- 1 - Introduction
1 Des réseaux socioéconomiques de longue portée déterminent en grande partie le devenir des territoires et sont localement ancrés comme des constituants essentiels des milieux. À l’inverse, c’est au cœur de milieux particuliers qu’émergent les réseaux. Il y a déjà vingt ans, Jean-Claude PERRIN proposait au sein du GREMI une magnifique définition du couple indissociable milieu-économie : « Le milieu apparaît comme une formation socioéconomique qui, à la fois génère de la dynamique et se constitue en la mettant en œuvre » (1992). Les villes sont de ces milieux qui se constituent en mettant en œuvre des réseaux sociaux, économiques, culturels et politiques (CAMAGNI, 1999).
2 Ainsi les villes ne sont globales que parce qu’elles soutiennent des réseaux globaux qui, en retour, les génèrent (SASSEN, 1991 ; CASTELLS, 1989 ; ROZENBLAT et PUMAIN, 1993, 2006). Ces réseaux se déploient dans l’espace, se regroupent, se recoupent, se superposent et interagissent dans des zones de forte densité, notamment dans les villes qui, selon une formule devenue classique, « maximisent les interactions » (cf. Figure 1).
Les villes comme maximisation des interactions des réseaux
Les villes comme maximisation des interactions des réseaux
3 Les villes ont la propriété de regrouper localement des réseaux denses et diversifiés qui, par leurs interactions, à la fois se détruisent par sélection de réseaux concurrents, mais également se renforcent mutuellement et font émerger de nouveaux réseaux (PFLIEGER et ROZENBLAT, 2010). Au niveau macrogéographique, différentes villes partagent en partie les mêmes réseaux. Dans ce système de villes à deux niveaux interdépendants (local et global), de nombreuses innovations techniques, organisationnelles ou de design se diffusent rapidement de ville en ville. Grâce à ces innovations, ces canaux produisent aux niveaux méso (local) et macro (global) des capacités d’émergence de nouveaux réseaux.
4 Malgré les nombreuses publications sur les villes dans la globalisation, il manque encore une explicitation générale des modalités d’approches empiriques du couple système urbain / réseaux d’entreprises, qui soulignerait notamment les conditions qui permettent de conserver les propriétés de chacune des deux composantes. Les villes et les aires urbaines, qui sont intégrées à des degrés divers dans la mondialisation, se développent en des systèmes d’interactions multiéchelles et multisectorielles qui rendent leur attractivité dépendante des développements de chaque activité en réseau. En effet, les villes elles-mêmes ne sont pas directement les actrices de ces processus. Il s’agit plutôt d’entreprises qui déploient des interactions économiques, financières ou technologiques en réseau selon leurs propres stratégies. Néanmoins, les villes constituent, pour une large part, les environnements sociaux, économiques et politiques de ces réseaux et leurs dirigeants travaillent à les attirer et à les maintenir, puisque ces réseaux nourrissent en retour leur tissu social, économique et politique (BAGNASCO et LE GALÈS, 2010). C’est ainsi que les villes et les réseaux d’entreprises forment une « dualité » (NEAL, 2007) dans laquelle les réseaux d’entreprises sont en grande partie soutenus et contraints par les structures des systèmes urbains et en retour transforment ces systèmes urbains en s’organisant autour des ressources hautement différenciées et autour des disponibilités de marché qu’ils puisent et développent.
5 Une première question émerge de cette interaction villes / réseaux d’entreprises : comment évaluer la centralité des villes dans l’ensemble du système de villes, constitué par les réseaux des entreprises globalisées ? Dans ce cas, il s’agit d’analyser le système d’interactions spatiales entre les villes et en leur sein, produit par les entreprises multinationales. Cette approche s’applique sur un réseau dont les « nœuds » sont des villes ou des quartiers de villes, reliées par diverses entreprises, soit en termes statistiques, on parlera d’un graphe à un « mode » unique (« unimodal » ou « unipartite »), puisque toutes les entités (les villes) sont des objets de même nature.
6 Une seconde question découle de la précédente : comment comprendre l’évolution des positions des villes dans les transformations des réseaux des firmes multinationales ? Cette fois, on s’intéresse aux dynamiques spatiales des réseaux d’entreprises, c’est-à-dire aux interactions socioéconomiques dans l’espace. La transformation des réseaux dans d’autres dimensions que l’espace (dimension économique face aux concurrents ou partenaires ; dimension de gouvernance et de management des réseaux d’entreprises), a des répercussions sur leur organisation spatiale qui elle-même rétroagit sur les autres dimensions. Deux types d’objets interagissent alors : des villes et des réseaux d’entreprises. On construit cette fois un graphe à deux « modes » (« bimodal » ou « bipartite ») composé de villes et de réseaux d’entreprises, soit deux types d’entités de natures différentes.
7 Cet article propose d’expliciter les apports, complémentarités et limites des approches du couple système urbain / réseaux d’entreprises, en repartant des constructions initiales des graphes « unimodaux » ou « bi » voire « multimodaux ». Mais avant d’élaborer la construction méthodologique, il convient de rappeler les trames conceptuelles qui donnent sens à cette construction. Dans le premier cas, le réseau unimodal de villes peut conduire à développer une approche multiniveaux des villes (1). Dans le second cas, le réseau des entreprises et des villes ouvre vers des approches bidimensionnelles ou multidimensionnelles du système de villes (2). Ces deux approches ne sont toutefois que des cas particuliers de l’ensemble des perspectives que l’on pourrait envisager dans une approche « multiplexe » des économies urbaines. L’approche multiplexe des réseaux, développée dans les sciences physiques depuis la fin des années 1990, permet de formaliser des modèles de réseaux multiniveaux et multidimensionnels. La construction initiale des graphes multidimensionnels villes/entreprises, pouvant prendre différentes formes, mobilise des aspects distincts de la relation villes et réseaux d’entreprises : en repartant de ces construction de graphes, on peut dresser un ensemble plus large de questions possibles dont les propriétés, éprouvées par les sciences de la complexité, apportent un nouveau regard, notamment lié à la dynamique des réseaux et aux passages micro/macro qui demeurent à explorer (3).
- 2 - Déploiement des réseaux d’entreprises dans un système urbain multiniveaux
8 Partant de l’hypothèse que les réseaux de chaînes mondiales de valeur créent et, en même temps, reflètent la nature des villes dans un monde globalisé, les villes ne doivent pas être définies comme des objets a priori, mais plutôt à travers les réseaux qui les créent et les transforment. L’approche commence donc au niveau élémentaire (micro) de l’interaction socioéconomique d’entités individuelles (personnes, entreprises ou institutions). Grâce aux stratégies et décisions individuelles et aux actions interdépendantes et « interinfluentes », les organisations sociales et économiques en réseau constituent le substrat dynamique dans lequel les ressources et les pouvoirs régénèrent sans cesse les structures évolutives des villes (GIDDENS, 1984). Les villes représentant l’ensemble des interactions individuelles ne constituent pas uniquement la somme de ces individus, mais bien davantage ou en tout cas quelque chose de différent (LANE et al., 2009). On peut identifier trois niveaux de processus des interactions urbaines formées par les interactions individuelles (PUMAIN, 2006) (cf. Figure 2) : des relations entre les unités prises deux à deux (niveau micro), des relations collectives de proximité géographique locales intra-urbaines ou régionales (niveau méso), et au niveau collectif interurbain, l’articulation de ces processus locaux intra-urbains (niveau macro).
