Notes
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[1]
Considérer une ville ouverte à population endogène est susceptible de déstabiliser l’équilibre monocentrique. Une hausse de population au-delà d’un seuil de transition se traduit par l’apparition d’un système urbain où les villes adjacentes sont équidistantes (FUJITA et MORI, 1997). Une telle configuration ne permet pas de mettre en évidence aussi nettement les effets d’une politique environnementale (VERHOEF, 2005).
-
[2]
Admis par ALONSO (1964), cet artifice soutient l’hypothèse du taux de salaire exogène en ce sens qu’aucune firme, parce que plus centrale dans le CBD, n’est plus éloignée qu’une autre du lieu de résidence d’un ménage quelconque. Aucune n’a donc d’intérêt à proposer un salaire plus élevé pour attirer le ménage et compenser des coûts de déplacement domicile-travail supérieurs. Envisager la distance domicile-travail exacte conduirait à réduire légèrement les distances totales parcourues. Les effets d’une augmentation des coûts de déplacement suite au péage urbain, que nous étudions dans la section 4, joueraient donc dans le même sens, mais avec une amplitude réduite. Compte tenu des différences de tailles respectives du CBD et de la ville dans son ensemble, illustrées en section 4, cette réduction serait toutefois négligeable.
-
[3]
Pour le ménage, nous parlons indifféremment de sol ou de logement.
-
[4]
Certes, nous avons dit que du point de vue de la ville dans son ensemble, cette distance pouvait être considérée comme négligeable, assimilant pour tous les ménages leur lieu de travail dans deux firmes distinctes à un unique point au centre de la ville. En revanche, du point de vue des seules firmes, cette distance recouvre une réalité tangible sans laquelle il devient délicat d’envisager les effets bénéfiques de la proximité.
-
[5]
Le choix d’une fonction d’utilité à biens substituables plutôt que complémentaires aurait compromis la résolution analytique. En effet, la relation simple (3) entre les quantités de sol et de bien composite qu’autorise la complémentarité ne tient plus. Comme la substituabilité implique qu’une plus grande quantité de sol s’accompagne d’une moindre quantité de bien composite, il existe à toute distance du centre une infinité de combinaisons des deux biens permettant d’atteindre le même niveau d’utilité. Certes, la tangence de la courbe d’indifférence décroissante et convexe dans un plan {Si, zi} avec la droite de contrainte budgétaire garantit l’unicité de la combinaison {Si?, zi?} d’équilibre (FUJITA, 1989). En revanche, ces deux valeurs n’admettent plus d’expression analytique simple. Un premier niveau de résolution conduit à remarquer que la surface de sol demandée par le ménage augmenterait avec la frontière de la ville rmax (dont on n’obtient pas non plus d’expression simple), alors que la quantité de bien composite consommée diminuerait toutes choses égales par ailleurs. Dans ce cas de figure où il faudrait considérer rmax comme donnée au premier stade de l’interprétation (car sans forme analytique évidente), la valeur d’équilibre du sol diminuerait avec la population.
-
[6]
L’hypothèse d’émissions polluantes linéaires avec la distance est défendue par VERHOEF et NIJKAMP (2004). Elle nous fait admettre deux simplifications : l’une concerne les premiers kilomètres effectués moteur froid par le véhicule quittant le domicile, que nous ne considérons pas comme plus polluants que les suivants ; l’autre est relative, à nouveau, à l’absence de congestion sur l’ensemble du parcours, qui ne vient pas perturber la vitesse moyenne de déplacement.
-
[7]
Nous sommes parallèlement conscients que ce choix conduit probablement à sous-estimer le bien-être social, dans la mesure où après l’instauration du péage, une baisse de la congestion serait sans doute associée à celle de la pollution (comme cela a été vérifié à Londres). Aucune réduction des temps de déplacement n’est valorisée ici.
-
[8]
Les résultats des analyses de sensibilité aux paramètres sont disponibles auprès de l’auteur.
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[9]
Nous rappelons qu’à la différence de VERHOEF et NIJKAMP (2004), notre cadre analytique ne prévoit pas d’arbitrage travail/ temps de déplacement/ loisirs.
- 1 - Introduction
1Selon le rapport des Nations Unies Cities and Climate Change : Global Report on Human Settlements 2011, la contribution mondiale des villes aux émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine (GES), tous secteurs confondus, serait comprise entre 60 et 70 %. Parce qu’ils sont émis par des agents mais que leurs coûts sont supportés par la collectivité, les émissions de GES constituent un exemple d’externalité négative.
2 Outre les GES, les externalités négatives en milieu urbain prennent de nombreuses formes : bruit, congestion, pollution atmosphérique résultant de densités élevées d’activité et d’habitat (KANEMOTO, 1980). Les transports, notamment routiers, en sont pour une large part responsables (VERHOEF, 1997) ; de plus, en facilitant les déplacements, ils favorisent un étalement urbain (matérialisé par une extension géographique des habitations et des activités au-delà de la zone agglomérée) qui amplifie les distances et renforce leur attractivité par rapport aux modes doux (vélo, marche à pied). Sont particulièrement concernés, dans un contexte de hausse des valeurs foncières, les ménages qui se déplacent de l’extérieur vers le centre de la ville pour travailler (BROWNSTONE et GOLOB, 2009).
3 Les politiques de régulation de la mobilité agissant conjointement sur le rapprochement des lieux de résidence et de travail et sur l’offre de modes de transport alternatifs à la voiture trouvent donc leur sens, en particulier dans les pays développés. En octobre 2007, le Grenelle de l’Environnement préconisait « l’introduction dans la loi [française] de nouvelles dispositions visant à lutter contre l’étalement urbain ». Congestion, bruit ou pollution peuvent aussi être directement visés comme externalités négatives. En France toujours, la loi Grenelle 2 autorise depuis juillet 2010 les agglomérations de plus de 300 000 habitants à expérimenter sur leur territoire la mise en place de péages urbains. En 2003, le London Congestion Charge a remis cet instrument environnemental sur le devant de la scène. Alors que l’externalité de congestion a longtemps été la cible des péages urbains (Singapour, 1975), l’Ecopass de Milan expérimenté entre 2008 et 2011 combattait explicitement la pollution atmosphérique.
4 Ces expérimentations peuvent revêtir diverses formes : dans le cas d’un péage cordon, le franchissement d’un périmètre délimitant une zone centrale déclenche le paiement d’une somme forfaitaire, indépendante de la distance parcourue (Singapour, Stockholm, Milan) ; avec un péage de zone, la taxe s’applique à tout véhicule circulant à l’intérieur d’une aire définie (Londres) ; enfin, avec un péage kilométrique ou linéaire, la taxe s’applique linéairement au kilomètre parcouru sur un réseau de voies convergeant vers un centre (VERHOEF, 2005).
5 La formation des villes résulte parallèlement d’externalités positives. Les firmes, lieux de travail des ménages urbains, font notamment des choix de localisation qui entraînent différents types d’économies (ou effets) d’agglomération agissant comme une externalité marshallienne (HOTELLING, 1929 ; ANDERSON et al., 1992 ; VERHOEF et NIJKAMP, 2002). Les économies d’agglomération procèdent de trois types : les économies liées à la proximité de nombreux fournisseurs spécialisés, celles liées à la présence d’un bassin d’emploi spécialisé et stable, et celles liées à la diffusion des connaissances comme externalités technologiques (GAUTHIER et al., 2003). Nous nous intéressons à ce dernier groupe, plus précisément les échanges d’information au sens large entre salariés de firmes concurrentes, dont toutes tirent profit pour leur activité productive (information non codifiée).
6 Les contributions théoriques d’économie urbaine avec externalités négatives, qui mobilisent un cadre spatial explicite, sont déjà anciennes (KANEMOTO, 1980 ; FUJITA, 1989). En revanche, les économies d’agglomération ont été étudiées plus récemment avec des externalités négatives, en particulier de congestion (VERHOEF, 2005 ; ARNOTT, 2007 ; THISSEN et al., 2011) ou de pollution industrielle (VERHOEF et NIJKAMP, 2002, 2008 ; ARNOTT et al., 2008).
