Notes
-
[*]
Première version janvier 2007, version révisée avril 2007.
-
[1]
- Le Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) est une déclinaison plus précise et plus fonctionnelle du Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE), établi en 2001 à la Réunion par le Comité de Bassin au terme de 6 ans de procédure. Ces outils, prévus par la loi française sur l’eau de 1992, proposent une gestion fondée sur une logique d’action collective et de négociation. Le SAGE Sud de la Réunion est constitué d’un plan d’actions et d’un ensemble d’orientations développés à l’initiative des communes situées dans les zones à problèmes (en termes de satisfaction inter temporelle des besoins en eau) identifiées au préalable par le SDAGE (FUSILLIER et LAFFOND, 2004).
-
[2]
- Sur les périmètres du sud, la structure tarifaire est en fait proportionnelle au volume consommé et progressive avec un palier : en dessous de 6000 m3/ha/semestre, l’eau coûte 0,0625 €/m3 et 0,0915 au delà. Cependant, la très faible proportion d’agriculteurs concernés par la tranche haute du prix nous amène ici à considérer seulement la tranche basse du prix.
-
[3]
- Société d’Aménagement des Périmètres Hydro-agricoles de l’Ile de la Réunion.
- 1 - Introduction
1 Sur l’île de la Réunion, des conflits d’usage sur la ressource en eau risquent d’apparaître à court terme. D’ici 2010, on prévoit des besoins de pointe de 400 000 m3/jour pour l’irrigation et de 200 000 m3/jour pour l’eau domestique. L’offre en eau en période d’étiage, estimée à 540 000 m3/jour (dont 350 000 m3/jour d’eau de surface), ne suffira pas à satisfaire la demande malgré une augmentation de plus de 10 % des prélèvements d’eau souterraine. Pour faire face à ces pressions, il est urgent d’améliorer la valorisation de l’eau agricole et de réduire les consommations unitaires (SAGE Sud, 2004 [1]).
2 Pour y parvenir, les Pouvoirs Publics s’interrogent sur la pertinence d’un recours aux incitations économiques. Cependant, pour l’eau d’irrigation, la mise en place d’une politique de prix incitative semble peu adaptée du fait d’un impact limité sur la demande en eau et d’un coût social (impact sur les revenus) important (FUSILLIER, 2006). C’est pourquoi le seul outil utilisé aujourd’hui consiste à mettre en place des tours d’eau entre les irrigants lorsque la demande excède l’offre. Pourtant, au sein de certaines micro zones aux besoins en eau a priori homogènes, on constate de fortes différences des niveaux de consommation. Le type de matériel d’irrigation présent dans les exploitations semble en cause (CHOPART et al., 2006). Les choix des irrigants en matière de technologies d’irrigation peuvent avoir des incidences importantes sur la demande en eau dans la mesure où chaque matériel possède une efficience intrinsèque et ne demande pas la même quantité de travail et de connaissances techniques.
3 Sur les périmètres irrigués du sud de la Réunion, où la canne à sucre occupe 84 % de la surface agricole utile et consomme plus de 90 % de l’offre en eau, l’aspersion est le système d’irrigation le plus représenté puisqu’il est utilisé par presque 85 % des irrigants. Les 15 % restants sont équipés en goutte à goutte. Les agriculteurs équipés en aspersion se répartissent ainsi : plus de 55 % sont entièrement équipés en couverture intégrale, environ 20 % sont équipés en couverture mobile ou totale, 10 % sont équipés en mixte intégrale-totale ou intégrale-mobile et une infime partie utilise des canons enrouleurs. Ces proportions ont considérablement évolué en 10 ans. En 1995, on dénombrait à peu près 12 % d’irrigants équipés en couverture intégrale, 70 % équipés en couverture mobile ou totale et 3 % équipés en mixte intégrale-obsolète. Par contre, la proportion d’agriculteurs équipés en goutte à goutte est stable, voire en légère baisse depuis 10 ans.
4 Théoriquement, l’investissement dans une technologie d’irrigation économe en eau a pour effet de modifier l’ensemble des possibilités de production. Autrement dit, l’adoption d’une technologie d’irrigation économe en eau permet, pour un volume d’eau moins important, d’obtenir des rendements similaires à ceux obtenus avec du matériel obsolète, car la quantité d’eau appliquée aux cultures est plus proche de la quantité d’eau consommée à la borne d’irrigation. Le choix de matériel d’irrigation détermine donc la fonction d’efficience de l’irrigation, qui détermine elle-même la fonction de production (CASWELL et ZILBERMAN, 1986). Plus précisément, l’effort de travail nécessaire pour une conduite efficiente de l’irrigation (c’est-à-dire des tours d’eau plus rapides grâce à des doses par secteur d’irrigation moins élevées) est trop important dans le cas de l’aspersion en couverture mobile ou totale. L’usage de ces matériels provoque donc des gaspillages d’eau.
5 Cela nous motive à comprendre comment une politique de l’eau peut être utilisée pour diriger « correctement » la trajectoire technologique des irrigants, c’est-à-dire dans une direction qui soit favorable à la préservation de la ressource en eau. En particulier, les politiques de l’eau fondées sur des incitations sont-elles un moyen efficace pour alimenter la transition vers des technologies d’irrigation plus efficientes ? Autrement dit, les subventions à l’équipement sont-elles un meilleur moyen que le transfert d’information (notamment le conseil à l’irrigation) pour stimuler la diffusion de technologies d’irrigation économes en eau ? Ce problème va être examiné dans cet article de la façon suivante.
6 Il existe deux approches bien distinctes en économie du changement technologique : l’approche néoclassique et l’approche évolutionniste. L’approche néoclassique propose deux types de modèles pour analyser la diffusion d’une nouvelle technologie : les modèles de diffusion épidémiologique (GRILICHES, 1957 ; DINAR et YARON, 1992) où la diffusion est le fruit d’un processus endogène d’apprentissage et les modèles des choix rationnels d’adoption (DOMENCICH et MCFADDEN, 1975 ; JENSEN, 1982 ; CASWELL et ZILBERMAN, 1985 ; YARON et al., 1992) où la diffusion est le résultat d’analyses coûts-bénéfices individuelles sous incertitude. L’approche évolutionniste, en supposant que les technologies sont économiquement et techniquement liées aux autres technologies, aux pratiques des usagers et aux institutions, permet d’identifier le chemin conduisant à une situation technologique particulière lorsque celui-ci répond mal aux critères de diffusion néoclassique (NELSON et WINTER, 1982 ; DOSI, 1988 ; KEMP, 1997).
