Notes
-
[*]
Prise en compte d’une ou de toutes les étapes du cycle de vie du produit, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la fin de vie du produit, en passant par la fabrication, la distribution, l’utilisation ; prise en compte de l’ensemble des impacts environnementaux générés (matières premières, énergie, préservation de la biodiversité, pollution de l’eau, de l’air, des sols, déchets, bruit...).
-
[1]
Cf. rapport BRUNDTLAND (1987), les sommets des Nations unies à Rio en 1992 et à Johannesburg en 2002, le Livre vert consacré à la RSE de la Commission européenne en 2001.
-
[2]
La catégorie des petites et moyennes entreprises (PME) est constituée des entreprises qui occupent moins de 250 personnes, et qui ont un chiffre d'affaires annuel inférieur à 50 millions d'euros ou un total de bilan n'excédant pas 43 millions d'euros (cf. www.insee.fr). Quand l'on connaît le biais de taille qui existe en matière d'implication dans une politique de responsabilité sociale (cf. CARDEBAT et SIRVEN, 2008), on ne peut qu'être circonspect sur la mise en œuvre de telles politiques à ce jour.
-
[3]
L'enquête a été effectuée dans le cadre d'un contrat de recherche avec la Région Aquitaine. Les résultats présentés ici sont issus du rapport remis à la Région Aquitaine (œuvre collective, ADAGE, 2012).
-
[4]
En effet, chaque entreprise située dans les régions d'étude n'a pas la même chance d'être sélectionnée. Le choix est induit par nos critères et nos différents interlocuteurs (conseils régionaux et généraux, CCI, comités d'expansion, etc.). L'échantillonnage non probabiliste s'avère pertinent concernant notre enquête car les sujets eux-mêmes nous intéressent, et, de plus, un échantillonnage probabiliste n'est pas indiqué dans une étude qui se veut largement qualitative et dans laquelle le sujet lui-même nous intéresse.
-
[5]
L'enquête s'inscrit dans le cadre d'un contrat de recherche régional, ADAGE, financé par la Région Aquitaine. Cette dernière constituait de fait un terrain d'étude naturel et la Région Pays-de-Loire intervenant comme un benchmark. Le choix de la seconde région est issu de critères de comparaisons optimales.
-
[6]
Pouvant se matérialiser, par exemple, par une gamme verte de produits, l'utilisation de labels ou encore de publicité faisant référence au développement durable.
-
[7]
L'analyse n'a pas mis en évidence de corrélation négative statistiquement significative.
- 1 - Introduction
1 L'ancrage territorial du développement durable et le caractère incontournable d'une implication locale des entreprises a toujours été mis en avant par les grandes organisations internationales [1]. S'interroger sur les rôles des collectivités locales et des autres acteurs composant le territoire pour appréhender la question du développement territorial durable, c'est aborder la question d'une gouvernance territoriale durable. En effet la démarche de développement durable s'appuie, sinon sur un nouveau mode de décision, du moins sur un nouveau mode d'élaboration de ces décisions, supposant la concertation avec l'ensemble des parties prenantes. Si comme le définit la Commission européenne, la gouvernance constitue la somme des voies et moyens au travers desquels les individus et les institutions publiques ou privées gèrent les affaires communes (COMMISSION EUROPÉENNE, 2002), nous définirons la gouvernance territoriale durable comme les modes de concertation et de co-construction mis en place pour favoriser une démarche de développement durable sur un territoire donné.
2 Dans cette perspective, la question de l'organisation devient prégnante plus que celle de l'échelle. Le territoire est ainsi plus qu'un espace physique, naturel, c'est un espace où se jouent des enjeux aux problématiques spécifiques et où est façonnée une réalité territoriale. Au centre du système d'acteurs locaux se trouvent les entreprises, les collectivités locales et les populations. Cependant, ces acteurs apparaissent souvent juxtaposés sur un territoire donné. Dans le cadre normatif du développement durable et de la théorie des parties prenantes (cf. FREEMAN 1984), ils doivent pourtant se coordonner et ainsi constituer de véritables réseaux connectés allant vers un développement territorial durable. En d'autres termes, le développement durable local appelle conceptuellement une proximité organisée (TORRE, 2010).