7 Le modèle monocentrique constitue alors un cadre privilégié pour l’étude de villes de quelques centaines de milliers d’habitants : un centre des emplois ou Central Business District (CBD) regroupe tous les emplois urbains, vers lequel convergent chaque jour les ménages actifs. La polycentricité constitue une hypothèse alternative raisonnable. Dans certaines agglomérations, le centre principal des emplois est complété d’un à plusieurs centres secondaires vers lesquels afflue une partie des travailleurs. De nombreuses études empiriques sur l’identification des centres urbains, essentiellement américaines, vérifient une telle hypothèse (ODLAND, 1978 ; ANAS et al., 1998), souvent pour des villes très peuplées comme Los Angeles (GORDON et al., 1986). La polycentricité n’est toutefois pas systématiquement vérifiée, notamment pour les villes européennes (RIGUELLE et al., 2007 ; MUNIZ et al., 2008).
8 Lorsqu’on s’attache aux effets des politiques environnementales dans un cadre analytique d’économie urbaine, la littérature empirique apparaît généralement moins fournie. Peu d’études vérifient l’impact d’une modification des coûts de transport sur l’étalement urbain via des subventions (SU et DESALVO, 2008 ; TANGUAY et GINGRAS, 2012). Plus éloignée de notre cadre d’analyse, la méthode des prix hédoniques (ROSEN, 1974) a en revanche fait l’objet d’une littérature abondante. Dans les études récentes ont été largement analysés les effets d’une réduction de l’exposition sonore (NELSON, 2004 ; DEKKERS et VAN DER STRAATEN, 2009) ou d’une amélioration de la qualité de l’air sur les valeurs immobilières en milieu urbain (KIM et al., 2003 ; ANSELIN et LE GALLO, 2006).
9 À l’échelle d’une agglomération de plus de 300 000 habitants, nous cherchons finalement à vérifier la pertinence d’un péage urbain kilométrique dans la lutte contre l’externalité négative de pollution atmosphérique, et nous en considérons l’impact connexe sur la maîtrise de l’étalement urbain. Nous intégrons parallèlement l’externalité positive que constituent pour les firmes les économies d’agglomération sous la forme d’échanges d’information entre salariés de firmes voisines. Dans un modèle de microéconomie urbaine monocentrique endogène (OGAWA et FUJITA, 1980), nous réintroduisons explicitement l’arbitrage du ménage actif entre consommation de sol et centralité, sa contrainte budgétaire étant augmentée d’une taxe kilométrique appliquée aux déplacements domicile-travail. Les firmes choisissent librement leurs quantités de travail et de sol pour leur production, conditionnant ainsi le niveau des économies d’agglomération dont elles bénéficient. Avec deux défaillances de marché, la taxation au dommage marginal n’est plus forcément celle qui maximise le bien-être social (VERHOEF et NIJKAMP, 2002). En raison des pertes limitées de bien-être par rapport au premier rang, nous nous concentrons, comme VERHOEF (2005), sur les politiques de second rang.
10 Nous préférons la taxe à un autre instrument environnemental. Pour taxer les seuls déplacements urbains, le péage, appliqué à un territoire limité, peut être décidé, mis en place puis évalué localement. Ce n’est pas le cas des permis d’émission négociables, distribués à l’année aux automobilistes pour des déplacements indéfinis (RAUX, 2007 ; BULTEAU, 2012). En interdisant la circulation dans les centres urbains aux véhicules les plus polluants, les normes peuvent éventuellement compléter la taxe. Toutefois, le niveau de la taxe peut être fixé localement ; votée nationalement, la norme concerne uniformément toutes les agglomérations au-delà d’un seuil de population. Les subventions aux transports constituent une alternative proche de la taxe : en diminuant le coût relatif du transport collectif par rapport à l’automobile, certains usagers sont incités à se reporter vers ce mode moins polluant (BORCK et WREDE, 2008 ; SCHMUTZLER, 2011). Toutefois, l’effet global des subventions sur la maîtrise de l’étalement urbain n’est pas prouvé (BRUECKNER, 2005).
11 En raison de l’absence d’effets de seuil près de la zone payante, nous retenons un péage kilométrique, au montant dû linéairement avec la distance, plutôt qu’un péage de zone ou cordon (MUN et al., 2003 ; VERHOEF, 2005). Nous discuterons toutefois en conclusion les résultats obtenus avec ces taxations alternatives.
12 Sous certaines conditions, notre modèle montre que l’introduction d’une écotaxe sous la forme d’un péage urbain kilométrique conduit simultanément à une réduction des émissions polluantes, à une meilleure maîtrise de l’étalement urbain et, ce qui est plus novateur, à un renforcement des économies d’agglomération dont bénéficient les firmes. Nous illustrons par une application numérique l’ampleur respective de ces effets.
13 L’article se découpe comme suit : en section 2, nous posons le cadre analytique de microéconomie urbaine à centre endogène, avec économies d’agglomération entre firmes comme première défaillance de marché. Dans la section 3, nous introduisons l’externalité de pollution atmosphérique associée aux déplacements. En section 4, nous corrigeons cette deuxième défaillance de marché par l’instauration d’un péage urbain kilométrique, et considérons l’impact de cet instrument sur les économies d’agglomération. Enfin, nous concluons.
- 2 - L’équilibre du modèle avec économies d’agglomération
14 Dans cette section, nous nous basons sur la configuration urbaine monocentrique à centre endogène avec économies d’agglomération d’OGAWA et FUJITA (1980). Comme VERHOEF et NIJKAMP (2004), nous posons a priori cette configuration dont nous vérifions les conditions de stabilité. Nous n’introduisons, dans un premier temps, ni l’externalité de pollution, ni sa correction par l’écotaxe.
2.1. L’équilibre résidentiel des ménages
15 Dans une ville linéaire, l’espace est homogène en tout point. La quantité de sol disponible en chaque localisation x est égale à 1. N ménages font un choix de localisation résidentielle. On se restreint à la ville fermée (N exogène), une hypothèse également adoptée par VERHOEF et NIJKAMP (2002, 2004, 2008) et VERHOEF (2005) [1].
16 Chaque ménage i, i ? [1, N], arbitre entre une surface de sol Si, acquise pour sa résidence en une localisation x au prix unitaire R(x) (ou rente foncière unitaire), et une fraction zi d’un bien composite z, le numéraire. Les N ménages sont localisés sur les parties extérieures des segments [?rmax, r0] et [r0, rmax], r0 constituant la frontière intérieure, limite du Central Business District ou CBD, et rmax la frontière extérieure de la ville. À toute distance x du centre (|r0| ? x ? |rmax|), le nombre de ménages est égal à n (x) (cf. Figure 1).
17 M firmes indicées j, j ? [1,M], emploient les N ménages individuellement offreurs d’une unité de travail, rémunérée au taux de salaire exogène w (constituant l’intégralité du revenu). M est endogène. Les M firmes sont localisées sur un segment [?r0,r0]. À toute distance x du centre (x ? [?r0,r0]) le nombre de firmes est égal à m (x). Au-delà de ?rmax et de rmax s’étendent les terres agricoles.
