Couverture de RERU_051

Article de revue

Lectures bibliographiques

Pages 137 à 158

L,2005,I,1 - OFFREDI Cl. (sous la direction de), 2004, « La dynamique de l’évaluation face au développement durable », Éd. L’Harmattan, Société Française de l’Évaluation, Collection La Librairie des Humanités, 324 pages, (reçu en décembre 2004)

1« Le développement durable se prête difficilement à toutes formes de rationalisation a priori » (Jacques THEYS), « le développement durable est une pensée de l’interface entre les systèmes institutionnels et politiques, les systèmes organisationnels, les trois sphères de base de la notion de développement durable (viabilité, vivabilité, équité sociale) et en terme d’articulation entre ces notions du point de vue des logiques sociales, logiques du temps, logiques de l’espace » (Guy LOINGER). Aussi face à la multiplicité d’indicateurs alternatifs (Bernard PERRET) des tentatives de construction à visée synthétique se développent autour du - bien-être économique - de la qualité de vie - du développement humain - de la santé sociale - du capital social - du capital manufacturé - du capital naturel - du capital humain.

2L’élaboration d’un système d’indicateurs pose donc en filigrane la question du système de valeurs qui les sous-tend et des groupes sociaux qui les expriment (LEVARLET, 1999). Ainsi :

  • l’ONU retient 134 indicateurs ;
  • l’OCDE décrit les pressions que l’activité humaine exerce sur l’environnement,
  • l’Agence européenne de l’environnement propose un cadre amélioré « DPSIR »… ;
  • pour l’IFEN, une entrée plus sociétale s’effectue par la notion de « besoins » : (modules 1 à 12) : économie (1), sociologie (6 à 11), écologie (2 à 5) ;
  • pour l’OMD : Objectif du Millénaire pour le Développement qui sert de référence à la CE.
Mais évaluer, ce n’est pas seulement construire des indicateurs, c’est aussi commenter, discuter, mettre en perspective ces indicateurs dans des documents commentés, pour lesquels un consensus a émergé concernant les composantes du bien-être et du développement durable.

3Aussi certains lecteurs avides d’universalité seront déçus face à l’hétérogénéité des cas étudiés :

  • espaces ruraux (programme Leader),
  • politique sectorielle (programme forêt),
  • services publics d’eau potable,
  • environnement risqué,
  • effet de serre : cas des transports et du résidentiel-tertiaire,
  • déchets ménagers,
  • tourisme durable à travers la politique de Développement Durable du groupe Accor,
  • convention européenne du paysage,
  • controverses environnementales.
Chaque cas territorialisé présente une évaluation pluraliste du développement durable renforçant :
  • la capacité de combiner des ressources cognitives plurielles,
  • la mise en scène de l’expression des points de vue privilégiés
afin d’éviter que l’évaluation ne soit au service de la seule optimisation des modes de gestion, d’organisation et de décision, mais qu’elle traduise en même temps l’écoute permanente de la dimension citoyenne du changement.

4Ce document rassemble les communications de 32 chercheurs qui ont transmis leurs réflexions développées lors des 5èmes Journées de la Société Française de l’Évaluation (400 adhérents) organisées à Limoges en Septembre 2003. (Janvier 2005).

5Christian LEMAIGNAN - Université de Poitiers

L,2005,I,2 - ABEN J., 2003, « Gestion et financement des collectivités locales », Éditions L’Harmattan, Collection Économie et Innovation, Paris, 230 pages, (reçu en janvier 2005)

6Il ne s’agit pas uniquement d’un ouvrage de plus sur les finances des collectivités locales. Les étudiants, les élus, tout lecteur (citoyen) y trouveront leur compte.

7Le livre embrasse le domaine des compétences transférées par l’État et l’action spécifique des collectivités locales. L’auteur s’intéresse à ces collectivités en tant qu’actrices de la politique publique notamment en ce qui concerne l’intervention économique, l’aménagement du territoire, l’aide sociale, l’urbanisme (recherche de moyens auprès des administrés, des autorités de tutelle et des financeurs privés banques). D’où l’importance des termes GESTION et FINANCEMENT, présents dans le titre.

8Le caractère un peu encyclopédique que nécessiterait une telle présentation est volontairement écarté au profit de la compréhension de l’action des collectivités locales (essentiellement la commune prise souvent comme exemple) et de l’État.

9Ces choix conduisent logiquement l’auteur à un plan en trois parties.

10La première intitulée « Politiques publiques et dépenses des collectivités locales » décrit comment la réalisation des projets des élus locaux les conduit à engager les ressources nécessaires (analyse de l’organisation financière et des documents comptables, analyses des compétences et de leur répartition, analyse des modes de gestion - régie, délégation de service public).

11La deuxième partie étudie le financement définitif des collectivités territoriales à travers leurs prérogatives fiscales et la création de redevances en contrepartie de services fournis. L’analyse des ressources internes est bien sûr complétée par celle des ressources externes (dotations diverses, subventions, compensations) hormis l’emprunt étudié dans une troisième partie. L’auteur a donc été conduit à distinguer ressources externes définitives résultant des transferts financiers nationaux ou supranationaux (U.E.) et ressources provisoires (emprunts) qui servent à satisfaire un besoin de financement. Cette ultime partie, outre cette analyse de l’emprunt comprend également celle des risques financiers qui lui sont liés.

12Au total, voilà un manuel de qualité, rodé auprès de quelques générations d’étudiants, au déroulement pédagogique convaincant qui mêle à la fois diversité de l’information et rigueur de l’analyse. (Janvier 2005).

13Bernard LAVAL -Université Montesquieu-Bordeaux IV

L,2005,I,3 - FLORENS J.P., MARIMOUTOU V., PEGUIN-FEISSOLLE A., 2004, « Économétrie, Modélisation et inférence », Éditions Armand Colin, Paris, 506 pages, ISBN : 2-200-26719-3, (lecture en décembre 2004)

14On souhaite remercier l’éditeur Armand Colin, ainsi que les trois auteurs de nous avoir envoyé cet ouvrage. Ce n’est pas un livre facile, ni par le contenu, le volume et le public visé, même si la quatrième de couverture précise que ce livre s’adresse aux « étudiants avancés, les chercheurs et enseignants-chercheurs, et les professionnels de l’économie ». On entend bien l’objectif visé : « avoir une vue unifiée et générale en langue française de l’économétrie moderne » ; plus précisément, les auteurs souhaitent que cette vision unifiée soit commandée par la méthodologie économétrique, même si, faussement modestes, les auteurs ajoutent « presque toute ». Du coup, les auteurs assument leur choix qui n’est pas de faire « un livre d’économétrie appliquée : aucun exemple économique ni même numérique n’y figure » (pp. 10-11). Ce choix délibéré cache sans doute une autre ambition non explicitée mais probable : construire une légitimation supplémentaire ou spécifique à l’économétrie, montrer qu’elle constitue un domaine scientifique qui a évidemment sa rigueur, sa légitimité mais qui entend gagner une certaine autonomie et borner ainsi son champ. Certes, les auteurs reconnaissent à l’économétrie la fonction « d’étudier les phénomènes économiques à partir d’observations statistiques. Elle formalise la théorie économique sous forme de relation (des modèles) dont les éléments inconnus sont déterminés à partir des données disponibles : l’économétrie teste et quantifie les hypothèses économiques, elle les rend opérationnelles par des prévisions ou par des simulations de l’impact de politiques ou de décisions économiques » (p. 9).

15Comme autrefois on définissait des mathématiques pour économistes, et au service de ceux-ci, l’économétrie reconnaît la place de la théorie économique qui « sert à choisir les variables, à définir les grandeurs pertinentes à estimer et à limiter la classe des modèles pouvant être utilisés ». Ainsi, à nouveau, une déclaration de coopération avec la théorie économique, coopération tellement évidente que cette théorie n’est pratiquement jamais nommée, illustrée, caractérisée, même si « la nature de l’économétrie est appliquée », formule sur laquelle on a déjà beaucoup discuté et en général en vain. Ce manque de référence n’aide pas forcément à la lecture de cette Économétrie, d’autant que durant longtemps un des trois auteurs, V. MARIMOUTOU, me démontrait le matin, à l’heure du café, que l’économétrie peut être clairement, simplement, expliquée : ainsi à l’époque le modèle Var (p. 331) ou du bootstrap (p. 192).

16Un avantage et un inconvénient de cette somme sont constitués par une terminologie souvent revue et harmonisée, de la part des auteurs alors que bien souvent on connaît telle méthode ou tel modèle sous une appellation différente. Les notes bibliographiques de fin de chapitre, très importantes, sont quasiment exclusivement conservées aux travaux économétriques et aux statistiques mathématiques, ce que pudiquement sans doute est appelé (p. 45), le côté abstrait de la présentation. On évoquera de manière sélective, « la propriété de dominance », les modèles marginaux et conditionnels (pp. 25-28), les dépassements nécessaires de « la vision ancienne de l’économétrie » (p. 26), l’exogénéité, les tests de RAO, le traitement des MMG, l’estimation non paramétrique de la régression, les processus ARMA, la co-intégration qui se généralise en analyse spatiale par exemple. Pour une singulière illustration d’une marche aléatoire avec dérive et composante purement déterministe, voir l’exemple 13.6 (pp. 325-328).

