Couverture de RERU_042

Article de revue

Développement territorial durable et participation volontaire : le cas du parc naturel régional de la Corse

Pages 239 à 257

Notes

  • [*]
    Première version septembre 2002, version révisée décembre 2003.
  • [**]
    Les chiffres entre parenthèses renvoient aux notes en fin d’article.
  • [1]
    Cette définition est proposée dans le rapport Brundtland (WCED, 1987, p. 43).
  • [2]
    Principe 10 de la déclaration de Rio (1992).
  • [3]
    Cette idée s’inscrit dans le cadre du « Manifeste pour un futur durable » rédigé en juin 1997 à l’occasion du 30e anniversaire des parcs naturels régionaux. Le développement durable y est cité comme « un modèle dont les parcs naturels régionaux ont été les précurseurs car depuis leur création ils font du développement durable : ils revendiquent un équilibre affirmé entre la sauvegarde de leurs richesses naturelles et un développement soucieux de préserver la qualité des patrimoines ».
  • [4]
    La théorie des parties prenantes constitue une tentative de fonder une théorie de la firme intégrant son environnement. Elle cherche à dépasser la théorie de la firme maximisatrice de profit et à prendre en compte les intérêts et les demandes de personnes ou groupes sociaux en relation avec l’entreprise. Ils comprennent l’ensemble de la société civile, et au-delà, dans le cadre du développement durable, les générations qui n’existe pas encore. Cette théorie s’est fortement développée depuis l’ouvrage fondateur de FRIEDMAN (1984).
  • [5]
    « L’économie des conventions » développe une approche microéconomique hétérodoxe dont un des intérêts majeurs réside dans la prise en compte de repères cognitifs dans l’explication des comportements individuels. Pour plus d’informations sur ce sujet, se reporter au numéro spécial de la Revue Économique de mars 1989 et à l’ouvrage d’ORLEAN « Analyse économique des conventions », 1994.
  • [6]
    Rapport des journées nationales des parcs naturels régionaux de France 2001, « Vivons le développement durable », 26, 27 et 28 septembre 2001.
  • [7]
    Le syndicat mixte du PNRC comprend : la Collectivité Territoriale de Corse, les départements de Haute-Corse et Corse du Sud, 149 communes, 4 établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.
  • [8]
    La politique des Parcs Naturels Régionaux est une politique nationale. Cette politique existe depuis 1967 mais n’a été précisée, par une loi, qu’en 1993. Aujourd’hui elle est régie par la loi du 8 janvier 1993 et par le décret du 1er septembre 1994. Cette politique est : harmonisée au niveau national par l’État qui attribue la marque Parc Naturel Régional, et de compétence partagée avec les régions qui ont l’initiative de la création des PNR et élaborent leurs chartes, en respectant les volontés des Départements et des Communes.
  • [9]
    Seuls trois groupes d’acteurs ont été distingués ici. Cependant, il est à noter que la complexité systémique des agents économiques impose un « bémol » quant à l’agrégation comportementale par groupe distinct. À l’intérieur de ces groupes, des divergences d’intérêts peuvent apparaître et il convient de ne pas négliger cette dimension.
  • [10]
    Cette charte permet de définir les principales ambitions du Parc Naturel Régional de Corse, à savoir « placer l’homme au cœur du Parc, participer et inciter à la construction collective et solidaire des projets, préserver les ressources naturelles et culturelles pour développer la vie des territoires, s’ouvrir aux échanges et aux partenariats locaux et externes ». Elle engage ses signataires pour une durée de 10 ans (Collectivité Territoriale de Corse, Département de Corse du Sud et de Haute-Corse et communes adhérentes). L’Etat qui l’a approuvée, s’engage par Convention, avec le Syndicat mixte du Parc, à coordonner l’action de ses services en vue de favoriser son application. Cette charte a été approuvée par le Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement par décret du 9 juin 1999.
  • [11]
    Pour plus d’informations sur la notion d’espace public : HABERMAS, 1978.
  • [12]
    Une règle peut être définie ici comme une prescription à laquelle il est possible de se conformer, et qui indique quel comportement est requis ou prohibé dans des contextes déterminés.
  • [13]
    Nous rejetons ici l’hypothèse émise dans le cadre des modèles évolutionnistes, selon laquelle les individus qui appartiennent à une même population ont des stratégies pré-programmées, pour considérer que l’élément partagé est une série de références communes (conventions) (SALAIS, alli, 1998).

Introduction

1La question du développement durable fait l’objet de nombreux débats tant sur sa définition que sur les moyens de sa mise en œuvre. Aujourd’hui, on s’accorde pour le définir comme « un développement qui assure la satisfaction des besoins des générations présentes sans compromettre la capacité pour les générations futures à satisfaire les leurs »[1][**]. Le concept englobe ainsi quatre principes fondamentaux, à savoir, la prise en compte de l’équité intra et intergénérationnelle, la préoccupation du long terme, l’imbrication des sphères économiques et écologiques et la prise de décision en incertitude forte (FAUCHEUX, NOEL, 1995).

2De plus, il ressort que les débats actuels sur ce thème ont généralement pour objectif commun de spécifier les actions à conduire lorsque l’on désire mettre en œuvre un projet de développement durable. Il est alors fait référence à diverses actions qui sont généralement qualifiées, de coordonnées, de responsables, de solidaires, et faisant appel à des processus consultatifs et participatifs.

3C’est ce qui a été déclaré, en 1992, à la conférence de Rio : « le meilleur moyen de traiter des problèmes environnementaux est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qu’il convient. Chaque individu doit avoir la possibilité de participer aux processus de prise de décision »[2].