3 D'autre part, le rôle clef du tandem entreprise-collectivité locale est souvent souligné en tant que moteur du développement territorial durable (DEJARDIN, 2006). Car le territoire est à présent moins à considérer comme un espace fournissant des ressources génériques que comme un espace de co-construction de ressources à travers des relations inter-entreprises proches, mais aussi par des relations entreprises-collectivités. Certains auteurs accordent un rôle prépondérant à l'entreprise dans ce tandem en faisant de la responsabilité sociale des entreprises le moteur d'un développement territorial durable, dans l'optique d'un intérêt de l'entreprise et de la société consubstantiel à long terme. Si elle est théoriquement recevable, une telle vision réclame toutefois en amont une implication forte des entreprises, notamment des PME qui constituent l'essentiel du tissu économique local (selon l'INSEE, 99 % des entreprises sont des PME [2]), à la fois dans le développement durable et dans les enjeux territoriaux.
4 L'objet de cette étude est alors d'analyser la façon dont une gouvernance territoriale durable pourrait émerger, et se matérialise dans les questions suivantes :
- Jusqu'à quel point les entreprises, et plus particulièrement les PME, peuvent-elles être des moteurs du développement durable des territoires ?
- Quelles seraient les conditions préalables à la mise en place d'une telle gouvernance et notamment que faut-il attendre des entreprises sur leurs territoires ?
6 Cette note de recherche tente de répondre à ces questions à travers une enquête qualitative sur 25 entreprises de moins de 250 salariés [3]. Sur la base des 25 entretiens effectués en vis-à-vis, nous avons procédé à une analyse textuelle des perceptions des entreprises de leurs territoires d'accueil et du concept de développement durable. Cette analyse permet alors d'ébaucher des pistes de réflexions pour imaginer les contours et les conditions préalables d'une future gouvernance plus durable des territoires.
7 La note s'organise de la façon suivante. Dans le point 2 nous explicitons la méthodologie et les principaux résultats de l'enquête. Nous discutons alors dans le point 3 les contours d'une gouvernance territoriale durable et introduisons de nouvelles pistes de réflexion.
- 2 - L’enquête
2.1. Méthodologie
8 Notre échantillon d'étude, non probabiliste [4], est composé de 25 entreprises, dont nous avons interviewé les dirigeants (cf. Annexe 1 pour plus de précisions sur l'échantillon). Notre étude étant qualitative, notre objectif n'était pas d'avoir une représentation moyenne de la population, mais d'obtenir un échantillon d'entrepreneurs qui ont un vécu et une expérience particulière à analyser (BORGÈS DA SILVA, 2001). Nous avons donc procédé à un échantillonnage par jugement, en contactant les experts connaissant les entreprises locales. Dans les études qualitatives, la taille de l'échantillon est fonction de la durée de l'interview et de la faisabilité ; les grandes études ne portant pas sur plus de 50 à 60 personnes (voir par exemple TABACHNIK et FIDELL, 2006 ; GUICHARD et TRAN, 2006). Ainsi, les différents Conseils généraux, les Chambres de commerce et d'industrie, les comités d'expansion, tout organisme départemental ou régional travaillant avec les entreprises, ont été sollicités. Il leur a été demandé une liste d'entreprises répondant aux critères précédents, qui pourraient être intéressantes dans le cadre de notre étude. Plus précisément, les caractéristiques suivantes ont été requises : un dirigeant dynamique et réactif, voire visionnaire, à l'image de son entreprise, à caractère innovant autant que possible, enfin, il a été précisé que les entreprises mobiles nous intéressent particulièrement. Nous avons donc laissé les acteurs institutionnels du territoire choisir les entreprises sur une base subjective mais orientée (dynamisme, mobilité, vision), de façon à obtenir en miroir le regard de ces entrepreneurs « choisis » sur leur territoire. La liste établie, les entreprises furent contactées dans l'ordre chronologique, et les premiers chefs d'entreprises à répondre favorablement ont été les interviewés.
9 Pour cette étude, ont été interviewés des dirigeants de PME industrielles ou du secteur des services, localisées en Aquitaine (aux deux tiers) ou Pays-de-la-Loire (un tiers), deux régions souvent rapprochées de par leurs caractéristiques similaires [5]. Les entreprises sont également discriminées en fonction de leur positionnement stratégique par rapport au développement durable [6]. Nous disposons ainsi d'un panel d'entreprises hétérogène et contrasté, permettant une étude qualitative sur les différences de représentations suivant les caractéristiques de la PME et de son responsable. L'enquête a été menée en vis-à-vis dans les locaux des entreprises entre juillet 2009 et juillet 2010.