La ville monocentrique linéaire à centre endogène
La ville monocentrique linéaire à centre endogène
18 Nous considérons la partie droite du segment, sans perte de généralité. Les ménages supportent un coût unitaire privé de déplacement t entre leur lieu de résidence x et leur lieu de travail situé dans le centre des emplois, supposé proche de 0 [2]. Chaque ménage résidant en x et distant de son lieu de travail en 0 supporte donc un coût proportionnel équivalent à 2tx pour ses déplacements quotidiens, par exemple le coût en carburant et en entretien lié à l’usage de sa voiture. Il n’y a pas de composante fixe dans les coûts de déplacement : l’acquisition du véhicule notamment est antérieure. En outre, l’absence de congestion que nous n’introduisons pas comme troisième défaillance de marché garantit parallèlement la forme linéaire de ces coûts (consommation de carburant et temps de déplacement sont alors proportionnels au kilométrage parcouru). Compte tenu des hypothèses précédentes, le programme du ménage s’écrit :
19 sous la contrainte :
20 La fonction d’utilité peut être CES, à biens substituables ou complémentaires. Bien qu’intuitive, l’incorporation de substituabilité est cependant compliquée en raison des surfaces de sol endogènes ; la surface demandée par le ménage dépend de la distance au centre. Si ce résultat est attendu quand on relâche l’hypothèse de fixité du lot résidentiel, il compromet parallèlement la résolution analytique du modèle (VERHOEF et NIJKAMP, 2002, 2004). C’est pourquoi nous préférons retenir une fonction d’utilité à biens complémentaires dont l’expression reste exploitable :
21 ? et ? représentent les parts respectives de chaque bien dans la consommation. L’acquisition de plus grandes surfaces de sol s’accompagne de quantités plus élevées de bien composite : mobilier supplémentaire, charges accrues de chauffage, de copropriété ou de maintenance [3]. Avec des ménages identiques en termes de préférences et de revenus, les quantités d’équilibre en bien composite et en sol sont les mêmes pour tous. En raison de la complémentarité des biens, les ménages atteignent en tout lieu un niveau d’utilité d’équilibre u?, et ils consomment les quantités Si? = u?/? et zi? = u?/? telles que :
22 L’équilibre résulte d’un mécanisme d’enchères à la Alonso, où chaque ménage i propose une enchère Ei. La fonction d’enchère individuelle d’un ménage i localisé en x, Ei = ?? (x, u?), indique le prix le plus élevé que celui-ci est prêt à payer pour une unité de sol située à une distance x du CBD, x ? [r0,rmax], différente de la localisation qu’il occupe à l’équilibre. Cette fonction d’enchères requiert une utilisation alternative de la terre générant une rente constante et exogène ?a, la rente foncière agricole ou prix de réserve foncier. À la frontière rmax entre zone résidentielle et zone agricole, l’enchère des ménages est égale à la rente agricole. La contrainte budgétaire associée à l’utilité d’équilibre u? et les consommations optimales donnent la fonction d’enchère suivante, pour x quelconque et pour x = rmax :
u?/?
23 Comme dans ALONSO (1964), les propriétaires fonciers percevant la rente sont absents du modèle. On obtient ainsi une courbe de rente foncière fondant le prix unitaire du sol R(x) = ?? (x, u?), décroissante avec la distance au centre, l’éloignement requérant en contrepartie des coûts de déplacement plus élevés (cf. Figure 2).
Courbe de rente foncière unitaire (ménages seuls)
Courbe de rente foncière unitaire (ménages seuls)
24 En tout x ? [r0, rmax], le ménage à l’enchère Ei s’installe. Au-delà de la frontière rmax, ce sont les exploitants agricoles qui occupent le sol, acquis au prix ?a.
25 La condition d’équilibre tirée de (4.2) donne, si la condition (5.2) est satisfaite :
? + ??a
26 Le revenu doit être suffisant pour permettre à tout ménage, y compris depuis la frontière de la ville, de payer a minima ses déplacements domicile-travail.
2.2. L’équilibre de production des firmes
27 Les M firmes produisent chacune une fraction zj du bien composite. Le niveau de production zj est atteint : d’une part, par une combinaison entre une surface de sol Sj acquise en une localisation x au prix unitaire R(x) et une quantité Lj de travail rémunérée au taux de salaire unitaire w ; et d’autre part, par l’intensité des échanges d’information permis par une bonne accessibilité entre firmes voisines. Ces échanges sont mesurés par l’implantation des firmes en deux localisations quelconques x et y. L’accessibilité est alors source d’efficacité externe sous la forme d’économies d’agglomération décroissantes avec la distance entre x et y.
28 L’introduction de surfaces de sol dans la fonction de production entraîne deux conséquences majeures. Premièrement, l’usage du sol conduit à considérer l’étalement de M firmes sur un centre des emplois qui n’est plus sans dimension (spaceless) comme dans VERHOEF et NIJKAMP (2004), mais qui part de x = 0 et admet pour borne la frontière intérieure r0, au-delà de laquelle s’étend l’espace résidentiel ; deuxièmement, cet étalement nécessite, pour la formulation des économies d’agglomération, de considérer une distance explicite entre deux firmes [4].
29 Pour mesurer ces économies d’agglomération, nous introduisons une fonction d’accessibilité agrégée A(x) d’une firme localisée en x, « paramètre » de productivité affecté positivement par les échanges d’information. Le programme de la firme s’écrit :
x
30 sous contrainte technologique :
31 Suivant OGAWA et FUJITA (1980), nous commençons par définir l’accessibilité locale d’une firme localisée en x comme les échanges d’information dont elle bénéficie d’une autre firme localisée en y :
32 L’accessibilité locale dépend positivement, en premier lieu, d’un paramètre ? décrivant, sous la forme d’une constante d’accessibilité, des économies d’agglomération forfaitaires, indépendantes de la proximité entre deux firmes ; elle dépend négativement ensuite du paramètre ? représentant l’affaiblissement de cet effet lié à la distance (FUJITA et THISSE, 2003). La forme linéaire est discutable : nous aurions pu considérer une forme exponentielle inversée, qui engendre en revanche des centres des emplois multiples incompatibles avec la configuration monocentrique étudiée ici (FUJITA et OGAWA, 1982).
33 Pour chaque firme localisée en x, l’accessibilité agrégée est égale à la somme des accessibilités locales ; ce sont tous les échanges d’information dont bénéficie une firme localisée en x de ses voisines ; ils constituent l’intégralité des économies d’agglomération. Si l’accessibilité locale est linéaire, alors l’accessibilité agrégée est donnée par :
A(x) = [? ? ?|x ? y|] m (y) dy (7.2)
?r0
34 m (y) est le nombre de firmes localisées en y. Nous conservons la fonction de production spécifiée dans OGAWA et FUJITA (1980). La surface de sol requise pour les bureaux et la quantité de travail nous paraissent assez naturellement complémentaires comme facteurs de production. Il s’ouvrirait une discussion plus large avec VERHOEF et NIJKAMP (2002) où les intrants sont le travail et l’énergie consommée. Compte tenu de la nature des facteurs, nous préférons retenir une forme complémentaire, et zj devient :
35 ? et ? sont les intensités respectives en facteurs sol et travail dans la production. Les quantités de facteurs sont alors liées par (9.1). Avec une quantité de sol en tout lieu égale à 1, le nombre de firmes à toute distance x ? [0,r0] est donné par (9.2) :
?
36 Les firmes indifférentes à leur localisation à l’intérieur du CBD doivent atteindre le même niveau de profit d’équilibre, l’ajustement se faisant par des valeurs différenciées de A en fonction de x ; pour x ? y, on a : ?j (x) = ?j (y). L’équilibre résulte d’un mécanisme d’enchères, chaque firme j proposant une enchère Ej. La fonction d’enchère individuelle Ej = ?? (x, ?j?) d’une firme localisée en x indique le prix le plus élevé qu’une firme réalisant un profit ?j? accepte de payer à l’équilibre pour 1 m2 de sol. L’enchère s’obtient en utilisant (8.2) puis en remplaçant Sj et Lj dans (6) :
37 La condition d’équilibre de long terme impose ?j? (x) = 0. Pour zj ? 0, la relation précédente implique :
38 À chaque distance x ? [0,r0], la firme à l’enchère Ej occupe le sol. On obtient ainsi une courbe de rente foncière unitaire fondant le prix du sol pour un niveau de profit nul : R(x) = ?? (x, 0). La fonction d’enchère individuelle de la firme s’écrit :
2.3. L’équilibre du modèle avec économies d’agglomération
39 Dans ce paragraphe, nous décrivons l’équilibre de la configuration urbaine monocentrique avec économies d’agglomération, issu de la confrontation des ménages et des firmes sur trois marchés : les marchés du bien composite et du travail et le marché foncier.
40 Avec des biens complémentaires et des ménages identiques en termes de préférences et de revenus, est atteint un même niveau d’utilité d’équilibre u?, nécessitant la même combinaison de sol Si? et de bien composite zi?. À l’équilibre, cette demande totale N × zi? est égale à la production totale des firmes M? × zj?.
41 L’équilibre sur le marché du travail impose :
M? =
L?j? (11)
42 Les N ménages actifs sont employés par M? firmes individuellement demandeuses d’une quantité minimale Lj? de travail. Avec une seule technologie, les propriétés particulières de cette technologie impliquant notamment la relation (9.1) entre Sj? et Lj?, et la condition d’équilibre de long terme, les quantités utilisées de travail et de sol sont identiques pour toutes les firmes.