4Ce principe se développe en Europe, et plus spécifiquement au niveau régional par des organismes institutionnels dont la mission est de promouvoir le développement local. Les programmes généralement mis en œuvre affirment que les objectifs d’un développement durable ne peuvent être atteints que s’il existe une action concertée de toutes les parties concernées œuvrant ensemble dans un esprit de collaboration et de mutualisation.

5Face à cette dynamique participative, on peut affirmer que la question du développement durable passe par le partage des responsabilités entre les acteurs économiques. Néanmoins, au-delà de cette idée de mobilisation des acteurs impliqués, d’autres champs d’analyse complémentaires, telles que les notions de territorialité et de concertation éthique des acteurs, doivent impérativement être prises en compte dans l’étude de ces phénomènes.

6L’objectif de cet article est ainsi de souligner l’importance de l’éthique collective imposant la participation des acteurs économiques dans un processus de développement durable territorial. Nous l’illustrerons par l’analyse d’un programme d’étude du Parc Naturel Régional Corse (PNRC) qui, en cherchant à mettre en place des stratégies de développement localisées, se présente aujourd’hui comme un instrument de gestion du territoire ou les choix de développement économique sont rendus compatibles avec la sauvegarde de l’environnement et l’implication d’un grand nombre d’acteurs [3]. Autrement dit, nous verrons que cette démarche expérimentale repose plus particulièrement sur une intégration environnementale des entreprises artisanales et agricoles présentes sur le territoire du PNRC. Il est à noter que le fondement des PNR est l’aménagement du territoire et qu’ils ont ainsi pu anticiper d’une manière implicite le développement durable.

7Notre idée est en effet que la gestion d’un patrimoine collectif ou d’un capital naturel, alliant développement économique et conservation qualitative et quantitative de la ressource, peut se fonder sur des actions concertées et négociées qu’il convient d’organiser étant données, la proximité institutionnelle, la diversité des intérêts et l’imbrication des niveaux de compétences. La thèse qui sera développée ici est que l’élaboration d’un développement durable au niveau du territoire requiert une implication des stakeholders[4] dans le processus décisionnel, c’est-à-dire dans la mise en place de règles, de normes et d’éléments conventionnels. L’idée est d’aboutir à une forme de responsabilité partagée de tous les acteurs, autrement dit d’instaurer une « gouvernance de confiance mutuelle » (FROGER, 2001).

8Avec ces divers appels à la participation, nous serons ainsi amenés à nous interroger sur le choix d’une grille de lecture appropriée. Dans cette perspective l’approche théorique « conventionnelle » peut apparaître comme une voie d’analyse pertinente [5].

9Il nous a donc semblé intéressant d’étudier le développement durable territorial comme un « vecteur d’objectifs sociaux désirables, c’est-à-dire une liste d’attributs que la société cherche à atteindre ou à maximiser » (PEARCE et al., 1990) Nous proposons donc dans une première partie de préciser, à partir d’un exemple concret, la nature des enjeux que soulève la gestion d’un espace territorialisé ou le choix des objectifs à réaliser résulte d’un processus continu de concertation « multi-acteurs » en interaction. Nous verrons que la catégorie de bien commun local dont relèvent les espaces d’intérêt public, associée au process de développement local fait naître un enjeu de développement durable territorial. Ce dernier préfigure la venue d’une nouvelle gouvernance et soulève la question de l’éthique comme règle de comportement. Dans une seconde partie, nous verrons dans quelle mesure l’objectif de développement durable tend à s’inscrire dans une dynamique participative rendue possible par la prise en compte d’un cadre cognitif commun, ce qui renvoie aux notions d’intention partagée et de proximité.

I – Articulation entre développement durable et éthique : l’expérience du PNRC

10Une stratégie de développement territorial durable doit combiner les impératifs du développement économique avec la valeur sociale complexe de l’environnement.

11Il s’agit, en d’autres termes, de déterminer le lien entre développement durable et sauvegarde du capital naturel : le premier peut se faire, si, et seulement si, la seconde est respectée. Les stratégies de développement doivent permettre la protection du capital naturel tout en œuvrant à la conservation et à l’augmentation des richesses liées à sa valeur d’usage.

12C’est dans ce cadre théorique que se situe l’action des Parcs Naturels dont le rôle est à la fois de conserver un capital naturel tout en promouvant de nouvelles activités productives compatibles avec cette conservation [6]. Ce mode d’implication suppose donc la mise en œuvre d’une démarche collective qui consiste à faire émerger une approche participative des problèmes de gestion de l’environnement face aux dynamiques de développement économique.

1.1 – L’enjeu du développement durable territorial : le PNRC comme outil expérimental

13Le Parc Naturel Régional de Corse, créé en 1972, prend la forme d’un syndicat mixte de collectivités territoriales [7]. Il a pour but de revitaliser la Corse de l’intérieur, de protéger et valoriser le patrimoine naturel et culturel, et d’informer et sensibiliser le public au milieu naturel insulaire. Pour lui, il est donc primordial de revenir à l’esprit du décret de création des Parcs Régionaux: protéger le patrimoine naturel, culturel mais surtout placer sa valorisation au centre d’un projet cohérent de développement économique [8]. On assiste peu à peu à l’abandon de l’idée exclusive de protection de l’environnement, pour inclure ce souci de préservation dans un concept global, qui prend en compte les implications sociales, humaines et économiques.