17Il y a certainement toute la rigueur indispensable pour conduire le lecteur à reconnaître les grands champs d’application des développements : on s’en explique page 18 et on renvoie au chapitre 16 qui permettent de mieux comprendre les relations avec la théorie économique. Ce chapitre 16 évoqué déjà doit être lu avec attention dans la mesure où, en effet d’écho d’un avant-propos succinct, on précise la nature de la méthode économétrique.

18Il s’agit donc d’une somme de l’économétrie moderne en langue française qui veut montrer la place de ce domaine dans le champ international.

19Claude LACOUR - Université Montesquieu-Bordeaux IV

L,2005,I,4 - BASSAND M., 2004, « La métropolisation de la Suisse », Collection Le Savoir Suisse, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, 150 pages, (reçu en janvier 2005)

20Cet ouvrage concerne l’économie urbaine, et plus spécialement l’émergence du réseau des agglomérations et des métropoles, pour lequel l’interdisciplinarité de la recherche s’impose. En ouverture, l’auteur s’appuie sur cinq thèses, à savoir respectivement le changement social, la modification de la morphologie des villes, les transformations du jeu des acteurs, l’échelle urbaine, ainsi que les rapports privé/public. En Suisse, à la fin des années 1980, il y a eu passage de l’urbanisation à la métropolisation. On a tenté d’évoluer vers des activités multi-communales, qui sont des agglomérations urbaines, ayant chacune 20 000 habitants au moins, et auxquelles se superposent des métropoles, qui sont de très grandes agglomérations se situant vers un million d’habitants. Ainsi, au sein de la Confédération, un double réseau urbain existe, à l’heure de la société informationnelle. De la sorte, depuis un demi-siècle, les communes ont été débordées par le centre urbain : le pays dénombre aujourd’hui cinquante agglomérations, auxquelles se superposent cinq métropoles. Le contexte général suisse actuel est donc rurbain, c’est-à-dire rural plus urbain. Le changement a été marqué par trois sortes de grandes mouvances. Il est intéressant, mais trop peu analysé, de le suivre d’une part au niveau de l’Europe et, d’autre part, pour le cas de la métropole lémanique de Genève à Montreux, à laquelle ce livre porte plus particulièrement son attention.

21Pour les métropoles, les observateurs font ressortir que la dimension des transports et de la mobilité constitue un élément essentiel nouveau et qui soulève de grands débats, notamment au sujet de la politique de l’automobile et de l’encouragement au système ferroviaire, les deux données n’étant pas sans liaison. De surcroît l’intensité de la montée de l’immigration en Suisse n’y est pas demeurée étrangère. En outre, le problème des déplacements pendulaires intérieurs est passé de 31 % en 1970, à 58 % en 2002, alors que la métropolisation progressait précisément fortement. Au début de 2004, les citoyens suisses ont dès lors adopté un contre-projet à une initiative populaire, qui fut interprété comme une priorité à donner aux transports publics des agglomérations urbaines. Mais, la question de la revalorisation des espaces publics et de la reconquête des centres-villes s’avère une page difficile.

22Un chapitre est ensuite consacré aux thèmes de « Habiter en métropole ». Il rappelle les quatre espaces concentriques, qui affectent l’agglomération ou la métropole, et qui reprennent les découpages assez traditionnels des milieux urbains, à savoir le centre-ville, l’espace suburbain, l’espace périurbain et, enfin, tout à l’extérieur, l’espace rurbain. Cependant, pour les quatre types d’espaces métropolitains, la réalité indique de réels écarts quant à la continuité de territoires cohérents et harmonieux. Cela concerne le logement - selon le « home » ou le « flat » de la théorie anglaise -, mais aussi les modes d’habitat, la ségrégation dans le logement, ainsi que le groupement familial, voire les diverses modalités et sociabilités du voisinage, avec les quartiers, les grands ensembles et le type de leur proximité, qui varie surtout entre les régions francophones et les zones alémaniques. Un réel problème est dès lors celui de gouverner la métropole. Or, les communes d’une agglomération urbaine ne veulent souvent pas que celle-ci se dote d’un organe politique cohérent et fort, sous réserve de l’expérience française du projet d’agglomération suivi d’un contrat avec l’État (cas de Grenoble). Pour la situation suisse, où la réalité des agglomérations urbaines est reconnue pourtant dès 1930, cette notion n’a été redéfinie qu’en 1990, avec les cinq aires métropolitaines, qui ont été appelées fréquemment la « métropole suisse ». Mais, le passage à l’exécution demeure encore assez problématique, entre autres par le fait que trois types de vœux paraissent concilier l’habitant, l’usager et le citoyen.

23Les deux derniers chapitres sont consacrés au développement culturel métropolitain. Ils portent l’interrogation sur une altermétropolisation. À propos de la culture, M. BASSAND tente d’abord une clarification, sur la base du cadre de vie architectural et urbanistique. Ensuite, il oriente sa recherche d’après les bases de l’identité genevoise, puis en fonction des caractéristiques de l’agglomération de Lausanne. Vue globalement, la métropole lémanique, incluant ces deux zones, paraît reposer sur des identités incompatibles, qui les empêchent d’expérimenter un « vivre ensemble », ce qui a été au demeurant confirmé par une votation populaire en 2002, auprès des citoyens des deux cantons concernés. Peut-être la question serait-elle à envisager au travers d’une réorganisation du fédéralisme -mais laquelle- dans cette partie du pays ? L’idée d’une altermétropolisation semble, finalement, reposer sur des approches qui recèlent, en Suisse, une réalité concrète. À cet effet, M. BASSAND s’appuie tout d’abord sur un premier réseau, qui implique les cinquante agglomérations urbaines reconnues par l’Office fédéral de la statistique suisse, en 2000. Ensuite, un deuxième réseau, constitué par les cinq aires métropolitaines déjà citées, pourrait être pris en compte, peut-être lorsqu’il sera plus poussé. Enfin, un troisième réseau serait éventuellement encore à construire. Il s’articulerait aux côtés des métropoles italiennes, allemandes et françaises. Naturellement, il postulerait, en fin de compte, une participation de la Confédération à l’Union Européenne, ce qui reste assez problématique aujourd’hui. L’auteur termine son volume par dix pistes de réflexion et d’action pour une altermétropolisation.

24Au total, ce texte pose des points principaux pour une problématique encore souvent ouverte. Il se termine par une bibliographie, généralement récente, mais quasi exclusivement sur la base de publications en langue française. (Janvier 2005).

25Gaston GAUDARD - Professeur à l’Université de Fribourg (Suisse)

L,2005,I,5 - JOUVE B., BOOTH P. (directeurs), 2004, « Démocraties métropolitaines. Transformations de l’État et politiques urbaines au Canada, en France et en Grande-Bretagne », Collection Géographie Contemporaine, Sainte Foy, Presses Universitaires du Québec, 335 pages, ISBN 2-7605-1236-3, (lecture en août 2004)

26On connaît les travaux que B. JOUVE mène seul, ou à plusieurs, sur la gouvernance urbaine, et généralement, on apprécie ses publications et ses commentaires. Il en va de même dans ce nouvel ouvrage co-dirigé par lui-même et P. BOOTH, à partir, lit-on, d’un séminaire du groupe franco-britannique sur l’urbanisme (septembre 2002), organisé par P. BOOTH. Comme on le voit encore dans l’introduction, écrite par JOUVE, la thématique retenue a été élargie - heureusement-, à l’organisation du politique dans les démocraties modernes, à l’exercice renouvelé de la participation politique et au fondement de la citoyenneté (p. 1).