10 Les interviews ont pris la forme d'entretiens semi-directifs d'environ une heure auprès des chefs d'entreprises informés de notre démarche. Cette forme d'enquête permet nettement mieux que des questionnaires de faire émerger les problématiques ressenties par les entrepreneurs. Or nous cherchons précisément à comprendre les mécanismes liant entreprises et collectivités à travers la perception du territoire par les entrepreneurs et, dans une moindre mesure, du développement durable. Les entretiens ont donc porté sur la réceptivité de l'entreprise par rapport à l'offre du territoire, mais également sur la représentation du développement durable. Ces entretiens semi-directifs ont simplement été complétés par un court questionnaire, limité à des questions fermées et factuelles sur les caractéristiques de l'entreprise.
11 Le traitement des entretiens a été effectué avec le logiciel ALCESTE (version 2010) afin de réaliser une analyse textuelle (REINERT, 1993). Ce logiciel met l'accent sur les ressemblances et les dissemblances du vocabulaire. Il permet de repérer la présence d'ensembles d'énoncés, appelés classes, qui se ressemblent du point de vue de la cooccurrence significative (Chi2) du vocabulaire qui les compose. Les classes d'énoncés décrivent ainsi des profils différents qui se distinguent par leurs unités de contexte (uc) représentatives et les variables illustratives qui leur sont attachées (CAPDEVIELLE-MOUGNIBAS et al., 2004). Nous pouvons alors identifier si les caractéristiques de l'entreprise et de son dirigeant influencent la constitution des classes. Dans ce qui suit, toujours dans une logique d'exploration de l'échantillon, nous présentons les représentations du territoire identifiées grâce à l'enquête, puis nous les croisons avec la question du développement durable.
2.2. Une représentation confuse du territoire
12 Peut-on présupposer que les entreprises ont une vision claire des découpages territoriaux et des réseaux d'acteurs s'y rattachant ? Notre questionnement est alors le suivant : comment les chefs d'entreprise considèrent-ils leur territoire ? Quelle définition en donnent-ils ? Quel rôle attachent-ils aux collectivités locales ?
13 Malgré leur connaissance des découpages territoriaux, les chefs d'entreprises se représentent le territoire généralement de manière assez floue. Ils en ont plusieurs définitions, selon qu'ils parlent en leur nom ou au nom de l'entreprise, comme l'exprime ce dirigeant : « Il y a le territoire social, ça, c'est la proximité, là où sont nos salariés, le bassin d'habitation. Après, il y a le territoire géographique et économique, c'est là où l'entreprise s'exprime ». Ainsi, en ce qui concerne l'entreprise, le territoire sur lequel ils sont implantés n'apparaît pas comme primordial, ni même important : c'est le rayonnement économique qui importe et qui est généralement identifié non pas au niveau local mais au niveau français ou européen.
14 En revanche, le territoire local apparaît pertinent lorsque l'on parle des employés. On entend alors un discours de ce type : « L'attente est grande en termes d'infrastructures, et je ne parle pas seulement des routes, mais de tout ce qui permet une certaine qualité de vie ». Le territoire relève donc d'une représentation qui n'est pas figée mais au contraire mouvante dans l'espace et le temps selon que l'on considère l'activité économique d'une part et le territoire de vie, identifié à la communauté locale d'implantation, d'autre part. Le territoire ne serait pas spécifiquement identifié dans sa nature économique car déterminé par les conditions du marché. Le choix de considérer le territoire comme partie prenante n'est qu'une conséquence postérieure à l'implantation. Mais en même temps il y a bien une exigence vis-à-vis du territoire local. Cela rejoint l'analyse de ZIMMERMANN (2005) qui précise qu'au-delà de la caractéristique nomade de l'entreprise, le territoire est plus qu'un réceptacle économique, il est aussi un construit. Ceci se vérifie dans l'examen affiné du territoire dit « vécu » des chefs d'entreprise. En effet, lorsque l'on cherche à affiner la perception du territoire dit « vécu » des chefs d'entreprise, six classes apparaissent, représentant 67 % du corpus telles qu'elles sont illustrées dans le graphique présenté au sein de l'Annexe 2. Ces six classes se confondent en grande partie, et nous pouvons les regrouper en trois grands types de perception du territoire.