7 L’objet de cet article est d’identifier et conceptualiser les facteurs explicatifs de la diffusion de technologies d’irrigation économes en eau chez les planteurs de canne à sucre réunionnais. Il se démarque de la littérature existante dans la mesure où nous combinerons les résultats d’une enquête auprès de 116 irrigants à une revue (non exhaustive) de la littérature pour identifier ces facteurs clés. Le recours au référentiel de l’économie évolutionniste, en complément à la théorie néoclassique, pour analyser ces déterminants constitue une autre originalité. L’article est organisé ainsi. La section 2 présente les facteurs qui influent sur le rythme et le plafond de diffusion des technologies d’irrigation économes en eau à la Réunion. Dans la section 3, nous présentons deux modèles néoclassiques de diffusion technologique appliqués à l’irrigation ainsi que des éléments issus du référentiel de l’économie évolutionniste. La section 4, en conclusion, discute brièvement des perspectives d’application de chaque modèle à la Réunion.
- 2 - Les déterminants de la diffusion de technologies d’irrigation économes en eau
8 Dans cette section, nous identifions les déterminants de la diffusion de l’aspersion en couverture intégrale et du goutte à goutte à la Réunion (cf. figure 1). En référence à la littérature, ces facteurs explicatifs peuvent se classer en trois axes : les caractéristiques des irrigants, les caractéristiques du contexte d’adoption des irrigants et les caractéristiques des technologies d’irrigation économes en eau.
2.1. Les caractéristiques des irrigants
9 Le premier axe des facteurs explicatifs de la diffusion de technologies d’irrigation économes en eau concerne les caractéristiques des irrigants. Cinq facteurs clés sont identifiés : la taille et le contexte pédoclimatique des exploitations ainsi que les objectifs, l’aversion au risque, les connaissances et les contraintes des irrigants.
10 Tout d’abord, la taille des exploitations est un des premiers critères mis en évidence par la littérature pour expliquer les décisions individuelles d’adoption technologique (JUST et ZILBERMAN, 1983 ; FEDER et al., 1985 ; JAFFE et STAVINS, 1991 ; KEMP, 1997). Ce paramètre peut cependant avoir différents effets sur le taux d’adoption. Ces effets dépendent des caractéristiques des technologies et du contexte institutionnel. Plus précisément, le lien entre la taille des firmes et le taux d’adoption dépend des coûts fixes d’adoption, des préférences face au risque, des connaissances, des contraintes budgétaires, des besoins en temps de travail, etc. L’effet de la taille des firmes sur le taux d’adoption semble donc ambigu et dépend d’autres facteurs.
La diffusion des technologies d’irrigation économes en eau à la Réunion (Périmètres Sud, 1987-2005)
60%
50%
Proportion d'adopteurs
40%
30%
20%
10%
0%
1987 1992 1997 2002
Intégrale GàG
11 Parmi ces facteurs, les objectifs des irrigants jouent un rôle essentiel. En effet, malgré le fait que la recherche du meilleur profit soit souvent un objectif essentiel car cela conditionne la survie de l’exploitation, des études montrent que d’autres objectifs peuvent guider les choix des irrigants (SUMPSI et al., 1996). En parallèle à la maximisation du profit, ils peuvent chercher à minimiser leur temps de travail ou minimiser le risque climatique. Ils peuvent aussi être guidés par des objectifs tels que la sauvegarde d’un patrimoine familial ou la sécurisation foncière de leurs terres. Ceci se répercutera directement sur leurs règles de décision et leurs choix technologiques. À la Réunion, l’âge des irrigants et surtout la présence de revenus extérieurs à l’agriculture dans une exploitation familiale et le rapport entre la surface mise en culture et la surface totale utilisable semblent définir correctement les préférences des irrigants (FUSILLIER et SAQUÉ, 2001).
12 Ensuite, l’aversion au risque des irrigants peut modifier leurs choix technologiques (JUST et ZILBERMAN, 1983 ; YARON et al., 1992 ; KOUNDOURI et al., 2006). En théorie, on suppose qu’un irrigant rationnel cherche à maximiser sa fonction d’utilité en allouant les ressources dont il dispose, notamment l’eau, de façon optimale. Généralement, la richesse des irrigants est le facteur déterminant leur degré d’aversion au risque. À la Réunion, l’aversion au risque des irrigants peut aussi s’appréhender par les décisions d’assolement prises dans le passé. En effet, le marché de la canne à sucre (auquel participent quasiment tous les irrigants) est un marché administré, i.e. les planteurs sont assurés de vendre toute leur production de canne aux usines sucrières. Par contre, le marché des fruits et légumes est beaucoup plus risqué dans la mesure où les irrigants peuvent rencontrer des problèmes pour écouler leur production. Le rapport entre la surface en canne et la surface en maraîchage au sein des exploitations est donc un indicateur du degré d’aversion au risque des irrigants (FUSILLIER et SAQUÉ, 2001 ; FERRARIS, 2002).
13 Par ailleurs, les connaissances (le capital humain) des irrigants jouent un rôle important pour expliquer leur comportement et leurs décisions d’investissements (FEDER et al., 1985 ; KEMP, 1997 ; SAVIOTTI, 2001). Différentes sortes de connaissances sont organisées dans les exploitations agricoles : des connaissances d’ingénierie hydraulique pour l’installation des systèmes d’irrigation, des connaissances à propos des propriétés des matériels d’irrigation utilisés pour produire, comment utiliser ces matériels... Ces connaissances techniques dépendent du niveau initial de formation et sont constamment améliorées par des contacts avec les offreurs de matériel, le contact avec d’autres irrigants dans les réseaux associatifs ou syndicalistes, le conseil de techniciens et les stages d’irrigation effectués. L’attente d’une meilleure information sur les technologies et sur les compétences à mobiliser pour les utiliser de façon efficace peut ainsi conditionner les choix technologiques individuels dans la mesure où l’adoption d’un nouveau système d’irrigation peut s’avérer quasiment irréversible à court ou moyen terme (KOUNDOURI et al., 2006).