9 Ces niveaux de processus sont à distinguer des échelles géographiques qui représentent, quant à elles, des variations de périmètre dans l’espace permettant un zoom sur une portion d’espace. Sur la Figure 2, l’échelle géographique des réseaux (c’est-à-dire la portion d’espace) reste la même alors que seuls les niveaux de processus qui affectent les réseaux diffèrent. Ainsi, les niveaux micro, méso et macro décrivent les mêmes réseaux, mais on y identifie différents niveaux de processus. Par exemple, comparer les gouvernances urbaines des clusters d’un échantillon de villes à l’échelle mondiale (niveau méso) (FESER et SWEENEY, 2002 ; ENRIGHT, 2000, 2003 ; RENSKI et al., 2007) n’est pas la même chose que de les confronter directement dans leurs relations mutuelles (niveau macro), mais ce sont pourtant en partie les mêmes réseaux (micro).
Trois niveaux de processus en réseaux dans les villes
Trois niveaux de processus en réseaux dans les villes
2.1. Niveau micro
10 Le déploiement des réseaux d’entreprises (au niveau micro) maintient ou améliore la position du groupe d’entreprises dans un espace dont la structure est identifiée à différentes échelles spatiotemporelles (DICKEN, 2011). Les coûts de transaction diminuent (WILLIAMSON, 1975) et les avantages de transaction s’accroissent (ZAYAC et OLSEN, 1993) à travers l’émergence de réseaux structurés, où les bénéfices des nouveaux liens sont supérieurs à ceux d’organisations aléatoires (POWELL, 1990).
2.2. Niveau méso
11 Au niveau méso, l’accessibilité instantanée ou quotidienne facilite les interactions au sein de territoires locaux, où des ressources matérielles, institutionnelles et d’information sont élaborées, partagées et enrichies. Cette proximité géographique au niveau méso, se développe la plupart du temps dans les régions urbaines. Seules, quelques rares implantations de multinationales (moins de 10 %) sont situées dans de très petites villes ou loin de toute zone urbaine, lieux attractifs pour leurs ressources spécifiques (souvent minières ou végétales) ou pour leurs très bas salaires.
12 Vu sous l’angle de la « proximité organisée » (HURIOT, 1998), le niveau méso de la ville peut être considéré comme un niveau intermédiaire dans l’organisation des sociétés, une proximité qui sert de catalyseur des connexions locales du système social vers l’échelle globale (PUMAIN et al., 1989 ; PUMAIN, 1997 ; BATTY, 2007). Les actions des agents urbains (micro) sont adaptées les unes aux autres par des systèmes complexes de contraintes et d’interactions, organisées par des institutions plus ou moins formelles, par des sociétés ou des associations (méso) (PORTER, 1998 ; KARLSSON et al., 2005). Ainsi, les villes sont bien plus que de la concentration spatiale. Les processus d’auto-organisation des liens entre les individus et les groupes s’appuient sur des réseaux d’échanges qui génèrent des processus méso d’agglomération, d’accumulation, et d’attraction. C’est par ces processus cumulatifs que les villes forment des connecteurs majeurs de réseaux, lesquels sont le résultat de stratégies développées au niveau micro des jeux d’acteurs qui s’étendent à l’échelle mondiale où se jouent les concurrences et les alliances entre les réseaux des firmes multinationales. Les liens économiques menant à ces lieux sont puissants, non seulement par les coprésences d’établissements, mais surtout par les potentiels de relations directes ou indirectes, locales ou globales, que ces établissements permettent d’atteindre.
2.3. Niveau macro
13 Le système urbain dans son ensemble (niveau macro) est formé par l’interaction des accessibilités de plus longue portée à l’échelle régionale, nationale, continentale ou mondiale. Le développement du système urbain est guidé par les stratégies globales des acteurs, qu’elles soient coopératives ou concurrentielles, orientées vers les marchés, la connaissance humaine, ou des moyens matériels (BERRY, 1964 ; PRED, 1977). Le rôle crucial joué par le niveau mésogéographique comme un lieu d’organisation, d’émulation, de reproduction et de sélection des réseaux, devient évident lorsqu’il est replacé dans le cadre de ce niveau macro. La complémentarité et la compétitivité entre les agents situés dans des villes différentes sont d’autant plus prégnantes que les infrastructures et les législations permettent l’intégration des réseaux locaux sur de longues portées. Les réseaux de grandes entreprises multinationales s’en servent, mais jouent inversement un rôle particulièrement important dans l’intensification de cette intégration urbaine au niveau macro. Par la dispersion géographique de leurs filiales et de leurs unités de production, et par le tissage de leurs réseaux d’échanges internes et externes, ces sociétés positionnent chaque environnement urbain dans un système complexe d’interdépendances globales.
2.4. Intégration des trois niveaux
14 Les synergies à l’intérieur et entre les villes interagissent fortement à travers des processus ascendants (Bottom-up) et descendants (Top-down) (CASTELLS, 1996 ; ELLISON et GLAESER, 1997 ; DURANTON et PUGA, 2004 ; ROZENBLAT, 2012). Par exemple, la croissance de la primauté de la finance au sein de l’économie en général aurait affecté à la fois la localisation et les dimensions de la mobilité des entreprises en les incitant à réduire leur capital fixe et, en conséquence, les amenant à diminuer le coût consacré à l’environnement urbain (CREVOISIER et QUINQUEREZ, 2005 ; PIKE et al., 2006). L’environnement urbain (notamment des grandes métropoles) devenant par ailleurs de plus en plus coûteux, contribue donc à hiérarchiser davantage les entreprises entre les villes, ce qui crée un processus ascendant du niveau « méso » vers le niveau « macro ». À l’inverse, on peut identifier des processus descendants. Par exemple, selon les étapes du cycle économique des activités, les entreprises transforment l’organisation de leur division spatiale du travail, privilégiant tour à tour différentes villes dont le développement local est directement affecté (MARKUSEN, 1996 ; DICKEN et MALMBERG, 2001 ; SCOTT, 2001).
15 C’est sans doute dans l’équilibre de ces interactions ascendantes et descendantes que se constitue la dynamique des villes (BATHELT et GLÜCKLER, 2011 ; ROZENBLAT, 2012). Dans cet équilibre, quelques cas extrêmes de fermeture peuvent être identifiés :
- des réseaux globaux interagissant peu avec les milieux locaux : ils forment une « caste » isolée favorisant la fragmentation sociale, politique et économique (SASSEN, 2002 ; CASTELLS, 2009) ;
- des réseaux locaux interagissant peu avec les réseaux globaux : la fermeture du système en « cartel local » conduit inexorablement vers la stagnation voire au déclin futur de la ville (VAN DEN BERG et al., 2001).
17 Si ces phénomènes sont aujourd’hui bien connus, il existe encore peu d’approches permettant d’intégrer sur un large échantillon de villes et de manière comparable les interactions entre les niveaux micro, méso et macro. L’approche par les réseaux permet, comme nous le montrerons plus loin, de transcender et de lier ces niveaux.
- 3 - Multidimensionnalité de la relation entreprises-villes
18 L’approche par les réseaux nécessite également d’être nourrie par les motivations et les stratégies sous-jacentes à leur formation par les entreprises. Ainsi nous rappellerons brièvement comment la recherche de gains de transactions (3.1), formant des « chaînes globales de valeur » multidimensionnelles (3.2) pousse à l’extension des réseaux dans les multiples niveaux des systèmes de villes (3.3).