15 Nous avons qualifié la première grande famille de « représentation administrative ». Les dirigeants associés à ce discours et dont l'âge majoritaire se situe entre 50 et 65 ans utilisent le vocabulaire lié aux échelons politico-administratifs : « conseil régional », « département », « échelon », « politique », « communauté de communes », etc. On trouve alors des verbatim de ce type : « Aujourd'hui, on vient s'implanter sur des communautés de communes, qui sont pour moi un territoire » ; « Un territoire, pour moi c'est une région. Alors ce territoire, je demande à nos élus locaux et régionaux d'essayer de le rendre le plus attractif possible ». Les dirigeants membres de cette classe, dont les entreprises sont en général positionnées stratégiquement en faveur du développement durable, conçoivent d'abord le territoire comme une entité politico-administrative.
16 Les classes n° 4 et n° 6 (Annexe 2) peuvent également être regroupées afin de former le groupe de la « représentation communautaire ». Ce discours est plutôt représentatif de jeunes chefs d'entreprise qui voient le territoire comme le lieu de rencontre entre administrations, entreprises et population. Ces trois acteurs doivent coopérer, travailler ensemble pour dynamiser le territoire, le tout organisé par les collectivités locales, comme l'expriment ces chefs d'entreprise : « La collectivité locale, quelle qu'elle soit, a un rôle de garant, de mobilisateur, d'initiateur, d'innovateur » ; « Je crois que dans le développement durable, il y a le travailler ensemble, et là je pense qu'on a, nous tous [c'est-à-dire les entreprises et les administrations], encore beaucoup, beaucoup de progrès à faire ». On trouve ici dans ce discours des termes associés à la collectivité, ainsi que du vocabulaire lié au développement durable et à ses trois axes : « collectif », « développement durable », « territorial », « partenariat », « vie », « économie ».
17 Enfin, les énoncés regroupés dans la classe n° 2 forment le discours de la « représentation performatrice ». Les chefs d'entreprise, plutôt jeunes (entre 35 et 50 ans), utilisent en effet beaucoup de vocabulaire lié à l'action, notamment des verbes : « prendre », « mettre », « faire », « compter », « passer », « payer », « polluer », « aider », etc. Dans ce discours, le territoire est fortement associé à la collectivité qui doit agir pour son développement. Selon ces dirigeants, dont la plupart des entreprises n'ont pas de positionnement stratégique en faveur du développement durable, le territoire doit être une impulsion pour les acteurs qui le composent, il est notamment dit que « l'esprit d'initiative et tout ça doit être impulsé par la Région ».
18 Une constante dans le discours de ces trois classes s'exprime très clairement également : presque tous les chefs d'entreprise pensent qu'il existe en France trop d'échelons administratifs et qu'il faut en regrouper. Nous l'avons souligné plus haut, lorsqu'on leur demande l' (les) échelle(s) du territoire qu'ils jugent la (les) plus pertinente(s) dans la vie de l'entreprise, ils évoquent en majorité la région, le département, tout en précisant souvent qu'il serait judicieux de regrouper ces deux entités, les communautés de communes, urbaines ou d'agglomération, ainsi que l'État, l'entité communale restant en retrait. Ainsi, ce type d'affirmation semble assez caractéristique : « Le niveau de la Région me plait assez bien car il y a une proximité avec les administrés et en même temps, un éloignement suffisant pour éviter un niveau de corruption trop élevé. Il est sûr qu'on a beaucoup, beaucoup trop de collectivités aujourd'hui, et ce qui est également certain, c'est qu'il faut leur donner du pouvoir et de l'argent pour faire avancer les choses ».
2.3. Durabilité et territoire : la perception des chefs d’entreprises
19 Ce dernier verbatim est révélateur du rôle qu'affectent les dirigeants au territoire. D'une manière générale, les chefs d'entreprise attendent des collectivités locales qu'elles impulsent une dynamique. Ils attendent qu'elles soient exemplaires, notamment en termes de développement durable, qu'elles coordonnent la vie de la communauté, entre entreprises, administrations et population et qu'elles s'efforcent de ne pas constituer un frein à l'entrepreneuriat : « Une collectivité doit être moteur. Elle ne doit pas être un frein, elle doit être moteur ». Cet état d'esprit est intéressant pour notre étude qui interroge sur le développement durable comme facteur d'une nouvelle dynamique du territoire et, par là, d'attractivité du territoire.
