Couverture de RERU_114

Article de revue

Les Missions de Police routière de la Sûreté du Québec : entre politique publique, logique territoriale et contraintes économiques

Pages 765 à 787

Notes

  • [*]
    L’auteur tient à remercier tout particulièrement Francis PELLETIER, Robert MACMANUS, Louis PELLETIER, Pierre TOULOUSE et Christian SIMARD de la Sûreté du Québec, dont l’aide s’est révélée fort précieuse et sans qui cette recherche n’aurait pu aboutir. Ce manuscrit a également bénéficié des commentaires et des suggestions de deux référés anonymes. L’auteur reste seul responsable des erreurs qui subsisteraient dans cette contribution. Une première version de cet article a fait l’objet d’une présentation lors du XLVIème colloque de l’ASRDLF, qui s’est tenu en juillet 2009 à Clermont-Ferrand, au sein de la session économie de la sécurité routière.
  • [*]
    Première version reçue, novembre 2009 ; version finale, juin 2010.
  • [1]
    - Il s’agit du projet ROSIPOLIS, que la commission permanente franco-québécoise a reconduit par trois fois (2003-2008). Il a associé dans le cadre d’échanges bilatéraux des acteurs institutionnels intervenant dans le domaine de la sécurité routière.
  • [2]
    - Nous comprenons ici la notion d’activité productive au sens large (conception, production, commercialisation) et non pas réduite à la seule activité de production.
  • [3]
    - Une version modifiée du modèle de PORTER considère une 6ème force concurrentielle. Elle est relative à la dimension politique. Or, pour le cas d’étude investigué ici, la nature de cette force concerne l’ensemble de l’organisation, du fait même de sa nature. Pour cette raison, nous ne distinguerons pas cette 6ème force des précédentes.
  • [4]
    - En effet, des organisations administratives peuvent disposer de prérogatives autorisant une activité de policing.
  • [5]
    - Ministère de la Sécurité Publique du Québec, La desserte policière municipale et provinciale au Québec : profil organisationnel 2008, Direction de la prévention et de la lutte contre la criminalité, 2009.
  • [6]
    - La loi de police définit des niveaux de service, lesquels précisent à la fois les obligations de service et les services de police concernés.
  • [7]
    - En fait, le service de base est à contrat avec l’ensemble des municipalités desservies. L’auteur doit cette remarque à M. P. TOULOUSE.
  • [8]
    - Selon l’article 70 de la loi de Police, un corps de police municipal doit fournir, sur le territoire relevant de sa compétence, un niveau de services. Le niveau de services dépend de l’importance de la population à desservir. 5 niveaux différents concernent les municipalités. Ces niveaux de services définissent les obligations du corps de police concernant les missions de gendarmerie, des services d’enquêtes, des mesures d’urgence et des services de soutien. Seule la SQ est habilitée à assurer le niveau 6 de services, qui comprend, entre autres, la protection de l’Assemblée Nationale et des personnalités internationales, la cybersurveillance ou encore la coopération internationale. Le lecteur pourra consulter avec profit, Les règlements concernant la police, Editions Yvon Blais : Cowansville, 7ème Edition, 2003.
  • [9]
    - Cette part s’établissait à 20 % environ en 2001.
  • [10]
    - Sûreté du Québec, Plan d’organisation supérieure, septembre 2004.
  • [11]
    Le lecteur pourra se reporter à la section du règlement sur la somme payable par les municipalités pour les services de la Sûreté du Québec (Loi sur la police), www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca. Il y trouvera à la fois la formule du calcul et les bases de la richesse foncière uniformisée utilisées comme taux multiplicateurs.
  • [12]
    - En effet, certains citoyens payaient donc deux fois. Une première pour le financement du service de police municipal et une seconde pour la SQ qui assurait entre autres des services pour les municipalités qui refusaient de se doter d’un corps de police.
  • [13]
    - Avant cette loi, les MRC disposaient du choix de constituer leur corps de police municipal ou de passer sous la juridiction de la SQ.
  • [14]
    - Même si les policiers disposent d’une formation similaire, la nature du travail réalisé et les expériences sont bien distinctes.
  • [15]
    - Nous avons pu constater sur le terrain les conséquences de la réorganisation territoriale, notamment concernant la MRC de Drummondville.
  • [16]
    Conseil de surveillance des activités de la Sûreté du Québec (2002), Plan stratégique 2002-2005 du conseil de surveillance des activités de la Sûreté du Québec. Le mandat de celui-ci n’a pas été renouvelé.
  • [17]
    Ministère de la Sécurité Publique, 2000, Vers une police plus communautaire, Politique ministérielle, Québec, décembre, 34 pages.
  • [18]
    - 3e Forum des comités de sécurité publique (2006), Pour une vision commune, de la stratégie par l’action, Actes du Forum, Saint-Hyacinthe, 8, 9 et 10 novembre 2006, Fédération Québécoise des Municipalités, Union des Municipalités du Québec.
  • [19]
    - Sûreté du Québec, 2006, Guide d’information à l’intention des membres des comités de sécurité publique, janvier, 30 pages.
  • [20]
    - Le plan de parrainage consiste à assigner un policier à un espace client. Il s’agit de créer une présence policière familière définie comme l’assignation constante dans un espace temps continu des patrouilleurs et des enquêteurs dans un secteur géographique donné. Sergent Guy CHÂTEAUNEUF, coordonateur en police de proximité, Plan de Parrainage, Sûreté du Québec, Poste de la MRC de Drummond, janvier 2004.
  • [21]
    De nombreux articles publiés par la presse québécoise au milieu des années 2000 témoignent de l’inquiétude des maires à l’égard de la prise en charge par la SQ des missions de police. A titre d’exemple, le lecteur pourra se référer à l’article intitulé « Refonte des services policiers, La SQ n’est pas à la hauteur », paru le 27 février 2006 dans Le Quotidien, p. 15. Certaines municipalités exprimaient ainsi leur volonté de reconstituer leur corps de police. Selon le rapport annuel de gestion de la SQ, ces craintes semblent être levées dans une certaine mesure compte tenu du renouvellement des ententes de services et la signature de protocoles d’entente dont la grande majorité concerne la sécurité routière (SQ 2009 (a), p. 56).
  • [22]
    - L’auteur remercie ici un des référés d’avoir attiré mon attention sur l’importance de la culture locale de la gestion des services publics au Canada.
  • [23]
    - Lors de notre visite de l’école, nous avons pu prendre connaissance à la fois des moyens mis en œuvre pour la formation générale du policier (la municipalité de Nicolet sert de lieu de formation de terrain pour les futurs policiers), mais également pour les missions de police routière. L’école nous a également transmis l’ensemble des documents relatifs aux modules de formation en sécurité routière.
  • [24]
    - Depuis 2009, les autorités québécoises expérimentent un projet pilote de cinémomètres photographiques automatisés. Les parlementaires doivent se prononcer au cours de l’automne sur l’adoption de cette intervention. Le ministère des transports du Québec y travaille et doit remettre un rapport d’évaluation sur cette expérimentation pour le mois de juin 2010.
  • [25]
    - Le lecteur pourra se référer aux documents suivants concernant la mise en œuvre d’une nouvelle politique de sécurité routière par le Service de Police de la Ville de Montréal, WHITE A., TOUTANT R., 2006, Structure et mode opérationnel de la section circulation, coordination, motards, Service de Police de la Ville de Montréal, 24 janvier 2006 ; Section recherche et planification, Division de la sécurité routière et de la circulation, 2006, La sécurité routière et la circulation à Montréal, Vision et orientations du SPVM 2006 à 2010, Service de Police de la Ville de Montréal, 24 janvier 2006.
  • [26]
    - ADPQ, 2006, Vers une stratégie provinciale en sécurité routière, Association des Directeurs de Police du Québec, Août, 27 pages.
  • [27]
    - Sûreté du Québec, 2007, Énoncé d’orientations en matière de sécurité routière 2006-2010, Freinons la Tendance, document interne.

- 1- Introduction

1 Les conflits générés par les différents usages de la route trouvent partiellement une solution dans l’élaboration d’institutions spécifiques telles que les règles d’usages et les réglementations qui sont consignées, entre autres, par le Code de la route (DEMSETZ, 1972). Or, pour qu’elles puissent produire les effets attendus, la mise en œuvre effective de moyens appropriés s’avère nécessaire. En cela, les organisations policières, par leurs prérogatives, se trouvent de fait au cœur de la politique publique de sécurité routière.

