiale et que rares sont les publications nippones dans les revues scientifiques de renom.

27Qui sont-ils ?

Figure 7

Distribution des inventeurs issus d’entreprises

Figure 7

Distribution des inventeurs issus d’entreprises

Figure 8

Distribution des inventeurs issus d’organismes partenaires privés de recherche

Figure 8

Distribution des inventeurs issus d’organismes partenaires privés de recherche

Figure 9

Distribution des inventeurs issus des universités [8]

Figure 9

Distribution des inventeurs issus des universités [8]

Figure 10

Distribution des inventeurs issus d’organismes publics de recherche

Figure 10

Distribution des inventeurs issus d’organismes publics de recherche

28Les inventeurs issus des entreprises partenaires de Sumitomo sont employés par les fournisseurs d’énergie TEPCO (récemment nationalisé) et KEPCO, le producteur d’acier Toyo Kohan, le fabricant d’appareils lourds (moteurs d’avion, usines de production d’énergie et construction navale) IHI (Ishikawajima Heavy Industries) et le câblier Furukawa Electric. Les quatre premières sociétés n’interviennent pas au même stade de la chaîne de valeur que Sumitomo, leurs activités étant complémentaires. En revanche, Sumitomo et Furukawa sont concurrents. Leur collaboration s’inscrit depuis le début des années 2000 dans le cadre d’un programme national de R&D conduit par l’ISTEC (voir ci-après). Elle s’est traduite par la prise conjointe d’un brevet et par la citation d’un inventeur issu de chacune de ces sociétés dans deux brevets. Bien que câbliers tous deux, chacun apporte dans le cadre de cet accord des compétences différentes : une expertise en fil métallique texturé pour l’un, un savoir-faire en raccord de câble pour l’autre par exemple. La reconnaissance des inventeurs concerne principalement les recherches issues des partenariats avec TEPCO et Toyo Kohan.

29Le principal organisme privé de recherche impliqué au côté de Sumitomo est l’ISTEC (International Superconductivity Center). Cet organisme associatif non commercial a été créé sous l’égide du METI en 1988 à la suite de la découverte des nouveaux supraconducteurs. Il regroupe plus d’une centaine d’entreprises [9], de nombreuses universités et des structures gouvernementales. Son objectif principal est de contribuer au développement d’applications à base de supraconducteurs et à l’intégration de cette technologie dans l’industrie. Sa mission est de faire le lien entre les entreprises privées et d’assurer la fonction de lieu principal de recherche pour les chercheurs issus des milieux industriel et universitaire. A ces fins, sa démarche s’apparente à un modèle développé auparavant dans l’industrie automobile : le « design-in » ou encore « black box parts system » (Huysveld, 2014). Pour mener en commun un projet de développement, des ingénieurs employés par un sous-traitant sont détachés chez un constructeur. C’est le donneur d’ordre qui décide du degré d’implication des différentes parties prenantes. Au fil du temps et des projets, les participants font l’objet d’une évaluation (performances, capacités potentielles…) par ce dernier. Cette évaluation déterminera ensuite le stade d’évolution du projet auquel les participants seront conviés à l’avenir. C’est une véritable relation de confiance qui s’établit ainsi, basée sur l’expérience issue du travail à long terme. Les relations de coopération mutuelles s’expriment au travers de transferts de technologie, de la participation aux réseaux de communication, du partage des coûts de recherche et d’un système incitatif de récompense. Aujourd’hui, les groupes japonais dont Sumitomo transposent ce modèle dans leurs relations avec les universités pour leurs programmes de recherche fondamentale.

30Le JFCC (Japan Fine Ceramic Center), lui, a vocation à réaliser des enquêtes industrielles et générales d’information technologique mais organise aussi des consultations sur des questions techniques plus spécifiques. Sa participation aux programmes de R&D consiste à soutenir cette dernière en participant à des tests d’analyse et d’évaluation, en vendant un savoir-faire en matière de transfert de technologie et en octroyant des droits de propriété industrielle (DPI). Même s’il peut se prévaloir d’une activité de recherche, celle-ci apparaît peu. L’ISTEC et le JFCC entretiennent des liens étroits puisque c’est le JFCC tout juste naissant qui a abrité dès 1988 la branche du SRL-ISTEC [10] à Nagoya. Aujourd’hui, le JFCC est partie prenante de trois des cinq projets portés par l’ISTEC : les câbles, les transformateurs et le courant continu.