43 Trois séries de conditions sur le marché foncier sont requises à l’équilibre. La première formalise l’analyse graphique de la Figure 3 :
44 Dans le CBD, les firmes ont une enchère systématiquement plus élevée que les ménages (12.1), contrairement à la périphérie (12.2). À la frontière de la ville, on rappelle que l’enchère des ménages s’égalise au prix de réserve foncier (4.2).
45 m (x) est le nombre de firmes à une distance quelconque x du centre, n (x) le nombre de ménages en x. Il en découle la double condition suivante sur les lieux d’implantation des agents :
46 Avec une quantité de sol en tout point égale à 1, le nombre de firmes à une distance x du centre est inversement proportionnel à la surface de sol consommée, et le nombre de ménages dans le CBD est nul. On a une configuration inversée en périphérie.
47 Enfin, dans la ville entière, tout l’espace est occupé par les firmes et les ménages, alors que dans le CBD, l’espace est occupé par les seules firmes :
48 Ces trois séries de conditions indiquent que l’équilibre sur le marché foncier est conditionné à un mécanisme d’enchères entre les deux types d’agent pour l’acquisition du sol : en tout x, c’est l’agent à l’enchère la plus élevée qui s’implante (cf. Figure 3).
Courbe de rente foncière unitaire (ménages et firmes)
Courbe de rente foncière unitaire (ménages et firmes)
49 La courbe de rente foncière unitaire d’équilibre est maintenant telle que R? (x) = max {Ei, Ej} , x ? [0, rmax]. Chaque portion de courbe décrit l’enveloppe supérieure des enchères proposées. Dans le centre (x ? [0, r0]), les firmes soucieuses de regroupement pour bénéficier des économies d’agglomération ont une enchère Ej plus élevée que les ménages. Cette enchère est maximale en x = 0, là où les économies d’agglomération sont les plus fortes (la distance moyenne à la firme voisine y est minimale) : nous le montrons analytiquement plus bas. En périphérie (x ? [r0, rmax]), moins intéressées par une dispersion relative qui les isole, les firmes offrent une enchère moindre ; ce sont les ménages qui s’implantent.
50 Nous cherchons les valeurs d’équilibre Si?, zi?, n (x), r0, rmax, M?, Sj?, Lj?, m (x), A? (x), R? (x), variables endogènes, en fonction de N, w, ?a, variables exogènes, et des paramètres ?, ?, ?, ?, ?, ?.
51 La valeur d’équilibre de la frontière intérieure r0 peut être tirée de (9.1), (11) et (14.2) :
2?
52 Contrairement à ALONSO (1964), la taille du centre des emplois est endogène. Toutefois, la valeur de r0 ne dépend pas du coût unitaire de déplacement. Cette propriété est conditionnée à la complémentarité des facteurs. Pour la même raison, elle est aussi indépendante du taux de salaire w et de la rente foncière agricole ?a. La suite de la résolution conduit aux valeurs d’équilibre relatives aux ménages : en combinant (4.2), (11), (14.1) et (14.2), on obtient celle de la frontière extérieure :
53 Les valeurs d’équilibre des surfaces de sol, nombre de ménages et quantité de bien composite sont alors, si la condition (19) est satisfaite :
? (?w ? ?Nt)
? (? + ? (?a + Nt))
54 La frontière extérieure d’équilibre rmax augmente avec N et w, mais diminue avec ?a, tant que la condition (19) est vérifiée. Une augmentation de population entraîne un éloignement de la limite urbaine via un double mécanisme ; d’abord, à cause d’une pression généralisée sur les prix fonciers contraignant les exploitants agricoles en bordure de ville à abandonner des lieux où le prix de réserve est maintenant inférieur à l’enchère des ménages ; ensuite, via un éloignement de la limite r0 du CBD qui, en raison de la complémentarité des facteurs, dépend aussi positivement de N et repousse les ménages sur un segment résidentiel plus éloigné. Un taux de salaire supérieur relâche quant à lui la contrainte budgétaire, configuration favorable simultanément à une plus forte consommation de sol et à une capacité supérieure à payer pour les déplacements, deux comportements favorisant l’éloignement de la limite urbaine. Enfin, l’augmentation de la rente foncière agricole provoque à l’inverse une contraction de la ville, résultant de deux effets opposés : premièrement, en excédant l’enchère des ménages les plus éloignés, un prix de réserve majoré permet maintenant aux exploitants agricoles de s’implanter plus près ; deuxièmement, cette relocalisation des ménages à proximité du centre entraîne une hausse des prix dans toute la zone résidentielle, hausse exerçant comme effet contraire de repousser la frontière extérieure (à t inchangé). Ce deuxième effet est cependant moindre, et la valeur d’équilibre de rmax issue d’une augmentation de ?a traduit toujours une contraction de la ville.
55 Dans une ville linéaire, en raison de la complémentarité des biens, la surface de sol d’équilibre Si? demandée par le ménage ne dépend pas de la distance au centre (alors qu’avec des biens substituables, on aurait une relation croissante). Elle augmente avec le salaire mais diminue avec la population et avec la rente foncière agricole. Le premier mécanisme traduit à nouveau le relâchement de la contrainte budgétaire autorisant de plus grandes surfaces de sol, toutes choses égales par ailleurs. En revanche, une augmentation de population pousse les prix fonciers à la hausse et la consommation de sol à la baisse ; un tel phénomène est accentué par l’étalement du CBD qui contraint parallèlement les ménages sur un segment plus éloigné. De même, nous avons dit qu’une hausse du prix de réserve foncier impliquait une contraction géographique de la ville. Le même nombre de ménages doit donc désormais se partager, dans un espace restreint, de plus petites surfaces de sol, la taille du CBD, dans ce dernier cas, restant par ailleurs inchangée. La sensibilité de ces deux variables à t sera étudiée dans la section 4. À nouveau, ces résultats sont conditionnés à la forme particulière de la fonction d’utilité [5].
56 Le reste du modèle est résolu comme suit. L’égalisation des enchères des firmes et des ménages en x = r0 donne, d’après (4.1) et (10.3) :
57 On peut résoudre A(x) en r0 depuis (7.2), si la condition (21.2) est satisfaite :
2? Lj(21.1)
58 En remplaçant ensuite r0, Si? et zi? dans (20) par leurs valeurs d’équilibre en (15), (17.1) et (18), on obtient l’expression d’équilibre de Lj?, si la condition (21.2) est satisfaite :
59 Cette valeur peut être reportée dans l’expression de A(x) tirée de (7.2) pour obtenir la valeur d’équilibre de la fonction d’accessibilité agrégée, si les conditions (21.2) et (23.2) sont satisfaites :
2?N(2?? ? ??N)
60 Cette dernière condition doit être satisfaite sur toute la plage de valeurs de x à l’intérieur du CBD. À l’équilibre, les économies d’agglomération représentées par A? (x) forment une courbe en demi-U inversé autour du centre de la ville ; cette forme détermine également celle de l’enchère des firmes, dont la plus haute est proposée en ce point où l’externalité positive est maximale (cf. Figure 3).
61 A ? (x) augmente avec w et ?a. Avec la complémentarité des facteurs, un taux de salaire supérieur entraîne une baisse conjointe des quantités de travail et de sol. Comme d’après (15), la taille du centre des emplois est indépendante de w, il en résulte qu’un plus grand nombre de firmes s’implante sur le même territoire, poussant l’accessibilité et les économies d’agglomération à la hausse. Par ailleurs, en limitant la quantité de sol de chaque firme (les valeurs foncières augmentant partout dans la ville), une hausse du prix de réserve foncier agit de la même façon. L’effet d’une augmentation de population est en revanche ambigu. La sensibilité de A? (x) à t sera étudiée dans la section 4. Nous y évoquerons aussi les effets d’une hausse des coûts de déplacement pour un choix alternatif de fonction de production.
62 Enfin, la valeur de Sj? s’obtient en reportant la valeur de Lj? dans (9.1), si la condition (21.2) est satisfaite :
2? [? (?a + Nt) + ?w]
- 3 - La pollution des ménages, deuxième défaillance de marché
63 Dans cette section, nous introduisons une pollution émise par les déplacements domicile-travail des ménages actifs. Cette dernière est d’ordre sanitaire (polluants atmosphériques automobiles tels que les particules fines, dioxydes d’azote... à l’exclusion des GES), le dommage environnemental se concrétisant par une dégradation de la qualité de l’air. Nous étudierons la correction du dommage par une écotaxe en section 4.
