Notes
-
[1]
Terme traduit soit littéralement : urbanisation « en saut-de-grenouille », soit à la manière québécoise : « en saut-de-mouton ».
-
[2]
Toutes les traductions sont de l’auteur.
-
[3]
Comme l’écrit Michel HOST : « Il est, avant les banlieues proprement dites, une prébanlieue, tout un pays qui n’est ni ville ni campagne, ni chair ni poisson. » (Valet de Nuit, Grasset, 1986).
-
[4]
BRUNET R (1967) Les phénomènes de discontinuité en géographie. Paris, CNRS, 117 p.
-
[5]
À travers la loi portant engagement national pour l’environnement du 12 juillet 2010, dite « Grenelle 2 », dans ses articles 17 et 19. Ceux-ci prévoient que les documents de planification (ScoT et PLU) doivent proposer des objectifs chiffrés de limitation des espaces naturels, agricoles et forestiers.
-
[6]
Nous excluons de l’analyse les explications « topographiques », qui considèrent l’urbanisation discontinue comme résultant de différences dans la qualité des sols : empierrement, pente, etc. (même si ces différences peuvent avoir une traduction économique en termes de rendements agricoles ou de coûts de conversion), ainsi que les explications « techniques » basées sur la non-constructibilité de certains terrains en raison, par exemple, de leur inondabilité. Enfin, nous n’évoquerons pas les cas très particuliers où la rente résidentielle est inférieure à la rente agricole, comme pour certains terrains en Champagne ou dans le Bordelais par exemple : ces cas nous ont paru trop exceptionnels pour faire partie intégrante du raisonnement théorique présenté ici.
-
[7]
D’un point de vue empirique, l’existence d’une prime de croissance permet d’expliquer que le prix du sol, indépendamment de la taille urbaine, est plus élevé dans les villes à croissance rapide (PLANTINGA et MILLER, 2001). L’effet des anticipations capitalisées dans les prix agricoles peut être important et compter facilement pour moitié dans le prix du sol (CAPOZZA et HELSLEY, 1989).
-
[8]
Ou encore « la valeur liée à la capacité d’éviter des conséquences défavorables dans un marché du sol urbain risqué, tout en retenant une option sur les conséquences favorables » (CAPOZZA et HELSLEY, 1990).
-
[9]
Les modèles de ville ouverte, en économie urbaine, intègrent la population comme variable endogène (ils autorisent les migrations) à utilité des ménages constante, au contraire des modèles de ville fermée où la population est fixe et l’utilité des ménages endogène.
-
[10]
Ce délai correspond au temps de construction, de viabilisation, et de commercialisation des terrains (GRANELLE, 1998, p. 156).
-
[11]
De l’anglais to hold out, résister, tenir bon.
-
[12]
Le terme habituellement utilisé dans la littérature anglophone est open space, que l’on peut traduire par espace ouvert, ou espace libre. Nous avons préféré la première traduction, car la seconde excluait l’agriculture, et est de plus connotée quant au débat sur la différence entre espaces ouverts publics et privés (cf. infra). De manière large, un espace ouvert est un espace non urbanisé : terre agricole, espace naturel, terrain vacant...
-
[13]
Un constat concordant avec l’hypothèse de l’existence d’une « Ville Automobile », s’étendant à de faibles densités sur de grandes étendues. Un test empirique de cette proposition a été réalisé par G. POUYANNE (2007).
-
[14]
Au sens économique de bien public, bien sûr. La controverse sur la valorisation des espaces ouverts publics et privés, au sens juridique du terme (supérieure pour les premiers selon IRWIN (2002), pour les seconds selon CHESHIRE et SHEPPARD (2002)), a ainsi conduit à poser la question de la substituabilité entre constitution d’espaces ouverts publics et taille des parcelles (POUDYAL et al., 2009 ; WALSH, 2007).
-
[15]
Ce constat découle directement de l’hypothèse d’hétérogénéité de l’espace, qui fonde implicitement les modèles étudiés dans cette partie. L’espace ouvert est, pour une des principales spécialistes du sujet, un bien hétérogène par essence (IRWIN, 2002).
-
[16]
Détailler tous les dispositifs d’allocation planifiée des sols urbains serait fort long. En France, le PLU est l’outil le plus largement utilisé, mais il existe aussi des zonages spécifiques, tels que les ZAP (zones agricoles protégées) ou les PNEANP (périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains) (LEVESQUE, 2008). Les États-Unis ont également développé des outils de conservation des espaces ouverts (conservation easement), au niveau fédéral (Conservation Reserve Program) et local (open space referenda) (NELSON et al., 2007).
-
[17]
Dans un parfait exemple de politique par eresthetics, où les raisons invoquées de la politique mise en place diffèrent radicalement de ses effets désirés (CLINGERMAYER, 2004).
« L’esprit trouve des mystères parce qu’il cherche d’instinct un but et une utilité à toute chose. Il semble qu’il lui soit interdit de concevoir les choses telles quelles – tout au moins telles qu’elles se montrent. »
- 1 - Introduction
1 L’étalement urbain est aujourd’hui devenu un lieu commun de la littérature sur la ville, voire un « slogan » dans certains écrits polémiques (MILLS, 2000). Souvent invoqué, mais rarement défini, le raisonnement se base trop souvent sur une opposition binaire entre fortes densités centrales et faibles densités périphériques. Pourtant, l’étalement se caractérise par une réelle diversité morphologique (CAMAGNI et al., 2002), au point de devenir insaisissable par les cadres de pensée habituels, comme une « cible mouvante » (EWING, 1997). Et malgré son abondance, seule une très faible partie de la littérature s’intéresse à la question de sa traduction précise dans l’espace.
2 L’urbanisation discontinue, ou leapfrog development dans la littérature anglo-saxonne [1], est une des formes de l’étalement. Au lieu de proposer un front d’urbanisation uni, la croissance urbaine se fait de manière dispersée, laissant des terrains vacants et en urbanisant d’autres plus lointains. Ainsi, « le phénomène d’expansion urbaine ne fait pas que s’étaler en continuité de l’agglomération. Il s’est muté en un émiettement de l’urbanisation. Il fait des « sauts de puce » de commune en commune, de plus en plus loin, vers les villages ruraux » (CASTEL, 2007). La publication, en 2011, de La Ville Émiettée par Éric CHARMES souligne l’intérêt porté à cette problématique.
3 Le leapfrog development est le « manque de continuité dans l’expansion [urbaine] » (CLAWSON, 1962) [2]. Il correspond à une situation où « les terres éloignées sont urbanisées avant les terres pourtant plus proches du centre-ville » (BAR-ILAN et STRANGE, 1996). C’est un espace de transition, d’interface entre urbain et rural, plus tout à fait ville mais pas encore campagne [3]. Ce « tiers espace » (VANIER, 2000) est « mixte » (CAVAILHÈS et al., 2003), puisque s’y mêlent ménages urbains et agriculteurs.
4 La question de la discontinuité a été longuement discutée en géographie depuis la thèse de Roger BRUNET [4] (GAY, 1995). Il ne s’agit pas ici de contribuer au débat conceptuel, mais d’en présenter l’interprétation proposée par la science économique. Entendons, très basiquement, la discontinuité urbaine comme la présence d’espaces non bâtis au sein d’un espace urbanisé. Les outils traditionnels de l’économiste urbain, le gradient de rente et de densité, permettent d’appréhender la discontinuité urbaine comme des « creux » dans les fonctions de rente et/ou de densité. La Figure 1 propose deux exemples de discontinuité, caractérisée par une densité nulle dans les deux cas. Dans le premier cas, qui est celui d’un espace protégé de type « ceinture verte », la rente foncière est très faible, tandis que dans le deuxième cas, celui d’un terrain laissé vacant, il n’y a pas de rupture dans la fonction de rente.