2 Cependant, le manque d’intérêt et une connaissance peu développée expliquent sans doute l’image caricaturale qui est apposée aux missions de police routière. Il s’agirait essentiellement de répression. Or, une étude minutieuse des missions des organisations policières démontre que cela n’est pas le cas. Les missions de police routière comprennent à la fois des actions répressives liées à l’application nécessaire du Code de la route, des interventions relevant de l’éducation routière, mais aussi des services rendus auprès des usagers de la route (CARNIS et al., 2006). La réalisation de ces différentes missions nécessite de réelles qualifications professionnelles pour les agents qui en ont la charge.

3 Une coopération scientifique initiée au cours des années 2003-2008 avec les autorités québécoises [1] intervenant dans le secteur de la sécurité routière nous a conduits tout naturellement à étudier les organisations policières québécoises. Cet intérêt marqué pour les activités de police routière au Québec s’explique entre autres par une réflexion initiée antérieurement à la fois sur le policing de la route favorisant la comparaison internationale et sur les modalités d’application du Code de la route. Ainsi, nous avons effectué 8 séjours d’une semaine environ, dont la moitié a été consacrée aux organisations policières (Sûreté du Québec (SQ), Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM)). De nombreuses visites ont permis également d’échanger avec les organisations intervenant avec ces services de police (Ecole Nationale de Police du Québec, Ministère des transports, Société d’Assurance du Québec, Ville de Montréal, milieu académique...). Le cadre de ces échanges a aidé grandement à la réalisation de ce travail de recherche en facilitant l’accès aux archives, aux documents internes et par la réalisation de nombreux entretiens semi-directifs. Plus de cinquante entretiens ont été réalisés. Notre protocole d’enquête a suivi la méthode de recherche traditionnellement employée pour une étude de cas (YIN, 2009).

4 Cet article constitue une contribution à l’étude des missions de police routière, lesquelles font l’objet de quelques rares recherches. Ce relatif délaissement s’explique, en partie, par l’intérêt qui est porté, en premier lieu, aux analyses relatives aux activités criminelles et aux missions de sécurité publique. Quand bien même les enjeux en termes de vies sauvegardées dans le domaine routier seraient sans commune mesure avec ceux des autres formes d’actes illégaux, l’étude du policing de la route a suscité et suscite peu d’investigations.

5 La première partie de cette contribution met en évidence l’existence d’une importante littérature relative à l’analyse économique des organisations policières. Toutefois, ces études qui mobilisent une approche classique et utilisent certes des concepts éprouvés se révèlent insuffisantes lorsqu’il s’agit de comprendre l’évolution des organisations. La mobilisation du modèle de PORTER permet de réintroduire les contraintes environnementales et les enjeux internes à l’organisation. Cette approche n’a pas pour ambition de proposer un modèle de compréhension complet de l’évolution organisationnelle. Il s’agit seulement de réintroduire des dimensions négligées par l’approche traditionnelle. La seconde partie constitue une application de ce modèle au mandat de sécurité routière de la Sûreté du Québec (SQ), qui est le plus important corps de police au Québec en termes d’effectifs et de missions. Cette relecture de l’évolution de la SQ et de ses modalités s’efforce de relier la prise de décision et le contexte dans lequel elle s’inscrit, ce qui permet de donner un éclairage particulier sur cette évolution et de mobiliser des outils affinés pour comprendre le changement organisationnel.

- 2- Repenser les interventions de l’organisation policière : contraintes économiques, enchâssement territorial et politique publique

6 Il existe une importante littérature consacrée à l’analyse économique de l’organisation policière. Celle-ci s’inspire principalement d’une approche classique des organisations en privilégiant les considérations productives et d’efficacité. Or, les interventions des agences policières s’inscrivent dans un environnement structuré et structurant pour l’agence policière. Du fait de cette incapacité des approches classiques à penser l’environnement, le modèle stratégique de PORTER semble un moyen de réintroduire cette dimension oubliée.

2.1. L’agence policière : une organisation économique certes, mais pas seulement...

7 L’approche économique classique conçoit l’agence policière comme un lieu de production de services à la population. Son objectif consisterait en la détermination d’un programme économique devant permettre l’allocation optimale des ressources (HEYER et al., 2008 ; DRAKE et SIMPER, 2003 ; DIEZ-TICIO et MANCEBON, 2002 ; GREEN, 1984). Il s’agit donc dans cette perspective de gérer au mieux les contraintes économiques, de gérer les ressources (effectif de policiers, par exemple) pour obtenir des productions (heures de surveillance d’un réseau routier) ou des réalisations (nombre d’infractions au Code de la route relevées), voire l’obtention d’impacts (réduction du taux de violation des limitations de vitesse, par exemple).

8 Cette perspective explique, en partie, pourquoi certains travaux se sont efforcés d’étudier les conditions productives des agences policières pour déterminer l’existence éventuelle de rendements d’échelle décroissants permettant ainsi de juger de l’efficacité et de l’opportunité de procéder à des fusions de juridictions ou d’organisations policières (FINNEY, 1997 ; CORDNER, 1989 ; GYIMAH-BREMPONG, 1987 ; POPP et SEBOLD, 1972). D’autres travaux ont analysé les implications économiques liées à l’accroissement de la taille des organisations policières, notamment concernant le nombre et la qualité des services offerts aux populations (LANGWORTHY et HINDELANG, 1983 ; OSTROM et al., 1978 ; OSTROM et SMITH, 1976). La prise en compte de la dimension économique des interventions policières a conduit tout naturellement à s’interroger sur les coûts de production des services policiers (EDMONDS et MCGREADY, 1994), l’importance des relations contractuelles avec leurs donneurs d’ordre (MEHAY, 1979 ; KIRLIN, 1971), de prendre en compte également les stratégies déployées par les organisations policières (SHOUP, 1972) et leur contexte de réalisation (CRANK, 2000), tout en en se gardant de conférer une trop grande importance et un trop grand pouvoir aux instruments de mesure des performances (BRUNETTO et FARR-WHARTON, 2005 ; HENDON III, 2005).

9 Outre les considérations préalablement mentionnées concernant les modalités contractuelles de réalisation des prestations, les organisations policières sont enchâssées dans des territoires, à savoir leur juridiction d’intervention. Si l’on suit l’approche de WEBER, elles disposent sur celle-ci d’un monopole de l’utilisation de la force légitime. Le caractère légitime de l’utilisation de la force ne sera pas discuté ici, quand bien même cette dimension s’avère d’autant plus cruciale dans une société devenue plus hétérarchique, et au sein de laquelle les questions de gouvernance s’imposent dans un contexte de réformes où l’intervention de l’agence policière se conçoit désormais plus comme une offre de services qu’une imposition de la force aux citoyens (WOOD et SHEARING, 2007 ; CARNIS, 2006, 2005). La dimension territoriale de l’intervention de l’agence policière s’avère cruciale pour plusieurs raisons. Premièrement, la position de monopole peut s’avérer plus ou moins prégnante. Certaines agences policières disposent d’une situation de monopole dans la mesure où elles sont les seules à intervenir sur le territoire. Même si l’Australian Federal Police (AFP) peut intervenir dans le cadre d’enquêtes complexes, le New South Wales Police Service dispose d’importantes prérogatives sur sa juridiction. D’autres disposent d’un monopole sur leur juridiction, mais peuvent être mises en situation de concurrence. Ainsi aux États-Unis, certains gouvernements locaux peuvent contractualiser leurs activités de sécurité avec des agences de police privées, des corps de police d’autres municipalités, avec le bureau du shérif, voire avec les polices d’État (JONES et NEWBURN, 2002 ; FALCONE et WELLS, 1995 ; MEHAY, 1979). Des évolutions similaires sont également constatées en Europe (SOUTH, 1994). Enfin, la coexistence de services sur des juridictions séparées (cas de la France avec la Gendarmerie Nationale et la Sécurité Publique), lesquelles peuvent être redéfinies, entraîne inévitablement la comparaison entre les organisations, voire une forme de concurrence, sur l’offre de services proposés aux citoyens, mais aussi sur les ressources assurant leur fonctionnement. Enfin, la superposition de différents niveaux de services peut également se produire sur une même juridiction, comme au Québec avec les mandats provinciaux ou aux États-Unis avec les prérogatives des agences de police fédérales (FBI, ATF, DEA...) (ZAGLIA et FRÉMONT, 2007, p. 20). Deuxièmement, les spécificités territoriales affectent également l’organisation productive de l’agence selon l’importance de la superficie de circonscription, sa composition socioéconomique et ses caractéristiques urbaines (WEISHEIT et al., 1994 ; MARENIN et COPUS, 1991 ; FUJII et MAK, 1980 ; MLADENKA et QUAILE HILL, 1978).