31On constate que six universités japonaises sont impliquées dans des programmes de R&D de Sumitomo. Ces collaborations ont donné lieu pour les universités de Tokyo et de Fukui à la citation de leurs chercheurs dans six brevets ; en revanche, elles semblent avoir été nettement moins productives si l’on se réfère à la contribution des chercheurs issus des quatre autres universités.

32Le Japon a engagé depuis les années 1990 de vastes réformes visant à transformer la structure de la recherche publique. Le Programme-Cadre quinquennal de la Science et de la Technologie japonais (1996-2000) entendait mettre les institutions d’enseignement supérieur et de recherche au centre de la nouvelle dynamique de production des connaissances. Les moyens retenus ont été la promotion de nouveaux liens de coopération entre académie et industrie, l’autonomie des universités nationales, la réforme des institutions de recherche publique ou encore la politique en faveur de la propriété intellectuelle. Néanmoins, le véritable mouvement de réformes s’est produit au début des années 2000 avec le deuxième Programme-Cadre quinquennal ; il a conduit à la centralisation de la gouvernance de la politique nationale en matière de science et de technologie par le General Council for Science and Technology Policy (GCSTP), à l’évaluation des unités publiques de recherche, des universités et des chercheurs ainsi qu’à des choix scientifiques prioritaires. Dans un tel contexte, la production de résultats scientifiques sous forme de publication d’articles et la valorisation de la propriété intellectuelle sont devenues des enjeux majeurs pour les universités.

33Cependant, notre étude révèle que la revitalisation attendue du tissu industriel par une intensification des relations université/industrie ne s’est pas produite bien que l’un des domaines prioritaires arrêté par l’État japonais porte sur les nouveaux matériaux. Il s’avère que les grandes entreprises japonaises, contrairement à leurs homologues américaines, hésitent à nouer des liens contractuels avec leurs universités. Leur capacité à respecter des clauses de confidentialité et à gérer la propriété industrielle est loin d’être reconnue. Si Sumitomo noue néanmoins quelques partenariats, l’objectif est de lui permettre de bénéficier d’une part d’une fenêtre sur des travaux académiques pointus et d’autre part d’approcher ainsi des chercheurs à haut potentiel appartenant à des domaines qui lui font défaut. Si pour deux brevets issus de recherches conjointes avec l’ISTEC, des chercheurs de l’université de Tokyo sont cités, les liens organiques entre ces deux structures n’y sont sûrement pas étrangers. En effet, l’équipe de recherche du professeur Shoji Tanaka de cette université est à l’origine de la création de ce centre. Il en a été d’ailleurs le 1er vice-président avant d’en devenir le président jusqu’en 2008. Nous avons ici une autre illustration de l’impact de la dimension humaine dans le processus d’innovation.

34Nous constatons également qu’une dizaine d’universités japonaises (cf. figure 11), à l’instar de ce que font les entreprises, missionnent des chercheurs pour participer à des recherches communes au sein du SRL-ISTEC. Dans le cadre de ces projets collaboratifs, la propriété des DPI est octroyée aux chercheurs au prorata de leur contribution à l’invention.

Figure 11

Projets de recherches communes SRL-ISTEC [11]

Figure 11

Projets de recherches communes SRL-ISTEC [11]

35Contrairement aux universités, les collaborations avec les organismes publics de recherche aboutissent à un nombre élevé de citations d’inventeurs lors de brevets conjoints ; le nombre de ces titres est très faible cependant. L’AIST est issu de la fusion de neuf laboratoires nationaux ; bien que sous statut d’agence administrative autonome, il est soutenu à 85% par des fonds publics. Désormais libre de ses choix stratégiques, il a vu ses responsabilités s’accroître. En 2005, un accord global a été conclu entre Sumitomo et lui. Depuis cette date plusieurs projets de recherche conjointe ont été lancés chaque année. Certains membres du personnel et notamment des stagiaires postdoctoraux recrutés alors ont été embauchés ensuite par l’industriel ; des transferts de PI et de savoir-faire technique détenus par l’AIST ont ainsi été rendus possibles (rapport Sumitomo 2009). Le National Institute for Materials Science (NIMS) est, lui, spécialisé en sciences des matériaux, il regroupe plus de 1000 personnes ; reconnu internationalement, il participe à nombre de projets de recherche majeurs. Le caractère public de ces deux organismes impose peut-être la production de résultats scientifiques, le nombre élevé de citations d’inventeurs pourrait s’expliquer de la sorte.

36Par ailleurs, si la propension à breveter au cours du temps dépend en partie des programmes de recherche engagés, il est nécessaire d’étudier l’impact de la titularité des brevets.