3.1. Fonction de pollution
64 Par leurs déplacements en voiture individuelle, les ménages produisent des émissions polluantes entre une provenance quelconque x, x ? [r0, rmax], lieu de résidence, et une destination x = 0, lieu de travail. Les firmes restent considérées non polluantes dans leur activité productive. On suppose la pollution linéaire avec la distance [6]. La fonction de pollution est définie par les émissions liées à tous les déplacements depuis une localisation x. Puisqu’en tout x réside un nombre n (x) de ménages se déplaçant pour aller travailler chaque jour en x = 0, la fonction de pollution est donnée par :
65 avec k paramètre de pollution unitaire (valorisation des émissions polluantes au kilomètre parcouru). En remplaçant n (x) par sa valeur d’équilibre :
? (?w ? ?Nt)
66 La condition (19) doit être satisfaite. La fonction de pollution en une localisation quelconque x augmente avec k. Elle augmente également avec N. Nous avons souligné qu’une augmentation de population entraînait pour les ménages la consommation individuelle de plus petites quantités de sol. D’après (13.2), leur densité augmente, comme le nombre de déplacements domicile-travail. Le mécanisme est comparable en cas de hausse du prix de réserve foncier ?a. En revanche, un taux de salaire supérieur exerce l’effet inverse : le desserrement de la contrainte budgétaire autorise, toutes choses égales par ailleurs, de plus grandes surfaces de logement ; la densité de ménages diminuant, le nombre de déplacements aussi, conduisant à une fonction de pollution moindre.
3.2. Dommage total et coût social de la pollution
67 L’introduction d’émissions polluantes suppose la transformation du coût monétaire privé supporté par le seul automobiliste en un coût social plus large où on admet un dommage environnemental subi par la collectivité. On définit le dommage total DT1 comme la somme des fonctions de pollution pour toutes les localisations x ? [r0,rmax] :
DT1 = D? (x) dx (26.1)
r0
68 DT 1 représente la pollution totale émise par les déplacements domicile-travail des N ménages actifs. En remplaçant D? (x) par sa valeur d’équilibre en (25.2) :
69 Le dommage total augmente avec k. La sensibilité aux exogènes passe par les modifications de valeur de la frontière extérieure rmax et du centre des emplois r0. Nous avons indiqué qu’une hausse de w impactait rmax mais restait, d’après (15), sans effet sur r0 ; elle influe donc aussi positivement sur le dommage total, car la somme des fonctions de pollution qui le constituent s’applique à un segment [r0, rmax] plus long. Un prix de réserve foncier supérieur ?a influence rmax à la baisse, mais reste également sans effet sur r0, contribuant cette fois négativement au dommage total. Une augmentation de la population N exerce un double effet : d’une part, l’éloignement de la frontière rmax constaté plus haut implique, comme pour une hausse du taux de salaire, un dommage total majoré ; mais d’autre part, l’augmentation de la taille du centre des emplois r0, via la relation (15), repousse le territoire sur lequel s’appliquent les fonctions de pollution sur un segment [r0, rmax] plus éloigné. Nous vérifions néanmoins que l’effet net d’une augmentation de population sur le dommage total reste positif.
70 On définit ensuite c1 (x), fonction de coûts de déplacement supportés par un ménage résidant en x et se déplaçant pour travailler en x = 0 :
71 c 1 (x) représente les coûts privés de déplacement identifiés dans la contrainte budgétaire du ménage. Le coût total de déplacement CT1 est constitué de la somme des fonctions de coûts de déplacement des N ménages à toutes les localisations x ? [r0, rmax]. Comme les fonctions de pollution et de coûts de déplacement sont exprimées linéairement au kilomètre parcouru, la forme du coût total est déduite du dommage total en remplaçant simplement k par t :
CT1 = n (x) c1 (x) dx (27.2)
r0
72 On définit enfin le coût social total CST1 comme la somme du coût total et du dommage total :
73 Le coût social total étant linéaire par addition de CT1 et DT1, les effets d’une variation de N, w et ?a jouent dans le même sens.
- 4 - Péage urbain et optimum de second rang
74 Dans cette section, nous nous intéressons à la politique d’un régulateur local désireux de maximiser le bien-être social par réduction de la pollution automobile (par exemple, une collectivité locale autorité organisatrice de transports). Nous considérons les effets d’une taxe environnementale appliquée aux déplacements domicile-travail des ménages actifs ; d’une part, sur l’atteinte d’un objectif de réduction de la pollution telle que décrite précédemment ; et d’autre part, sur une meilleure maîtrise de l’étalement urbain, par le rapprochement de la frontière de la ville. Nous vérifions enfin que les effets du péage sur les économies d’agglomération dont bénéficiaient les firmes en situation de laisser-faire ne sont pas néfastes et deviennent même, aux conditions précisées, positifs.
4.1. L’équilibre avec écotaxe et deux défaillances de marché
75 Pour internaliser le dommage environnemental, nous élargissons la valeur du coût monétaire privé de déplacement à un coût généralisé incluant un coût environnemental additionnel par application d’une taxe. Nous ne retenons pas ici un coût en temps qui nous contraindrait à un arbitrage supplémentaire travail-loisirs-temps de déplacement à la VERHOEF et NIJKAMP (2004) [7].
76 Le programme de la firme non-polluante n’est pas modifié par l’écotaxe. Les hypothèses relatives au ménage restent inchangées, sauf la suivante : le régulateur local décide d’une taxe sous la forme d’un péage urbain kilométrique de montant unitaire ?, ? > 0, destiné à corriger le dommage environnemental provoqué par les déplacements domicile-travail en voiture individuelle. Les ménages actifs doivent désormais s’acquitter d’un montant d’écotaxe au kilomètre qui vient s’ajouter au coût privé tel que :
77 c 2 (x) est assimilé au coût généralisé de déplacement en voiture individuelle du ménage localisé en x.
78 La surface de sol d’équilibre demandée par un ménage i et le nombre de ménages à une distance x du centre deviennent, pour x ? [r0, rmax] et si la condition modifiée (19’) est satisfaite :
79 Résultat 1 : après mise en place d’un péage urbain kilométrique dans une ville monocentrique linéaire à centre endogène où les agents choisissent librement les quantités de sol, la surface de sol demandée à l’équilibre à toute distance du centre par un ménage quelconque i est inférieure à la surface en situation de laisser-faire, et le nombre de ménages augmente partout à l’intérieur de la ville.
80 Ce résultat est conditionné à la spécification particulière de la fonction d’utilité. En raison de la complémentarité des biens, la surface de sol reste indépendante de x et identique pour tous les ménages. En minorant la part du budget disponible pour le logement dans l’arbitrage entre consommation de sol et centralité, l’introduction du péage pousse les quantités d’équilibre en sol et en bien composite à la baisse.
81 La frontière extérieure de la ville devient :
82 Résultat 2 : l’instauration d’un péage urbain kilométrique dans une ville monocentrique linéaire à centre endogène où les agents choisissent librement les quantités de sol conduit à la densification de la ville par relocalisation d’une partie des ménages plus près du CBD. La taille de cette dernière zone reste inchangée.
83 La baisse des surfaces de sol individuellement consommées par les ménages entraîne, en toute localisation x ? [r0, rmax], une hausse de leur densité n (x). Comme la population est inchangée et que, d’après (15), la taille du CBD n’est pas impactée par une variation de t, il en résulte un effet négatif sur la frontière rmax : la ville devient plus compacte. De cette façon, la contrainte (5.2) modifiée par le passage de t à (t + ?) reste respectée.
84 La fonction d’accessibilité agrégée A? (x) devient, si les conditions (21.2) et (23.2) restent satisfaites :
2?N(2?? ? ??N)
85 Résultat 3 : aux conditions posées, la mise en place d’un péage urbain kilométrique dans une ville monocentrique linéaire à centre endogène où les agents choisissent librement les quantités de sol renforce les économies d’agglomération dont bénéficient les firmes à l’équilibre en tout point du CBD.