20 Les responsables postulent tous l'existence d'un lien entre l'entreprise et le développement durable. De manière générale, ils souhaitent s'engager fortement dans une démarche de développement durable, mais sous la condition d'une forte impulsion de la part des collectivités, comme en témoigne ce chef d'entreprise : « Il ne faut pas demander à l'entreprise de faire les choses “à la place de” ; c'est-à-dire que “avec”, ça me va bien ». « L'entreprise fait partie des acteurs primordiaux pour le développement durable, il faut donc lui imposer un certain nombre de règles ». On retrouve ainsi l'importance de la contrainte légale et réglementaire comme motivation première pour intégrer les préoccupations sociales ou environnementales, mais ceci vaut tant pour les PME que pour les grandes entreprises (QUAIREL et AUBERGER, 2005).
21 L'analyse textuelle révèle que l'ensemble des dirigeants a conscience de l'importance prise par les problématiques liées au développement durable, bien qu'ils en aient une représentation différente (cf. Annexe 3). Celle-ci nous a permis d'identifier trois types de discours relatifs au développement durable : représentation individuelle, représentation globale et représentation environnementale. Par rapport à différentes représentations du territoire précédemment explicitées, nous pouvons relever deux phénomènes : les membres de la classe « représentation administrative » appartiennent, pour beaucoup, également à la classe de la « représentation environnementale » et les entreprises associées au discours de la « représentation communautaire » ont pour beaucoup le projet de développer une stratégie en faveur du développement durable. Peut-on dès lors imaginer davantage de liens entre représentations du développement durable et appréhension du territoire par les entrepreneurs ? Dans cette optique, nous proposons de tester trois discriminants territoriaux sur les groupes de discours relatifs au développement durable, à savoir :
- variable « territoire » : l'échelle du territoire la plus importante pour le dirigeant (national, régional, local ou multi préférences) ;
- variable « parties prenantes » : contact avec des acteurs locaux (parties prenantes, hors obligations légales) sur les deux dernières années (oui ou non) ;
- variable « implication des collectivités » : dans quelle mesure les collectivités doivent-elles participer à la construction d'un développement durable local (contribution maximale, forte, moyenne, faible).
23 Le Tableau 1 résume les résultats issus d'une analyse de corrélation. Les cases renseignées par le signe + indiquent une corrélation positive statistiquement significative. Les cases non renseignées révèlent l'absence de corrélation statistiquement significative [7] . Nous pouvons constater que les discriminants territoriaux permettent de caractériser les groupes. La variable « territoire » apparaît particulièrement pertinente, puisqu'à chaque groupe correspond une échelle territoriale prépondérante. La lecture du tableau se fait donc ainsi. Le groupe « représentation individuelle », représentatif, en majorité, de dirigeants de plus de 50 ans et qui ont une idée assez floue du développement durable, privilégie la dimension régionale du territoire. Ils n'ont pas de contacts avec les parties prenantes locales et pensent que les collectivités doivent porter le développement local durable. Ce groupe est donc en attente des collectivités et n'est guère moteur dans ce développement.
24 En revanche, le groupe « représentation globale », qui donne une définition très pertinente et fine du développement durable, a significativement des contacts avec les parties prenantes locales et privilégie cet échelon territorial. Ce groupe est manifestement enclin à une approche partenariale même s'il ne met pas plus en avant les collectivités que les autres acteurs pour impulser un développement local durable.
Perception du développement durable et discriminants territoriaux
Représentation du développement durable | ||||
Individuelle | Globale | Environnementale | ||
Territoire | national | + | ||
régional | + | |||
local | + | |||
Parties prenantes | oui | + | ||
non | + | |||
Implication des collectivités | maximale | + | + | |
forte | ||||
moyenne | ||||
faible | + |
Perception du développement durable et discriminants territoriaux
25 Enfin, le groupe plutôt représentatif de jeunes dirigeants (moins de 35 ans en majorité) ayant une perception très environnementale du développement durable, s'abstrait en partie du territoire local. Son échelle de raisonnement est significativement située au niveau national, même s'il accorde un rôle important aux collectivités. Centré sur l'environnement, ce groupe est influencé par la définition nationale de la politique environnementale pour la France (loi dite de Grenelle).
- 3 - Conclusion-discussion Les fondements d’une gouvernance territoriale durable
26 Notre étude sur les conditions d'émergence d'une nouvelle gouvernance territoriale durable tend à confirmer que les chefs d'entreprise sont certes prêts à s'engager dans une démarche de développement durable local mais pas seuls.