5 L’urbanisation discontinue pose un défi majeur à l’économie urbaine. Dans le cadre de la microéconomie urbaine standard (ou Nouvelle Économie Urbaine – NEU), c’est une incongruité théorique. Il ne peut y avoir de discontinuité à l’intérieur de l’espace urbanisé : les mécanismes économiques à l’œuvre (l’arbitrage effectué par les agents entre les coûts de transport et la consommation d’espace) produisent un gradient de rente urbaine continûment décroissant du centre vers la périphérie, jusqu’à atteindre le niveau de la rente agricole. En d’autres termes, la ville s’arrête précisément là où commence la campagne. Certes, les modèles NEU sont en mesure d’expliquer l’étalement urbain (ALIG et HEALY, 1987 ; BOITEUX-ORAIN et HURIOT, 2002), mais celui-ci se fait par anneaux concentriques du centre vers la périphérie, et il serait, dans ce cadre, économiquement aberrant que des terrains à l’intérieur de la ville fussent laissés vacants.
6 L’économie urbaine standard, avec ses outils traditionnels, ne permet donc pas de penser l’urbanisation discontinue, ce qui explique sans doute qu’elle soit une « configuration que l’on trouve rarement dans la littérature, alors qu’elle est partout présente dans le monde » (CAVAILHÈS et al., 2003). Il semble pourtant nécessaire de comprendre le processus de formation de l’urbanisation discontinue. Au-delà d’une évidente visée heuristique (comprendre le phénomène de discontinuité urbaine et fournir une théorie permettant de l’expliquer), l’enjeu en termes de planification urbaine est central. La quête d’une « forme urbaine soutenable » a, dès le début des années 1990, abouti à la promotion de la « Ville Compacte » (CCE, 1990) : une ville plus ramassée, à la fois dense et continue (BURTON, 2000). L’absence de discontinuité permet notamment de diminuer les impacts environnementaux de la mobilité quotidienne (POUYANNE, 2005). Or, presque vingt ans plus tard, l’efficacité des politiques de compacification mises en place reste encore, face à l’ampleur du processus d’étalement, mise en doute, au point que l’État français a dû légiférer sur la consommation d’espaces naturels par l’urbanisation [5]. La compréhension des mécanismes économiques sous-jacents à la ville discontinue se révèle donc extrêmement importante.
7 Face à cet « angle mort » de la théorie économique urbaine, nous proposons une revue de la littérature consacrée à la théorie de l’urbanisation discontinue. Celle-ci sera présentée suivant deux axes qui reprennent les deux conceptions traditionnelles de l’espace en Sciences économiques (CAMAGNI, 1996 ; BLAUG, 1999 ; GUIGOU, 1982) [6]. Dans une première conception, assimilée à l’approche thünenienne, l’espace est homogène, et ce qui différencie les lieux est la position dans l’espace. L’urbanisation discontinue trouve alors son origine dans la rétention de terrains liée à la spéculation sur les rendements futurs du sol. Dans une deuxième conception, dérivée de l’analyse ricardienne, l’espace est hétérogène, et les lieux se distinguent par leurs attributs. Les différents usages du sol sont alors à l’origine d’externalités localisées, et la quête des aménités naturelles par les ménages induit une valorisation des « espaces ouverts » qui justifie la vacance de certains terrains. La relative dispersion et les limites de cette littérature nous amèneront, dans un troisième temps, à proposer des pistes de réflexion pour les recherches futures sur l’urbanisation discontinue.
- 2 - Incertitude, irréversibilité et spéculation
« The actual development pattern is determined by the particular sequence – in time and space – of land use conversion. » SEGERSON et al., 2006.
2.1. L’allocation dynamique des sols en économie urbaine
9 Dans la littérature économique, la question de la conversion des sols ruraux en sols urbanisés est traitée par une comparaison, effectuée par le propriétaire du terrain, des rendements pour chaque usage (agricole et résidentiel). Dans la mesure où ces rendements sont anticipés, le temps doit être introduit dans le modèle. La terre sera alors convertie à la période où le rendement marginal de l’usage futur égalise le rendement marginal de l’usage courant, tout compte fait de l’accroissement des coûts de conversion avec le temps (voir SEGERSON et al., 2006 pour un modèle formalisé).
10 Dès lors, rendements courants et anticipés sont intégrés dans le prix courant et jouent un rôle de transmission de la valeur entre le marché foncier et le marché immobilier : le prix de la parcelle agricole comporte une composante résidentielle anticipée (PLANTINGA et al., 2002 ; WU et CHO, 2007). Les rendements de la conversion sont d’autant plus élevés que la croissance urbaine anticipée est forte. On peut alors poser l’existence d’une « prime de croissance » (growth premium), incluse dans le prix du sol, qui reflète les hausses anticipées des rendements dues à la conversion future des sols (CAPOZZA et HELSLEY, 1989) [7].
11 La prise en compte du temps dans les modèles d’allocation du sol induit celle de l’incertitude ; il peut alors être rationnel d’attendre que l’information s’améliore avant de prendre une décision, notamment pour des choix irréversibles, comme l’est la conversion de sols ruraux en sols urbains. Il peut alors se révéler profitable de différer l’investissement, car on préserve la possibilité de faire un choix dans le futur (TITMAN, 1985 ; CAPOZZA et LI, 1994). L’attentisme a donc une valeur d’option, qui est « la valeur de la flexibilité dont on profite en retardant l’urbanisation » (BAR-ILAN et STRANGE, 1996) [8]. Ce raisonnement fonde théoriquement les comportements spéculatifs de rétention de terrains (CUNNINGHAM, 2006).
2.2. La spéculation sur les terrains vacants et la « rétention foncière »
12 L’approche de l’urbanisation discontinue basée sur la spéculation fait suite à l’intuition selon laquelle les propriétaires fonciers, en situation d’incertitude, spéculent sur la valeur future de leur terrain et le laissent vacant en attendant qu’il s’apprécie davantage (ARCHER, 1973). MILLS (1981) propose, en développant les idées de OHLS et PINES (1975), une approche de l’urbanisation discontinue basée sur le comportement spéculatif des propriétaires face à un processus de croissance : anticipant sur les besoins futurs de sol de certains agents, des terrains seront laissés vacants pour permettre leur conversion future à un usage plus profitable. En fonction de la présence ou non d’incertitude, l’urbanisation discontinue peut se révéler durable ou transitoire.
13 MILLS (1981) suppose un modèle de ville ouverte [9] à deux périodes, avec deux types d’agents : des industries et des ménages. La ville est monocentrique : les industries exportent une partie de leur production depuis le centre, et les ménages doivent se rendre au centre pour travailler et consommer. Les propriétaires du sol urbain allouent leurs terres soit à l’usage résidentiel, soit à l’usage industriel, soit le laissent vacant, en fonction des rendements anticipés pour chaque usage. Un mécanisme de croissance exogène au modèle est introduit : un accroissement de la demande pour les biens exportés entre les deux périodes. Dans la mesure où la conversion des sols est supposée irréversible, les propriétaires doivent anticiper sur l’accroissement des besoins de sol des agents lié à l’augmentation de la demande. Ils sont amenés à « réserver » (c’est-à-dire laisser vacante) une partie du sol urbain pour répondre à ces besoins futurs.
14 L’urbanisation discontinue apparaît lorsque les terrains vacants sont localisés entre le centre-ville, occupé par les industries, et la couronne résidentielle, occupée par les ménages. C’est le cas lorsque les coûts de transport de la marchandise exportée au centre-ville (notés t/?) sont très supérieurs aux coûts de transport supportés par les ménages pour se rendre au centre-ville (notés T), car alors la valeur présente de la rente des terrains laissés vacants est supérieure à la rente résidentielle de la période 1 (cf. Figure 1). Deux situations sont alors à distinguer : en information parfaite, leleapfrog disparaît totalement à la période 2, puisque les terrains vacants sont occupés en totalité, par remplissage urbain. En information imparfaite, par contre, le leapfrog peut être durable, dans le cas où les propriétaires ont surestimé les besoins de sol des agents (cf. Figure 2).
