Notes
-
[1]
Équivalent vingt pieds.
-
[2]
Tonnes kilomètres.
-
[3]
Les données Vnf calculés sur 350 km tiennent compte des coûts des pré- et post-acheminements routiers.
-
[4]
Sur la base d'entretiens menés en tête à tête de mai à juillet 2013, Ports de Paris, Communauté Portuaire de Gennevilliers, Sncf Geodis, Vnf, Direction Régionale et Interdépartementale de l'Équipement et de l'Aménagement, différents chargeurs et transitaires (Btp, conteneurs).
1. Introduction
1 À l'instar de leurs homologues maritimes et étrangers, les ports fluviaux cherchent à faire de l'offre trimodale un élément décisif de leur développement (Meuriot et Meignen, 2012). Cette complémentarité, souvent portée par le discours commercial, était toutefois restée plutôt indigente dans les faits (Blum, 2010). Prioritairement intéressés par le développement des seuls trafics fluviaux, les ports intérieurs ont jusque-là peu porté d'attention aux transports ferroviaires dont ils n'avaient au demeurant pas la charge. Dans la mesure où les relations ferroviaires concernaient avant tout les industriels implantés dans les ports via des installations particulières embranchées (Ite), les services s'établissaient directement entre chargeurs et acteurs ferroviaires. Jusqu'à récemment, la voie ferroviaire elle-même incombait au seul gestionnaire d'infrastructure national. La déshérence du marché ferroviaire, notamment dans les ports fluviaux, a été marquée par une sévère recomposition industrielle pour les trafics captifs, alors que les potentiels de croissance lui échappaient largement (transport combiné continental et conteneurs maritimes). En outre, les lourdeurs techniques et sociales de l'organisation du travail des cheminots souvent combinées à celles des opérateurs portuaires ont été un facteur qui a aggravé le repli des trafics. Aujourd'hui, la logique de confrontation, voire d'éviction, entre les deux modes ne semble plus de mise. Des facteurs de changement sont intervenus qui expliquent la réévaluation très récente de la place du ferroviaire dans les ports : l'intérêt croissant des ports maritimes au renforcement de leurs arrière-pays par des modes massifiés (Gouvernal et Debrie, 2005), la libéralisation européenne du fret ferroviaire en 2005, les réformes portuaires de 1992 et de 2008 qui placent les ports maritimes, mais aussi les deux grands ports fluviaux français de Strasbourg et Paris, dans une fonction de promoteur du transport multimodal, enfin l'injonction politique nationale et européenne en faveur du développement de modes alternatifs à la route – lois Grenelle 1 et 2 – (Cas, 2012 ; Commission européenne, 2011).
2 Dans une perspective de logistique urbaine également, le rail et la voie d'eau enregistrent un regain d'intérêt comme en témoignent à Paris les services mis en œuvre pour Monoprix par le rail depuis 2007 ou Franprix par la voie d'eau depuis 2012 (Sotto, 2013). C'est dans ce contexte porteur que les chargeurs et les prestataires de transport franciliens envisagent aujourd'hui de lancer de nouvelles combinaisons entre le rail et la voie d'eau. Dans cette perspective encore peu explorée, notre contribution s'inscrit dans une démarche d'aménagement dans la mesure où elle cherche à concilier les contraintes des acteurs économiques et un aménagement global du territoire, démarche qui est encore trop rarement suivie dans le domaine des transports de marchandises. Appliquée à l'Île-de-France, le propos a ainsi pour objectif de revenir sur les conditions d'émergence de nouvelles pratiques introduites par le changement institutionnel et les attentes politiques en termes de transfert modal. Il s'agit notamment d'évaluer les possibilités de synergies fluvio-ferroviaires dans le contexte francilien. L'analyse s'appuie sur le croisement de documents techniques émanant des différents acteurs territoriaux. Ils ont été complétés par des entretiens en face à face avec différents responsables susceptibles d'orienter l'offre de transport (cf. Annexes). Deux grands types de marchés ont été retenus pour l'analyse, celui des agrégats et celui des conteneurs. Ce travail s'inscrit dans le cadre plus large de l'Anr Fluide (2010-2013), une recherche portant sur le rôle des ports intérieurs et sur le développement de la logistique fluviale dans les grandes agglomérations françaises (Beyer et Debrie, 2013).
2. Contraintes et opportunités du ferroviaire pour les ports franciliens
2.1. Ports fluviaux et offre ferroviaire
3 Lieu de massification et de transformations industrielles, de nombreux ports fluviaux et la plupart des ports maritimes sont accessibles par le rail. À ce titre, ils jouent un rôle souvent décisif dans la dynamique du secteur. Les réformes successives concernant aussi bien le transport ferroviaire avec la libéralisation du fret à l'échelle européenne, que les réformes portuaires françaises, ont transféré de nouvelles responsabilités ferroviaires aux ports maritimes, ainsi qu'aux deux grands ports fluviaux français, Strasbourg et Paris. Dans cette perspective, les autorités portuaires sont désormais amenées à se positionner dans l'offre ferroviaire. Dans le cadre d'une précédente étude sur le cas allemand (Beyer, 2012), nous avions pu établir une typologie des fonctions qui peut être transposée aux ports français, bien que la palette des services effectivement offerts soit aujourd'hui nettement moins variée en France. Nous avions ainsi distingué une gamme de profils portuaires (cf. Figure 1) :
- l'absence de desserte ferroviaire ou de gestion directe, configuration classique des ports français avant la réforme. L'accès ferroviaire est limité à un embranchement particulier depuis le réseau national et dessert les entreprises actives dans le port mais sans intervention de l'autorité portuaire sinon pour son accord (A) ;
- la responsabilité des installations et des circulations ferroviaires. Le port agit alors en tant que gestionnaire des voies ferrées portuaires, fonction qu'il délègue le plus souvent à un tiers (B) ;
- l'aménagement d'un chantier de transport combiné et développement d'une activité ferroviaire largement autonome par rapport au transport fluvial France ;
- la recherche de complémentarités dans la définition des offres ferroviaires et fluviales France (C) ;
- la desserte ferroviaire locale et opérations au sein du seul domaine portuaire/extension des services à l'échelle régionale. Le rôle d'Ofp (Opérateur ferroviaire de Proximité) portuaire peut être assuré en propre, via une entreprise filialisée, par une prise de participation ou assurée par un ou des opérateurs indépendants (D) ;
- l'offre de services ferroviaires annexes (logistique, entreposage, entretien du matériel ferroviaire, formation du personnel) France (E).
