Notes
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[*]
Première version septembre 2003, version révisée juillet 2004.
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[**]
Les chiffres entre parenthèses renvoient aux notes en fin d’article.
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[1]
Conférence Européenne des Ministres des Transports.
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[2]
Dans cette présentation ne seront traitées que les déplacements de marchandises, laissant volontairement de côté les problématiques liées au transport de personnes.
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[3]
L’intensité énergétique est définie comme le ratio de la consommation d’énergie finale d’un secteur (corrigé du climat, en millions de tonnes équivalent pétrole) sur le PIB marchand total en volume (prix de 1995).
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[4]
Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale.
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[5]
On parle de coûts externes car ils ne sont pas ou imparfaitement pris en compte dans la structure des prix du transport.
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[6]
Sauf si on lui ajoute les coûts logistiques, dans le cas de prestations qualifiées en particulier.
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[7]
Ce qui ne veut pas dire que d’autres mesures politiques n’y aient pas contribué, éventuellement de manière sensible comme c’est précisément le cas ici avec la politique de maîtrise de l’énergie.
-
[8]
Conseil Général des Ponts et Chaussées et Inspection Générale des Finances.
I – Introduction
1En 1987, un rapport connu sous le nom de « rapport Brundtland », adopté dans le cadre de la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement, propose une définition du développement durable : « Le développement est durable s’il répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs». Cette définition doit à son caractère très général d’avoir été universellement admise ; elle n’en recouvre pas moins un concept complexe et polysémique. Appliqué au secteur des transports, celui-ci se décline sous la forme de mobilité dite durable ou soutenable (les deux termes sont communément employés dans la littérature française). C’est en 1991 qu’un document de la CEMT [1] [**] « officialise » le transport durable en le définissant comme devant : « contribuer à la prospérité économique, au bien-être social, et ce sans nuire à l’environnement et à la santé de l’homme ». En effet, les déplacements physiques de biens et de personnes [2], dont la croissance est inhérente au développement des sociétés, sont générateurs d’externalités positives concourant au développement économique des territoires via celui de leurs activités. Mais cette mobilité induit également des externalités négatives telles que le réchauffement climatique, les nuisances sonores, l’insécurité, la congestion d’une partie des réseaux, la surconsommation de ressources non-renouvelables, la consommation d’espace rendu impropre à d’autres fins, les conflits d’usage de certains équipements d’infrastructure, etc.
2À titre d’illustration, le graphique suivant sur l’intensité énergétique [3], relatif à la France, rappelle l’importance du transport dans la consommation totale d’énergie alors même que les prévisions à 20 ans des schémas de service de transport établissent une poursuite de la croissance de la mobilité à hauteur de 20 à 40 % selon les modes et les hypothèses retenues en matière de croissance économique (DATAR [4], 2003). D’où l’intérêt porté aux approches visant à la recherche des voies et moyens permettant de réduire l’impact sociétal négatif du transport sans nuire à la croissance de l’activité économique, dans l’esprit de la définition de la CEMT (1991) rappelée plus haut.
3La prise de conscience relativement récente de ces coûts externes [5] et la volonté de les réduire orientent l’action publique vers la recherche d’une mobilité durable. Plusieurs leviers d’action permettent de favoriser l’évolution vers un système de transport durable ; ils ont en commun l’objectif de réduire les coûts externes du transport par la limitation de la demande de transport et/ou le transfert d’une partie de cette demande vers des modes alternatifs à la route, plus respectueux des objectifs de durabilité.
Evolution de l’intensité énergétique par secteur d’activité en France, de 1970 à 2001
Evolution de l’intensité énergétique par secteur d’activité en France, de 1970 à 2001
VERNY, J., 20044Le présent article propose une approche de la durabilité du transport de marchandises au travers de la dialectique « couplage-découplage » de la demande de transport par rapport à la croissance, des mécanismes et facteurs sous-jacents et, parmi ceux-ci, le rôle des distances, donc des localisations, productives et logistiques.