3.1. Coûts de transaction et formes d’organisation des réseaux d’entreprises
19 Les entreprises créent ou maintiennent des liens dans le but de bénéficier des « avantages de transaction » (ZAYAC et OLSEN, 1993) tout en minimisant les « coûts de transaction » (COASE, 1937). Selon POWELL (1990), les « réseaux » d’entreprises ne se constituent ni en suivant des règles strictes du marché, ni par des formes hiérarchiques comme WILLIAMSON (1975) l’a proposé. Ces réseaux sont des séries séquentielles de transactions qui se succèdent dans un contexte d’interactions généralisées. Les objectifs fonctionnels de l’extension des réseaux sont de capturer le savoir-faire « tacite » (NELSON et WINTER, 1982), d’accroître la flexibilité, et d’améliorer la capacité de s’adapter rapidement aux conditions économiques.
20 Même si, théoriquement, toutes les interactions ont la même probabilité de se produire, de nombreux facteurs influencent cette probabilité. Les formes en réseaux s’appuient sur les relations de confiance, qui augmentent la qualité et la durée des interactions interindividuelles. Ces chaînes de relations s’ajustent aux conditions sociales et économiques dominantes (POWELL, 1990), sachant que, de surcroît, on est dans un contexte de rationalité limitée, d’information incomplète et de risque (SIMON, 1972 ; MARCH, 1978). En termes d’ouverture et d’adaptabilité des réseaux internes par rapport aux milieux externes, WALTER et al. (2007) ont montré que les entreprises ont tendance à avoir des densités élevées de réseaux internes, favorables à la diffusion de la connaissance, tandis que les réseaux externes entretiennent des contacts relativement déconnectés afin d’acquérir des connaissances tout en limitant leur divulgation à l’extérieur du groupe.
21 Du fait de la « protection » de la valeur des entreprises par leurs réseaux eux-mêmes, les réseaux internes des entreprises (soit leurs réseaux de filiales et de participations), représentent une partie stratégique de l’ensemble du réseau transactionnel (partenaires, alliances, sous-traitance, etc.). Ils constituent une colonne vertébrale très structurante au sein du réseau global de sociétés multinationales. Cette structure dépend de l’éventail des activités développées ainsi que de l’extension spatiale des groupes. Ainsi, pour comprendre les distributions spatiales des groupes d’entreprises, il est nécessaire de prendre en compte l’organisation de leurs réseaux internes, replacée dans l’ensemble des réseaux des autres entreprises. Les formes de ces organisations sont guidées par des stratégies de gouvernance, de relations économiques et technologiques, de localisations qui se combinent dans une stratégie multidimensionnelle.
3.2. Multidimensionnalité de la chaîne globale de valeur
22 La « chaîne globale de valeur » (GEREFFI, 1996) rend compte des systèmes de pouvoirs qui sont associés à la « chaîne globale de commodité » (PORTER, 1986) dans la gouvernance en réseau des entreprises. La « chaîne globale de valeur » a été initialement définie à travers quatre dimensions que nous avons réduites en trois dimensions (Figure 3) (GEREFFI, 1996 ; DICKEN et MALMBERG, 2001) :
- dimension de la gouvernance de l’entreprise : décrit la gestion du réseau de l’entreprise, de sa division du travail et des répartitions des pouvoirs ;
- dimension économique : intègre les sous-traitances, coopérations et concurrences avec des entreprises externes, mais également les processus liés aux cycles économiques et aux innovations technologiques ;
- dimension territoriale : les avantages institutionnels (lois nationales ou locales, taxes) sont ici intégrés aux différenciations spatiales en termes de richesse, qualification, accessibilité ou équipements. Alors que les gestionnaires les distinguent, nous préférons les associer dans une approche géographique, tant les caractéristiques spatiales et territoriales sont mutuellement interdépendantes (MASKELL et MALMBERG, 2003).
24 Ce système tridimensionnel intègre le déploiement des stratégies des entreprises en réseaux (micro) visant, dans chacune de ces trois dimensions, la diversité, la flexibilité et une certaine stabilité sur le moyen/long terme.
Trois dimensions de la chaîne globale de valeur
Trois dimensions de la chaîne globale de valeur
3.3. Ancrage dans les réseaux : du local au global
25 Les réseaux stratégiques en eux-mêmes procurent un avantage concurrentiel, visant à insérer chaque unité dans un réseau permettant le développement de l’ensemble du groupe et à trouver des niches de performance apportant de l’innovation dans le réseau (BURT, 1992, 2005). Ces stratégies de mise en réseau sont donc largement influencées par la structure industrielle de l’activité et par les cycles d’innovation qui s’y développent. Des blocs stratégiques sont formés autour de partenaires qui coopèrent de manière exclusive (lock-in) en excluant les autres (lock-out) (GULATI et al., 2000). L’embeddedness (ancrage) peut qualifier cette ouverture/fermeture dans un réseau économique donné (GRANOVETTER, 1985 ; UZZI, 1996). GRABHER (1993) explique cet ancrage « par le fait que l’action économique et ses résultats, comme toute action sociale et ses résultats, sont affectés par les relations dyadiques des acteurs et par la structure de l’ensemble du réseau de relations » (traduction de l’auteur). Cela conduit à considérer en plus des relations directes, les relations indirectes et les structures générales des réseaux.
26 Au niveau des relations directes entre entreprises, les processus de coopération et de concurrence, la synergie professionnelle, l’apprentissage interactif et la flexibilité des associations produisent des économies d’intégration verticale ou horizontale (CAPELLO, 2000). Ces économies formées à partir de processus micro de partage, d’appariement et d’apprentissage (DURANTON et PUGA, 2004) caractérisent la formation de processus qui se produisent au sein des activités et entre les activités, non seulement au niveau méso des villes (économies d’agglomération), mais aussi au niveau macro des systèmes urbains. Toutefois, les activités et les localisations des entreprises demeurent bien souvent étudiées comme des caractères exogènes à leur gouvernance proprement dite, ce qui rend difficile de la mise en œuvre d’une approche combinant simultanément les multiples dimensions qu’elles forment. L’intégration des multiples dimensions des réseaux dans les trois niveaux géographiques peut être résolue par la mise en place d’une approche par les réseaux complexes.
- 4 - Constructions des rapports villes/entreprises : des relations multidimensionnelles et multiniveaux
27 L’étude multiniveaux et multidimensionnelle des réseaux repose sur un très large champ de concepts qui viennent d’être brièvement rappelés. En termes opérationnels, son élaboration comprend plusieurs étapes distinctes. Un approfondissement préalable de la construction empirique des réseaux est nécessaire afin d’expliciter les enjeux présents dans cette construction initiale. Il s’agit donc de délimiter au niveau micro les réseaux étudiés et de définir les unités prises en compte (les « nœuds ») ainsi que le sens que l’on donne à leurs relations (les « liens »), dans une ontologie des réseaux d’entreprises dans l’espace (4.1). Dans un deuxième temps, on doit définir le rôle que l’on donne aux villes de localisation, aux groupes d’appartenance et aux activités développées (4.2) afin de construire des réseaux multidimensionnels aux niveaux micro/méso/macro, qui possèdent des propriétés susceptibles d’apporter des réponses à un éventail varié de questions découlant de la relation villes/réseaux d’entreprises (4.3).
4.1. Ontologie des réseaux d’entreprises dans l’espace
28 La construction des réseaux inter-entreprises requiert des informations sur leurs relations qui sont extrêmement difficiles à évaluer qualitativement et quantitativement. Par exemple, l’enquête sur les relations inter-entreprises (ERIE) lancée par l’INSEE en 2002 distinguait plusieurs types de relations (coopération, sous-traitance, services, participations financières, etc.). Toutefois, en raison du secret statistique, cette enquête omettait toute information géographique précise. Seules des enquêtes restreintes à quelques cas permettent aux gestionnaires ou sociologues de déceler les microprocessus liés à ces différents types de réseaux (UZZI, 1996 ; GULATI et al., 2000).