27C’est dire, à l’évidence que l’on est confronté à une série impressionnante de questions concernant la science politique, la sociologie, largement représentée, le droit constitutionnel, l’urbanisme objet initial des séminaires, la géographie et même l’économie urbaine et territoriale, quoique ce dernier champ est ici plutôt ignoré. Mais série de questions dont beaucoup sont neuves ou renouvelées ; de nombreuses sont aussi classiques encore que présentées sous le sceau du local au global (DUCHASTEL et CANET) : la nature de la démocratie, son mode d’expression, d’organisation et ses régulations, les relations entre l’État défini abstraitement aussi bien que situé dans un ensemble de contingences historiques, géographiques ou culturelles : le Québec (avec Montréal), l’Ontario et Toronto,’ les arrondissements de Paris, Lyon, Marseille, Vaulx-en-Velin ou encore Londres ou Sheffield…

28C’est dire tout l’éclectisme, la richesse et la variété des situations constituant sans doute des recherches plus longues et ambitieuses ici évoquées ; c’est dire aussi la difficulté de lecture puisqu’on est confronté à des rappels quasiment basiques du local au global (DUCHASTEL et CANET), aux nouvelles formes de la démocratie et évidemment, aux prétendues ou réelles formes de renouvellement de la démocratie locale (HAMEL), pour évoquer, à partir d’articles concernant des cas de villes, les éventuelles solutions et pratiques dont on ne doute guère que la gouvernance retrouvée et la démocratie participative apparaissent les ultimes réponses. JOUVE tente bien en conclusion de trouver une cohérence à ces cas : « cet ouvrage a été constitué de chapitres traitant d’espaces et d’institutions très différents » (p. 299). On a ici quelques doutes à une cohérence d’ensemble ! L’on sait par expérience - les relations et échanges avec des collègues québécois (Entretiens J. Cartier, Rencontres Champlain-Montaigne) que les mêmes mots ici et là ont des sens souvent très différents. De même, chaque chapitre produit sa propre bibliographie, ce qui ne simplifie pas la vie au lecteur.

29Le plus simple, et à notre sens, le plus efficace est de commencer en réalité la lecture et les commentaires de l’ouvrage par la conclusion complétée par l’introduction de JOUVE. Le titre même de cette conclusion donne le ton : « Démocraties métropolitaines : de la grande transformation à la grande illusion ? », vaste panorama, modestie dans les conclusions, appel aux débats.

30Notre propre lecture est évidemment marquée de nos analyses de la métropolisation, elles-mêmes en permanence interrogées (LACOUR et PUISSANT, 2004). Quatre points nous paraissent ressortir directement ou non des commentaires de JOUVE et ces points devraient constituer l’ossature d’un véritable débat élargi.

  1. Les « métropoles » sont des lieux privilégiés pour différentes raisons ou des lieux que les chercheurs, dont JOUVE et nous-mêmes par exemple, ainsi que HURIOT et MIGNOT privilégient.
  2. Les métropoles sont des espaces ou des territoires révélateurs créateurs ou récepteurs-réceptacles de différentes crises.
  3. Elles sont des lieux particulièrement aptes à de nouvelles formes de créativité, de sur-modernité évoquée quelquefois dans le texte (p. 297).
  4. Elles sont enfin des lieux spécifiquement capables d’assurer la régulation et la coordination entre l’économique, le social et évidemment le politique.
a) En ce qui concerne ce que JOUVE appelle « l’objet métropole », il faudrait la différencier d’une ville (p. 296), tenir compte certes de l’histoire (mais LE GALLES n’est pas le premier à le dire) aussi de l’économie et de la sociopolitique. Cet objet encore flou et indéfini, « représente les territoires de transformation du contrat social qui lie la sphère du politique à la société civile dans les États modernes » (p. 297) ; on sait bien que ce lien, ou ces liens, sont sinon totalement rompus, du moins à trouver et à comprendre différemment. Cet objet métropole ici serait davantage proche de ce que nous privilégions pour la métropolisation et ses différentes échelles ou composantes-, à savoir un ensemble de processus. JOUVE précise que les transformations du lien précédent expliquent que l’on ne limite pas l’objet empirique à un type de métropole, à une forme institutionnelle ou un niveau territorial particulier (p. 298). Certes, on veut bien que des enjeux forts se déroulent à des niveaux mégalopolitains ou infra-quartiers, mais « l’objet métropole » est renvoyé aux espaces « au sein desquels se transforme l’ordre politique par la remise en question de la centralité des élus, l’aspiration à des formes de décision reposant sur la participation politique et la remise en question d’un régime de citoyenneté de type universaliste » (p. 299). Ce peut être partout et ailleurs, d’où une forte hésitation… On lit bien encore, quelques lignes plus bas, que « ce sont les processus de transformation du rapport entre la société civile et la sphère du politique qui définissent les métropoles, non des institutions, un niveau territorial, un seuil démographique donnés ». Derrière cette écriture de politiste, on peut sans doute en effet « transformer » (et non trahir) et comprendre une transposition si on traduit ces arguments en termes plus économiques : il y a bien remise en question de formes de centralité dont l’État-Nation, celle aussi liée à la « Mondialisation », le dépassement ou le rejet de modèles de régulation hiérarchique. On reconnaît l’importance des modes de participation et de mobilisation liant acteurs et ressources ; on remet en question un régime de rationalité de type universaliste… Il faudrait creuser et peut-être retrouver beaucoup de proximités avec des analyses des Global Cities (SASSEN est évidemment cité) et celles liées aux entrées par la métropolisation. Il faudrait d’ailleurs aller plus loin encore et ne pas ignorer de nombreux travaux du management stratégique qui nous éviterait parfois de redécouvrir la lune.

31b) Il y a une certaine crise du politique (et sans doute de la science politique) confrontée à l’éclatement, au dépassement, à l’affaiblissement de l’État-Nation et aux limites affirmées de la démocratie représentative : « la défiance vis-à-vis de la sphère du politique s’exprime essentiellement par rapport à un mode d’organisation centré sur le principe de la représentation, donc sur la centralité des élus dans les processus décisionnels d’attribution des ressources, d’arbitrage des conflits, etc. » (p. 4). Cette crise en partie -on en connaît régulièrement aussi en économie-, est celle des représentations des modèles scientifiques. Le monde, décidément, ne fonctionne pas ou plus comme dans les manuels : légitimité de l’État, références et expressions de la démocratie et de la citoyenneté par des élections « représentatives », la mondialisation-globalisation, la décentralisation, les tendances néo-libérales des sociétés, les TIC… Tout cela remet en cause évidemment toutes les frontières, permet d’envisager des solutions non doctrinales, ou non binaires : l’espace ou le territoire, l’État ou la collectivité locale, le citoyen et l’élu dans le schéma politique « classique » ou aujourd’hui l’acteur participant… N. WEIL (Le Monde, 31/7/2004) rendant compte des 19èmes Rencontres de Pétrarque organisées à Montpellier, se demande si « la frontière (est) anachronique ou indispensable » : sans doute hier et demain les deux, mais renvoyant à des champs, à des références ou à des « contenus » eux-mêmes différents.

32JOUVE a raison de rappeler que ces débats ne sont pas nouveaux, que la contestation ou les limites de l’Etat datent des années 70 (mais on peut se demander de quel siècle…). En réponse sont nées des logiques dites de développement local, territorial (LACOUR, 2004), que JOUVE sans doute « radicalise » : « le local se confondait alors avec le small is beautiful, la contre culture, et les projets alternatifs d’autogestion » (p. 5). En partie et de manière relativement éphémère car « la radicalité du propos a actuellement disparu » (p. 5). La lecture ou la relecture de nombreux travaux sur le développement régional et territorial s’impose : de nombreux arguments nourriraient ce débat. On y verrait par exemple que P. WARIN a raison de rappeler que les politiques contractuelles ne sont pas nouvelles en France, elles datent des années soixante dix, et aussi qu’il est trop négatif, quand il insiste sur les limites réelles des logiques de projet. Sur un plan économique, malgré une grande complexité technique, financière, « bureaucratique », il y a des avancées certaines. Comme mériterait d’être nuancée une autre radicalité, par laquelle « c’est dans les métropoles, et non plus au niveau des États-Nations, que pour de nombreux observateurs, il est possible de générer des modèles de développement réussissant à combiner à la fois croissance économique et justice sociale » (p. 57). Alors, peut-être que les métropoles apparaissent comme des lieux où se concrétisent, se concentrent certaines des difficultés des crises économiques et sociales contemporaines ; JOUVE est prudent et réaliste et on partage son sentiment : « il ne s’agit pas d’aborder la démocratie au sein de ces espaces dans une perspective enchantée, voire romantique qui nierait l’existence d’une structuration des sociétés modernes encore et toujours caractérisée par l’asymétrie des ressources et la puissance des mécanismes d’exclusion et de domination entre groupe » (p. 299). On en convient volontiers, d’autant plus que les économistes ont eu tendance à retenir surtout les aspects positifs des grandes villes, alors que les « métropoles sont au contraire les territoires dans lesquels les nouvelles formes de pauvreté se manifestent avec le plus de force » (p. 299). On peut ajouter qu’au moins elles y sont davantage visibles. C’est bien pour cela que nous avons lancé (IERSO-IFREDE - LET Lyon - INRETS Paris) une recherche sur Métropolisation et Ségrégation, et le colloque ASRDLF de 2003 organisé à Lyon par D. MIGNOT retenait une place importante à ces questions : on rassure D. CHABANET, auteur d’un chapitre, D. MIGNOT a emmené le colloque à Vaulx-en-Velin et ce qu’on a vu et entendu permet un certain espoir…

33c) Il n’empêche que ces métropoles peuvent être des lieux particulièrement aptes à de nouvelles formes de créativité dans l’organisation de leur « territoire » institutionnel et fonctionnel, dans l’agencement toujours délicat entre institutions légitimes et peu transparentes (une communauté urbaine), entre espaces à la fois plus grands (un éventuel Grand Bordeaux, un Grand Lyon), plus éclatés notamment pour les « usagers » des centres commerciaux, et aussi plus étroits : la permanente quête de la réinvention du quartier. G. DABINETT illustre ces aspects parlant des partenariats et de transformations de l’État en Grande-Bretagne. Des modalités de coopération-conflit s’instaurent ou résistent entre « centres et périphéries », dont les termes restent en permanence dépassés : croyance et hymne obsédant à la polycentralité chère aux « Américains du Nord », et porteurs de réalité comme le montrent les travaux de GASCHET et AGUILÉRA. A. LATENDRESSE ici donne une bonne lecture pour cette singulière révolution qu’a été « une réorganisation municipale sans précédent » (p. 156) pour Montréal. De même, tant à Québec qu’à Bordeaux, les Universités sont priées (et heureuses) de « revenir au centre » pour réanimer des zones ou des quartiers totalement abandonnés, ce que FONTAN, KLEIN et LEVESQUE appellent ici « quartiers orphelins », thème qu’ils ont souvent, avec D. TREMBLAY, présenté et décliné dans différentes instances, colloques ASRDLF, articles dans de multiples revues.