Gradient de rente urbaine en situation d’anticipations parfaites
Gradient de rente urbaine en situation d’anticipations parfaites
Note : l'intervalle entre le centre et xa est occupé par les industries à la période 1 ; l'espace entre xa et xb est réservé pour les industries à la période 2 (leapfrog) ; l'espace entre xb et xc (resp. xd) est occupé par les ménages à la période 1 (resp. à la période 2). Les pentes des gradients de rente sont données par les coûts de transport unitaires (par unité de distance) pour chaque catégorie d'agent (ménages indicés en H, industries indicées en Q).15 Un prolongement de ce modèle, devenu un « classique » de l’économie urbaine, serait d’imaginer la situation finale dans le cas où la croissance est, non pas plus faible que prévue, mais négative. Au-delà du cas spécifique des shrinking cities, l’application à des quartiers en déshérence semble pertinente. En cas de croissance négative, non seulement les terrains réservés ne seraient pas occupés, mais en plus il y en aurait davantage, accroissant ainsi la « couronne vacante » à l’interface entre le centre économique et la couronne résidentielle. Cette « couronne vacante » serait alors composée de terrains vacants, mais aussi de friches industrielles. Dès lors, les entreprises doivent inclure dans leur arbitrage les coûts de dépollution/destruction des sites. La conséquence serait une translation des fonctions de rente vers la gauche, qui aggraverait le leapfrog.
Gradients de rente urbaine en situation d’incertitude
Gradients de rente urbaine en situation d’incertitude
Note : le leapfrog est visible entre xd et xb où le gradient de rente des ménages de la période 2 est négatif, du fait de la faible augmentation de la demande.16 En outre, l’hypothèse de « biais périphérique » de l’urbanisation pose que la ville peut se développer de manière préférentielle en périphérie, laissant vacantes des localisations plus centrales.
2.3. Le « biais périphérique » de l’urbanisation : incertitude spatialisée et holdout problem
17 BAR-ILAN et STRANGE (1996) partent de l’hypothèse d’un délai de conversion entre la prise de décision et le moment où apparaissent les premiers bénéfices de la conversion [10]. Alors, apparaît un coût d’opportunité lié à la rétention foncière : si la conjoncture est favorable, le propriétaire qui a déjà converti son terrain perçoit plus rapidement les bénéfices associés à l’usage résidentiel que celui qui doit attendre que s’écoule le délai de conversion avant d’entrer sur le marché. L’existence de délais de conversion introduit donc la possibilité d’une valeur d’option négative.
18 Sous l’hypothèse que les localisations éloignées génèrent des rentes plus faibles que les localisations centrales, l’impact à la hausse du mécanisme de croissance urbaine sur la rente y est plus fort. Autrement dit, la variance des rentes et, partant, l’impact de l’incertitude sur les prix, sont plus élevés à plus grande distance du centre. Dans les cas où une plus grande incertitude incite à convertir plus tôt (valeur d’option négative), la conversion intervient d’abord à des localisations plus éloignées du centre, laissant vacants des terrains plus centraux.
19 Le holdout problem [11] est un cas particulier de rétention de terrains lié aux opérations de remembrement foncier. Certains projets d’urbanisation, qui ont besoin d’une emprise au sol importante (centre commercial, complexe sportif, etc.), nécessitent un remembrement (la réunion de plusieurs terrains voisins). Les propriétaires fonciers sont alors en situation de monopole local, qui les incite à demander un prix supérieur à celui du marché. Ce type de mécanisme peut empêcher le projet d’aboutir si le prix demandé par les propriétaires dépasse le prix de réservation du développeur ; les terrains sont alors laissés vacants. Or, selon MICELI et SIRMANS (2007), le holdout problem apparaît beaucoup moins fréquemment en périphérie de la ville, en raison d’une plus grande disponibilité foncière (donc de la possibilité de faire jouer la concurrence) et de la plus grande superficie moyenne des terrains (ceux-ci étant souvent d’anciens terrains agricoles). La procédure de remembrement est simplifiée et moins coûteuse. L’urbanisation a une probabilité plus forte de survenir en périphérie, laissant vacant un site plus central pourtant susceptible d’accueillir le projet.
20 Il est donc possible d’expliquer théoriquement l’urbanisation discontinue en amendant le modèle canonique de la NEU : on peut montrer que la discontinuité urbaine est bien le fruit du calcul économique d’un propriétaire foncier rationnel, et ce sans remettre en cause l’hypothèse d’homogénéité de l’espace. Une approche alternative, qui se développe à partir des années 2000, repose sur l’hypothèse d’hétérogénéité de l’espace, qui permet de postuler l’existence d’externalités d’usage du sol.
- 3 - Les externalités d’usage du sol : la question de l’espace ouvert
« Urban spatial structure is determined by interdependencies among spatially distributed agents. »
IRWIN et BOCKSTAEL, 2002.
3.1. La préférence pour l’espace ouvert
22 Le concept d’externalités d’usage du sol (land use externality) fournit une explication puissante à l’urbanisation discontinue. Il se base sur l’hypothèse d’hétérogénéité de l’espace. Les usages du sol produisent des externalités localisées, positives ou négatives suivant l’usage, qui influencent l’utilité des résidents et sont capitalisées dans les prix fonciers et immobiliers (IOANNIDES, 2003). Partant du constat d’une « fuite » vers les espaces périphériques de ménages en quête d’espaces naturels, un champ de recherches va se développer, suite aux travaux séminaux de IRWIN et BOCKSTAEL (2002 ; 2004), autour des aménités procurées par les espaces ouverts (open space) [12]. Celles-ci se déclinent en termes de disponibilité d’un paysage ou « d’externalités esthétiques » (BOURASSA et al., 2005), de proximité d’espaces récréatifs, de préservation de la biodiversité (SMYTH, 1996), ou encore de sensation d’intimité (IRWIN et BOCKSTAEL, 2004). La quasi-totalité des études disponibles corroborent l’hypothèse d’une prime associée à la présence ou la proximité d’espaces ouverts, reflet de l’externalité positive qu’ils engendrent (par exemple IRWIN et BOCKSTAEL, 2002, 2004 ; IRWIN, 2002 ; GEOGHEGAN, 2002 ; BOWMAN et al., 2009 ; BARANZINI et SCHAERER, 2011 ; ANDERSON et WEST, 2006 ; CHO et al., 2008 ; THORSNES, 2002 ; pour un survey exhaustif des études américaines, cf. MCCONNELL et WALLS, 2005).
23 On touche cependant là un paradoxe comportemental : les ménages sont attirés par les espaces ouverts, mais leur établissement contribue à les détruire. Entre attrait et destruction, les aspirations des ménages sont condamnées à ne jamais être satisfaites, car la seule réalisation de leur désir détruit l’objet de ce désir. On a là, entre les ménages et les espaces ouverts, une relation à la fois de complémentarité et de substituabilité. On peut alors se demander comment la littérature théorique a pris en compte ce paradoxe, qui condamne une partie de la demande d’aménités naturelles à être insatisfaite.
3.2. Les modèles à externalités : une réponse au paradoxe des espaces ouverts
24 La réponse apportée par la littérature économique à ce « paradoxe des espaces ouverts » est la constitution, en milieu périurbain, d’une urbanisation discontinue, mélangeant espaces bâtis et espaces vacants. Cette démonstration repose sur des modèles théoriques développés en France par CAVAILHÈS et al. (2003), et aux États-Unis par TURNER (2005). Il s’agit de formaliser la structure d’une ville prenant en compte les externalités positives des espaces ouverts qui, pour ces deux auteurs, se caractérise par la discontinuité.