3.2 – La propriété des brevets

37Après avoir examiné l’origine des inventions (domestiques et extérieures), la question de l’attribution des droits de propriété de ces mêmes inventions est soulevée. La titularité (ou propriété) des brevets reflète l’indépendance de l’entreprise pour la technologie protégée. Aux titulaires du droit, le brevet accorde le monopole d’exploitation et la maîtrise du transfert du savoir. Les questions de titularité des droits sont compliquées et varient d’un pays à un autre ; une titularité litigieuse ou peu claire d’un titre peut sérieusement hypothéquer la valeur et la liquidité d’une technologie. L’inventeur et le titulaire des droits peuvent être distincts et font l’objet de mention séparée sur la page de garde du brevet.

38Sumitomo dépose-t-il seul ses brevets ?

Figure 12

Titularité des brevets

Figure 12

Titularité des brevets

39Sur les 178 brevets déposés par Sumitomo, 108 ont fait l’objet d’un co-dépôt.

40L’indépendance ou la copropriété des brevets constituent un révélateur des stratégies engagées. Les résultats brevetables de recherches menées dans le cadre de partenariats peuvent faire l’objet d’une demande de brevet commun puis d’un brevet commun dont la propriété est alors conjointe à tous les déposants. Le brevet conjoint, c’est accepter que le partenaire ait des droits d’usage et de transfert sur certains actifs intellectuels ; au Japon, le consentement des autres co-titulaires est néanmoins requis pour toute concession de licence.

41Avec qui Sumitomo dépose-t-il ses brevets ?

Figure 13

Répartition des brevets par co-déposants

Figure 13

Répartition des brevets par co-déposants

42Sumitomo détient essentiellement des brevets conjoints avec des inventeurs (89). La co-titularité des titres avec des entreprises existe même si elle est moins fréquente. Si la co-détention de brevets par Sumitomo et des organismes privés de recherche est plus confidentielle, celle avec des structures publiques (universités et organismes publics de recherche) est rare.

3.3 – La relation invention et copropriété

43A ce stade, notre recherche s’attache à mettre en évidence le lien entre paternité de l’invention et propriété du brevet et vise à comprendre les raisons de l’existence ou non d’un tel lien.

44La citation de l’inventeur et le co-dépôt vont-ils de pair ?

Figure 14

Mesure de la co-invention domestique

Figure 14

Mesure de la co-invention domestique

Figure 15

Mesure de la co-invention non domestique

Figure 15

Mesure de la co-invention non domestique

45A l’exception de sept brevets, tous les titres déposés par Sumitomo citent des inventeurs maison. Parmi les 108 brevets ayant fait l’objet d’un co-dépôt, 89 titres y associent des inventeurs. Pour 86 de ces titres, un des co-déposants fait partie des 53 chercheurs « maison » repérés. La reconnaissance des inventeurs-employés par la copropriété des brevets concerne près de la moitié des titres détenus. Notons que cinq chercheurs domestiques sont répertoriés co-déposants pour plus de dix titres. Trois d’entre eux sont désignés pour plusieurs titres seuls au côté de l’entreprise.

46A de rares exceptions, deux logiques se distinguent : d’une part, celle des structures de recherches académiques et publiques dont les chercheurs sont reconnus comme inventeurs et co-déposants, d’autre part, celle des entreprises qui reconnaissent leurs chercheurs mais ne vont pas jusqu’à les associer au dépôt. L’ISTEC, lui, associe plus les chercheurs aux fruits de leur travail.

47Comment expliquer les relations entre l’entreprise et les universités ?

48L’État japonais a mis en place des TLO (Technology Licensing Organizations) (Delapierre & al., 2001) qui centralisent la gestion des DPI des structures académiques et servent d’uniques intermédiaires entre les entreprises, les centres de recherche académiques ou les chercheurs. Casti est une des premières TLO. Issue de l’université de Tokyo, elle a été créée en 1998. Ceci explique que dès 2003, des chercheurs de l’université de Tokyo impliqués dans des recherches conjointes avec Sumitomo et l’ISTEC déposent des brevets conjoints en leur nom propre. Cette TLO s’occupe de la consultation technologique, de la rédaction des brevets, des relations entre laboratoires universitaires et entreprises ou encore de la mise en valeur des travaux de recherche universitaire. Elle joue ainsi un rôle important non seulement dans la nouvelle dynamique de brevets universitaires mais aussi, en amont, dans la contractualisation des recherches universitaires avec l’industrie et dans la création de start-ups académiques. Cette TLO est également une des plus rentables du pays grâce à des partenariats réfléchis et une bonne performance de ses chercheurs.