34Des politiques « locales » peuvent mettre en œuvre des processus de réinvestissement physique, par les organisations de manifestations festives et sportives identitaires et culturelles (fête du Fleuve, fête du vin à Bordeaux) pour que soit dépassé l’antagonisme (ou l’ignorance) centre-banlieues. Le tram se veut aussi un moyen de réunir les différents espaces. Pour autant, cette création ou reconquête de l’Urbanité -c’est sans le mot, l’idée-, ne saurait être l’apanage des seules grandes villes, même si comme le rappelle LATENDRESSE, il faut tenir compte pour la réorganisation municipale d’économies d’échelles : « une plus grande rationalisation dans la gestion et la planification urbaine et la recherche d’une meilleure performance en matière de gestion des services » (p. 158). C’est plus qu’une perspective « néo-tocquevillienne », c’est une déclaration d’amour à la démocratie locale, opposée bien entendu à la démocratie d’État ou nationale : « la démocratie locale, fondée sur le principe de la participation et non plus uniquement sur celui de la représentation politique, est supposée développer un sentiment d’appartenance à une communauté, l’engagement, la générosité, le sens de la moralité, l’intérêt pour les affaires publiques, le dépassement des intérêts individuels et… » (p. 300). On a connu déjà ces hymnes dans les années 80 en France… Toute une littérature qui explicite les relations entre Politique et Économique dans le développement local-territorial, existe dont on aurait pu tenir compte, ou au moins les citer en références admises ! De même si l’on repart du séminaire initial sur l’urbanisme qui fonde l’ouvrage, on aurait pu proposer un chapitre d’état des connaissances tant en France qu’au Québec : on ne connaît pas les travaux à dominante ontarienne. Vite cependant, JOUVE redevient lucide, « cette vision enchantée de la démocratie locale résiste mal à l’épreuve des faits » (p. 301). Restons-en aux grandes dynamiques proposées : « la démocratie participative comme outil d’affranchissement des catégories et groupes sociaux dominés », présentation unilatérale et optimiste d’une libération des quartiers opprimés ou oubliés par le neighborhood government. Feignons d’ignorer un instant que la démocratie participative peut être bloquante sur certains projets d’intérêt collectif qui doivent dépasser le « oui mais ailleurs » et les éventuels freins liés à des procédures de concertation sans véritable mode d’arbitrage.

35d) L’État n’est plus le seul lieu de l’activité délibérative, ou même représentative : les dernières élections régionales n’ont-elles pas produit une réaction politique au gouvernement RAFFARIN ?

36Dans cette perspective, ce qui nous semble essentiel, c’est bien la reconstruction théorique et politique de l’Urbanité métropolitaine : ce qu’écrit J.A. BOUDREAU sur Toronto soulignant l’accent mis sur l’urbanité et la diversité est intéressant. Faut-il lier ces attentions à un régime néolibéral ? C’est en cela sans doute que les « métropoles » peuvent être des lieux aptes à assurer la régulation et la coordination entre l’économique, le social et le politique, même s’il est présomptueux et bien général d’affirmer que des évolutions se concrétiseront qui permettraient d’adapter « les métropoles à la globalisation des échanges et de l’ouverture du champ de la décision en matière de développement économique aux acteurs de la société civile » (p. 309).

37D’une autre manière plus générale et englobante, on lit que « les réformes qu’ont connues ces dernières années des villes comme Sheffield, Londres, Toronto, Montréal ont eu pour finalité de doter ces métropoles de nouveaux cadres institutionnels en phase avec les transformations du capitalisme » (p. 34). C’est sensible évidemment à Londres, dépourvue longtemps d’un vrai pouvoir, d’un vrai maire (papier de NEWMAN et THORNLEY), c’est beaucoup plus discutable et complexe pour Sheffield. Le papier de BOOTH traite plus modestement des modalités d’organisation et reconnaît que la concertation peut être « un trompe l’œil ». On aurait aimé que BOOTH insistât davantage sur le fait que Sheffield peut être vue comme une anti-métropole et plutôt comme « le plus grand village d’Angleterre », proposition quasi déterministe, peu compatible (ou dont la construction théorique relève d’autres logiques) avec la quête d’un « territoire politique cohérent » (p. 307), Au sens de permettant des pratiques démocratiques, la mise en œuvre d’économies d’échelles, le dépassement des intérêts autant légitimes qu’égoïstes des communes - municipalités.

38On reste à tout le moins sceptique ou incompétent quant à l’affirmation « de la démocratie métropolitaine comme instrument d’adaptation à la globalisation » (p. 309) ou encore sur « la citoyenneté métropolitaine et la transmission vers la "deuxième modernité" » (p. 316). De l’affaiblissement du « projet hégémonique » keynésien (p. 317) qui fondait la cohérence sociale et reposait sur une identité et des références nationales (plus ou moins porté par une organisation étatique centralisée), viendrait une montée des contestations et des revendications de « groupes dominés qui ne disposent pas toujours des droits civiques » (p. 317). En bref, cette « citoyenneté métropolitaine renvoie… à des processus politiques radicaux qui se traduisent sous une forme communautarienne… » idem. On se bornera à renvoyer à N. WEIL (voir plus haut) qui note que « les frontières ne se confondent pas avec celles que depuis le 15ème siècle, on assigne aux États-Nations. Celles qui divisent aujourd’hui les communautés, les quartiers, les croyances apparaissent parfois plus profondes que des barrières douanières léguées par l’histoire ». Même si elles demeurent puissantes contrairement aux espérances et aux démonstrations de JOUVE : « pour résumer à l’extrême le contenu de cet ouvrage, les pratiques participatives et délibératives dans les métropoles ne permettent pas une réelle transformation de l’ordre politique, mais tendent plutôt à renforcer les traits préexistants des différents systèmes politiques en consacrant le rôle central des élus » (p. 302).

39On trouverait pour notre part d’autres éléments conclusifs à cette dynamique métropolitaine que nous résumons en quatre arguments (développés notamment consécutivement à nos travaux liés au programme ville émergente du PUCA) : la dynamique métropolitaine doit davantage être sensible à la protection pour être encore plus productive, ludique et accessible pour être attractive, communautaire (et non forcément communautarienne) pour être intégratrice, culturelle et partagée pour être identitaire et identifiée. Un ouvrage qui mérite attention en ce qu’il fait débat.

40Claude LACOUR - Université Montesquieu - Bordeaux IV

L,2005,I,6 - RUTHERFORD J., 2004, « A Tale of two Global Cities. Comparing the Territorialities of Telecommunications Developments in Paris and London », Aldershot-Ashgate, (lecture en août 2004)

41C’est certainement une des bonnes découvertes de l’année et un des meilleurs ouvrages qu’Ashgate ait publié depuis quelques années. Les mauvaises langues diront sans doute (mais sont-elles du côté des lecteurs français ou des éditeurs britanniques ?) que l’on donne ces compliments parce que l’auteur et son livre ont une « french touch »…

42Et bien oui et ne nions pas notre plaisir : voilà un auteur que je ne connais pas, qui lit le français, vient en France -surtout à Paris et à la Défense pour être précis-, faire sa recherche, qui procède à de nombreuses interviews, précise régulièrement que la traduction de ces enquêtes est la sienne ; il parle d’aménagement du territoire, de villes globales, des télécommunications, de cohésion territoriale… Rassurons aussi le lecteur : il connaît aussi la littérature anglo-saxonne.