25 Cette approche originale peut être comparée à un modèle NEU récent intégrant les aménités naturelles (WU, 2006 ; WU et PLANTINGA, 2003), et qui permet dans une certaine mesure d’expliquer lui aussi l’urbanisation discontinue (le Tableau 1 donne une comparaison détaillée des trois modèles). Envisageons une ville monocentrique à proximité de laquelle se trouve un espace ouvert, source d’aménité naturelle (forêt, parc, etc.). Le comportement des ménages est celui d’un modèle NEU traditionnel, à la différence près qu’ils sont attirés par les aménités produites par l’espace ouvert. Dès lors, l’urbanisation discontinue a les mêmes causes que l’étalement dans le modèle monocentrique habituel : la baisse des coûts de transport et/ou l’augmentation des revenus permettent aux ménages d’aller s’établir à proximité de la source d’aménité et de mieux supporter les coûts de déplacement vers la ville. Si cette évolution se prolonge, l’espace ouvert sera inclus dans la ville, voire urbanisé, mais il est probable qu’une autre source d’aménité, située plus loin, produise à son tour de l’urbanisation discontinue (cf. Figures 6 et 7). Cependant, le modèle souffre d’une limite majeure : la source d’aménité est supposée exogène au modèle. La capacité à l’endogénéiser, c’est-à-dire à montrer que l’espace ouvert est produit par les mécanismes économiques à l’œuvre, est au cœur de l’apport conjugué de CAVAILHÈS et al. (2003) et TURNER (2005).
26 Les modèles de CAVAILHÈS et al. (2003) et de TURNER (2005) offrent une explication théorique à la fois plus aboutie et plus novatrice de l’urbanisation discontinue. Dans les deux cas, la structure urbaine produite par le modèle est composée de trois types d’espaces. Au centre, la ville, où tous les terrains sont occupés ; puis, le périurbain, espace mixte, à la fois urbanisé et non urbanisé – où se mélangent ménages urbains et agriculteurs chez CAVAILHÈS et al. (2003), terrains construits et terrains vacants chez TURNER (2005) ; enfin, l’espace rural, supposé inhabité (sic). L’originalité de ces modèles réside dans la description des mécanismes qui contribuent à la formation de cet espace mixte en périphérie, caractéristique de l’urbanisation discontinue (cf. Figures 4 et 5).
Gradient de rente dans la « ville périurbaine »
Gradient de rente dans la « ville périurbaine »
Note : au lieu du ?gradient de rente traditionnel (en pointillés) et d'une ville étendue de 0 à xv, la ville périurbaine s'étend jusqu'à xd.27 Dans les deux modèles, le point de départ est une préférence des ménages pour l’espace ouvert, intégrée comme argument dans la fonction d’utilité ; le point d’arrivée est la démonstration de l’existence d’un espace mixte dans le périurbain, c’est-à-dire de l’urbanisation discontinue. Le chemin d’un point à l’autre diffère cependant sur plusieurs points :
Niveau de la rente d’équilibre et urbanisation mixte
Niveau de la rente d’équilibre et urbanisation mixte
Note : la rente est déterminée par le salaire en vigueur (w), la localisation (y), et le niveau d'utilité (u0 exogène). En milieu périurbain, la rente est légèrement supérieure à la rente agricole si le terrain adjacent est vacant.28 - Sur la source d’aménités : espaces agricoles ou terrains vacants :
29 Chez CAVAILHÈS et al. (2003), la source des aménités est l’espace agricole. À la fois concurrents et complémentaires, les ménages et les agriculteurs se partagent le sol sur la base de leur rente d’enchère, déterminée par le programme habituel de maximisation sous contrainte (utilité pour les ménages, profit pour les agriculteurs). Pour TURNER (2005), les aménités sont produites par les terrains laissés vacants. Le mécanisme de concurrence est explicitement spatial : les propriétaires fonciers cherchent à attirer des ménages qui ont à arbitrer entre plusieurs villes (entendez : plusieurs communes périurbaines).
30 - Sur les conditions d’existence de la ville mixte :
31 Selon CAVAILHÈS et al. (2003), il faut que l’enchère des agriculteurs soit égale à celle des ménages. Pour une même distance au centre, l’enchère des ménages dans le périurbain est supérieure à leur enchère en milieu urbain, du fait de la présence des aménités agricoles incluses dans la rente.
32 Pour TURNER (2005), la taille de l’espace urbain est déterminée par la différence entre le salaire et l’utilité de réservation de la ville alternative, et la taille de l’espace mixte par la valeur attribuée par les ménages aux espaces ouverts.
33 - Sur les conclusions et l’utilisation du modèle :
34 Chez CAVAILHÈS et al. (2003), la pente de la courbe de densité est plus faible dans l’espace périurbain, du fait de la présence d’agriculteurs. Ainsi, « le périurbain s’étend plus loin que la ville spécialisée » [13]. L’endogénéisation de la taille des lots résidentiels amène à constater que, dans l’espace périurbain, celle-ci augmente moins vite avec la distance au centre, puisque les ménages ont tendance à substituer de l’espace ouvert privé (leur propre jardin) à de l’espace ouvert « public » (fourni par les agriculteurs) [14]. Selon TURNER (2005), l’alternance entre terrains construits et terrains vacants, typique de l’urbanisation discontinue, n’est valable que pour la solution optimale. À l’équilibre, comme les bénéfices des espaces ouverts sont hors marché et que les nouveaux arrivants n’ont pas à dédommager leurs voisins pour la nuisance qu’ils leur font subir, les terrains vacants les plus proches de la ville sont urbanisés. L’autorité politique doit alors créer des parcs publics aux endroits concernés pour atteindre l’optimum social.
Effet de la présence d’un espace ouvert sur les prix du sol dans une ville monocentrique
Effet de la présence d’un espace ouvert sur les prix du sol dans une ville monocentrique
Comparaison des trois modèles explicatifs de l’urbanisation discontinue par les externalités d’usage du sol
WU et PLANTINGA, 2003 ; WU, 2006 | CAVAILHES et al., 2003 | TURNER, 2005 | |
Type de modèle | Modèle NEU, avec ménages-consommateurs et propriétaires-développeurs et introduction d'aménités. | Concurrence entre les ménages et les agriculteurs pour l'occupation de l'espace périurbain. | Modèle de ville ouverte avec une arrivée massive d'immigrants ; simulation. |
Hypothèses | Les aménités sont distribuées inégalement sur le territoire considéré. On prend en compte leur localisation précise dans le plan euclidien (x, y) et non seulement la distance au centre. |
Interaction entre ménages et
agriculteurs : Les agriculteurs recherchent la proximité à la ville pour trois raisons (comportement de « vente directe » thünenien ; fournissent des services récréatifs aux citadins ; souhaitent capter une partie de la rente de localisation avec l'avancée de l'urbanisation). Les ménages souhaitent profiter des aménités naturelles positives produites par les agriculteurs. |
Les ménages ont une préférence pour
l'espace ouvert : les aménités sont
prises en compte à travers un
« bonus » dans la fonction d'utilité,
inclus si les terrains adjacents sont
libres. Les propriétaires sont en concurrence pour attirer les immigrants sur leurs terrains et les construire. Système de villes : plusieurs villes sont en concurrence pour accueillir les immigrants. |
Condition d’équilibre du modèle | Les quatre conditions habituelles des modèles NEU : aucun ménage ne souhaite déménager ; les développeurs sont indifférents à la localisation de leurs terrains ; la rente offerte à la frontière de la ville est égale à la rente agricole ; tous les ménages sont logés. | L'enchère des ménages (supérieure à leur rente offerte en l'absence d'aménités) est égale à l'enchère des agriculteurs (égale à la plus-value retirée de la vente directe moins les coûts de transport) | Dans l'espace urbain : le prix du sol est égal au salaire (net des coûts de transport) moins l'utilité de réservation dans une autre ville. Dans l'espace périurbain : on ajoute le « bonus aménité ». |
Condition d’existence de la ville mixte |
Il faut que la rente urbaine s'abaisse
jusqu'à atteindre la rente agricole
entre la ville et la source d'aménité.