II – Couplage / découplage en marchandises : définitions
5Le lien entre la croissance du transport et celle du développement économique est traditionnellement abordé dans une bonne partie de la littérature au travers d’une relation postulant des effets d’entraînement positifs du premier sur le second, fondement de tous les argumentaires en faveur des politiques d’infrastructures. Le cadre conceptuel du calcul économique formalise ce postulat et lui procure une expression quantifiée que synthétise le critère de la rentabilité. Outre que cette conception « mécaniste » et enfermée dans le paradigme réducteur de la micro-économie a fait et continue de faire l’objet d’approches très critiques, la période récente a vu se développer une autre façon de considérer cette relation. Cette représentation met en avant les incidences négatives issues de la croissance des transports. Depuis plusieurs décennies en effet, la mobilité des biens (physiques et informationnels) comme celle des personnes progresse dans tous les pays européens à un rythme sensiblement égal, voire légèrement supérieur à celui de la croissance économique. Le recours à une métaphore permet de dire que la mobilité est « couplée » à la croissance. (voir partie 1). Il faudra attendre 1997 pour voir apparaître les premières réflexions sur le taux de croissance du transport de marchandises ainsi que sur l’opportunité d’agir sur cette tendance. Dans le cadre de travaux menés à l’initiative de la CEMT (1997a), E. VAN DE VOORDE et H. MEERSMANN estiment qu’« il est nécessaire de se demander comment faire face à l’augmentation future de la demande de transport de marchandises ». L’idée de remettre en question le lien entre l’économie et la demande de transport est désormais posée explicitement tandis qu’émerge parallèlement dans la littérature le concept de « découplage » pour qualifier ce décrochement : « By decoupling we mean a decrease in transport intensity of GDP that will allow the volume of transport to increase at a lower rate than the economy at large » (BANISTER et al, 2000). Effectivement, une des voies de recherche empruntée pour aller dans le sens de la mobilité soutenable consiste à valider l’hypothèse de la faisabilité d’un éventuel découplage des croissances de l’activité économique et de la demande de transport. En 2001, le livre blanc de la Commission des Communautés Européennes relatif à la politique commune des transports développe longuement les mesures susceptibles de favoriser entre autres des transferts sur les modes alternatifs à la route afin de contribuer au développement durable (CCE, 2001), notamment grâce à un soutien appuyé à deux d’entre eux : le ferroviaire et le cabotage maritime intra européen. Malgré une attitude globalement volontariste, la Commission a néanmoins conscience des difficultés s’opposant à l’infléchissement durable des pratiques et notamment, des limites qu’impose le souci de ne pas mettre en cause un des ressorts majeurs de la croissance de l’activité en général : l’efficacité et le faible coût du système de transport, comme facteurs permissifs du développement des échanges tant intérieurs qu’avec le reste du monde.
6Pour avancer dans l’analyse de cette question, il est utile de spécifier cette notion de « découplage » comme nous avons proposé de le faire dans une étude récente (JOIGNAUX et VERNY, 2002) reprise sur ce point précis dans un rapport officiel remis au gouvernement (DATAR, 2003). Notre proposition vise à distinguer deux acceptions du découplage : la première, dite « relative », s’attache aux transferts modaux tels que la répartition du fret entre les modes soit plus respectueuse des contraintes environnementales : à volume de transport inchangé ou peu différent, les coûts externes diminuent (coûts environnementaux, coûts de la congestion, sécurité,…) car au total, les nuisances engendrées par la nouvelle structure modale de l’offre de transport ont été sensiblement réduites : baisse de la part modale assurée par la route. Dans cette hypothèse, toutes choses égales par ailleurs, les distances parcourues et le volume transporté ne seraient pas réduits sinon de façon marginale. La seconde, dite « absolue », conduit à s’interroger sur les logiques d’organisation spatiale auxquelles obéissent les unités économiques tant productives que distributives. Celles-ci déterminent en effet les localisations des activités productives et logistiques et, donc la demande de transport, notamment dans la composante « distance » de son expression courante en termes de tonnes x kilomètres. Dans le concept de découplage absolu, c’est sur les processus générateurs de flux que l’attention va se porter. Ces flux nous intéressent en termes de distances « consommées », définies à la fois par des éloignements et des fréquences de déplacement. Nous sommes bien dans une approche combinant des données de localisation géographique et d’organisation industrielle.
III – Couplage / découplage en marchandises : logiques économiques sous-jacentes
7Depuis plus de trente ans dans l’ensemble des 15 États membres de l’Union Européenne, on observe une tendance durable au couplage de la demande de transport et de la croissance économique, ce de manière constante, au moins jusqu’à ces toutes dernières années. Le graphique 2 présente sur les trente dernières années l’évolution de la demande de transport en Europe (tonneskilomètres totales et terrestres) et celle de l’activité économique (PIB). Nous constatons que les volumes de transport terrestre, et à plus forte raison celui incluant le cabotage maritime intra-européen, possèdent respectivement un taux de croissance légèrement, voire nettement supérieur à celui du PIB.