29 Pour étudier de larges échantillons d’entreprises dans leur dimension spatiale, la plupart des auteurs ont privilégié les relations intra-entreprises pour leur caractère stable et l’accès public à leur information (ROZENBLAT, 1992, 2004, 2010b ; TAYLOR, 2001 ; ALDERSON et BECKFIELD, 2004 ; WALL, 2009). C’est l’approche que nous avons privilégiée dès 1992, commençant par des enquêtes postales. Aujourd’hui des bases de données gérées par des entreprises de conseil offrent cette information moyennant un coût relativement élevé. À partir de 2004, nous avons pu comparer la fiabilité de plusieurs bases mondiales, identifiant la base ORBIS du BUREAU VAN DIJK (BVD) comme la plus complète et fiable. Nous avons acquis cette base ORBIS (BVD) en 2006, 2010 et 2013, partant des 3 000 premières entreprises mondiales à chaque période selon leur chiffre d’affaires et prenant en compte toutes les filiations directes et indirectes, ce qui représente environ 800 000 filiales à chaque date, reliées par un million de liens de filiations sur parfois plus de quinze niveaux de filiations (Figure 4).
30 Nous avons conservé l’intégralité des réseaux de filiation (orientés depuis les entreprises « détenantes » [maisons-mères] vers les entreprises « détenues » [que nous nommerons « filiales » par facilité de langage, même si l’appartenance n’est pas toujours majoritaire]). Ces liens représentent une certaine « réalité » puisqu’il s’agit à chaque fois d’une firme dont une part des actifs est détenue par une autre, impliquant des transferts financiers, de biens, d’information et de savoirs que l’on ne connaît pas dans le détail. La vision d’ensemble des liens financiers permet de compléter les liens « directs » de filiation qui ne sont pas toujours suffisants pour percevoir le réel pouvoir d’une entreprise sur une autre. Par exemple sur la Figure 4, A possède B à 60 % par un lien direct. Toutefois, on s’aperçoit par le réseau dans son ensemble, qu’au total A possède B à 80 %, puisque A possède C à 100 % qui possède D à 50 % qui lui-même détient 40 % des actifs de B. Donc de façon indirecte (par C et D), A possède 20 % de contrôle supplémentaire que l’on ajoute aux 60 % directs.
31 À partir de ces réseaux (et selon la précision des informations récoltées), peuvent être construits différents types de réseaux que l’on retrouve, bien que très peu explicités, dans la littérature. Parmi toutes les constructions possibles, nous avons identifié quatre approches, chacune privilégiant des relations différentes entre le territoire et les réseaux d’entreprises (Figure 5). Deux oppositions majeures définissent quatre types selon d’une part, le degré de coopération entre les unités du groupe (relations non-orientées) (4.1.1) et d’autre part, le degré de concentration du pouvoir (relations orientées) (4.1.2).
Filiations à l’intérieur des groupes
Filiations à l’intérieur des groupes
4.1.1. Degré de coopération entre les entreprises d’un groupe
32 Le degré de coopération entre les entreprises du groupe permet de dégager deux aspects opposés et complémentaires des interactions spatiales produites par les firmes multinationales (Figure 5. A). Chaque entreprise d’un groupe se trouve en position de tension entre, d’une part, sa relation avec son environnement géographique impliquant sa localisation (Figure 5. I) et, d’autre part, son interdépendance avec les autres entreprises du groupe relevant de son implication dans une stratégie globale (Figure 5. II). Cette tension entre le local et le global peut constituer une évaluation de l’ancrage du groupe.
33 I. Dans la première hypothèse, les entreprises formant les groupes sont montrées comme quasi-indépendantes les unes des autres, s’intégrant dans leurs milieux urbains respectifs dans un processus de localisation (Figure 5. I). Face au milieu local, ces entreprises représentent leur groupe dans son ensemble : on les considère comme IBM à Montpellier (et non la Compagnie IBM France) ou comme Peugeot à Buenos Aires (et non comme Peugeot Citroën Argentina S. A). L’intégration locale des entreprises du groupe est en général abordée en mesurant le nombre et les types de filiales ou de maisons mères des groupes présents dans chaque lieu, parfois en précisant leur nombre d’employés, leur production ou leur chiffre d’affaires, mais plus rarement, leurs liens économiques, institutionnels ou sociaux globaux...
Types de construction des réseaux d’entreprises
Types de construction des réseaux d’entreprises
34 II. Dans une deuxième hypothèse (Figure 5. II), l’appartenance des filiales à un même groupe induit leur participation au développement de ce groupe dans une « stratégie partagée » (CROZIER ET FRIEDBERG, 1977). Cela renvoie à la notion de « stratégie globale » des groupes, où le fonctionnement des organisations multinationales repose sur la spécialisation des productions et des services des filiales, toutes interdépendantes les unes des autres dans une « chaîne globale de valeur » en partie internalisée. C’est une vision de partenariat où le devenir de chaque entreprise est dépendant de l’ensemble des autres entreprises du groupe. Cette fois, l’entreprise représente sa ville pour les autres membres du groupe, soit le territoire dans l’organisation de l’entreprise (Montpellier pour IBM et Buenos Aires pour Peugeot). Pour rendre compte de toutes les dépendances possibles au sein d’un groupe, on construit un système entièrement connexe où l’interdépendance est maximale entre chaque entreprise de la firme et l’ensemble des autres, quelles que soient leurs positions de filiales ou de sièges (Figure 5. II). En termes mathématiques, cela revient à construire le graphe complet du réseau. Ainsi, on considère toutes les interactions possibles entre les entreprises de chaque groupe, sachant bien que certains des échanges seulement sont concrètement réalisés. Chaque lieu investi par le groupe est ainsi mis en relation avec toutes les localisations où il est établi.
35 Dans cette approche, il n’est pas nécessaire d’avoir une information fine sur les liens financiers ou fonctionnels entre les entreprises du groupe, uniquement leur appartenance au groupe. C’est une des raisons pour lesquelles le groupe GAWC (GLOBALIZATION AND WORLD CITIES) l’a choisie pour représenter les systèmes mondiaux de villes, tout en faisant valoir une seconde raison : l’approche a-hiérarchique des groupes (BEAVERSTOCK et al., 2000 ; TAYLOR, 2001 ; DERRUDER, 2006). Cette vision du réseau de la firme est, parmi les quatre visions proposées, celle qui repose sur les hypothèses d’interactions les moins probables, mais aussi qui introduit (par construction) des biais importants dans les calculs par ville (NEAL, 2012). Le principal biais consiste en la démultiplication exagérée des relations des villes accueillant les groupes les plus nombreux. Un second biais est l’impossibilité dans ces réseaux de trouver des formes de réseaux en étoile, forme correspondant à des polarisations, pourtant souvent rencontrées en économie régionale. Cette approche et les résultats de ces analyses doivent donc être utilisés avec beaucoup de prudence.
4.1.2. Degré de centralisation des décisions entre les entreprises
36 Les deux autres des quatre hypothèses se basent sur le niveau de centralisation décisionnelle au sein des groupes et nécessitent cette fois des liens orientés (Figure 5. B) : l’une présente un pouvoir très centralisé au siège principal (Figure 5. III), et l’autre un pouvoir décentralisé aux éventuelles filiales intermédiaires (Figure 5. IV).