10 L’activité productive de l’agence policière s’avère à la fois spécifique et sensible, puisqu’il s’agit d’un service qui consiste à assurer l’ordre et la protection des propriétés et des individus. Une dimension politique accompagne inévitablement le fonctionnement de l’organisation, son évolution, mais conditionne également ses modalités d’intervention (CARNIS, 2006, 2005 ; HAMELIN, 2006 ; KENDALL, 2005 ; LITHOPOULOS et RIGAKOS, 2005 ; VIRCOULON, 2005 ; RIGAKOS et PAPANICOLAOU, 2003). En somme, les considérations économiques et politiques cohabitent dans le cadre d’interactions et de dimensions plus ou moins complexes (idéologie, construction de l’État, politique de réforme). La compréhension de l’intervention de l’agence policière nécessite donc de prendre en compte dans l’analyse non seulement l’environnement institutionnel dans lequel elle intervient, mais aussi les particularités de son agencement organisationnel (degré de spécialisation, champ d’intervention, mécanismes de contrôle interne et externe) (MAGUIRE, 2003).

11 Une approche travaillant à la fois sur les structures de l’organisation et sur leur mise en relation avec leur environnement se révèle donc indispensable pour pouvoir saisir l’ensemble des enjeux associés à la réalisation des missions de police, dont le mandat de sécurité routière. Cette approche souligne à la fois l’importance d’une contingence environnementale et une complexité interne à l’organisation, approche qui ne peut se contenter d’une perspective mécanique, voire balistique, de son fonctionnement (CHAPELL et al., 2006). L’étude des conditions de l’insertion environnementale de l’organisation policière revêt également une importance considérable dans la mesure où elle n’agit pas seule et où elle ne peut intervenir seule. La bonne réalisation de ses interventions dépend pour beaucoup de sa capacité à générer des comportements coopératifs de la part de nombreux acteurs avec qui elle se retrouve régulièrement en contact (WOOD et SHEARING, 2007).

2.2. La mobilisation du modèle stratégique de PORTER pour répondre aux enjeux de l’agence policière

12 L’approche que propose le modèle de PORTER peut aider, nous semble-t-il, à intégrer le double impératif représenté par la prise en compte du fonctionnement interne de l’organisation et l’intégration des influences environnementales pour saisir l’organisation policière et ses orientations stratégiques.

13 Dans l’analyse de PORTER, l’organisation est articulée autour d’un ensemble imbriqué d’activités de base et de fonctions support en vue de la réalisation de l’activité productive, qu’il désigne par chaîne de valeur [2]. Cette chaîne de valeur résulte entre autres d’un processus de rationalisation, de l’histoire de l’organisation, de choix stratégiques passés et présents, et de conditions économiques propres au secteur d’intervention (PORTER, 2004 [1985], p. 36). Cette structuration interne de l’organisation implique ainsi une certaine inertie interne avec laquelle doit composer toute réorganisation stratégique. Par exemple, le développement de missions de patrouille routière peut nécessiter l’augmentation du nombre de véhicules utilisés par l’organisation, ou encore de réfléchir au partage du parc existant afin d’assurer au mieux les différentes missions. L’intégration d’une nouvelle technologie requiert la mise en place d’une politique de formation du personnel au bon usage de l’instrument, de penser à la réorganisation temporaire de l’engagement du personnel absent lors de ces politiques de formation, de réfléchir aux évolutions du métier, d’expliquer les avantages et les exigences de l’utilisation de cette nouvelle technologie, et de communiquer sur les objectifs. En somme, il s’agit de préparer et d’accompagner l’évolution. Enfin, l’incorporation de nouvelles missions ou de nouveaux personnels exige de réfléchir à l’intégration de cette nouvelle activité au sein de la chaîne de valeur.

14 Le modèle de la concurrence de PORTER distingue cinq forces, qui constituent autant de vecteurs de pression en action sur l’organisation (Figure 1). Elles constituent également autant de vecteurs de changements ou de verrous à l’innovation. Il s’agit de forces concurrentielles [3]. Dans notre analyse, elles sont réinterprétées comme autant de canaux de communication, des liens plus ou moins structurés et formalisés, par lesquels s’établissent des relations de différentes natures (coopératives, conflictuelles, neutres...) et d’intensité inégale.

Figure 1

Le modèle de la concurrence de PORTER

figure im1

Le modèle de la concurrence de PORTER

15 L’organisation et la structuration du secteur d’intervention représentent un premier ensemble de relations qui peuvent être établies avec d’autres agences policières ou non-policières [4], avec lesquelles elle peut se retrouver ou non, ou seulement partiellement en concurrence. Ces relations de rivalité peuvent également être circonscrites à certaines actions, tandis qu’elles peuvent être coopératives et susciter des alliances face à une menace commune.

16 (1) Il reste que la rivalité entre les organisations ayant une activité de policing de la route s’avère largement encadrée et structurée institutionnellement, dans la mesure où elles disposent d’un monopole d’intervention sur un territoire donné et où leur mandat est défini par des autorités extérieures. L’autonomie dont dispose l’agence policière pour améliorer, diversifier ses services afin de pouvoir ensuite les offrir à sa « clientèle » est fortement encadrée. Toutefois, l’évolution de la desserte policière québécoise met en évidence la possibilité de changements conséquents qui ont affecté le secteur de l’activité policière. Ainsi, le processus de fusion, plus ou moins bien accepté, qu’ont connu certaines municipalités québécoises a conduit à la redéfinition des juridictions, la fusion de certains corps et la définition de nouvelles relations contractuelles. Le caractère transnational ou transprovincial de certaines formes de criminalités (drogues, terrorisme, crime organisé) ou d’enjeux de sécurité et de risque sanitaire s’explique par l’ouverture des sociétés et des économies (accords de libre-échange nord-américain, par exemple), mais aussi par l’organisation institutionnelle du pays (organisation fédérale, gouvernements locaux). Cela peut conduire à la mise en œuvre de coopérations plus ou moins formelles (TISPOL en Europe en matière de sécurité routière assure essentiellement un rôle de coordination des actions, d’identification et d’échange des bonnes pratiques entre les différents pays membres, de coopération avec la Gendarmerie Royale du Canada, et de coopération entre les corps policiers). La dimension intrasectorielle de la concurrence oblige à prendre en compte la taille relative des organisations, leur différenciation (services offerts), mais aussi les évolutions possibles du secteur.

17 (2) L’existence de menaces externes ou d’entrants potentiels sur le secteur d’intervention de l’organisation constitue une autre dimension de l’action concurrentielle. Bien que l’organisation policière bénéficie d’un monopole sur sa juridiction, des évolutions pouvant modifier le degré de protection de son secteur d’intervention restent possibles. La dynamique de développement qui accompagne la présence du secteur privé dans le domaine de la sécurité et de la sûreté apparaît comme une évolution majeure dans l’ensemble des pays occidentaux (gardes privés, système de surveillance...).

18 (3) Les fournisseurs de facteurs de production de l’organisation peuvent disposer d’un pouvoir de pression sur l’organisation. En effet, les organisations policières se caractérisent par une structure productive intensive en facteur travail. Les policiers peuvent se coaliser et trouver des moyens de pression par l’entremise de l’action de leurs syndicats professionnels. L’évolution de l’organisation ne peut se faire sans l’assentiment des policiers. Ces derniers peuvent par des moyens appropriés ralentir ou rendre difficiles des changements décidés par leur hiérarchie ou le décideur politique.