(cf. Figure 6). L'impact de la forme de la source d'aménités (circulaire, radiale, surfacique) sur les densités est étudiée (cf. Figure 7). | Double : les aménités rurales sont supérieures aux aménités urbaines en tout point de la ville mixte ; l'enchère périurbaine des ménages est supérieure à leur enchère urbaine (le bénéfice des aménités est inclus dans la fonction d'utilité). | La taille de l'espace périurbain dépend de la valeur attribuée par les agents aux espaces ouverts. |
Caractéristiques et résultats |
Le développement discontinu
provient de la baisse des coûts de
transport et/ou de l'augmentation
du revenu, qui permet aux ménages
de s'installer à proximité de l'espace
ouvert. Histoire sans fin : même si la source d'aménité est incluse dans le périmètre urbanisé (infill development), il est probable que du développement discontinu apparaisse simultanément plus loin. Relation non linéaire entre la taille de l'espace ouvert et la taille de la ville : une politique de protection des espaces naturels peut accélérer l'urbanisation et se révéler contre-productive. |
La pente de la courbe de densité
est plus forte en milieu urbain
qu'en milieu périurbain (du fait de
la présence d'agriculteurs). En milieu urbain, la taille des lots résidentiels augmente plus vite avec la distance au centre qu'en milieu périurbain, en raison de la substitution de l'espace ouvert privé à l'espace ouvert public. |
La ville d'équilibre a plus de terrains
vacants que la ville optimale, car la
désaménité liée au fait que les
terrains vacants sont occupés n'est
pas prise en compte dans les prix
urbains. La solution est de construire
des espaces ouverts (parcs publics) à
la limite entre milieu urbain et
périurbain. Le problème de l'arbitrage entre espaces ouverts publics et privés pourrait être résolu en endogénéisant la taille des lots résidentiels, mais le modèle est trop complexe pour autoriser une solution. |
3.3. Enrichissement de la notion d’espace ouvert
35 Dans les modèles que l’on vient de présenter, la discontinuité urbaine résulte de l’internalisation des bénéfices produits par les espaces ouverts dans la rente d’enchère des ménages. L’ampleur du phénomène dépend donc directement de la valeur attribuée aux espaces ouverts. Or cette valeur est variable, fonction du type d’espace ouvert considéré et des services qu’il procure (MCCONNELL et WALLS, 2005) [15]. Il semble alors nécessaire de préciser le concept d’espace ouvert, afin de discuter les hypothèses à la base des modèles à externalités présentés ci-dessus.
36 Aucun consensus clair ne se dégage pour relier la nature de l’espace ouvert, les services qu’il procure et la prime dont il est à l’origine. Il serait fastidieux de détailler les résultats de plus d’une décennie d’études empiriques à ce sujet. Un exemple, celui des parcs urbains, suffira à montrer l’absence de convergence des travaux : tandis que la proximité à un parc urbain est supposée valoriser positivement les biens immobiliers alentour (par exemple POUDYAL et al., 2009), certains auteurs dégagent au contraire une prime négative, en raison des désaménités qui leur sont associées : bruit, congestion, insécurité (LUTZENHISER et NETUSIL, 2001 ; SMITH et al., 2002).
37 La nature des externalités produites par un usage agricole des sols est une question très controversée. D’un côté, les terrains agricoles produisent les aménités positives traditionnelles des espaces ouverts, notamment les attributs paysagers, comme le montre l’étude du marché immobilier genévois menée par BARANZINI et SCHAERER (2011). De l’autre, ils génèrent des nuisances : bruits, épandage de produits, etc. Plusieurs études empiriques dégagent ainsi une moins-value foncière liée à la proximité à une exploitation agricole (CHO et al., 2010 ; COTTELEER et al., 2012 ; SMITH et al., 2002 ; JOHNSTON et al., 2002). Pour COTTELEER et al. (2012), c’est le signe que les désaménités agricoles surpassent les aménités : « The detrimental impact of noise, odors, dust and other negative spillovers are more prominent than positive impacts such as open space and a country feeling ».
38 La question est importante, puisque dans le modèle de CAVAILHÈS et al. (2003), c’est l’entremêlement des usages, agricole et résidentiel, qui produit l’urbanisation discontinue, sous l’hypothèse d’un « solde net, supposé positif, des aménités moins nuisances agricoles ».
39 En revanche, la valorisation des terrains vacants, à la base du modèle de TURNER (2005), semble rencontrer un relatif accord dans la littérature (par exemple IRWIN et BOCKSTAEL, 2002 ; SMITH et al., 2002). Ce n’est d’ailleurs pas tant pour leurs aménités qu’ils sont valorisés, mais pour les désaménités qu’ils permettent d’éviter : celles qui sont liées à l’urbanisation des espaces alentour. Le consentement à payer pour préserver un terrain vacant d’une urbanisation dense est trois fois plus élevé, d’après BEASLEY et al. (1986), que pour une urbanisation à faible densité. Ainsi, selon IRWIN (2002), « plutôt que d’être valorisés pour ce qu’ils sont... les espaces ouverts seraient valorisés pour ce qu’ils ne sont pas ».
- 4 - Pistes de recherche
40 La recherche sur les mécanismes économiques de l’urbanisation discontinue, si elle a fait de sérieux progrès ces dernières années, demande encore à être approfondie. Nous proposons plusieurs pistes de recherche permettant de progresser dans la compréhension de ce phénomène.
4.1. Pistes de méthode
41 La mesure de la discontinuité est un problème essentiel pour la recherche. Les indicateurs classiques se basent sur la répartition, à une échelle fine, des densités : GALSTER et al. (2001) proposent par exemple la proportion de cellules territoriales dont l’occupation est en deçà d’un certain seuil, mais leur approche n’est pas explicitement spatiale. TSAI (2005) suggère un indice d’inégalité spatiale des densités, du type MORAN ou GEARY, efficace pour mesurer le degré de discontinuité, mais qui ne permet pas de faire la différence entre une forme polycentrique et une forme discontinue. La puissance des SIG et, en France, l’ouverture progressive des bases de données spatialisées, notamment fiscales (MAJIC, PATRYM...), donne l’espoir d’une avancée notable dans ce domaine (REUX, 2011). Ainsi le CETE vient-il de développer un indicateur de discontinuité urbaine basé sur la proportion de constructions récentes situées en dehors de la tache urbaine (CGDD, 2012), un indicateur sans doute encore perfectible et adaptable aux différents questionnements de la recherche.
42 Ce type d’avancées se heurte au problème de l’échelle d’analyse. À quel niveau de « zoom territorial » faut-il se placer pour détecter la discontinuité de l’urbanisation ? Ce problème semble insoluble, tant il est vrai « [qu’] on n’a qu’à examiner de près n’importe laquelle des images de la continuité, on y verra toujours du discontinu. Ces hachures ne font une ombre continue que par l’intermédiaire des hétérogénéités estompées » (BACHELARD, 1936). Dès lors, la question du seuil se pose : à partir de quelle distance entre deux unités bâties peut-on considérer qu’il y a discontinuité ? Dans quelle mesure le seuil des 200 mètres retenu par l’INSEE fait-il encore consensus, face à un monde urbain en refonte continuelle ?