14 De plus, les contraintes auxquelles doivent faire face les irrigants, notamment leur contrainte budgétaire, sont déterminantes. Les annuités liées au remboursement du foncier, ou le montant du loyer annuel dans le cas d’un fermage, ainsi que les annuités liées aux investissements réalisés (tracteur, matériel d’irrigation, etc...) peuvent contraindre fortement les choix technologiques des irrigants étant donné que cela détermine leur accès au crédit (FUSILLIER et SAQUÉ, 2001). L’acquisition de nouvelles technologies d’irrigation est un investissement lourd qui nécessite des capacités importantes d’investissement. À la Réunion, la plupart des irrigants sont des planteurs de canne à sucre installés sur des parcelles d’une superficie moyenne de cinq hectares. Ces agriculteurs ont souvent un crédit foncier en cours de remboursement ou un loyer à payer qui limite leur capacité d’investissement. Certains prennent aussi jusqu’à 10 ans de crédit pour payer leur matériel d’irrigation. Chez ces irrigants, le changement de technologie d’irrigation apparaît alors lorsque le crédit sur leur technologie actuelle s’achève.
15 Enfin, le contexte pédoclimatique des exploitations est un facteur essentiel pour expliquer les décisions d’adoption individuelles. En effet, la profitabilité relative de chaque matériel dépend des économies potentiellement réalisables sur la facture d’eau. C’est pourquoi la diffusion de nouvelles technologies d’irrigation sera plus rapide dans les zones sèches des périmètres irrigués. D’autre part, quelques études ont montré que la profitabilité relative des technologies d’irrigation dépendait de la qualité du sol (CASWELL et ZILBERMAN, 1986 ; CASWELL et al., 1990 ; KHANNA et ZILBERMAN, 1997). D’autres études ont montré que le choix de matériel d’irrigation était directement corrélé au choix d’assolement (SCHOENGOLD et al., 2005). En théorie, il existe un type de sol à partir duquel la profitabilité relative des nouvelles technologies d’irrigation devient inférieure à celle des anciennes (CASWELL et ZILBERMAN, 1986 ; KHANNA et ZILBERMAN, 1997). À la Réunion, le contexte pédoclimatique des exploitations est résumé dans leurs besoins théoriques en eau, calculés par un modèle de bilan hydrique à l’échelle de micro zones aux conditions physiques homogènes (CHOPART et al., 2006).
2.2. Les caractéristiques du contexte d’adoption des irrigants
16 Le second axe des facteurs clés de la diffusion de technologies d’irrigation économes en eau concerne les caractéristiques du contexte d’adoption des irrigants. Quatre facteurs clés sont identifiés : le prix de l’eau d’irrigation, le prix de la canne, le transfert d’information et la confiance des irrigants envers leurs institutions.
17 En premier lieu le contexte économique, notamment le prix de l’eau d’irrigation, semble être un facteur déterminant pour expliquer les décisions individuelles d’adoption (CASWELL et ZILBERMAN, 1985 ; CASWELL et al., 1990) ainsi que le taux agrégé d’adoption des technologies d’irrigation économes en eau (DINAR et YARON, 1992). Cependant, la faible évolution du prix de l’eau d’irrigation à la Réunion laisse supposer que ce facteur ne présente qu’un impact limité sur le taux d’adoption technologique. Après avoir suivi une augmentation moyenne de 6,5 % par an durant les années 1990, le prix moyen [2] (calcul pour 5 000 m3/ha/semestre) n’a ensuite quasiment pas évolué de 1999 à aujourd’hui. Il a même baissé si on considère la remise de 15 % sur la facture d’eau mise en place de 1999 à 2003 (cf. figure 2). De plus, une forte augmentation du prix de l’eau paraît contraire à l’objectif d’économie tout en assurant la pérennité des exploitations. La demande en eau individuelle est inélastique jusqu’à un certain seuil de tarification alors que le revenu des agriculteurs décroît de façon quasi-linéaire à mesure que le prix de l’eau augmente (DUMANOIS, 2003 ; FUSILLIER, 2006).
18 D’autre part, la nature du marché auquel participent les irrigants joue probablement un rôle sur leur volonté d’innover en matière d’irrigation. À la Réunion, le prix de la canne et les incertitudes liées au marché du sucre peuvent avoir deux impacts majeurs. Le premier concerne les choix d’assolement. Les irrigants peuvent ainsi être tentés de modifier leur assolement pour tenter d’augmenter leurs marges, le marché des fruits et légumes étant plus lucratif (mais aussi plus risqué) que celui de la canne. Le second concerne les choix technologiques. Certains irrigants peuvent ainsi différer leurs investissements en matériel d’irrigation et attendre de connaître l’évolution des perspectives du marché de la canne à sucre. D’autres, rassurés par le marché sécurisé de la canne, peuvent, au contraire, s’équiper plus facilement. Le prix de la tonne de canne payée aux planteurs n’a pas évolué depuis 2001 et ne devrait pas changer avant 2010. Il dépend principalement de la richesse en sucre des cannes (39,09 €/tonne pour une richesse de 13,8 %), de la production de l’agriculteur (21,40 €/tonne pour les 700 premières tonnes) et du volume produit sur l’île (1,30 €/tonne si la production dépasse 1 500 000 tonnes).