19 (4) Les demandes de la clientèle constituent un autre ensemble de relations cruciales pour l’organisation policière. Elles s’avèrent cruciales dans la mesure où l’expression des besoins émane de segments de la population différents, qui sont souvent contradictoires. Certains veulent une quantité de services plus importante, d’autres des services de meilleure qualité, tandis que d’autres encore désireraient une moindre présence policière, voire un retrait de certains domaines. Les demandes peuvent se révéler problématiques lorsque leur multiplication et leur diversité conduisent l’organisation à ne pas pouvoir y répondre favorablement compte tenu des ressources dont elle dispose, ou parce que sa structure productive (sa chaîne de valeur) ne le permet pas. Enfin, la difficulté de répondre aux différentes demandes réside dans l’absence de mécanismes d’expression à la fois des différents besoins, mais aussi des dispositions à payer individuelles et collectives pour les différents services. Il réside, enfin, une double contradiction dans la production de services des agences policières dans la mesure où le demandeur n’est pas toujours le payeur et le contributeur pas toujours le bénéficiaire, mais aussi parce que le service produit peut conduire à une altération du bien-être du citoyen. Produire plus de sécurité peut impliquer parfois un plus grand contrôle des individus, voire une atteinte à certains droits ou ce qu’ils considèrent comme tels (réduire les vitesses excessives de circulation peut nécessiter d’accroître la surveillance des réseaux et augmenter le nombre de contraventions).

20 (5) Enfin, la pression concurrentielle peut résulter d’un processus de substitution engendré par l’apparition de nouveaux produits. Ainsi, l’équipement automatisé de cinémomètres photographiques (vitesse, feux rouges) ou d’équipements électroniques de géolocalisation des véhicules volés, de régulation interne des vitesses des véhicules peut justifier la diminution des effectifs policiers affectés à ces tâches, mais aussi ouvrir de nouvelles opportunités pour l’organisation policière.

21 Ces cinq forces opèrent conjointement, mais pas forcément de concert, pour façonner un environnement plus ou moins favorable à l’organisation, l’obligeant parfois à évoluer, à nouer des alliances, à élaborer des stratégies pour neutraliser l’action de ces forces en action, en essayant de les accompagner, de les réguler pour maîtriser à la fois la vitesse, l’intensité et les modalités du changement. En somme, l’organisation doit composer avec un environnement évolutif qui la pousse à changer, mais en face duquel elle ne reste pas passive et sans moyen. Il existe donc une réelle interaction entre l’organisation et son environnement, qui exige d’aller au-delà d’une vision trop simplifiée que nous propose l’approche classique. La prochaine section propose une application de cette approche à la Sûreté du Québec et plus particulièrement aux missions de police routière.

- 3- Le mandat de sécurité routière au sein de la Sûreté du Québec : Une évolution maîtrisée ?

22 La Sûreté du Québec bénéficie du statut de police provinciale, ce qui lui confère une place spécifique et incontournable parmi les organisations policières. L’organisation de ce corps de police, ses évolutions récentes, et son contexte environnemental sont présentés ici. En mobilisant le cadre de l’analyse stratégique, il devient possible de comprendre les raisons et les modalités de la réaction adoptées par l’organisation ces dernières années en matière de sécurité routière.

3.1. Éléments de contexte et de présentation

23 Seules deux provinces canadiennes possèdent un corps de police provincial, l’Ontario avec l’Ontario Provincial Police et le Québec qui dispose de la Sûreté du Québec (SQ). La SQ constitue une force de police essentielle et incontournable au sein de la carte policière québécoise, et cela, à plusieurs titres. Premièrement, l’importance de son effectif avec 7077 personnels pour l’exercice 2008-2009 (SQ 2009b). En 2009, la SQ disposait de 5349 officiers de police, ce qui en fait l’un des principaux corps de police du Québec (près de 37,8% des effectifs policiers de la province en 2009 [5]) (Statistiques Canada 2009). Deuxièmement, la SQ est la seule force de police de niveau 6 [6] en matière d’intervention, ce qui lui confère entre autres des prérogatives liées à la protection des institutions du gouvernement québécois. En somme, la SQ peut être assimilée à une police nationale, ou du moins en disposerait de certains attributs. Troisièmement, la SQ intervient sur une juridiction qui s’étend à l’ensemble de la province pour ce qui concerne le niveau de service 6. Elle peut également porter assistance à d’autres corps de police municipaux lorsqu’ils font face à des difficultés pour assurer la réalisation de certaines obligations de services. Elle peut aussi étendre sa juridiction en contractualisant son activité auprès de certaines municipalités [7]. Même si la taille de la juridiction de la SQ s’étend à la quasi-totalité de la province (hors service de classe 6 [8]), ses interventions ne couvrent qu’une part restreinte de la population (environ 31,5% en 2008 [9]). Sa juridiction se caractérise donc par une dominante essentiellement rurale et une faible densité de population (voire extrêmement faible dans certains districts), ce qui n’exclut pas des zones plus urbanisées. Le caractère très hétérogène de sa juridiction lui pose de réels problèmes, notamment en matière de planification et d’organisation des activités.

24 Le mandat de sécurité routière constitue une des plus anciennes missions assurées par la SQ. En effet, depuis 1938, date à laquelle la Sûreté Provinciale du Québec a été créée, les activités de police de la route constituaient un des quatre secteurs d’activité fondateurs de l’organisation (Sûreté du Québec, 1995, p. 45). À présent, les missions de police de la route sont intégrées aux activités de surveillance du territoire [10] et sont organisées en trois niveaux. Au niveau du grand quartier général, le service de la sécurité routière dépend de la direction du soutien à la gendarmerie qui comprend les services spécialisés, comme le soutien et la participation aux enquêtes de collision, l’étude et la reconstitution des collisions routières majeures ou présentant des litiges. Ce service participe aussi à la formation des analystes opérant dans les districts et il a en charge les programmes d’évaluation, de formation et la mise en place des nouvelles technologies. En somme, il s’agit d’activités à caractère stratégique, relatives à la planification des interventions, à leur coordination et à leur évaluation.

25 Au niveau du quartier général du district (ou régions, au nombre de 10), le commandant dispose d’un bureau de sécurité des transports (Unité de soutien à la gendarmerie), lequel peut éventuellement s’appuyer sur des ressources d’expertises comme la présence d’un ou de plusieurs moniteurs en sécurité routière. De plus, certains districts disposent de « reconstitutionnistes » en enquêtes de collision (officier de police chargé de reconstituer l’historique de l’accident et les faits générateurs afin d’en déterminer les éventuelles responsabilités). Ceux-ci viennent en soutien des activités des postes de police appartenant à son territoire. Le commandant prépare le plan d’actions sur son district en collaboration avec les différents postes et il assure un travail de coordination en aval avec les postes et en amont avec la direction.

26 Le troisième niveau d’intervention s’articule autour des postes de police et des postes auxiliaires qui mettent en œuvre les orientations arrêtées à la fois par le Grand Quartier Général, le quartier général du district et au niveau local (ces orientations locales découlent de diagnostics basés sur des données qualitatives et quantitatives faisant état de la réalité locale en matière de sécurité routière). Les patrouilleurs, officiers de police polyvalents, s’occupent des prérogatives opérationnelles. La SQ assure également la sécurité routière et la bonne circulation sur les autoroutes par l’intervention de ces agents localisés aux postes autoroutiers. Ces patrouilleurs peuvent être considérés comme des spécialistes en matière de sécurité routière compte tenu des spécificités de leurs attributions et de leur territoire d’intervention.

3.2. Les évolutions du contexte institutionnel

27 Le Québec a connu de profonds changements institutionnels depuis le début des années 70. À partir des années 80, l’État central délègue un certain nombre de prérogatives aux municipalités pour des raisons fiscales, lesquelles se traduisent concrètement par des transferts de charges (Réforme RYAN de 1991). Depuis le début des années 2000, de nouvelles orientations sont mises en œuvre avec une politique de réingénierie et de modernisation de l’État (MORIN, 2006, p. 15). Ce vaste chantier de réorganisation institutionnelle qui dépasse de loin la seule Sûreté du Québec, ne l’épargne pas non plus en modifiant de manière conséquente son environnement.