Evolution du transport (t.km) et de l’économie (PIB) dans l’UE à 15 de 1970 à 2001
Evolution du transport (t.km) et de l’économie (PIB) dans l’UE à 15 de 1970 à 2001
VERNY, J., 20048Différentes disciplines telles que la géographie, les sciences économiques ou de gestion permettent d’expliquer cette dynamique de la demande de transport de marchandises. La période 1970-2001 est marquée par une profonde évolution du contenu et de la structure des échanges de biens au sein du marché unique européen comme avec les autres régions mondiales. Les processus industriels se complexifient du fait de l’évolution dans la demande de produits et de l’incorporation accélérée d’innovation dans les produits. Ces nouvelles formes d’organisation industrielle se traduisent entre autres modalités par le passage d’une économie de stocks (production de masse, relativement peu diversifiée, à taux de renouvellement lent) à une économie de flux (personnalisation des produits, renouvellement de gammes). La conséquence directe sur le transport est un allègement global des volumes transportés. L’allongement des distances en est le corollaire, tout comme la hausse des fréquences d’envois conduisant à une intensification (quantitative et qualitative) de la demande de service de transport. Celle-ci se combine de plus en plus étroitement à des composantes servicielles évoluées, aboutissant à une prestation logistique requérant en moyenne une consommation accrue de distances (spécialisation de zones de traitement logistique entraînant la multiplication des déplacements).
9L’internationalisation de la production et des échanges s’inscrit dans ce schéma. Elle a contribué à encourager une tendance à la polarisation de l’espace économique, amplifiée par la proximité organisationnelle permise grâce aux technologies de l’information et des communications qui optimisent l’efficacité de la chaîne logistique globale. Cette évolution des stratégies d’implantation des unités économiques selon les ressources mobilisables par l’entreprise s’accompagne d’une spécialisation relative des sites ou grandes régions de production. La demande de prestation logistique exprime une gamme élargie d’exigences auxquelles l’offre doit répondre : diminution des stocks, rapidité et régularité des acheminements, respect des délais de livraison, réactivité, le tout au prix le plus bas. Ces exigences conduisent à un fractionnement des lots donc à la réduction du tonnage moyen transporté, le tout étant renforcé par une polarisation géographique amplifiant les distances à parcourir. Le transport correspond aujourd’hui au seul maillon de la chaîne logistique globale à pouvoir faire face aux aléas survenus en amont de cette chaîne, d’où la volonté pour les chargeurs d’avoir recours à un mode de transport souple, flexible. Au sein des pays industrialisés, seule la route s’est aisément adaptée à cette réorganisation spatiale de l’appareil de production et son corollaire, l’élargissement des aires de marché.
10L’évolution dans les schémas d’implantation des industries ainsi que dans leurs méthodes de production et de distribution ne cesse d’intensifier le transport de fret notamment sur le réseau routier, d’où la persistance du couplage des croissances de l’économie et de la demande de transport (en tonnes-kilomètres). Cette tendance est encouragée par un prix de transport relativement faible [6] dans le coût de revient du produit, excepté pour les produits à faible valeur ajoutée où, pour cette raison, le transport reste un des principaux critères dans les stratégies de localisation des unités de transformation.
11Les différents tenants et aboutissants du couplage de l’économie et de la demande de transport de fret ont pu être perturbés par des facteurs propres à une nation et/ou à une période. Ceci a été le cas de la France dont l’évolution s’est clairement distinguée des tendances de la plupart de ses voisins européens, de la fin des années 1970 au début des années 80. Le graphique 3 présente une rupture du lien entre les indices PIB et tonnes-kilomètres, de 1974 à 1983. Ce phénomène atypique témoigne d’un découplage sans que cette tendance puisse être mise en relation avec une quelconque politique spécifiquement mise en œuvre dans ce but [7]. Durant cette période, la France a connu un fort recul de ses activités industrielles et extractives, grosses consommatrices de transports lourds et sur de longues distances. Il s’agit d’un des facteurs qui explique le fort affaiblissement de la croissance des tonnes. Par ailleurs, la politique énergétique française de l’époque, à la différence des autres pays européens, avait fait le choix du « tout nucléaire » afin de répondre à la demande croissante d’énergie tout en atténuant la production issue des centrales thermiques, notamment celles fonctionnant au charbon. La conséquence de cette nouvelle politique énergétique sur le système de transport fut un repli des acheminements de combustibles pondéreux. Elle s’est traduite également par différentes mesures de maîtrise des consommations d’énergie qui ont eu, en elles-mêmes, un effet sur la baisse des flux de transport.