43Le titre est totalement justifié, comme le sous-titre : on n’est pas trompé sur la marchandise comme cela arrive quelquefois. Quelqu’un qui connaît SALLEZ, WACHTER, RALLET, MUSSO, BURGEL… et même WALRYCK J.P. mérite donc attention. French touch peut être encore, dans la mesure où l’auteur développe une thèse dans un argumentaire construit de manière dialectique et progressive pas toujours de manière allégée : le texte est dense, petits caractères, interligne simple-, les Télécoms et Londres et Paris ! Simplement dit, on veut voir comment et pourquoi deux global Cities attirent ou imposent certaines stratégies en matière de télécoms et comment celles-ci s’organisent et organisent à nouveau ces espaces : la cohésion territoriale d’ensemble qui augmente avec « une intensification générale de la fragmentation métropolitaine » (p. 286). J. RUTHERFORD entend aussi comprendre qui fait quoi, à quel niveau, qui commande, qui décide, le maire, le gouvernement, les Chambres de Commerce, les Grands opérateurs, les acteurs locaux, le Marché ?

44En même temps que l’on affirme la dynamique de la globalisation, l’hégémonie des I.T. « les processus de compression du temps et de l’espace », formule reprise de HARVEY, l’auteur veut comprendre bien entendu d’éventuelles différences entre modèle français et modèle anglais : elles existent et nous sommes bien encore en France dans un modèle encore dirigiste et colbertiste (note 35, p. 83), où l’État central tient son rôle explicitement ou par des bras armés comme la D.G.T., l’ART… La Grande Bretagne est telle que nous aimons la voir ou la caricaturer : ultralibérale, laissant à la Cité et à ses acteurs toute latitude pour maintenir et accroître la puissance de son attraction, mais il lui faut cependant trouver… de la place. L’auteur insiste sur l’opposition initiale entre le modèle de la Défense –nouvel espace central et de commandement-, et celui des Docklands qui a pu paraître un instant une sorte de périphérie nécessaire mais à surveiller.

45Ce travail inspiré d’une thèse reprend encore une construction à la française, construction qui je l’espère du moins pourra se maintenir face à une tendance montante en France de « copier » certaines pratiques américaines d’une thèse en quatre essais, quatre chapitres, quatre articles certes intéressants en soi, mais additionnés, accolés et non proposés de manière progressive… Mais ici, on a des introductions, une annonce régulière du Menu, le développement, des conclusions chapitre par chapitre. Soyons trente secondes mauvais joueurs : comme beaucoup de thèses « à la française », on aurait pu alléger, réduire, car il y a parfois répétition ou excès de citations. Péché quand même bien modeste par rapport à tant d’autres ouvrages quasiment rédigés copié-collé.

46L’argument central de la thèse présentée se structure sur un certain nombre de points que nous reconstruisons partiellement, l’enchaînement symétrique des chapitres n’est pas ce qu’il y a de mieux et ne rend pas forcément toute la richesse du contenu.

47- Il est devenu classique, quasiment inévitable de reconnaître l’existence et le fonctionnement de ce fameux village-global de M. MC-LUHAN : cette société mondiale, la globalisation produisent ainsi de l’homogénéité, de la banalisation grâce notamment aux TIC qui à leur tour, imposent ce que, ELLUL, heureusement réédité, appelait the best one way, partout, en même temps. Il y a ainsi « une concentration dans une "métagéographie" de relations entre les villes et une certaine ignorance de la géographie originale des relations complexes à l’intérieur des villes » (p. 289). N. CORADE dès 1993 dans sa thèse sur la Métropolisation avait fortement souligné cet éclatement…

48Encore que, cet argument général soit aujourd’hui discuté, nuancé, moins d’ailleurs pour opposer global et local comme on continue à le faire (par exemple, VOLLET, 2004) mais pour en montrer de multiples enchaînements nécessaires : plus de mondial créé, plus de références nécessaires à l’enracinement, l’ancrage, l’attachement territorial ou comme l’on dit aussi « situé, spatialisé ». La globalisation, elle naît bien quelque part, comme un fleuve ». Cette tension permanente et nécessaire entre ces niveaux, ces préoccupations, et les stratégies qui doivent en découler constitue toujours une des clefs de voûte de la tectonique des espaces et des territoires.

49J. RUTHEFORD retient cette importance de la rémanence, des poids et des forces (des limites aussi) des contingences : certes la globalisation joue, elle transcende des oppositions, impose techniquement des choix, mais par exemple, elle n’a pas gommé un fait simple et historiquement validé : la France et la Grande Bretagne, Paris et Londres relèvent de « mondes » différents. Un point reconnu est bien que « la globalisation renforce l’importance des lieux (places) urbains » (p. 50), quitte ensuite à trancher en faveur de CASTELLS (les arguments en faveur de la reterritorialisation des flux dans certains espaces), ou pour VIRILIO qui note que les I.T. déterritorialisent et certaines villes deviennent « surexposées » ou désorganisées.

50- La globalisation est en marche, en tout état de cause, elle continue certes, mais J. RUTHERFORD souligne qu’elle ne saurait d’un coup de baguette magique ou honnie, supprimer l’importance et l’actualité des États, et le niveau national en matière de politiques économiques et technologiques. Notamment, l’été 2004 en confirme la réalité par les commentaires -testament du Commissaire M. MARTI concernant l’existence et la volonté de renforcer les « champions nationaux » français, de l’intervention directe du Premier Ministre concernant la Présidence d’É.D.F. Alors, la formule de L. MAUDUIT (Le Monde, 6 août 2004) résume bien le débat « le marché commande, mais les liens de connivence perdurent ».

51Cette présence de l’État dans la « tradition interventionniste et mercantiliste l’État central français » (J. RUTHERFORD cite HUMPHREYS, 1990) est particulièrement analysée et notamment les modalités utilisées pour retarder, en France, au maximum la dérégulation. L’auteur n’oublie pas davantage que les télécoms ont été conçues (et restent ou redeviennent) comme des infrastructures lourdes. Il est donc recevable que l’État en ait défini les lignes directrices, plutôt en faveur des zones concentrées (en activités supérieures et en population) ; le modèle de LEGRAND, au fond, reste vivant, favorisant peu la province en général et les espaces ruraux en particulier : du cœur de la Haute Lande, le portable est condamné encore quelque temps à demeurer muet. Faut-il s’en plaindre ? À l’opposé, pratiquement, le gouvernement britannique a joué très tôt l’ultralibéralisme et la privatisation de B.T., ne craignant pas, au contraire, souhaitant l’arrivée de nombreux opérateurs étrangers dont américains (voir tableaux 5.1, p. 87 ; 5.2, p. 89). Le rôle de l’État est aussi différent notamment quand sont examinées les « Traditions Nationales de la territorialité » (p. 104), ce dernier terme bien ambigu mais sur lequel J. RUTHERFORD s’est longuement expliqué dès la première partie qui fait une large et bonne synthèse de la littérature sur les contrats nationaux, urbains, politiques, technologiques. Ainsi, on évoque l’aménagement du territoire en utilisant WACHTER et SALLEZ, politique qui retient trois logiques structurelles : constitutionnelle, fonctionnelle et patrimoniale, cette dernière fondée sur « les racines agrariennes » alors que la Grande Bretagne reste décidément pragmatique, ignorant ou « dédaignant les grands principes » (KEATING-MIDWINTER, 1994, cité p. 107), davantage marqué par les divisions Nord-Sud, cherchant en fait à soutenir, renforcer le rôle de Londres comme ville mondiale dans la concurrence internationale. Mais J. RUTHERFORD dit bien que très tôt, Londres et Paris, l’une contre l’autre, furent des capitales d’Empires coloniaux. Il faut aussi se méfier d’effets d’annonce et des terminologies : le « pragmatisme libéral » évoqué pour la France (p. 26) peut être compris comme le synonyme d’intervention de connivence ou d’opportunisme, alors qu’entendu au sens de Madame TATCHER on sait ce qu’il a de déterminé et de centralisateur aussi ! L’auteur souligne fortement « l’importance qui se maintient de l’État Nation en matière de développements territoriaux et non l’émergence d’un "État phantome" ou d’un "État creux" qui serait dépassé par l’hégémonie des dynamiques économiques de la globalisation » (p. 216). Il ne faut pas de surcroît oublier les opérateurs singulièrement puissants, bras armés des autorités politiques tenant compte des évolutions, en faveur des collectivités territoriales : celles-ci feront à leur niveau recours, souvent, aux mêmes acteurs et aux mêmes principes de l’État central.