14Le Parc Naturel Régional de Corse, c’est donc, à ce jour :

  • un périmètre d’étude qui s’étend sur 377 800 hectares (il recouvre plus du tiers de l’Ile),
  • une population permanente de 26 700 habitants,
  • il regroupe 149 communes sur les départements de Haute-Corse et de Corse du sud,
  • il englobe le golfe de Porto et la réserve de Scandola (façade maritime classée site naturel du patrimoine mondial de l’UNESCO), ainsi que les plus hauts massifs (« la grande barrière » s’étale du Monte Cintu au nord-ouest jusqu’aux aiguilles de Bavella au sud-est),
  • 1 400 artisans et commerçants (hors secteur touristique),
  • 1 400 exploitations agricoles,
  • 180 établissements d’hébergement touristiques (hôtels et campings).
Le territoire du PNRC se compose d’entreprises et exploitations de niveau familial, souvent sans employé, parfois avec 1 à 3 employés et rarement avec plus de 5 employés. Il s’agit véritablement de micro entreprises. C’est dans ce contexte, que le PNRC développe un programme d’étude orienté vers la qualité et la qualification environnementale des entreprises de son territoire.

15L’initiative première de la démarche est venue du groupe de travail « Développement » de la Fédération Française des Parcs Naturels Régionaux. La problématique s’est posée dans les termes suivants :

  • les entreprises des Parcs Naturels, qui sont souvent de petites entreprises, sont aujourd’hui menacées dans leur survie et leur développement par des réglementations européennes nouvelles et de plus en plus contraignantes. Il est du devoir des Parcs Naturels de les informer et de rechercher avec elles des solutions ;
  • les consommateurs et le marché en général sont de plus en plus exigeants, d’une part sur la qualité sanitaire et hygiénique des productions et d’autre part sur l’impact des process de production sur l’environnement ;
  • les Parcs Naturels Régionaux qui prônent le développement durable autour des productions et des savoir-faire locaux ont pour devoir de promouvoir des productions propres sur un territoire propre.
Le Parc Naturel Régional de Corse a alors décidé d’entreprendre cette démarche vers les entreprises de son territoire avec l’aide d’un grand nombre d’acteurs dont les institutionnels locaux (maires et représentants de l’État et des collectivités locales) et le tissu associatif [9]. Cette dernière repose sur un engagement volontaire des entreprises qui ont accepté d’adhérer à un processus de diagnostic environnemental. Le pari qui a donc été formulé par le PNRC consiste à établir une adéquation entre les besoins des acteurs locaux et leur capacité à susciter l’engagement de ces mêmes acteurs, puisque ce sont eux en définitive qui « font la qualité des milieux naturels » (BAROUCH, 1989). En cela, sont posés les jalons d’un développement durable territorialisé.

16Notons que les prémisses de cette démarche ont été formalisées dans la charte [10] du PNRC (1999-2009) dont la principale caractéristique est d’apparaître comme un outil au service du développement durable, élaborée pour le territoire, en concertation avec les élus, les administrations locales et la société civile.

17Cette charte fonde sa crédibilité au niveau d’un espace construit qui fait apparaître un système de représentations communes à tous ses membres. Sa cohérence tient aux relations de proximité qui unissent les membres du territoire telles que les avaient décrites GILLY et PECQUEUR (1997). Autrement dit, elle trouve son origine au sein du territoire et peut être définie comme un contrat qui concrétise « un projet de développement fondé sur la préservation et la valorisation du patrimoine ».

18D’un point de vue pragmatique, la charte du PNRC s’inscrit dans une large problématique de développement du territoire basée sur trois objectifs principaux :

  • « l’éco-développement », liant étroitement l’écologie et l’économie, en vue de créer des richesses, des activités productives et de l’emploi ;
  • « l’auto-développement », faisant émerger et organisant les volontés et les solidarités au sein d’une dynamique de développement local ;
  • « le co-développement », favorisant les solidarités internes et externes et confortant les synergies et le partenariat.
Dans cette optique, le PNRC s’est tourné tout naturellement vers les entreprises artisanales et agricoles de son territoire, étant les premières engagées et concernées par cette démarche. On ainsi été et associés certains secteurs d’activités jugés prioritaires :
  • l’abattage et la transformation de la filière porcine ;
  • la production et la transformation laitière et fromagère. On peut noter que parallèlement à ce programme, le développement de l’agrotourisme a été favorisé. C’est en valorisant des produits du terroir qu’il sera possible d’étendre la vente directe de produits fermiers ;
  • le bâtiment avec la gestion des déchets, des peintures et des enduits ;
  • la production d’huiles essentielles et de leurs dérivés ;
  • l’accueil hôtelier et touristique. Leur développement est important sur la région et l’intérêt de l’essor de gîtes ruraux est de permettre la préservation du patrimoine architectural à moindres coûts et l’augmentation des revenus de la population locale qui est en contact direct avec les touristes.
Par rapport aux problèmes identifiés, trois démarches successives ont alors été menées :
  • la première a concerné la recherche documentaire et l’identification des organismes et personnes ressources en Corse et hors de Corse ayant déjà été confrontés à ces problèmes ;
  • la deuxième a consisté à envisager les différentes solutions possibles, au regard de leur performance environnementale, de la faisabilité technique et des coûts inhérents ;
  • la troisième, a été d’aller à la rencontre des organismes institutionnels financeurs, pour étudier les possibilités de mise en œuvre.
De cette première phase de travail, il est possible de tirer différents constats :
  • la problématique du financement : les faibles capacités de financement des structures rendent les préconisations d’un diagnostic environnemental délicates à mettre en œuvre. Le recours à des financements publics complémentaires est indispensable ;
  • l’inexistence d’information et de dispositifs d’appuis : les institutions et les entreprises ont une sensibilisation et une information insuffisante. Elles ont été surprises par la démarche même si elles en ont presque toutes apprécié l’intérêt. De plus, l’absence d’un dispositif préalable de conseil aux entreprises, d’accompagnement, de formule d’aide au financement rend vain tout effort de l’éco-développeur et de l’entreprise ;
  • la nécessité d’établir un climat de confiance et de cohérence : favoriser un secteur est rarement efficient. Traiter l’ensemble des entreprises est incohérent si l’on ne traite pas le territoire dans son ensemble. De même que l’identification de tous les partenaires qui peuvent être associés à cette démarche d’amélioration réelle de la performance environnementale des entreprises est nécessaire ;
  • la localisation en zone rurale : la faiblesse des structures des entreprises doit être mise en relation avec le manque de moyens tant humain que financier des collectivités locales des zones de leur implantation.
Fort de ces premiers enseignements, le PNRC ne peut que constater que ce n’est qu’en créant un maillage fort que des relations de coopération entre acteurs économiques du territoire peuvent apparaître et qu’elle sont, plus que jamais la seule voie à suivre pour atteindre les objectifs fixés. Il s’agit de mettre les partenaires locaux, publics et privés, en position d’acteurs ou chacun trouve sa place en respectant des règles communes et négociées ; cela suppose de définir une méthode et des moyens d’actions.