Evolution en France des croissances de l’économie (PIB et indice de production industrielle) et de la demande de transport terrestre intérieur de fret (t et t. km), de 1962 à 2002
Evolution en France des croissances de l’économie (PIB et indice de production industrielle) et de la demande de transport terrestre intérieur de fret (t et t. km), de 1962 à 2002
VERNY, J., 200412Ce découplage pourrait être qualifié de « mécanique » ou encore de « spontané ». Quant au ralentissement de la croissance du secteur industriel, elle s’est accompagnée d’une tertiairisation de l’économie qui participe encore à l’heure actuelle à l’évolution des systèmes productifs et distributifs. En effet, de 1986 à 1991, nous constatons, à l’aide de la courbe des tonnes-kilomètres, l’émergence de ce nouveau modèle d’organisation de la production ainsi que d’une nouvelle logistique. Les tonnes-kilomètres explosent à la fois suite à l’allongement des distances (polarisation des sites de production accompagnée de leur spécialisation) et à la multiplication des fréquences d’envois (nouvelle méthode de gestion des flux fortement consommatrice de transport), d’où la reprise du couplage entre l’économie et la demande de transport de fret. La France a donc, de 1986 à 1990, progressivement compensé son décrochage, présentant des élasticités du transport (tonnes-kilomètres) par rapport à l’économie (PIB) très nettement supérieures à 1.
13L’espace est au cœur de la problématique du découplage absolu puisque la demande de transport, substantiellement déterminée par les distances, est fonction de la croissance de l’activité économique qui favorise la polarisation géographique tout comme la concentration spatiale des unités économiques.
IV – Le découplage : localisations et distances consommées
14La mondialisation de l’économie et son corollaire, l’internationalisation croissante des échanges, l’introduction de nouvelles technologies d’information et de communication ainsi que les évolutions dans la structure de l’appareil de production sont des facteurs qui modifient les organisations logistiques existantes et donc le système de transport, considéré comme composante de ces organisations. L’objectif est d’analyser les impacts de l’évolution des organisations logistiques liées à la dynamique spatiale des unités économiques, à partir des flux matériels émanant tant des sites de production que des entreprises de distribution, sur les volumes de trafic et les distances moyennes parcourues. Dans un premier temps, il faut donc éclaircir les choix organisationnels qui ont des répercussions sur la nature, l’intensité des flux de transport et sur l’organisation du territoire qui en résulte. En effet, la compréhension des tenants et aboutissants de la croissance des flux devrait permettre d’orienter la réflexion sur les mesures ou éléments de solution susceptibles de favoriser une évolution des circuits logistiques actuels dans le sens d’une réduction des distances, et, partant, des services de transport correspondants.
15L’internationalisation des échanges se traduit par un élargissement des aires de marché. Qui plus est, ce phénomène s’accompagne d’une évolution des stratégies d’optimisation de l’implantation des sites industriels au regard des ressources mobilisables, d’où l’apparition des mouvements de délocalisation – relocalisation. On assiste à une polarisation et une concentration spatiale des activités, ces deux mouvements étant facteurs d’allongement des distances moyennes parcourues. En outre, la concentration spatiale est un processus qui engendre une diminution du nombre de sites de production et de distribution (SAVY et VELTZ, 1993). Ce type de concentration, accentuant la croissance des flux, ne nuit évidemment pas à la croissance économique car des infrastructures logistiques (entrepôts, plates-formes de transbordement) font dans le même temps leur apparition, accompagnées de méthodes d’organisation nouvelles. D’où le lien étroit entre le territoire, l’économie et les organisations logistiques.
16Sur le versant des organisations productives, cette réduction du nombre des sites de production va de pair avec une nouvelle division spatiale du travail au sein des filières. Effectivement, les établissements qui avaient un caractère polyvalent encore au début des années 1980 ont fait évoluer leurs organisations productives pour tendre actuellement vers une spécialisation dans un type de produit. Comme le montre le schéma suivant, l’aire de marché d’une usine de production à caractère polyvalent est limitée dans l’espace car les mêmes produits sont fabriqués par une même unité dans un autre site proche du premier. De ce fait, les circuits logistiques ne présentent aucun flux entre les deux aires de marché.