4.2. Pistes théoriques
43 D’un point de vue théorique, trois voies de recherche peuvent être dégagées. La première concerne l’endogénéisation du statut juridique des espaces ouverts. Dans le modèle de TURNER (2005), le propriétaire n’a aucune incitation à laisser son terrain vacant, puisqu’il n’est pas indemnisé pour les externalités positives qu’il génère ; au contraire même, il se prive de la plus-value de conversion. C’est pourquoi, sans une autorité planificatrice, l’espace ouvert est sous-offert par rapport à l’optimum (KOTCHEN et POWERS, 2006 ; TURNER, 2005) et doit être protégé par les pouvoirs publics, par exemple à travers le zonage d’usage autorisé [16].
44 Or la capitalisation des bénéfices des espaces ouverts permanents est bien supérieure à celle des espaces ouverts temporaires (GEOGHEGAN, 2002 ; IRWIN, 2002 ; EARNHARDT, 2006). Les résidents déjà en place adoptent alors un comportement de recherche de rente (MILLS, 1989) ou de préservation du cadre de vie, en faisant pression sur les autorités municipales pour l’adoption d’une politique de zonage restrictive à l’urbanisation nouvelle. Ce phénomène de « vote contre la croissance » a été popularisé sous le nom de « homevoting » par FISCHEL (2001), et résulterait de l’évolution de la population communale : la progressive domination numérique des « rurbains » sur les « autochtones » (CHARMES, 2011). Les effets favorables du blocage de la croissance communale aux résidents en place sont souvent justifiés par l’environnementalisme, qui apporte un socle idéologique « présentable » au malthusianisme foncier (FISCHEL, 2004 ; CHARMES, 2011) [17].
Figure Différentes formes de gradient de rente selon le degré de complémentarité des centres
Figure Différentes formes de gradient de rente selon le degré de complémentarité des centres
45 La deuxième est liée à la question de l’endogénéisation de la taille des lots fonciers dans les modèles à externalités. Les ménages peuvent en effet être conduits à substituer de l’espace ouvert privé (leur propre jardin) à de l’espace ouvert public (parcs et espaces naturels), ce qui réduirait la demande pour les espaces ouverts. Ce mécanisme est intégré dans le modèle de CAVAILHÈS et al. (2003) qui montrent que, dans l’espace périurbain, la taille des lots résidentiels augmente moins vite avec la distance au centre. En revanche, TURNER (2005) ne parvient pas à endogénéiser la consommation foncière dans son modèle : « despite considerable effort, this problem has resisted solution. (...) These models are the subject of further research », mais cet approfondissement se fait toujours désirer...
46 Enfin, une troisième piste concerne la polycentralité. Une source de discontinuité urbaine pourrait être liée à l’intégration progressive des villes-satellites dans l’aire urbaine : des centres anciens, source d’aménités urbaines, sans forcément de continuité avec le pôle urbain. Ce type de discontinuité pourrait être pérenne si les deux centres sont reliés par une infrastructure de transport de masse (routière ou ferrée) qui produirait un « effet-tunnel » entre le pôle central et la ville satellite.
47 Plus généralement, les modèles présentés ici sont tous basés sur l’hypothèse de ville monocentrique. Or les travaux sur la polycentralité ont montré que les profils de densité et de rente peuvent être radicalement différents. Introduire la possibilité d’émergence de centres secondaires pourrait modifier sensiblement les résultats du modèle, notamment pour des centres aux fonctions complémentaires. Dans ce cas en effet, le profil de la fonction de rente n’est pas forcément la réplication du modèle monocentrique (cf. Figure 8) : le sommet de la fonction de rente se situe entre les deux centres, une localisation qui permet de bénéficier d’une accessibilité optimale aux deux centres (GASCHET et POUYANNE, 2009). Comment, et où, dans ce cas, l’urbanisation discontinue peut-elle prendre place ? Nous manquons d’un modèle théorique explicatif de l’urbanisation discontinue dans le cadre non-monocentrique.
- 5 - Conclusion
48 Cet article propose une revue de la littérature portant sur l’explication théorique de l’urbanisation discontinue. Bien que largement répandue, celle-ci n’a que rarement été analysée, dans la mesure où elle constitue une incongruité dans le modèle canonique de l’économie urbaine. Les facteurs explicatifs de l’urbanisation discontinue sont classés en deux catégories, qui recoupent les deux conceptions traditionnelles de l’espace en sciences économiques. Dans une première approche, dite thünenienne, où l’espace est homogène, la prise en compte des anticipations des agents dans les mécanismes de conversion des sols, jointe à l’irréversibilité de l’urbanisation, induit la possibilité de comportements spéculatifs de rétention des terrains. Dans une deuxième approche, dite ricardienne, où l’espace est hétérogène, les différents usages du sol produisent des externalités localisées. L’intégration de ces externalités dans la fonction d’utilité des ménages et leur capitalisation dans les prix fonciers et immobiliers explique que certains terrains soient laissés vacants : ce sont les modèles « à externalités ». Enfin, nous identifions un certain nombre de questions qui restent en suspens et qui constituent autant de pistes pour les recherches futures.
49 En effet, l’urbanisation discontinue pose un double enjeu à la recherche. Un enjeu politique, d’abord, qui consiste à s’interroger sur la manière d’intégrer les externalités des terrains vacants. S’ils procurent des bénéfices localisés (à l’échelle du quartier), ils font peser des coûts globaux (à l’échelle de l’agglomération) sur les résidents. Le point sur lequel s’accordent tant MILLS (1981) que TURNER (2005) ou CAVAILHÈS et al. (2003) est qu’en présence de discontinuité, « les villes sont naturellement trop étalées » (CAVAILHÈS, 2004), générant ainsi une forme urbaine « coûteuse » selon les mots de EWING (1997).
50 Un enjeu théorique ensuite, puisque nous ne disposons pas à ce jour d’une explication d’ensemble de l’urbanisation discontinue, qui unifierait les deux approches présentées ici. Il faut dire que l’économie urbaine théorique porte un héritage lourd en termes de conceptualisation de l’espace : la plaine homogène et isotrope n’a été qu’affinée au fil du temps, sans véritablement être remise en cause. Dans ce cadre, la discontinuité ne peut être posée que comme rupture par rapport à une norme qui serait la continuité urbaine : elle est pensée en « négatif » – ce qui n’est pas continu. Peut-être, pour avancer dans la construction théorique, faudrait-il renverser la perspective, et considérer que la discontinuité est la règle, et la continuité l’exception ?
51 Plus largement, la rareté de la littérature sur le sujet doit nous interpeller : l’économie urbaine paraît manifester un relatif « oubli » de la forme urbaine, dans la mesure où, si les mécanismes économiques à l’œuvre dans les villes sont l’objet d’analyses approfondies, leur traduction précise dans l’espace urbain est bien souvent négligée. Déjà, en 1993, Claude LACOUR soulignait la nécessité de ne pas « oublier la ville », en la réduisant trop à un certain nombre d’attributs et de fonctions sans épaisseur spatiale. Aujourd’hui, cette réflexion est plus que jamais d’actualité, et il est de la responsabilité des économistes urbains d’apporter leur contribution à l’analyse de la diversité morphologique de la ville contemporaine.
Bibliographie
Références bibliographiques
- ALIG R J, HEALY R G (1987) Urban built-up and land area changes in the United States : an empirical investigation of determinants. Land Economics 63 (3) : 215-226.
- ANDERSON S T, WEST S E (2006) Open space, residential property value, and spatial context. Regional Science and Urban Economics 36 (6) : 773-789.
- ARCHER R W (1973) Land speculation and scattered development : failures in the urban-fringe market. Urban Studies 10 : 367-372.
- BACHELARD G (1936) La dialectique de la durée. Boivin, Paris.
- BARANZINI A, SCHAERER C (2011) A sight for sore eyes : assessing the value of view and land use in the housing market. Journal of Housing Economics 20 (3) : 191-199.