5 Chacun de ces services est en fait susceptible d'un engagement partiellement distinct de la part de l'autorité portuaire. Combinés, ils permettent de définir une stratégie spécifique qui va du désengagement à l'attitude passive ou suiviste, à la volonté de garantir la neutralité de la mise à disposition d'installations ferroviaires et jusqu'à une implication directe dans le développement des marchés voire une position proactive dans la gestion des services ferroviaires eux-mêmes. Bien que l'implication des ports intérieurs français soit très récente dans ce domaine, on peut d'ores et déjà distinguer des autorités plus engagées (Strasbourg ou Mâcon) et d'autres plus en retrait (Lyon ou Lille). Dans le cas francilien qui constitue le cœur de notre analyse, la situation connaît une récente évolution.
2.2. Une rapide émergence de la question ferroviaire dans les ports franciliens
6 Avec 12 millions d'habitants et 5 millions d'emplois, la métropole francilienne génère une intense circulation de marchandises avec 211 Mt en 2010 (Driea, 2012). La route domine largement avec 89 % des transports effectués, devant la voie d'eau (6,7 %) et le fer (4,3%). Le risque de congestion et les préoccupations environnementales ont poussé l'État à définir dans le cadre du Grenelle de l'environnement de nouveaux objectifs en termes de reports modaux visant à porter la proportion des trafics fret non-routiers de 14 % à 25 % d'ici 2020, soit une progression relative de 85 % pour le fer et de 15 % pour le trafic fluvial. Ces directives globales sont relayées à l'échelle régionale dans le Schéma Directeur Régional d'Île-de-France et le Plan de déplacement urbain d'Île-de-France qui placent le transfert modal au cœur des priorités de « l'éco-région Île-de-France ». Plusieurs préconisations ont été retenues : la préservation des capacités de fret, y compris aux heures de pointe, sur les radiales ferroviaires et sur la Grande Ceinture, le maintien des sites embranchés fer y compris au cœur de l'agglomération. Pour le fluvial, il est prévu de soutenir le développement de nouvelles plateformes franciliennes pour le traitement des conteneurs et des granulats, tout en préservant les sites portuaires en cœur d'agglomération (Région Île de France, 2009). L'articulation des deux modes gagne ainsi à être analysée dans un emboîtement d'échelles territoriales de la mutation des sites portuaires à la lecture des enjeux régionaux.
7 2011 marque un tournant important dans la gestion des réseaux ferroviaires portuaires avec le transfert de propriété des infrastructures du domaine portuaire de Réseau Ferré de France à Ports de Paris pour les trois principaux sites portuaires : Gennevilliers avec 27,2 km de voies, Bonneuil-sur-Marne avec 14,3 km et Limay avec 8,6 km (Ports de Paris, 2012). La Loi de Grenelle 2 du 12 juillet 2010 appliquait ainsi aux deux ports autonomes fluviaux (Paris et Strasbourg) des mesures prises en 2005 pour les grands ports maritimes (Rff et Ports de Paris, 2012). Désormais responsable de l'investissement et de la gestion du dispositif ferroviaire portuaire, l'autorité portuaire parisienne est appelée à définir un plan d'investissement qui devrait l'inciter à être plus proactive. Le transfert lui-même constitue un véritable défi pour Ports de Paris qui doit acquérir de nouvelles compétences techniques et juridiques tout en héritant d'une charge financière de l'ordre d'un million d'euros annuels pour moderniser un système à bout de souffle. Si les trois ports transférés sont actifs, six sont effectivement embranchés sur la trentaine de sites actifs qui relèvent de Ports de Paris. À terme, l'autorité portuaire parisienne est appelée à définir un projet global en partenariat avec les deux communautés portuaires qui regroupent les entreprises des sites de Gennevilliers et de Bonneuil.
8 Vu la date récente du transfert de compétence, il est encore difficile pour Ports de Paris de mettre en œuvre dès à présent une stratégie ferroviaire intégrée. L'autorité portuaire en est pour le moment plus à dresser un état des lieux qu'à élaborer de futurs schémas d'investissement. La priorité est donnée à la gestion courante dans l'attente d'une redéfinition plus ambitieuse. Il s'agit de parer au plus pressé, c'est-à-dire de combler les déficits d'investissement les plus criants pour au moins maintenir les services existants. L'échelle portuaire correspond donc au lieu où se définissent aujourd'hui les initiatives opérationnelles et les rares actions concrètes d'aménagement intersites semblent encore peu coordonnées. Signe encourageant, la progression des trafics ferroviaires, bien qu'encore à de faibles niveaux, est rapide depuis le transfert de 2010 (cf. Tableau 1).