19La méthode proposée repose sur trois points :

  • la définition d’un espace territorial expérimental afin de croiser l’approche « entreprises/territoires ». Ceci a conduit à l’élaboration de diagnostics permettant d’intégrer les problématiques des très petites entreprises dans la gestion et l’aménagement du territoire retenu,
  • l’examen des systèmes d’informations environnementales au profit des entreprises, des organismes et des éco-développeurs de développement, afin d’assurer une veille et un conseil,
  • un programme de sensibilisation et de formation au profit des acteurs impliqués et des citoyens.
Sur un plan conceptuel, nous pouvons considérer que les moyens mis en œuvre par le PNRC se traduisent par la mise en place de comités de pilotage et de suivi, regroupant les différents acteurs (les communes, les entreprises, la population et les éco-développeurs du PNRC) et de la conduite d’études et d’expertises favorisant l’élaboration d’une approche commune des problèmes environnementaux à traiter dans la perspective d’une stratégie de développement local. Finalement le Parc accède progressivement au statut « d’acteurorganisation » dans le cadre d’une logique de responsabilité environnementale partagée.

1.2 – Modalités de coordination et conception du développement durable territorial : gouvernance participative et responsabilisation éthique des acteurs

20Le Parc Naturel Régional de Corse a identifié sur l’ensemble du territoire insulaire un grand nombre d’acteurs, de parties prenantes dont, les Chambres de Commerce, des Métiers et d’Agriculture, l’ONF, les DDA et DDE, les mairies de communes, les agriculteurs, le tissu associatif, les chasseurs et les pêcheurs. Chacun étant doté de sa propre perception du milieu et agissant selon des motivations individuelles différenciées qui impliquent donc une perception personnelle du développement durable.

21Si l’on suit la démarche précédente, qui consiste à associer des acteurs animés par des intérêts divergents à partir d’un diagnostic environnemental, nous pouvons considérer qu’aujourd’hui cette action permet de faire émerger certaines problématiques. Par exemple, dans le cadre d’une entreprise du bâtiment spécialisée dans les travaux de peinture, le PNRC a pu identifier que :

  • les rejets liquides (eaux usées, fonds de peinture, solvants souillés) ou solides (gravats, pots de peinture, pots de colles…), sont selon les lieux des chantiers et selon les types de traitement public, rejetés dans le milieu ou conduit à la décharge. Seules les huiles de vidange de l’entreprise suivent la filière agréée des huiles usagées. Il n’y a ni valorisation, ni recyclage. Il n’y a, à l’échelle de la micro région aucune unité de centralisation ou de déchetterie ;
  • les entreprises de peinture n’ont que peu ou pas d’informations sur les risques pour le milieu, sur les techniques de protection, sur les systèmes de tri, de risques en mélange ou brûlage alors que le coût de collecte par des entreprises spécialisées reste prohibitif pour une entreprise de petite taille.
Il convient de préciser que le PNRC est à l’initiative de nombreux projets qui, de par leur nature innovante et originale, nécessitent explications, négociations et médiations. Il en a été ainsi, par exemple :
  • de la randonnée pédestre. À ses débuts, les administrations du tourisme et les élus étaient sceptiques sur la création d’un sentier de grande randonnée (GR 20), fréquenté aujourd’hui par 20 000 randonneurs ;
  • de l’action « pastoralisme et incendie » qui, progressivement comprise et soutenue, est aujourd’hui étendue par l’Office de Développement Agricole et Rural de Corse (ODARC) à l’ensemble de la Corse ;
  • de l’émergence d’un développement local territorialisé et de l’approche micro régionale ;
  • de la protection des espèces et notamment des rapaces, ennemis d’alors, fierté d’aujourd’hui ;
  • de la performance environnementale des entreprises, encouragée aujourd’hui par l’Agence de Développement Économique Corse (ADEC).
Comment dans ces conditions, relever le défi d’une amélioration de la performance environnementale des entreprises et participer au développement durable ? Concrètement, le PNRC peut-il, à partir de l’instant où les entreprises se sont engagées volontairement dans cette démarche de diagnostic environnemental, mettre en œuvre des solutions réalistes ?

22L’une des réponses que nous pouvons apporter procède d’une mise en synergie des acteurs du développement reposant sur la concertation et la négociation pour parvenir à un consensus sur les objectifs à atteindre.