0,06
0,05
€/m3
0,04
0,03
0,02
1991 1995 1999 2003
Sans remise Avec remise
19 De plus le contexte social, notamment le transfert d’information, influence le taux d’adoption des technologies d’irrigation économes en eau (DINAR et YARON, 1992). Lorsque le nombre d’irrigants ayant déjà adopté est faible, la décision d’adoption constitue une action innovante. Dans ce cas, l’accès à l’information est généralement formel. Lorsque le nombre d’irrigants est déjà élevé, le transfert d’information est surtout dû au bouche à oreille répandu par les irrigants ayant déjà adopté (les innovateurs). En particulier, l’influence de certains irrigants peut s’avérer déterminante et en inciter d’autres à se comporter comme eux. De plus, il semble que plus l’accès à l’information est formel (BEPA, conseils de la Chambre d’Agriculture), plus les irrigants adoptent vite (YARON et al., 1992). A contrario, plus l’accès à l’information est empirique (bouche à oreille, espionnage), plus la diffusion est lente. Enfin, le processus d’imitation inhérent à la diffusion de chaque innovation peut être plus ou moins marqué selon les caractéristiques de la nouvelle technologie.
20 Enfin le contexte institutionnel, notamment la confiance des irrigants envers leurs institutions, peut modifier les choix technologiques individuels (MARSHALL, 2004). Il semble logique de considérer que la diffusion de nouvelles technologies d’irrigation est bénéfique pour tous les acteurs de l’eau. La disposition des irrigants à s’équiper en technologies d’irrigation économes en eau s’apparente donc à leur volonté de coopérer avec les institutions. Le degré de coopération peut notamment dépendre des taux de subvention de chaque matériel et de la confiance des irrigants envers les institutions qui les encadrent. À la Réunion, cette confiance s’illustre par les choix de financement (recours ou non à la subvention) ainsi que les choix de fournisseurs et d’installateurs de matériel d’irrigation pris par les irrigants. Ce facteur est en lien direct avec les caractéristiques du marché des technologies et les activités de conseil (et de prescription de nouvelles technologies) exercées par les institutions auprès des irrigants (Chambre d’Agriculture, SAPHIR [3], CIRAD).
2.3. Les caractéristiques des technologies d’irrigation économes en eau
21 Le troisième axe des facteurs clés de la diffusion de technologies d’irrigation économes en eau concerne les caractéristiques de ces technologies. Quatre facteurs clés sont identifiés : le coût, l’adaptabilité, la complexité et l’évolution du rapport qualité-prix des technologies économes en eau.
22 En premier lieu, le coût des technologies d’irrigation économes en eau joue un rôle majeur sur la volonté des irrigants à s’équiper (DINAR et YARON, 1992). En 2006 à la Réunion, un système en aspersion intégrale « clé en main » coûte en moyenne 3900 €/ha et un système en goutte à goutte 6500 €/ha. Ces coûts peuvent varier de 5 à 10 % par an en fonction des variations de prix de certains accessoires qui composent chaque système d’irrigation. Dans les années 1990, l’aspersion (totale et intégrale) était subventionnée à 40 % et le goutte-à-goutte à 60 %. De 2000 à 2006, l’aspersion intégrale a été subventionnée à 65 % et le goutte-à-goutte à 75 % dans le cadre d’une opération d’élimination du matériel obsolète (couverture mobile et totale) conduite par le Conseil Général. Grâce à ce taux de subvention, le coût d’investissement à la charge de l’agriculteur est quasiment le même pour chaque technologie et s’élève à 1500 €/ha (cf. figure 3). Cependant, le coût de l’aspersion intégrale varie fortement si l’irrigant construit seul son système. S’il monte lui-même ses canons, dimensionne son réseau et pose les tuyaux sur ses parcelles, un système en aspersion intégrale coûte moins de 1000 €/ha sans subvention. Par contre, un système en goutte-à-goutte est beaucoup plus compliqué à construire seul à cause des automatismes. Concernant le coût du goutte-à-goutte, il faut aussi considérer le réinvestissement nécessaire lors d’une replantation des souches de canne (à peu près tous les 7 ans). Ceci provoque un différentiel important de coût de fonctionnement entre chaque matériel.
23 Ensuite, l’adaptabilité des technologies d’irrigation économes en eau au contexte local, notamment aux besoins des irrigants, peut modifier les décisions technologiques individuelles (FEDER et al., 1985 ; SAVIOTTI, 2001). En effet, des types de matériel semblent mieux adaptés que d’autres à certains types de cultures ou à certains types de sols. Ceci se vérifie à la Réunion où l’aspersion paraît mieux appropriée que le goutte-à-goutte à la culture de la canne. Plus précisément, les goutteurs d’un système en goutte-à-goutte peuvent parfois être bouchés par les racines des cannes. De plus les tuyaux du réseau secondaire, enterrés au niveau de la réserve utile du sol, peuvent être altérés par des sols pierreux. Le rapport de chaque matériel au contexte climatique est plus ambigu : le goutte-à-goutte permet de s’affranchir du vent alors que l’aspersion permet de mieux valoriser les pluies grâce à des tours d’eau plus longs.
Le coût des technologies d’irrigation économes en eau à la Réunion (Périmètres Sud, moyenne 2000-2006)
6000
(€/ha)
4000
2000
0
Intégrale GàG
Montant à la charge de l'agriculteur Montant subventionné
Le coût des technologies d’irrigation économes en eau à la Réunion (Périmètres Sud, moyenne 2000-2006)
24 De plus, la complexité d’une nouvelle technologie bénéfique pour l’environnement joue un rôle important pour expliquer son taux d’adoption (KEMP, 1997). Ceci se vérifie dans le cas des technologies d’irrigation économes en eau. Le système d’irrigation en goutte à goutte est le plus complexe des matériels d’irrigation puisqu’il est composé d’une station centrale de filtration accompagné généralement d’un programmateur pour les automatismes. Un tel système nécessite des connaissances précises qui peuvent freiner sa diffusion. Par contre, la relative simplicité d’usage de l’aspersion en couverture intégrale pourrait expliquer sa diffusion plus rapide. On observe, cependant, différents types de systèmes d’aspersion en couverture intégrale selon le type de vannes utilisées : manuelles, volumétriques ou programmables. Sur les périmètres irrigués du sud de la Réunion, il semble que plus le système est automatisé, moins il est diffusé. L’intégrale avec vannes manuelles est majoritaire à plus de 50 % alors que l’intégrale avec vannes programmables ou le goutte-à-goutte représentent moins de 10 % des systèmes d’irrigation.