Ports/Années | 2010 | 2011 | 2012 |
Bonneuil | 286 079 | 391 559 | 665 424 |
Gennevilliers | 747 701 | 894 673 | 742 013 |
Limay | 90 597 | 134 576 | 272 335 |
Ports de Paris (Total) | 1 124 377 | 1 420 808 | 1 679 772 |
2.3. L'échelle métropolitaine : le rail qui pleure, la voie d'eau qui rit
9 L'espace francilien définit une seconde aire d'analyse dont les contours coïncident avec le champ d'action institutionnel de Ports de Paris et de la Région Île-de-France. Le transport fluvial est dynamique avec plus de 20 millions de tonnes manutentionnées en 2010 ; la moitié est constituée de flux internes à la région et 74 % correspondent aux seuls matériaux de construction (Driea, 2012). Le trafic fluvial de conteneurs enregistre une progression continue depuis son lancement en 1995 avec une croissance de 51 % entre 2008 et 2012 à 161 712 unités manutentionnées. Ce dynamisme bénéficie à plusieurs plateformes : Gennevilliers d'une capacité de 120 000 Evp [1], Bonneuil-sur-Marne de 15 000 Evp, Limay et Évry de 10 000 Evp chacun. Pour le transport ferroviaire, la tendance est nettement moins flatteuse. De façon générale, le transport ferroviaire est le maillon faible des chaînes logistiques. Sa part régionale a décru de 14 Mt à 10 Mt entre 2004 et 2009 (Dreia, 2012).
10 D'importance nationale, l'activité des terminaux ferroviaires d'Île-de-France comme La Chapelle, Noisy-le-Sec et Valenton est en constant repli. Les raisons de cette évolution sont multiples : le recul des pondéreux dans l'économie nationale, la réévaluation de la tarification ferroviaire et les choix stratégiques de Fret-Sncf au détriment du wagon isolé, mais surtout l'éviction continue des trafics de fret au profit des voyageurs. Les sillons fret se calent en effet sur le rythme imposé par le transport de passagers, soit la nuit ou hors des heures de pointe. De tels horaires ne correspondent pas forcément aux besoins des chargeurs et sont d'une disponibilité d'autant plus réduite qu'il faut accroître les plages travaux sur un réseau vieillissant et très fréquenté. L'arbitrage de l'usage du réseau se fait de plus en plus clairement au détriment des trafics fret. Le transport ferroviaire régional de marchandises dispose cependant d'une capacité de trafic importante grâce à la Grande Ceinture qui contourne Paris par l'est. Cette infrastructure ferroviaire entièrement dédiée au trafic de marchandises entre Sartrouville et Villeneuve-Saint-Georges assure de fait la liaison entre les réseaux ouest (Normandie), nord (Picardie, Benelux, Grande-Bretagne), est (Lorraine, Allemagne), sud-est et sud-ouest mais ses accès par des voies à usage mixte sont particulièrement problématiques (cf. Figure 2). À l'ouest, un court tronçon entre Sartrouville et Achères est commun avec la ligne voyageurs Paris-Rouen-Le Havre et une des branches du Rer A. Le tronçon sud entre Versailles-Chantiers et Juvisy est parcouru par le Rer C et des rames Tgv (de même pour le tronçon entre Massy et Juvisy). Le raccordement à cette voie constitue un avantage pour les ports situés à proximité. L'articulation rail/voie d'eau trouve sa place dans la réflexion d'un schéma logistique régional et dans la perspective plus lointaine d'un schéma d'approvisionnement du Grand Paris. Cette perspective se joue notamment avec la création d'un nouveau port, Paris Seine Métropole à Achères, à la confluence de l'Oise et au débouché méridional du futur canal Seine-Nord. La réflexion s'inscrit par ailleurs dans la rapide recomposition de la logistique urbaine où les aménageurs cherchent à s'appuyer sur les modes ferroviaire et fluvial pour desservir les zones centrales.
2.4. L'échelle de l'axe Seine : de réelles complémentarités
11 À l'échelle de la desserte de l'arrière-pays, le port du Havre souffre de la médiocrité de son accès ferroviaire qui limite le report modal et restreint l'extension de son arrière-pays. Plusieurs chantiers bénéficient de l'engagement prioritaire de l'État : l'aménagement d'une plateforme intermodale sur le site du Gmp du Havre livrée en 2014 pour une capacité de traitement de 500 000 Evp, le doublement ferroviaire de la voie de Mantes à Paris et la modernisation de l'itinéraire alternatif Serqueux-Gisors qui offre une liaison alternative de bonne qualité entre les terminaux maritimes havrais et le chantier de Valenton au sud-est de la région parisienne. Du fait des contraintes d'infrastructures, l'hinterland du Havre pour les conteneurs se partage en deux ensembles qui présentent une cohérence géographique et modale : une zone de desserte dense desservie par la voie fluviale jusqu'au sud-est de la région parisienne, des destinations plus éparses et plus lointaines sur le reste du territoire assurées par le train. On est ici dans un schéma reposant sur le principe de complémentarité modale. Au sein du Gie Haropa, les ports du Havre et de Rouen ont opté pour la coopération ferroviaire et ont retenu sur les deux sites les mêmes opérateurs pour la maintenance et l'exploitation de leurs infrastructures à savoir Socorail filiale d'Europorte et Colas Rail. Ce sont les mêmes partenaires qui ont été choisis par Ports de Paris en 2012 pour la gestion de ses installations ferroviaires. Les éléments sont donc rassemblés pour réévaluer à une plus vaste échelle la complémentarité entre le rail et la voie d'eau.
3. Les déclinaisons des synergies possibles entre le rail et la voie d'eau
3.1. Un héritage conflictuel
12 Si l'on associe volontiers le rail et la voie d'eau, c'est en tant que modes de transport alternatifs à la route. Dans les faits toutefois, leur combinaison reste rarissime, plus marquée par une concurrence destructrice. L'opposition repose à la fois sur des raisons économiques et sur une situation historique acquise. La relative proximité de leurs caractéristiques techniques et économiques définit pour chacun de ces modes des zones de pertinence commerciale qui se recouvrent. Leurs offres intéressent les envois massifs (marchandises pondéreuses et vracs pour le secteur agricole, transport pour l'industrie lourde et les produits de carrière) à laquelle sont venus s'adjoindre plus récemment des services de navettes de conteneurs depuis les ports maritimes. De fait, la taille de leurs chargements unitaires est proche, avec 1 250 à 1 400 tonnes pour un train complet et 1 000 à 1 500 tonnes pour les bateaux sur la Seine (même si l'éventail est plus large dans le fluvial, allant de 380 tonnes pour les automoteurs Freycinet à 4 000 tonnes pour les convois poussés). Si le coût avantage la voie d'eau (0,34 cent/tkm [2] en moyenne pour la voie d'eau contre 0,6 cent/tkm pour le rail (données Ports de Paris, 2013), l'aire de chalandise du transport fluvial est limitée par un maillage très lâche du territoire.