23En effet, la négociation apparaît comme le « cœur » de la démarche du PNRC car elle repose sur :

  • un diagnostic réalisé auprès des entreprises associées,
  • la recherche préalable d’une adhésion des entreprises et des différents acteurs concernés, à partir d’une identification des problèmes,
  • la révélation des intérêts liés au développement durable territorial,
  • l’établissement d’engagements formels ou informels à travers la réalisation d’une action concrète.
En cela, le PNRC met régulièrement en avant des analyses et des études diverses qui constituent la matière première des négociations. Ces supports ont un rôle de « catalyseur de consensus » dans la coordination des acteurs et plus particulièrement dans la mise en œuvre du résultat final de la négociation : l’engagement conventionnel. Autrement dit, le PNRC privilégie différents points :
  • il s’appuie sur des « éco-développeurs » (agent de développement). Au niveau interne, la particularité de leur mission réside sur le fait qu’ils doivent intervenir comme relais auprès des autres services du Parc (animation, patrimoine, randonnées, communication…) en coordonnant les moyens. Au niveau externe, ces « animateurs-coordonnateurs » sont en relation avec les élus, les associations, les particuliers et les entreprises. Véritables manageurs de projets, ils sont basés dans différentes micro régions. Leurs actions sont donc reconnues et légitimées localement ;
  • il s’assure de la grande diversité des parties prenantes à chaque étape de l’adhésion et de l’engagement des entreprises, des élus de chaque commune et des structures intercommunales. Il constitue des groupes de travail tournés vers la performance environnementale comme facteur de développement des entreprises ;
  • il s’est doté d’un document de travail formalisé par une charte qui engage les signataires et qui se prolonge par des conventions particulières.
Malgré ces supports de négociation une difficulté persiste. Elle réside dans l’élaboration de solutions concrètes et durables. L’engagement des entreprises privées demeure aléatoire et des risques de comportements opportunistes peuvent apparaître (gains concurrentiels et renforcement de réputation). Aussi, le partenariat établi entre le PNRC, les entreprises et les différents acteurs peut ici être interprété à partir d’un jeu d’incitations de nature à modifier les intentions et les motivations de chacun. Il n’en reste pas moins qu’au-delà de ces enjeux stratégiques et économiques, une autre approche de la responsabilisation est nécessaire, renvoyant à une éthique de la concertation. Autrement dit, les implications de plus en plus nombreuses des parties prenantes (stakeholders), imposent de s’appuyer sur une éthique de concertation pour mettre en place une gestion durable du territoire.

24L’idée est que dans la démarche du PNRC la responsabilité des entreprises correspond bien aux « 3C de l’éthique » proposés par SOLOMON et HANSON (1989). L’éthique de l’entreprise doit se traduire par la Conformité aux règles (lois, principes moraux, coutumes, etc.), des Contributions que l’entreprise peut apporter à la société, des Conséquences de l’activité commerciale à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise. La notion d’éthique évoque ici, à la fois, la prise en compte d’un ensemble de règles d’actions que les parties prenantes s’engagent à respecter et la mise en évidence d’un lien entre bien-être collectif et comportement individuel. Mais au-delà du respect des lois et des règlements concernant la protection de l’environnement et les dispositifs de protection sociale, les entreprises peuvent donc se montrer actives en œuvrant pour un développement durable grâce à une gestion soutenable des ressources et des activités en s’appuyant sur une éthique comportementale basée sur une concertation.

25Cette éthique de la concertation ne considère pas que les normes sont établies une fois pour toutes et pour tous les cas envisageables. Au contraire, chaque situation nouvelle suppose un débat argumenté afin de faire émerger les normes et les codes de conduite. Il importe alors pour le PNRC avant tout de faire naître, à la suite du diagnostic environnemental, des procédures de régulation, centrées sur une politique de concertation de l’ensemble des parties prenantes. La constitution d’un cadre de concertation permet donc un changement profond d’attitudes où l’intérêt individuel se combine avec l’intérêt collectif pour donner une éthique collective. C’est donc ce changement qui fonde l’acte éthique environnemental.

26Autrement dit, située entre engagement stratégique et règle de comportement, la participation volontaire à une telle démarche, associée à la notion d’équité intra et intergénérationnelle, se présente aujourd’hui comme un dispositif de coordination qui implique une responsabilisation des entreprises mais aussi de tous les acteurs. La démarche éthique n’est donc pas perçue comme un discours de valeurs, mais plus, comme un discernement à partir d’actes concrets face à l’exigence d’initiatives à prendre, d’objectifs à fixer et à atteindre (PUEL, 1989).

27C’est dans ce contexte, et en mettant l’accent sur la participation responsable d’un grand nombre d’acteurs, de parties prenantes à un processus volontaire, que le PNRC apparaît comme un tiers qui peut arbitrer les stratégies de développement durable élaborées avec les acteurs du territoire. Cette approche reflète les tendances actuelles qui tendent à favoriser l’émergence d’une nouvelle gouvernance participative par la recherche de solutions locales et par la mise en œuvre d’objectifs globaux de développement durable. Cette gouvernance participative se distingue de la gouvernance d’autorité dans la mesure où les experts, le PNRC ne sont pas les seuls décideurs et où les citoyens participent pleinement à la prise de décision (FROGER, 2001).

28Ainsi, dans le cadre de la démarche du Parc et de son processus de décision collective, nous pouvons parler de gouvernance participative car elle en présente plusieurs caractéristiques symptomatique :

  • elle permet de mettre l’accent sur la multiplicité et la diversité des acteurs engagés dans cette démarche et d’appréhender la gestion des problèmes environnementaux comme un processus de négociation/interaction entre intervenants hétérogènes ;
  • elle accorde une place importante à « l’espace public » [11] dans lequel les acteurs affirment leur existence, débattent en exerçant leur pouvoir d’expression et de critique ;
  • elle met en jeu des sous-systèmes organisés en réseaux d’action publique reliant les acteurs n’ayant ni la même légitimité ni les mêmes capacités (SMOUTS, 1998) ;
  • elle implique participation, négociation et coordination.
Ce faisant, la gouvernance participative attire l’attention sur le partage des responsabilités entre les acteurs économiques et sur une certaine forme de délégation de pouvoir des instances publiques envers les acteurs privés. En d’autres termes, dans la démarche du PNRC les différents agents s’associent, mettent en commun leurs capacités et leurs projets dans le but de créer une nouvelle coalition d’actions fondées sur le partage des responsabilités.