25 Enfin, l’évolution du rapport qualité-prix des technologies d’irrigation économes en eau semble un paramètre important au moment du choix d’équipement des irrigants (SAVIOTTI, 2001). Ce rapport dépend notamment de l’évolution des pratiques des irrigants. En cas de changement technologique, il peut exister un coût d’apprentissage important pour atteindre un bon rapport qualité-prix avec une nouvelle technologie complexe. De plus, chaque technologie nécessite un savoir-faire particulier. Dans le cas des technologies d’irrigation économes en eau, la transition de l’aspersion en couverture mobile ou totale vers l’intégrale nécessite un changement de pratiques beaucoup moins radical qu’en cas de transition vers du goutte-à-goutte. Concernant l’aspersion, une forte évolution des pratiques apparaît surtout lorsque l’irrigant s’équipe aussi en vannes volumétriques ou programmables (cf. figure 4). De plus, l’évolution du rapport qualité-prix des technologies d’irrigation économes en eau dépend des croyances des irrigants en matière de pratiques. Ainsi, un agriculteur qui passe de l’aspersion totale vers de l’intégrale peut conserver les mêmes pratiques (tours d’eau et doses longues), croyant qu’elles sont optimales. Cela peut influer de façon négative sur le rapport qualité-prix des nouvelles technologies. Dans ce cas, le changement technologique répond surtout à un objectif de minimisation du temps de travail.
Description des pratiques d’irrigation à la Réunion (Périmètres Sud, 2006)
de matériel d'irrigation sur les aspersion intégrale selon le type
périmètres du sud d'automatismes
25
25
20 20 20
Tour d'eau (en jours)
15 15 15
12 12
11
10 10 10
8 8 8
Tour d'eau (en jours)
7
7 7
5 5 5 5 5 6 6
4 4
3 3 3 3
2 2 2
1 1 1 1
0 0
Obsolète Intégrale GàG Int-Manu Int-Mixte Int-Volu Int-Prog
Description des pratiques d’irrigation à la Réunion (Périmètres Sud, 2006)
- 3 - Les modèles de diffusion technologique appliqués à l’irrigation
26 Dans cette section, nous conceptualisons les facteurs clés de la diffusion de technologies d’irrigation économes en eau à la Réunion qui viennent d’être identifiés. Deux référentiels théoriques sont mobilisés : la théorie néoclassique et l’approche évolutionniste. La première partie de la section présente deux types de modèles néoclassiques : les modèles de diffusion épidémiologique et les modèles des choix rationnels d’adoption. La deuxième partie expose des outils issus du référentiel de l’économie évolutionniste. L’objectif est de présenter deux référentiels théoriques susceptibles d’expliquer la diffusion de l’aspersion en couverture intégrale et du goutte-à-goutte à la Réunion.
3.1. La théorie néoclassique
Les modèles de diffusion épidémiologique
27 Les modèles de diffusion épidémiologique sont considérés comme des modèles de déséquilibre car ils supposent que le système économique s’ajuste vers un nouvel équilibre lors de la diffusion technologique.
28 Les modèles de diffusion épidémiologique sont issus de la biologie mathématique où ils servent à analyser les modalités de diffusion d’une nouvelle maladie. Appliquées à la diffusion d’une innovation technologique (par exemple, une technologie d’irrigation économe en eau), ses propriétés caractéristiques concernent le processus de diffusion technologique qui est conditionné par un processus endogène d’apprentissage et de formation des goûts. Le nombre d’adopteurs à l’instant t dépend du nombre d’individus (par exemple, les irrigants) ayant adopté l’innovation à l’instant t-1. Le comportement d’imitation de la population et les effets de groupe constituent la source du processus de diffusion. Dans ces modèles, on cherche le rythme et le plafond de la diffusion à un niveau agrégé. Les décisions individuelles sont supposées n’avoir aucun effet sur la diffusion dans son ensemble.
29 Le modèle épidémiologique le plus répandu est le modèle logistique. Il est décrit par l’équation différentielle suivante :
n?t = ?Nt (N ? nt) (1)
30 où nt correspond au nombre d’individus ayant adopté l’innovation à l’instant t, N correspond à la taille de la population qui pourrait adopter l’innovation et ? reflète la vraisemblance d’adopter l’innovation. En particulier, le paramètre ? s’interprète comme le rythme de diffusion de l’innovation.
31 La courbe logistique est une courbe en S représentant la proportion d’adopteurs nt/N en fonction du temps t. Le point d’inflexion de la courbe se situe à nt/N = 0,5 et le plafond à nt/N = 1. Les individus qui adoptent la technologie avant le point d’inflexion de la courbe sont considérés comme des innovateurs, les autres comme des imitateurs (cf. figure 5). Deux exemples d’application du modèle logistique pour analyser la diffusion de nouvelles technologies concernent la diffusion de nouvelles graines hybrides aux États-Unis (GRILICHES, 1957) et la diffusion de douze innovations dans quatre industries américaines (MANSFIELD, 1961). Ces études confirment que l’imitation est un facteur essentiel du processus de diffusion d’une innovation.
32 Il existe des alternatives au modèle logistique : le modèle log normal, le modèle de GOMPERTZ (où le point d’inflexion se situe à nt/N = 0,37) et le modèle de BASS, décrit par l’équation différentielle suivante :
n?t = p (N ? nt) + qNt (N ? nt) (2)
33 où le rythme de diffusion ne dépend plus seulement du nombre d’individus ayant déjà adopté la nouvelle technologie. Plus précisément, le premier terme de (2), p (N - nt), représente la proportion d’adopteurs non influencés par les individus ayant déjà adopté l’innovation puisqu’il ne dépend pas du rapport nt/N. Le paramètre p peut s’interpréter comme le coefficient d’innovation et le paramètre q comme le coefficient d’imitation.
34 Les modèles de diffusion épidémiologique font l’objet de plusieurs critiques : la profitabilité de la technologie reste constante dans le temps pour chaque individu, chaque individu possède les mêmes chances d’adopter la nouvelle technologie, les adopteurs potentiels sont considérés homogènes et leur population est constante, les sources d’information sont toutes internes, la prise en compte du risque, de l’incertitude et de l’acquisition d’information est difficilement intégrable et la possibilité d’adopter plusieurs fois l’innovation n’est pas prise en compte (KEMP, 1997).