52- Paris et Londres sont incontestablement des villes mondiales, des Global Cities, quels que soient les critères retenus, et quels que soient les niveaux d’intervention de la politique territoriale : les pouvoirs centraux, les intervenants locaux, et l’auteur fait la part belle à la ville de Paris en ayant beaucoup écouté leurs représentants. Mais là encore, il existe des préoccupations différentes qui traduisent les places respectives de Londres et Paris, la première délibérément marquée par la volonté de rester leader mondial dans la finance globale, la seconde privilégiant au départ l’Ile-de-France et renforçant l’attractivité de la Défense pour lutter dans une des logiques de la DATAR contre les insuffisances de Paris quand on pense villes internationales et global Cities, et veiller au développement international des métropoles régionales. L’auteur avec malice note qu’il faut se méfier de la « rhétorique globalisante » (p. 159) et que Paris, cherche en permanence à prendre en fait Londres comme modèle et comme concurrent préféré. Ces stratégies sont donc d’abord européennes et internationales mais prennent bien comme objectif celui de consolider, renforcer, favoriser Paris et Londres. Ensuite vient se discuter un « Global City Package », le choix et l’organisation des opérateurs, les lieux privilégiés d’implantation, « la configuration de l’espace des flux » (p. 24) et par exemple, « le problème de Londres est celui de l’accès au dernier mile plutôt que l’accès régional » (p. 237), on veut éviter une concurrence entre la Cité et Canary Wharf (p. 245). On doit examiner comment les IT ont réussi des connections territoriales en limitant des « oublis » et des ségrégations. Bien évidemment, les IT ont renforcé le pouvoir des deux capitales « nationales », ont élargi leur place globale, ont mieux assuré au sens de the Economist leurs fonctions de « Capitales du Capital », mais n’ont pas limité tant s’en faut, la fragmentation métropolitaine ; au mieux un jeu à somme nulle (p. 286), avec renforcement réticulé des espaces de premier ordre et décalage avec les espaces dits périphériques. Autre sorte de jeu à somme nulle : l’ultralibéralisme et l’intervention dirigiste -sinon visent-, du moins renforcent les espaces déjà forts et puissants. Léger avantage à la région parisienne quand même qui cherche à diffuser spatialement les effets de réseaux alors que, à la date de rédaction, du moins de la thèse, Londres s’efforçait de mieux articuler organiquement et fonctionnellement le Centre de Londres et les Docklands.

53Un excellent travail à plusieurs niveaux pour les développements des Télécoms dans des « villes globales » (p. 12), pour les spécialistes des télécommunications et plus généralement des TIC, pour les économistes et les géographes industriels. On y voit que la distance existe encore, que la « proximité » intervient et que l’Histoire, la Géographie, la Politique comptent. C’est assez rassurant : après la revanche de la Géographie, une certaine revanche de l’influence et du rôle du territorial, de la territorialité… Mais non seulement J. RUTHERFORD l’affirme comme beaucoup d’autres en ce moment -sans doute en réaction pour avoir trop voulu des TIC a-spatiaux, réticulés certes mais sur des réseaux essentiellement technologiques-, mais il le montre avec application, attention : à la réticularité, il ajoute la méticulosité, à la passion, l’attention.

54Une lecture tout autant déterminante pour les économistes et les géographes de l’urbain et de la ville. Souvent ils utilisent les TIC comme marqueurs d’activités (parmi d’autres avec les services financiers, l’existence de laboratoires, d’universités, de lieux de transfert de technologie) ou encore comme facteurs possibles d’entraînement de processus de métropolisation : entraînement et accentuation et non création. Les TIC comme les autres facteurs ne s’inventent, s’installent ou se développent rarement au départ dans un désert total. Non seulement l’auteur reconnaît que l’étude sur Paris est plus riche et détaillée que pour Londres, mais de surcroît la base même du travail -Paris et Londres-, est constituée d’une superposition de fonctions, d’une accumulation de capitaux, d’une existence et de potentialités d’une multiplicité de ressources et d’aptitude. Mais ici, nous apprenons aussi « de l’intérieur » de la ville, de l’intérieur des stratégies des opérateurs, de l’État, comment se fait la ville, comment et dans quelle direction elle se développe, dans la quête de ce que j’ai proposé en 2003 (RERU, 2001, 1, pp. 149-180), la meilleure connaissance des Clusties (clusters in and for Cities). Cet ouvrage est une singulière bonne nouvelle.

55Les spécialistes de « la politique économique et ses instruments » (FERRANDON, 2004) vont avoir une somme d’informations à leur disposition qui enrichit et doit nuancer tant de thèses définitives ou de prescriptions éphémères ! Comme ne disent pas souvent les Anglais, last but not least, la première partie, au-delà des têtes de chapitres, est une grande richesse d’analyse et de bibliographie.

56Claude LACOUR - Université Montesquieu - Bordeaux IV

L,2005,I,7 - BAUDELLE G., GUY C., (directeurs), 2004, « Le projet européen - Histoire, enjeux, prospective », Presses Universitaires de Rennes, 174 pages, ISBN : 2-86 847-971-5, (lecture en août 2004)

57BAUDELLE et GUY tentent un pari difficile avec ce « Projet Européen » : dire l’essentiel de mondes complexes, l’Europe, les Europe…

58Ici, c’est un ouvrage collectif d’un genre particulier puisqu’il s’agit de reprises de textes présentés dans un cours public organisé par l’Université de Rennes II, pendant l’hiver 2002-2003. Ces séances avaient pour objectif, nous dit-on, de rapprocher l’Europe des citoyens briochins et rennais, en leur faisant connaître l’histoire du projet européen et en leur présentant les enjeux futurs. « Après les élections européennes et celle du Président du Parlement Européen, on peut se demander si les électeurs et les élus ne se sont pas éloignés un peu plus d’un Projet Européen, finalement de moins en moins clair, ou en relatif retrait ». Euro, budget, élargissement, ce n’est pas une énumération à la PRÉVERT mais une question présente et d’intérêt commun à toute l’Europe…, intérêt commun aux universités de Rennes I et II, ce dont on peut se féliciter.

59La nature de l’exercice contient la nécessaire variété des intervenants, même s’il est « fait largement appel à la recherche universitaire » (p. 9), elle-même s’exprimant dans des disciplines différentes et avec des tonalités variées : certains dans un style résumé de cours de D.E.A., d’autres davantage ouverts à d’autres auditeurs. Le nombre élevé d’intervenants, et du coup, les quelques pages consacrées à chaque conférencier, conduisent ici à des commentaires eux-mêmes éclatés.

60On nous dit que cet ouvrage « se propose d’explorer le continent européen dans ses dimensions géographiques, historiques, culturelles, sociologiques, institutionnelles, en effectuant un retour sur le passé autant qu’une projection vers l’avenir » (p. 9). Énorme ambition en effet qui va être traitée de façon plus éclectique, et parfois discutable, au sens initial du terme : on suppose que des discussions ont eu lieu avec le public et qu’elles furent riches et denses. Peut-être aurait-on pu en retrouver, sinon la totalité, du moins les tonalités ?

61J. LEVY par exemple cherche les frontières de l’Europe de l’Est, puisque l’Oural relèverait d’un quasi-permanent coup de marketing politique réussi de Pierre LE GRAND à MITTERRAND. Il estime que pour être digne d’entrée dans l’Europe, il ne faut pas avoir « un niveau de développement trop bas » (p. 16), ce qui reste quand même une appréciation qualitative… imprécise. Dans les discussions concernant l’écriture de la Convention, il fut beaucoup question d’héritage(s) et notamment religieux. J. LEVY affirme que « la bifurcation de l’Europe vers l’autonomie de la société civile, l’urbanité, le capitalisme, l’état de droit et la démocratie s’est incontestablement faite dans un cadre chrétien, mais en grande partie contre les institutions chrétiennes dominantes » (p. 21). Comme souvent J. LEVY est bien affirmatif et définitif !

62P. BRULÉ, à la quête de la naissance de l’Europe, va la chercher en Grèce et trouve la nymphe Europe enlevée par un taureau sentant bon le safran : singulier mythème qui déjà, devait bien diviser les Dieux de l’Olympe comme aujourd’hui encore quand le mythème renvoie à la tauromachie : l’Europe peut avoir tendance à vouloir conquérir ou construire le monde totalement à son image ! C’est encore cette idée qui apparaît au XVIème siècle (suivant E. BURON) qui construit une certaine histoire de l’Europe en relisant P. de COMMYNES… relu par LEFEBVRE : l’Europe est sans doute une partie du monde, elle est représentée (encore décidément) « par une jeune femme assise sur le dos d’un taureau courant sur la mer » (p. 40), mais au-delà de l’imagerie, elle s’entend modèle, maître de l’Univers, (voir aussi la curieuse carte, p. 42, de la Cosmogonie). P. HASSNER souligne, avec beaucoup de souffle, que « l’Europe historiquement en tout cas-, a été faite par la guerre » (p. 50) et développe cette double idée d’une Europe modèle (par la Renaissance, par les Lumières) et d’une Europe en conflit permanent entre les États la constituant. Dépassant l’histoire, HASSNER se situe dans le quotidien immédiat : une Europe confrontée au terrorisme, et qui révèle là encore bien des différences entre France, Allemagne, Angleterre. Elle peut offrir « trois armes -la médiation, l’aide et l’intégration-, bien faibles ». H. MENDRAS affirme avec force que « l’homogénéisation des sociétés européennes -que beaucoup voient ou attendent-, n’est qu’un leurre » bien au contraire, c’est vers une diversification que s’acheminent les sociétés européennes, du moins celles de l’Europe occidentale, parce qu’il demeure pour l’instant très difficile de comparer l’Europe occidentale et « l’autre Europe », celle qui se situait à l’Est du rideau de fer » (p. 65).