29Ce type de partenariat apparaît comme la manifestation pertinente d’une action individuelle agissant comme un catalyseur de préoccupations collectives renvoyant à une dynamique comportementale conventionnelle. Il est donc primordial d’analyser la démarche du PNRC et les engagements des acteurs comme un tout cohérent, un cadre de références communes afin d’homogénéiser et de caractériser le processus de décision qui conduit à ce partenariat.

30Développant une analyse de la coordination de différents acteurs dans un contexte d’incertitude, les enseignements de « l’économie des conventions » pourraient s’avérer utiles en matière d’élaboration de règles comportementales qui motivent la participation des acteurs à la démarche du Parc Naturel Régional de Corse.

II – Le comportement des acteurs face au développement durable territorial

31L’exemple du PNRC nous a permis de constater que la prise en compte d’un cadre de concertation met en exergue l’importance de réunir tous les agents concernés et la définition de règles comme le cœur du processus de gestion éthique de l’entreprise. Mais là encore, il s’agit bien de la mise en place de procédures de concertation et de décision consensuelle et non d’une simple consultation. Ce cadre doit bien sûr être structuré et révèle la nécessité de recourir à un corpus théorique dans lequel les règles partagées forment des repères cognitifs permettant l’élaboration et la stabilité des engagements des acteurs qui participent au développement durable territorial [12].

32Afin de mieux cerner le fonctionnement de la démarche, il nous paraît utile de considérer les conventions et la proximité comme supports de la coordination des parties prenantes. L’idée centrale est donc ici que la création d’un cadre cognitif commun, de règles non figées rend les relations de coopération plus cohérentes.

2.1 – De la nécessité d’une participation active des acteurs à la recherche d’un cadre cognitif commun : les conventions

33Si l’on analyse la démarche du PNRC comme relevant d’un problème de coordination entre divers acteurs d’un territoire donné, on observe que ces derniers doivent se coordonner en fonction d’objectifs définis localement. L’introduction d’une éthique de concertation conduisant à la responsabilisation des acteurs dépasse l’objectif de maximisation du profit et met en avant la notion de volontariat dans l’adoption de solutions face aux problématiques environnementales. Ainsi, la responsabilisation et le volontariat des entreprises du territoire peuvent être définis comme des prescriptions, auxquelles il est possible de se conformer et qui révèlent le comportement requis, préféré ou prohibé dans un contexte de développement durable territorial. La coopération est fondée sur un cadre d’interprétations et de références collectives que les acteurs acceptent comme cadre partagé.

34On peut avancer l’idée suivante : la dynamique impulsée par le Parc se structure autour de deux concepts « l’éco-socio-système » (DE MONTGOLFIER et NATALI, 1987) et la convention.

35Le premier permet d’appréhender le territoire comme un système d’interrelations au sein duquel cohabite un écosystème et une communauté locale. « Un éco-socio-système est l’ensemble des relations existant à propos d’un espace, d’un territoire donné et donc du développement économique et social qui le transforme » (TORRES, 1995). Cet ensemble comprend :

  • les relations que les parties prenantes ont entre elles, et qui font usage du milieu naturel, à l’occasion de la gestion et du développement du territoire insulaire ;
  • les relations entre les facteurs écologiques qui conditionnent l’évolution du milieu naturel insulaire ;
  • les relations que les acteurs sociaux ont avec les divers facteurs du milieu insulaire.
Le second concept met plus précisément l’accent sur l’action du Parc : le PNRC a construit, en relation avec les autres acteurs, « un espace commun manifestant des capacités d’intercompréhension » (EYMARD-DUVERNAY et MARCHAL, 1994) afin de permettre la coordination et l’adhésion de tous. Ce cadre commun permet d’établir des conventions définies comme « systèmes d’attentes réciproques » (SALAIS, 1989) en provoquant un élargissement du champ de responsabilité. Par convention, on peut entendre un système de règles et donc de contraintes, des savoirs communs, des procédures de négociation, des attentes réciproques fondées sur des expériences déjà effectuées.

36Ainsi, seule une conviction affirmée des acteurs impliqués peut crédibiliser leur engagement au sein du processus de développement durable territorial. C’est-à-dire que chaque acteur est porteur de règles de conduite qu’il véhiculera et modifiera au fil de ses expériences. Dans un groupe donné, des règles comportementales s’imposent et il devient alors possible de considérer que ces éléments cognitifs partagés sont acceptés comme autant de références communes guidant les prises de décision.

37Le concept de convention appliqué à ce type de démarche signifie que la responsabilisation éthique devient une valeur partagée, un bien commun et se présente comme une forme sociale définie et reconnue. Il y a une construction participative des normes et des comportements qui sont mis en évidence autour d’un principe de développement durable.

38Considérant que les acteurs sont confrontés à une situation d’incertitude stratégique provenant de leur incapacité à prévoir le futur et à tenir compte de toutes les contingences systémiques, ils vont rechercher des outils d’analyse qui permettent de « rationaliser » leurs comportements (LEWIS, 1969). « L’imitation » peut être considérée comme un des facteurs explicatifs de l’adoption de conventions. Néanmoins, cette vision comporte une part d’ambiguïté. En effet, les procédures de coordination que les règles et les repères engendrent, ne sont pas susceptibles d’une application mécanique, car elles sont liées à la permanence des processus d’apprentissage collectif [13]. Autrement dit, une norme ne peut être figée, elle se construit, se transforme et se caractérise par des adaptations et des affinements à partir de données locales fluctuantes. L’idée sous-jacente est donc qu’il existe toujours une part laissée à l’interprétation locale lors des dynamiques opératoires. L’agent coordonnateur que représente le Parc, doit alors être le garant de l’évolution positive de ces normes au service d’un développement durable.