13 La concurrence entre le rail et la voie d'eau est ancienne. Elle a suscité un très vif débat politique et théorique tout au long du xixe siècle, mettant face à face les tenants de chacun des deux modes, les navigabilistes et les ferristes (Caron, 1997), de même qu'elle opposait les unicistes « qui conçoivent la concurrence entre le rail et la voie d'eau comme une rivalité ruineuse et inutile » et les dualistes qui considèrent que les deux industries sont complémentaires (Numa, 2013). La coexistence originelle des années 1830-1850, lorsque les voies ferrées s'inscrivaient dans le prolongement des dessertes fluviales, a vite cédé la place à une féroce lutte pour le contrôle des marchés, à mesure que la puissance des locomotives se renforçait (Merger, 1990). Un maillage plus fin et plus direct du territoire assurait en outre un avantage décisif aux puissantes compagnies ferroviaires (Léon, 1903). Les deux modes se sont largement tourné le dos dans une relation de défiance réciproque. Forts de leurs monopoles territoriaux, les opérateurs ferroviaires n'ont ainsi eu de cesse de restreindre sinon d'étouffer l'offre fluviale. Seule l'intervention de l'État a permis de rééquilibrer la situation au profit des voies navigables, d'abord par le plan Freycinet de 1877, puis par la loi de 1909 qui obligeait les compagnies ferroviaires à raccorder les ports intérieurs (Dounet, 1909). Les voies ferrées qui desservent les ports fluviaux sont cependant restées largement sous-utilisées. Les compagnies n'avaient de fait aucun intérêt à promouvoir l'interface fluviale, sauf à se priver d'importants trafics. Ainsi, l'avantage technologique et l'habilité à contourner l'encadrement que l'État cherchait à imposer assuraient aux réseaux ferroviaires une hégémonie qui fut acquise après la Première Guerre mondiale.
14 La politique de coordination des transports des années 1920 et 1930 reposait quant à elle plus sur le partage des marchés que sur les continuités opérationnelles (Neiertz, 1999). Les autorités portuaires comme les bateliers n'ont alors eu d'autre choix que de se replier sur l'approvisionnement des clients industriels implantés dans les zones portuaires ou bord à voie d'eau. La situation a encore été aggravée avec la création de la Sncf en 1938 puisque l'intérêt public se confondait alors largement avec une entreprise nationale qui disposait de puissants relais politiques. L'intérêt pour la voie d'eau n'a donc cessé de décliner au moins jusqu'à la création de Vnf en 1991 (Le Sueur, 2004). Dans ce contexte tendu, le potentiel de transfert entre la voie d'eau et le rail est donc resté très marginal. Pour le rail comme pour la voie d'eau, l'intermodalité se réalise prioritairement avec la route. Les installations de transports intermodaux qui ont pu voir le jour restent exceptionnelles comme en attestent localement les magasins généraux quai d'Austerlitz à Paris de 1911.
3.2. Fer/voie d'eau, les conditions théoriques du rapprochement
15 On voit ainsi que le rapprochement qui s'esquisse depuis quelques années marque un renversement historique notable. Mais avant de considérer l'expression opérationnelle de la combinaison fluvio-ferroviaire, il faut en considérer les conditions de réalisation. Nous nous proposons ainsi de les envisager d'un point de vue technique et économique avant d'analyser les types de complémentarité fer/voie d'eau dans une optique fonctionnelle.
16 D'un point de vue technique, la manutention du conteneur est assurée par un portique pour les sites les plus sollicités et par des reach-stackers pour les ports secondaires. Ces charriots de manutention peuvent être équipés de flèches télescopiques avec un devers négatif pour prendre un conteneur en contrebas du quai et permettre, le cas échéant, le transfert en une seule saisie de la barge au train. Pour les vracs secs, la combinaison entre le train et la barge peut s'opérer au moyen d'une bande transporteuse. Montée sur un camion, elle peut se glisser sous les wagons où elle récupère par gravitation sable et graviers qui sont ensuite déversés dans la barge. Dans l'autre sens, une grue à godets saisit la marchandise et la vide dans les wagons, une technique plus rapide, mais moins précise que la première. Dans les deux sens, la proximité physique des deux modes est une obligation impérative. Sans transfert direct entre les deux unités de transport, une double manipulation renchérit le coût de l'opération. Pour les conteneurs, il faut pouvoir compléter les envois : un train complet comprend 80 conteneurs contre jusqu'à 200 pour une unité fluviale. Cette solution suppose une bonne interface technique et une coordination organisationnelle sans faille.
17 À combien revient alors la rupture de charge ? Vnf en estime le coût du transfert direct à 3 euros par tonne de céréales et à 1 euro par tonne pour les granulats. Le coût de manutention d'un conteneur se situe pour sa part aux alentours de 25 euros et plusieurs « coups de pince » sont parfois nécessaires au transfert lorsque les deux modes ne sont pas coordonnés, ce qui est la situation la plus fréquente.
18 Les évaluations économiques réalisées par Vnf dans le cadre du projet du canal Seine Nord Europe (Vnf, 2008) peuvent servir de guide pour estimer le coût relatif de la rupture de charge par rapport au transport effectué par les différents modes et à leur combinaison (cf. Tableau 2).