86 Le résultat 3 est dû à la sensibilité de chacun des facteurs à t : en raison de la complémentarité, une augmentation du coût unitaire de déplacement provoque une baisse conjointe des quantités d’équilibre de travail et de sol. En effet, le renchérissement du sol entraîne, en accord avec le résultat 2, l’installation d’un plus grand nombre de ménages à proximité du CBD, qui vient augmenter le prix du sol pour tous les agents. Cette hausse incite les firmes à en utiliser une plus faible quantité. Or, d’après (9.2), la densité de firmes en chaque point du CBD est inversement proportionnelle à la surface : elle augmente donc après le péage. En outre, la relation (7.2) indique un effet positif de la densité des firmes sur l’accessibilité. En d’autres termes, un plus grand nombre de firmes consomme individuellement de plus petites surfaces de sol sur un espace de taille inchangée car, nous l’avons dit, insensible à la variation de t, d’après (15). Or, les économies d’agglomération dépendent positivement du nombre de firmes car chacune d’entre elles bénéficie d’échanges d’information plus fréquents avec ses plus nombreuses voisines : l’externalité positive pour les firmes est donc renforcée par le péage.
87 Ce résultat reste conditionné à la forme fonctionnelle de la production et au fait que les firmes ne sont pas touchées par l’écotaxe. En particulier, la relation (15) est directement issue de la complémentarité entre facteurs. Le choix d’une spécification alternative compliquerait l’obtention des résultats. Par exemple, avec des facteurs substituables, la perte de la relation simple entre Sj et Lj en (9.1) ne permet plus la résolution analytique du modèle. L’introduction de substituabilité impliquerait qu’un péage, en provoquant une hausse du prix du sol qui pousse davantage de ménages vers le centre, favorise la substitution par les firmes d’une plus forte quantité de travail à une moindre quantité de sol ; il en résulterait, d’après (11) et avec N inchangé, une baisse du nombre de firmes utilisant individuellement moins de sol. La taille du CBD se trouverait donc, d’après (14.2), inférieure au cas de référence. D’un autre côté, cette baisse des surfaces impliquerait une hausse de la densité en firmes dans ce centre réduit. D’après (7.2), tout dépend de cette augmentation de la densité, qui vient accroître la valeur de la fonction d’accessibilité agrégée, relativement à la baisse de r0, borne supérieure de l’intervalle d’intégration dans l’équation. Avec des facteurs substituables, l’effet net du péage sur l’accessibilité, indéfini a priori, demanderait à être précisé par des simulations numériques adaptées.
88 Par ailleurs, si les firmes étaient elles aussi touchées par l’écotaxe, par exemple sous la forme d’une prise en charge partielle des frais de déplacement domicile-travail de leurs salariés, alors, dans le cas de facteurs complémentaires, la hausse du prix du sol provoquée par le péage conduirait de la même façon à une baisse conjointe des quantités consommées de sol et de travail et, d’après (15), à des firmes plus nombreuses sur un CBD de taille inchangée. Toutefois, la hausse des valeurs foncières serait ici limitée car les ménages, moins « surtaxés » dans leurs déplacements relativement à la situation précédente, chercheraient moins systématiquement à se rapprocher du centre. Les quantités de sol utilisées individuellement par les firmes baisseraient donc, mais moins que dans le cas de référence. L’augmentation de la densité en firmes se révèlerait moindre en tout point du CBD, et l’effet attendu sur l’accessibilité et les économies d’agglomération resterait positif, mais de plus faible amplitude.
89 Enfin, nos résultats sont liés au caractère endogène du nombre de firmes. Si ce dernier devenait exogène pour être en cohérence avec le nombre exogène de ménages, alors la fonction d’accessibilité perdrait toute sensibilité à la taxe. En effet, par définition de (7.2) et (9.2), elle continuerait à dépendre de Sj?, donc de Lj?, d’après (9.1). En revanche, si on inversait la relation (11), Lj? exprimé en fonction de N et de M deviendrait prédéterminé et perdrait toute sensibilité au coût unitaire de déplacement t, donc à la taxe après mise en place du péage. Cette dissociation parfaite entre la sphère des ménages et celle des firmes (plus de relation fonctionnelle entre le niveau des économies d’agglomération et celui des coûts de déplacement) ne rend pas l’instauration d’une taxe environnementale appliquée aux ménages aussi instructive que dans le cas de référence.
4.2. L’amélioration du bien-être social par la mise en place du péage urbain
90 Avec le péage, le régulateur cherche à maximiser le bien-être social des habitants résidant sur son territoire. On définit la fonction de bien-être social W par :
91 Le profit d’équilibre étant nul, W ne fait pas intervenir le programme des firmes. Avec une écotaxe visant la réalisation d’un optimum de second rang (compte tenu de l’existence de deux défaillances de marché), le régulateur peut procéder à la minimisation du coût social total tel qu’exprimé en (28.2), et le programme est équivalent à :
92 On cherche la valeur du coût généralisé de déplacement qui minimise le coût social total, soit, avec l’écotaxe, (t + ?). Le coût de déplacement unitaire t étant connu du régulateur (par exemple, le prix du carburant de l’année précédant la taxe, multiplié par la consommation unitaire moyenne du parc), il pourra en déduire le montant de péage ? à appliquer sur un réseau de voies.
93 L’annulation de la dérivée par rapport à (t + ?) donne la valeur optimale positive du coût généralisé de déplacement (34.1), si les conditions (34.2) et (34.3) sont satisfaites :
??2N2
??2N2 (? (kN ? ?) ? ?) (? (? + ??) + ??w) ?
??N (? + ??a)a a (34.3)
94 On vérifie que la valeur optimale de la taxe augmente avec le paramètre de pollution unitaire k. Elle augmente également avec le taux de salaire w, tant que la condition (34.2) est vérifiée. Ce n’est pas surprenant dans la mesure où le dommage total augmente lui-même avec cette variable. La taxe optimale augmente avec la taille de la population N, du moins jusqu’à une valeur seuil au-delà de laquelle une hausse supplémentaire de N exerce l’effet opposé. Ce résultat pourrait être lié au fait qu’une telle pression sur les prix fonciers révèle qu’il n’est plus nécessaire de taxer autant les déplacements pour les réguler (à taux de salaire inchangé). En effet, alors que la rente foncière unitaire R(x) continue à croître régulièrement avec N dans (1), la surface de sol individuellement demandée, s’adaptant à la baisse, tend vers zéro sans pouvoir prendre de valeurs négatives, tout comme le bien composite. Cette discordance entre forte hausse du prix unitaire et baisse limitée des quantités entraîne la saturation plus rapide de la contrainte budgétaire, même avec un taux de taxe en baisse. Enfin, l’évolution du taux de taxe optimale avec le prix de réserve foncier ?a est délicate à montrer analytiquement : on s’attend néanmoins à un effet opposé par rapport à w, car son effet sur les dommages et coûts totaux est négatif. Le montant de péage devrait diminuer avec ?a.
95 Considérer une ville circulaire au lieu de linéaire ne permet plus d’aboutir à une résolution analytique complète. En effet, dans les équations (9.2), (13.1) et (13.2), l’unité de sol de la ville linéaire du numérateur doit être remplacée par 2?x pour tenir compte de la circularité. Les équations (26.1), (27.2) et (28.2) sont modifiées en conséquence, avec des expressions de DT1 et CT1 sensiblement moins agréables, et une extraction du taux de taxe optimal par minimisation du coût social total impossible. Côté firmes, la résolution analytique est bloquée au niveau de l’équation (20) qui fait intervenir des formulations plus compliquées de A(r0), Si? et zi? ; il n’est donc plus possible d’obtenir analytiquement les valeurs de Lj? et Sj? qui permettent de boucler la résolution. Cependant, nous constatons que dans cette ville circulaire, la frontière de la ville, explicite car ne dépendant pas des deux dernières variables, prendrait avec le jeu de valeurs retenues pour l’application numérique ci-dessous une valeur plus représentative de la limite du pôle urbain avant péage de 1,7 km, au lieu des 99,3 km trouvés pour la ville linéaire.