39D’une manière générale, les notions « d’éco-socio-système » et de convention permettent de comprendre les dynamiques de coordination qui doivent être présentes au sein des processus de développement durable (GRAZIANI, 2000), opérant ainsi une rupture avec les approches qui mettent l’accent sur des mécanismes purement incitatifs. En ces termes, la participation active à un projet de développement durable peut être considérée comme un construit commun, basé sur une éthique de concertation et qui intègre alors une série de règles non prédéfinies. Cette éthique peut donc se définir comme un repère cognitif qui justifie l’existence de conventions comportementales tacites permettant une « économie de savoir » face à l’incertitude (FAVEREAU, 1989).

2.2 – Modes d’actions et construction d’un cadre commun : l’influence de la notion d’intention et de proximité

40L’hypothèse est la suivante : dans un territoire donné, en l’occurrence celui du Parc, la notion de convention suggère que la participation des acteurs économiques s’effectue au niveau de l’élaboration des règles en vue de répondre à l’enjeu de développement durable territorial. C’est là un aspect essentiel qu’il convient de préciser et d’associer aux concepts d’intention (SEARLE, 1983) et de proximité.

41Notons que le concept de proximité « qui fait largement appel à l’existence d’interactions (de nature spatiale et organisationnelle) entre acteurs, entre objets techniques ou entre acteurs et objets » (TORRE, 2000) nous permet d’accentuer le caractère intentionnel des interactions qui existent au sein de la démarche du Parc. Autrement dit, l’intérêt de l’analyse en terme de proximité organisationnelle est de montrer que le programme du Parc peut être atteint car localement les actions engagées reposent sur un niveau élevé d’interactions intentionnelles, c’est-à-dire de relations de coopération et de partenariat. De même que, la prise en compte du concept d’intention résulte notamment du fait que les sociétés sont riches de procédures explicites de concertation et d’harmonisation des stratégies individuelles (BOYER, ORLEAN, 1994). Les agents ont donc la possibilité de s’accorder sur des procédures de coordination conventionnelle construites sur la base d’une proximité, favorisant l’action collective entre les différents acteurs territoriaux (GILLY, PECQUEUR, 1995).

42L’idée selon laquelle la participation des acteurs économiques à la démarche impulsée par le Parc est établie au niveau de la formation des règles revient donc à dire que les systèmes de règles prescrivant les comportements sont intentionnels et non spontanés et qu’ils sont conçus par les parties prenantes de manière à rendre possible l’adhésion de tous. Ceci soulève une interrogation: quels rôles les intentions partagées ont-elles dans la mise en œuvre d’un processus d’intégration et de concertation environnementales des entreprises au sein du territoire du PNRC ?

43Premièrement, elles peuvent permettre de coordonner les activités futures des entreprises conformément aux résultats obtenus lors du diagnostic environnemental. Deuxièmement, elles peuvent également coordonner les différentes actions en garantissant la planification notamment du rôle du Parc, des communes et des autres institutions, évitant ainsi qu’une hiérarchisation institutionnelle ne constitue un frein (BRATMAN, 1987). Enfin, l’intention partagée peut fournir un cadre structurant pour la négociation entre partenaires. Ainsi, nous pouvons considérer que l’intention partagée des acteurs permet la mise en œuvre d’un partenariat. Cette interprétation tend à montrer que la cohérence du programme d’étude du PNRC tient aux relations de proximité qui unissent les membres du territoire. Les interrelations de voisinage bâties conduisent à instituer, d’une part, une proximité géographique qui permet de mettre en avant une représentation du territoire au sens « d’un espace construit », et d’autre part, une proximité organisationnelle structurée autour du principe de concertation.

44Le concept de proximité organisationnelle traduit ici la capacité de la mise en commun des informations et des savoirs parcellaires, au travers des interactions entre les acteurs (RALLET, 1993). Le territoire du Parc représente la zone où la proximité organisationnelle est importante, qu’il s’agisse :

  • d’une « logique de similitude » (TORRE, 2000) : il existe un grand nombre de parties prenantes qui partagent des référents communs, une culture commune, qui facilite les interactions ;
  • d’une logique d’appartenance : la plupart des entreprises concernées par ce programme sont des entreprises artisanales ou agricoles.
La proximité géographique permet quant à elle d’insister sur la relation qui existe au sein du territoire du Parc entre les « éco-développeurs » et les différents acteurs locaux.

45Il semble que cette structuration de l’espace tant géographique qu’organisationnelle, influe sur la propagation des règles de comportements et par conséquent sur la capacité des acteurs à susciter des formes de proximité organisationnelle et à veiller à la coordination des actions engagées localement.

46À l’évidence, les procédures d’établissement de règles pour le développement durable territorial supposent des acteurs volontaires, « une culture de dialogue » et des procédures de coordination socialement construites et contextualisées. Au regard de la problématique de la qualité et la qualification environnementale des entreprises, le PNRC s’est appuyé sur des dynamiques territoriales existantes, basées sur des liens de proximité déjà en place. Il est toutefois intervenu en renforçant la proximité géographique en mettant en place des éco-développeurs. Ainsi, le développement durable territorial peut être considéré comme une action collective et comme une coordination d’actions individuelles dont les caractéristiques sont de se situer dans un monde que l’on entend modifier et qui se modifie de manière imprévisible à mesure que les actions progressent. Le développement durable territorial va donc supposer la mise en relation d’acteurs collectifs qui s’organisent autour du triptyque suivant : territorialité - concertation éthique - partenariat (GRAZIANI, 2002).