Comparaison des coûts unitaires [3] de transport selon les modes de transport
Mode/Valeur |
Coût moyen de transport
en euros/tkm[a] |
Evaluation du coût externe
en euros/tkm[b] | Estimation en euros d'un transport de 1 500 tonnes sur 250 km[c] | Estimation en euros d'un transport de 1 500 tonnes sur 50 km4 |
Voie navigable (Gd gabarit) | 0,034 | 0,008 | 12 750 | 2 550 |
Voie navigable (Pt gabarit) | 0,049 | 0,014 | 18 375 | 3 675 |
Transport routier | 0,06 | 0,034 | 22 500 | 4 500 |
Transport ferroviaire | 0,062 | 0,014 | 23 325 | 4 665 |
Comparaison des coûts unitaires [3] de transport selon les modes de transport
19 Le coût de rupture de charge d'un transport de granulats de 1 500 tonnes, estimé à 1 500 euros sur un trajet combinant alternativement fer et voie d'eau sur 250 km et de 50 km, correspond ainsi à une part variant entre 7,9 % et 5,2 % du coût total. La première valeur est établie pour un transport associant la voie d'eau grand gabarit sur l'itinéraire principal puis le fer, la seconde concerne un itinéraire principal assuré par fer et poursuivie par la voie d'eau à petit gabarit. Mais peut-on considérer que son coût est secondaire alors que les marges des opérateurs sont de l'ordre de 2 à 3 % du chiffre d'affaires ? Il est en tout cas clair que la solution de combinaison modale présente un coût additionnel et détériore les temps d'acheminement. Il ne saurait en soi être une solution optimale par rapport à un acheminement monomodal de bout en bout. Pour le transport de conteneur, le prix du marché est celui imposé par la route, de 450 euros à l'ouest de l'agglomération parisienne contre 550 à 600 euros à l'est. Considérant deux manutentions à 50 euros environ, on retrouve une part de coût de rupture de charge comparable, de l'ordre de 10 % du prix de transport. Reste alors à voir dans quelles conditions cette option peut s'avérer intéressante.
20 La rupture de charge peut faire l'objet d'un seul transit où prévaut le seul déplacement. Mais ce dernier peut être associé à une fonction de stockage (silos, tas, gerbage) voire l'occasion d'un reconditionnement, d'un mélange ou d'une transformation industrielle, autant de fonctions dont les entreprises implantées dans les ports font le plus grand profit. Dans ces derniers cas, la rupture fonctionnelle introduit une discontinuité qui ne permet plus de parler de transfert ou de simple transbordement qui fait l'objet de la présente étude. Il faut dès lors arriver à cerner les situations où s'exerce la complémentarité rail/voie d'eau. Dans une optique organisationnelle, le transfert entre rail et voie d'eau permet de distinguer théoriquement six grandes formes d'articulations (cf. Figure 3) : la coexistence dans une relative complémentarité (a), la concurrence (b), la succession (d), l'alternative sur une base de complémentarité technique (d), et son expression systématique la synchromodalité (e).
21 Les ports fluviaux jouent un rôle de points de contact privilégiés sécurisant le recours aux deux modes via la forme de l'alternative (c). Que ce soit dans l'espace (le rail assurant par exemple l'accès à des zones non desservies par la voie d'eau), ou dans le temps, (le rail suppléant la voie d'eau en fonction du degré d'urgence de l'acheminement pour les conteneurs ou offrant une alternative en cas d'interruption, de hautes ou basses eaux ou dans des situations d'interruption accidentelles). Pour l'emploi consécutif (d) des deux modes terrestres massifiés, les masses sont transférées d'une unité à l'autre. On a vu que les volumes mobilisés peuvent être équivalents pour saturer les unités de transport. Si tel n'est pas le cas, des flux de moindre importance peuvent s'additionner pour assurer la massification ou se diviser dans le cas d'une distribution. Dans la même perspective est apparu au départ des ports du Benelux le principe de synchromodalité (Verweij, 2011) qui accroît la disponibilité et la robustesse des services. Le concept prolonge et enrichit la notion de comodalité avancée par la Commission européenne. Alors que cette dernière repose sur la capacité d'optimisation du choix des modes concurrents pris isolément, la synchromodalité affirme leur complémentarité systématique pour accroître la disponibilité et la robustesse des services. Une offre doublée rail/voie d'eau sur un itinéraire donné permet de rendre l'acheminement promis indépendant du mode, dans la mesure où il répond aux attentes du chargeur. Cette solution permet à l'organisateur de transport de basculer d'un support à l'autre selon la disponibilité, les contraintes de délais ou les avantages tarifaires. En d'autres termes, la synchromodalité repose sur une redondance de l'offre modale par l'interconnexion systémique des offres alternatives. Cette offre n'est bien sûr envisageable que si les volumes importants sont atteints. C'est par exemple le cas pour l'offre mise en œuvre par le manutentionnaire Ect sur le Rhin depuis Rotterdam vers divers terminaux intérieurs.
3.3. Combiner localement les modes lourds : la vision des grands acteurs franciliens
22 Des entretiens approfondis avec les grands opérateurs franciliens [4] nous ont permis d'identifier les marchés pour lesquels est envisagée la succession des modes ferroviaires et fluvial, d'une part celui de la filière Btp (et plus particulièrement des granulats) et d'autre part celui des conteneurs. Chacun de ces produits repose sur des géographies spécifiques qui permettent de concevoir des complémentarités rail/voies d'eau jusque-là négligées. Pour Ports de Paris, les opportunités de développement du ferroviaire se situent principalement dans les trois plateformes multimodales déjà actives, celles de Gennevilliers (92), Bonneuil-sur-Marne (94) et Limay-Porcheville (78) avec des développements possibles à Achères (78) et à Monterault (77). Ces plateformes portuaires sont ainsi susceptibles de servir de relais à la desserte urbaine ou d'alternative pour les trafics de transit selon une option favorable aux recommandations du Setra pour les Opérateurs ferroviaires de proximité sur la base de services régionaux, de flux réguliers et un volume appréciable (Meuriot et Meignien, 2012).