- BAR-ILAN A, STRANGE W C (1996) Urban development with lags. Journal of Urban Economics 39 : 87-113.
- BEASLEY S D, WORKMAN W G, WILLIAMS N A (1986) Estimating amenity values of urban fringe farmland. A contingent valuation approach. Growth and Change 17 (4) : 70-78.
- BLAUG M (1999) La Pensée économique. Economica (5e éd.), Paris.
- BOITEUX-ORAIN C, HURIOT J-M (2002) Modéliser la suburbanisation. Succès et limites de la microéconomie urbaine. Revue d’Économie Régionale et Urbaine 2002-1 : 73-104.
- BOURASSA S C, HOESLI M, SUN J (2005) The price of aesthetic externalities. Journal of Real Estate Literature 13 (2) : 167-187.
- BRUECKNER J K, LAI F-C (1996) Urban growth controls with resident landowners. Regional Science and Urban Economics 26 : 125-143.
- BURTON E (2000) The compact city : just or just compact ? Urban Studies 37 (11) : 1969-2001.
- CAMAGNI R (1996) Principes et modèles de l’économie urbaine. Economica, Paris.
- CAMAGNI R, GIBELLI M C, RIGAMONTI P (2002) Urban mobility and urban form : the social and environmental costs of different patterns of urban expansion. Ecological Economics 40 : 199-216.
- CAPOZZA D R, HELSLEY R.W (1989) The fundamentals of land prices and urban growth. Journal of Urban Economics 26 : 295-306.
- CAPOZZA D R, HELSLEY R W (1990) The stochastic city. Journal of Urban Economics 28 : 187-203.
- CAPOZZA D R, LI Y (1994) The intensity and timing of investment : the case of land. American Economic Review 84 (4) : 889-904.
- CASTEL J-C (2007) De l’étalement urbain à l’émiettement urbain. Deux tiers des maisons construites en diffus. Les Annales de la Recherche Urbaine 102 : 89-96.
- CAVAILHES J (2004) L’extension des villes et la périurbanisation. In : INSTITUT DES VILLES (dir.) Villes et Économie. La Documentation française, Paris, 157-184.
- CAVAILHES J, PEETERS D, SEKERIS E, THISSE J-F (2003) La ville périurbaine. Revue Économique 54 (1) : 5-24.
- CCE (1990) Livre vert sur l’environnement urbain. CEE, Luxembourg.
- CGDD (2012) Urbanisation et consommation de l’espace, une question de mesure. La Revue du CGDD, mars.
- CHARMES E (2011) La Ville Émiettée. Essai sur la clubbisation de la vie urbaine. PUF, « La ville en débats », Paris, 288 p.
- CHESHIRE P, SHEPPARD S (2002) The welfare economics of land use planning, Journal of Urban Economics 52 : 242-269.
- CHO S H, POUDYAL N C, ROBERTS R K (2008) Spatial analysis of the amenity value of green open space, Ecological Economics 66 (2-3) : 403-416.
- CLAWSON M (1962) Urban sprawl and speculation in suburban land. Land Economics 38 (2) : 99-111.
- CLINGERMAYER J A (2004) Heresthetics and happenstance : intentional and unintentional exclusionary impacts of the zoning decision-making process. Urban Studies 41 (2) : 377-388.
- COTTELEER G, STOBBE T, CORNELIS VAN KOOTEN G (2008) Expert opinion versus transaction evidence : using the Reilly index to measure open space premiums in the urban-rural fringe. Paper presented at the 107th EEA Seminar Modelling of agricultural and rural development studies, Seville.
- CUNNINGHAM C R (2006) House price uncertainty, timing of development, and vacant land prices. Evidence for real options in Seattle. Journal of Urban Economics 59 : 1-31.
- EARNHART D (2006) Using contingent-pricing space and its duration analysis to value open space at residential locations. Land Economics 82 (1) : 17-35.
- EWING R (1997) Is Los Angeles-Style sprawl desirable ? Journal of the American Planning Association 63 (1) : 107-126.
- FISCHEL W A (2001) The homevoter hypothesis. How home values influence local government taxation, school finance, and land-use policies. Harvard Univerrsity Press, Cambridge.
- FISCHEL W A (2004) An economic history of zoning and a cure for its exclusionary effects. Urban Studies 41 (2) : 317-340.
- GALSTER G, HANSON R, RATCLIFFE M R, WOLMAN H, COLEMENT S, FREIHAGE J (2001) Wrestling sprawl to the ground : defining and measuring an elusive concept. Housing Policy Debate 12 (4) : 681-717.
- GASCHET F, POUYANNE G (2009) Valeurs immobilières, métropolisation et nouvelles centralités urbaines. Le cas de la métropole bordelaise. Les Cahiers du CERTU 2009-03.
- GAY J-C (2004) Les discontinuités spatiales. Economica, « Poche Géographie », Paris, 112 p.
- GEOGHEGAN J (2002) The value of open spaces in residential land use. Land use Policy 19 : 91-98.
- GRANELLE J-J (1998) Économie Immobilière. Analyses et Applications. Economica, Paris, 534 p.
- GUENGANT A (1992) Les coûts de la croissance périurbaine. ADEF, Paris.
- GUIGOU J-L (1982) La rente foncière. Les théories et leur évolution depuis 1650. Economica, Paris, 954 p.
- IOANNIDES Y M (2003) Interactive property valuations. Journal of Urban Economics 53 : 145-170.
- IRWIN E G (2002) The effects of open space on residential property values. Land Economics 78 (4) : 465-480.
- IRWIN E G, BOCKSTAEL N E (2002) Interacting agents, spatial externalities and the evolution of residential land use patterns. Journal of Economic Geography 2 : 31-54.
- IRWIN E G, BOCKSTAEL N E (2004) Land use externalities, open space preservation, and urban sprawl. Regional Science and Urban Economics 34 : 705-725.
- JOHNSTON R J, OPALUCH J J, GRIGALUNAS T A, MAZZOTTA M J (2001) Estimating amenity benefits of coastal farmland. Growth and Change 32 (3) : 305-325.
- KOTCHEN M J, POWERS S M (2006) Explaining the appearance and success of voter referenda for open-space conservation. Journal of Environmental Economics and Management 52 : 373-390.
- LACOUR C (1993) Métropolisation ou la ville oubliée. In : CGP, DATAR (dir.) Mutations économiques et urbanisation. Cinq ans de recherche et d’expérimentation. Paris, La Documentation française 63-103.
- LEVESQUE R (2008) Préserver, aussi, les espaces agricoles, Études Foncières 136 : 45-48.
- LUTZENHISER M, NETUSIL N R (2001) The effect of open space on a home’s sale price. Contemporary Economic Policy 19 (3) : 291-298.
- MCCONNELL V, WALLS M (2005) The value of open space : evidence from studies of nonmarket benefits. Report for Resources for the Future, 78 p.
- MICELI T J, SIRMANS C F (2007) The holdout problem, urban sprawl, and eminent domain. Journal of Housing Economics 16 : 309-319.
- MILLS D E (1981) Growth, speculation, and sprawl in a monocentric city. Journal of Urban Economics 10 : 201-226.
- MILLS D E (1989) Is zoning a negative sum game ? Land Economics 65 (1) : 1-12.
- MILLS E S (1972) Urban Economics. Scott, Foresman & Company, Glenview.
- MILLS E S (2000) A thematic history of urban economic analysis. Brookings-Wharton Papers on Urban Affairs.
- NELSON E, UWASU M, POLASKY S (2007) Voting on open space : what explains the appearance and support of municipal-level open space conservation referenda in the United States. Ecological Economics 62 : 580-593.
- OHLS J C, PINES D (1975) Discontinuous urban development and economic efficiency. Land Economics, 51 : 224-234.