28 Un premier changement notable réside dans la décision gouvernementale de réformer la fiscalité municipale. Celle-ci a, entre autres, pour conséquence d’introduire la tarification des services de la SQ rendus aux municipalités [11] et de clarifier le partage des compétences avec les services municipaux de police. La nature des relations de la SQ avec les municipalités s’en est trouvée modifiée en la plaçant désormais dans le cadre d’une relation de clientèle et donc de nature contractuelle. La réforme municipale autorise aussi les municipalités à disposer éventuellement de leur propre corps de police. Mais compte tenu du coût d’entretien d’un service de police municipal (la loi prévoyait un minimum d’obligations), la réforme a incité les autorités municipales à fusionner leurs corps de police, afin de réduire la charge financière associée (recherche d’économies d’échelle). Cette réforme a aussi généré une grande hétérogénéité parmi les juridictions en ce qui concerne la qualité des services policiers, car toutes les municipalités ne peuvent consentir à un effort budgétaire conséquent. Certaines ont donc décidé de limiter leurs dépenses de sécurité (corps de police assurant quelques fonctions) en faisant appel à l’assistance de la SQ pour d’autres services. Tandis que des municipalités supportaient le financement associé au fonctionnement de leur service de police municipal, d’autres externalisaient ces dépenses en recourant systématiquement aux services de la SQ (financés par l’ensemble des contribuables québécois). À l’inégalité devant les services policiers venait se joindre une iniquité fiscale [12].

29 Afin de résoudre les problèmes précédemment évoqués, une deuxième modification majeure apportée par le gouvernement a consisté à modifier la desserte policière des municipalités régionales de comté (MRC). En effet, désormais, les municipalités dont la population était inférieure à 5000 habitants passent sous la juridiction de la SQ [13]. Cette loi a pour conséquence de générer un niveau de concentration supplémentaire de la carte judiciaire par la fusion de corps municipaux de police ou par leur intégration au sein de la SQ. Pour cette dernière, cette politique a conduit à intégrer à marche forcée des personnels avec une culture policière différente [14], à modifier durablement sa juridiction et à déstabiliser son organisation en modifiant sa chaîne productive (des juridictions rurales homogènes devenaient soudainement mixtes avec une ville centre importante, des juridictions devenaient plus importantes en termes de couverture...) [15].

30 Enfin en 2000-2001, une série de lois relatives à la professionnalisation des policiers (formation minimale), à l’éthique et à la déontologie policière, et définissant des niveaux de services que doivent assurer les corps de police ont favorisé un nouveau mouvement de concentration de la carte policière. Certaines municipalités ne pouvaient plus assurer financièrement l’entretien d’un service de police et les nouvelles obligations. Ainsi, la SQ a dû à la fois appliquer les obligations ministérielles en matière de police communautaire et intégrer environ 1000 policiers de corps de police municipaux. De 325 services de police en 1965, le Québec en comptait seulement 34 en 2009 (Statistiques Canada, 2009).

31 Une autre évolution majeure relative à l’environnement institutionnel de la SQ concerne le renforcement du contrôle de ministère responsable, à savoir le Ministère de la Sécurité Publique. Ce dernier dispose du pouvoir de déterminer les effectifs des policiers autorisés au Québec. L’objectif assigné à la SQ consiste en la maîtrise du niveau de ses effectifs (compte tenu de l’intégration de nouveaux personnels) et donc à diminuer ses effectifs propres. Par ailleurs, suite à la Loi de police de 1998, la SQ se voit dotée d’un conseil de surveillance, dont le mandat a expiré en 2005. Son rôle consistait à évaluer l’activité de la SQ et à faire des recommandations afin d’améliorer la qualité des services rendus aux citoyens [16]. Cette évolution significative de l’agencement interne à l’organisation, quand bien même elle n’a pas perduré, souligne la nécessité pour une organisation policière de faire des efforts de transparence quant au traitement des affaires internes et la nécessité d’améliorer la déontologie des policiers. La SQ se voit obligée désormais de rendre des comptes sur son activité de manière régulière et doit travailler à l’élaboration de partenariats dans le but d’améliorer les pratiques policières. La confection des rapports de gestion témoigne également de cette évolution avec la constitution d’indicateurs de performance qu’il s’agit d’atteindre et dont les résultats font l’objet d’une publication publique. Le souci de rapprocher le travail policier du citoyen participe également à la formalisation d’une politique voulant favoriser le développement d’une police de proximité. Cette politique ministérielle mise en œuvre au niveau provincial est appelée police communautaire (MONTJARDET, 2000) [17]. Ces orientations touchent à la fois la desserte policière, les pratiques des corps de police, leurs services et leurs modalités de gestion. Sans aller dans le détail de cette politique, quatre grands principes sont énoncés : le rapprochement avec le citoyen, le développement des partenariats avec les institutions, la mise en œuvre d’une approche de résolution de problèmes et le renforcement des mesures préventives.

32 La mise en œuvre de cette politique affecte tout particulièrement la SQ en modifiant profondément son organisation productive et notamment sa chaîne de valeur. Elle conduit ainsi à l’intégration de nombreux corps de police possédant leur propre culture policière et disposant de niveaux de formation hétérogènes, notamment en sécurité routière. L’intégration de ces corps n’a pas toujours été bien vécue ni par les personnels des corps intégrés, la ressentant, parfois à juste titre, comme une intégration à marche forcée, ni par celui de la SQ qui la vit sous le mode de l’injustice. Les membres de la SQ doivent désormais composer avec de nouveaux personnels qui disposent désormais du même statut et des mêmes conditions de traitement, alors que les compétences, les qualifications et l’expérience des policiers de la SQ s’avèrent parfois supérieures (la SQ investissant énormément dans la politique de formation de son personnel). Pour ces derniers, les intégrations répétées constituent une forme de dévalorisation subie de leur fonction, qui est d’autant plus mal vécue que ces personnels n’ont pas fait le choix d’intégrer la SQ à leur sortie de l’école de police. Outre les modifications de la desserte territoriale qui ont nécessité de sérieux ajustements organisationnels, l’intégration de nouveaux agents a nécessité de partager les postes d’encadrement et hiérarchiques, et donc à modifier les contours des rapports de pouvoir au sein d’une organisation élargie, conduisant à des déceptions amères et inévitables.

33 La mise en place de la politique de police communautaire s’est accompagnée de la création de dispositifs et d’outils permettant de rapprocher le citoyen et les municipalités des actions de la SQ. Ces dispositifs consistent à créer de la proximité, de la coopération et à bâtir des partenariats durables avec les clientèles desservies [18]. La loi de police a ainsi rendu possible la création des comités de sécurité publique (CSP) dont le but « est d’associer les élus municipaux au maintien d’un milieu de vie sécuritaire » [19]. Même si le CSP ne dispose pas de réels pouvoirs, il constitue un lieu d’échange entre les élus et les responsables locaux de la SQ. Cette instance permet à la population de faire part de ses attentes, de définir des priorités, d’évaluer les services fournis, et d’émettre des avis. L’entente de services constitue un autre outil de négociation entre les parties. Négociée pour une durée d’au moins dix ans, elle constitue un cadre contractuel officiel entre les MRC, les municipalités et la SQ. Ce cadre contractuel consacre la relation de clientèle qui s’impose à la SQ. Cet accord établi entre les parties définit les caractéristiques de la prestation fournie, les modalités de sa réalisation et de son suivi. Quand bien même les municipalités disposent d’un cadre permettant de faire entendre leurs attentes, elles doivent toutefois composer avec une organisation qui dispose d’un poids et d’une influence de loin supérieure, et avec laquelle le conflit est parfois inévitable. Face à cette nouvelle donne, la SQ a dû réviser ses procédures de décision et a mis en place le plan d’organisation des ressources policières (POP) à partir de 2002, diagnostiquant les enjeux de la juridiction, les moyens disponibles et les modalités concernant leur allocation. Le POP accompagne l’entente de services, mais se limite à des fins de gestion interne. Le PARL (plan d’activité régional et local) constitue un outil de gestion annuelle permettant d’identifier les priorités d’intervention, de définir la stratégie suivie et les moyens d’action qui seront mis en œuvre. Cet outil consiste également à produire de la coordination dans les modalités opérationnelles d’intervention en associant dimension locale et régionale. Dans le cadre de ces PARL, la SQ a mis en place des plans de parrainage [20], dont l’objectif était de créer un rapprochement tangible avec la population.