3.3.1. La combinaison rail/voie d'eau pour le transport régional des granulats
23 Pour les granulats (sables et graviers), l'Île-de-France est à envisager comme une importante zone de consommation et constitue à ce titre un point d'attraction majeur de flux, de l'ordre de 15 Mt annuels (Iau Île-de France, 2011). En effet, la localisation des chantiers actuels et la demande de construction à venir se concentrent dans les espaces péricentraux de l'aire métropolitaine parisienne alors que l'épuisement des gisements de la ressource alluvionnaire et les besoins en roches éruptives et calcaires durs supposent une importation croissante des régions voisines. Or, du fait de l'héritage des modes d'exploitation, 90 % des centrales à béton et les divers sites de stockages intermédiaires qui alimentent la région capitale se succèdent bord à voie d'eau (Ports de Paris, 2013). La localisation des grands chantiers, notamment pour le logement dans des zones desservies par la voie d'eau, est un élément à considérer (cf. Figure 4). Cette proximité est par ailleurs utile aussi pour l'évacuation des déblais de chantier sans recours à la route. Souvent mal reliés au réseau ferré, ces sites favorisent un approvisionnement fluvial qu'il serait dès lors coûteux et inopportun de relocaliser. La question d'un basculement modal est néanmoins posée par le recours à des carrières plus lointaines et en partie situées hors de portée des voies navigables. En limite de zones denses, deux portes d'entrées peuvent être sollicitées pour un éventuel transfert modal : au nord-ouest, les ports d'Achères et de Limay et au sud-est le port de Montereau-Fault-Yonne. Les deux pôles sont donc en mesure de gérer des approvisionnements diversifiés acheminés autant par la voie fluviale que par le rail d'autant que, situés hors de la zone dense, ils ne sont pas en butte avec la concurrence des trafics passagers.
24 De tels services existent au demeurant déjà et sont appelés à se renforcer. Le premier se trouve à Limay où sont transbordés depuis 2011 des granulats en provenance de la Vallée Heureuse (62). Deux fois par semaine, 22 wagons sont réceptionnés pour un transport d'environ 1 300 à 1 400 tonnes de marchandises par voyage (Vnf, 2013). Le transbordement lui-même est opéré au moyen d'un camion équipé d'une sauterelle, bande convoyeuse mobile qui assure le transfert des matériaux jusqu'à la barge qui achemine le chargement jusqu'à la centrale à béton. Dans le deuxième exemple, celui de Lafarge, il s'agit d'un approvisionnement des Carrières du Boulonnais vers Limay (de 11 à 13 wagons pour 1 300/1 400 tonnes), soit environ 10 000 tonnes par mois. Dans ce cas, la reprise fluviale est nécessaire, du fait de l'absence d'embranchement ferroviaire pour les centrales à desservir. Deux barges (2 x 620 tonnes) de 50 m x 5,70 m desservent les ports de Pantin et de Bondy et assurent l'alimentation des centrales à béton de Gennevilliers et de Nanterre. Certaines barges laissées à quai peuvent même servir de stockage temporaire flottant. Ces complémentarités modales encore exceptionnelles pourraient se banaliser dès lors que les ressources franciliennes tendent à se tarir au profit de lieux d'extractions plus lointains et moins bien connectés à la voie d'eau.
3.3.2. La combinaison rail/voie d'eau pour l'acheminement des conteneurs en Île-de-France
25 Pour les conteneurs, l'agglomération parisienne est un goulet d'étranglement pour les flux, notamment pour les trafics de transit (cf. Figure 5). Ceux-ci proviennent pour l'essentiel de la basse vallée de la Seine et du Havre, à destination des zones logistiques qui se concentrent à l'est de l'Île-de-France ou au-delà, vers la Bourgogne et le centre-est. La densité urbaine parisienne en limite le transit soit par la saturation des infrastructures du fait de l'importance des trafics voyageurs pour le ferroviaire (sensible dès Mantes-la-Jolie) ou par le plus faible tirant d'air qu'imposent les ponts historiques de Paris limitant l'emport à deux couches de conteneurs. Sous la pression des flux, un double processus est envisageable. Pour le ferroviaire, le contournement de l'axe engorgé de la Seine via la ligne Serqueux-Gisors qui se raccorde à la grande ceinture ferroviaire vers Valenton au niveau de Pontoise. Pour la voie d'eau, les convois fluviaux à grande capacité ne rencontrent pas d'obstacles majeurs jusqu'à Gennevilliers. Au-delà les contraintes de gabarit se résolvent par un transbordement partiel (bateau/bateau, ou bateau/train) ou par le prolongement de services partiellement déchargés à Gennevilliers. C'est ici le rôle que les aménageurs entendent faire jouer au futur Port-Seine Métropole (Psm) à Achères comme hub de redistribution. Ce dernier doit être conçu pour alimenter les différents ports régionaux par des services de feedering et ainsi desservir au plus près le grand marché francilien par voie d'eau. Si la fonction est encore occupée par le port de Gennevilliers, la croissance des trafics conduit à son rapide engorgement. D'autres sites sont aussi susceptibles de jouer le rôle de relais fluviaux pour des réexpéditions de conteneurs en transit, tels Bonneuil-sur-Marne et demain peut-être Montereau. Pour le cadrant sud-ouest de l'Île-de-France, Achères pourrait aussi remplir cette fonction vers la région Centre si la Grande Ceinture ferroviaire ouest était réhabilitée, ou sinon par voie routière.