Réseau logistique simplifié des années 1980
Réseau logistique simplifié des années 1980
VERNY, J., 200217Il n’en est pas de même lorsque se manifeste un processus de spécialisation des sites de fabrication dans un produit (schéma 2). La zone de chalandise des sites de production tend à s’élargir suite à la mise en place d’une infrastructure logistique commune à l’ensemble des usines du groupe industriel et au recours à de nouvelles méthodes d’organisation favorisant l’externalisation de la gestion des stocks. Ces méthodes reportent effectivement les stocks, ainsi que leur gestion, de l’usine vers des entrepôts souvent hors du site de production, ces entrepôts étant gérés le plus souvent par un prestataire de services logistiques (JOIGNAUX et KAPROS, 1996). L’externalisation logistique engendre une multiplication des échanges interindustriels (CEMT, 1997b) donc une hausse de la consommation de distances, ce phénomène allant dans le sens d’une refonte des processus de production (diminution et spécialisation du nombre de sites) désignée par l’éclatement spatial et la concentration géographique. D’un point de vue économique, on notera que ces tendances ont été encouragées par une pression structurelle à la baisse du prix du transport, accompagnée de hausses significatives de productivité ; les pratiques d’intensification des flux accompagnée du fractionnement des lots n’auraient pu se développer au même rythme sans ce pré-requis important en matière d’évolution des prix et de la productivité du transport.
Réseau logistique simplifié du début des années 2000
Réseau logistique simplifié du début des années 2000
VERNY, J., 2002V – Conclusion
18Agir sur les organisations logistiques afin de tendre vers un système de transport durable interroge les logiques d’organisation de la production et de la distribution. Il sera très difficile, à moyen voire long terme, d’inverser le processus ayant conduit au double mouvement d’éclatement spatial et de concentration géographique de la production, de revenir à une plus grande polyvalence des unités de production, donc à des filières spatialement mieux réparties du point de vue du recours aux déplacements de marchandises : la spécialisation et les économies d’échelle ont créé de l’irréversibilité. La maîtrise des conséquences négatives engendrées par la croissance de la mobilité des marchandises par la recherche d’une diminution des distances consommées (découplage absolu) se fera difficilement, à n’en pas douter. La logique économique qui a conduit aux dynamiques spatiales à la source de cette mobilité n’a pas de raison d’être remise en cause, du moins à court et moyen terme, sauf dans des cas spécifiques. Il y a donc sans doute plus à attendre de mesures favorisant le report modal du fret (découplage relatif) de la route vers des modes plus respectueux du développement durable sans négliger, par ailleurs, les progrès à attendre de la mise en œuvre d’innovations technologiques et organisationnelles dans les systèmes de transport et logistique.
19La volonté de mettre en place des mesures innovantes en faveur d’un découplage absolu ne doit pas influer sur le volume des marchandises transportées ni sur la qualité de service car la demande est toujours plus exigeante, évolutive et diversifiée. Le consommateur final entend continuer de profiter des avantages que lui procure le système de transport actuel (faible coût du transport, rapidité, flexibilité, grande variété et disponibilité du produit) même si le citoyen souhaite ne pas en subir les inconvénients (nuisances environnementales, coûts sociaux). Cette recherche de solutions innovantes en réponse à des modes de produire et de consommer fortement évolutifs présente pour les entreprises des enjeux importants au niveau microéconomique. Leurs répercussions macro-économiques ne sont pas forcément optimales au regard de la durabilité, abordée ici du point de vue des distances consommées (intensité des déplacements et distances parcourues).
20Le travail engagé sur ces questions devrait contribuer à apporter un éclairage raisonné aux réflexions actuelles sur le découplage, réflexions qui se situent dans la recherche de solutions innovantes propres à favoriser des circuits logistiques plus économes en transport (fréquences et distances d’envois) : de quelles marges de manœuvre disposent les acteurs impliqués ? Quelles sont les voies dans lesquelles peuvent s’inscrire de futures préconisations dans ce domaine ? Comment est-il possible d’agir sur la place qu’occupe le transport de fret et la logistique dans les critères de localisation des activités industrielles et de distribution ? Un renchérissement du coût à l’aide de taxes (CGPC et IGF [8], 2003) et/ou un allongement des temps de parcours pour le mode routier par une réglementation sociale plus rigide sont des pistes de réflexion répandues dans les milieux institutionnels. Est-il réaliste de postuler, comme le font certains auteurs, que le relèvement des tarifs contribuerait à contenir la dynamique du volume de produits transportés et à modérer, voire atténuer, la division internationale du travail fondé sur « la perversité » des prix du transport, tous modes confondus (WACKERMANN, 1995) ? Outre les actions pour limiter les flux, une autre approche peut-elle être envisagée, portant sur les générateurs de fret, sous forme de « contrats de localisation logistique », du type « droit à s’installer » négociable (SAVY, 2001), à l’image de ce qui existe déjà aux Pays-Bas.