4.3. Application numérique
96 Dans ce paragraphe, nous mettons en œuvre une application numérique en fixant des valeurs pour les variables exogènes et paramètres et en les intégrant aux formulations des variables endogènes d’équilibre. Le prix de réserve foncier ?a retenu est celui de terrains non encore urbanisables en bordure d’une agglomération de 250 000 ménages actifs (0,25 €/ m2/ mois-jours travaillés). Les 250 000 ménages travaillent 20 jours par mois. Le salaire quotidien est fixé à 100 € par jour travaillé. Le taux de pollution unitaire k est tiré des préconisations du rapport BOITEUX (2001) relatives au coût sanitaire de la pollution atmosphérique en milieu urbain dense (2,90 €2000 pour 100 véhicules.km soit 3,60 €2012). Nous fixons le coût unitaire de déplacement, avant taxation, à 50 €/ 100 véhicules.km, un montant cohérent avec le barème de remboursement de l’administration fiscale. Nous fixons ensuite les paramètres ? et ? à respectivement 250 et 0,01, ainsi que ?, ?, ?, ? à 2,5 ; 0,1 ; 1 et 1. Avec ce calibrage, la valeur optimale obtenue pour ? correspond à un niveau de taxation de 10 % du coût initial de déplacement, un surcoût représentant environ 3 litres de carburant supplémentaires aux 100 kilomètres. Pour respecter l’équilibre monocentrique, nous vérifions que ? ne prend pas une valeur trop basse par rapport à ? (FUJITA et THISSE, 2003). Nous pouvons par ailleurs montrer par des analyses de sensibilité de la taxe aux quatre derniers paramètres qu’un calibrage alternatif pour tous ces coefficients ne bouleverse pas l’échelle des valeurs obtenues pour le taux de taxe optimale [8]. Le report de ces valeurs dans (34.1) fournit un coût généralisé de déplacement (t+?) = 55 €/ 100 véhicules.km. Nous vérifions avec ce jeu de valeurs que les quatre contraintes préalablement identifiées sont satisfaites :
97 Les effets de la taxe optimale sur le dommage total, l’étalement urbain et les économies d’agglomération sont synthétisés dans le Tableau 1.
Impact d’une politique optimale (N = 250 000)
Variable | Situation de laisser-faire | Politique optimale |
(t+?) (€/ 100 véhicules.km) | 50 | 55 |
k (€/ 100 véhicules.km) | 3,6 | 3,6 |
CST1 (€/ jour) | 6 971 980 | 6 968 640 |
DT1 (€/ jour) | 468 267 | 426 713 |
rmax (km) | 99,1 | 89,8 |
r0 (km) A(0) (€/ jour) |
5,0 1181 |
5,0 1187 |
Impact d’une politique optimale (N = 250 000)
98 Dans une ville de 250 000 ménages actifs, une hausse optimale de 10 % du coût unitaire de déplacement par l’instauration d’un péage urbain kilométrique conduit à une baisse des émissions polluantes de 8,9 %, tandis que la ville se contracte de 9,3 %. La frontière, qui peut paraître reculée, doit être considérée comme celle de l’aire urbaine, sensiblement plus étendue que l’agglomération, et zone d’attraction maximale des ménages actifs. L’impact du péage sur les économies d’agglomération apparaît positif, via la fonction d’accessibilité, la valeur maximale de A(0) (au centre de la ville) passant de 1181,36 à 1187,20 €/ jour. Cette augmentation reste assez faible en pourcentage (+ 0,49 %). Avec une formalisation proche, VERHOEF et NIJKAMP (2004) trouvent une amplitude comparable de 0,47 %. Toutefois, leur effet apparaît négatif dans le cadre d’une politique d’optimum de second rang, où seule la taxe kilométrique est appliquée. Cette dernière décourage en effet les déplacements domicile-travail excédentaires, devenus plus coûteux, donc l’offre de travail supplémentaire par le ménage qui lui est liée, et qui favoriserait les économies d’agglomération [9]. L’impact positif d’un péage urbain appliqué aux ménages sur les économies d’agglomération des firmes dans un contexte d’optimum de second rang constitue donc, aux conditions précisées plus haut, un résultat novateur. Pour obtenir un effet de sens et d’amplitude exactement comparables aux nôtres chez VERHOEF et NIJKAMP (+ 0,49 %), il faut envisager une politique d’optimum de premier rang mobilisant un deuxième instrument environnemental, une subvention au travail. Dans ce contexte particulier, la taxe sur les déplacements appliquée simultanément, en encourageant des distances domicile-travail plus courtes, se montre favorable à une offre de travail supérieure par le ménage, puisque moins contrainte dans l’arbitrage temporel par des temps de déplacement réduits (en l’absence de congestion).
99 Si le régulateur n’a pas connaissance du taux de taxe optimale, il peut néanmoins mettre en place une politique environnementale avec des bénéfices en matière de qualité de l’air (cf. Tableau 2).
Impacts comparés de différentes politiques (N = 250 000)
Variable | Situation de laisser-faire | Politique modérée | Politique optimale | Politique volontariste |
(t+?) (€/ 100 véhicules.km) | 50 | 52,50 (+5 %) | 55 (+10 %) | 60 (+20 %) |
k (€/ 100 véhicules.km) | 3,6 | 3,6 | 3,6 | 3,6 |
CST1 (€/ jour) | 6 971 980 | 6 969 500 | 6 968 640 | 6 971 030 |
DT1 (€/ jour) | 468 267 | 447 241 | 426 713 | 394 587 |
rmax (km) | 99,1 | 94,4 | 89,8 | 82,7 |
r0 (km) | 5,0 | 5,0 | 5,0 | 5,0 |
A(0) (€/ jour) | 1181 | 1184 | 1187 | 1193 |
Impacts comparés de différentes politiques (N = 250 000)
100 Ainsi, une taxation deux fois plus faible, à 5 % au lieu de 10 (« politique modérée »), conduit également à une baisse conjointe et quasi-proportionnelle des émissions polluantes ( – 4,5 %) et de la frontière de la ville ( – 4,7 %). À l’inverse, dans un scénario de taxation deux fois supérieure, à 20 % au lieu de 10 (« politique volontariste »), les bénéfices en matière de réduction des émissions polluantes et de compacité continuent de jouer, mais dans des proportions inférieures à la surtaxation ( – 15,7 % par rapport à la situation de laisser-faire). Le coût total intégrant le surcoût des déplacements continue d’augmenter, faisant remonter le coût social total au-delà du minimum. L’effet du péage sur les économies d’agglomération devient néanmoins presque deux fois plus fort que dans le scénario de politique optimale (+ 0,95 %).
101 Nous avons enfin recalibré le modèle pour deux villes successivement plus petite (N= 50 000) et plus grande (N= 1 000 000) que celle du scénario de référence. Les valeurs des autres variables exogènes et paramètres ont été adaptées afin que le taux de taxe optimal reste égal, dans chaque cas, à 10 % du coût privé de déplacement (qu’on laisse inchangé à 50 €/ 100 véhicules.km, tout comme le paramètre k qui reste fixé à 3,60 €/ 100 véhicules.km). Dans ces deux variantes, nous vérifions que les gains obtenus sont un peu moins forts que dans le scénario de référence : respectivement - 8,4 et - 8,6 % pour la pollution atmosphérique, et – 8,7 et – 9 % pour l’étalement urbain. L’impact du péage urbain kilométrique sur les économies d’agglomération reste en revanche positif, respectivement à + 0,39 et + 0,48 %.
102 Nos paramètres, hors les variables exogènes discutées plus haut, ne présentent toutefois pas un degré de contrainte par la réalité très élevé. Un travail de collecte de données sur des villes réelles permettrait d’en arrêter les valeurs avec plus de précision. Faute d’avoir mené cet exercice, il paraît plus prudent de considérer comme acquis uniquement le sens de l’impact du péage urbain sur les économies d’agglomération, plutôt que la valeur chiffrée de cet impact. Celle que nous proposons ci-dessus doit davantage être envisagée à titre illustratif.