27 Un premier enseignement ressort de notre enquête : celui d'une incontournable nécessité du développement durable et de son lien avec le territoire. L'entreprise se projette sans cesse dans l'avenir, et les chefs d'entreprises interrogés admettent que la prochaine mutation sera probablement environnementale. Ainsi, il apparaît clairement que le développement durable est, et sera, de plus en plus, un argument pertinent en matière d'attractivité des territoires pour les entreprises (CARDEBAT et MUSSON, 2010). Selon les entretiens, l'entreprise aurait conscience de son rôle proactif sur le développement territorial durable et de la production de biens publics qui en découle. Un chef d'entreprise va généralement être intéressé par un territoire proposant des actions concrètes liées au développement durable et une image véhiculant ces valeurs mais l'appréhension de la bonne échelle territoriale reste confuse. Il semble en effet que le duo « entreprise/collectivité locale » dans la détermination d'une stratégie de développement durable du territoire soit intégrée par les chefs d'entreprise interrogés. Mais il apparaît aussi qu'on est plus en présence d'une juxtaposition d'actions parallèles, même si les chefs d'entreprise mettent aussi en exergue un lien de dépendance entre les actions publiques et privées.
28 Le second enseignement de notre enquête réside dans la demande forte des chefs d'entreprise de voir la collectivité s'engager de manière incitatrice dans une politique de développement durable. Sous la contrainte économique de court terme, les chefs d'entreprise sont clairement en attente de l'assistance des collectivités pour évoluer dans ce sens. S'ils se représentent difficilement le territoire, ils attendent beaucoup des collectivités, au-delà de l'aide économique, en matière de développement durable. Les enjeux en termes d'action publique locale sont dès lors particulièrement aigus. Quelles actions les collectivités locales peuvent-elles mener vis-à-vis des entreprises dans les territoires ? Les entretiens laissent entrevoir des réponses concrètes en termes d'accompagnement des entreprises dans leurs politiques énergétiques et environnementales, et sociale/sociétale, que ce soit par des soutiens administratif et logistique ou par des aides financières. Certains chefs d'entreprise vont plus loin : les collectivités doivent jouer un rôle leader dans la co-construction publique-privée de ce développement durable. Ils ont besoin de collectivités organisatrices du territoire, au sens des relations entre les acteurs et même des relations entre les entreprises elles-mêmes. Ce serait donc aux collectivités de bâtir la proximité organisée à l'échelle territoriale.
29 Cependant, la collectivité ne doit pas se tromper de discours, et c'est là un apport essentiel de l'analyse des entretiens. Elle doit prendre en compte les attentes différentes et les représentations différentes envers le territoire et les discours hétérogènes autour du développement durable. La question de l'échelon approprié pour mettre en place une gouvernance territoriale proactive au regard d'un développement durable local reste en effet pleinement posée. D'autant que ces différences semblent liées. Par exemple, le groupe de la représentation environnementale semble privilégier l'échelon national tandis que le groupe appréhendant le développement durable de manière globale privilégie l'échelon local. La dimension locale du développement durable montre ainsi combien les systèmes d'acteurs sont appelés à se recomposer.
30 L'ensemble de ces éléments nous amène à poser les jalons de recherches ultérieures pour approfondir cette question de la gouvernance territoriale durable. Si nous tendons à admettre que la gouvernance locale renvoie à la capacité d'un système d'acteurs à produire ensemble une action coordonnée sur un territoire donné, les conditions d'une gouvernance durable semblent relever plus d'un territoire projet que d'un territoire administrativo-politique. C'est en effet le projet qui fonde la nécessité de coopération et non une réalité géographique. Dans ce schéma de « territoire acteur », l'entreprise aurait intérêt à s'ancrer au territoire non plus du point de vue d'une implantation mais du point de vue d'un projet territorial donné, ancrage territorial assimilé à un apprentissage collectif firme/territoire fondé sur la co-construction de ressources. On aurait ainsi un processus interactif en plusieurs étapes où des acteurs n'ayant pas toujours le même intérêt mais confrontés à un même problème vont progressivement construire une représentation commune de cette réalité, lui donner un sens, se fixer des objectifs, adopter des solutions et les mettre en œuvre sans que rien ne soit déterminé à l'avance (CALAME, 1996 ; THEYS, 2003). Le système d'acteurs comme la nature du projet étant mouvants, il faudrait alors parler de gouvernance à géométrie variable.