35 Certaines études ont enrichi ces modèles en intégrant des paramètres économiques pouvant faire varier le rythme et/ou le plafond de diffusion à un niveau agrégé. Par exemple, le modèle logistique enrichi de paramètres économiques a été appliqué à la diffusion d’ordinateurs aux USA pour la période 1954-67 (CHOW, 1967) ou à la diffusion de zones de pâturage améliorées en Uruguay (JARVIS, 1981). Ces études démontrent le rôle joué par les instruments économiques (coût de l’innovation, etc...) sur le rythme et le plafond de diffusion. L’impact du prix de l’eau sur la diffusion agrégée de technologies économes en eau a ainsi été mis en évidence (DINAR et YARON, 1992). L’intégration du prix de l’eau dans le modèle peut se faire de la façon suivante : le rythme de diffusion peut être une fonction du prix de l’eau à l’instant t, le plafond de diffusion peut aussi être une fonction du prix de l’eau à l’instant t et ces deux paramètres peuvent bien sûr dépendre simultanément du prix de l’eau à l’instant t (KEMP, 1997).
36 Finalement, ces modèles montrent que des facteurs socio-économiques, structurels et démographiques déterminent le rythme et le plafond de la diffusion des technologies d’irrigation économes en eau. Par contre, ils ne répondent pas à la question suivante : pourquoi certains adoptent-ils plus tôt que d’autres ? Ceci a suscité l’utilisation de modèles microéconomiques qui tentent de répondre à ce problème : les modèles des choix rationnels d’adoption. Nous les présentons dans la sous-partie suivante.
Les modèles des choix rationnels d’adoption
37 Si certains adoptent moins vite que d’autres, c’est parce qu’il est rationnel d’agir comme cela.
38 Les modèles des choix rationnels sont fondés sur cette hypothèse. Ce sont des modèles d’équilibre car on suppose que les acteurs économiques sont à l’équilibre lors de la diffusion technologique. La décision individuelle d’adopter ou pas la technologie y est explicitement modélisée. Le rythme et le plafond de la diffusion agrégée sont le fruit de ces décisions individuelles : à chaque instant t donné, le taux d’adoption correspond à la somme des décisions individuelles. Autrement dit, dans les modèles des choix rationnels, la courbe en S est reconstruite point par point en faisant varier les paramètres de décision microéconomique.
39 Ces modèles se divisent en deux catégories distinctes : ceux en information parfaite et ceux en information imparfaite avec apprentissage exogène. Dans ces modèles, la décision individuelle d’adopter est déclenchée par une variation stimulante de certains facteurs clés. Les modèles des choix rationnels sont parfois appelés modèles de seuil dans la mesure où l’adoption intervient lorsque la variation de certains paramètres dépasse un certain niveau critique (le seuil d’adoption). Ces paramètres sont les facteurs d’hétérogénéité des adopteurs potentiels.
40 Les modèles de seuil en information parfaite les plus répandus sont le modèle probit (DAVID, 1969) et le modèle logit (DOMENCICH et MCFADDEN, 1975). Plus précisément, DAVID applique un modèle probit pour analyser la diffusion aux États-Unis d’une moissonneuse mécanique au XIXe siècle. Le facteur d’hétérogénéité expliquant les adoptions individuelles est la taille des exploitations. DOMENCICH et MCFADDEN appliquent un modèle logit pour analyser la diffusion de transports en commun aux États-Unis. Le facteur d’hétérogénéité expliquant les adoptions individuelles est ici les préférences individuelles. Le principe de ces modèles de choix discret est d’estimer une probabilité d’adoption à un niveau de décision microéconomique.
41 Ces modèles ont pu être appliqués à la diffusion de technologies bénéfiques pour l’environnement. Par exemple, un modèle de seuil d’adoption a été mis en œuvre pour analyser : la diffusion de technologies économes en énergie chez les ménages (JAFFE et STAVINS, 1991), la diffusion de technologies bénéfiques pour l’environnement dans l’industrie hollandaise (KEMP, 1997) ou la diffusion de technologies moins polluantes dans le secteur viti-vinicole du sud-est de la France (FAROLFI et MONTAIGNE, 2001). Ces modèles ont aussi été appliqués à la diffusion de technologies d’irrigation économes en eau. CASWELL et ZILBERMAN (1985 ; 1986) utilisent un modèle des choix rationnels pour analyser la diffusion de technologies d’irrigation économes en eau en Californie. Le mécanisme des adoptions individuelles est une analyse coûts-bénéfices. Ils montrent que la qualité du sol des exploitations est un facteur important d’hétérogénéité entre irrigants.
42 Par ailleurs, il est admis que le risque et l’incertitude jouent un rôle essentiel pour expliquer les comportements individuels (JENSEN, 1982 ; JUST et ZILBERMAN, 1983). Les préférences individuelles face au risque ainsi que les connaissances et l’apprentissage apparaissent comme d’importants facteurs d’hétérogénéité entre les adopteurs potentiels. De plus, dans un cadre d’analyse dynamique, l’investissement nécessaire pour adopter une nouvelle technologie peut se révéler irréversible. Les modèles de seuil ont ainsi été améliorés par l’introduction d’une valeur d’option liée au risque de la décision d’adoption (CAREY et ZILBERMAN, 2002 ; KOUNDOURI et al., 2006).
43 Nous pouvons représenter la distribution des adopteurs potentiels, c’est-à-dire le nombre d’adopteurs en fonction de Z (qui synthétise les facteurs d’hétérogénéité entre adopteurs : taille des firmes, préférences, qualité du sol...) (cf. figure 6). Sur ce graphique, le seuil d’adoption peut varier à droite ou à gauche en fonction des caractéristiques représentées par Z. De plus, ici les individus qui adoptent sont ceux se situant à droite du seuil, mais l’inverse est bien sûr envisageable.