- 5 - Conclusion
103 Dans cet article, nous mesurons dans un cadre spatial l’impact d’une écotaxe destinée à internaliser les coûts externes de la pollution atmosphérique provoquée par les déplacements domicile-travail des ménages actifs. Dans cette ville monocentrique, la pollution est corrigée par un péage urbain de type kilométrique. Par rapport au cadre analytique standard de microéconomie urbaine, le relâchement de l’hypothèse des surfaces de sol exogènes pour les agents nous permet de confirmer deux premiers résultats : la mise en place du péage réduit les surfaces de sol demandées par les ménages, conduisant à une ville densifiée, et des déplacements et une pollution réduits. Par ailleurs, l’étalement urbain peut être contré en deuxième effet par une politique de réduction de la pollution. Dans une agglomération de 250 000 ménages actifs, le modèle calibré prévoit ainsi qu’une hausse optimale de 10 % du coût unitaire de déplacement par l’instauration d’un péage urbain conduit à une réduction de la pollution de 8,9 % et à une densification urbaine de 9,3 %, par la seule action de relocalisation des ménages les plus éloignés à proximité du centre.
104 Côté firmes, un troisième résultat apparaît, plus inattendu : en raison de plus nombreuses voisines consommant individuellement de plus petites surfaces de sol, le péage, quel que soit le niveau de taxation retenu, renforce les économies d’agglomération dont bénéficient les firmes à l’intérieur du CBD. Il s’agit d’un résultat novateur par rapport à VERHOEF et NIJKAMP (2004), où le péage utilisé comme instrument unique pour contrer deux défaillances de marché conduit à l’inverse à un affaiblissement des économies d’agglomération : – 0,47 % au niveau optimal, contre + 0,49 % dans notre modèle, aux réserves précisées plus haut quant aux valeurs faiblement contraintes par la réalité de certains de nos paramètres.
105 Nous devons aussi souligner la sensibilité de nos résultats aux formes retenues pour les fonctions d’utilité et de production. Ceux-ci sont en outre liés au type de péage choisi. Dans le cas du péage de zone, les coûts opérationnels élevés rendus nécessaires par la surveillance d’un territoire étendu (et plus seulement des accès) compromettent la rentabilité du système. Dans le cas du péage cordon, c’est sa localisation qui apparaît cruciale (MUN et al., 2003). Tandis que les ménages situés à l’intérieur du cordon restent sous-taxés par rapport à l’optimum, ceux situés juste au-delà apparaissent comparativement, à l’inverse, surtaxés. Ces effets spatialement hétérogènes du péage cordon militent en faveur du péage kilométrique, dont les meilleures performances sont confirmées, toujours dans un cadre monocentrique, par VERHOEF (2005) et DE PALMA et al. (2011).
106 Les résultats obtenus dans une ville polycentrique se révèleraient assez différents. En effet, une hausse des coûts de déplacement interviendrait au bénéfice de certains centres mais au détriment d’autres, la relocalisation des ménages et des activités vers des centres secondaires annulant une partie des effets positifs attendus de la compacité du centre principal (GAIGNÉ et al., 2012). MUN et al. (2003) confirment cette baisse d’efficacité d’un péage de type cordon dans une ville polycentrique. De nombreux auteurs s’intéressant au péage urbain continuent ainsi de s’appuyer, comme nous l’avons fait, sur une configuration monocentrique (VERHOEF et NIJKAMP, 2008 ; LIU et al., 2012).
107 Si ces résultats confirment l’intérêt des instruments environnementaux dans des contextes locaux de lutte contre la pollution, y compris lorsqu’une deuxième source de distorsion est à l’œuvre, des travaux ultérieurs devront consacrer l’usage du mode collectif comme alternative à la voiture individuelle. Le même cadre analytique serait à exploiter pour vérifier si une amélioration supplémentaire du bien-être ainsi qu’une meilleure maîtrise de l’étalement urbain pourraient être mis en avant par un report modal des ménages, ou si au contraire la baisse des coûts de déplacement provoquée par l’abandon de la voiture susciterait, à défaut d’une pollution supplémentaire, une reprise de l’étalement urbain par relâchement de la contrainte budgétaire.
Remerciements
108 L’auteur remercie Marc BAUDRY et Dorothée BRÉCARD pour leurs nombreux conseils. Il remercie également deux arbitres anonymes dont les suggestions l’ont beaucoup aidé à améliorer cet article.
Bibliographie
Références bibliographiques
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Mots-clés éditeurs : économies d'agglomération, accessibilité, péageurbain, étalement urbain, pollution
Date de mise en ligne : 21/07/2014.
https://doi.org/10.3917/reru.141.0003Notes
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[1]
Considérer une ville ouverte à population endogène est susceptible de déstabiliser l’équilibre monocentrique. Une hausse de population au-delà d’un seuil de transition se traduit par l’apparition d’un système urbain où les villes adjacentes sont équidistantes (FUJITA et MORI, 1997). Une telle configuration ne permet pas de mettre en évidence aussi nettement les effets d’une politique environnementale (VERHOEF, 2005).
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[2]
Admis par ALONSO (1964), cet artifice soutient l’hypothèse du taux de salaire exogène en ce sens qu’aucune firme, parce que plus centrale dans le CBD, n’est plus éloignée qu’une autre du lieu de résidence d’un ménage quelconque. Aucune n’a donc d’intérêt à proposer un salaire plus élevé pour attirer le ménage et compenser des coûts de déplacement domicile-travail supérieurs. Envisager la distance domicile-travail exacte conduirait à réduire légèrement les distances totales parcourues. Les effets d’une augmentation des coûts de déplacement suite au péage urbain, que nous étudions dans la section 4, joueraient donc dans le même sens, mais avec une amplitude réduite. Compte tenu des différences de tailles respectives du CBD et de la ville dans son ensemble, illustrées en section 4, cette réduction serait toutefois négligeable.
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[3]
Pour le ménage, nous parlons indifféremment de sol ou de logement.
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[4]
Certes, nous avons dit que du point de vue de la ville dans son ensemble, cette distance pouvait être considérée comme négligeable, assimilant pour tous les ménages leur lieu de travail dans deux firmes distinctes à un unique point au centre de la ville. En revanche, du point de vue des seules firmes, cette distance recouvre une réalité tangible sans laquelle il devient délicat d’envisager les effets bénéfiques de la proximité.
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[5]
Le choix d’une fonction d’utilité à biens substituables plutôt que complémentaires aurait compromis la résolution analytique. En effet, la relation simple (3) entre les quantités de sol et de bien composite qu’autorise la complémentarité ne tient plus. Comme la substituabilité implique qu’une plus grande quantité de sol s’accompagne d’une moindre quantité de bien composite, il existe à toute distance du centre une infinité de combinaisons des deux biens permettant d’atteindre le même niveau d’utilité. Certes, la tangence de la courbe d’indifférence décroissante et convexe dans un plan {Si, zi} avec la droite de contrainte budgétaire garantit l’unicité de la combinaison {Si?, zi?} d’équilibre (FUJITA, 1989). En revanche, ces deux valeurs n’admettent plus d’expression analytique simple. Un premier niveau de résolution conduit à remarquer que la surface de sol demandée par le ménage augmenterait avec la frontière de la ville rmax (dont on n’obtient pas non plus d’expression simple), alors que la quantité de bien composite consommée diminuerait toutes choses égales par ailleurs. Dans ce cas de figure où il faudrait considérer rmax comme donnée au premier stade de l’interprétation (car sans forme analytique évidente), la valeur d’équilibre du sol diminuerait avec la population.
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[6]
L’hypothèse d’émissions polluantes linéaires avec la distance est défendue par VERHOEF et NIJKAMP (2004). Elle nous fait admettre deux simplifications : l’une concerne les premiers kilomètres effectués moteur froid par le véhicule quittant le domicile, que nous ne considérons pas comme plus polluants que les suivants ; l’autre est relative, à nouveau, à l’absence de congestion sur l’ensemble du parcours, qui ne vient pas perturber la vitesse moyenne de déplacement.
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[7]
Nous sommes parallèlement conscients que ce choix conduit probablement à sous-estimer le bien-être social, dans la mesure où après l’instauration du péage, une baisse de la congestion serait sans doute associée à celle de la pollution (comme cela a été vérifié à Londres). Aucune réduction des temps de déplacement n’est valorisée ici.
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[8]
Les résultats des analyses de sensibilité aux paramètres sont disponibles auprès de l’auteur.
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[9]
Nous rappelons qu’à la différence de VERHOEF et NIJKAMP (2004), notre cadre analytique ne prévoit pas d’arbitrage travail/ temps de déplacement/ loisirs.