37 III. La troisième hypothèse souligne le point crucial de décision qui est la maison mère générale du groupe. Toutes les filiales sont considérées sous le contrôle direct des décisions prises au siège principal, lequel supervise, dans une politique centralisée, la conception de nouveaux produits, l’organisation globale du travail, la formation interne, les stratégies industrielles et financières (DICKEN, 2011). En positionnant toutes les filiales sous le contrôle direct du siège central, la centralisation des décisions au sein de la firme est poussée à l’extrême (Figure 5. III). Cette construction fortement hiérarchisée ne représente donc qu’une partie de la réalité du fonctionnement des groupes, réalité dont l’ampleur et les pratiques sont très variables d’un groupe à l’autre, à l’intérieur même d’un groupe selon les secteurs d’activités, voire selon les types de décisions et échanges. Cette démarche, adoptée très tôt par PRED pour les États-Unis (1977), permet de faire émerger un système de contrôle-dépendance entre les villes accueillant les maisons mères et celles investies par les filiales des groupes. Cette approche a été utilisée par ALDERSON et BECKFIELD (2004) et ALDERSON et al. (2010) pour construire des réseaux mondiaux de villes. Toutefois, cette approche a pour conséquence d’accentuer la concentration des pouvoirs des villes sièges de grands groupes et donc, là encore, la hiérarchie amplifiée des pouvoirs des plus grandes villes est à rappeler lors de l’interprétation des résultats.
38 IV. Sous une quatrième hypothèse, on suppose que l’organisation de l’entreprise est décentralisée (Figure 5. IV). Elle est régionale et/ou sectorielle, et les nombreux niveaux de ramifications de filiations organisent le réseau de la firme (BARTLETT et GHOSHAL, 1989). Les liens hiérarchiques de filiation sont ici considérés de manière brute : tels que le révèlent les organigrammes financiers des groupes. Plusieurs niveaux décisionnels (continentaux, nationaux, par branche ou par produit) peuvent demeurer relativement indépendants les uns des autres – comme l’ont montré MICHALET (1999) ou VELTZ (2000) – et les réseaux d’entreprises sont organisés selon les avantages et coûts de transactions tels qu’énoncés auparavant. Un siège possède plusieurs filiales qui détiennent elles-mêmes plusieurs sous-filiales, etc. (Figure 5. IV). Ces relations sont orientées et les graphes forment des quasi-arbres, et non pas des arbres, puisque les boucles (à la manière de la Figure 4) représentent environ 20 % du total des liens.
39 Nous avons choisi cette dernière approche décentralisée des pouvoirs dans les réseaux pour construire les groupes d’entreprises, en conservant toute l’information sur les filiations. Les méthodes liées à la théorie des graphes (notamment celles développées depuis la fin des années 1990) permettent de suivre les « chemins » vers l’amont ou l’aval des relations. Ces chemins passent par des sièges intermédiaires ou « relais », permettant de souligner le rôle spécifique de certaines filiales nationales ou étrangères comme intermédiaires de l’internationalisation et de repérer les villes relais propices à l’accueil de telles fonctions (ROZENBLAT, 1992, 2004 ; ROZENBLAT et BELLWALD, 2014). De plus, à partir de ces réseaux, on peut construire les trois autres types de réseaux (l’inverse n’étant pas vrai). Quelques autres études ont été développées à notre connaissance à partir des réseaux de filiation des réseaux des entreprises multinationales : celle de WALL qui s’est toutefois limité à cinq niveaux de filiations dans les groupes (WALL, 2009 ; WALL et VAN DER KNAPP, 2011), et celle de KRÄTKE sur une trentaine de groupes pour trois secteurs manufacturiers innovants : automobile, électronique et chimie (KRÄTKE, 2014).
4.2. Acteurs-réseaux tridimensionnels « entreprises/villes/activités »
40 La formalisation du réseau en « graphe » mathématique permet d’expliciter la forme des relations d’entreprises construites pour l’analyse économique urbaine et régionale. La prise en compte des trois dimensions de la « chaîne globale de valeur » conduit à replacer ces réseaux d’entreprises dans l’espace géographique des villes qui les accueillent et dans les activités économiques qu’ils développent. Chaque entreprise possède en vérité des « attributs » multiples et changeants : taille, nature d’activités production, localisation... Ces attributs peuvent être intégrés de manières variables dans le réseau.
41 La théorie de l’« acteur-réseau » traduit un réseau complexe à partir de l’ensemble de ses « actants », c’est-à-dire non seulement des entreprises mais également de toutes les formations participant à la structuration et à la transformation du réseau (CALLON et al., 1986 ; LAW et HASSARD, 1999 ; CALLON, 2006 ; AKRICH et al., 2006). Cette vision, conjuguée à l’approche par les graphes, permet d’aborder les trois dimensions décrites dans la chaîne globale de valeur (territoire, pouvoirs et activités économiques) comme « actantes » dans la structuration à la fois micro et macro, locale et globale des réseaux d’entreprises. Ainsi, outre le réseau de pouvoir observé entre les entreprises (filiation), il s’agit de définir des réseaux relatant les rôles des deux autres dimensions (Figure 6).
Réseaux tridimensionnels « actants » des réseaux d’entreprises
Réseaux tridimensionnels « actants » des réseaux d’entreprises
- Deuxième dimension : la localisation comme « actante » dans le réseau d’entreprises peut être caractérisée par un lien qui signifie que chaque entreprise d’un réseau est « localisée » en un lieu (parfois plusieurs lieux si l’on tient compte des établissements multiples des entreprises). Le territoire de localisation interagit avec l’entreprise et via l’entreprise, avec le groupe. Le territoire, conjugué aux réseaux d’innovation créent la dynamique des « milieux » (MAILLAT et al., 1991), c’est-à-dire les ressources matérielles et humaines qui sont liées de manière directe ou indirecte à toute la région ou l’aire urbaine avec ses caractéristiques évolutives (ressources matérielles et humaines, milieu économique, organisation et climat social, gouvernance, accessibilité, insertion économique et législative régionale, nationale voire internationale...).
- Troisième dimension : les secteurs économiques peuvent également être caractérisés avec des liens d’« actants » dans chaque entreprise (qui peut développer plusieurs activités). Les secteurs économiques admettent chacun leurs produits à différentes phases des cycles économiques, des innovations qui remettent plus ou moins en cause les produits existants, une organisation spécifique de la production faite de multiples sous-traitants et liens entre des produits, des monopoles plus ou moins affirmés, des alliances et concurrences...
43 D’un côté, les secteurs d’activités influencent les formes d’organisation des hiérarchies et des pouvoirs dans les groupes multinationaux avec notamment des stratégies orientées plutôt par la production (face à des marchés homogènes) ou orientées par les marchés (marchés différenciés) (PERLMUTTER, 1969 ; DICKEN, 2011). Par exemple, le secteur automobile repose largement sur une division internationale de la production (souvent à l’échelle des marchés continentaux) tandis que l’agroalimentaire est plus généralement organisé par pays ou par région géographique (BOHAN et GAUTIER, 2013). Dans le cas de l’automobile, les réseaux des groupes sont organisés par noyaux de spécialités d’activités (un cœur automobile et des sous-groupes d’équipementiers indépendants) (BOHAN, 2009) ; dans le cas de l’agroalimentaire on a souvent un réseau formé de têtes nationales organisant une nébuleuse de sous-filiales nationales dans des domaines variés (GAUTIER, 2012).
4.3. Réseaux multiplexes pour l’analyse tridimensionnelle « entreprises/villes/activités »
44 Les trois dimensions identifiées peuvent être assimilées à trois types d’acteurs qui interagissent pour former la stratégie globale des groupes d’entreprises en réseau. Ces « acteurs » forment des organisations évolutives qui participent à la structuration des réseaux d’entreprises dans leur ensemble, dont leur organisation spatiale. À partir du moment où l’on définit des indicateurs pour chacune de ces dimensions, la mise en œuvre empirique de leurs interrelations conduit à s’interroger sur les manières dont on pose formellement ces interrelations en termes de graphes.