Conclusion

47L’objectif de cet article consistait à examiner et à montrer qu’un engagement volontaire des acteurs économiques au sein de la mise en œuvre des processus de développement durable territorial peut constituer, d’une part, une nouvelle approche de la notion de gouvernance, et d’autre part, une opportunité de réinventer les relations citoyennes dans une entité spatiale reconnue, à savoir le territoire. L’exemple du PNRC nous a donc permis d’insister sur le fait que le développement durable met en évidence l’interaction entre les sphères économique, sociale et environnementale.

48De plus, nous nous sommes appliqués à souligner que la gouvernance participative repose sur les notions de proximité organisationnelle et de proximité géographique qui sont nécessaires aux actions collectives et localisées. Il s’agissait donc de comprendre les dynamiques de coordination présentes liées à l’élaboration des projets de développement durable territorial. Pour ce faire, nous avons rattaché un engagement volontaire et la participation active des acteurs économiques à un processus de concertation éthique, d’intention en vue de faire émerger la construction d’un cadre cognitif commun.

49Mais on se rend compte aussi de la nécessité d’affiner l’analyse afin de mieux prendre en compte les problèmes nouveaux que sous tend cette démarche. La voie tracée par un possible rapprochement entre les écoles des conventions et de la régulation pour peu que soient surmontés un certain nombre de problèmes théoriques est très prometteuse.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : motivation éthique, développement durable, engagement volontaire, convention cognitive collective

Mise en ligne 01/01/2012

https://doi.org/10.3917/reru.042.0239

Notes

  • [*]
    Première version septembre 2002, version révisée décembre 2003.
  • [**]
    Les chiffres entre parenthèses renvoient aux notes en fin d’article.
  • [1]
    Cette définition est proposée dans le rapport Brundtland (WCED, 1987, p. 43).
  • [2]
    Principe 10 de la déclaration de Rio (1992).
  • [3]
    Cette idée s’inscrit dans le cadre du « Manifeste pour un futur durable » rédigé en juin 1997 à l’occasion du 30e anniversaire des parcs naturels régionaux. Le développement durable y est cité comme « un modèle dont les parcs naturels régionaux ont été les précurseurs car depuis leur création ils font du développement durable : ils revendiquent un équilibre affirmé entre la sauvegarde de leurs richesses naturelles et un développement soucieux de préserver la qualité des patrimoines ».
  • [4]
    La théorie des parties prenantes constitue une tentative de fonder une théorie de la firme intégrant son environnement. Elle cherche à dépasser la théorie de la firme maximisatrice de profit et à prendre en compte les intérêts et les demandes de personnes ou groupes sociaux en relation avec l’entreprise. Ils comprennent l’ensemble de la société civile, et au-delà, dans le cadre du développement durable, les générations qui n’existe pas encore. Cette théorie s’est fortement développée depuis l’ouvrage fondateur de FRIEDMAN (1984).
  • [5]
    « L’économie des conventions » développe une approche microéconomique hétérodoxe dont un des intérêts majeurs réside dans la prise en compte de repères cognitifs dans l’explication des comportements individuels. Pour plus d’informations sur ce sujet, se reporter au numéro spécial de la Revue Économique de mars 1989 et à l’ouvrage d’ORLEAN « Analyse économique des conventions », 1994.
  • [6]
    Rapport des journées nationales des parcs naturels régionaux de France 2001, « Vivons le développement durable », 26, 27 et 28 septembre 2001.
  • [7]
    Le syndicat mixte du PNRC comprend : la Collectivité Territoriale de Corse, les départements de Haute-Corse et Corse du Sud, 149 communes, 4 établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.
  • [8]
    La politique des Parcs Naturels Régionaux est une politique nationale. Cette politique existe depuis 1967 mais n’a été précisée, par une loi, qu’en 1993. Aujourd’hui elle est régie par la loi du 8 janvier 1993 et par le décret du 1er septembre 1994. Cette politique est : harmonisée au niveau national par l’État qui attribue la marque Parc Naturel Régional, et de compétence partagée avec les régions qui ont l’initiative de la création des PNR et élaborent leurs chartes, en respectant les volontés des Départements et des Communes.
  • [9]
    Seuls trois groupes d’acteurs ont été distingués ici. Cependant, il est à noter que la complexité systémique des agents économiques impose un « bémol » quant à l’agrégation comportementale par groupe distinct. À l’intérieur de ces groupes, des divergences d’intérêts peuvent apparaître et il convient de ne pas négliger cette dimension.
  • [10]
    Cette charte permet de définir les principales ambitions du Parc Naturel Régional de Corse, à savoir « placer l’homme au cœur du Parc, participer et inciter à la construction collective et solidaire des projets, préserver les ressources naturelles et culturelles pour développer la vie des territoires, s’ouvrir aux échanges et aux partenariats locaux et externes ». Elle engage ses signataires pour une durée de 10 ans (Collectivité Territoriale de Corse, Département de Corse du Sud et de Haute-Corse et communes adhérentes). L’Etat qui l’a approuvée, s’engage par Convention, avec le Syndicat mixte du Parc, à coordonner l’action de ses services en vue de favoriser son application. Cette charte a été approuvée par le Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement par décret du 9 juin 1999.
  • [11]
    Pour plus d’informations sur la notion d’espace public : HABERMAS, 1978.
  • [12]
    Une règle peut être définie ici comme une prescription à laquelle il est possible de se conformer, et qui indique quel comportement est requis ou prohibé dans des contextes déterminés.
  • [13]
    Nous rejetons ici l’hypothèse émise dans le cadre des modèles évolutionnistes, selon laquelle les individus qui appartiennent à une même population ont des stratégies pré-programmées, pour considérer que l’élément partagé est une série de références communes (conventions) (SALAIS, alli, 1998).
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