- PLANTINGA A J, LUBOWSKI R N, STAVINS R N (2002) The effects of potential land development on agricultural land prices. Journal of Urban Economics 52 : 561-581.
- PLANTINGA A J, Miller D J (2001) Agricultural land values and the value of rights to future land development. Land Economics 77 (1) : 56-67.
- POUDYAL N C, HODGES D G, MERRETT C D (2009) A hedonic analysis of the demand for and benefits of urban recreation parks. Land Use Policy 26 (4) : 975-983.
- POUYANNE G (2005) L’interaction entre usage du sol et comportements de mobilité. Méthodologie et application à l’aire urbaine de Bordeaux. Revue d’Économie Régionale et Urbaine 5 : 723-746.
- POUYANNE G (2007) Une estimation du lien entre forme urbaine et choix modal. Le cas de six aires urbaines françaises. Revue d’Économie Régionale et Urbaine 3 : 521-541.
- REUX S (2010) Les fichiers fonciers pour suivre l’occupation de l’espace. Séminaire de l’Observation urbaine CERTU, Paris.
- SEGERSON K, PLANTINGA A J, IRWIN E G (2006) Theoretical background. In : BELL K P, BOYLE K J, RUBIN J (eds) Economics of rural land-use change. Ashgate 79-112, Aldershot.
- SMITH V K, POULOS C, KIM H (2002) Treating open space as an urban amenity. Resource and Energy Economics 24 : 107-129.
- SMYTH H (1996) Running the gauntlet : a compact city within a doughnut of decay. In : JENKS M, BURTON E, WILLIAMS K (eds) The Compact City : a sustainable urban form ? E & FN Spon, Oxford.
- THORNES P (2002) The value of a suburban forest preserve : estimates from sales of vacant residential building lots. Land Economics 78 (3) : 426-441.
- TITMAN S (1985) Urban land prices under uncertainty. American Economic Review 75 (3) : 505-514.
- TSAI Y-H (2005) Quantifying urban form : compactness versus ‘sprawl’. Urban Studies 42 (1) : 141-161.
- TURNER M A (2005) Landscape preferences and patterns of residential development. Journal of Urban Economics 57 : 19-54.
- VANIER M (2000) Qu’est-ce que le tiers espace ? Territorialités complexes et construction politique, Revue de Géographie Alpine 88 (1) : 105-113.
- WALSH R (2007) Endogenous open space amenities in a locational equilibrium. Journal of Urban Economics 61 : 319-344.
- WU J (2006) Environmental amenities, urban sprawl, and community characteristics. Journal of Environmental Economics and Management 52 : 527-547.
- WU J, CHO S-H (2007) The effect of local land use regulations on urban development in the Western United States. Regional Science and Urban Economics 37 : 69-86.
- WU J, PLANTINGA A J (2003) The influence of public open space on urban spatial structure, Journal of Environmental Economics and Management 46 : 288-309.
Mots-clés éditeurs : zonage, formes urbaines, aménités naturelles, spéculation, Urbanisation discontinue
Mise en ligne 16/02/2015
https://doi.org/10.3917/reru.144.0587Notes
-
[1]
Terme traduit soit littéralement : urbanisation « en saut-de-grenouille », soit à la manière québécoise : « en saut-de-mouton ».
-
[2]
Toutes les traductions sont de l’auteur.
-
[3]
Comme l’écrit Michel HOST : « Il est, avant les banlieues proprement dites, une prébanlieue, tout un pays qui n’est ni ville ni campagne, ni chair ni poisson. » (Valet de Nuit, Grasset, 1986).
-
[4]
BRUNET R (1967) Les phénomènes de discontinuité en géographie. Paris, CNRS, 117 p.
-
[5]
À travers la loi portant engagement national pour l’environnement du 12 juillet 2010, dite « Grenelle 2 », dans ses articles 17 et 19. Ceux-ci prévoient que les documents de planification (ScoT et PLU) doivent proposer des objectifs chiffrés de limitation des espaces naturels, agricoles et forestiers.
-
[6]
Nous excluons de l’analyse les explications « topographiques », qui considèrent l’urbanisation discontinue comme résultant de différences dans la qualité des sols : empierrement, pente, etc. (même si ces différences peuvent avoir une traduction économique en termes de rendements agricoles ou de coûts de conversion), ainsi que les explications « techniques » basées sur la non-constructibilité de certains terrains en raison, par exemple, de leur inondabilité. Enfin, nous n’évoquerons pas les cas très particuliers où la rente résidentielle est inférieure à la rente agricole, comme pour certains terrains en Champagne ou dans le Bordelais par exemple : ces cas nous ont paru trop exceptionnels pour faire partie intégrante du raisonnement théorique présenté ici.
-
[7]
D’un point de vue empirique, l’existence d’une prime de croissance permet d’expliquer que le prix du sol, indépendamment de la taille urbaine, est plus élevé dans les villes à croissance rapide (PLANTINGA et MILLER, 2001). L’effet des anticipations capitalisées dans les prix agricoles peut être important et compter facilement pour moitié dans le prix du sol (CAPOZZA et HELSLEY, 1989).
-
[8]
Ou encore « la valeur liée à la capacité d’éviter des conséquences défavorables dans un marché du sol urbain risqué, tout en retenant une option sur les conséquences favorables » (CAPOZZA et HELSLEY, 1990).
-
[9]
Les modèles de ville ouverte, en économie urbaine, intègrent la population comme variable endogène (ils autorisent les migrations) à utilité des ménages constante, au contraire des modèles de ville fermée où la population est fixe et l’utilité des ménages endogène.
-
[10]
Ce délai correspond au temps de construction, de viabilisation, et de commercialisation des terrains (GRANELLE, 1998, p. 156).
-
[11]
De l’anglais to hold out, résister, tenir bon.
-
[12]
Le terme habituellement utilisé dans la littérature anglophone est open space, que l’on peut traduire par espace ouvert, ou espace libre. Nous avons préféré la première traduction, car la seconde excluait l’agriculture, et est de plus connotée quant au débat sur la différence entre espaces ouverts publics et privés (cf. infra). De manière large, un espace ouvert est un espace non urbanisé : terre agricole, espace naturel, terrain vacant...
-
[13]
Un constat concordant avec l’hypothèse de l’existence d’une « Ville Automobile », s’étendant à de faibles densités sur de grandes étendues. Un test empirique de cette proposition a été réalisé par G. POUYANNE (2007).
-
[14]
Au sens économique de bien public, bien sûr. La controverse sur la valorisation des espaces ouverts publics et privés, au sens juridique du terme (supérieure pour les premiers selon IRWIN (2002), pour les seconds selon CHESHIRE et SHEPPARD (2002)), a ainsi conduit à poser la question de la substituabilité entre constitution d’espaces ouverts publics et taille des parcelles (POUDYAL et al., 2009 ; WALSH, 2007).
-
[15]
Ce constat découle directement de l’hypothèse d’hétérogénéité de l’espace, qui fonde implicitement les modèles étudiés dans cette partie. L’espace ouvert est, pour une des principales spécialistes du sujet, un bien hétérogène par essence (IRWIN, 2002).
-
[16]
Détailler tous les dispositifs d’allocation planifiée des sols urbains serait fort long. En France, le PLU est l’outil le plus largement utilisé, mais il existe aussi des zonages spécifiques, tels que les ZAP (zones agricoles protégées) ou les PNEANP (périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains) (LEVESQUE, 2008). Les États-Unis ont également développé des outils de conservation des espaces ouverts (conservation easement), au niveau fédéral (Conservation Reserve Program) et local (open space referenda) (NELSON et al., 2007).
-
[17]
Dans un parfait exemple de politique par eresthetics, où les raisons invoquées de la politique mise en place diffèrent radicalement de ses effets désirés (CLINGERMAYER, 2004).