26 Parmi les acteurs majeurs du secteur, Green Modal Transport, filiale de la Cma-Cgm troisième opérateur mondial du secteur, assure un important trafic de conteneurs en s'adaptant aux contraintes des conditions existantes. Seul opérateur à être à la fois actif dans l'organisation du trafic ferroviaire et fluvial, Green Modal présente l'avantage de pouvoir opérer un arbitrage modal en interne. À ce titre, il est intéressant de constater que son offre repose sur des dessertes modales orientées selon le potentiel technique et la localisation des clients à desservir. Au départ du Havre et à destination de l'Île-de-France, le rail est peu compétitif par rapport à la voie d'eau pour les prix, et par rapport à la route pour les délais. Les problèmes de congestions évoqués plus haut obèrent cette option. Depuis Le Havre, le rail est donc réservé à des dessertes plus lointaines comme Chalon, Lyon ou Ludwigshafen. L'Île-de-France relève en fait de deux hinterlands bien séparés : Gennevilliers sert de relais fluvial pour Le Havre et Bonneuil-sur-Marne accueille exclusivement les trafics ferroviaires issus des autres façades maritimes et à destination de l'Île-de-France, du sud de la France (via Marseille vers l'Afrique), de l'Europe centrale (via Ludwigshafen) et de la rangée portuaire nord via Dunkerque. Connectant plusieurs lignes, Bonneuil est un port à vocation ferroviaire qui sert également à des fonctions secondaires d'équilibrage continental. Selon Green Modal, la desserte en conteneurs des zones logistiques de l'est parisien est plus facilement assurée par le rail depuis Bonneuil, mais au départ de Dunkerque ou de Marseille que par Le Havre ! Pourtant, la combinaison y serait envisageable du fait de la proximité du chantier de transport combiné rail/route et du terminal de conteneurs. Les raisons invoquées de cette partition sont l'importance des coûts de stockage pratiqués dans le port normand et la piètre qualité des services ferroviaires vers la région parisienne comme dans le port lui-même. Cette médiocrité bride pour le moment la complémentarité ou l'alternative modale et, avec elle, l'option de synchromodalité, solution que Green Modal expérimente entre Chalon-sur-Saône et Lyon au départ de Marseille par exemple. L'amélioration prochaine de l'offre ferroviaire (plateforme multimodale du Havre, électrification de la ligne Serqueux-Gisors) pourrait toutefois amener à réévaluer la situation et rendre opérationnels des équipements fer/voie d'eau dans les ports franciliens.
4. Conclusion
27 L'Île-de-France semble exacerber les tendances nationales, hier dans le divorce entre la voie d'eau et le fer, aujourd'hui dans la reconnexion entre ces deux modes. En 2011, la restitution des voies ferrées portuaires à Ports de Paris est une invitation à examiner les complémentarités possibles entre deux modes que les pratiques avaient jusque-là opposées. Gestionnaire privilégié du point de contact entre les deux mondes sociotechniques, l'autorité portuaire est appelée à jouer un rôle crucial, celui de facilitateur de l'intermodalité. Les ports franciliens et leur potentiel ferroviaire ouvrent donc directement sur une question théorique et pratique, rarement abordée dans le contexte français contemporain, même si elle avait suscité d'importants débats au xixe siècle, celle de la complémentarité entre la voie d'eau et le fer. Plusieurs combinaisons sont conceptuellement envisageables, mais très inégalement mises en pratique. Elles vont d'une desserte concurrentielle pour des marchés qui sont souvent proches en termes de clientèle et de produits, au rapprochement fonctionnel des deux offres. Les contraintes propres à l'accès de la métropole semblent offrir des solutions innovantes. La régularité est aujourd'hui un des atouts du transport fluvial face aux aléas croissants de la route. Mais cet élément fait aujourd'hui cruellement défaut au rail : le vieillissement du réseau, la mixité des circulations et la charge de trafic rend cet objectif inatteignable pour les itinéraires centraux d'Île-de-France. De ce point de vue, la combinaison la plus facilement envisageable limite le maintien du transport ferré fret en périphérie.
28 La superposition des deux logiques illustrées par les granulats et le conteneur supposent aussi l'articulation des deux modes par des aménagements spécifiques. Elle met en évidence le potentiel de deux sites portuaires qui se complètent et se font écho, en amont et en aval de la zone parisienne dense : Achères et Montereau. En situation de confluence, le premier de la Seine avec l'Oise à 30 km de Paris, le second de la Seine avec l'Yonne à 70 km de Paris, les deux futurs pôles multimodaux de seconde, voire de troisième couronne sont appelés à constituer les hubs du futur système portuaire francilien, susceptibles d'articuler les modes massifiés. Les deux sites disposent d'importantes réserves de capacité foncière et répètent à un siècle d'intervalle le desserrement qu'ont offert en leur temps les ports de Gennevilliers et de Bonneuil. Aussi est-il important de bien calibrer la qualité et l'efficacité de leur interconnexion modale au moment ou leur développement s'engage.
29 Si les ports sont généralement envisagés comme des plateformes trimodales, les contraintes territoriales propres à l'Île-de-France poussent à reconsidérer leur usage et à développer de nouvelles combinatoires. Il est vrai que le contexte actuel change bien des perspectives et encourage l'innovation logistique. Cela s'applique particulièrement dans la desserte des zones denses d'agglomération. Le rapprochement des deux modes massifiés n'est cependant pas facilement acquis et ce n'est finalement que sous la contrainte métropolitaine que l'avantage économique de la combinaison s'avère porteuse. Dans le cadre de l'espace francilien, nous avons ainsi pu mettre en évidence deux cas où transports ferroviaire et fluvial ont commencé à se combiner : l'acheminement des granulats des gisements lointains à l'écart des voies navigables vers les centrales à béton des berges de Seine, ou la structuration d'axes de transport massifiés de conteneurs au départ des terminaux portuaires maritimes. La voie navigable offre ici un moyen d'accéder à la capitale ou de franchir le verrou ferroviaire induit par la saturation du réseau. Cette solution est-elle appelée à rester une niche ou, forts d'un premier succès, peut-on envisager des combinaisons à d'autres échelles ? Les schémas défendus par Vnf dans le cadre du projet Seine-Nord Europe et les couloirs multimodaux proposés par la Commission européenne militeraient en ce sens. S'il est sans doute trop tôt pour répondre aujourd'hui à ces questions, les premières expériences semblent en tout cas avoir ouvert de nouveaux possibles.