45 L’étude dynamique des graphes multidimensionnels et multiniveaux est devenue opérationnelle grâce au domaine des « réseaux complexes » qui, s’il a ré-émergé dans les années 1990, s’appuie sur plus d’un siècle de recherche sur les réseaux sociaux (FREEMAN, 2004) et sur plus de soixante-dix ans de recherche sur les réseaux mathématiques (NEWMAN et al., 2006) (pour une revue plus complète voir ROZENBLAT et MÉLANÇON, 2013b). Les graphes « multiplexes » constituent une branche du domaine des « réseaux complexes », apparaissant véritablement vers le début des années 2000. Ils permettent d’aborder les systèmes complexes à partir de réseaux multicouches, multidimensionnels, multiniveaux ou encore hypergraphes (VEGA-REDONDO, 2007 ; SCHWEITZER et al., 2009 ; MUCHA et al., 2010). Rappelons qu’un « système complexe » est un système composé d’un grand nombre d’entités hétérogènes, où les interactions locales entre les entités créent de multiples niveaux de structures collectives et d’organisations (« émergence ») qui, à leur tour, influent sur les niveaux inférieurs par des boucles de rétroaction (« immergence ») (PUMAIN, 2006 ; LANE et al., 2009). La disponibilité de grands ensembles de données a permis la classification de réseaux complexes en fonction de leurs propriétés de hiérarchie autour de nœuds centraux, soulignant l’intérêt de nouvelles catégories de réseaux possédant des propriétés spécifiques, telles que les « petits mondes » (Small World) (WATTS et STROGATZ, 1998) ou les « réseaux invariants d’échelle » (Scale Free networks) (BARABÁSI et ALBERT, 1999).
46 Les approches de la physique ou de l’informatique par les graphes multiplexes consistent à étudier les dynamiques conjointes de plusieurs réseaux, en termes de vulnérabilités ou de renforcements mutuels. En particulier, l’aspect multidimensionnel peut être construit selon ces approches de différentes manières. On peut, dans un premier temps, conserver le niveau micro des réseaux d’entreprises et leurs caractéristiques agrégées à un niveau macro (territoires et activités) (réseaux multipartites 3.3.1) ; dans un deuxième temps, on peut agréger les réseaux micros d’entreprises par leur distribution géographique et par activité (multigraphes 3.3.2) ; On peut aussi considérer en troisième lieu, les réseaux inter et intra-urbains (réseaux multiniveaux 3.3.3). Ces méthodes de modélisation conduisent à répondre à des aspects différents des questions multiplexes.
4.3.1. Réseaux multipartites : du micro au macro
47 La question de l’évolution de la spécialisation des villes par les réseaux d’entreprises conduit à endogénéiser les villes et les activités dans le réseau même des entreprises. L’endogénéisation est par exemple appliquée aux médias et aux techniques qui influencent les relations interpersonnelles. CONTRACTOR et al. (2011) les considèrent sur le même plan que les acteurs eux-mêmes : « It makes more sense to begin to treat technologies as endogenous to network relations rather than exogenous to them. In other words, instead of asking how technologies might change networks (or vice versa), perhaps the more appropriate question for our times is, “What happens when a new technology becomes a part of a social network” ? ». Il s’agit donc de transférer cette véritable implémentation de la théorie de l’acteur-réseau, où des facteurs exogènes sont endogénéisés à l’intérieur du réseau.
48 Les activités développées et les lieux d’implantation participent ainsi à la dynamique du réseau d’entreprises de manière intrinsèque. Les aires urbaines et les activités économiques sont connectées aux entreprises et, par ces réseaux, sont indirectement liées entre elles par une relation d’« équivalence » (au sens de BURT, 1992) à partir du moment où elles concernent la même entreprise (Figure 7). Quel que soit le nombre de dimensions, on peut construire un réseau multimodal intégrant différents types d’objets (ou de sujets) qui sont intrinsèquement liés dans leur évolution (on parle aussi de réseaux multipartites et CONTRACTOR et al. (2011) les appellent « multidimensionnels »). Ces objets peuvent être différents types d’acteurs mais aussi des politiques, des technologies, des idées, des institutions ou associations, des lieux ou des types d’activités. Sur la Figure 7, les liens entre secteurs économiques et aires urbaines tracent des triangles d’équivalence à partir des relations bilatérales entreprises-secteurs et entreprises-aires urbaines.
Réseaux tridimensionnels d’équivalence des réseaux d’entreprises
Réseaux tridimensionnels d’équivalence des réseaux d’entreprises
49 La proximité entre entreprises, aires urbaines et activités permettent de comprendre le rôle des groupes influents dans le développement de certains secteurs et dans la spécialisation de certaines villes, ce qui revient à évaluer l’effet des stratégies micro des réseaux d’entreprises sur les positions des villes et sur les secteurs au niveau macro. Inversement, les spécialisations des villes et les phases de développement des activités impliquent certaines formes de développement des réseaux d’entreprises (influence du niveau macro sur le niveau micro).
50 Les relations directes entre les villes et les activités (réseaux bimodaux) permettent d’évaluer d’un côté la spécialisation économique des villes et d’un autre côté, la concentration des activités dans le système urbain, en ignorant cette fois le niveau micro des entreprises. De cette manière, on demeure cette fois au niveau macro en ne prenant en compte que les relations entre les secteurs économiques et les aires urbaines (Figure 8).
51 L’approche « classique » des réseaux bimodaux (ou bipartites) ne permet que d’étudier les liens entre les objets de natures différentes (Figure 8.a) car la prise en compte simultanée des liens unimodaux entre des objets de même nature (Figure 8.b) n’est encore que partiellement résolue en termes analytiques de mesures de différents indices (CONTRACTOR et al., 2011 ; ROBIN et WANG, 2011). Pourtant elle offre des potentialités fortes puisque des spécialisations multiples récurrentes dans plusieurs villes révèlent des proximités entre activités, et à l’inverse, les distributions sélectives d’activités entre les villes créent des groupes de villes très interdépendantes. La notion de « nestedness » développée pour les réseaux multimodaux en écologie (SAAVEDRA et al., 2011), a pu être utilisée pour montrer que les villes les plus spécialisées en termes d’activités économiques dans ces réseaux contribuent le plus à la stabilité du réseau de villes dans son ensemble, mais elles constituent en même temps les nœuds les plus vulnérables du réseau (GARAS et al., 2014). On peut imaginer entreprendre rapidement des simulations prenant en compte l’évolution des activités (cycles et arrivée de nouvelles innovations), qui affectera les réseaux de villes selon différentes hypothèses d’apparition dans le réseau d’entreprises et de concentration spatiale.
Réseaux bimodaux liant les aires urbaines et les activités économiques
Réseaux bimodaux liant les aires urbaines et les activités économiques
52 Le groupe GAWC a récemment utilisé l’approche bimodale entre les groupes et les villes, afin de pallier les critiques qui lui étaient faites sur la structure très biaisée de ses réseaux (LIU et al., 2013). Cette méthode a permis d’amoindrir le poids des grands groupes dans le calcul de la centralité des villes. Le choix bimodal est donc très pertinent dans le cas des graphes complets du GAWC, pondérant le degré de distribution des groupes dans les villes. Si l’on prend en compte les réseaux de filiation (ce qui est notre cas), les proximités multidimensionnelles soulignent également le poids des groupes ou des activités pour la mise en réseau des villes. Toutefois, on perd une information précieuse sur l’orientation des liens de filiation, que l’on construise des graphes villes-groupes, des graphes villes-activités ou des graphes triangulaires.