63Il y a de nombreuses raisons, politiques, culturelles à ces difficultés d’intégration. Une autre sans doute qui relèverait d’une lecture de sociologue, mais qui reste peu évidente : « on ne peut pas augmenter la dimension d’une unité sociale sans entraîner nécessairement une diversification au sein de cette société. Sinon on s’achemine vers une masse informe qui ne peut avoir d’existence » (p. 66). On parle bien entendu de l’évolution de l’Union Européenne (350 millions et 500 millions demain), mais quand même cette « Loi de dimension », cette « Loi de diversité » aussi ne manque pas de nous laisser interrogatif. Il est vrai que dans ce texte, MENDRAS joue aussi à définir des théorèmes autant clin d’œil que fondés sur des observations validées. DOLLAT s’intéresse au défi migratoire dans l’Union Européenne : qui est étranger, se demande-t-il ? Il faut dépasser les questions liées aux migrants clandestins que l’on accuse parfois de beaucoup de maux pour « considérer avec dignité des êtes humains, souvent victimes de réseaux mafieux » (p. 79). Il n’est pas certain que les institutions européennes sachent bien faire.

64GIZARD et CICHOWLAZ sont évidemment convaincu que « les régions, dans leur diversité, constituent un bon fil directeur… (p. 83) et reprennent rapidement une histoire des régions en Europe » sur laquelle il y aurait beaucoup à dire, notamment sur la centralité, la ou les périphéries, les maritimités, la subsidiarité, la solidarité… Ils ont, de leur point de vue, une vision résolument optimiste que BAUDELLE et GUY nuancent en quelque sorte en reprenant -là aussi de manière compactée-, les éléments essentiels des scénaris 2020, réalisés dans la prospective DATAR et publiés notamment dans Territoires 2020 (dont le titre va devenir 2030). On retrouve les tableaux de synthèse denses et concentrés, et notamment le cas de la « métropolisation diffusée (qui) "imagine" le développement d’agglomérations de moindre taille par la diffusion d’innovations ayant assuré la prééminence des plus grandes métropoles » (p. 105) : là encore, une phrase trop courte ou ramassée pour être clairement traduite en termes opérationnels, surtout à l’échelle de l’Europe élargie.

65EBEL (DATAR) évoque un point régulièrement absent des débats d’aménagement du territoire et peu mis en avant par les Conseils Régionaux : « la liberté du marché foncier agricole » (p.112) et plus généralement les enjeux explicites ou non liés à la PAC et aux fonds structurels : les nouveaux entrants sans doute « fondent beaucoup d’espoirs sur la politique de cohésion économique et sociale pour moderniser leur instrument de production » (p. 114). Peut-être trop comme on sous-estime les réticences et les conflits entre les 15, sans même parler du « marchandage global » qu’évoque clairement J.F. DREVET, qu’il faut même -ce marchandage-, penser au niveau de l’OMC. Alors, certes « le bon oncle allemand trouve qu’il a assez payé pour l’unification comme pour le budget communautaire » (p. 133), et il n’est pas certain que beaucoup trouveront longtemps (en Europe et en dehors) que « la politique structurelle offrant un bon rapport qualité/prix, il paraît raisonnable de l’alimenter à la hauteur des besoins ». D. COHN-BENDIT reconnaît que Bruxelles est décidément « loin des citoyens » (p. 161) et plaide évidemment avec force pour une réelle existence de l’UE dépassant les coopérations-conflits entre États : « à l’échelle planétaire, la France a autant de poids que Monaco ou le Luxembourg » (p. 162), et c’est par un parapluie européen que l’on peut « préserver l’identité européenne constituée d’une pluralité d’identités spécifiques » (p. 162).

66Un petit volume qui a le mérite de marquer une certaine vision des choses à un moment donné. On ne peut pas dire que tout soit définitif : un Projet européen utile, mais lui aussi peu éclaté. Encore du travail à faire : « Je vois les Européens, je les écoute, je crois qu’ils ne comprennent pas ce qu’est la vie », MALRAUX (La Tentation de l’Occident). Certes, « une force en marche » (DERRIDA, Le Monde, 19 Août 2004), mais dont la direction pourrait être plus claire et mieux maîtrisée.

67Claude LACOUR - Université Montesquieu - Bordeaux IV

L,2005,I,8 – PANHUYS H., 2004, « La fin de l’occidentalisation du monde ? », L’Harmattan, Paris, 536 pages, (reçu en février 2005)

68Faut-il retenir parmi les prémisses d’une réponse positive à la question de l’auteur, le fait que nous ignorons superbement en ce début du mois de février le Nouvel An chinois dont la vague statistique dépasse l’imagination. On évoque, en effet, du côté de Pékin dix milliards de SMS, deux milliards d’appels téléphoniques pour échanger les vœux et deux cents millions de déplacements pour fêter l’événement en famille. C’est que lorsque la Chine, bien éveillée, sera en pleine activité, laissera-t-elle notre 1er Janvier rythmer la vie de la planète ? Ne faudra-t-il pas un jour adopter un nouveau calendrier ? Réflexion inspirée par la lecture de ce livre au début de l’an chinois.

69La fin de la suprématie occidentale c’est aussi accepter de passer d’une vision « de l’unique au multiple ». Ce qui ramène dans l’actualité des thèmes de deux colloques de l’Association Française pour la Cybernétique Économique et Technique (AFCET). Le premier en 1977 a provoqué une levée de protestations : il avait pour thème, « Modélisation et maîtrise des systèmes techniques, économiques et sociaux », que le second en 1979 a tenté de calmer : « Petits groupes et grands systèmes ». Il y a eu non seulement le refus de la pensée du modèle unique s’imposant à l’économie et a fortiori à la société, mais aussi la reconnaissance de la diversité et l’acceptation d’un monde pluriel apte à se renouveler. Aujourd’hui, « [Aussi] loin d’être uniforme, la mondialisation est-elle plurielle, mosaïque et paradoxale ? La pluralité en question refaçonne en permanence la mondialisation néolibérale comme modèle unique. Cette déglobalisation restitue les trajectoires et histoires singulières des peuples, groupes et individus, donc toute la complexité des processus vivants de changement. En ce sens, c’est la fin de la culture de maîtrise et, par conséquent, de l’occidentalisation du monde qui en a fait un de ses mythes fondateurs » (4ème de couverture).

70L’ouvrage est découpé en trois parties. La première fournit les éléments de la grille de lecture sitologique sous jacente à l’ensemble des situations, processus et phénomènes concrets analysés dans les deuxième et troisième parties. L’auteur précise en effet, p. 67, « Au départ d’une longue itinérance à travers une série de sites concrets porteurs de mondes divers, il s’avère nécessaire d’aborder les sites symboliques d’appartenance au plan méthodologique et conceptuel pour dégager les principaux matériaux d’une sitologie, c’est-à-dire d’une logique, ou mieux encore, d’une dialogique des sites. Ceci, dans une perspective d’accompagnement aussi opératoire et compréhensive que possible des changements vitaux – ou des résistances aux changements – qu’ils ont connus, connaissent ou sont appelés à connaître ».

71Rappelons que le texte fondateur de la méthode est celui de Hassan ZAOUAL paru en 1992, dans le n° 10/11 de la Revue du Réseau Cultures consacré à la méthodologie culturelle des pratiques locales. Un développement plus complet peut être trouvé dans sa thèse de doctorat « Du rôle des croyances dans le développement économique », Université de Lille I, 1996, publiée dans la collection Économie Plurielle, l’Harmattan, 2002.

72La deuxième partie contient cinq chapitres qui dessinent un éventail de situations locales très différenciées mais « qui font se mouvoir les acteurs (individus, groupes, organisations, peuples, etc), à tous les niveaux (du local au mondial et inversement). Chap. 4 : La révolte des Indiens du Chiapas au Mexique, Chap. 5 : La fermeture de l’Usine Renault de Vilvorde en Belgique ; Chap. 6 : Organisation en réseaux des diasporas chinoises et de la confrérie sénégalaise des mourides « qui sont, chacune à leur manière, l’expression d’économies relationnelles très performantes » ; Chap. 7 : Actions d’information préventives sur le sida par des acteurs de la société civile à Rio de Janeiro et à Kinshasa ; Chap. 8 : Rôle des mafias qui parasitent les sociétés. Sont ainsi traitées les questions majeures suivantes : question agraire/écologique, industrielle/régionale, organisationnelle/managériale, informationnelle/médiologique, mafieuse/sociétale.