31 La question de la gouvernance territoriale durable renvoie alors non seulement à la capacité de l'entreprise à s'ancrer à un territoire, mais également à la capacité des autorités locales à accepter cette géométrie variable qui soumet le territoire au projet et non plus aux limites administratives traditionnelles. Notre champ de recherche s'ouvre alors sur deux grands chantiers : l'étude des positionnements des collectivités locales au regard de ces mutations territoriales, d'une part, et les implications d'un ancrage territorial de l'entreprise, d'autre part.
Remerciements
32 Les auteurs tiennent à remercier sincèrement les rapporteurs anonymes ainsi que la revue et son comité de rédaction, en particulier l'éditeur associé, pour l'opportunité de publier cette note de recherche.
Annexe 1 Description de l’échantillon
Caractéristiques des 25 entreprises interrogées
Secteur | |
Commerce | 4 % |
Construction | 8 % |
IAA | 12 % |
Industries hors IAA | 28 % |
Service | 36 % |
Transports | 12 % |
CA | |
CA< 1M€ | 12 % |
1M€< CA < 8M€ | 40 % |
8M€< CA < 25M€ | 28 % |
CA > 25M€ | 20 % |
Région d’implantation | |
Pays-de-la-Loire | 36 % |
Aquitaine | 64 % |
Nombre d’employés | |
<10 employés | 8 % |
entre 10 et 50 employés | 36 % |
Entre 50 et 250 employés | 36 % |
>250 employés | 20 % |
Filiale | |
Oui | 32 % |
Non | 68 % |
Prise en compte du cycle de vie du produit [*] | |
Oui | 48 % |
Non | 44 % |
En projet | 8 % |
Caractéristiques des 25 entreprises interrogées
Âge | |
Entre 20 et 35 ans | 16 % |
Entre 35 et 50 ans | 44 % |
Plus de 50 ans | 40 % |
Formation | |
BEPC | 4 % |
Diplôme technique | 28 % |
Diplôme universitaire | 16 % |
École d'ingénieur ou de commerce | 52 % |
Entreprise familiale | |
Oui | 52 % |
Non | 48 % |
Annexe 2
Représentation du territoire
Représentation du territoire
33 Le graphique se comprend ainsi. L’analyse textuelle a permis de repérer la présence d’ensembles d’énoncés, les classes, qui décrivent ainsi des profils différents de répondants. Ce sont ces classes qui sont représentées par des cercles, la forme de ceux-ci étant dictée par le positionnement du discours par rapport aux axes du graphique. Le premier permet de répartir les discours d’une définition du territoire de la plus abstraite à la plus concrète, tandis que le second échelonne les perceptions de la plus politico-administrative à la plus communautaire (liée à la vie de la collectivité). Les mots en italique sont représentatifs du discours de chaque classe et se succèdent à l’appellation de la classe. Par exemple, sur le graphique ci-dessus, la classe « Représentation Communautaire » a pour caractéristique d’utiliser fortement et par ordre d’importance, les mots suivants : collectif, développement durable, territorial, action, compétitive, partenariat, etc.
34 La superposition des classes sur le Graphique 2 indique que, si nous pouvons différencier plusieurs types de discours, les distinctions entre les classes ne sont pas très affirmées et les oppositions sont faibles. La plus forte opposition s’observe entre la classe n°2 dite « représentation performatrice » et toutes les autres.
Annexe 3
Représentation du développement durable
Représentation du développement durable
35 Le premier axe permet de répartir les discours d’une définition la plus ciblée du développement durable à la plus globale, c’est-à-dire intégrant les trois volets environnemental, économique et social. Le second axe cherche plutôt à échelonner le degré de concrétisation ou au contraire d’abstraction de cette perception du développement durable. Lorsque les cercles se superposent, cela signifie qu’une partie du discours est commune à différentes classes. Ainsi, le discours « perception globale et commune » se distingue à la fois par la globalité de la définition donnée au développement durable et une représentation concrète. L’aspect concret du discours est un aspect commun à la classe « perception environnementale ».
36 Les individus de la Classe n°1 exposent leur vision personnelle du développement durable, loin de la définition commune reprenant les trois axes de la notion. Les explications sont alors assez abstraites, avec un vocabulaire spécifique comme « voir », « fait », « gens », « intéressant », « commune », « exemple », « jour », etc.