34 La politique de reddition des comptes représente une autre évolution notable qui s’est imposée à la SQ. Il s’agit de rendre des comptes aux instances de contrôle, le Ministère de la Sécurité Publique, mais également à l’ensemble de la clientèle. L’objectif vise entre autres à responsabiliser l’ensemble des membres de l’organisation. La recherche de proximité et la mise en œuvre de la police communautaire ont ainsi conduit à attribuer des responsabilités élargies aux agences locales et aux policiers. Cette recherche de responsabilisation s’est accompagnée simultanément de la mise en œuvre d’une série d’indicateurs et d’objectifs pour contrôler l’activité des policiers et suivre la bonne réalisation des services négociés avec la clientèle. La lecture du rapport annuel de gestion et du plan stratégique de la SQ est sans ambiguïté à cet égard. Ainsi, la SQ mesure désormais le taux de satisfaction de la clientèle, elle définit des cibles et des indicateurs de performance (développement de nouveaux outils, activité avec les CSP, nombre de partenariats approuvés...) (SQ, 2009 (a et b)). L’utilisation d’outils de management met en évidence que l’activité de l’organisation est sous contrôle et qu’elle s’inscrit dans le cadre de conditions budgétaires provinciales contraintes.

3.3. L’analyse stratégique de l’organisation Sécurité du Québec

35 Les évolutions de l’environnement institutionnel de la SQ ont soulevé un certain nombre d’enjeux et d’implications pour l’organisation productive de l’organisation. Cependant, l’application de l’analyse stratégique en mobilisant le modèle de la concurrence de PORTER permet d’aller plus en avant dans l’analyse.

36 Sous la pression politique du gouvernement provincial qui a conduit à la mise en place de la police communautaire, les modalités de régulation des relations avec la clientèle ont été durablement déstabilisées. En fait, la SQ doit composer avec des demandes différentes qui ne s’avèrent pas toujours compatibles. En effet, le Ministère de la Sécurité Publique lui impose des conditions d’action précises, et notamment une politique d’amélioration et d’accroissement de ses prestations de service à moyens constants. Cela l’oblige donc à générer des ressources en interne par la réorganisation. Le gouvernement en décidant de remédier à la fragmentation de la desserte policière, d’améliorer et d’homogénéiser les services de police, et de renforcer la formation du personnel policier a conduit inévitablement à un mouvement de concentration des corps policiers en rendant trop onéreux l’entretien d’un tel service pour certaines municipalités. Ce changement profond de la carte policière a perturbé la chaîne productive de l’organisation en modifiant durablement les dimensions géographiques de sa juridiction, les caractéristiques de ses clientèles et la composition de ses effectifs, et en créant de la diversité au sein de sa demande. Cependant, la SQ était mal préparée pour y répondre.

37 L’approche partenariale et locale engendrée par la mise en œuvre de la police communautaire oblige la SQ à tenir compte des attentes de sa clientèle et de dialoguer avec celle-ci. Or, les exigences locales ne s’accordent pas toujours avec les orientations décidées par le Ministère. En effet, certaines municipalités déclarent souffrir d’un service dégradé. L’activité de patrouille et de sécurisation du réseau routier aurait diminué suite à leur passage sous juridiction SQ. D’autres municipalités contestent vivement les modalités de financement. Même si désormais les protestations semblent moins nombreuses et vigoureuses, la politique de fusion à marche forcée a généré des relations conflictuelles entre la SQ et sa clientèle, mais également une certaine méfiance. Cette pression de la clientèle locale reflète sans doute l’attachement passé des municipalités à disposer de leur propre police municipale, et, lorsque leur service est repris par la SQ, de défendre des services de qualité en rapport avec les contributions versées [21]. En cela, la SQ doit composer avec une tradition locale et décentralisée de la prise en charge des services publics [22], qui s’en trouve quelque peu heurtée avec le processus de centralisation que constitue la reprise des juridictions policières municipales par la police provinciale (DUPONT et PÉREZ, 2006, p. 26).

38 En ce qui concerne plus particulièrement les missions de sécurité routière, des demandes expresses formulées par le Ministère des Transports et la SAAQ doivent être mises en musique par la SQ dans le cadre de priorités ou de politiques provinciales (MTQ 2009, p. 25).

39 Même si la SQ dispose d’une réelle autonomie, elle entretient une relation de dépendance à l’égard de son ministère responsable qui participe à des politiques interministérielles et dont elle ne peut s’affranchir. Globalement, la SQ se situe dans une position plutôt difficile à l’égard de sa clientèle et sur la défensive.

40 La position de la SQ à l’égard de ses fournisseurs révèle également certaines fragilités. L’école nationale de police du Québec (ENPQ) est le centre de formation des policiers du Québec. Même s’il existe une école de formation policière depuis de nombreuses années, la création d’une école nationale s’avère beaucoup plus récente. Elle a été créée en 2000 par la loi de police, qui lui confère un rôle central dans la conception et l’offre de formation spécialisée en matière de police [23]. Même si la SQ représente un client important de l’école et si certains de ses policiers interviennent dans le cadre de la formation, la nouvelle loi a permis de lui octroyer une réelle légitimité et a renforcé son poids dans la définition du métier de policier. A ce titre, elle produit ses propres recherches sur les conditions du travail policier (ENPQ, 2004). La SQ doit donc désormais composer avec une organisation qui défend ses propres intérêts.

41 Les syndicats au sein de la SQ disposent d’une influence réelle. En fait, les syndicats policiers québécois disposent de conditions de négociations relativement avantageuses, ce qui leur a permis par le passé d’obtenir des conditions de travail et de rémunération relativement favorables lorsqu’elles sont comparées avec le reste de la population québécoise (DUPONT et PÉREZ, 2006, pp. 73-77). Les employés sont ainsi capables de mobiliser des moyens de sensibilisation ou de pression sur une longue période. La dernière confrontation entre employés et syndicats a eu lieu sur l’exercice 2005-2006. Ce climat de tension sous-jacent et persistant s’est traduit sur cette période par un recul conséquent des interventions en sécurité routière. Les interventions liées à la vitesse ont ainsi chuté de 75% tandis que les interventions de sécurité sur les réseaux de transport sont passées de 498 276 à 183 450. Compte tenu de la politique de reddition des comptes et des exigences de la clientèle, la direction s’est trouvée dans une position difficilement tenable lorsque cette confrontation s’est traduite par une détérioration de la sécurité de la population (GAGNÉ et BLAIS, 2010). En conséquence, toute politique de réforme organisationnelle ne peut se faire sans l’assentiment du personnel et doit composer avec les logiques corporatistes.

42 La concurrence des nouveaux produits s’avère actuellement limitée pour les missions de sécurité routière. La volonté du gouvernement québécois d’introduire des cinémomètres photographiques [24] pourrait constituer une menace ou être à terme interprétée comme telle par le personnel de la SQ. Il existe, en effet, un sentiment d’opposition à l’installation de ce dispositif au motif qu’il pourrait conduire à la perte de postes d’officiers de police. Même si la direction semble être favorable à l’installation de ce dispositif, des négociations serrées avec les syndicats seront inévitables et constitueront un préalable pour éviter de nouvelles confrontations.

43 Les concurrents potentiels externes s’avèrent limités. Même s’il existe une rivalité pour l’obtention du leadership en matière sécurité routière avec le SPVM (service de police de la ville de Montréal) [25], la SQ dispose d’une juridiction suffisamment établie et une position institutionnelle unique qui la préserve de la concurrence extérieure. La politique de fusion menée ces dernières années lui a permis au contraire de se renforcer en rendant inévitable la disparition de corps de police concurrents, dont un retour en arrière semble difficilement envisageable. L’expertise possédée et les moyens déployés par la SQ en sécurité routière s’avèrent sans commune mesure avec ceux des petits corps policiers municipaux. La position de la SQ reste donc confortable en matière de sécurité routière compte tenu des menaces extérieures très limitées.

44 Paradoxalement, la plus grande menace semble provenir de la concurrence interne à l’organisation entre les différents mandats. Le contexte de modernisation de l’État conduit l’organisation à poursuivre sa politique partenariale, à améliorer ses performances et poursuivre sa politique de sécurité publique. Le mandat de sécurité routière constitue toujours une des orientations stratégiques, mais semble être en retrait par rapport aux autres priorités définies. Les missions de police routière ne sont toujours pas valorisées par les policiers, plutôt attirés par les grandes enquêtes et la sécurité publique. La difficile gestion des postes autoroutiers, le questionnement stratégique quant à leur maintien au sein de l’organisation, leurs dotations en effectifs restreints semblent illustrer cet attrait limité pour des missions de sécurité routière spécialisées. En somme, l’organisation travaille à la gestation des fusions passées, à réorganiser sa structure productive en mesurant entre autres les performances, tandis que l’élaboration d’une réelle stratégie de long terme quant à ses missions de police routière est moins évidente. L’organisation sera sans doute amenée à mener une réflexion et à élaborer une intervention pour éviter la perte progressive de compétences dans ce domaine.