73La troisième partie s’inscrit dans le cadre d’une histoire inter-culturelle des sociétés et « Les cinq chapitres qui la composent abordent les sites et la (les) mondialisation(s) sous un angle plus historique, global et anthropologique en tant que phénomènes à la fois singuliers, pluriels et paradoxaux. A cet égard, nous essayerons de découvrir à travers un certain nombre d’évolutions ou de ruptures (socio-économiques, politiques, institutionnelles) et de paradoxes (géographiques, historiques, culturels) en quoi, et pourquoi, la mondialisation néolibérale actuelle n’est pas –et probablement ne peut être ?- ce qu’elle dit être ou vouloir être. En quoi et pourquoi aussi, et davantage encore, cette mondialisation marque l’apothéose et la fin de cinq siècles d’occidentalisation du monde… » (p. 271).

74Successivement sont présentés des sites géo-historico-sociaux précipitalistes, des sites générateurs d’empires aux périodes antique et médiévale, des sites occidentaux et africains du 15ème au 20ème siècles préfiguratifs de la mondialisation capitaliste, les interactions entre flux mondiaux et éruptions locales (tragique le génocide rwandais, mais aussi rénovatrice : le mouvement de catharsis (le mouvement Set Setal) créative de jeunes Dakarois en 1990, et enfin le dernier chapitre traite « de plusieurs paradoxes sitologiques inhérents à la mondialisation-globalisation en cours (en gros depuis 1975) et symptomatiques d’un dépassement de l’occidentalisation du monde… » (p. 272).

75La lecture de ce livre est à recommander en raison de sa diversité, de sa richesse, de sa densité et de la profondeur d’une réflexion qui interpelle chacun. On aura remarqué que l’auteur excelle à multiplier les qualificatifs sans doute pour mieux faire percevoir que face à la complexité du monde moderne les réponses ne peuvent être que plurielles.

76En raison du large éventail des auteurs cités et des questions traitées, des index auraient bien leur place à la fin de cet ouvrage, fruit de cinq années de travail, dédié à son fils cadet « avec le souhait qu’il y puise force et motifs de tracer son propre chemin ». (Février 2005).

77Bernard GUESNIER - Université de Poitiers

L,2005,I,9 - MARCON Ch., MOINET N., 2004, « Développez et activez vos réseaux relationnels », Éditions Dunod, Paris, 208 pages, (reçu en janvier 2005)

78Mobiliser l’intelligence économique et sociale d’un territoire pour un animateur-développeur suppose une reconnaissance des acteurs de ce territoire, de leurs fonctions et de leur influence : réussir un projet de développement c’est faire du réseau une démarche stratégique. Il s’agit d’identifier et de repérer les relations entre réseaux sociaux, cyber-réseaux et réseaux d’organisation de sorte que la prise en compte de ces logiques interreliées est sans doute la condition nécessaire, sinon suffisante, d’une proactivité efficace.

79Dans un style vif et direct et un texte illustré de nombreuses anecdotes, les auteurs nous invitent, après avoir défini la dynamique des réseaux et la « boucle vertueuse permise par les réseaux d’organisation », à manager notre propre réseautage. D’abord analyser sans complexe son réseau, puis prendre des repères stratégiques (par rapport à son projet) et se placer au cœur du dispositif, enfin comprendre son propre profil de réseauteur. Le savoir-manager en réseau peut se décliner sous plusieurs aspects complémentaires ; les auteurs nous conseillent, mode impératif oblige : - Envisagez le réseau comme un système de flux vivants ; - Gagnez de l’autorité par l’adhésion ; - Sortez gagnant-gagnant des conflits ; - Faites preuve des qualités qu’on attend de vous ; - Développez votre culture réseau en gardant l’esprit ouvert ! ; et peut-être surtout, - Ne vous laissez pas dévorer par le réseau.

80Au fil des pages, on nous propose, certes, des outils, des méthodes, des moyens (p. 90), des types de réseaux opposant hiérarchie-coopération et contrat-connivence (p. 115 et suivantes), les sept talents capitaux du parfait, et donc improbable, réseauteur peuvent être déclinés : le réseauteur est convivial, est tenace, est proactif, doit savoir rester discret, est diplomate, est fiable, enfin le manager de réseau est un animateur. Page 25, on évoque les cyber-réseaux et avec le networking, l’intérêt des Weblogs (Blogs) (p. 160).

81Plusieurs exemples de clubs construits pour faire du réseau sont listés. Les exemples de réseaux mis en œuvre par les territoires illustrent par leur réussite l’intérêt de cette démarche stratégique. Ainsi, l’Institut Kervégan pour l’encouragement des intelligences, des savoirs et des talents dans la métropole Nantes Atlantique (p. 184) dont l’objet est d’accroître la conscience de solidarité sous toutes ses formes, a certainement contribué à renforcer les performances de cette métropole de l’ouest. Relevons encore deux autres exemples territoriaux : l’Association Auvergne Business Club (AABC) dont l’objet est de contribuer au développement économique de l’Auvergne en organisant les rencontres et l’entraide entre hommes d’affaires en Auvergne, en France et dans le monde ; l’Association des Cadres Bretons dont l’objet est de réunir les bonnes volontés pour concourir au développement économique de la Bretagne.

82Pour conclure, rappelons le rôle plus général dans le développement économique et la création d’entreprises du Club Intelligence Économique et Stratégique (IES), de l’Institut pour le Développement de l’Entreprise dans son Environnement (IDEE) et de France Initiative Réseau (FIR) composé de 237 Plates-Formes d’Initiative Locale (PFIL). Finalement, cet ouvrage se présente comme un manuel du parfait réseauteur, pour nous aider à améliorer et professionnaliser notre propre pratique d’un « networking » efficace et focalisé. (Février 2005).

83Bernard GUESNIER - Université de Poitiers

L,2005,I,10 - HATZFELD M., 2002, « Tisser le lien social. Guide méthodologique et pratique des Régies de quartier », Éditions du CNLRQ, 47-49 Rue Sedaine, 75011 Paris, 190 pages, (reçu en février 2005)

84Plus qu’un guide méthodologique, ce livre permet de découvrir une activité qui gagne à être connue. Il offre dans un langage clair et accessible, le moyen de savoir comment la Régie de quartier, à la fois entreprise économique et aventure militante, est en mesure de tisser du lien social, ce qui est bien utile dans un monde en recherche de solidarité. Née à Roubaix dans un quartier urbain (Alma Gare) au début des années quatre-vingt, cette forme d’association se diffuse dans l’ensemble du territoire. Pilotée conjointement par les habitants de la cité, les bailleurs sociaux, les élus et parfois d’autres acteurs, la Régie œuvre pour une rencontre positive entre les habitants et leurs institutions, entre habitants différents, c’est-à-dire le « tissage du lien social ». La Régie de quartier est une marque déposée à l’Institut National de Propriété Industrielle ; elle est la propriété d’un réseau, le Comité National de Liaison des Régies de Quartier (CNLRQ) qui peut donc accorder, ou non, son label à une association qui veut devenir une Régie de quartier, sachant que la forme de l’entreprise d’insertion, de l’association intermédiaire ou de l’entreprise d’intérim peut se révéler davantage appropriée que celle de la Régie qui implique d’autres dimensions.

85En effet, les porteurs de projets de Régies ne peuvent revendiquer ce nom que s’ils adhèrent aux valeurs rassemblées dans deux textes fondateurs : La Charte Nationale des Régies de Quartier de 1991 qui énonce un ensemble de règles de fonctionnement et Le Manifeste des Régies de Quartier, élaboré en 1993, qui énonce les valeurs auxquelles adhèrent les acteurs des Régies. « Dans les deux cas, il ne s’agit pas de loi, mais de principes vers lesquels tendre ». « Ces textes sont susceptibles d’être modifiés sous la pression d’une transformation déterminante. En tout état de cause, ils sont des vecteurs de rassemblement et nullement d’exclusion. Ils sont des moyens de faire réfléchir et ne prétendent pas réfléchir à la place des autres ». La Régie de quartier est en fait multiple, outil de gestion urbaine (au départ, et maintenant plus large), elle comporte des dimensions d’insertion par l’économique, des dimensions associatives, démocratiques, territoriales, entrepreneuriales voire politiques.

86Parmi les sept chapitres, nous retiendrons le 3, qui expose l’engagement des partenaires locaux, c’est-à-dire les rapports avec tous les partenaires (conventionnement, marché public de services sociaux et d’insertion professionnelle, appel d’offre, mise en concurrence simplifiée, marché négocié) ; le 4 qui présente les prestations matérielles (classiques et spécifiques), le service immatériel : le lien social et l’insertion comme prestation, le 6 qui expose la participation à la démocratie locale, au développement local : le développement solidaire. La lecture de ce livre est à recommander à tous ceux qui cherchent face à la complexité et aux fractures du monde moderne, des réponses qui ne peuvent être que plurielles. (Février 2005).

87Bernard GUESNIER - Université de Poitiers


Date de mise en ligne : 01/01/2012.

https://doi.org/10.3917/reru.051.0137

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