37 La Classe n°2 est, au contraire, celle de la « Perception Académique », avec une définition globale du développement durable. Ses membres définissent le développement durable suivant son exacte définition et à travers ses trois axes. Social, économie et environnement sont d’ailleurs trois des quatre mots les plus significatifs utilisés dans le discours de la classe n°2. Enfin, la Classe n°3, dite de la « perception environnementale », regroupe des chefs d’entreprise qui perçoivent le développement durable à travers la protection de l’environnement.
Bibliographie
Références bibliographiques
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- CAPDEVIELLE-MOUGNIBAS V, HERMET-LANDOI I, ROSSI-NEVES P (2004) Devenir chercheur : rapport au savoir et engagement dans la recherche des doctorants en histoire et en mathématiques. Pratiques psychologiques 10 : 141-151.
- CALAME P. (1996) Le principe de subsidiarité active. Fondation Charles Léopold Mayer, Paris.
- CARDEBAT JM, SIRVEN N (2008) Responsabilité sociale des entreprises et performance : un point de vue économique. Recherches en Sciences de Gestion 231-232.
- CARDEBAT JM, MUSSON A (2010) Que change le développement durable à la localisation des activités ? Innovations 3 (33) : 181-202.
- COMMISSION EUROPÉENNE (2002) La responsabilité sociale des entreprises – Une contribution des entreprises au développement durable. Office des publications officielles des Communautés européennes, Luxembourg, 30 p.
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- REINERT M (1993) Les mondes lexicaux et leur logique à travers l’analyse statistique d’un corpus de récits de cauchemars. Langage et société 66 : 5-39.
- TABACHNIK BG, FIDELL LS (2006) Using Multivariate Statistics. 5e ed. Allyn and Bacon, New York.
- THEYS J (2003) La Gouvernance entre innovation et impuissance : le cas de l’environnement. Développement Durable et Territoires Dossier 2.
- TORRE A (2010) Jalons pour une analyse dynamique des proximités. Revue d’Économie Régionale et Urbaine 3 : 409-438.
- ZIMMERMANN JB (2005) Entreprise et Territoire entre nomadisme et ancrage territorial. Revue de L’IRES 45.
Notes
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[*]
Prise en compte d’une ou de toutes les étapes du cycle de vie du produit, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la fin de vie du produit, en passant par la fabrication, la distribution, l’utilisation ; prise en compte de l’ensemble des impacts environnementaux générés (matières premières, énergie, préservation de la biodiversité, pollution de l’eau, de l’air, des sols, déchets, bruit...).
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[1]
Cf. rapport BRUNDTLAND (1987), les sommets des Nations unies à Rio en 1992 et à Johannesburg en 2002, le Livre vert consacré à la RSE de la Commission européenne en 2001.
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[2]
La catégorie des petites et moyennes entreprises (PME) est constituée des entreprises qui occupent moins de 250 personnes, et qui ont un chiffre d'affaires annuel inférieur à 50 millions d'euros ou un total de bilan n'excédant pas 43 millions d'euros (cf. www.insee.fr). Quand l'on connaît le biais de taille qui existe en matière d'implication dans une politique de responsabilité sociale (cf. CARDEBAT et SIRVEN, 2008), on ne peut qu'être circonspect sur la mise en œuvre de telles politiques à ce jour.
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[3]
L'enquête a été effectuée dans le cadre d'un contrat de recherche avec la Région Aquitaine. Les résultats présentés ici sont issus du rapport remis à la Région Aquitaine (œuvre collective, ADAGE, 2012).
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[4]
En effet, chaque entreprise située dans les régions d'étude n'a pas la même chance d'être sélectionnée. Le choix est induit par nos critères et nos différents interlocuteurs (conseils régionaux et généraux, CCI, comités d'expansion, etc.). L'échantillonnage non probabiliste s'avère pertinent concernant notre enquête car les sujets eux-mêmes nous intéressent, et, de plus, un échantillonnage probabiliste n'est pas indiqué dans une étude qui se veut largement qualitative et dans laquelle le sujet lui-même nous intéresse.
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[5]
L'enquête s'inscrit dans le cadre d'un contrat de recherche régional, ADAGE, financé par la Région Aquitaine. Cette dernière constituait de fait un terrain d'étude naturel et la Région Pays-de-Loire intervenant comme un benchmark. Le choix de la seconde région est issu de critères de comparaisons optimales.
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[6]
Pouvant se matérialiser, par exemple, par une gamme verte de produits, l'utilisation de labels ou encore de publicité faisant référence au développement durable.
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[7]
L'analyse n'a pas mis en évidence de corrélation négative statistiquement significative.