44 Un irrigant rationnel décidera d’adopter une technologie d’irrigation économe en eau à un instant t donné lorsque l’espérance de l’utilité du profit réalisé avec la technologie à adopter devient supérieure à la somme de l’espérance de l’utilité du profit avec la technologie déjà en place et de la valeur d’option (VI) de l’investissement à réaliser (KOUNDOURI et al., 2006). Formellement, ce mécanisme s’écrit :
45 où Xi* est un seuil aléatoire pour chaque irrigant i, qui définit leur volonté d’adopter une nouvelle technologie d’irrigation. Le choix d’adoption est un choix binaire défini en laissant la variable aléatoire Xi = 1 si Xi* > 0 et Xi = 0 si Xi* ? 0. La fonction de profit d’un irrigant représentatif s’écrit :
46 où ? j est le profit réalisé avec la technologie d’irrigation j, p est le prix de l’output, r’ est le vecteur prix des inputs, Xj est le vecteur consommation des inputs avec la technologie j (Xwj représente la quantité d’eau consommée et X-wj est un vecteur représentant la consommation des autres inputs), Ij représente les coûts fixes de la technologie j, ? est un vecteur représentant les caractéristiques agronomiques de l’exploitation, ? est une variable aléatoire représentant le risque climatique, f () est la fonction de production (supposée concave) et hj () est la fonction d’efficience (supposée concave) de l’irrigation avec la technologie j.
47 Finalement, ces modèles mettent en évidence des facteurs économiques, environnementaux et institutionnels pour expliquer les décisions d’adoption individuelles. Mais ils supposent que le contexte institutionnel qui encadre la diffusion des technologies d’irrigation économes en eau ne change pas. Pourtant la diffusion de nouvelles technologies d’irrigation est un processus long au cours duquel de nombreux changements apparaissent : changements de contexte économique, social et institutionnel, changements des caractéristiques des technologies, changements dans la population des adopteurs potentiels, etc... L’impact de ces changements peut être très important sur les modalités de diffusion des technologies d’irrigation économes en eau. Dans la section suivante, nous présentons des éléments issus de l’approche évolutionniste pour mieux comprendre les effets de ces changements.
3.2. L’approche évolutionniste
48 Alors que la théorie néoclassique suppose qu’une relation fonctionnelle lie les facteurs de production (eau, travail, capital, connaissances) à la quantité produite (cf. (4)) et que la diffusion technologique est le fruit d’analyses coûts-bénéfices sous incertitude (cf. (3)), l’approche évolutionniste suppose que les technologies sont économiquement et techniquement liées aux autres technologies, aux pratiques des usagers et aux institutions. Autrement dit, l’économie évolutionniste propose un référentiel où les technologies sont intégrées au monde économique. Elle s’inspire de l’idée schumpétérienne selon laquelle la structure d’un système économique se modifie de l’intérieur par des processus de mutation industrielle (apparition de nouvelles méthodes de production, de nouveaux biens, de nouvelles formes d’organisation, de nouveaux marchés, par exemple, et disparition des « éléments périmés »). Le changement technologique n’est plus caractérisé par un changement exogène au niveau de la fonction de production (ou de la fonction d’efficience de l’irrigation) mais par une évolution endogène des pratiques et des processus de production. Cette évolution suit un sentier déterminé par les compétences accumulées et les apprentissages issus de phases d’adaptation à des situations nouvelles (NELSON et WINTER, 1974 ; 1982).
49 L’économie évolutionniste fait donc l’hypothèse que la création et la diffusion d’une nouvelle technologie au sein d’un système économique correspondent à la solution d’un problème spécifique caractérisé par un paradigme technologique. En d’autres termes, elle suppose qu’une innovation technologique n’apparaît pas par hasard. Ce paradigme est composé à la fois d’un produit à développer et à améliorer et d’un ensemble d’heuristiques : vers où allons-nous ? Vers où devrions-nous chercher ? Quelles sortes de connaissances devrions-nous mobiliser ? (DOSI, 1988). Généralement, il s’agit d’améliorer les performances et réduire les coûts d’une technologie bien précise (par exemple, une technologie d’irrigation). Le paradigme technologique synthétise d’abord l’ensemble des connaissances collectives à propos des limites intrinsèques de la technologie à améliorer. Il comprend, ensuite, le programme de recherche pour améliorer la situation existante (MONTAIGNE, 1997). On peut l’illustrer en prenant l’exemple de la recherche de hausse de la productivité des terres irriguées suite à la hausse des prix du foncier et à la stagnation du prix de la canne à sucre au début des années 1990 à la Réunion.
50 Le paradigme technologique génère alors des trajectoires technologiques individuelles. Ces trajectoires sont conditionnées par la dynamique des pratiques des adopteurs potentiels au sein de leur activité de production. Cette dynamique dépend du savoir-faire, des habitudes, des croyances et de l’apprentissage cumulé des individus. Certaines pratiques associées à d’anciennes technologies peuvent se révéler inadaptées à une nouvelle technologie. Dans ce cas, le changement technologique nécessite de profondes mutations des comportements et des processus de production. Par ailleurs, les trajectoires technologiques sont influencées par l’évolution de l’organisation institutionnelle qui encadre le changement technologique (FAROLFI et MONTAIGNE, 2001). En particulier, les caractéristiques du marché des technologies (un quasi-monopole à la Réunion) influencent la procédure de diffusion d’une nouvelle technologie. De plus, un ensemble d’acteurs institutionnels oriente les comportements et les choix technologiques individuels en accompagnant et conseillant les adopteurs potentiels.
51 En mettant ainsi l’accent sur les aspects cognitifs de la coordination au sein des firmes, l’économie évolutionniste s’inscrit dans la lignée des travaux de SIMON (1959) pour lequel les modalités de circulation de l’information et de prise de décision sont essentielles pour comprendre le comportement des firmes. En ce sens, l’approche évolutionniste converge vers l’économie néo-institutionnelle (BROUS-SEAU, 1999). Ce référentiel a généralement recours à la théorie des jeux coopératifs répétés qui dit que la coopération entre les organisations (firmes, institutions, etc...) est bénéfique pour tous mais dépend de leur confiance mutuelle. En effet, des problèmes dynamiques de coordination au sein d’une société peuvent mettre en péril l’efficacité de ses politiques environnementales (BROMLEY, 1982). Des facteurs institutionnels interviennent dans le processus de formation des préférences et contribuent à atteindre, ou pas, les états environnementaux souhaités (VATN, 2006).