49Seule l’université de Kyoto co-détient un brevet avec Sumitomo et deux chercheurs universitaires. Les autres universités repérées l’ont été grâce à l’affiliation de leurs chercheurs. En effet, les chercheurs sont cités comme inventeurs, parfois comme co-déposants mais leur structure d’origine est transparente. En cas de redevances, seule une partie peut être restituée aux universités via les TLO.

4 – Analyse

50L’analyse des brevets déposés par Sumitomo Electric dans le domaine des supraconducteurs permet de cerner le rôle du brevet comme mécanisme de valorisation de la création. Diverses pratiques managériales sont mises à jour, se justifiant par des impératifs légaux, culturels et/ou macro-économiques.

51Pour promouvoir l’accélération de la croissance des innovations, le gouvernement Abe a entrepris une réforme du système de protection des inventions. Considérant le système en vigueur responsable entre autres de la baisse des investissements en R&D des entreprises étrangères (Ueno, 2013), les droits au brevet sont depuis juillet 2016 accordés à l’employeur de l’inventeur. Ce dernier devra recevoir en contrepartie une récompense appropriée conforme aux directives de l’Office japonais des brevets et à l’accord préalable passé entre les deux parties. A défaut de tels contrats et/ou de règlements intérieurs comportant les formulations appropriées, le droit au brevet reviendra à l’inventeur comme dans la législation antérieure. Sumitomo, considérant que l’inventeur s’avère être l’actif le plus stratégique, a retenu des mécanismes de valorisation qui vont bien au-delà de ce cadre légal.

52Dès les années 1960, les recherches sur les matériaux supraconducteurs ont été érigées en priorité nationale et au sein du groupe Sumitomo en particulier. Aussi la découverte en 1986 de matériaux supraconducteurs à haute température a-t-elle consolidé ce choix technologique et stratégique. Les innovations dans ce domaine étant essentiellement disruptives (Christensen, 1997 ; Christensen & Raynor, 2003) imposent un degré de cumulativité des connaissances élevé et une prise de risque aigue. En conséquence, leur protection s’avère fondamentale et le retour sur investissement semble indissociable de l’appropriabilité des résultats ; la PI en est l’instrument et devient une fonction essentielle au sein du nouveau business model requis. Dans sa démarche qui s’apparente au modèle de Schumpeter Mark 2, Sumitomo a créé lors de la redéfinition de son organisation interne, un département dédié à la PI au service de toutes les parties prenantes du groupe et a octroyé une plus grande autonomie de gestion à la R&D de la branche supraconducteur.

53Depuis la fin des années 1990, la quête de nouveaux leviers de croissance a imposé à Sumitomo l’ouverture de son processus d’innovation qui a favorisé l’outside-in pouvant aller jusqu’aux transferts de savoir et même de DPI. La collaboration permet de tester les jeunes esprits créateurs et de les attirer ensuite dans le groupe grâce aux outils managériaux que sont les mécanismes de citations et/ou les co-dépôts. A l’inverse, pour sécuriser l’inside-out et conserver son potentiel créatif, le groupe utilise le même dispositif pour la valorisation des inventeurs « maison » et les inciter à s’investir pleinement dans un programme de recherche. Ces stratégies de reconnaissance ont en général des effets positifs sur le nombre de dépôts de brevets comme l’ont démontré l’Observatoire de la propriété intellectuelle (2008) et Kohler (2010).

54L’évolution de la société japonaise en général et celle de la culture d’entreprise en particulier impose de faire évoluer les politiques de gestion des ressources humaines. Par exemple, la remise en cause de la pratique de l’emploi à vie a eu une incidence sur la loyauté des employés à l’égard de leur entreprise. Aussi afin de fidéliser les hauts potentiels et de sécuriser les actifs immatériels, Sumitomo a instauré des nouveaux systèmes de rémunération, de stocks options ou de vente d’actions à des conditions privilégiées. Aucune voie n’a été négligée. Ainsi lors de la refonte de son site Internet en 2015, il a créé une nouvelle rubrique afin d’honorer ses chercheurs au travers de portraits complets. Il les valorise également via des newsletters et lors de remises de prix. Autant de pratiques pour mettre en lumière cette corporation longtemps ignorée. Certes une telle stratégie rend les ressources humaines plus hétérogènes, mais elle est propice à l’épanouissement de l’originalité individuelle et de l’initiative créatrice indispensables au développement de métatechnologies comme l’industrie des supraconducteurs.