30 Liste des entretiens réalisés de mai à juillet 2013 :
- M. Daniel Autier, directeur adjoint en charge de l'exploitation Ports de Paris ;
- M. Jacques Meunier, Communauté Portuaire de Gennevilliers ;
- M. Jean-Luc Potier, délégué Régional à l'Aménagement des Territoires Ferroviaires Île-de-France – Normandie, SNCF Geodis ;
- M. Loïc Sivien, délégué au Projet de synergie fluvio-ferroviaire, SNCF Geodis ;
- M. Christophe Soulier, Green Modal Transport ;
- MM. Nicolas Bour, chef de projet Seine-Nord Europe et Jean-Claude Ziza, chargé de mission, Voies Navigables de France ;
- M. Joël Philippe de la Direction Régionale et Interdépartementale de l'Équipement et de l'Aménagement.
Bibliographie
Références bibliographiques
- Beyer A (2012) Les ports fluviaux allemands et leurs filiales ferroviaires. Colloque International AIVP, Nantes-Saint-Nazaire.
- Beyer A, Debrie J (2013) Les ports fluviaux, outils d'une métropolisation durable ? Colloque Futurs urbains, Marne-la-Vallée.
- Beyer A, Verhaeghe L (2013) La desserte ferroviaire des ports franciliens. État des lieux et potentiels de développement. Rapport d'étude ANR FLUIDE.
- Blum R (2010) La desserte ferroviaire et fluviale des grands ports maritimes. Propositions en faveur de l'amélioration du report modal dans le cadre des pré- et post-acheminements de marchandises des ports de Marseille, du Havre et de Dunkerque. Rapport au Premier ministre, Paris.
- Cas Centre d'analyse stratégique (2012) Pour une complémentarité du rail, de la route et du fleuve au service du transport de marchandises. Paris.
- Caron F (1997) Histoire des chemins de fer en France. Tome 1, Fayard, Paris.
- Commission européenne (2011) Feuille de route pour un espace européen unique des transports – Vers un système de transport compétitif et économe en ressources. Bruxelles.
- Dounet X (1909) Le raccordement des voies ferrées et des voies d'eau. Thèse de doctorat, Faculté de droit de l'Université de Paris.
- DrieaDirection régionale et interdépartementale de l'Équipement et de l'Aménagement d'Île-de-France (2012) Document d'orientations stratégiques pour le fret en Île-de-France à l'horizon 2025. Paris.
- Gouvernal E, Debrie J (2005), Services ferroviaires et acteurs des dessertes portuaires. Des axes européens de fret conteneurisé, Arcueil.
- Iau Île-de-France (2011) Le patrimoine géologique et les matériaux. In : L'environnement en Île-de-France, Mémento 2011 : 63-73.
- Leon P (1903) Fleuves, canaux et chemins de fer. Armand Colin, Paris.
- Le Sueur B (2004) Mariniers et mémoire de la batellerie artisanale. Le Chasse-marée, Douarnenez.
- Meuriot A, Meignien B (2012) Fret ferroviaire local en régions et dans les ports. Rapport du SETRA, Provins.
- Merger M (1990) La concurrence rail-navigation intérieure en France 1850-1914. Histoire, Économie et Société 1/1990 : 65-94.
- Numa G (2013) Réglementation et concurrence dans les chemins de fer français. Classiques Garnier, Paris.
- Neiertz N (1999) La coordination des transports en France de 1918 à nos jours. Imprimerie nationale, Paris.
- Ports de Paris (2012) Document de référence du réseau ferré portuaire. Paris.
- Ports de Paris (2013) Schéma de services portuaires d'Île-de-France. Paris.
- Région Île-de-France (2009) Port de Paris, Ports et fret fluvial en Île-de-France. Paris.
- Rff, Ports de Paris (2012) Convention de raccordement du Réseau Ferré Portuaire de Ports de Paris au Réseau Ferré National. Paris.
- Sotto J (2013) Fluvial. Le cours sinueux de la logistique. Acteurs Urbains : 12-15.
- Verweij C-A (2011) Synchronmodal transport : efficient en duurzaam transport via netwerregie. Buck Consultants International [en ligne] www.delaatstemeter.nl/files/2011/12/VLW-2011-CA-Verweij-paper-Synchromodaal-transport-paper-definitief-19-okt-2011.pdf.
- Vnf (2008) Canal Seine-Nord-Europe, un projet d'aménagement du territoire régional, national et européen.
-
Vnf (2013) Intermodalité ferro-fluviale : l'expérience de Lafarge au port de Limay [en ligne]
http://www.vnf.fr/enewsletter_int/logistique_fille02.php?article=MTc5
Notes
-
[1]
Équivalent vingt pieds.
-
[2]
Tonnes kilomètres.
-
[3]
Les données Vnf calculés sur 350 km tiennent compte des coûts des pré- et post-acheminements routiers.
-
[4]
Sur la base d'entretiens menés en tête à tête de mai à juillet 2013, Ports de Paris, Communauté Portuaire de Gennevilliers, Sncf Geodis, Vnf, Direction Régionale et Interdépartementale de l'Équipement et de l'Aménagement, différents chargeurs et transitaires (Btp, conteneurs).