52 D’un point de vue macroéconomique, l’économie évolutionniste cherche à identifier le chemin conduisant à une situation technologique particulière lorsque celui-ci semble en contradiction avec les critères de diffusion néoclassique (DAVID, 1985 ; SAVIOTTI, 2001). Elle relâche les hypothèses des modèles de diffusion épidémiologique concernant la fixité et l’homogénéité de la population des adopteurs potentiels et l’invariabilité des caractéristiques des technologies. Pour cela, elle s’appuie sur le concept de filière d’innovation technologique, définie comme : « un ensemble de firmes et d’organisations privées ou publiques, participant au processus de constitution d’une technologie, c’est-à-dire à la solution d’un paradigme, à son évaluation technico-économique dans les entreprises concernées et donc à la définition d’une trajectoire technologique agrégeant celles des firmes élémentaires » (MONTAIGNE, 1997, p. 13). Une modification brutale de la trajectoire technologique agrégée est associée à l’émergence d’un nouveau paradigme. L’application de ces concepts à la diffusion de technologies bénéfiques pour l’environnement permet d’identifier les raisons qui poussent certaines firmes ou organisations à faire des choix technologiques mal adaptés à leur environnement (KEMP, 1997 ; MULDER et al., 1999 ; FAROLFI et MONTAIGNE, 2001 ; PERRET et STEVENS, 2006).
53 Au final, l’approche évolutionniste met en évidence des facteurs technologiques, économiques, structurels et culturels pour expliquer la diffusion de technologies d’irrigation économes en eau. En s’affranchissant de l’hypothèse d’une relation fonctionnelle entre les inputs et les outputs, ce référentiel permet d’illustrer comment une filière peut se retrouver bloquée dans une situation technologique particulière qui échappe aux critères de l’analyse coûts-bénéfices sous incertitude.
- 4 - Conclusion
54 Cet article a présenté l’ensemble des déterminants de la diffusion des technologies d’irrigation économes en eau à la Réunion. Les résultats d’une enquête auprès de 116 irrigants combinés à une revue de la littérature ont permis de les classer en trois axes : les caractéristiques des irrigants, celles du contexte d’adoption des irrigants et celles des technologies d’irrigation économes en eau. Plus précisément on recense : (1) la taille et le contexte pédoclimatique des exploitations ainsi que les objectifs, l’aversion au risque, les connaissances et les contraintes (notamment budgétaire) des irrigants ; (2) le prix de l’eau d’irrigation, le prix de la canne, le transfert d’information et la confiance des irrigants envers leurs institutions et (3) le coût, l’adaptabilité, la complexité et l’évolution du rapport qualité-prix des technologies d’irrigation économes en eau.
55 Deux référentiels théoriques ont été mobilisés pour conceptualiser ces déterminants : la théorie néoclassique et l’approche évolutionniste. Le problème traité dans cet article permettant de mettre en évidence la complémentarité de chaque approche. La diffusion de l’aspersion en couverture intégrale semble suivre une courbe en S et répondre ainsi aux critères de diffusion néoclassique. Deux types de modèles sont alors mobilisables pour reconstruire la courbe en S : les modèles de diffusion épidémiologique et les modèles des choix rationnels d’adoption. La comparaison de l’efficacité de chaque type de modèles permettrait de mieux comprendre comment les irrigants acquièrent l’information. Ce processus répond-il plutôt à des facteurs endogènes (imitation) ou exogènes (micro paramètres) ? Il s’agit là d’une prochaine étape de travail.
56 Par ailleurs, l’approche évolutionniste semble mieux adaptée au cas du goutte-à-goutte. Le critère néoclassique de l’analyse coûts-bénéfices sous incertitude explique mal le comportement des irrigants à propos de cette technologie d’irrigation. Il semble que le faible taux d’adoption du goutte-à-goutte à la Réunion soit mieux compris en comparant (d’un point de vue économique et technique) l’évolution de ses propres caractéristiques aux caractéristiques des autres technologies d’irrigation, aux pratiques des irrigants et au contexte institutionnel. L’identification des facteurs expliquant la diffusion du goutte-à-goutte à la Réunion nécessite de comprendre la source, la procédure et les effets microéconomiques du processus de diffusion. Ceci sera réalisé au cours d’une future phase de recherche.
57 Finalement, la réponse à la question sur l’impact des instruments économiques initialement soulevée mériterait une analyse plus poussée. Toutefois, il semblerait que la mise en place d’une politique de prix incitative soit une condition nécessaire mais pas suffisante pour élaborer une politique de l’eau soutenable. Une approche intégrée dans laquelle des facteurs technologiques, économiques, structurels et culturels sont pris en compte semble plus appropriée.
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Mots-clés éditeurs : approche évolutionniste, décision d'adoption, modèle néoclassique, diffusion technologique
Date de mise en ligne : 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/reru.081.0109Notes
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[*]
Première version janvier 2007, version révisée avril 2007.
-
[1]
- Le Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) est une déclinaison plus précise et plus fonctionnelle du Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE), établi en 2001 à la Réunion par le Comité de Bassin au terme de 6 ans de procédure. Ces outils, prévus par la loi française sur l’eau de 1992, proposent une gestion fondée sur une logique d’action collective et de négociation. Le SAGE Sud de la Réunion est constitué d’un plan d’actions et d’un ensemble d’orientations développés à l’initiative des communes situées dans les zones à problèmes (en termes de satisfaction inter temporelle des besoins en eau) identifiées au préalable par le SDAGE (FUSILLIER et LAFFOND, 2004).
-
[2]
- Sur les périmètres du sud, la structure tarifaire est en fait proportionnelle au volume consommé et progressive avec un palier : en dessous de 6000 m3/ha/semestre, l’eau coûte 0,0625 €/m3 et 0,0915 au delà. Cependant, la très faible proportion d’agriculteurs concernés par la tranche haute du prix nous amène ici à considérer seulement la tranche basse du prix.
-
[3]
- Société d’Aménagement des Périmètres Hydro-agricoles de l’Ile de la Réunion.