4.3.2. Multigraphes : agrégation géographique des réseaux
53 Une manière de conserver l’orientation des réseaux de filiation des groupes entre les villes est de les agréger par couples de villes. Cette opération peut distinguer différents types d’activités pour un même échantillon de villes, ce qui revient à construire un réseau « unimodal multiplexe » ou « multigraphe » de villes (aussi multi-layer ou multicouche), composé de plusieurs réseaux reliés par les villes que ces réseaux ont en commun. En d’autres termes, les villes entretiennent différents types de relations selon les activités concernées (Figure 9).
Réseau unimodal multiplexe liant les aires urbaines par activités économiques
Réseau unimodal multiplexe liant les aires urbaines par activités économiques
54 L’approche multiplexe positionne intrinsèquement les villes dans les réseaux d’entreprises, mais maintient les types d’activités comme une variable exogène qui différencie les réseaux. La comparaison des multiples réseaux d’activités souligne les organisations plus ou moins centralisées et multipolarisées, leurs complémentarités dans les villes par leurs co-localisations récurrentes.
55 En particulier, les structures « scale free » (ou « invariant d’échelle » : soit des structures très hiérarchisées) ont été montrées comme issues de dynamiques reposant sur des processus d’« attachement préférentiel » (BARABASI et ALBERT, 1999). Ces processus cumulatifs, déjà soulignés par YULE (1925) et par SIMON (1955), ont été montrés comme fortement structurants dans la dynamique des réseaux. L’attraction des nœuds déjà les plus forts polarise de manière croissante les liens des nouveaux entrants, menant aux distributions hiérarchisées observées par ailleurs par ZIPF (1949). Ces processus, dans la « réalité » des réseaux d’entreprises multinationales, transcrivent leur attraction mutuelle dans les mêmes villes, que ce soit entre des entreprises de mêmes activités industrielles ou financières (« clusters »), ou encore les lieux « où il faut être » parce que tous les autres y sont présents (métropole majeure). Des processus de répulsion (dus aux compétitions) compensent en partie ces concentrations cumulatives. Par ailleurs, les diffusions des villes centrales vers les villes plus périphériques, des activités en cours de « banalisation » et donc de leur baisse de productivité, atténuent également les hiérarchies (PUMAIN et al., 2006). Toutefois, les innovations, dans leur phase initiale de diffusion, se concentrent bien souvent dans le haut de la hiérarchie urbaine, contribuant à renforcer sur le temps long la hiérarchisation du système urbain par des processus de « métropolisation ». Un autre scénario plus rare survient lorsque les anciennes structures « empêchent » toute percée de la nouvelle innovation qui empruntera d’autres voies, transformant fondamentalement la structure urbaine, comme ce fut le cas au Moyen Âge avec le basculement du cœur de l’Europe urbaine, depuis le nord de l’Italie vers l’Europe du Nord-Ouest, cette dernière région bénéficiant des nouveaux échanges transatlantiques surpassant les échanges méditerranéens (BRAUDEL, 1979 ; DE VRIES, 1984 ; BRETAGNOLLE et al., 1998).
56 Au-delà des structures de chacun des réseaux, leurs influences mutuelles sont majeures pour comprendre les dynamiques des villes. Des études récentes en physique s’intéressent aux effets de « cascade » entre les réseaux (BULDYREV et al., 2010 ; HAVLIN, 2010). Évaluant la vulnérabilité des réseaux sous certaines conditions structurelles, ces études montrent que les réseaux interdépendants dont les distributions spatiales sont similaires ont moins d’impacts mutuels lors de destruction en cascade, que des réseaux dont les distributions sont plus dissemblables (PARSHANI et al., 2010 ; HU et al., 2013). Ces méthodes, transposées à la relation des villes et des réseaux d’entreprises multinationales, montreront comment les réseaux se développent bien souvent entre les mêmes villes, renforçant des proximités qui diminuent les coûts de transaction de futurs réseaux. Le résultat général trouvé par les physiciens, de robustesse de ces réseaux redondants, peut aider à comprendre le renforcement des grandes métropoles par des processus d’« attachements préférentiels » où les mêmes villes et couples de villes sont systématiquement mobilisées par de nouveaux réseaux. Les effets de cascade des réseaux d’entreprises dans les systèmes urbains (qui demeurent très hiérarchisés et donc « invariants d’échelle ») souligneront les activités les plus vulnérables et à l’inverse celles qui sont les plus robustes, mais également les villes et les couples de villes les plus vulnérables ou robustes.
4.3.3. Réseaux multiniveaux
57 Alors que l’approche par les réseaux de villes réduit les villes à de simples « nœuds », la démarche d’agrégation par ville et couple de villes conduit à considérer non seulement des réseaux interurbains (niveau macro), mais également des réseaux intra-urbains (niveau méso) (Figure 10 c).
Agrégation urbaine des réseaux
Agrégation urbaine des réseaux
58 Ces réseaux intra-urbains sont bien souvent ignorés dans les études sur la globalisation des villes, alors qu’ils représentent plus de 25 % du total des réseaux mondiaux d’entreprises multinationales et plus de 70 % du total des réseaux de l’aire urbaine de Londres (ROZENBLAT, 2010b ; ROZENBLAT et BELLWALD, 2014). L’approche consistant à mettre en relation les liens intra-urbains et interurbains doit permettre de rendre compte empiriquement et de manière comparative de ce que suggère MASSEY (2006) à propos de Londres : « the local is not only the product of the global, but that global itself is produced in local places ». Il s’agit donc de mettre directement en relation les processus réticulaires s’opérant à l’intérieur des villes avec leur type de centralité au niveau interurbain, formalisant sur de larges échantillons l’approche des « local buzz, global pipelines » de BATHELT et al. (2004).
59 Les liens entre les relations locales, d’un côté, et les réseaux de longue portée, de l’autre, rejoignent les recherches méthodologiques en physique des réseaux autour de la notion de « small worlds » ou communautés fortement connectées (WATTS et STROGATZ, 1998 ; VEGA-REDONDO, 2007). Les propriétés de tels réseaux sont évaluées à travers deux types d’indicateurs : les plus courts chemins entre tous les individus, et des indices de « clustering » élevés (soit la présence de nombreuses triades dans le réseau). Mais au delà de leur constat, c’est la formation de telles communautés qu’il importe d’expliquer. VEGA-REDONDO (2007) tente de le faire en faisant appel à l’embeddedness des réseaux économiques dans des « clusters » ou « petits mondes » formant des communautés sociales (GRANOVETTER, 1985), soit la propension des individus à entrer plus facilement en contact avec des personnes connaissant des personnes qu’ils connaissent (d’où la formation de triangles relationnels ou triades et de paquets denses de relations). Alors que de nombreuses communautés s’affranchissent aujourd’hui des distances, la proximité géographique demeure un facilitateur de contact et d’intégration dans les réseaux sociaux, et la majorité des contacts par Internet se tisse encore sur de courtes distances (MOK et al., 2010). Au niveau micro, ce processus s’appuie à la fois sur la « rationalité limitée » et sur les « coûts de transactions », sachant qu’un « outsider » aura des difficultés à s’intégrer dans un réseau social dans lequel il ne connaît personne. Au niveau méso, les densités locales des réseaux révèlent comment les réseaux des entreprises multinationales participent aux projets territoriaux en étant intégrés dans leurs réseaux d’acteurs qui auront su se doter de capacités à partager et se renforcer dans leur ouverture sur des liens externes au niveau macro. D’un autre côté, les liens macro entre les « petits mondes » suggèrent à quel point les différentes communautés formées par la proximité urbaine se nourrissent mutuellement et mettent leurs complémentarités en interaction.