3.4. La réaction de la SQ : améliorer le fonctionnement de la chaîne productive

45 En résumé, la SQ a dû répondre en priorité à une demande émanant de sa clientèle, demande relative aux services de sécurisation du réseau routier. Cette demande a été renforcée par la mise à l’agenda politique des enjeux de sécurité routière. En effet, le gouvernement québécois a décidé de faire de 2007 l’année de la sécurité routière. Un nouveau consensus s’est également dessiné en matière de cinémomètres photographiques. Au niveau provincial, l’association des directeurs de police du Québec (ADPQ) a élaboré un cadre stratégique d’intervention policière permettant de créer un leadership collectif, auquel la SQ a pris une part active [26]. Cette coopération entre agences policières répond entre autres à une volonté de ne pas se laisser dicter leurs interventions par des organismes extérieurs. La SQ participe ainsi aux différentes tables de concertation et au comité COPS-SAAQ. En somme, la SQ a contribué à définir la sécurité routière comme une priorité politique tout en épousant une dynamique initiée de l’extérieur. Cette dynamique s’est imposée à l’organisation, qui ne pouvait rester à l’écart de cette dynamique pour des raisons stratégiques.

46 Dans ce contexte particulier où de nouvelles priorités émergent, la SQ a mené une réflexion sur ses modalités d’intervention en sécurité routière dans le cadre d’une refonte de sa chaîne productive. L’organisation a donc défini un énoncé en matière de sécurité routière pour la période 2006-2010 [27]. Face à une dégradation du bilan routier, il s’agit d’accroître la visibilité des patrouilleurs de la SQ sur l’ensemble du territoire et notamment sur le réseau autoroutier, de renforcer le sentiment de sécurité des usagers de la route et de contribuer à l’amélioration du bilan routier. Les actions décidées, somme toute classiques, sont orientées vers le contrôle de la vitesse, de l’alcoolémie au volant et du port de la ceinture de sécurité. Au plan organisationnel, les efforts de la SQ ont porté sur l’identification des problématiques de sécurité routière au niveau local et régional, sur l’élaboration d’un diagnostic et la mise en œuvre d’une politique de planification des interventions dans le cadre des PARL. L’élaboration d’indicateurs de performance, la définition de cibles et une politique systématique de suivi des évolutions devraient permettre, à terme, d’améliorer la qualité de service de la SQ. Au-delà de la mise en place d’un appareillage statistique de mesure et de suivi de l’activité opérationnelle des patrouilleurs, la direction s’est attachée à définir des politiques provinciales relatives aux grandes problématiques (vitesse, alcool et ceinture), à bâtir des alliances stratégiques, avec notamment le Contrôle Routier Québec pour la problématique des véhicules lourds. La direction a également décidé d’élaborer une stratégie de communication conjointe avec d’autres organisations, et de participer activement aux différentes instances stratégiques comme les comités définissant les standards des interventions policières, et autres tables rondes. En somme, il s’agit de contrôler son propre agenda, plutôt que de se le faire dicter, d’initier le changement plutôt que de le subir.

47 Cette nouvelle dynamique s’exprime également par la volonté de se positionner comme force de propositions en termes de projets innovants tant sur le plan technologique que législatif. Enfin, la politique initiée consiste à remobiliser le personnel de la SQ en le sensibilisant par une politique de communication interne systématique avec la publication régulière d’un bulletin d’information « L’échangeur ». Ce bulletin diffuse des informations relatives à l’état du droit en matière de sécurité routière, fait état de résultats d’études menées sur des problématiques permettant d’améliorer les connaissances des patrouilleurs et de les actualiser. Ce bulletin permet également de souligner l’importance conférée désormais à ce mandat négligé par le passé, mais aussi de le valoriser. La politique de la direction désire associer les patrouilleurs à la définition de la politique de sécurité routière en les impliquant dans la confection et l’élaboration des diagnostics et les modalités d’intervention. L’élaboration du PARL repose sur une démarche initiée au niveau local (les postes) et fait ensuite l’objet de négociations avec le centre (la direction). En somme, il s’agit d’une logique bottom up’, mais étroitement contrôlée par la direction générale.

48 La réaction de la SQ consiste donc en une amélioration des procédures internes et en une réorganisation de sa chaîne de valeur. Elle repose sur une meilleure connaissance de sa juridiction et de ses enjeux, mais aussi par un processus d’apprentissage et d’élaboration d’un cadre permettant une allocation idoine de ses ressources. La réponse de la SQ s’avère fortement conditionnée par les contraintes de son environnement (contexte de réforme, restriction budgétaire...) et épouse le nouvel agencement organisationnel qui a été mis en place lors de la politique de police communautaire. Rien ne permet d’affirmer que cet agencement est le plus adapté sur le long terme en ce qui concerne les missions de police routière. En effet, les réflexions menées semblent obéir à une logique d’urgence liée à la mise sur l’agenda politique des questions de sécurité routière. Qu’en sera-t-il lorsque cela ne sera plus le cas ? En fait, le plus grand danger ne repose-t-il pas sur l’absence d’une réelle réflexion stratégique de long terme sur le devenir des missions de police routière et leur place au sein de l’organisation policière ?

- 4- Conclusion

49 L’analyse économique classique des organisations a sans aucun doute permis de mettre en évidence une logique économique à l’œuvre au sein des organisations policières. Toutefois, cette analyse s’avère relativement fruste dans la mesure où elle se limite à l’étude des contraintes productives en supposant que l’organisation fonctionne et prend ses décisions de manière isolée. En fait, les organisations policières inscrivent leurs actions dans des réseaux structurés et agissent au sein de systèmes de gouvernance où elles jouent certes un rôle essentiel, mais ne représentent qu’un composant parmi d’autres. En cela, l’approche par le modèle de PORTER permet de réintroduire de la complexité en intégrant dans l’analyse à la fois les contraintes environnementales et les modalités organisationnelles internes, qui contraignent la prise de décision. Elle permet ainsi de dépasser les analyses dont la focale est exclusivement centrée sur l’organisation ou le travail policier, quand bien même celles-ci sont nécessaires à leur bonne compréhension (MAGUIRE, 2003 ; MONJARDET, 1996). Elle ne se dissout pas pour autant, nous semble-t-il, dans les approches qui privilégient exclusivement les dimensions politiques de la gouvernance (WOOD et SHEARING, 2007). En effet, les modalités de régulation de tels systèmes présentent à la fois la caractéristique d’être politiques et économiques. Ce sont ces deux dimensions qui doivent être conceptualisées conjointement. En cela, le modèle stratégique permet de réintroduire, tout en tenant compte de la logique politique, cette dimension économique trop souvent négligée sans s’enfermer dans les limites du modèle classique.

50 Cette contribution souligne également la dimension dynamique des organisations, alors que l’approche classique s’appuie sur une démarche étonnement statique. Cette dynamique n’épouse pas une trajectoire balistique prédéterminée, mais se construit à partir de tâtonnements, d’allers et de retours, d’erreurs et de nouveaux essais et se nourrit de compromis, d’alliances et de rivalités entre parties prenantes. Les organisations consistent aussi en la structuration de mécanismes d’apprentissage individuels, organisationnels et systémiques (SAUSSOIS, 2007, chapitre V).

51 L’approche stratégique proposée permet d’aborder la dynamique organisationnelle. Elle constitue à la fois un outil d’identification et de compréhension des mouvements à l’œuvre (analyse rétrospective), mais également un outil opérationnel pour l’organisation afin de circonscrire les degrés de liberté dont elle dispose pour faire face à son environnement et déterminer des orientations d’intervention possibles (approche prospective).

52 Le mandat de sécurité routière de la Sûreté du Québec représente un cas d’étude très intéressant, puisqu’il met en évidence l’évolution qui a touché les missions de sécurité routière et met à jour les modalités de changement. Cette évolution ne se fait pas sans résistances, elle s’inscrit dans un processus composé d’influences extérieures, de pressions internes et de contraintes de choix productifs antérieurs. De nouveaux ajustements devront être sans doute portés à l’avenir. Mais quelles en seront les conséquences pour le mandat de sécurité routière ? En tout état de cause, le changement ne se décrète pas, il se construit. Le cas de la Sûreté du Québec constitue une bonne leçon pour qui s’intéresse aux organisations en charge de l’application du Code de la route et qui se situe donc au cœur de la politique de sécurité routière.