55Cette recherche valide un grand nombre d’hypothèses des théories relatives à l’open innovation (Lichtenthaler, 2008 ; Manyika & al, 2007 ; Henkel, 2006) et son originalité est de mettre en évidence la nouvelle dimension stratégique du brevet via le co-dépôt. Au-delà de sa fonction juridique classique (protection du droit d’exploitation d’une invention), ce travail démontre que le co-brevet est un atout compétitif et relationnel qui peut être utilisé également à des fins de gestion des ressources humaines. Il apparaît comme un stimulant des motivations intrinsèque (Deci, 1975) (valorisation des compétences) et extrinsèque (perspective de droits d’exploitation partagés). La reconnaissance par son biais des capacités et de la productivité créatrice des inventeurs incite les esprits les plus fertiles à s’engager dans de nouvelles collaborations. Leur signalement permet en outre de nouer plus facilement de nouveaux partenariats ; en effet, si le dépôt commun révèle un résultat de recherches comme tout autre brevet, la caution d’un inventeur notoire renforce la valeur du titre. Ce moyen de reconnaissance morale et financière (en cas de valorisation du titre) peut également contribuer à sécuriser un actif immatériel dont la perte serait préjudiciable à l’entreprise ; le co-dépôt rend complexe le départ de l’employé ingénieux et en surenchérit le coût. Outre l’imbroglio juridique à dénouer, l’entreprise d’accueil de l’inventeur co-déposant pourrait être tenue de l’indemniser pour l’abandon de ses revenus financiers générés lors de l’exploitation du titre. A l’inverse, cette co-titularité peut agir comme un facteur de resserrement de l’engagement entre l’employeur et l’employé ; engagement double car ils sont liés à la fois par le contrat de travail et par le brevet.

5 – Conclusion

56Ce travail met en évidence la valeur du facteur humain dans le processus d’innovation et plus particulièrement dans l’élaboration d’une véritable stratégie de PI. Pendant longtemps celle-ci a consisté pour beaucoup d’organisations à acquérir des brevets par le biais d’opérations d’achat de sociétés ; de telles opérations se sont avérées le plus souvent coûteuses et complexes et ont présenté certaines limites (risque de départ des inventeurs clés ou déclin de leur productivité (Chaudhuri & Tabrizi, 1999, Kapoor & Lim, 2007)). Si l’identification des plus grands inventeurs par les brevets constitue une opportunité à des fins de recrutement, la menace d’un éventuel « débauchage » n’est certes pas à exclure. Mais pour contrer un tel danger, la co-titularité, loin d’être une contrainte pour l’entreprise, devient pour elle un véritable atout stratégique.

57Sumitomo pour la valorisation de ses chercheurs a privilégié quatre axes : la motivation, la collaboration, le résultat et la reconnaissance. Face au nouveau paradigme qu’est la révolution numérique, ce groupe comme d’autres leaders s’appuie sur une stratégie de communication orchestrée essentiellement autour des brevets. L’analyse de leurs nouveaux modes de communication et d’interaction avec leurs inventeurs mais également avec leurs partenaires et concurrents nous semble une voie de recherche prometteuse à exploiter.

Bibliographie

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Notes

  • [1]
    La contribution de l’employeur s’apprécie au regard de l’ensemble des éléments (salaire, locaux, outils, marketing…) mis à la disposition directe ou indirecte de l’inventeur au moment de son invention (Ota, 2004).
  • [2]
    Qui sera appelée Sumitomo pour simplifier le propos dans la suite de ce texte.
  • [3]
    The Integer Top 100 Global Wire and Cable Producers Database 2014
  • [4]
    Automotive News, “Top suppliers Supplement”, 2014
  • [5]
    1998 : Development of a two-year Reform Package as mid-term management plan to "qualitatively improve the Integrated Business Enterprise and realize global management" (www.sumitomo.gr.jp, 04/02/2015)
  • [6]
    Patent Cooperation Treaty.
  • [7]
    Cf. présentation de ces mesures ci-après.
  • [8]
    Avec Tokyo Denki University (TDU) : Université privée, école d’ingénieurs qui collabore avec les principaux instituts de recherche nationaux dont l’ISTEC.
  • [9]
    www.istec.org.jp.
  • [10]
    SRL-ISTEC : centre de R&D de l’ISTEC, lieu où sont menées les activités de R&D.
  • [11]
    Source : Tanaka S., 2011, « The history of ISTEC », IEEE/CSC & ESAS EUROPEAN SUPERCONDUCTIVITY NEWS FORUM (ESNF), p.17.
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