60 On peut dès lors s’interroger sur les formes d’équilibres entre les communautés locales et les communautés globales : comment les morphologies des deux niveaux de réseaux conditionnent toutes sortes de transformations, d’émergences, de processus de diffusion par effets de cascade, notamment dans ces formes de réseaux « petits mondes » ? XIA et al. (2010) montrent que les réseaux « petits mondes » sont bien plus robustes que ne le sont les réseaux aléatoires ou les réseaux « invariants d’échelle », face aux attaques aléatoires et à leur propagation par effet de cascade. Toutefois, ils montrent également que cela n’est pas le cas pour des attaques plus ciblées sur les hubs majeurs des réseaux où les réseaux « petits mondes » montrent cette fois une très forte vulnérabilité. Ce phénomène est apparu aux premiers moments de la crise en Europe en 2008, lorsque les entreprises financières de la City de Londres se sont toutes effondrées les unes après les autres, par effet de domino dû à leurs fortes interdépendances financières. Ceci n’a pas encore été montré sur les villes, mais on a pu implémenter les processus de diffusion de la crise monétaire à l’échelle des pays du monde (GARAS et al., 2010). En utilisant ces méthodes de diffusion par cascade et en conservant le niveau micro des entreprises, on peut imaginer simuler des diffusions d’innovations par cascade d’activités à activités, le long des filiations d’entreprises pour révéler les villes les plus vulnérables et celles qui le sont moins.
- 5 - Conclusion
61 La présentation qui a été faite des articulations possibles des réseaux d’entreprises et des territoires permet une meilleure évaluation des démarches s’appuyant sur les études de réseaux d’entreprises en exposant le rôle des choix qui sont faits et qui demeurent souvent trop implicites dans la plupart des études. La démarche contient notamment deux étapes qu’il conviendrait de mieux justifier dans les études développées :
- la signification des liens d’interaction et des acteurs-réseaux à la base des réseaux étudiés ;
- la construction des objets réseaux uni ou multidimensionnels, uni ou multiniveaux, micro, méso ou macro géographiques et la pertinence de leurs mesures.
63 À chacune de ces étapes, les constructions mêmes des réseaux sous-tendent des a priori sur la forme de médiation que les réseaux représentent pour étudier le couple entreprises/villes. Les conséquences empiriques qu’elles induisent dans l’étude des réseaux d’entreprises dans les territoires (voire des biais majeurs) sont pourtant rarement explicitées.
64 L’approche multimodale (ou multipartite) des réseaux, en opérationnalisant la théorie de l’acteur-réseau, rend compte des rôles respectifs des différentes dimensions des territoires, des secteurs économiques et des organisations managériales, dans les formes et dans les intensités des réseaux d’entreprises dans les villes. L’apport de la mise en relation directe d’acteurs ou de dimensions de natures différentes représente un gain indéniable et parfois indispensable dans la compréhension des stratégies des entreprises en lien avec le renouvellement constant des innovations. Des limites se trouvent pour l’instant dans la non-prise en compte des orientations des liens de pouvoir des réseaux multiniveaux micro/macro ou bimodaux, et souvent dans la restriction des analyses aux liens non-valués (de nombreuses approches des sociologues ou des physiciens se limitent à l’approche morphologique des graphes sans prise en compte des poids des liens, ce qui, en géographie ou science régionale est très insuffisant).
65 Une autre limite est présente dans l’acquisition de l’information. On possède de plus en plus d’information sur les réseaux sociaux issus d’Internet, qui révèlent des structures dont l’apport à la connaissance des réseaux sociaux est incomparable avec les informations jamais réunies auparavant. Toutefois, les structures émergentes ou des microdécisions stratégiques ne se trouvent pas toujours sur Internet, mais plutôt dans des relations informelles et peu visibles. Parfois des liens souterrains peuvent apparaître dans des informations relativement formalisées, comme c’est le cas par exemple des investissements russes qui passent par Chypre pour aboutir à Londres ou Amsterdam (DI LELLO et ROZENBLAT, 2014). Il s’agit donc à chaque fois de mettre en place une stratégie empirique très ciblée et précise, susceptible de révéler des relations ou comportements sous-jacents.
66 Malgré ces limites, la mise en œuvre de la théorie de l’acteur-réseau, formalisée à travers des réseaux multidimensionnels, apporte la perspective d’approcher les milieux par les différentes dimensions qui les animent. Ainsi, la prise en compte de la complexité des réseaux économiques dans l’espace contient un fort potentiel d’approfondissement et d’élargissement des paradigmes établis dans la théorie économique régionale, notamment en ce qui concerne l’approche local/global des réseaux d’entreprises et leur rapport au développement régional et urbain. L’endogénéisation des différentes dimensions des entreprises (spatiale, économique, gouvernance) met directement en prise le niveau micro avec les niveaux méso et macro, ce qui contribue à lier ces trois niveaux jusqu’à présent difficilement articulés dans les études comparatives. L’extension de ce type d’approches à d’autres dimensions, comme celles de l’émergence des innovations, des réseaux sociaux de différentes sphères, permettra des évaluations plus systématiques et comparables des ancrages des réseaux d’entreprises et de leur développement dans les territoires composés de leurs multiples dimensions.
67 L’approche formalisée par les réseaux encourage les collaborations transdisciplinaires déjà développées en science régionale autour de l’économie, de la géographie, de la sociologie et de la science politique. Les réseaux complexes sont aujourd’hui approfondis par le domaine des Sciences de la complexité (ou « Global System Sciences » [GSS]) qui promet l’extension de cette transdisciplinarité à d’autres sciences comme la sociologie des réseaux, la science de la communication, la physique ou l’informatique. L’enjeu majeur consiste à introduire les concepts des théories de sciences sociales dans les méthodologies des physiciens qui les méconnaissent bien souvent. L’introduction de ces concepts passe d’abord par la définition des objets et des sens des relations qui sont fournies aux sciences de la complexité dans l’expérimentation de leurs modèles. C’est pourquoi il est essentiel de poursuivre l’explicitation des données et des modèles dans l’évaluation empirique de cette relation entreprises/villes. C’est seulement à cette condition que la rencontre de la science régionale et des sciences de la complexité pourra contribuer à un enrichissement pour les deux mouvements scientifiques.
Remerciements
68 L’auteure souhaite remercier les évaluateurs anonymes pour leurs conseils et leurs critiques très constructives. La démarche exposée est inspirée et nourrie par les nombreuses collaborations que je partage depuis plus de vingt-cinq ans. Plus récemment, les réflexions, les méthodes et les études empiriques ont pu être approfondies grâce aux projets ANR Spangeo développé avec Guy MÉLANÇON du LABRI à Bordeaux, FP7 Insite dirigé par David LANE, ERC GeoDiverCity dirigé par Denise PUMAIN, ainsi qu’au projet FP7 Multiplex dirigé par Guido CALDARELLI. Je suis fortement redevable également des séminaires organisés à l’USC par Manuel CASTELLS et Peter MONGE, et à la NorthWestern University par Noshir CONTRACTOR et Brian UZZI sur les réseaux sociaux. Les formalisations des différents types de réseaux multiplexes ont en particulier été discutées avec Antoine BELLWALD et Faraz ZAIDI à l’Université de Lausanne et les applications physiques sur les réseaux d’entreprises sont actuellement développées avec Antonios GARAS (ETHZürich), Michael MARAGAKIS, Panos ARGYRAKIS (Aristotle Univ., Thessaloniki) et Shlomo HAVLIN (Bar Ilan Univ., Tel Aviv).
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Mots-clés éditeurs : réseaux, systèmes urbains, multiplexe, entreprises multinationales
Date de mise en ligne : 30/09/2015
https://doi.org/10.3917/reru.153.0393