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Mots-clés éditeurs : policing de la route, sécurité routière, police, organisation

Date de mise en ligne : 01/02/2012

https://doi.org/10.3917/reru.114.0765

Notes

  • [*]
    L’auteur tient à remercier tout particulièrement Francis PELLETIER, Robert MACMANUS, Louis PELLETIER, Pierre TOULOUSE et Christian SIMARD de la Sûreté du Québec, dont l’aide s’est révélée fort précieuse et sans qui cette recherche n’aurait pu aboutir. Ce manuscrit a également bénéficié des commentaires et des suggestions de deux référés anonymes. L’auteur reste seul responsable des erreurs qui subsisteraient dans cette contribution. Une première version de cet article a fait l’objet d’une présentation lors du XLVIème colloque de l’ASRDLF, qui s’est tenu en juillet 2009 à Clermont-Ferrand, au sein de la session économie de la sécurité routière.
  • [*]
    Première version reçue, novembre 2009 ; version finale, juin 2010.
  • [1]
    - Il s’agit du projet ROSIPOLIS, que la commission permanente franco-québécoise a reconduit par trois fois (2003-2008). Il a associé dans le cadre d’échanges bilatéraux des acteurs institutionnels intervenant dans le domaine de la sécurité routière.
  • [2]
    - Nous comprenons ici la notion d’activité productive au sens large (conception, production, commercialisation) et non pas réduite à la seule activité de production.
  • [3]
    - Une version modifiée du modèle de PORTER considère une 6ème force concurrentielle. Elle est relative à la dimension politique. Or, pour le cas d’étude investigué ici, la nature de cette force concerne l’ensemble de l’organisation, du fait même de sa nature. Pour cette raison, nous ne distinguerons pas cette 6ème force des précédentes.
  • [4]
    - En effet, des organisations administratives peuvent disposer de prérogatives autorisant une activité de policing.
  • [5]
    - Ministère de la Sécurité Publique du Québec, La desserte policière municipale et provinciale au Québec : profil organisationnel 2008, Direction de la prévention et de la lutte contre la criminalité, 2009.
  • [6]
    - La loi de police définit des niveaux de service, lesquels précisent à la fois les obligations de service et les services de police concernés.
  • [7]
    - En fait, le service de base est à contrat avec l’ensemble des municipalités desservies. L’auteur doit cette remarque à M. P. TOULOUSE.
  • [8]
    - Selon l’article 70 de la loi de Police, un corps de police municipal doit fournir, sur le territoire relevant de sa compétence, un niveau de services. Le niveau de services dépend de l’importance de la population à desservir. 5 niveaux différents concernent les municipalités. Ces niveaux de services définissent les obligations du corps de police concernant les missions de gendarmerie, des services d’enquêtes, des mesures d’urgence et des services de soutien. Seule la SQ est habilitée à assurer le niveau 6 de services, qui comprend, entre autres, la protection de l’Assemblée Nationale et des personnalités internationales, la cybersurveillance ou encore la coopération internationale. Le lecteur pourra consulter avec profit, Les règlements concernant la police, Editions Yvon Blais : Cowansville, 7ème Edition, 2003.
  • [9]
    - Cette part s’établissait à 20 % environ en 2001.
  • [10]
    - Sûreté du Québec, Plan d’organisation supérieure, septembre 2004.
  • [11]
    Le lecteur pourra se reporter à la section du règlement sur la somme payable par les municipalités pour les services de la Sûreté du Québec (Loi sur la police), www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca. Il y trouvera à la fois la formule du calcul et les bases de la richesse foncière uniformisée utilisées comme taux multiplicateurs.
  • [12]
    - En effet, certains citoyens payaient donc deux fois. Une première pour le financement du service de police municipal et une seconde pour la SQ qui assurait entre autres des services pour les municipalités qui refusaient de se doter d’un corps de police.
  • [13]
    - Avant cette loi, les MRC disposaient du choix de constituer leur corps de police municipal ou de passer sous la juridiction de la SQ.
  • [14]
    - Même si les policiers disposent d’une formation similaire, la nature du travail réalisé et les expériences sont bien distinctes.
  • [15]
    - Nous avons pu constater sur le terrain les conséquences de la réorganisation territoriale, notamment concernant la MRC de Drummondville.
  • [16]
    Conseil de surveillance des activités de la Sûreté du Québec (2002), Plan stratégique 2002-2005 du conseil de surveillance des activités de la Sûreté du Québec. Le mandat de celui-ci n’a pas été renouvelé.
  • [17]
    Ministère de la Sécurité Publique, 2000, Vers une police plus communautaire, Politique ministérielle, Québec, décembre, 34 pages.
  • [18]
    - 3e Forum des comités de sécurité publique (2006), Pour une vision commune, de la stratégie par l’action, Actes du Forum, Saint-Hyacinthe, 8, 9 et 10 novembre 2006, Fédération Québécoise des Municipalités, Union des Municipalités du Québec.
  • [19]
    - Sûreté du Québec, 2006, Guide d’information à l’intention des membres des comités de sécurité publique, janvier, 30 pages.
  • [20]
    - Le plan de parrainage consiste à assigner un policier à un espace client. Il s’agit de créer une présence policière familière définie comme l’assignation constante dans un espace temps continu des patrouilleurs et des enquêteurs dans un secteur géographique donné. Sergent Guy CHÂTEAUNEUF, coordonateur en police de proximité, Plan de Parrainage, Sûreté du Québec, Poste de la MRC de Drummond, janvier 2004.
  • [21]
    De nombreux articles publiés par la presse québécoise au milieu des années 2000 témoignent de l’inquiétude des maires à l’égard de la prise en charge par la SQ des missions de police. A titre d’exemple, le lecteur pourra se référer à l’article intitulé « Refonte des services policiers, La SQ n’est pas à la hauteur », paru le 27 février 2006 dans Le Quotidien, p. 15. Certaines municipalités exprimaient ainsi leur volonté de reconstituer leur corps de police. Selon le rapport annuel de gestion de la SQ, ces craintes semblent être levées dans une certaine mesure compte tenu du renouvellement des ententes de services et la signature de protocoles d’entente dont la grande majorité concerne la sécurité routière (SQ 2009 (a), p. 56).
  • [22]
    - L’auteur remercie ici un des référés d’avoir attiré mon attention sur l’importance de la culture locale de la gestion des services publics au Canada.
  • [23]
    - Lors de notre visite de l’école, nous avons pu prendre connaissance à la fois des moyens mis en œuvre pour la formation générale du policier (la municipalité de Nicolet sert de lieu de formation de terrain pour les futurs policiers), mais également pour les missions de police routière. L’école nous a également transmis l’ensemble des documents relatifs aux modules de formation en sécurité routière.
  • [24]
    - Depuis 2009, les autorités québécoises expérimentent un projet pilote de cinémomètres photographiques automatisés. Les parlementaires doivent se prononcer au cours de l’automne sur l’adoption de cette intervention. Le ministère des transports du Québec y travaille et doit remettre un rapport d’évaluation sur cette expérimentation pour le mois de juin 2010.
  • [25]
    - Le lecteur pourra se référer aux documents suivants concernant la mise en œuvre d’une nouvelle politique de sécurité routière par le Service de Police de la Ville de Montréal, WHITE A., TOUTANT R., 2006, Structure et mode opérationnel de la section circulation, coordination, motards, Service de Police de la Ville de Montréal, 24 janvier 2006 ; Section recherche et planification, Division de la sécurité routière et de la circulation, 2006, La sécurité routière et la circulation à Montréal, Vision et orientations du SPVM 2006 à 2010, Service de Police de la Ville de Montréal, 24 janvier 2006.
  • [26]
    - ADPQ, 2006, Vers une stratégie provinciale en sécurité routière, Association des Directeurs de Police du Québec, Août, 27 pages.
  • [27]
    - Sûreté du Québec, 2007, Énoncé d’orientations en matière de sécurité routière 2006-2010, Freinons la Tendance, document interne.

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