21Le programme de recherche introduit par cette communication propose de poser les termes d’un débat nécessairement complexe, au sens où il fait intervenir de nombreuses variables inter-reliées et de nombreux acteurs et groupes d’acteurs aux objectifs non convergents. Le parti retenu est de focaliser l’analyse autour de trois notions-clés : l’organisation productive, sa spatialisation et son incidence en matière de génération de déplacements.
Bibliographie
Bibliographie
- BANISTER D. et al., 2000, European transport policy and sustainable mobility, Londres et New-York, Spon press.
- Commission des Communautés Européennes, 2001, La politique européenne des transports à l’horizon 2010 : l’heure des choix, Livre blanc, Bruxelles, Publications des Communautés Européennes.
- Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement, 1987, Notre avenir à tous, Paris, Éditions du Fleuve.
- Conférence Européenne des Ministres des Transports, 1991, Le transport de marchandises et l’environnement, Paris, Publications de l’OCDE.
- Conférence Européenne des Ministres des Transports, 1997a, Quels changements pour les transports au siècle prochain ?, 14ème symposium international sur la théorie et la pratique dans l’économie des transports, Paris, Publications de l’OCDE.
- Conférence Européenne des Ministres des Transports, 1997b, Les nouvelles tendances de la logistique en Europe, Table ronde 104, Paris, Publications de l’OCDE.
- Conseil Général des Ponts et Chaussées, et Inspection Générale des Finances, 2003. Rapport d’audit sur les grands projets d’infrastructures de transport, Paris, Publications du CGPC-IGF.
- Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale, DATAR, 2003, La France en Europe : quelle ambition pour la politique des transports ?, Paris, Publications de la DATAR.
- DORNIER P-P., FENDER M., 2001, La logistique globale : enjeux – principes – exemples, Paris, Éditions d’Organisation.
- JOIGNAUX G., KAPROS S., 1996, « Les territoires de la logistique : le cas du Nord – Pas-de-Calais », Revue d’Économie Régionale et Urbaine, n°1, pp. 53-70.
- JOIGNAUX G., VERNY J., 2002, Étude du découplage entre croissance économique et mobilité : bilan et perspectives (volet marchandises), Rapport final, Villeneuve d’Ascq, DATAR.
- SAVY M., VELTZ P., 1993, Les nouveaux espaces de l’entreprise, Éditions de l’Aube.
- SAVY M., 2001, « Fret et développement durable : le rôle du territoire », Territoires 2020, n° 4, pp. 31-36.
- WACKERMANN G., 1995, Le transport de marchandises dans l’Europe de demain : le défi de l’équilibre, Paris, Le Cherche Midi éditeur.
Notes
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[*]
Première version septembre 2003, version révisée juillet 2004.
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[**]
Les chiffres entre parenthèses renvoient aux notes en fin d’article.
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[1]
Conférence Européenne des Ministres des Transports.
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[2]
Dans cette présentation ne seront traitées que les déplacements de marchandises, laissant volontairement de côté les problématiques liées au transport de personnes.
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[3]
L’intensité énergétique est définie comme le ratio de la consommation d’énergie finale d’un secteur (corrigé du climat, en millions de tonnes équivalent pétrole) sur le PIB marchand total en volume (prix de 1995).
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[4]
Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale.
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[5]
On parle de coûts externes car ils ne sont pas ou imparfaitement pris en compte dans la structure des prix du transport.
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[6]
Sauf si on lui ajoute les coûts logistiques, dans le cas de prestations qualifiées en particulier.
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[7]
Ce qui ne veut pas dire que d’autres mesures politiques n’y aient pas contribué, éventuellement de manière sensible comme c’est précisément le cas ici avec la politique de maîtrise de l’énergie.
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[8]
Conseil Général des Ponts et Chaussées et Inspection Générale des Finances.